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Quand Mme Vanceunebrock (LREM) “libère sa parole”

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Dans l’hémicycle de notre Assemblée nationale, est-il maintenant permis d’être raciste et sexiste (et plus encore)?


Verrons-nous un jour un de nos députés apostropher une députée en commençant sa diatribe par les mots suivants : « Peut-être que pour Mme X, la situation ne s’est jamais présentée, puisque Mme X est une femme lesbienne (ou hétérosexuelle, ou transgenre), noire (ou blanche, ou “racisée”), athée (ou juive, ou musulmane)… » ? Il y a encore une semaine, nous aurions répondu que cela est inconcevable : dans le pays de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, aurions-nous dit, il n’est pas permis de désigner quelqu’un par sa couleur de peau, ou son orientation sexuelle, ou sa religion, pour imposer son point de vue et clore ainsi un débat politique en cours.

Sur le mâle blanc, on peut taper

Ce temps est révolu. Il y a quelques jours, à rebours de tous nos principes répubicains fondamentaux, Mme Vanceunebrock, députée LREM s’adressant au député LR Xavier Breton, lui a lancé : « Peut-être que pour monsieur Breton, la situation ne s’est jamais présentée, puisque monsieur Breton est un homme hétérosexuel, blanc, catholique, qui correspond finalement à tous les critères qui font les fondements de notre société judéo-chrétienne, donc je comprends de sa part qu’il s’agisse de quelque chose qu’il ne puisse pas entendre. » Dans quels livres savants Mme Vanceunebrock est-elle allée chercher que les « critères » d’hétérosexualité, de blancheur de la peau, ou de catholicité affichée fondent « notre société judéo-chrétienne » ? Nous ne le saurons sans doute jamais. La députée s’est contentée de reprendre la doxa en cours – l’homme blanc, hétéro, occidental est la cause de tous les maux – doxa qui fait le “fondement” des discours de certains mouvements LGBT, féministes ou “indigénistes”, et de nos nouveaux philosophes pseudo-humanistes, ex-footballeurs, chanteuses ou actrices. Elle a simplement ajouté une couche de vernis anti-catho pour parachever le portrait du « coupable presque parfait » (Pascal Bruckner).

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Pourtant, nombre de belles âmes et de vigilants politiques ou artistiques ne cessent de nous le rappeler : spécifier la couleur de peau de son contradicteur, cela s’appelle du racisme. Spécifier son genre est stigmatisant. Spécifier son orientation sexuelle, cela s’appelle de la discrimination. Spécifier sa religion est une façon de stigmatiser le croyant en disqualifiant sa religion. Tous ces merveilleux principes ne semblent toutefois devoir s’appliquer que dans certaines circonstances et pour certains individus. On peut aujourd’hui être raciste en toute impunité, il suffit de bien choisir sa cible. Ou plutôt de bien choisir la couleur de sa cible. On peut aujourd’hui, dans l’hémicycle parlementaire, souligner l’orientation sexuelle d’un orateur pour le dénigrer, surtout si cette dernière est supposément le “fondement” d’un “système hétéro-normatif”, patriarcal et oppressif. Quant à l’homme (le mâle), il est devenu l’ennemi à abattre dans certains milieux dits de libération. S’il est inconvenant qu’un député réponde à une députée en stipulant le fait qu’elle est une femme et que, donc, elle ne sait pas de quoi elle parle, l’inverse devient tout à fait possible et, de fait, vient d’avoir lieu.

Le précédent Obono

Mme Vanceunebrock affiche fièrement son homosexualité et le fait de s’être rendue en Belgique pour bénéficier de la loi belge sur la PMA et avoir deux enfants. Que diraient nos ligues de vertu féministes ou LGBT, si un député mal embouché commençait d’interpeller Mme Vanceunebrock en pointant, goguenard, son homosexualité, son athéisme, sa situation socialement favorisée lui permettant d’aller faire en Belgique ce qui était encore illégal en France ? 

Nous n’avons pour le moment entendu aucun porte-parole de LFI ou du mouvement LGBT, aucun représentant d’association anti-raciste ou contre les discriminations en tous genres, dire son désaccord avec le procédé de cette députée consistant à distinguer le genre, l’orientation sexuelle, la couleur ou la religion de l’adversaire pour déconsidérer d’emblée ses arguments dans le cadre d’une discussion parlementaire. Les journaux les plus avertis n’ont pas rapporté l’incident. LREM ne bronche pas. Le président de la République n’a pas téléphoné à M. Breton. Il faudra s’en souvenir. 

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Les mêmes avaient été tellement émus, avaient versé tant de larmes et poussé tant de cris lorsqu’il s’était agi d’une députée salie par le « racisme décomplexé » (Libération), poussée dans « les coulisses nauséabondes de Valeurs actuelles » (Les Inrocks), etc., qu’une manifestation avait été organisée pour défendre « les valeurs de la République » et pour lutter contre le racisme. Si soutien il y a eu en faveur de Xavier Breton, il a été si discret que nous n’en trouvons trace à peu près nulle part. Il semble donc acquis qu’on peut dorénavant s’adresser à un représentant du peuple en commençant, pour le discréditer, par rappeler son sexe, son genre, sa couleur de peau, son orientation sexuelle et sa religion. C’est bon à savoir. Et ça nous promet de belles joutes oratoires.

Un coupable presque parfait: La construction du bouc-émissaire blanc

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Jacques Attali contre la démocratisation de la finance


Comme souvent, Jacques Attali se plaint des conséquences d’un système qu’il a contribué à promouvoir.


Dans une tribune des Échos du 5 février (GameStop: après les fake news, la fake finance), Jacques Attali s’inquiète de l’influence grandissante des particuliers en bourse, après que ces derniers aient décidé de se coaliser contre un hedge fund (Melvin Capital) qui avait vendu le titre GameStop à découvert. Rappelons que la vente à découvert (short selling) est une technique financière consistant à emprunter un titre pour le vendre et le racheter plus bas afin de le rendre à son détenteur après avoir réalisé (dans le meilleur des cas) un bénéfice. Dans le cas contraire, si le titre s’envole, les pertes peuvent être illimitées car le short seller doit le racheter à n’importe quel prix.

Jacques Attali en juin 2019 © Jacques Witt/SIPA Numéro de reportage: 00914197_000048
Jacques Attali en juin 2019 © Jacques Witt/SIPA Numéro de reportage: 00914197_000048

Melvin Capital piégé par des boursicoteurs

C’est la mésaventure arrivée à Melvin Capital qui a dû racheter beaucoup plus haut le titre GameStop suite à l’achat massif d’investisseurs particuliers qui ont échangé leurs avis sur le forum Reddit. On ne peut donc sérieusement parler de « fake news » ni même de « fake finance », qui est plutôt l’apanage des investisseurs professionnels prêts à tout pour faire baisser un titre et précipiter la faillite d’une entreprise, allant même jusqu’à provoquer une crise financière (subprimes en 2008).

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Pour Jacques Attali cependant, le risque vient des investisseurs particuliers: « la finance devient une activité de masse grâce à l’émergence d’applications simples permettant à chacun d’acquérir des titres  ». En effet, l’application de trading Robinhood permet de jouer en bourse à partir de son smartphone, sans frais. Les fondateurs de la plate-forme assurent même être « en mission pour démocratiser la finance ». Mais le conseiller politique y voit un danger: « cette alliance du digital et de la démocratisation ne pouvait que conduire, comme avec les médias, à l’émergence de grandes colères des petits contre les grands. » Peut-on pour autant parler de nouvelle lutte des classes? Il est possible qu’il existe une minorité d’investisseurs souhaitant exprimer leur colère, mais la grande majorité d’entre eux jouent en bourse pour une raison plus prosaïque : gagner de l’argent.

La bourse ubérisée?

Au fond, cette histoire boursière reste anecdotique. Pourtant, l’économiste parle de « ces lieux de rencontre » pouvant « saboter la confiance dans les marchés financiers » alors que le véritable risque ne vient pas de la fronde boursière menée par quelques particuliers contre des fonds spéculatifs, mais réside dans le déséquilibre financier créé et entretenu par les banques centrales qui manipulent les taux d’intérêt. Ainsi, les politiques monétaires de taux zéro pénalisent l’épargne, poussent les particuliers à rechercher davantage de rendement au prix d’un risque plus élevé, engendrent des bulles spéculatives, de l’endettement, et accroissent les inégalités entre les plus riches et les plus pauvres.

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Comme souvent, Jacques Attali se plaint des conséquences d’un système qu’il a contribué à promouvoir. En effet, la flambée spéculative autour de GameStop est le produit de l’uberisation (appliquée à la finance) et de l’action des banques centrales. Si l’éditorialiste voyait dans l’uberisation une « anecdote dans la robotisation », rappelant qu’il ne fallait pas « verser dans une censure anti-technologie», il critique désormais la digitalisation de la finance. Enfin, l’économiste a contribué à la rédaction du traité de Maastricht posant les fondements de l’euro et instituant la Banque Centrale Européenne, alimentant par sa politique monétaire des déséquilibres et des bulles sur les actifs. Le sage devrait ainsi méditer la phrase de Bossuet : « Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes. »

Le royaume du Wakanda fait des émules


Le royaume du Wakanda, quoique appartenant à l’univers fictif de Marvel Comics, a fait des émules dans toute l’Afrique.


Monarchie sortie de l’imagination des auteurs Jack Kirby et Stan Lee, créateurs des Quatre Fantastiques dans les années 1960, son souverain-super-héros est le chef d’un pays à la pointe de la technologie. Portée sur grand écran en 2018 sous le nom de Black Panther, la bande dessinée est devenue le symbole fantasmé d’une Afrique fière et conquérante. Inspirés par le blockbuster, les projets « wakandais » se multiplient aujourd’hui sur tout le continent africain. Le chanteur afro-américain Akon a décidé d’investir plus de 6 milliards de dollars dans la création d’un vaste complexe futuriste au Sénégal. « C’est incroyable ce que le Wakanda a fait pour l’Afrique, déclare-t-il. Avant ce film, l’image était celle d’une jungle, de pays dévastés par la guerre et d’espaces infestés par le sida. Mais le film a donné l’idée de ce que pourrait être l’Afrique dans l’avenir. » Il entend même doter sa cité d’une cryptomonnaie. « Aux États-Unis, poursuit-il, je rencontre beaucoup d’Afro-Américains qui ne comprennent pas vraiment leur culture. J’ai donc voulu construire une ville ou un projet comme celui-ci pour leur donner la motivation de venir voir d’où ils viennent. » L’acteur britannique Idris Elba, connu pour avoir interprété Nelson Mandela dans un biopic du même nom, voudrait créer une ville similaire en Sierra Leone. Du Rwanda, où le gouvernement a fait le pari d’une ville verte dotée des dernières innovations technologiques, au Nigeria qui ambitionne de faire de son Eko Atlantic City la nouvelle Dubaï ouest-africaine, l’exemple de Wakanda est constamment cité. Le Ghana a lancé la construction d’une « Wakanda City » destinée à devenir le lieu de pèlerinage touristique de toute la diaspora africaine. La fiction, décidément, dépasse le réel.

Le recours du gouvernement français aux services de McKinsey en débat

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Il n’est pas trop tard pour rompre


McKinsey est une célèbre société de conseils. Elle fonctionne aussi à la manière d’une société secrète : elle ne communique pas et ne répond jamais aux sollicitations des journalistes. Pour ce que l’on sait, ses prestations se payent à prix d’or.

Le 12 janvier 2021, la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale a auditionné Olivier Véran, ministre des Solidarités et de la Santé, sur la stratégie vaccinale contre la Covid-19. Face à l'opposition qui l'interrogeait sur McKinsey, le ministre a affirmé qu'il est "tout à fait classique et cohérent de s'appuyer sur l'expertise du secteur privé." Image: D.R.
Le 12 janvier 2021, la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale a auditionné Olivier Véran, ministre des Solidarités et de la Santé, sur la stratégie vaccinale contre la Covid-19. Face à l’opposition qui l’interrogeait sur McKinsey, le ministre a affirmé qu’il est « tout à fait classique et cohérent de s’appuyer sur l’expertise du secteur privé. » Image: D.R.

«Emmanuel Macron dans les pas de McKinsey» eut été plus juste…

C’est à elle, moyennant quelques millions (on ne connaitra jamais le chiffre exact), que le président de la République a confié la logistique de la vaccination anti-covid en France. Ce choix fait débat. Le magazine du Monde fait sa « une » sur la société McKinsey. Avec ce titre très euphémique : « McKinsey dans les pas d’Emmanuel Macron ». « Emmanuel Macron dans les pas de McKinsey » eut été plus juste. Car ça fait longtemps qu’ils cheminent amoureusement ensemble.

Le Magazine du Monde, 6 février 2021. Photo: D.R.
Le Magazine du Monde, 6 février 2021. Photo: D.R.

