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La Cour européenne des droits de l’Homme charia un peu


La Cour européenne des droits de l’Homme charia un peu
Citoyens opposés à la construction d'une grande mosquée à Cologne en Allemagne, juin 2007 © JUELICH/SIPA Numéro de reportage: 00545849_000001

Une énième affaire de menaces proférées sur les réseaux sociaux contre une personne ayant manqué de respect à l’islam remet sur le devant de la scène une décision de la Cour européenne des droits de l’homme redoutablement ambiguë en ce qui concerne le statut de la charia dans nos États de droit.


27 octobre 2020. Un professeur de droit formule quelques remarques acerbes sur l’islam, lors d’un cours en ligne, à propos d’un arrêt de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) relatif à la compatibilité de la charia avec les principes démocratiques. Sortis de leur contexte, ses propos circulent sur Twitter et lui valent des menaces de mort, assortis d’une plainte de la Ligue des droits de l’Homme.

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Mais de quel arrêt traitait le cours, au juste ? La question peut sembler anecdotique. En réalité, elle ne l’est pas du tout. Il s’agit d’une décision rendue le 19 décembre 2018, « Molla Sali contre Grèce ». Passée relativement inaperçue, elle a marqué un inflexion de jurisprudence potentiellement lourde de conséquences. Depuis 2003, la CEDH considérait que la charia était incompatible avec les principes démocratiques[tooltips content= »arrêt Refah Partisi et autres c. Turquie du 13 février 2003″](1)[/tooltips].  Elle avait tranché en ce sens alors qu’elle était saisie par le parti de la Prospérité, le Refah, que la Turquie venait d’interdire. « Le projet politique à long terme du Refah visant à instaurer un régime fondé sur la charia », disait la Cour, est « en contradiction avec la conception de la société démocratique ». Fin de la discussion pour quinze ans.

Dans sa décision de 2018, la CEDH ne fait pas marche arrière, mais elle prend un virage très net[tooltips content= »arrêt Molla Sali c. Grèce, req. 20452-14. »](2)[/tooltips]. Elle devait se prononcer sur le sort de Molla Sali, une ressortissante grecque de la minorité musulmane de Thrace. Forte de quelques dizaines de milliers de membres, cette minorité applique la charia à ses affaires familiales, en vertu d’une clause particulière du traité de Lausanne de 1920. Droit musulman oblige, les femmes sont désavantagées dans les affaires de succession. Bien que musulmane, Molla Sali avait saisi la Cour européenne afin de bénéficier du droit commun grec. Déboutée par la justice de son pays, elle a eu gain de cause au niveau européen. La Grèce s’y attendait. Elle avait modifié son droit national sans attendre le verdict, afin de rendre la charia optionnelle pour ses citoyens musulmans. Autant dire que la CEDH avait un boulevard devant elle pour redire que la charia n’est pas compatible avec la démocratie.

La charia, impossible à imposer comme à interdire…

Mais elle a choisi une position beaucoup moins tranchée. « La liberté de religion n’astreint pas les États contractants à créer un cadre juridique déterminé pour accorder aux communautés religieuses un statut spécial », mais rien ne leur interdit non plus de le faire. Les croyants pourront choisir ce cadre. « Le choix en question est parfaitement libre, pourvu qu’il soit éclairé », dit la Cour, et pourvu qu’il ne soit pas contraire à un « intérêt public important ». L’égalité des sexes faisant partie de ces « intérêts publics importants », selon la jurisprudence de la CEDH, la fenêtre pour appliquer la charia dans les pays européens se réduit singulièrement, mais elle ne disparait pas ! 

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Au Royaume-Uni, il existe des « shariah courts » arbitrales compétentes en affaires familiales. Elles sont saisies seulement lorsque toutes les parties sont d’accord. Le problème, pointé par l’ONG britannique Civitas (aucun lien avec le mouvement français catholique traditionaliste éponyme), est que le volontariat est parfois ambigu. Dans les affaires de divorces, beaucoup de femmes se résignent à passer par la sharia court de guerre lasse. 

La charia et le blasphème avancent à petits pas

Question à ce stade sans réponse, l’enseignant actuellement pris à partie est-il ciblé parce qu’il a tenu des propos désobligeants sur l’islam, ou parce qu’il s’est insurgé contre la logique de la CEDH ? Il s’est écoulé plus d’un mois entre son cours et le moment où l’affaire est sortie. 

La mouvance islamiste n’a pas du tout commenté l’arrêt Molla Sali, mais il ne fait aucun doute que ses juristes surveillent attentivement les jurisprudences de la CEDH. En 2018 encore, ils ont obtenu une autre belle victoire devant elle: la Cour avait confirmé la validité de la condamnation d’une Autrichienne poursuivie pour avoir dit que Mahomet était pédophile (au motif que son épouse Aïcha avait une dizaine d’années quand son mariage avec le prophète fut consommé). [tooltips content= »Affaire E.S. c. Autriche, req. 38450/12. »](3)[/tooltips]

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En France, aucune formation politique, aucune ONG n’a jamais proposé de créer des tribunaux arbitraux islamiques compétents en matière familiale. Si la charia devait se ménager une niche juridique dans notre pays, ce serait sans doute en commençant par un domaine moins sensible. La finance, par exemple. Une filiale du Crédit du Nord, La Française, commercialise depuis 2018 un produit de placement immobilier Charia, « compatible avec les préceptes de la finance islamique ». La réalité de la demande se confirme. Selon un sondage Ifop pour le Comité Laïcité République publié en novembre 2020, 57% des musulmans de 18 à 24 ans considèrent que la charia est plus importante que la loi de la République. Dix points de plus qu’en 2016.

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