Accueil Site Page 1080

Bertrand Tavernier, un souvenir

0

Le destin fait bien les choses. Il arrive, un peu par hasard, qu’on rencontre un de ses cinéastes préférés.


Bertrand Tavernier et Jérôme Leroy, Perpignan, mai 2011
Bertrand Tavernier et Jérôme Leroy, Perpignan, mai 2011

Une rencontre la veille du scandale DSK

Il était un des cinéastes les plus chers à notre cœur. Cette photo date de mai 2011. C’est un de mes meilleurs souvenirs de rencontres d’autant plus qu’elle doit tout au hasard. On était à Perpignan, pour un éphémère festival de polar. Tavernier était venu pour une projection de son adaptation de James Lee Burke, Dans la brume électrique, son seul film américain. Le modérateur prévu avait fait défaut,  ma réputation bien exagérée de cinéphile a couru chez les organisateurs. Je me suis retrouvé à l’interroger de manière improvisée. J’étais fou de joie et terrifié. J’avais tort tant son affabilité et son érudition tranquille mettaient à l’aise l’interlocuteur. Je me souviens qu’on a surtout parlé de La princesse de Montpensier qui venait de sortir, de son goût pour le film noir, de Simenon dont le premier film de Tavernier est une adaptation (L’horloger de Saint-Paul, 1973). 

Il y a aussi eu ce moment où je lui ai dit toute ma reconnaissance pour le film Ça commence aujourd’hui qui racontait en 1999 le quotidien d’un directeur d’école primaire dans le nord du Valenciennois, là où la misère sociale n’est pas un vain mot. On avait trouvé, chez certains critiques qui ne dépassent pas le périph, un côté Zola trop appuyé à ce film. Il se trouve que j’ai été prof dans la même zone et que Ça commence aujourd’hui ne paraît outrancier ou moralisateur qu’aux gens qui n’ont pas été confrontés directement à cette détresse sociale aux aspects particulièrement poignants quand elle s’attaque à l’enfance et l’empêche d’être cet âge de l’émerveillement et de l’apprentissage heureux de la beauté du monde. Et pourtant ce n’était pas un film désespéré, mais humaniste.

A lire aussi, du même auteur: Kafka et Michaux au temps du «stop and go»

Un humanisme qui ne passe plus?

Humaniste… Voilà un mot bien démodé, mais qui résume sans doute le cinéma de Tavernier. Être humaniste peut vite vous faire taxer, en la matière, de cinéaste pesant, nian-nian, académique. Tavernier a transformé son adaptation de Jim Thompson, 1275 âmes, en film anticolonialiste dans Coup de Torchon, tourné à Saint-Louis du Sénégal. Et alors? Sa peinture d’un milieu qui baigne dans l’hypocrisie, le racisme et la violence larvée est le même  que celui de la petite ville américaine de Jim Thompson et le personnage du shérif qui passe pour un débile léger mais procède à un nettoyage par le vide chez les notables avec une intelligence méthodique, c’est le même que celui du flic débraillé joué par Noiret, un des acteurs fétiches de Tavernier. On retrouve cet humanisme sceptique, désespéré et aimable, toujours incarné par Noiret, dans le personnage du père qui n’a pas assez compris son fils dans L’Horloger de Saint-Paul, mais aussi dans le Régent de Que la fête commence ou le commandant lancé dans l’entreprise impossible d’un décompte exact des morts de 14-18 dans La vie et rien d’autre.

Je me souviens, sans que cela ait le moindre rapport, que le lendemain de la photo, on apprenait au matin que DSK avait été arrêté à New-York pour l’affaire du Sofitel. Cela aurait pu faire un scénario pour Tavernier, Chabrol ou même Yves Boisset, ces cinéastes qui grattaient là où ça fait mal tout en réussissant à faire des millions d’entrées.  Ils sont la preuve oubliée que l’on pouvait très bien faire un cinéma populaire de critique sociale, ce qui a totalement disparu aujourd’hui où la militance pure, intolérante, alliée au néopuritanisme woke donne l’impression que les films « politiques » doivent recevoir le tampon d’autorisation donné par le Bureau des Intersectionnalités. N’y échappent, encore aujourd’hui que de rares cinéastes comme  Lucas Belvaux dont le film sur la guerre d’Algérie, Des Hommes, attend encore de sortir  depuis des mois, dans la grande nuit de l’épidémie. La meilleure preuve que cet humanisme n’est plus vendeur, c’est que Tavernier ne parvenait même pas, ces dernières années, à réunir des fonds pour un nouveau film…

Le végan: espèce en voie d’auto-extinction


En Australie, la vasectomie fait fureur, portée par les végans ne voyant dans un enfant qu’un pollueur de notre mère la Terre. De quoi faire réduire la population végan?


Plutôt l’humanicide que l’écocide ! En Australie, les végans se font stériliser, convaincus que l’humanité nuit à l’environnement. Le pays a le taux de vasectomies (stérilisation des hommes) le plus élevé au monde, derrière la Nouvelle-Zélande. Or, les médecins notent une évolution dans le profil des patients, traditionnellement quarantenaires et déjà pères. Les nouveaux candidats à la stérilisation sont des végans entre 20 et 30 ans qui ne veulent pas d’enfants. La surpopulation les inquiète – ce qui peut surprendre dans un pays où la densité est de 3,2 habitants au km2.

© D.R.
© D.R.

Quid des préservatifs en latex 100 % végétal ? Le végan intégriste s’en méfie ; allez savoir si quelque composant n’a pas été testé sur des animaux de laboratoire. La vasectomie, c’est plus propre et c’est irréversible. Et puis, adieu la pilule : l’homme prend enfin sa part du fardeau contraceptif. La nouvelle masculinité se gorge de contrition… Le végan est prosélyte. Le « veganuary », tous les mois de janvier, conçu sur le modèle du mois sans alcool, veut nous inciter à nous passer de steaks pendant 31 jours en espérant notre conversion définitive au culte de Gaïa. Pour sauver le monde, les évangélistes du compost ont aussi lancé en 2013 la « Journée mondiale de la vasectomie » (ce sera le 16 novembre 2021… à vos scalpels). Ce jour-là, le « vasectomy-thon » consiste à stériliser le plus d’hommes possible à travers le monde, vidéos à l’appui et opérations en live. Le biologiste Paul R. Ehrlich, 88 ans, auteur en 1968 de La Bombe P (P pour population) est leur gourou.

Le néo-malthusianisme n’est pas moins absurde que le malthusianisme. Mais il est plus cruel, prêt à sacrifier l’humanité pour la planète. Pour l’activiste végan, un nouveau-né n’est qu’un pollueur amené à souiller l’environnement pour les quatre-vingt-dix ans à venir. Enfanter d’un émetteur de CO2 est une malédiction. La population végane devrait donc décroître. Aux dernières nouvelles, le taux de fécondité chez les artisans-bouchers serait, lui, bien épais…

La désertion du sens


C’est la vraie pénurie qui afflige l’homme occidental, en cette période d’opulence.