Certes les vaccins contre le covid, dûment vérifiés, n’ont rien à voir avec le médicament qui a empoisonné l’Amérique. Mais à une époque de suspicion généralisée est-il bien raisonnable et moral de confier à McKinsey la logistique de nos vaccinations?

En 2017 le candidat Macron avait fait appel aux compétences de McKinsey pour l’aider à être élu. Les meilleurs experts de la société ont participé à la rédaction de son programme présidentiel. Et d’autres, spécialistes du spectacle et de l’événementiel, l’ont conseillé pour l’organisation de ses meetings. Macron a été élu. Et avec cette victoire les actions de McKinsey ont grimpé en flèche. Et la société a pu considérablement augmenter les tarifs de ses prestations.

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Aux États-Unis, la société verse 475 millions d’euros aux victimes d’opiacés

Détournons un vieux slogan américain. Ce n’est pas « demandez-vous ce que McKinsey peut faire pour vous » mais « demandez-vous ce que vous pouvez faire pour McKinsey ». Et Macron a fait beaucoup pour cette société. Ce qui est bon pour Macron est bon pour McKinsey. Et ce qui est bon pour McKinsey est bon pour Macron…

Mais il y a une ombre à ces lendemains de vaccination qui chantent. Une grosse tâche sur le pedigree de McKinsey. La société vient en effet de verser 475 millions de dollars aux familles des victimes qu’elle a contribué à faire[tooltips content= »En février, la presse révèle que McKinsey accepte de verser 573 millions de dollars pour clore les procédures engagées par 49 Etats américains. L’entreprise n’a ni reconnu ni rejeté les faits qui lui étaient reprochés »](1)[/tooltips]. Il y cela plusieurs années McKinsey avait signé un contrat juteux avec un laboratoire pharmaceutique américain. Il s’agissait de rendre plus performantes les ventes d’un médicament à base d’opiacés. Ce médicament a provoqué des millions d’addictions. Selon la presse d’outre-Atlantique 200 000 Américains en sont morts.

A lire ensuite: Anticor, tu perds ton sang-froid

McKinsey a payé et s’est excusé. 475 millions de dollars pour ne pas être poursuivi en justice ! Certes les vaccins contre le covid, dûment vérifiés, n’ont rien à voir avec le médicament qui a empoisonné l’Amérique. Mais à une époque de suspicion généralisée est-il bien raisonnable et moral de confier à McKinsey la logistique de nos vaccinations ?

Mael de Calan, consultant chez McKinsey, a été sollicité par Olivier Véran pour un benchmark des stratégies vaccinales, selon des informations du Monde et du Canard enchainé. © UGO AMEZ/SIPA Numéro de reportage : 00834723_000022
Mael de Calan, consultant chez McKinsey, a été sollicité par Olivier Véran pour un benchmark des stratégies vaccinales, selon des informations du Monde et du Canard enchainé. © UGO AMEZ/SIPA Numéro de reportage : 00834723_000022

Assa Traoré lance un appel contre la France dans le magazine « Jeune Afrique »

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La justice française aurait pu classer sans suite depuis longtemps l’affaire de son frère Adama, mort d’essoufflement en tentant d’échapper aux gendarmes. La militante accentue sa rhétorique violente pour exciter ses partisans, et leur ressentiment contre la France.


Jeune Afrique se présente comme le premier groupe de presse du continent africain. Il diffuserait à plus de 40 000 exemplaires en France et à l’international, et publie dans 80 pays. Jeune Afrique offre également à ses lecteurs une édition numérique, présentée comme le premier site d’information panafricaine en ligne. Ce titre, édité à Paris, a été créé en 1960 à Tunis. Il est depuis longtemps reconnu comme une référence en matière d’information pour l’Afrique. Ainsi, une diffusion sur Jeune Afrique c’est la certitude de toucher un large public, dans toute l’Afrique, y compris le Maghreb, sans compter les reprises partout dans le monde. 

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Assa Traoré, une figure incontournable?

Madame Traoré, figure désormais incontournable de « l’antiracisme » et de la lutte contre « les violences policières », dirige un comité, créé au départ pour demander la vérité sur les circonstances du décès de son frère Adama lors d’une interpellation par les gendarmes en 2016. Mais très vite elle a poussé de plus en plus loin la critique et appelé à l’action contre un racisme et des « violences policières » qualifiés de « systémiques », composant une figure de passionaria qui fascine jusqu’aux bien-pensants américains, le Time lui ayant récemment offert la consécration, la propulsant au rang de référence morale et mondiale de la lutte pour le Bien et la défense des opprimés.

Donc ce qui devait arriver arriva. Une interview dans Jeune Afrique va la faire basculer. À force de se prendre pour Angela Davis (dont elle adopte d’ailleurs soigneusement le look), d’être encensée, adulée, citée en exemple, Madame Traoré a perdu le sens des réalités et se prend pour la protectrice de tous les opprimés de France. Du haut de son empyrée elle délivre un message au monde entier, que dis-je un message, un appel, et même un appel au secours:

 « Aujourd’hui nous vivons les conséquences de l’esclavagisme et du colonialisme… il faut que le monde entier le sache… toute la population issue de l’immigration n’est même pas considérée comme pouvant participer à la construction de cette France… ils ne peuvent même pas participer à la construction de leur propre vie puisqu’ils ont un droit de mort… ils ont un droit de vie sur nos vies »

A lire aussi: Le décolonialisme: appel à l’inversion du processus de civilisation

« Oui nous sommes en danger… les personnes issues de l’immigration sont en danger… les personnes meurent sous les coups de cette police… j’ai peur pour mes enfants… ils ont eu un droit de mort sur la vie d’Adama Traore… ils ont décidé que mon frère allait mourir ce jour-là. »

La haine de la France

Rappelons ici qu’Adama Traoré serait mort d’essoufflement, selon les déclarations des gendarmes qui tentaient de l’interpeller.

Pénalement, nous pourrions bien être ici en face d’une véritable incitation à la haine. Comment ne pas haïr un pays qui a droit de vie et de mort sur une partie de sa population?

A lire aussi: La vérité sur l’affaire Adama Traoré

Nous sommes aussi devant une dénonciation calomnieuse, pas simplement de la police, mais du pays tout entier. Une telle déclaration sur un médium d’influence internationale constitue une agression délibérée. Madame Traoré ne désigne pas de responsable, mais il y a selon elle un danger mortel immanent qui plane sur les immigrés en France. C’est à proprement parler une diffamation, c’est-à-dire une tentative de détruire la réputation, l’image, voire l’honneur d’un pays. Toute cette déclaration transpire la haine et le mépris pour notre nation. Il ne faut pas laisser semer ainsi aux quatre vents, par une calomnie délibérée, les germes d’une haine anti-française déjà bien trop répandue. Le pays, ses intellectuels et ses institutions seraient inspirés d’enfin réagir.

Après le coup d’État en Birmanie, quelle politique pour les Européens?

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L’analyse de Laurent Amelot, chercheur associé Asie à l’Institut Thomas More


Ce 1er février, alors que la première session parlementaire suivant les élections de novembre 2020 devait s’ouvrir, la Birmanie s’est de nouveau enfermée « derrière un rideau de bambous ». Au petit matin, des unités de la Tatmadaw, l’armée birmane, ont arrêté la Conseillère d’État (équivalent de notre Premier ministre) Aung San Suu Kyi, le président Win Myint et les principaux cadre-dirigeants de la Ligue nationale pour la démocratie (LND), le parti civil au pouvoir depuis 2015, fondé par Aung San Suu Kyi en 1988.

Aung San Suu Kyi, 2013. Image : D.R.

Par voie d’annonce radiophonique et télévisée, les militaires ont décrété l’état d’urgence pour une durée d’un an, en s’appuyant sur les articles 417 et 418 de la Constitution. Une présidence par intérim est confiée au vice-président Myint Swe, ancien général et haut responsable des services de renseignement, qui rapidement délègue ses responsabilités au général Min Aung Hlaing, chef des armées. Ce dernier dispose désormais des pleins pouvoirs (exécutif, législatif et judiciaire). Une nouvelle junte est constituée, le Conseil administratif de l’Etat (CAE), dont le nom reflète des préoccupations politiques immédiates, sans grand lien avec l’avenir économique et démocratique du pays, à l’inverse du Conseil d’Etat pour la Paix et le Développement (CEPD), créé en 1997. L’objectif : empêcher la désintégration du pays par la résolution des litiges électoraux et la lutte contre la pandémie de la Covid-19, tout en ramenant les groupes ethniques rebelles à de meilleures dispositions à l’égard de l’État birman…

L’armée jamais éloignée du pouvoir

Ce slogan n’est pas sans rappeler ceux de 1962, lors du coup d’État du général Ne Win, et de 1988, lors de la révolution de palais au sein de la junte, suivie de la création du Conseil d’État pour la restauration de l’ordre et de la loi – CEROL – dans le prolongement de la répression de l’été de Rangoun, qui provoqua plus de 3 000 morts. Ainsi, le poids de la Tatmadaw dans la vie politique birmane reste considérable et la mission qu’elle s’auto-attribue intacte : préserver l’intégrité territoriale et l’indépendance nationale face aux menaces internes et externes, face à des gouvernements civils incapables d’assumer ce rôle.

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Ce coup de la Tatmadaw, qui a pris position aux points stratégiques de Rangoun, fermé Naypiydaw, capitale du pays depuis 2005, suspendu les communications intérieures et extérieures et les déplacements intra et inter-régions, fait aussi écho aux décisions prises par le CEROL en 1990, lorsqu’il annula les résultats des élections remportées par la LND d’Aung San Suu Kyi. Il faudra dix-huit ans pour qu’une nouvelle constitution soit adoptée (2008), vingt-et-un ans pour qu’un gouvernement de transition (très kaki) soit nommé et vingt-cinq ans pour que la LND gagne de nouveau les élections, accède au pouvoir, amorce une transition démocratique, qui n’a duré que six ans.

Une situation complexe

La présente manœuvre est le résultat d’une lutte de pouvoir entre deux personnalités, d’un bras de fer au cours duquel la démocrate a refusé de céder aux exigences de l’apprenti dictateur : Aung San Suu Kyi, icône de la résistance pacifique contre la tyrannie militaire pour l’Occident avant d’être ostracisée par celui-ci, une fois au pouvoir, pour compromission avec sa pire ennemie lors de la répression contre les Rohingyas (2016-2017), est adulée par son peuple ; Min Aung Hlaing, dont le profil n’est pas sans rappeler celui du général Than Swe, chef de la junte de 1992 à 2011, amené à quitter l’uniforme en 2021 et s’imaginant un grand destin politique national, est humilié par le résultat des élections de novembre 2020 (après ceux de 2015), qui reflète la haine viscérale de la population à l’encontre de la haute hiérarchie militaire. Cette lutte d’égo a conduit le commandant en chef de l’armée birmane à décapiter le gouvernement démocratique et civil de son pays afin de s’ouvrir la voie du pouvoir et de préserver le poids de la Tatmadaw dans la vie politique nationale face aux risques d’érosion liés aux victoires toujours plus larges de la LND lors des élections et aux pressions d’Aung San Suu Kyi et de son gouvernement en vue d’une réforme constitutionnelle aux contours nécessairement défavorables aux militaires.

Min Aung Hlaing. Photo: D.R.

Cette perspective, cependant, est vouée à l’échec. Le peuple birman a retenu la leçon de l’été de Rangoon (1988) et de la révolte de safran (2007). En dépit des appels à la désobéissance civile et des manifestations qui se font jour à Rangoon et à Mandalay, notamment, la population ne devrait pas descendre massivement dans la rue. Elle attendra patiemment les prochaines élections pour redonner la victoire à la LND, car elle a Aung San Suu Kyi dans son cœur. En effet, Aung San Suu Kyi est plus qu’une personnalité : c’est un symbole auquel le peuple birman adhère, même sans programme électoral. Le problème de la démocratie birmane, de la LND, se situe peut-être ici : une difficulté à se doter d’une génération renouvelée de cadres capables de porter la Birmanie de demain, avec Aung San Suu Kyi comme mentor ; cette dernière, en dépit, de son aura, adoptant une posture de plus en plus autoritaire autant vis-à-vis des militaires que de ses alliés et des représentants des minorités ethniques.

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L’Union européenne et ses États membres doivent s’inscrire dans cette logique de soutien au renouvellement de la classe politique civile et démocratique, car le peuple est l’avenir de la Birmanie. Ils ne peuvent pas se contenter de sanctions économiques et politiques à l’encontre de la Birmanie, en tant que pays. Celles-ci ne produiront, comme les précédentes, que des résultats limités et pousseront, une nouvelle fois, les généraux dans les bras de Pékin.

