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Après le coup d’État en Birmanie, quelle politique pour les Européens?


Après le coup d’État en Birmanie, quelle politique pour les Européens?
Protestation populaire à Rangoun en Birmanie, après le coup d'État des militaires. Les manifestants réclament la libération d'Aung San Suu Kyi, 7 février 2021 © AP/SIPA Numéro de reportage : AP22537442_000010

L’analyse de Laurent Amelot, chercheur associé Asie à l’Institut Thomas More


Ce 1er février, alors que la première session parlementaire suivant les élections de novembre 2020 devait s’ouvrir, la Birmanie s’est de nouveau enfermée « derrière un rideau de bambous ». Au petit matin, des unités de la Tatmadaw, l’armée birmane, ont arrêté la Conseillère d’État (équivalent de notre Premier ministre) Aung San Suu Kyi, le président Win Myint et les principaux cadre-dirigeants de la Ligue nationale pour la démocratie (LND), le parti civil au pouvoir depuis 2015, fondé par Aung San Suu Kyi en 1988.

Aung San Suu Kyi, 2013. Image : D.R.

Par voie d’annonce radiophonique et télévisée, les militaires ont décrété l’état d’urgence pour une durée d’un an, en s’appuyant sur les articles 417 et 418 de la Constitution. Une présidence par intérim est confiée au vice-président Myint Swe, ancien général et haut responsable des services de renseignement, qui rapidement délègue ses responsabilités au général Min Aung Hlaing, chef des armées. Ce dernier dispose désormais des pleins pouvoirs (exécutif, législatif et judiciaire). Une nouvelle junte est constituée, le Conseil administratif de l’Etat (CAE), dont le nom reflète des préoccupations politiques immédiates, sans grand lien avec l’avenir économique et démocratique du pays, à l’inverse du Conseil d’Etat pour la Paix et le Développement (CEPD), créé en 1997. L’objectif : empêcher la désintégration du pays par la résolution des litiges électoraux et la lutte contre la pandémie de la Covid-19, tout en ramenant les groupes ethniques rebelles à de meilleures dispositions à l’égard de l’État birman…

L’armée jamais éloignée du pouvoir

Ce slogan n’est pas sans rappeler ceux de 1962, lors du coup d’État du général Ne Win, et de 1988, lors de la révolution de palais au sein de la junte, suivie de la création du Conseil d’État pour la restauration de l’ordre et de la loi – CEROL – dans le prolongement de la répression de l’été de Rangoun, qui provoqua plus de 3 000 morts. Ainsi, le poids de la Tatmadaw dans la vie politique birmane reste considérable et la mission qu’elle s’auto-attribue intacte : préserver l’intégrité territoriale et l’indépendance nationale face aux menaces internes et externes, face à des gouvernements civils incapables d’assumer ce rôle.

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Ce coup de la Tatmadaw, qui a pris position aux points stratégiques de Rangoun, fermé Naypiydaw, capitale du pays depuis 2005, suspendu les communications intérieures et extérieures et les déplacements intra et inter-régions, fait aussi écho aux décisions prises par le CEROL en 1990, lorsqu’il annula les résultats des élections remportées par la LND d’Aung San Suu Kyi. Il faudra dix-huit ans pour qu’une nouvelle constitution soit adoptée (2008), vingt-et-un ans pour qu’un gouvernement de transition (très kaki) soit nommé et vingt-cinq ans pour que la LND gagne de nouveau les élections, accède au pouvoir, amorce une transition démocratique, qui n’a duré que six ans.