C’est au micro de Répliques, dans le cadre d’une émission consacrée à la place du père à l’heure de sa remplaçabilité procréative, que j’ai pris connaissance d’une caractérisation de l’homme due au psychanalyste Pierre Legendre, qui m’a paru stimulante. Nous y étions définis, nous autres Homo sapiens, comme des « anima[ux] généalogique[s] ».

L’homme, précisait Jean-Pierre Winter, se distingue en effet des autres animaux par le souci qu’il manifeste de sa filiation. « Un veau peut savoir, et s’intéresser à savoir, qui est sa mère – encore qu’il peut se tromper, d’ailleurs, puisque sa mère sera celle qui va le nourrir – ; mais il ne s’inquiète en rien de qui est son père, et surtout […] en rien de savoir qui sont ses grands-parents – encore moins ! –. » « L’animal humain », lui, s’en préoccupe ; et ce simple intérêt qu’il en a suffit déjà à le singulariser parmi les mammifères courants.

Toutefois, la définition legendrienne de l’homme tomberait un peu court, si elle se bornait à cette observation. Aussi faut-il entendre le caractère « généalogique » de notre animalité, non pas au sens premier qu’en donne le dictionnaire, mais dans l’acception, élargie, qu’un Nietzsche en a retenue, dans ses travaux philosophiques. La qualification legendrienne revient alors à affirmer le souci de l’hérédité des choses comme préoccupation la plus spécifique qui soit à notre espèce.

Un prédateur des origines

L’homme, à mes yeux, n’est ni un herbivore, ni même un quelconque carnassier ; c’est, comme le consignait Baudelaire dans ses Fusées, « l’animal de proie le plus parfait ». Par-là, je n’entends pas seulement son magistère incontesté sur l’ensemble de la chaîne alimentaire ; je veux rendre aussi la dimension sans équivalent de son instinct de prédation. L’homme, pour moi, c’est l’animal qui a étendu son instinct de prédation jusqu’à l’origine même des choses, qu’il poursuit jusque dans leur être, qu’il traque jusque dans leur ascendance ou leur antécédence. L’homme, autrement dit, ce n’est pas seulement une suprême habileté à la chasse ; c’est aussi, et surtout, une imprécédence dans l’appétit qui lui fait remonter des pistes qu’aucun autre fauve n’eût même conçu l’idée de suivre.

A lire aussi: Les réponses de Gilles Cosson à la “crise de sens”

Aussi suis-je convaincu que l’injection de sens est une entreprise éminemment humaine, peut-être la plus humaine qui soit. L’être humain doit être introduit dans l’univers, et cette introduction passe par l’institution d’un sens qui doit d’abord lui être livré par ceux qui l’ont précédé, avant qu’il ne soit en âge d’y travailler lui-même et d’additionner son œuvre à l’édifice collectif. J’insiste encore : la demande instinctive de sens qui est inscrite en nous n’a rien d’un couronnement dispensable ; elle n’est pas au faîte d’une quelconque pyramide des désirs, elle est à la base, à côté du boire et du manger. Nous avons besoin de sens comme nous avons besoin de pain. Nos âmes aussi ont leurs estomacs ; partant, comment ne pas comprendre qu’elles ont aussi leurs famines ?

Théorie pascalienne des ordres

Pascal, dans ses Pensées, exposait et développait une conception tout à fait singulière de la tyrannie. La tyrannie, définissait-il, c’est un désir de domination hors de son ordre ; une volonté de régner hors ses frontières, d’imposer sa logique hors ses États. « On rend différents devoirs aux différents mérites : devoir d’amour à l’agrément, devoir de crainte à la force, devoir de créance à la science. On doit rendre ces devoirs-là, on est injuste de les refuser, et injuste d’en demander d’autres. Ainsi ces discours sont faux et tyranniques : « je suis beau, donc on doit me craindre. Je suis fort, donc on doit m’aimer […] » Et c’est de même être faux et tyrannique de dire : « Il n’est pas fort, donc je ne l’estimerai pas. Il n’est pas habile, donc je ne le craindrai pas. » »

L’apologète chrétien distinguait ainsi trois ordres : l’ordre de la chair, régi par la force – domaine des grands et des puissants – ; l’ordre de l’esprit, présidé par la science – apanage des génies et des savants – ; et enfin, l’ordre de la charité, dominé par la grâce – royaume des prophètes et des saints –. Dans le juste état des choses, chacun d’entre eux agit souverainement en son magistère, et sacrifie pour le reste aux exigences en vigueur. Chaque ordre est autonome, et évolue indépendamment des autres.

La tyrannie commence avec la méconnaissance de cette indépendance ; autrement dit, avec la colonisation d’un ordre par un autre, dénaturé par l’imposition d’une logique intérieure orthogonale à la sienne : monarque prétendant faire la police en matière de science, savant dicter sa loi en matière de foi religieuse, saint régner divinement en matière politique.

La pétrification mathématique de la vie

La famine actuelle des âmes se réinterprète alors aisément : elle est le corollaire mathématique de la tyrannie exercée par l’ordre de l’esprit sur l’ordre de la charité. A ce régime, Dieu chez Pascal, le sens, dans ma terminologie, dépérissent peu à peu. La science, en effet, ne secrète aucun sens : tout son objet, au contraire, consiste précisément à en reculer l’origine vers des amonts toujours plus lointains. Le sens requiert un dessein, une volonté, une aspiration ; la science ne chérit que les causalités implacables et aveugles, à l’indifférence inhumaine[tooltips content= »« Ô prisonniers, comprenez-moi ! Je vous délivre de votre science, de vos formules, de vos lois, de cet esclavage de l’esprit, de ce déterminisme plus dur que la fatalité. Je suis le défaut dans l’armure. Je suis la lucarne dans la prison. Je suis l’erreur dans le calcul : je suis la vie. Vous avez intégré la marche de l’étoile, ô génération des laboratoires, et vous ne la connaissez plus. » (Saint-Exupéry, Courrier Sud) »](1)[/tooltips].

A lire aussi, du même auteur: L’ère du ricanement

La science n’aspire pas au sens, elle ne vise que le congédiement du mystère, la pétrification mathématique de la vie. Ce que la science accroît, d’abord, c’est donc la prévisibilité de l’arbitraire ; et ensuite, évidemment, c’est l’arbitraire lui-même, à mesure que le sens est repoussé plus avant. Or, l’arbitraire n’est pas le sens, mais un milieu entre l’absurde et le sens – semblable au vide dont Pascal, dans sa correspondance avec le père Noël, faisait un milieu entre la matière et le néant -.