Soutenir une véritable transition démocratique

Espérer obtenir le soutien de la Chine populaire, en plein guerre commerciale avec les États-Unis, pour rétablir le processus de transition démocratique en Birmanie, serait une illusion. Celle-ci, comme la Russie, s’est d’ailleurs opposée, le 3 février 2021, au projet de déclaration commune du Conseil de sécurité des Nations unies condamnant le coup d’Etat. Au contraire, il est impératif que les sanctions qui se dessinent ne touchent que le moins possible la population birmane. Elles devront être ciblées, mais dures, à l’encontre des hauts dignitaires militaires responsables de ce coup et de leurs affidés militaires et civils, voire des pays qui les soutiennent, afin de limiter au maximum leur capacité d’action. Le dialogue, toutefois, ne doit être totalement rompu, ni avec l’armée, ni avec la désormais opposition démocratique.

Avec la première, il doit être orienté afin de permettre l’émergence d’une nouvelle génération de gradés, plus libéraux et modérés, apte à monter en puissance au sein de l’institution et de l’appareil politique. Cette nouvelle caste devra être capable d’accompagner la transition démocratique, de s’imprégner de ces règles et de dialoguer sans arrière-pensées avec les civils. Avec les seconds, il s’agit de dessiner les contours d’un futur cadre politique démocratique dans le respect des traditions locales et de promouvoir une nouvelle génération de dirigeants politiques, capables de dialoguer sereinement avec des militaires éclairés prêts à rendre le pouvoir. Alors la Birmanie pourra entrevoir son avenir plus sereinement.

États-Unis: deux constitutions parallèles pour une Amérique déchirée

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Irréconciliables, les 50 États-Unis d’Amérique ont désormais deux constitutions: celle des Pères fondateurs et celle des progressistes « wokes. » Pour comprendre ce qui se passe, il faut partir de l’analyse de l’intellectuel Christopher Caldwell, sur l’évolution des États-Unis des droits civiques à nos jours.


Le grand intellectuel américain, Christopher Caldwell, qui a vécu en Europe où il a étudié notamment les effets de l’immigration musulmane sur la culture européenne[tooltips content= »Une Révolution sous nos yeux. Comment l’islam va transformer la France et l’Europe. Préface de Michèle Tribalat (Éditions du Toucan, 2011). »](1)[/tooltips], est revenu à ses études américaines pour se pencher sur l’origine de la polarisation de son pays.[tooltips content= »Simon & Schuster, janvier 2020 (en anglais). »](2)[/tooltips]

Christopher Caldwell Photo: Hannah Assouline
Christopher Caldwell Photo: Hannah Assouline

Il affirme que les réformes des années 1960, qui visaient à rendre la nation américaine plus juste et plus humaine, ont au contraire laissé de nombreux Américains aliénés, méprisés, trompés – ceux qui étaient prêts en 2016 et 2020 à placer un aventurier, Donald Trump, à la Maison Blanche. Une des rares intellectuelles françaises à avoir lu Caldwell, Michèle Tribalat, habituée des lecteurs de Causeur, écrit: « Le Civil Rights Act de 1964 et ses suites, notamment le Voting Right Act de 1965 et le Fair Housing Act de 1968, n’ont pas seulement apporté de nouveaux droits aux Noirs. Ils ont été à l’origine d’une énorme bureaucratie pour les mettre en application. L’histoire américaine a été entièrement réinterprétée à la lumière de la question raciale et le gouvernement américain s’est investi comme jamais pour façonner la société autour de l’idéologie, quasi-religieuse, de l’antiracisme. » Les élites blanches du nord-est progressiste qui ont encouragé et voté les droits civiques voulaient en finir avec la ségrégation définitivement.

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« Ils ne pouvaient pas soupçonner que ces droits auraient pour conséquence de réexaminer la société américaine dans sa totalité. Les droits civiques sont devenus des droits humains et les droits humains des revendications pour mettre sens dessus dessous l’ensemble des valeurs fondatrices de l’Amérique y compris les rapports sexuels. Tout blanc malchanceux peut désormais voir son avenir professionnel ruiné par un propos jugé inadéquat sur la race, le genre et la sexualité. C’est ce qu’on a appelé le politiquement correct, dont on connaît les effets ravageurs sur les campus américains », poursuit Tribalat.

Et vint Black Lives Matter

S’ensuivra l’idée saugrenue de détaxer les géants numériques, Google, Amazon, Apple, Twitter, etc. Ils deviennent des monstres indéboulonnables. « Dès 1998, Amazon commence à détruire les librairies américaines. Google concentre 90% du trafic dès 2009. Seuls les retraités peuvent se passer d’internet, les jeunes en ont un besoin impérial » (Michèle Tribalat). L’élite technologique, nouvelle minorité, est « woke. » Les généreux mécènes sont financés par le contribuable à coups d’abattements fiscaux. Peu importe que les milliardaires de la Silicon Valley soient les plus riches du monde pourvu qu’ils placent un panneau « Black Lives Matter » sur leur pelouse. « Depuis la fondation du mouvement Black Lives Matter (BLM) à l’été 2013, la division créée par l’émergence d’un ordre constitutionnel antagoniste a rendu le mode de vie américain désagréable, brutal et dangereux », explique l’éditorialiste canadien conservateur, William Brooks, dans The Epoch Times. Les woke voient dans Joe Biden le patron d’un « syndicat » américain post-moderne qui impose ses vues progressistes sur le monde de l’entreprise. Déjà, de nombreuses multinationales, dont Disney, refusent de financer les campagnes électorales futures des « renégats », notamment des sénateurs républicains, Ted Cruz et Josh Hawley, qui ont osé remettre en question la légitimité du « lider maximo » Biden en réfutant, sur bases d’allégations de fraude « imaginaires », le collège électoral des grands électeurs. Des anciens étudiants exigent que Rudy Giuliani, l’avocat de Trump, soit radié. Le professeur Alan Dershowitz n’est plus le bienvenu à Harvard, son université d’origine. Toute référence à Trump sur votre CV vous condamne à une longue traversée du désert. Les purges ont commencé.

« La notion orwellienne selon laquelle le recours à une « diversité » à fleur de peau est le meilleur moyen de parvenir à l’« unité » nationale est devenue la pièce maîtresse d’un mouvement radical agressif qui a fini par s’emparer du Parti démocrate et a conduit à l’élaboration d’une constitution américaine alternative souvent incompatible avec l’originale », conclut Brooks.

Point de non-retour?

De ces deux interprétations de la Constitution américaine émergent deux Amériques inconciliables. L’une toujours guidée par la constitution d’origine de 1788. L’autre est une interprétation « progressiste » du texte original et qui est défendue par la quasi-unanimité des politiciens de l’establishment, les médias mainstream, les intellectuels progressistes et une grande partie de l’appareil judiciaire, jusque et y compris la Cour suprême dont la majorité conservatrice n’est que de façade.

A lire aussi: Où va le populisme?

William Brooks : « Les partisans de la constitution « vivante » d’après les années 60 estiment que les partisans de la constitution écrite de 1788 sont des fanatiques raciaux et une menace pour la démocratie. » Dans un récent éditorial pour First Things Magazine, R. R. Reno explique que « l’étonnante capitulation post-inaugurale de l’administration Biden-Harris devant la gauche radicale laisse présager la fin du rôle du Parti démocrate en tant que ‘guérisseur naturel’ de la nation. Étant donné le retournement délibérément humiliant de l’héritage de l’administration Trump au premier jour de la présidence Biden, il est clair que les concessions de l’establishment à l’extrême gauche se transforment en capitulation complète. » La démonstration de force du Parti démocrate lors de l’inauguration de Biden le 20 janvier avec le déploiement de 25 000 Gardes nationaux pour quelques dizaines de participants sur une pelouse quasi vide ne prête pas à l’optimisme sur les intentions de la gauche américaine d’évoluer vers un parti unique avec les RINO (« Republicans in name only »). La régularisation de 11 à 15 millions d’immigrés illégaux hispaniques et la suppression du système des grands électeurs demandée par Hillary Clinton pourraient maintenir les Démocrates, majoritaires en voix, au pouvoir pour longtemps.

Washington, le 6 janvier 2020 © Julio Cortez/AP/SIPA Numéro de reportage: AP22527680_000006
Washington, le 6 janvier 2020 © Julio Cortez/AP/SIPA Numéro de reportage: AP22527680_000006

En parallèle à leur ouverture migratoire, les Démocrates sont désireux de traquer d’hypothétiques « terroristes nationaux », les ploucs trumpistes violents et stupides qui doivent être maintenus sous surveillance par tous les moyens. Alors que jusqu’ici, le centre-droit (Parti républicain) et le centre-gauche (le Parti démocrate) se partageaient les plates-bandes au sein du « Marécage » de Washington, les partisans de la « constitution alternative » considèrent aujourd’hui que l’électorat républicain populaire est constitué de « déplorables » (selon la formule d’Hillary Clinton pendant la campagne présidentielle de 2016). Pour William Brooks : « Le point de non-retour de l’Amérique dépendra de sa capacité à retrouver la même foi, la même prudence, la même perspicacité et le même courage que ceux qui ont été invoqués en 1776 pour produire la plus grande expérience de démocratie constitutionnelle de l’histoire de l’humanité. »

[1] Une Révolution sous nos yeux. Comment l’islam va transformer la France et l’Europe. Préface de Michèle Tribalat (Éditions du Toucan, 2011).

[2] Simon & Schuster, janvier 2020 (en anglais).

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Victime sans bourreau


Il manquait une rubrique scientifique dans Causeur. Peggy Sastre vient combler cette lacune. À vous les labos!


En matière d’interactions passablement désagréables avec nos congénères, nous sommes tous logés à la même enseigne. Nous connaissons tous des gens qui arrivent en retard aux rendez-vous, qui coupent la parole, qui dénigrent le travail des autres. En revanche, tout le monde ne réagit pas de la même manière à ces incidents. Certains passent facilement l’éponge et n’y voient que des tracas sans importance ni conséquence. Et d’autres, au contraire, estiment avoir été profondément lésés par autrui et ses intentions forcément malveillantes. Pour le dire en (presque) deux mots : face à un même événement, tout le monde n’a pas la même propension à se croire et à se dire victime.

La chose pourrait sembler surprenante vu que nous baignons dans une « culture victimaire » qui ne date pas d’hier, mais son expression individuelle n’avait pas encore été étudiée de manière systématique. La lacune est désormais comblée grâce à une équipe de chercheurs israéliens en psychologie, sociologie et anthropologie, dont l’étude conceptualise pour la première fois la « tendance à la victimisation interpersonnelle », définie comme « un sentiment permanent d’être toujours la victime, étendu à de nombreux types de relations ». En d’autres termes, avoir un peu de mal à voir la vie en rose après un viol en réunion avec actes de barbarie ne suffit pas à faire de vous une « personnalité TVI », il faut que cette tendance à vous croire perpétuellement la cible et le jouet de la malveillance de tiers soit un tantinet stable au cours de votre existence et en toutes circonstances. Le tout avec des conséquences affectives, cognitives et comportementales précises, elles aussi listées par l’équipe de Rahav Gabay, psychologue à l’université de Tel-Aviv. S’appuyant à la fois sur une revue de la littérature scientifique et sur huit expériences menées pour l’occasion auprès de plusieurs centaines de personnes, les scientifiques établissent que la TVI se caractérise par quatre dimensions – la rumination, le besoin de reconnaissance, l’élitisme moral et le manque d’empathie. Ils étudient la façon dont ces quatre ingrédients façonnent une vision du monde radicalement pernicieuse. Et totalement indépendante d’une véritable expérience traumatique. Vous pouvez traduire une personnalité TVI sans n’avoir jamais rien vécu de terrible, comme vous pouvez avoir traversé tous les étages de l’enfer sans jamais en développer une.

Peggy Sastre, 2018. © Jean-Philippe Baltel
Peggy Sastre, 2018. © Jean-Philippe Baltel

Premièrement, une personne TVI a besoin que son statut de victime – qu’importe qu’il soit réel ou non – soit reconnu et qu’on la plaigne. Elle a besoin que l’auteur de son préjudice – ou celui qu’elle estime tel – admette sa responsabilité et exprime sa culpabilité. Elle a besoin de soutien et de compassion. Par exemple, si vous jugez « très important » qu’on admette vous avoir fait subir une injustice lorsqu’on vous a causé du tort, si cela vous énerve prodigieusement de ne pas être cru lorsque vous dites avoir souffert, ou encore s’il vous faut absolument qu’on vous présente des excuses pour pouvoir espérer passer à autre chose, alors vous voilà avec un score élevé de besoin de reconnaissance. Et lancé à toute allure sur le chemin de la TVI.