Une situation complexe

La présente manœuvre est le résultat d’une lutte de pouvoir entre deux personnalités, d’un bras de fer au cours duquel la démocrate a refusé de céder aux exigences de l’apprenti dictateur : Aung San Suu Kyi, icône de la résistance pacifique contre la tyrannie militaire pour l’Occident avant d’être ostracisée par celui-ci, une fois au pouvoir, pour compromission avec sa pire ennemie lors de la répression contre les Rohingyas (2016-2017), est adulée par son peuple ; Min Aung Hlaing, dont le profil n’est pas sans rappeler celui du général Than Swe, chef de la junte de 1992 à 2011, amené à quitter l’uniforme en 2021 et s’imaginant un grand destin politique national, est humilié par le résultat des élections de novembre 2020 (après ceux de 2015), qui reflète la haine viscérale de la population à l’encontre de la haute hiérarchie militaire. Cette lutte d’égo a conduit le commandant en chef de l’armée birmane à décapiter le gouvernement démocratique et civil de son pays afin de s’ouvrir la voie du pouvoir et de préserver le poids de la Tatmadaw dans la vie politique nationale face aux risques d’érosion liés aux victoires toujours plus larges de la LND lors des élections et aux pressions d’Aung San Suu Kyi et de son gouvernement en vue d’une réforme constitutionnelle aux contours nécessairement défavorables aux militaires.

Min Aung Hlaing. Photo: D.R.

Cette perspective, cependant, est vouée à l’échec. Le peuple birman a retenu la leçon de l’été de Rangoon (1988) et de la révolte de safran (2007). En dépit des appels à la désobéissance civile et des manifestations qui se font jour à Rangoon et à Mandalay, notamment, la population ne devrait pas descendre massivement dans la rue. Elle attendra patiemment les prochaines élections pour redonner la victoire à la LND, car elle a Aung San Suu Kyi dans son cœur. En effet, Aung San Suu Kyi est plus qu’une personnalité : c’est un symbole auquel le peuple birman adhère, même sans programme électoral. Le problème de la démocratie birmane, de la LND, se situe peut-être ici : une difficulté à se doter d’une génération renouvelée de cadres capables de porter la Birmanie de demain, avec Aung San Suu Kyi comme mentor ; cette dernière, en dépit, de son aura, adoptant une posture de plus en plus autoritaire autant vis-à-vis des militaires que de ses alliés et des représentants des minorités ethniques.

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L’Union européenne et ses États membres doivent s’inscrire dans cette logique de soutien au renouvellement de la classe politique civile et démocratique, car le peuple est l’avenir de la Birmanie. Ils ne peuvent pas se contenter de sanctions économiques et politiques à l’encontre de la Birmanie, en tant que pays. Celles-ci ne produiront, comme les précédentes, que des résultats limités et pousseront, une nouvelle fois, les généraux dans les bras de Pékin.

Soutenir une véritable transition démocratique

Espérer obtenir le soutien de la Chine populaire, en plein guerre commerciale avec les États-Unis, pour rétablir le processus de transition démocratique en Birmanie, serait une illusion. Celle-ci, comme la Russie, s’est d’ailleurs opposée, le 3 février 2021, au projet de déclaration commune du Conseil de sécurité des Nations unies condamnant le coup d’Etat. Au contraire, il est impératif que les sanctions qui se dessinent ne touchent que le moins possible la population birmane. Elles devront être ciblées, mais dures, à l’encontre des hauts dignitaires militaires responsables de ce coup et de leurs affidés militaires et civils, voire des pays qui les soutiennent, afin de limiter au maximum leur capacité d’action. Le dialogue, toutefois, ne doit être totalement rompu, ni avec l’armée, ni avec la désormais opposition démocratique.

Avec la première, il doit être orienté afin de permettre l’émergence d’une nouvelle génération de gradés, plus libéraux et modérés, apte à monter en puissance au sein de l’institution et de l’appareil politique. Cette nouvelle caste devra être capable d’accompagner la transition démocratique, de s’imprégner de ces règles et de dialoguer sans arrière-pensées avec les civils. Avec les seconds, il s’agit de dessiner les contours d’un futur cadre politique démocratique dans le respect des traditions locales et de promouvoir une nouvelle génération de dirigeants politiques, capables de dialoguer sereinement avec des militaires éclairés prêts à rendre le pouvoir. Alors la Birmanie pourra entrevoir son avenir plus sereinement.



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Chercheur associé à l'Institut Thomas More. Il a été rédacteur en chef de la revue "Outre-Terre" et, en 1997, lauréat du prix Amiral Daveluy

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