Extension du domaine de l’arbitraire

Aussi assiste-t-on, avec les progrès de l’ordre de l’esprit, et le recul de l’ordre de la charité, à une extension du domaine de l’arbitraire, et à un reflux corrélatif du sens. Bientôt, la « pensée calculante », pour parler comme Heidegger, finit par avoir raison de toute « pensée méditante ». Alors, comme le notait avec justesse Spengler, en 1931, dans L’homme et la technique : « On ne pense plus qu’en chevaux-vapeur. On ne regarde plus de chute d’eau sans vouloir la transformer en électricité ; on ne regarde plus d’enclos de troupeaux qui paissent sans penser à l’exploitation de leur stock de viande ». Bref, on ne croit plus qu’aux seules vertus de la logique et du nombre.

Or, rien n’assèche la profondeur, la beauté ou l’âme d’une chose comme un nombre. C’est en vain qu’un regard s’attarde ou qu’une attention s’aiguise contre lui, il n’y a rien à en pénétrer. Considérez seulement, si ceci ne vous parle pas, la différence d’humanité entre un nom et un code-barre, entre Jean et #105114. Sentez-vous l’abîme de sens qui sépare le premier du second ? L’odeur de presse qui accompagne le code-barre, la nécessaire dessiccation qui va de pair avec lui ?

La substitution de la logique à l’organique

Péguy écrivait, dans Notre Jeunesse : « Je suis épouvanté quand je vois […] combien nos jeunes gens sont devenus étrangers à tout ce qui fut la pensée même et la mystique républicaine. Cela se voit surtout, et naturellement, comme cela se voit toujours, à ce que des pensées qui étaient pour nous des pensées sont devenus pour eux des idées, à ce que ce qui était pour nous, pour nos pères, un instinct, une race, des pensées, est devenu pour eux des propositions, à ce que ce qui était pour nous organique est devenu pour eux logique […] On prouve, on démontre aujourd’hui la République. Quand elle était vivante on ne la prouvait pas. On la vivait. » [tooltips content= »Autrement dit : ce qui va de soi ne se problématise pas. Et on pourrait penser ici à toutes ces expressions délicieuses qui ont envahi notre quotidien : « vivre-ensemble », « faire société », … »](2)[/tooltips]

A lire aussi: L’abandon des chiffres romains par le Musée Carnavalet révèle le trouble dans la civilisation

Toute la précarisation contemporaine du sens se lit là, dans cette substitution systématique de la logique à l’organique : la science, donc l’arbitraire, a succédé à ce qui allait de soi[tooltips content= »On pourrait dire encore, avec Spengler : « l’irréligion scientifique a pétrifié la religion du cœur ». Dans cette pétrification, Spengler voyait d’ailleurs l’un des symptômes de l’entrée d’une culture en phase civilisationnelle terminale. »](3)[/tooltips]. Cependant, à l’époque de Péguy, les conclusions tenaient encore, parce que les prémisses, elles, restaient acquises. Les axiomes de base continuant d’être vécus comme des vérités organiques, on ne faisait jamais que redémontrer les évidences d’hier ; on accomplissait, pour elles, le même travail de retrempe qu’un Descartes, en son siècle, avait pu accomplir pour l’âme, ou l’existence de Dieu, dans ses Méditations.

Mais aujourd’hui, les prémisses elles-mêmes ne tiennent plus, par l’action de quelques demi-habiles bien intentionnés. Rien ne se présente plus que comme une construction sociale susceptible de faire l’objet d’une déconstruction en sens inverse ; et le moderne est laissé seul à se débattre avec ce sentiment envahissant que tout, absolument tout, n’est jamais qu’arbitraire. On comprend mieux, dès lors, la fuite contemporaine devant la pensée méditante, la passion à aller s’abrutir dans quelque divertissement. « Je ne pense pas toujours, donc je ne suis pas toujours triste », écrivait en substance Cioran. Un tel aphorisme nous parle : il est la marque d’un monde dans lequel l’hébétude est plus heureuse que la lucidité. Pas de doute, donc, il s’agit bien du nôtre…

Faut–il en finir avec le Rapport Stora?

0

Pour l’historien Jean Monneret[tooltips content= »Spécialiste de l’Algérie française, il a publié en 2020 Dissidence – Dissonance, Contre la désinformation sur la guerre d’Algérie« ](1)[/tooltips], le rapport de Benjamin Stora enfonce un peu plus une France qui devrait forcément être « plurielle » dans le carcan pénitentiel. Analyse


Commencée en 1830, achevée en 1847, la Conquête de l’Algérie suscita en France un clivage entre « colonistes », soutenant l’entreprise et « anticolonistes » la combattant. Il s’est presque maintenu jusqu’à nos jours. En un premier temps, spécialement sous le Second Empire, l’Algérie fut tenue pour un territoire musulman n’ayant pas vocation à s’assimiler à la France. Après la chute de l’Empire en I870 et l’avènement de la troisième république, les dirigeants français, conduits par idéologie jacobine à négliger les identités religieuses et culturelles, firent de l’Algérie une extension du territoire métropolitain. L’empire colonial exalté et porté par Jules Ferry devint, pour la France amputée de l’Alsace-Lorraine, le moyen d’opposer cent millions d’hommes à la menace prussienne. Dans l’opinion, la réticence envers la colonisation demeura néanmoins latente.

Dans l’entre-deux-guerres, la mystique coloniale fut vivace tandis que les opposants se recrutaient de plus en plus à gauche. En 1945, l’influence du marxisme, dans les milieux intellectuels et à l’université, conforta cette hostilité. Les œuvres de Charles-André Julien (né en 1891 et mort en 1991, cet historien et journaliste, spécialiste de l’Afrique du Nord et militant anticolonialiste, a enseigné entre autres à Sciences-Po Paris, à l’ENA) et de Charles-Robert Ageron (né 1923 et mort en 2008, cet professeur d’Histoire à l’université de Tours, spécialiste de la colonisation française en Algérie est aussi un chrétien de gauche, proche de la revue Esprit et l’un des premiers à critiquer la torture) constituèrent un point d’équilibre, car, tout en centrant leurs analyses sur l’Algérie, « perle de l’empire » et en affirmant leur vision anticoloniale, ces historiens surent ne pas transiger avec les faits établis et écarter toute propagande.

L’anticolonialisme repentant domine depuis des décennies

En 1954, l’entrée dans un conflit armé en Algérie alimenta tant le vieux fonds anticolonial que la mystique impériale, confortée par le récit du rôle joué par l’Empire durant la lutte contre le national-socialisme. Dans le camp opposé, l’anticolonialisme fut également stimulé et trouva dans la dénonciation de la torture un aliment intarissable.

Après l’indépendance de l’Algérie en 1962, un silence se fit. Seul le cinéma produisit des œuvres généralement pro-indépendantistes et hostiles à l’Armée française. Il fallut attendre les années 1990 pour voir renaître les recherches sur la période coloniale et le conflit algérien. Entre temps, l’anticolonialisme était devenu dominant tant à l’Université que dans les médias.