Autre caractéristique : la rumination. Une personnalité TVI ne lâche jamais l’affaire. Elle n’arrête pas de penser aux « injustices » qu’elle a subies. Pendant des jours, cela l’obsède. Les émotions négatives l’envahissent et ne cessent de lui revenir dès qu’elle repense à ceux qu’elle tient pour responsables de ses malheurs. Ce faisant, elle se focalise davantage sur les symptômes de sa détresse et sur ses causes et manifestations que sur des solutions et des moyens d’en sortir. Là encore, Gabay et ses collègues font le lien entre dimensions individuelle et collective, en notant que leurs compatriotes et participants à leurs expériences – des juifs d’Israël – n’ont pas leur pareil pour ruminer des événements traumatiques. « Par exemple, écrivent les chercheurs, beaucoup d’Israéliens juifs affirment être très préoccupés par l’Holocauste et craindre sa répétition, même si la grande majorité n’en a pas été directement victime. » Ils font d’ailleurs remarquer que la Shoah n’a pas toujours été aussi importante qu’elle l’est aujourd’hui dans le « récit national » israélien et qu’entre l’indépendance du pays et le procès Eichmann, en 1961, elle était même parfois considérée comme « contradictoire » à l’identité israélienne, à l’époque construite autour des notions de liberté, d’action et d’audace. En 1949, par exemple, même si un tiers environ des Israéliens étaient des immigrés européens survivants des camps de la mort, ils étaient explicitement incités à ne pas trop en parler par leurs compatriotes installés dans la région bien avant la Seconde Guerre mondiale. On attendait d’eux qu’ils prennent la vie à bras le corps, s’intègrent et adoptent l’identité israélienne. En ces débuts d’Israël, l’Holocauste était ainsi souvent perçu comme une calamité tombée sur les juifs passifs et lâches de la diaspora, partis comme des moutons à l’abattoir. Une réalité qu’ignorent aussi largement les Israéliens contemporains que les antisionistes persuadés que c’est grâce à la « pleurniche » et à l’exploitation des crimes du nazisme qu’Israël a été fondé.

Ensuite, une personnalité TVI cultive l’« élitisme moral ». Lors d’une interaction négative, elle est toujours la blanche colombe et ceux qui lui causent du tort sont tous forcément d’affreux pervers. Il n’y a jamais de malentendus ou de coïncidences, seulement des complots pour lui nuire. Dans ses interactions avec autrui, elle est persuadée d’être moralement supérieure – on profite de sa gentillesse, on ne reconnaît pas ses efforts à leur juste valeur, on n’exprime pas suffisamment sa gratitude, elle est trop généreuse, toujours perdante dans les échanges, une bonne poire, etc. Le problème, c’est que cet élitisme moral peut vite devenir un outil de manipulation : on accuse les autres de diverses turpitudes pour mieux leur imposer n’importe quoi. Sur un plan collectif, l’élitisme moral peut aussi permettre de présenter son clan sous un jour entièrement favorable, tout en braquant tous les projecteurs sur la dépravation supposée d’un clan adverse.

Ultime ingrédient de la TVI : le manque d’empathie. Tout en exigeant de tout le monde une compassion absolue pour ses moindres bobos, on ne daigne se mettre dans la peau de personne. Un « tout m’est dû » qui se transforme en « j’ai tous les droits », y compris et surtout de me comporter comme le dernier des psychopathes. Il en va là de la composante la plus toxique de ce « nouveau » type de personnalité, en réalité au moins aussi vieille que le tyran décrite par Platon dans La République : un « infortuné, incapable de se conduire lui-même » tout en ne pouvant s’empêcher de vouloir régenter la vie des autres.

Référence : tinyurl.com/Calimeropolis

Andreï Makine: l’amitié au temps du goulag

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Dans son roman autobiographique, L’Ami arménien, Andreï Makine donne un chef-d’œuvre où l’apprentissage se fait dans la Sibérie des années soixante-dix


Ecrivain sibérien de langue française, Andreï Makine (1957), l’auteur du merveilleux Testament français, m’avait aussi ébloui avec L’Archipel d’une autre vie, où il faisait la synthèse de thèmes et de rêveries qui affleuraient dans divers romans, comme ce leitmotiv de l’exil intérieur au cœur du Léviathan.

Authentique rebelle

Je l’ai déjà dit, il y a chez Makine un côté anarque au sens que Jünger donnait à ce terme : l’homme qui, face au système qui le broie, demeure libre et souverain, monarque de soi-même – authentique rebelle. Son style adamantin, tout en sobriété, sans une once de fausse monnaie, fait de lui l’un des oiseaux rares des lettres françaises.

Autobiographique, son dernier roman, L’Ami arménien, bouleverse par sa profonde humanité et par son caractère net de toute sensiblerie. Puissante, la nostalgie s’y exprime avec une pudique retenue.

Histoire d’une amitié

L’Ami arménien narre l’amitié de deux adolescents dans la Sibérie centrale du début des années 70, quand l’URSS panse avec peine les plaies des terreurs staliniennes et des massacres hitlériens. La violence a endurci les peuples de l’empire ; la police règne encore en maître, pourchassant irréguliers et dissidents.

A lire aussi: Andreï Makine, les identitaires et la décadence de l’Occident

Makine est le plus costaud des deux, aguerri par ses séjours dans divers orphelinats où il a été élevé à la schlague. Dans un monde où la pitié peut se révéler fatale, il a gardé sa noblesse d’âme et c’est tout naturellement qu’il prend, à coups de ceinturon, la défense de Vardan, un jeune Arménien souffreteux en butte à la cruauté de ses condisciples. Naît alors entre l’orphelin et l’exilé l’une de ces amitiés qui marque une vie.

Antichambre du goulag

En effet, une minuscule communauté arménienne s’est établie dans cette ville perdue, antichambre du goulag. Makine décrit à merveille ce petit monde d’anciens déportés, les zeks, de relégués (inoubliable figure d’un professeur de mathématiques, mélancolique manchot et ex-héros de la Grande Guerre patriotique).

Vardan, qui, à quinze ans, possède déjà la sagesse innée d’un Grec ancien (il est d’ailleurs peut-être plus grec qu’arménien), invite son « garde du corps » dans sa famille. Et Makine d’évoquer par touches la douceur pour lui inconnue d’une mère avec son parfum de jacinthe, le café servi dans un mystérieux vase d’argent aux allures de graal, la troublante jeune sœur de son unique ami, le vieux Serven, un autre rescapé des combats.

A lire aussi, du même auteur: Un siècle de fer

Ces Arméniens ont quitté le lointain Caucase pour venir soutenir des membres de leur famille, arrêtés pour leurs positions indépendantistes et qui attendent leur procès. L’ombre du génocide de 1915 plane, avec ces clichés sépia de phratries exterminées, de même que celle des récentes razzias azerbaïdjanaises au Karabagh.

L’apprentissage du tragique

Les jeunes gens font ensemble l’apprentissage de l’amitié comme du tragique, entre autres par le biais de fouilles clandestines au pied d’un ancien monastère défiguré en prison.

Mené avec maestria, le roman se termine sur un ton antimoderne, un peu comme dans les dernières images du film de Jean Becker, Les Enfants du Marais, auquel ce livre me fait songer au moment d’achever la présente chronique.

Andreï Makine, L’Ami arménien, Grasset.

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Le croquant indiscret chez les Helvètes

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Reparution de Rêver à la Suisse, recueil de voyage d’Henri Calet datant de 1946


Quelle est donc cette peuplade cachée derrière les Alpes aux mœurs policées et sages ? Henri Calet (1904-1956), Tintin reporter-amer part à sa découverte entre le 15 juillet et le 11 août 1946 avec son épouse Marthe Klein. Quatre semaines dans le canton de Vaud durant lesquelles le plus célèbre batteur de pavé parisien croque la vie quotidienne d’un pays qui semble prospère, n’ayant pas connu les affres de la guerre.

Un parfum de vérité et de sincérité

Ces chroniques précises et désabusées, innocentes en surface et féroces à l’intérieur, relatant d’anodins événements seront reprises par Servir, un journal de Lausanne puis dans Combat et La Rue aboutissant à un ensemble qui s’appellera « Rêver à la Suisse » en 1948 aux éditions de Flore. Selon le Larousse du XXème siècle, l’expression « rêver à la Suisse » signifie « ne penser à rien ». Héros-limite, maison genevoise de qualité, toujours à la recherche de textes rares republie ce drôle de recueil précédé d’un avertissement écrit par Jean Paulhan et du courrier des lecteurs qui suivit la parution des articles. Car la prose « explosive » de Calet fut très diversement appréciée en Suisse, il eut bien quelques défenseurs vantant son écriture journalistique à la fois tendre et implacable, beaucoup d’autres la trouvèrent au contraire « pornographique », « bébête », voire carrément indigne et irrespectueuse pour les habitants de ce charmant pays.

A lire aussi, du même auteur: BD: Claire Bretécher est partie il y a un an déjà…

Le crime de Calet fut notamment d’assister à la fête Nationale du 1er août titrant son article : « La mort au grand air ». Au cours du discours officiel et de l’hymne survint la mort dramatique d’un musicien terrassé par une attaque, gâchant la soirée sans perturber pleinement la cérémonie. L’œil de Calet n’avait rien vu d’autre que la banalité de la mort qui surgit dans le quotidien toujours au moment inopportun, le déréglant à peine et cependant, donnant à ce triste fait-divers un ressenti étrange chez celui qui observe. Calet écrit à hauteur d’hommes, il se garde bien d’utiliser de grands mots ou de grands gestes pour décrire le réel. Il relate les faits sans les plomber ou les glorifier ce qui donne à son œuvre, un parfum de vérité et de sincérité.

Calet touche au cœur

C’est pourquoi on le relit toujours et encore, plus d’un demi-siècle après sa disparition. Humble devant la page blanche, il réussit à se retrancher derrière les événements, leur laissant toute la lumière en apparence, car il impose bien sa patte, son style, mais dans les interstices, les blancs des conversations. Calet ne travaille pas au burin, il distille le malheur à faible intensité et le lecteur chavire par son pointillisme désarmant. Quand d’autres chroniqueurs fanfaronnent, font sans cesse les intéressants, Calet n’use pas des vieilles ficelles de l’esbroufe et du mot qui glace. Il se contente de narrer, à la fainéante, presque d’une façon lointaine. Sa naïveté face au réel pourrait passer pour de l’innocence, c’est la marque d’une intelligence supérieure.

A lire aussi, Jérôme Leroy: Mirbeau et Chesterton, ou les grands intempestifs

Calet, par son économie de sentiments et son souci du détail, touche au cœur. Son ironie n’est pas tapageuse, il l’égrène, au fil de la plume, elle est d’autant plus radicale. En Suisse, son obsession de l’objet nouveau, les allumettes par exemple ou sa curiosité devant « les innombrables distributeurs automatiques » de timbres-poste, de cachous, d’eau de Cologne et de cigarettes ou sa fascination pour les urinoirs font de la Confédération, un paradis de la consommation. Il faut se remémorer le contexte historique de l’époque pour expliquer l’émoi d’un français devant une telle débauche de gadgets. Elle n’était pas feinte. La Suisse, c’est l’Amérique à côté de chez soi, de l’autre côté des alpages, sans l’épuisante traversée de l’Atlantique. Les privations en France n’ont pas cessé à la Libération.

Comme un enfant hypnotisé par un Meccano

Alors, la Suisse apparaît comme un eldorado où les commerçants sont polis et l’acte d’achat n’est pas contraint. « Je me sentais assez attiré par ce petit pays, toujours neutre et toujours prospère, par les montagnes et les lacs qui s’y trouvent, un peu aussi par les tissus de pure laine que l’on voyait, disait-on, aux étalages, et par le chocolat Gala Peter dont je gardais comme une nostalgie. Un pays sans marché noir où les objets se vendaient en centimes » écrit-il, tel l’enfant hypnotisé par une boîte neuve de Meccano. « Ah ! les consommations ! Elles sont de première qualité. Des glaces, de la bière brune ou blonde, du café-crème, des « cappuccinos » … J’aurais aimé les goûter toutes, mais le viatique de cent francs suisses que l’on nous avait donné à Paris était près de s’épuiser (il allait même falloir songer au retour) » avoue-t-il, déjà triste de quitter cette terre promise.

Rêver à la suisse de Henri Calet – éditions Héros-Limite

Quand Mme Vanceunebrock (LREM) “libère sa parole”

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Dans l’hémicycle de notre Assemblée nationale, est-il maintenant permis d’être raciste et sexiste (et plus encore)?


Verrons-nous un jour un de nos députés apostropher une députée en commençant sa diatribe par les mots suivants : « Peut-être que pour Mme X, la situation ne s’est jamais présentée, puisque Mme X est une femme lesbienne (ou hétérosexuelle, ou transgenre), noire (ou blanche, ou “racisée”), athée (ou juive, ou musulmane)… » ? Il y a encore une semaine, nous aurions répondu que cela est inconcevable : dans le pays de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, aurions-nous dit, il n’est pas permis de désigner quelqu’un par sa couleur de peau, ou son orientation sexuelle, ou sa religion, pour imposer son point de vue et clore ainsi un débat politique en cours.