Benjamin Stora et Emmanuel Macron, janvier 2021 © Christian Hartmann/AP/SIPA Numéro de reportage : AP22544838_000001
Benjamin Stora et Emmanuel Macron, janvier 2021 © Christian Hartmann/AP/SIPA Numéro de reportage : AP22544838_000001

En 1992, les archives militaires s’ouvrirent conformément à la règle de la prescription trentenaire. Benjamin Stora se fit un nom vers cette époque. Son téléfilm Les Années Algériennes sortit en septembre 1991. Les grands medias le désignèrent comme le meilleur spécialiste de l’Algérie.

Plusieurs de nos présidents se crurent obligés de lui demander son avis. Récemment, et pour ne pas déroger à ce qui devient une règle, Emmanuel Macron consulta Stora. Il lui commanda un rapport sur l’état des conflits mémoriels entre la France et L’Algérie Sa lettre de mission lui donnait comme objectif de «réconcilier le peuple algérien et le peuple français ». C’était beaucoup demander. Stora s’est contenté d’inventorier les revendications mémorielles des uns et des autres. Il les a assorties de préconisations. Seize pour apaiser la partie algérienne dont quelques-unes carabinées et huit, moitié moins, pour la partie française. Dans sa lettre de mission, Emmanuel Macron faisait allusion à « un chemin à parcourir en France » concernant la colonisation.

A lire aussi, Bernard Carayon: Mort de l’avocat du FLN Ali Boumendjel: un absurde mea culpa

Le document ouvre donc un épisode plutôt franco-français. Nous allons montrer qu’il conduira à une repentance qui n’osera pas dire son nom. A sens unique, comme souvent avec l’Algérie.

Alger fait la sourde oreille

Présenté par son auteur et le commanditaire présidentiel comme un texte destiné à réconcilier les peuples algérien et français le Rapport Stora est un leurre pour une raison simple : il n y a pas de contentieux entre ces peuples, lesquels se  soucient comme d’une guigne des prétendus conflits mémoriels qui les opposeraient. Nos yeux se sont ouverts, une première fois, lorsqu’un porte-parole des autorités algériennes a affirmé que le Rapport ne les concernait pas. De plus, un haut fonctionnaire algérien, questionné sur ce texte et la libre circulation en Algérie des enfants de harkis, qu’il suggère de faciliter répondit, avec une morgue caractéristique, qu’il ne fallait rien attendre sur ce point. Ceci signifie qu’il est vain d’attendre que ce texte débouche sur on ne sait quelles conversations avec l’Algérie. Il n’y en aura pas. Les Algériens ne sont pas demandeurs. Ils attendent « des excuses » pour la colonisation. Point.

Nous fûmes confortés en ce sentiment par l’article de Bérénice Levet dans Valeurs Actuelles du 4 février dernier. Celle-ci signale qu’à peine M. Macron avait-il indiqué que la République ne « toucherait pas aux statues », car, on ne choisit pas « une part de l’histoire de France, on choisit la France », qu’il nommait Pascal Blanchard à la tête de la commission chargée d’attribuer statues et noms de rue à des héros issus de l’immigration. Or, Blanchard est un anticolonialiste invétéré. M. Blanquer, Ministre de l’Education, s’est récemment inquiété du crédit dont jouissent les thèses « indigénistes » et décoloniales dans nos Universités. Gageons que cette nomination a dû l’enchanter. Conseillons lui donc, à titre de consolation, la lecture de L’imposture décoloniale de Pierre-André Taguieff.

Et si le but ultime de la publication Stora était tout simplement de favoriser une relecture anticoloniale de l’Histoire de France contemporaine ? Certains objecteront que tel n’est pas le dessein du Président. N’a-t-il pas précisé dans sa lettre de mission à Stora que: « Ce travail de mémoire et de vérité [nous devrons] le mener avec courage et un esprit de concorde, d’apaisement et de respect de toutes les consciences » (Page 9) ? Disons que la nomination de Blanchard ne va pas exactement dans ce sens. Notre président est passé maître dans l’art d’affirmer une chose et son contraire.

Ainsi, dans un entretien accordé à L’Express qu’analyse Madame Levet, il déclare ne pas être partisan du multiculturalisme, Mais, tout est là, il dit croire à une politique « de la reconnaissance des identités ». Lui qui a proclamé jadis, tout benoîtement, qu’il « n’y avait pas de culture française » compare aujourd’hui cette dernière « au fleuve principal » flanqué bien entendu « de ses affluents ». Voilà qui paraîtra bien innocent à certains. Qui ne voit pourtant que le modèle français qui faisait de notre langue, de notre histoire, de notre littérature, de notre mode de vie, le seul ciment du peuple a vécu ? C’est là une révolution culturelle.

Multiculturalisme et repentance se nourrissent

Comment se situe le Rapport Stora dans cette confusion? Pour répondre valablement à cette question, il faut d’abord fermer les yeux et imaginer. Imaginons que les préconisations les plus corsées de Stora soient retenues :

a/ Commémoration de la journée du 17 octobre 1961.

b/ Identification des lieux d’inhumation des condamnés à mort exécutés. (Lesquels deviendraient illico des lieux d’hommage et de commémoration).

c/ Transformation des lieux d’assignation à résidence en France métropolitaine en lieux de mémoire.

d/ Organisation d’un Colloque international d’hommage aux opposants à la guerre d’Algérie ; Mauriac, Mandouze, Ricœur, Sartre etc…

e/ Panthéonisation de Gisèle Halimi, grande dénonciatrice de l’Armée française.

Ceci serait un chef d’œuvre de désinformation ; le mot repentance ne serait pas utilisé mais la chose serait partout. Le Monde a récemment publié un article saluant la suggestion que soit publiée une liste d’Algériens musulmans disparus pendant le conflit. (Du fait des activités de l’armée française bien sûr. Une liste des harkis disparus ne présenterait sans doute pas le même intérêt pour les auteurs). Le journal indiquait qu’une telle publication vaudrait « reconnaissance « (sic). Le GRFDA (Groupe de Recherche des Français Disparus en Algérie créé en 2002), qui n’arrive toujours pas à donner un statut officiel à sa liste d’Européens disparus du fait du FLN, appréciera.

Quel rapport avec le multiculturalisme dira-t-on ? Très simple : multiculturalisme et repentance se nourrissent l’un l’autre. Si d’autres cultures doivent s’affirmer en France, il faut que la culture traditionnelle, canal historique, des Français autochtones s’amoindrisse. Il se trouvera bien un phraseur disponible pour dire que le fleuve n’est rien sans les affluents. Du moins est-ce ce que pensent nos élites: la France, nation éminemment coloniale doit purger son passé, pour pleinement vivre son avenir pluriel.