Sur le mâle blanc, on peut taper

Ce temps est révolu. Il y a quelques jours, à rebours de tous nos principes répubicains fondamentaux, Mme Vanceunebrock, députée LREM s’adressant au député LR Xavier Breton, lui a lancé : « Peut-être que pour monsieur Breton, la situation ne s’est jamais présentée, puisque monsieur Breton est un homme hétérosexuel, blanc, catholique, qui correspond finalement à tous les critères qui font les fondements de notre société judéo-chrétienne, donc je comprends de sa part qu’il s’agisse de quelque chose qu’il ne puisse pas entendre. » Dans quels livres savants Mme Vanceunebrock est-elle allée chercher que les « critères » d’hétérosexualité, de blancheur de la peau, ou de catholicité affichée fondent « notre société judéo-chrétienne » ? Nous ne le saurons sans doute jamais. La députée s’est contentée de reprendre la doxa en cours – l’homme blanc, hétéro, occidental est la cause de tous les maux – doxa qui fait le “fondement” des discours de certains mouvements LGBT, féministes ou “indigénistes”, et de nos nouveaux philosophes pseudo-humanistes, ex-footballeurs, chanteuses ou actrices. Elle a simplement ajouté une couche de vernis anti-catho pour parachever le portrait du « coupable presque parfait » (Pascal Bruckner).

A lire aussi, Jean-Paul Brighelli: Camélia Jordana, ou le paradoxe de l’a-comédienne

Pourtant, nombre de belles âmes et de vigilants politiques ou artistiques ne cessent de nous le rappeler : spécifier la couleur de peau de son contradicteur, cela s’appelle du racisme. Spécifier son genre est stigmatisant. Spécifier son orientation sexuelle, cela s’appelle de la discrimination. Spécifier sa religion est une façon de stigmatiser le croyant en disqualifiant sa religion. Tous ces merveilleux principes ne semblent toutefois devoir s’appliquer que dans certaines circonstances et pour certains individus. On peut aujourd’hui être raciste en toute impunité, il suffit de bien choisir sa cible. Ou plutôt de bien choisir la couleur de sa cible. On peut aujourd’hui, dans l’hémicycle parlementaire, souligner l’orientation sexuelle d’un orateur pour le dénigrer, surtout si cette dernière est supposément le “fondement” d’un “système hétéro-normatif”, patriarcal et oppressif. Quant à l’homme (le mâle), il est devenu l’ennemi à abattre dans certains milieux dits de libération. S’il est inconvenant qu’un député réponde à une députée en stipulant le fait qu’elle est une femme et que, donc, elle ne sait pas de quoi elle parle, l’inverse devient tout à fait possible et, de fait, vient d’avoir lieu.

Le précédent Obono

Mme Vanceunebrock affiche fièrement son homosexualité et le fait de s’être rendue en Belgique pour bénéficier de la loi belge sur la PMA et avoir deux enfants. Que diraient nos ligues de vertu féministes ou LGBT, si un député mal embouché commençait d’interpeller Mme Vanceunebrock en pointant, goguenard, son homosexualité, son athéisme, sa situation socialement favorisée lui permettant d’aller faire en Belgique ce qui était encore illégal en France ? 

Nous n’avons pour le moment entendu aucun porte-parole de LFI ou du mouvement LGBT, aucun représentant d’association anti-raciste ou contre les discriminations en tous genres, dire son désaccord avec le procédé de cette députée consistant à distinguer le genre, l’orientation sexuelle, la couleur ou la religion de l’adversaire pour déconsidérer d’emblée ses arguments dans le cadre d’une discussion parlementaire. Les journaux les plus avertis n’ont pas rapporté l’incident. LREM ne bronche pas. Le président de la République n’a pas téléphoné à M. Breton. Il faudra s’en souvenir. 

A lire aussi, Elisabeth Lévy: Concours de beauté morale contre «Valeurs Actuelles»

Les mêmes avaient été tellement émus, avaient versé tant de larmes et poussé tant de cris lorsqu’il s’était agi d’une députée salie par le « racisme décomplexé » (Libération), poussée dans « les coulisses nauséabondes de Valeurs actuelles » (Les Inrocks), etc., qu’une manifestation avait été organisée pour défendre « les valeurs de la République » et pour lutter contre le racisme. Si soutien il y a eu en faveur de Xavier Breton, il a été si discret que nous n’en trouvons trace à peu près nulle part. Il semble donc acquis qu’on peut dorénavant s’adresser à un représentant du peuple en commençant, pour le discréditer, par rappeler son sexe, son genre, sa couleur de peau, son orientation sexuelle et sa religion. C’est bon à savoir. Et ça nous promet de belles joutes oratoires.

Un coupable presque parfait: La construction du bouc-émissaire blanc

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Jacques Attali contre la démocratisation de la finance

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Magasin GameStop à Los Angeles © JIM RUYMEN/UPI/Shutterstock/SIPA Numéro de reportage : Shutterstock40823282_000008

Comme souvent, Jacques Attali se plaint des conséquences d’un système qu’il a contribué à promouvoir.


Dans une tribune des Échos du 5 février (GameStop: après les fake news, la fake finance), Jacques Attali s’inquiète de l’influence grandissante des particuliers en bourse, après que ces derniers aient décidé de se coaliser contre un hedge fund (Melvin Capital) qui avait vendu le titre GameStop à découvert. Rappelons que la vente à découvert (short selling) est une technique financière consistant à emprunter un titre pour le vendre et le racheter plus bas afin de le rendre à son détenteur après avoir réalisé (dans le meilleur des cas) un bénéfice. Dans le cas contraire, si le titre s’envole, les pertes peuvent être illimitées car le short seller doit le racheter à n’importe quel prix.

Jacques Attali en juin 2019 © Jacques Witt/SIPA Numéro de reportage: 00914197_000048
Jacques Attali en juin 2019 © Jacques Witt/SIPA Numéro de reportage: 00914197_000048

Melvin Capital piégé par des boursicoteurs

C’est la mésaventure arrivée à Melvin Capital qui a dû racheter beaucoup plus haut le titre GameStop suite à l’achat massif d’investisseurs particuliers qui ont échangé leurs avis sur le forum Reddit. On ne peut donc sérieusement parler de « fake news » ni même de « fake finance », qui est plutôt l’apanage des investisseurs professionnels prêts à tout pour faire baisser un titre et précipiter la faillite d’une entreprise, allant même jusqu’à provoquer une crise financière (subprimes en 2008).

A lire aussi: Cameo: l’application qui permet à Chuck Norris ou Caitlyn Jenner d’arrondir les fins de mois

Pour Jacques Attali cependant, le risque vient des investisseurs particuliers: « la finance devient une activité de masse grâce à l’émergence d’applications simples permettant à chacun d’acquérir des titres  ». En effet, l’application de trading Robinhood permet de jouer en bourse à partir de son smartphone, sans frais. Les fondateurs de la plate-forme assurent même être « en mission pour démocratiser la finance ». Mais le conseiller politique y voit un danger: « cette alliance du digital et de la démocratisation ne pouvait que conduire, comme avec les médias, à l’émergence de grandes colères des petits contre les grands. » Peut-on pour autant parler de nouvelle lutte des classes? Il est possible qu’il existe une minorité d’investisseurs souhaitant exprimer leur colère, mais la grande majorité d’entre eux jouent en bourse pour une raison plus prosaïque : gagner de l’argent.

La bourse ubérisée?

Au fond, cette histoire boursière reste anecdotique. Pourtant, l’économiste parle de « ces lieux de rencontre » pouvant « saboter la confiance dans les marchés financiers » alors que le véritable risque ne vient pas de la fronde boursière menée par quelques particuliers contre des fonds spéculatifs, mais réside dans le déséquilibre financier créé et entretenu par les banques centrales qui manipulent les taux d’intérêt. Ainsi, les politiques monétaires de taux zéro pénalisent l’épargne, poussent les particuliers à rechercher davantage de rendement au prix d’un risque plus élevé, engendrent des bulles spéculatives, de l’endettement, et accroissent les inégalités entre les plus riches et les plus pauvres.

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Comme souvent, Jacques Attali se plaint des conséquences d’un système qu’il a contribué à promouvoir. En effet, la flambée spéculative autour de GameStop est le produit de l’uberisation (appliquée à la finance) et de l’action des banques centrales. Si l’éditorialiste voyait dans l’uberisation une « anecdote dans la robotisation », rappelant qu’il ne fallait pas « verser dans une censure anti-technologie», il critique désormais la digitalisation de la finance. Enfin, l’économiste a contribué à la rédaction du traité de Maastricht posant les fondements de l’euro et instituant la Banque Centrale Européenne, alimentant par sa politique monétaire des déséquilibres et des bulles sur les actifs. Le sage devrait ainsi méditer la phrase de Bossuet : « Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes. »

Le royaume du Wakanda fait des émules

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© D.R. – Leemage

Le royaume du Wakanda, quoique appartenant à l’univers fictif de Marvel Comics, a fait des émules dans toute l’Afrique.


Monarchie sortie de l’imagination des auteurs Jack Kirby et Stan Lee, créateurs des Quatre Fantastiques dans les années 1960, son souverain-super-héros est le chef d’un pays à la pointe de la technologie. Portée sur grand écran en 2018 sous le nom de Black Panther, la bande dessinée est devenue le symbole fantasmé d’une Afrique fière et conquérante. Inspirés par le blockbuster, les projets « wakandais » se multiplient aujourd’hui sur tout le continent africain. Le chanteur afro-américain Akon a décidé d’investir plus de 6 milliards de dollars dans la création d’un vaste complexe futuriste au Sénégal. « C’est incroyable ce que le Wakanda a fait pour l’Afrique, déclare-t-il. Avant ce film, l’image était celle d’une jungle, de pays dévastés par la guerre et d’espaces infestés par le sida. Mais le film a donné l’idée de ce que pourrait être l’Afrique dans l’avenir. » Il entend même doter sa cité d’une cryptomonnaie. « Aux États-Unis, poursuit-il, je rencontre beaucoup d’Afro-Américains qui ne comprennent pas vraiment leur culture. J’ai donc voulu construire une ville ou un projet comme celui-ci pour leur donner la motivation de venir voir d’où ils viennent. » L’acteur britannique Idris Elba, connu pour avoir interprété Nelson Mandela dans un biopic du même nom, voudrait créer une ville similaire en Sierra Leone. Du Rwanda, où le gouvernement a fait le pari d’une ville verte dotée des dernières innovations technologiques, au Nigeria qui ambitionne de faire de son Eko Atlantic City la nouvelle Dubaï ouest-africaine, l’exemple de Wakanda est constamment cité. Le Ghana a lancé la construction d’une « Wakanda City » destinée à devenir le lieu de pèlerinage touristique de toute la diaspora africaine. La fiction, décidément, dépasse le réel.

Le recours du gouvernement français aux services de McKinsey en débat

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Emmanuel Macron, le 5 février 2021 © Romain GAILLARD-POOL/SIPA Numéro de reportage : 01003234_000040.

Il n’est pas trop tard pour rompre


McKinsey est une célèbre société de conseils. Elle fonctionne aussi à la manière d’une société secrète : elle ne communique pas et ne répond jamais aux sollicitations des journalistes. Pour ce que l’on sait, ses prestations se payent à prix d’or.

Le 12 janvier 2021, la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale a auditionné Olivier Véran, ministre des Solidarités et de la Santé, sur la stratégie vaccinale contre la Covid-19. Face à l'opposition qui l'interrogeait sur McKinsey, le ministre a affirmé qu'il est "tout à fait classique et cohérent de s'appuyer sur l'expertise du secteur privé." Image: D.R.
Le 12 janvier 2021, la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale a auditionné Olivier Véran, ministre des Solidarités et de la Santé, sur la stratégie vaccinale contre la Covid-19. Face à l’opposition qui l’interrogeait sur McKinsey, le ministre a affirmé qu’il est « tout à fait classique et cohérent de s’appuyer sur l’expertise du secteur privé. » Image: D.R.

«Emmanuel Macron dans les pas de McKinsey» eut été plus juste…

C’est à elle, moyennant quelques millions (on ne connaitra jamais le chiffre exact), que le président de la République a confié la logistique de la vaccination anti-covid en France. Ce choix fait débat. Le magazine du Monde fait sa « une » sur la société McKinsey. Avec ce titre très euphémique : « McKinsey dans les pas d’Emmanuel Macron ». « Emmanuel Macron dans les pas de McKinsey » eut été plus juste. Car ça fait longtemps qu’ils cheminent amoureusement ensemble.

Le Magazine du Monde, 6 février 2021. Photo: D.R.
Le Magazine du Monde, 6 février 2021. Photo: D.R.

Certes les vaccins contre le covid, dûment vérifiés, n’ont rien à voir avec le médicament qui a empoisonné l’Amérique. Mais à une époque de suspicion généralisée est-il bien raisonnable et moral de confier à McKinsey la logistique de nos vaccinations?

En 2017 le candidat Macron avait fait appel aux compétences de McKinsey pour l’aider à être élu. Les meilleurs experts de la société ont participé à la rédaction de son programme présidentiel. Et d’autres, spécialistes du spectacle et de l’événementiel, l’ont conseillé pour l’organisation de ses meetings. Macron a été élu. Et avec cette victoire les actions de McKinsey ont grimpé en flèche. Et la société a pu considérablement augmenter les tarifs de ses prestations.

A lire aussi: Jacques Attali contre la démocratisation de la finance

Aux États-Unis, la société verse 475 millions d’euros aux victimes d’opiacés

Détournons un vieux slogan américain. Ce n’est pas « demandez-vous ce que McKinsey peut faire pour vous » mais « demandez-vous ce que vous pouvez faire pour McKinsey ». Et Macron a fait beaucoup pour cette société. Ce qui est bon pour Macron est bon pour McKinsey. Et ce qui est bon pour McKinsey est bon pour Macron…

Mais il y a une ombre à ces lendemains de vaccination qui chantent. Une grosse tâche sur le pedigree de McKinsey. La société vient en effet de verser 475 millions de dollars aux familles des victimes qu’elle a contribué à faire[tooltips content= »En février, la presse révèle que McKinsey accepte de verser 573 millions de dollars pour clore les procédures engagées par 49 Etats américains. L’entreprise n’a ni reconnu ni rejeté les faits qui lui étaient reprochés »](1)[/tooltips]. Il y cela plusieurs années McKinsey avait signé un contrat juteux avec un laboratoire pharmaceutique américain. Il s’agissait de rendre plus performantes les ventes d’un médicament à base d’opiacés. Ce médicament a provoqué des millions d’addictions. Selon la presse d’outre-Atlantique 200 000 Américains en sont morts.

A lire ensuite: Anticor, tu perds ton sang-froid

McKinsey a payé et s’est excusé. 475 millions de dollars pour ne pas être poursuivi en justice ! Certes les vaccins contre le covid, dûment vérifiés, n’ont rien à voir avec le médicament qui a empoisonné l’Amérique. Mais à une époque de suspicion généralisée est-il bien raisonnable et moral de confier à McKinsey la logistique de nos vaccinations ?

Mael de Calan, consultant chez McKinsey, a été sollicité par Olivier Véran pour un benchmark des stratégies vaccinales, selon des informations du Monde et du Canard enchainé. © UGO AMEZ/SIPA Numéro de reportage : 00834723_000022
Mael de Calan, consultant chez McKinsey, a été sollicité par Olivier Véran pour un benchmark des stratégies vaccinales, selon des informations du Monde et du Canard enchainé. © UGO AMEZ/SIPA Numéro de reportage : 00834723_000022

Assa Traoré lance un appel contre la France dans le magazine « Jeune Afrique »

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© ISA HARSIN/SIPA Numéro de reportage : 00973145_000007

La justice française aurait pu classer sans suite depuis longtemps l’affaire de son frère Adama, mort d’essoufflement en tentant d’échapper aux gendarmes. La militante accentue sa rhétorique violente pour exciter ses partisans, et leur ressentiment contre la France.


Jeune Afrique se présente comme le premier groupe de presse du continent africain. Il diffuserait à plus de 40 000 exemplaires en France et à l’international, et publie dans 80 pays. Jeune Afrique offre également à ses lecteurs une édition numérique, présentée comme le premier site d’information panafricaine en ligne. Ce titre, édité à Paris, a été créé en 1960 à Tunis. Il est depuis longtemps reconnu comme une référence en matière d’information pour l’Afrique. Ainsi, une diffusion sur Jeune Afrique c’est la certitude de toucher un large public, dans toute l’Afrique, y compris le Maghreb, sans compter les reprises partout dans le monde. 

A lire aussi: Anticor, tu perds ton sang-froid

Assa Traoré, une figure incontournable?

Madame Traoré, figure désormais incontournable de « l’antiracisme » et de la lutte contre « les violences policières », dirige un comité, créé au départ pour demander la vérité sur les circonstances du décès de son frère Adama lors d’une interpellation par les gendarmes en 2016. Mais très vite elle a poussé de plus en plus loin la critique et appelé à l’action contre un racisme et des « violences policières » qualifiés de « systémiques », composant une figure de passionaria qui fascine jusqu’aux bien-pensants américains, le Time lui ayant récemment offert la consécration, la propulsant au rang de référence morale et mondiale de la lutte pour le Bien et la défense des opprimés.

Donc ce qui devait arriver arriva. Une interview dans Jeune Afrique va la faire basculer. À force de se prendre pour Angela Davis (dont elle adopte d’ailleurs soigneusement le look), d’être encensée, adulée, citée en exemple, Madame Traoré a perdu le sens des réalités et se prend pour la protectrice de tous les opprimés de France. Du haut de son empyrée elle délivre un message au monde entier, que dis-je un message, un appel, et même un appel au secours:

 « Aujourd’hui nous vivons les conséquences de l’esclavagisme et du colonialisme… il faut que le monde entier le sache… toute la population issue de l’immigration n’est même pas considérée comme pouvant participer à la construction de cette France… ils ne peuvent même pas participer à la construction de leur propre vie puisqu’ils ont un droit de mort… ils ont un droit de vie sur nos vies »

A lire aussi: Le décolonialisme: appel à l’inversion du processus de civilisation

« Oui nous sommes en danger… les personnes issues de l’immigration sont en danger… les personnes meurent sous les coups de cette police… j’ai peur pour mes enfants… ils ont eu un droit de mort sur la vie d’Adama Traore… ils ont décidé que mon frère allait mourir ce jour-là. »

La haine de la France

Rappelons ici qu’Adama Traoré serait mort d’essoufflement, selon les déclarations des gendarmes qui tentaient de l’interpeller.

Pénalement, nous pourrions bien être ici en face d’une véritable incitation à la haine. Comment ne pas haïr un pays qui a droit de vie et de mort sur une partie de sa population?

A lire aussi: La vérité sur l’affaire Adama Traoré

Nous sommes aussi devant une dénonciation calomnieuse, pas simplement de la police, mais du pays tout entier. Une telle déclaration sur un médium d’influence internationale constitue une agression délibérée. Madame Traoré ne désigne pas de responsable, mais il y a selon elle un danger mortel immanent qui plane sur les immigrés en France. C’est à proprement parler une diffamation, c’est-à-dire une tentative de détruire la réputation, l’image, voire l’honneur d’un pays. Toute cette déclaration transpire la haine et le mépris pour notre nation. Il ne faut pas laisser semer ainsi aux quatre vents, par une calomnie délibérée, les germes d’une haine anti-française déjà bien trop répandue. Le pays, ses intellectuels et ses institutions seraient inspirés d’enfin réagir.

Après le coup d’État en Birmanie, quelle politique pour les Européens?

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Protestation populaire à Rangoun en Birmanie, après le coup d'État des militaires. Les manifestants réclament la libération d'Aung San Suu Kyi, 7 février 2021 © AP/SIPA Numéro de reportage : AP22537442_000010

L’analyse de Laurent Amelot, chercheur associé Asie à l’Institut Thomas More


Ce 1er février, alors que la première session parlementaire suivant les élections de novembre 2020 devait s’ouvrir, la Birmanie s’est de nouveau enfermée « derrière un rideau de bambous ». Au petit matin, des unités de la Tatmadaw, l’armée birmane, ont arrêté la Conseillère d’État (équivalent de notre Premier ministre) Aung San Suu Kyi, le président Win Myint et les principaux cadre-dirigeants de la Ligue nationale pour la démocratie (LND), le parti civil au pouvoir depuis 2015, fondé par Aung San Suu Kyi en 1988.

Aung San Suu Kyi, 2013. Image : D.R.

Par voie d’annonce radiophonique et télévisée, les militaires ont décrété l’état d’urgence pour une durée d’un an, en s’appuyant sur les articles 417 et 418 de la Constitution. Une présidence par intérim est confiée au vice-président Myint Swe, ancien général et haut responsable des services de renseignement, qui rapidement délègue ses responsabilités au général Min Aung Hlaing, chef des armées. Ce dernier dispose désormais des pleins pouvoirs (exécutif, législatif et judiciaire). Une nouvelle junte est constituée, le Conseil administratif de l’Etat (CAE), dont le nom reflète des préoccupations politiques immédiates, sans grand lien avec l’avenir économique et démocratique du pays, à l’inverse du Conseil d’Etat pour la Paix et le Développement (CEPD), créé en 1997. L’objectif : empêcher la désintégration du pays par la résolution des litiges électoraux et la lutte contre la pandémie de la Covid-19, tout en ramenant les groupes ethniques rebelles à de meilleures dispositions à l’égard de l’État birman…

L’armée jamais éloignée du pouvoir

Ce slogan n’est pas sans rappeler ceux de 1962, lors du coup d’État du général Ne Win, et de 1988, lors de la révolution de palais au sein de la junte, suivie de la création du Conseil d’État pour la restauration de l’ordre et de la loi – CEROL – dans le prolongement de la répression de l’été de Rangoun, qui provoqua plus de 3 000 morts. Ainsi, le poids de la Tatmadaw dans la vie politique birmane reste considérable et la mission qu’elle s’auto-attribue intacte : préserver l’intégrité territoriale et l’indépendance nationale face aux menaces internes et externes, face à des gouvernements civils incapables d’assumer ce rôle.

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Ce coup de la Tatmadaw, qui a pris position aux points stratégiques de Rangoun, fermé Naypiydaw, capitale du pays depuis 2005, suspendu les communications intérieures et extérieures et les déplacements intra et inter-régions, fait aussi écho aux décisions prises par le CEROL en 1990, lorsqu’il annula les résultats des élections remportées par la LND d’Aung San Suu Kyi. Il faudra dix-huit ans pour qu’une nouvelle constitution soit adoptée (2008), vingt-et-un ans pour qu’un gouvernement de transition (très kaki) soit nommé et vingt-cinq ans pour que la LND gagne de nouveau les élections, accède au pouvoir, amorce une transition démocratique, qui n’a duré que six ans.

Une situation complexe

La présente manœuvre est le résultat d’une lutte de pouvoir entre deux personnalités, d’un bras de fer au cours duquel la démocrate a refusé de céder aux exigences de l’apprenti dictateur : Aung San Suu Kyi, icône de la résistance pacifique contre la tyrannie militaire pour l’Occident avant d’être ostracisée par celui-ci, une fois au pouvoir, pour compromission avec sa pire ennemie lors de la répression contre les Rohingyas (2016-2017), est adulée par son peuple ; Min Aung Hlaing, dont le profil n’est pas sans rappeler celui du général Than Swe, chef de la junte de 1992 à 2011, amené à quitter l’uniforme en 2021 et s’imaginant un grand destin politique national, est humilié par le résultat des élections de novembre 2020 (après ceux de 2015), qui reflète la haine viscérale de la population à l’encontre de la haute hiérarchie militaire. Cette lutte d’égo a conduit le commandant en chef de l’armée birmane à décapiter le gouvernement démocratique et civil de son pays afin de s’ouvrir la voie du pouvoir et de préserver le poids de la Tatmadaw dans la vie politique nationale face aux risques d’érosion liés aux victoires toujours plus larges de la LND lors des élections et aux pressions d’Aung San Suu Kyi et de son gouvernement en vue d’une réforme constitutionnelle aux contours nécessairement défavorables aux militaires.

Min Aung Hlaing. Photo: D.R.

Cette perspective, cependant, est vouée à l’échec. Le peuple birman a retenu la leçon de l’été de Rangoon (1988) et de la révolte de safran (2007). En dépit des appels à la désobéissance civile et des manifestations qui se font jour à Rangoon et à Mandalay, notamment, la population ne devrait pas descendre massivement dans la rue. Elle attendra patiemment les prochaines élections pour redonner la victoire à la LND, car elle a Aung San Suu Kyi dans son cœur. En effet, Aung San Suu Kyi est plus qu’une personnalité : c’est un symbole auquel le peuple birman adhère, même sans programme électoral. Le problème de la démocratie birmane, de la LND, se situe peut-être ici : une difficulté à se doter d’une génération renouvelée de cadres capables de porter la Birmanie de demain, avec Aung San Suu Kyi comme mentor ; cette dernière, en dépit, de son aura, adoptant une posture de plus en plus autoritaire autant vis-à-vis des militaires que de ses alliés et des représentants des minorités ethniques.