A lire ensuite, Loris Chavanette: La question algérienne: un procès à charge qui ne dit pas son nom

Désormais, il suffira à M. Macron de mettre en application les préconisations les plus « saillantes » du Rapport Stora pour modifier d’importance la perception que les Français ont de la Guerre d’Algérie et de la période dite « coloniale ». C’est là tout l’objectif de l’opération. Il ne s’agit pas d’apaiser les hiérarques d’Alger, ni d’entamer on ne sait quels négociation ou échanges culturels. Il s’agit d’enfoncer un peu plus la France dans le carcan pénitentiel. Sans le dire bien sûr et sans jamais prononcer les vilains mots qui fâchent.

La chose pour l’instant est loin d’être faite. Mais tout se met déjà en place. Certes, il ne suffira pas de solenniser certaines dates et de criminaliser certains épisodes. Il faudra le faire en profondeur et dans la durée. Très logiquement, le Rapport Stora prévoit donc de s’attaquer aux manuels scolaires. Et, non moins logiquement, de mettre à contribution l’industrie des images, films et séries télévisées. Or, ce sont là des armes de destruction massive des mémoires, des identités, comme de la discipline historique.

Un ARTE franco-algérien pour formater les esprits

Une « réconciliation des mémoires » peut paraître aujourd’hui un mot d’ordre militant, absurde et sans rapport avec une conception rationnelle et scientifique de l’Histoire. Aussi, tout le problème du tandem Macron/Stora est-il d’y arriver progressivement. La référence du Rapport à la « circulation des images, qui mènerait à des représentations réciproques (sic), à des ouvertures mutuelles » (resic.page 103) est tout sauf accidentelle. La suggestion de créer un ARTE franco-algérien (Page104) va dans le même sens. Le formatage des esprits s’imposerait ainsi, peu à peu, et mènerait, non pas certes à l’Histoire, mais à une « similihistoire » de style hollywoodien. Pour se rendre compte du résultat prévisible, il suffit de repenser à la représentation télévisée des Chevaux du Soleil de Jules Roy, il y a trente ans. Elle tourna à l’acte d’accusation implacable contre l’Algérie des Français.

D’ailleurs M. Stora enfonce le clou: « L’outil audiovisuel est un instrument décisif pour la préservation (comprendre destruction) des mémoires et le passage à l’Histoire, pour des tentatives de rapprochement entre la France et l’Algérie » (page 104). Il n’oublie qu’un « détail » : pour le passage à l’Histoire, il faudrait un ingrédient supplémentaire à savoir que toute l’opération soit basée sur la recherche de la Vérité. Là, il s’agira d’imposer une vision préétablie, partielle et partiale[tooltips content= »En 2012, on vit à la télé un biopic sur Toussaint Louverture. Il comportait quelques épisodes non-historiques pour le corser. Ainsi fut-il affirmé que la sœur du héros avait été violée par des marins européens. Ceci fut critiqué par des journalistes et des historiens. L’auteur eut cette réponse mémorable : « La vérité idéologique prime la vérité historique ». »](2)[/tooltips]. Il n’y aura, comme d’habitude, qu’un seul son de cloche : celui des anticoloniaux de choc, des progressistes, des décolonistes. D’ailleurs, Benjamin Stora est trop militant et trop engagé pour ne pas se trahir sur ce point comme il le fait page 103: « L’aventure coloniale dans les origines de la conquête, dans ses injustices et son fonctionnement inégalitaire n’a pas vraiment hanté le cinéma français ». Il va donc y remédier. Inutile de demander le programme, chers amis. Nous le connaissons déjà: injustices, inégalités. Point à la ligne. Voilà l’Algérie que l’on nous montrera. Inutile de chercher la vérité elle est déjà toute trouvée.

Nous sommes bien loin de Charles-André Julien et son disciple Charles-Robert Ageron, directeur de thèse d’un certain…Benjamin Stora ! Qu’on nous comprenne bien : nous n’avons rien contre le 7ème Art. Au contraire. Mais compte tenu de l’état actuel du cinéma français, où le contrôle étroit des contenus idéologiques et politiques est la règle, on peut redouter que l’objectivité ne soit guère le souci principal. Il est à craindre que ne se fasse attendre l’équivalent d’un Steven Spielberg avec La Liste de Schindler. En revanche, les navets de choc du style Hors-la-Loi de Bouchareb risquent de foisonner. Désastre annoncé.

Dissidence Dissonance: Contre la désinformation sur la guerre d'Algérie

Price: 21,00 €

7 used & new available from 19,00 €

Rencontre avec Nicoletta

0

Nicoletta: «La seule Blanche avec une voix de chanteuse noire»


Ainsi parlait Ray Charles à propos de chanteuse mythique de la variété française qui sort un livre sur ses 50 ans de scène. Rencontre avec la Soul Sister…

Peu importe les paroles, une chanson de Nicoletta est une page blanche où se jouent nos souvenirs. Elle a mis des mots, des sonorités, des rythmes et une gestuelle sur nos fringales buissonnières. De Mamy Blue à Fio Maravilla, ses tubes ont traversé les générations. Ce n’est pas si fréquent.

«On ne joue pas avec toi, car ta mère est folle» lui disait-on à l’école. «Ma mère était déficiente mentale, elle avait le cerveau d’une petite fille de 8 ans, je lui ai appris à écrire, je lui faisais faire de la copie, je lui faisais dire tutu, titi, toto, tata… Vers 13, 14 ans c’est moi qui suis devenu sa petite maman». Comme tout un chacun, elle se construit par ses manques et comprend que le bonheur et le malheur sont frères jumeaux. On pense à la légendaire réplique d’Orson Welles: «En Italie, pendant les trente-cinq ans de règne des Borgia, il y a eu la guerre, la terreur, des crimes, du sang versé, mais cela a donné Michel Ange, Leonard de Vinci et la Renaissance. En Suisse, il y a eu l’amour fraternel et cinq cents ans de démocratie et de paix …. et qu’est-ce que ça a donné ? La pendule à coucou !». Elle a été conçue sous une vigne un 14 juillet d’un père inconnu: «A 8 ans, ma petite marraine, la boulangère du village me dit: – Tu sais, celui-là, dans la maison d’en face, c’est ton père.  Le lendemain matin, je croise cette silhouette et lui dis bonjour. Il m’a répondu une chose merveilleuse: -Et merde !» En une phrase, elle avait tué le père! Résister aux fantômes, c’est aussi devenir soi-même.

Elle grandit chez les bonnes sœurs dans une France de clochers, de chaumières et de calvaires semés aux carrefours des chemins. «J’ai raté ma fugue pour une raison de dénivellement auvergnat… tu cours, tu cours, tu crois qu’il y a un autre versant, et non tu te pètes la figure, ma copine s’est cassée la cheville ».

Sa jeunesse conjugue au futur simple les ambitions les plus déraisonnables et elle devient une jeune femme impétueuse, incertaine, invivable sans doute, mais qui au moins ne doute pas de son destin.

A lire aussi: Rendez-nous Eddie Barclay!

«Je suis arrivée à Paris, je me suis fait déposer au Flore, puis j’ai été dame pipi au King’s club.» C’est pour elle la découverte abrupte que l’humanité est animalité, mais aussi qu’au-delà d’une tristesse sourde, existent ces moments de grâce, de désespoir et d’érotisme, cette sensation unique d’un voile opaque qui se déchire: bref, cette révélation soudaine de ce qu’est la vie, ses saloperies et ses épiphanies.

«Une nuit, au King’s club, j’ai croisé Richard Bennett, le directeur artistique de Nino Ferrer. J’ai chanté «Loving you» d’Elvis. Il n’en croyait pas ses oreilles. Immédiatement il m’a fait signer un contrat de six mois avec une succursale de Barclay.» Elle se rappelle alors cette petite phrase insolente qui avait hanté sa jeunesse: «Tout est possible». Elle voulait faire de sa vie une chevauchée impromptue, comme une aventure: «Mai 1965: mon premier 45 tours sort, le succès fut immédiat, 60 000 ventes en quelques semaines, avec Mireille Mathieu, nous marquions le grand retour des chanteuses à voix. »

 Adamo, Johnny, Claude François… et Ray Charles

D’octobre 67 à mars 68, Nicoletta fait la première partie d’Adamo, avec un autre débutant, Michel Fugain. «Adamo m’a appris à respecter les gens, à m’assoir, à faire des dédicaces.» Beau voyage de bringues, sur les routes françaises, à l’aurore de jours nouveaux. Nicoletta aime cette tournée, cette familiarité douce qui s’insinue entre les choses.

Nicoletta fait ensuite la première partie de Johnny. «Dès que j’arrivais, le public scandait son nom avec une telle force que je perçois encore l’écho de cette foule en délire dans mes oreilles: Johnny! Johnny! Johnny… » Durant les concerts, les filles hurlent comme à quinze ans, elles aiment cette véhémence qu’insuffle le rythme, ces fringales de paroxysme, ces invitations à la fugue. Elles brûlent comme des torches devant les coups de gueule et les coups de reins.

Nicoletta nous raconte ce jour de première partie de Claude François: «Je fous presque mes tripes dans le micro, tellement j’avais mal au ventre pour chanter, ma voix était toute serrée à l’intérieur, je n’avais plus d’aisance respiratoire, j’étais paniquée… Claude François m’a coupé l’écho, tous les effets qui améliorent la voix, j’en pleurais en sortant de scène, j’entendais les gens dire -Ah Nicoletta, c’est pas la voix du disque. »

«La radio ne voulait même pas d’«Il est mort le soleil», une nuit Ray Charles m’appelle pour la reprendre et la chanson est traduite en 140 langues. Il m’emmène dans les bars à putes de Harlem. Elles le touchaient et l’appelaient Genius; tous les taxis avaient peur et aucun ne s’arrêtait; on marchait avec chacune Ray Charles dans un bras en manteau turquoise de cuir d’Astrakan». Marcher avec Ray Charles: divaguons un peu …. L’air est tiède… le jazz frelaté… mais on déambule sous la dentelle des balcons, quelque chose du Deep South flotte encore…

Une garçonnière pour Delon et un mariage de trois heures avec Ronet

L’appartement de Nicoletta fait office un temps de garçonnière pour Alain Delon, après sa rupture avec Nathalie. «Quand je reviens chez moi, la concierge me raconte: «Oh ce monsieur Delon… Elle était bien la petite blonde, la petite brune, la petite rousse.» Pour Nicoletta, Delon est resté un infidèle qui aspire à la constance, un cynique tendre, un écorché vif.

A lire aussi: Marielle, Broca, Belmondo: le beau recueil nostalgique de Thomas Morales

«J’ai aussi été mariée trois heures avec Maurice Ronet chez Castel, pour rire. Ronet, je l’ai vu en mai 68, le whisky à la main, en costume trois pièces sur les barricades hurlant «Vive le Général! Vive la République»… Que dire de ce suicidé perpétuel, condottiere désabusé, tué deux fois par Delon, feu follet passionné par l’OAS, les chants grégoriens, Dominique de Roux et les varans de Komodo?

1983: Bernard Lavilliers désespère de trouver une choriste avec qui marier sa voix pour Idées Noires: «D’emblée j’adorais, mais je me dis: si tu mets ta grosse voix là-dessus tu vas fracasser la sienne. Très rapidement, j’ai trouvé la solution en sautant une octave dans ma partie musicale et, ô miracle, ma voix devint fine et légère, car elle était en voix de tête.» Le succès fut immédiat: 1 million d’exemplaires! Commence alors une amitié avec cet explorateur des confins, chevaucheur de chimères, conquistador de l’inutile avec l’ombre de Nicoletta pour seul parachute. Et toujours cette envie d’être ailleurs, implacable, d’effacer ses propres traces.

«En 1995, j’ai décidé de faire un virage à 180 degrés: partir sur les routes de France avec une chorale de gospel à travers les églises et les cathédrales de France. » Dieu sera au rendez-vous, ou pas. Quand sonne l’angélus, la France des clochers regarde le ciel, et les étoiles qui s’y allument ne sont pas de chez nous, mais d’une contrée sans frontières. Encore faut-il des clochers pour que ces épousailles du sol et du sens soient fécondes.

45 millions de disques vendus

Comment résumer 45 millions de disques vendus ? Nicoletta a tout connu, tout regardé, au long des continents, avec ses yeux intrépides, et ce toucher subtil qui laisse pourtant glisser entre ses doigts le sable du temps. Autant de chansons de Nicoletta, autant d’égéries dégustées, effleurées ou rêvées, autant d’ambitions déçues, d’exaltations qui tournent court.

Et quand elle entonne encore aujourd’hui Mamy Blue, c’est un autre moi qui naît chez celui qui écoute, un autre moi venu d’on ne sait où, un moi qui communie dans la soul la plus pure.

Nicoletta invitée de Simon Collin dans l’émission les Clochards célestes sur YouTube

 

25 mars 1821 – 25 mars 2021

Qui donc, quel blasphémateur, quel Croisé peu au fait du destin islamique de l’Europe a chanté «Le vrai Dieu sous ses pieds foulant le faux prophète»? 

Et à quelle occasion ?

Le 25 mars 1821, Germanós, évêque de Pátras (au nord du Péloponnèse) lance — ainsi dit la légende : « La race impie des Turcs a comblé la mesure des iniquités ; l’heure d’en purger la Grèce est arrivée » — et il bénit le premier étendard de la liberté portant la croix blanche sur fond bleu.