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L’Union européenne et ses États membres doivent s’inscrire dans cette logique de soutien au renouvellement de la classe politique civile et démocratique, car le peuple est l’avenir de la Birmanie. Ils ne peuvent pas se contenter de sanctions économiques et politiques à l’encontre de la Birmanie, en tant que pays. Celles-ci ne produiront, comme les précédentes, que des résultats limités et pousseront, une nouvelle fois, les généraux dans les bras de Pékin.

Soutenir une véritable transition démocratique

Espérer obtenir le soutien de la Chine populaire, en plein guerre commerciale avec les États-Unis, pour rétablir le processus de transition démocratique en Birmanie, serait une illusion. Celle-ci, comme la Russie, s’est d’ailleurs opposée, le 3 février 2021, au projet de déclaration commune du Conseil de sécurité des Nations unies condamnant le coup d’Etat. Au contraire, il est impératif que les sanctions qui se dessinent ne touchent que le moins possible la population birmane. Elles devront être ciblées, mais dures, à l’encontre des hauts dignitaires militaires responsables de ce coup et de leurs affidés militaires et civils, voire des pays qui les soutiennent, afin de limiter au maximum leur capacité d’action. Le dialogue, toutefois, ne doit être totalement rompu, ni avec l’armée, ni avec la désormais opposition démocratique.

Avec la première, il doit être orienté afin de permettre l’émergence d’une nouvelle génération de gradés, plus libéraux et modérés, apte à monter en puissance au sein de l’institution et de l’appareil politique. Cette nouvelle caste devra être capable d’accompagner la transition démocratique, de s’imprégner de ces règles et de dialoguer sans arrière-pensées avec les civils. Avec les seconds, il s’agit de dessiner les contours d’un futur cadre politique démocratique dans le respect des traditions locales et de promouvoir une nouvelle génération de dirigeants politiques, capables de dialoguer sereinement avec des militaires éclairés prêts à rendre le pouvoir. Alors la Birmanie pourra entrevoir son avenir plus sereinement.

États-Unis: deux constitutions parallèles pour une Amérique déchirée

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Statues de Franklin & de Washington, Philadelphie, novembre 2020 AP22511580_000046 Rebecca Blackwell/AP/SIPA

Irréconciliables, les 50 États-Unis d’Amérique ont désormais deux constitutions: celle des Pères fondateurs et celle des progressistes « wokes. » Pour comprendre ce qui se passe, il faut partir de l’analyse de l’intellectuel Christopher Caldwell, sur l’évolution des États-Unis des droits civiques à nos jours.


Le grand intellectuel américain, Christopher Caldwell, qui a vécu en Europe où il a étudié notamment les effets de l’immigration musulmane sur la culture européenne[tooltips content= »Une Révolution sous nos yeux. Comment l’islam va transformer la France et l’Europe. Préface de Michèle Tribalat (Éditions du Toucan, 2011). »](1)[/tooltips], est revenu à ses études américaines pour se pencher sur l’origine de la polarisation de son pays.[tooltips content= »Simon & Schuster, janvier 2020 (en anglais). »](2)[/tooltips]

Christopher Caldwell Photo: Hannah Assouline
Christopher Caldwell Photo: Hannah Assouline

Il affirme que les réformes des années 1960, qui visaient à rendre la nation américaine plus juste et plus humaine, ont au contraire laissé de nombreux Américains aliénés, méprisés, trompés – ceux qui étaient prêts en 2016 et 2020 à placer un aventurier, Donald Trump, à la Maison Blanche. Une des rares intellectuelles françaises à avoir lu Caldwell, Michèle Tribalat, habituée des lecteurs de Causeur, écrit: « Le Civil Rights Act de 1964 et ses suites, notamment le Voting Right Act de 1965 et le Fair Housing Act de 1968, n’ont pas seulement apporté de nouveaux droits aux Noirs. Ils ont été à l’origine d’une énorme bureaucratie pour les mettre en application. L’histoire américaine a été entièrement réinterprétée à la lumière de la question raciale et le gouvernement américain s’est investi comme jamais pour façonner la société autour de l’idéologie, quasi-religieuse, de l’antiracisme. » Les élites blanches du nord-est progressiste qui ont encouragé et voté les droits civiques voulaient en finir avec la ségrégation définitivement.

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« Ils ne pouvaient pas soupçonner que ces droits auraient pour conséquence de réexaminer la société américaine dans sa totalité. Les droits civiques sont devenus des droits humains et les droits humains des revendications pour mettre sens dessus dessous l’ensemble des valeurs fondatrices de l’Amérique y compris les rapports sexuels. Tout blanc malchanceux peut désormais voir son avenir professionnel ruiné par un propos jugé inadéquat sur la race, le genre et la sexualité. C’est ce qu’on a appelé le politiquement correct, dont on connaît les effets ravageurs sur les campus américains », poursuit Tribalat.

Et vint Black Lives Matter

S’ensuivra l’idée saugrenue de détaxer les géants numériques, Google, Amazon, Apple, Twitter, etc. Ils deviennent des monstres indéboulonnables. « Dès 1998, Amazon commence à détruire les librairies américaines. Google concentre 90% du trafic dès 2009. Seuls les retraités peuvent se passer d’internet, les jeunes en ont un besoin impérial » (Michèle Tribalat). L’élite technologique, nouvelle minorité, est « woke. » Les généreux mécènes sont financés par le contribuable à coups d’abattements fiscaux. Peu importe que les milliardaires de la Silicon Valley soient les plus riches du monde pourvu qu’ils placent un panneau « Black Lives Matter » sur leur pelouse. « Depuis la fondation du mouvement Black Lives Matter (BLM) à l’été 2013, la division créée par l’émergence d’un ordre constitutionnel antagoniste a rendu le mode de vie américain désagréable, brutal et dangereux », explique l’éditorialiste canadien conservateur, William Brooks, dans The Epoch Times. Les woke voient dans Joe Biden le patron d’un « syndicat » américain post-moderne qui impose ses vues progressistes sur le monde de l’entreprise. Déjà, de nombreuses multinationales, dont Disney, refusent de financer les campagnes électorales futures des « renégats », notamment des sénateurs républicains, Ted Cruz et Josh Hawley, qui ont osé remettre en question la légitimité du « lider maximo » Biden en réfutant, sur bases d’allégations de fraude « imaginaires », le collège électoral des grands électeurs. Des anciens étudiants exigent que Rudy Giuliani, l’avocat de Trump, soit radié. Le professeur Alan Dershowitz n’est plus le bienvenu à Harvard, son université d’origine. Toute référence à Trump sur votre CV vous condamne à une longue traversée du désert. Les purges ont commencé.

« La notion orwellienne selon laquelle le recours à une « diversité » à fleur de peau est le meilleur moyen de parvenir à l’« unité » nationale est devenue la pièce maîtresse d’un mouvement radical agressif qui a fini par s’emparer du Parti démocrate et a conduit à l’élaboration d’une constitution américaine alternative souvent incompatible avec l’originale », conclut Brooks.

Point de non-retour?

De ces deux interprétations de la Constitution américaine émergent deux Amériques inconciliables. L’une toujours guidée par la constitution d’origine de 1788. L’autre est une interprétation « progressiste » du texte original et qui est défendue par la quasi-unanimité des politiciens de l’establishment, les médias mainstream, les intellectuels progressistes et une grande partie de l’appareil judiciaire, jusque et y compris la Cour suprême dont la majorité conservatrice n’est que de façade.

A lire aussi: Où va le populisme?

William Brooks : « Les partisans de la constitution « vivante » d’après les années 60 estiment que les partisans de la constitution écrite de 1788 sont des fanatiques raciaux et une menace pour la démocratie. » Dans un récent éditorial pour First Things Magazine, R. R. Reno explique que « l’étonnante capitulation post-inaugurale de l’administration Biden-Harris devant la gauche radicale laisse présager la fin du rôle du Parti démocrate en tant que ‘guérisseur naturel’ de la nation. Étant donné le retournement délibérément humiliant de l’héritage de l’administration Trump au premier jour de la présidence Biden, il est clair que les concessions de l’establishment à l’extrême gauche se transforment en capitulation complète. » La démonstration de force du Parti démocrate lors de l’inauguration de Biden le 20 janvier avec le déploiement de 25 000 Gardes nationaux pour quelques dizaines de participants sur une pelouse quasi vide ne prête pas à l’optimisme sur les intentions de la gauche américaine d’évoluer vers un parti unique avec les RINO (« Republicans in name only »). La régularisation de 11 à 15 millions d’immigrés illégaux hispaniques et la suppression du système des grands électeurs demandée par Hillary Clinton pourraient maintenir les Démocrates, majoritaires en voix, au pouvoir pour longtemps.

Washington, le 6 janvier 2020 © Julio Cortez/AP/SIPA Numéro de reportage: AP22527680_000006
Washington, le 6 janvier 2020 © Julio Cortez/AP/SIPA Numéro de reportage: AP22527680_000006

En parallèle à leur ouverture migratoire, les Démocrates sont désireux de traquer d’hypothétiques « terroristes nationaux », les ploucs trumpistes violents et stupides qui doivent être maintenus sous surveillance par tous les moyens. Alors que jusqu’ici, le centre-droit (Parti républicain) et le centre-gauche (le Parti démocrate) se partageaient les plates-bandes au sein du « Marécage » de Washington, les partisans de la « constitution alternative » considèrent aujourd’hui que l’électorat républicain populaire est constitué de « déplorables » (selon la formule d’Hillary Clinton pendant la campagne présidentielle de 2016). Pour William Brooks : « Le point de non-retour de l’Amérique dépendra de sa capacité à retrouver la même foi, la même prudence, la même perspicacité et le même courage que ceux qui ont été invoqués en 1776 pour produire la plus grande expérience de démocratie constitutionnelle de l’histoire de l’humanité. »

[1] Une Révolution sous nos yeux. Comment l’islam va transformer la France et l’Europe. Préface de Michèle Tribalat (Éditions du Toucan, 2011).

[2] Simon & Schuster, janvier 2020 (en anglais).

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Victime sans bourreau

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Larry David, anti-héros de Seinfeld et Larry et son nombril © Home Box Office

Il manquait une rubrique scientifique dans Causeur. Peggy Sastre vient combler cette lacune. À vous les labos!


En matière d’interactions passablement désagréables avec nos congénères, nous sommes tous logés à la même enseigne. Nous connaissons tous des gens qui arrivent en retard aux rendez-vous, qui coupent la parole, qui dénigrent le travail des autres. En revanche, tout le monde ne réagit pas de la même manière à ces incidents. Certains passent facilement l’éponge et n’y voient que des tracas sans importance ni conséquence. Et d’autres, au contraire, estiment avoir été profondément lésés par autrui et ses intentions forcément malveillantes. Pour le dire en (presque) deux mots : face à un même événement, tout le monde n’a pas la même propension à se croire et à se dire victime.

La chose pourrait sembler surprenante vu que nous baignons dans une « culture victimaire » qui ne date pas d’hier, mais son expression individuelle n’avait pas encore été étudiée de manière systématique. La lacune est désormais comblée grâce à une équipe de chercheurs israéliens en psychologie, sociologie et anthropologie, dont l’étude conceptualise pour la première fois la « tendance à la victimisation interpersonnelle », définie comme « un sentiment permanent d’être toujours la victime, étendu à de nombreux types de relations ». En d’autres termes, avoir un peu de mal à voir la vie en rose après un viol en réunion avec actes de barbarie ne suffit pas à faire de vous une « personnalité TVI », il faut que cette tendance à vous croire perpétuellement la cible et le jouet de la malveillance de tiers soit un tantinet stable au cours de votre existence et en toutes circonstances. Le tout avec des conséquences affectives, cognitives et comportementales précises, elles aussi listées par l’équipe de Rahav Gabay, psychologue à l’université de Tel-Aviv. S’appuyant à la fois sur une revue de la littérature scientifique et sur huit expériences menées pour l’occasion auprès de plusieurs centaines de personnes, les scientifiques établissent que la TVI se caractérise par quatre dimensions – la rumination, le besoin de reconnaissance, l’élitisme moral et le manque d’empathie. Ils étudient la façon dont ces quatre ingrédients façonnent une vision du monde radicalement pernicieuse. Et totalement indépendante d’une véritable expérience traumatique. Vous pouvez traduire une personnalité TVI sans n’avoir jamais rien vécu de terrible, comme vous pouvez avoir traversé tous les étages de l’enfer sans jamais en développer une.