Que croyez-vous que firent alors les gouvernements européens ? Ils condamnèrent cette atteinte aux droits sacrés des sultans qui depuis 1453 empalaient, crucifiaient et massacraient les Grecs. Metternich, le ministre autrichien qui par le Congrès de Vienne en 1815 avait établi un ordre européen monarchique, ne voulait pas qu’une insurrection démocratique donnât des idées aux divers peuples du continent — idées qui ont quand même éclos à partir de 1848, avec ce que l’on a appelé le Printemps des peuples.

Traditions turques

Pourquoi le 25 mars ? C’est le jour retenu par les scoliastes pour fêter l’Annonciation (soit neuf mois avant la naissance du Christ). C’est par ailleurs une date symbole dans la tradition chrétienne, premier jour de la création du monde, anniversaire de la chute d’Adam et Ève, de la mort d’Adam, du sacrifice d’Isaac, de la mort du Christ sur la croix, — et du Jugement Dernier, qui reste à venir.

A lire aussi: Affaire PSG/Basaksehir Istanbul : l’UEFA confirme que les arbitres n’ont rien dit de raciste!

Les agnostiques savent, eux, que c’est la date de l’équinoxe de printemps dans le calendrier latin.  Les grands événements religieux se sont coulés dans les traditions qui les ont précédés — tout comme la naissance du Christ a été fixée à la nuit la plus longue de l’année, en déplaçant quelque peu l’événement.

Les Turcs donc tenaient la Grèce d’une poigne de fer. L’humour ottoman consiste à empaler d’abord et à interroger ensuite. Et si Hugo (c’était lui, le blasphémateur cité en tête de cette chronique) parle globalement de l’Afrique, c’est que l’empire ottoman allait du désert de Gobi à la pointe extrême de l’Algérie actuelle, et couvrait tout le Moyen-Orient. Erdogan, en s’installant en Syrie ou en Libye, en revendiquant les fonds pétrolifères de la mer Egée, cherche à reconstituer cet empire qui a volé en éclats après le Traité de Sèvres en 1920. En appuyant l’Azerbaïdjan contre l’Arménie (un tic chez les Turcs) ou en massacrant sans trêve les Kurdes, il s’inscrit dans la même tradition.

Si les rois installés sur des trônes incertains après la fin de l’Empire se montraient conservateurs, il n’en fut pas de même pour les peuples, et surtout pour la frange intellectuelle et philhellène, comme on disait alors, ces jeunes gens passionnés qui revendiquaient l’appellation globale de Romantiques. Hugo s’enflamma, Byron paya de sa personne et s’engagea dans ce qui était une ébauche de Brigades Internationales — pour aller mourir finalement à Missolonghi, tué par des médecins besogneux : le soir de sa mort éclata un immense orage, signe que le poète était parti, dirent les Grecs, qui ont conservé quelques réflexes de l’époque polythéiste.

À Strasbourg, une mosquée à l’initiative Millî Görüs crée la polémique

La libération de la Grèce n’alla pas de soi. Les Turcs se livrèrent à des massacres, à Chios et ailleurs, qui indignèrent encore plus les Romantiques. Delacroix en fit un tableau saisissant. Précisons qu’une grande partie des populations insurgées fut effectivement massacrée, mais que bien plus nombreux furent les Grecs réduits en esclavage. Parce que les Turcs, comme les Arabes qui leur avaient communiqué l’islam, étaient des esclavagistes bien plus systématiques que les Occidentaux — et ils le restèrent bien plus longtemps.

Les puissances européennes n’appuyèrent les insurgés que lorsque leurs progrès furent évidents — surtout sous la pression russe, assez encline à soutenir des Orthodoxes. La marine franco-russo-britannique écrasa la flotte turque à Navarin en 1827, les Russes attaquèrent au nord, le pacha cerné de toutes parts reconnut l’indépendance de la Grèce en 1832. Plus de dix ans de guerre et des centaines de milliers de morts.

A lire aussi, Jean-François Colosimo: «Erdogan est le vrai successeur d’Atatürk»

Pourquoi penser à cela ? Eh bien parce que…

– nous sommes le 25 mars ;

– le Parlement européen a fait de son mieux, depuis 2008, à l’instigation des Allemands qui ont un vieux compte à régler avec la Grèce depuis 1944, pour écraser la Grèce sous des restructurations économiques impitoyables ;

– et à Strasbourg la mairie à tendance verte a décidé d’allouer une subvention de 2 563 000 euros pour la construction de la plus grande mosquée européenne, une mosquée turque appelée Eyyub Sultan, à l’initiative d’une organisation turque, Millî Görüs (qui a refusé de signer la charte pour un islam de France — des progressistes, sûrement), avec des capitaux turcs pour l’essentiel. Tout cela sur le dos du Concordat de 1802 qui a donné à l’Alsace un statut inspiré du Droit allemand qui permet de financer des lieux de culte avec des deniers publics.

Précisons qu’en même temps, la majorité strasbourgeoise, fort critiquée aussi bien par LR que par LREM, a refusé de voter une résolution proposée par l’Alliance de la mémoire de l’Holocauste. Antisémites un jour, antisémites toujours. Après tout, le vert est la couleur commune aux écolos et à l’islam.

Bret Easton Ellis a vu venir la cancel culture depuis longtemps

0

Entretien avec Olivier Amiel, auteur de Voir le pire: L’altérité dans l’oeuvre de Bret Easton Ellis remède à l’épidémie de supériorité morale (Les Presses littéraires)


À travers une littérature singulière, alimentée par la violence, la star américaine Bret Easton Ellis a dépeint une Amérique riche et qui s’ennuie. Dans son petit essai publié ces jours-ci, notre contributeur perpignanais Olivier Amiel passe en revue l’ensemble des romans du provocateur et y voit la préfiguration de la cancel culture, et de la terrible fragmentation qui affecte aujourd’hui l’Amérique – les militants pro-Trump les plus radicaux sont allés jusqu’à envahir le Capitole! Amiel voit dans l’œuvre de l’écrivain un plaidoyer en faveur de l’altérité.

Malheureusement, la génération X, aguerrie au débat, s’efface actuellement devant l’intransigeance des millenials, et l’altérité vue comme empathie et mise en danger de soi pour mieux comprendre l’Autre disparait. Bret Easton Ellis ne remet pas en cause le combat passé pour lutter contre les discriminations raciales ou sexuelles. Il ne dit pas non plus que les antifascistes sont les nouveaux fascistes, mais… il constate que des combats sont dévoyés et conduisent aujourd’hui à une nouvelle discrimination contre ceux qui ne vont pas dans le sens de l’idéologie dominante (mépris, trolling sur les réseaux sociaux, appels au boycott etc.).

Causeur. En sous-titre sur la couverture de votre livre[tooltips content= »Voir le pire: L’altérité dans l’oeuvre de Bret Easton Ellis remède à l’épidémie de supériorité morale, Les Presses littéraires, 2021″](1)[/tooltips], vous mettez en exergue une épidémie qui n’est pas celle dont nous parlent les journaux quotidiennement. De quoi s’agit-il?