Peggy Sastre, 2018. © Jean-Philippe Baltel
Peggy Sastre, 2018. © Jean-Philippe Baltel

Premièrement, une personne TVI a besoin que son statut de victime – qu’importe qu’il soit réel ou non – soit reconnu et qu’on la plaigne. Elle a besoin que l’auteur de son préjudice – ou celui qu’elle estime tel – admette sa responsabilité et exprime sa culpabilité. Elle a besoin de soutien et de compassion. Par exemple, si vous jugez « très important » qu’on admette vous avoir fait subir une injustice lorsqu’on vous a causé du tort, si cela vous énerve prodigieusement de ne pas être cru lorsque vous dites avoir souffert, ou encore s’il vous faut absolument qu’on vous présente des excuses pour pouvoir espérer passer à autre chose, alors vous voilà avec un score élevé de besoin de reconnaissance. Et lancé à toute allure sur le chemin de la TVI.

Autre caractéristique : la rumination. Une personnalité TVI ne lâche jamais l’affaire. Elle n’arrête pas de penser aux « injustices » qu’elle a subies. Pendant des jours, cela l’obsède. Les émotions négatives l’envahissent et ne cessent de lui revenir dès qu’elle repense à ceux qu’elle tient pour responsables de ses malheurs. Ce faisant, elle se focalise davantage sur les symptômes de sa détresse et sur ses causes et manifestations que sur des solutions et des moyens d’en sortir. Là encore, Gabay et ses collègues font le lien entre dimensions individuelle et collective, en notant que leurs compatriotes et participants à leurs expériences – des juifs d’Israël – n’ont pas leur pareil pour ruminer des événements traumatiques. « Par exemple, écrivent les chercheurs, beaucoup d’Israéliens juifs affirment être très préoccupés par l’Holocauste et craindre sa répétition, même si la grande majorité n’en a pas été directement victime. » Ils font d’ailleurs remarquer que la Shoah n’a pas toujours été aussi importante qu’elle l’est aujourd’hui dans le « récit national » israélien et qu’entre l’indépendance du pays et le procès Eichmann, en 1961, elle était même parfois considérée comme « contradictoire » à l’identité israélienne, à l’époque construite autour des notions de liberté, d’action et d’audace. En 1949, par exemple, même si un tiers environ des Israéliens étaient des immigrés européens survivants des camps de la mort, ils étaient explicitement incités à ne pas trop en parler par leurs compatriotes installés dans la région bien avant la Seconde Guerre mondiale. On attendait d’eux qu’ils prennent la vie à bras le corps, s’intègrent et adoptent l’identité israélienne. En ces débuts d’Israël, l’Holocauste était ainsi souvent perçu comme une calamité tombée sur les juifs passifs et lâches de la diaspora, partis comme des moutons à l’abattoir. Une réalité qu’ignorent aussi largement les Israéliens contemporains que les antisionistes persuadés que c’est grâce à la « pleurniche » et à l’exploitation des crimes du nazisme qu’Israël a été fondé.

Ensuite, une personnalité TVI cultive l’« élitisme moral ». Lors d’une interaction négative, elle est toujours la blanche colombe et ceux qui lui causent du tort sont tous forcément d’affreux pervers. Il n’y a jamais de malentendus ou de coïncidences, seulement des complots pour lui nuire. Dans ses interactions avec autrui, elle est persuadée d’être moralement supérieure – on profite de sa gentillesse, on ne reconnaît pas ses efforts à leur juste valeur, on n’exprime pas suffisamment sa gratitude, elle est trop généreuse, toujours perdante dans les échanges, une bonne poire, etc. Le problème, c’est que cet élitisme moral peut vite devenir un outil de manipulation : on accuse les autres de diverses turpitudes pour mieux leur imposer n’importe quoi. Sur un plan collectif, l’élitisme moral peut aussi permettre de présenter son clan sous un jour entièrement favorable, tout en braquant tous les projecteurs sur la dépravation supposée d’un clan adverse.

Ultime ingrédient de la TVI : le manque d’empathie. Tout en exigeant de tout le monde une compassion absolue pour ses moindres bobos, on ne daigne se mettre dans la peau de personne. Un « tout m’est dû » qui se transforme en « j’ai tous les droits », y compris et surtout de me comporter comme le dernier des psychopathes. Il en va là de la composante la plus toxique de ce « nouveau » type de personnalité, en réalité au moins aussi vieille que le tyran décrite par Platon dans La République : un « infortuné, incapable de se conduire lui-même » tout en ne pouvant s’empêcher de vouloir régenter la vie des autres.

Référence : tinyurl.com/Calimeropolis

Andreï Makine: l’amitié au temps du goulag

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Andreï Makine © crédit photo : JF Paga

Dans son roman autobiographique, L’Ami arménien, Andreï Makine donne un chef-d’œuvre où l’apprentissage se fait dans la Sibérie des années soixante-dix


Ecrivain sibérien de langue française, Andreï Makine (1957), l’auteur du merveilleux Testament français, m’avait aussi ébloui avec L’Archipel d’une autre vie, où il faisait la synthèse de thèmes et de rêveries qui affleuraient dans divers romans, comme ce leitmotiv de l’exil intérieur au cœur du Léviathan.

Authentique rebelle

Je l’ai déjà dit, il y a chez Makine un côté anarque au sens que Jünger donnait à ce terme : l’homme qui, face au système qui le broie, demeure libre et souverain, monarque de soi-même – authentique rebelle. Son style adamantin, tout en sobriété, sans une once de fausse monnaie, fait de lui l’un des oiseaux rares des lettres françaises.

Autobiographique, son dernier roman, L’Ami arménien, bouleverse par sa profonde humanité et par son caractère net de toute sensiblerie. Puissante, la nostalgie s’y exprime avec une pudique retenue.

Histoire d’une amitié

L’Ami arménien narre l’amitié de deux adolescents dans la Sibérie centrale du début des années 70, quand l’URSS panse avec peine les plaies des terreurs staliniennes et des massacres hitlériens. La violence a endurci les peuples de l’empire ; la police règne encore en maître, pourchassant irréguliers et dissidents.

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Makine est le plus costaud des deux, aguerri par ses séjours dans divers orphelinats où il a été élevé à la schlague. Dans un monde où la pitié peut se révéler fatale, il a gardé sa noblesse d’âme et c’est tout naturellement qu’il prend, à coups de ceinturon, la défense de Vardan, un jeune Arménien souffreteux en butte à la cruauté de ses condisciples. Naît alors entre l’orphelin et l’exilé l’une de ces amitiés qui marque une vie.

Antichambre du goulag

En effet, une minuscule communauté arménienne s’est établie dans cette ville perdue, antichambre du goulag. Makine décrit à merveille ce petit monde d’anciens déportés, les zeks, de relégués (inoubliable figure d’un professeur de mathématiques, mélancolique manchot et ex-héros de la Grande Guerre patriotique).

Vardan, qui, à quinze ans, possède déjà la sagesse innée d’un Grec ancien (il est d’ailleurs peut-être plus grec qu’arménien), invite son « garde du corps » dans sa famille. Et Makine d’évoquer par touches la douceur pour lui inconnue d’une mère avec son parfum de jacinthe, le café servi dans un mystérieux vase d’argent aux allures de graal, la troublante jeune sœur de son unique ami, le vieux Serven, un autre rescapé des combats.

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Ces Arméniens ont quitté le lointain Caucase pour venir soutenir des membres de leur famille, arrêtés pour leurs positions indépendantistes et qui attendent leur procès. L’ombre du génocide de 1915 plane, avec ces clichés sépia de phratries exterminées, de même que celle des récentes razzias azerbaïdjanaises au Karabagh.

L’apprentissage du tragique

Les jeunes gens font ensemble l’apprentissage de l’amitié comme du tragique, entre autres par le biais de fouilles clandestines au pied d’un ancien monastère défiguré en prison.

Mené avec maestria, le roman se termine sur un ton antimoderne, un peu comme dans les dernières images du film de Jean Becker, Les Enfants du Marais, auquel ce livre me fait songer au moment d’achever la présente chronique.

Andreï Makine, L’Ami arménien, Grasset.

L'ami arménien: roman

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Le croquant indiscret chez les Helvètes

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L'écrivain Henri Calet © PHOTO HARCOURT / AFP

Reparution de Rêver à la Suisse, recueil de voyage d’Henri Calet datant de 1946


Quelle est donc cette peuplade cachée derrière les Alpes aux mœurs policées et sages ? Henri Calet (1904-1956), Tintin reporter-amer part à sa découverte entre le 15 juillet et le 11 août 1946 avec son épouse Marthe Klein. Quatre semaines dans le canton de Vaud durant lesquelles le plus célèbre batteur de pavé parisien croque la vie quotidienne d’un pays qui semble prospère, n’ayant pas connu les affres de la guerre.

Un parfum de vérité et de sincérité

Ces chroniques précises et désabusées, innocentes en surface et féroces à l’intérieur, relatant d’anodins événements seront reprises par Servir, un journal de Lausanne puis dans Combat et La Rue aboutissant à un ensemble qui s’appellera « Rêver à la Suisse » en 1948 aux éditions de Flore. Selon le Larousse du XXème siècle, l’expression « rêver à la Suisse » signifie « ne penser à rien ». Héros-limite, maison genevoise de qualité, toujours à la recherche de textes rares republie ce drôle de recueil précédé d’un avertissement écrit par Jean Paulhan et du courrier des lecteurs qui suivit la parution des articles. Car la prose « explosive » de Calet fut très diversement appréciée en Suisse, il eut bien quelques défenseurs vantant son écriture journalistique à la fois tendre et implacable, beaucoup d’autres la trouvèrent au contraire « pornographique », « bébête », voire carrément indigne et irrespectueuse pour les habitants de ce charmant pays.

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Le crime de Calet fut notamment d’assister à la fête Nationale du 1er août titrant son article : « La mort au grand air ». Au cours du discours officiel et de l’hymne survint la mort dramatique d’un musicien terrassé par une attaque, gâchant la soirée sans perturber pleinement la cérémonie. L’œil de Calet n’avait rien vu d’autre que la banalité de la mort qui surgit dans le quotidien toujours au moment inopportun, le déréglant à peine et cependant, donnant à ce triste fait-divers un ressenti étrange chez celui qui observe. Calet écrit à hauteur d’hommes, il se garde bien d’utiliser de grands mots ou de grands gestes pour décrire le réel. Il relate les faits sans les plomber ou les glorifier ce qui donne à son œuvre, un parfum de vérité et de sincérité.

Calet touche au cœur

C’est pourquoi on le relit toujours et encore, plus d’un demi-siècle après sa disparition. Humble devant la page blanche, il réussit à se retrancher derrière les événements, leur laissant toute la lumière en apparence, car il impose bien sa patte, son style, mais dans les interstices, les blancs des conversations. Calet ne travaille pas au burin, il distille le malheur à faible intensité et le lecteur chavire par son pointillisme désarmant. Quand d’autres chroniqueurs fanfaronnent, font sans cesse les intéressants, Calet n’use pas des vieilles ficelles de l’esbroufe et du mot qui glace. Il se contente de narrer, à la fainéante, presque d’une façon lointaine. Sa naïveté face au réel pourrait passer pour de l’innocence, c’est la marque d’une intelligence supérieure.

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Calet, par son économie de sentiments et son souci du détail, touche au cœur. Son ironie n’est pas tapageuse, il l’égrène, au fil de la plume, elle est d’autant plus radicale. En Suisse, son obsession de l’objet nouveau, les allumettes par exemple ou sa curiosité devant « les innombrables distributeurs automatiques » de timbres-poste, de cachous, d’eau de Cologne et de cigarettes ou sa fascination pour les urinoirs font de la Confédération, un paradis de la consommation. Il faut se remémorer le contexte historique de l’époque pour expliquer l’émoi d’un français devant une telle débauche de gadgets. Elle n’était pas feinte. La Suisse, c’est l’Amérique à côté de chez soi, de l’autre côté des alpages, sans l’épuisante traversée de l’Atlantique. Les privations en France n’ont pas cessé à la Libération.

Comme un enfant hypnotisé par un Meccano

Alors, la Suisse apparaît comme un eldorado où les commerçants sont polis et l’acte d’achat n’est pas contraint. « Je me sentais assez attiré par ce petit pays, toujours neutre et toujours prospère, par les montagnes et les lacs qui s’y trouvent, un peu aussi par les tissus de pure laine que l’on voyait, disait-on, aux étalages, et par le chocolat Gala Peter dont je gardais comme une nostalgie. Un pays sans marché noir où les objets se vendaient en centimes » écrit-il, tel l’enfant hypnotisé par une boîte neuve de Meccano. « Ah ! les consommations ! Elles sont de première qualité. Des glaces, de la bière brune ou blonde, du café-crème, des « cappuccinos » … J’aurais aimé les goûter toutes, mais le viatique de cent francs suisses que l’on nous avait donné à Paris était près de s’épuiser (il allait même falloir songer au retour) » avoue-t-il, déjà triste de quitter cette terre promise.

Rêver à la suisse de Henri Calet – éditions Héros-Limite