Olivier Amiel. Je reprends l’expression utilisée par Bret Easton Ellis dans son essai White en 2019 d’une « épidémie de supériorité morale ». C’est-à-dire une idéologie dominante et faussement bienveillante, qui dégouline de bons sentiments avec un discours victimaire et surprotecteur des offensés de tout poil. Ce mouvement militant a la particularité d’être porté par des personnes s’autoproclamant « progressistes » et pensant avoir seules la vérité face aux autres forcément « fascistes ». Sauf que pour imposer leur vision du monde, ils n’hésitent pas à agir eux-mêmes comme les vrais fascistes allant jusqu’à vouloir interdire, bannir, censurer, effacer, les idées, les œuvres et même les individus qui ne pensent pas comme eux. C’est la fameuse « Cancel culture ».

olivier amiel perpignan gitans
Olivier Amiel

Pourquoi relire l’ensemble de l’œuvre de Bret Easton Ellis est nécessaire dans notre époque troublée? Quelle clé y trouvera-t-on et par quel roman commencer?

On peut commencer par n’importe lequel de ses livres. Lire ou relire Bret Easton Ellis me semble en effet opportun dans notre époque fragmentée et polarisée, car on retrouve dans toute sa bibliographie le principe de l’altérité, c’est-à-dire le rapport que nous avons avec « l’autre ». Ça peut être une source d’affrontement et d’opposition car on rejette instinctivement ce qui est différent, mais ça peut surtout être une source d’enrichissement et de dialogue. La lecture des romans de Bret Easton Ellis permet de mesurer et de tester notre altérité. Il joue beaucoup avec le lecteur par divers moyens : les mises en abyme, les fantasmes meurtriers, le courant de conscience[tooltips content= »Une technique narrative et introspective NDLR »](2)[/tooltips]… Toujours dans le but de nous forcer à nous mettre à la place de « l’autre » et ainsi tenter de le comprendre, voire au moins l’accepter. C’est une vraie leçon de nuance dans une époque où au contraire et paradoxalement, l’idéologie dominante et intolérante tente d’imposer sa vérité manichéenne au nom de l’altérité…

A lire aussi: Selon le «New York Times», Napoléon était un… suprémaciste blanc!

Vous voyez dans American Psycho (roman publié en 1991, adapté au cinéma en 2000) un signe avant-coureur de la cancel culture que nous subissons de nos jours, et que vous pourfendez. Pourquoi?

C’est vrai, ce roman qui est une satire de la décennie 1980, des années « fric », décrit en détail les obsessions et les crimes d’un trader de Wall-Street le jour, qui devient psychopathe sanguinaire la nuit. Avant sa sortie, des extraits ont été publiés et ont suscité des appels au boycott du livre et même des menaces de mort contre son auteur, en particulier de la part d’associations féministes. La maison d’édition Simon and Schuster refuse même de sortir le livre. Ce sera le plus grand best-seller de l’auteur qui est édité depuis par Knopf. Cette campagne de dénigrement rappelle ce que des œuvres ou des artistes connaissent quasiment quotidiennement depuis quelques années au nom du bannissement par la cancel culture de tout ce qui est satirique ou ironique par peur de froisser des sensibilités de plus en plus grandes. Si on voit déjà avec American Psycho des groupes de pression tenter d’ « effacer » une œuvre culturelle, ce qui a changé aujourd’hui, ce sont les outils mis à la disposition des censeurs et des organisateurs de boycott, notamment avec les réseaux sociaux.

« Bien malin celui qui peut vraiment dire de quel bord politique est Bret Easton Ellis » écrivez-vous. Votre auteur fétiche pourrait donc avoir glissé un bulletin Biden dans l’urne, selon vous?

On sait seulement comme il le rappelle que la gauche a été son « côté de l’allée de l’église » mais qu’il ne la reconnaît pas dans sa tendance intolérante et se sentant moralement supérieure aux autres… C’est l’hystérie contre l’élection de Trump qui l’a conduit définitivement à prendre ses distances avec une idéologie sectaire, donneuse de leçon aux couches populaires et portée pourtant par les plus privilégiés de la société. Il ne partage pas non plus leur obsession identitaire et victimaire sur la race, le genre, l’orientation sexuelle, la lutte contre les discriminations ne pouvant pas justifier une réduction des individus à une partie de leur identité, ni la régression d’une liberté d’expression muselée. Il a suffi qu’il exprime une position nuancée pour qu’on le catalogue immédiatement comme « Trumpiste » alors qu’il a expliqué ne même pas avoir voté en 2016… Il y a une véritable polarisation des idées actuellement qui vous assigne à votre identité, à ce que vous votez, et vous isole des autres, de ceux qui ne pensent pas comme vous.

Quel est votre roman préféré de cet auteur? N’a-t-il pas tendance à se répéter ? Quels thèmes aimeriez-vous le voir aborder dans de prochains ouvrages?

J’ai un faible pour Lunar Park (2005) une fausse autobiographie, vrai exercice de style métafiction qui traite avec beaucoup d’émotion de la question des liens familiaux et de la paternité. L’auteur a son propre univers, donc on retrouve forcément chez Bret Easton Ellis certains « gimmicks » : des décors, des personnages, des milieux dépeints, ainsi que des clins d’œil récurrents par exemple aux morceaux d’Elvis Costello, à la drogue, aux lunettes de soleil… Je n’attends pas un thème particulier dans un prochain livre de Bret Easton Ellis, mais j’espère une nouvelle expérience d’inconfort, de remise en cause, d’altérité en somme.

Le péril d’une « intifada » à la française


«Jeunes», «incivilités», «violences urbaines»: toutes ces expressions de la novlangue technocratique de gauche servent à masquer une réalité qui est l’intifada, parfois larvée, parfois explosive, menée par une partie de la jeunesse musulmane, issue de l’immigration, contre les agents des institutions de la République.


L’identification aux Palestiniens en lutte contre l’occupant israélien n’est pas un hasard: le combat est le même. Il fait rage en France, mais aussi dans d’autres pays européens.

Traumatismes choisis

La «peste émotionnelle» est une formule du psychiatre Wilhelm Reich qui désigne parfaitement cet enchevêtrement de peurs collectives, de rancœurs ressassées, d’histoires mythiques et de traditions orales enseignées depuis le plus jeune âge, qui constituent la source véritable du conflit ou, tout au moins, l’information qui permet de le faire durer indéfiniment. En effet, la réalité n’est pas constituée, comme on le pensait au XIXème siècle, seulement de matière et d’énergie, mais aussi pour une bonne part d’information. On ne doit pas négliger l’importance de cette information transmise par les symboles, les récits déformés et tendancieux de l’histoire, les propagandes, et les religions dans leur version instrumentale. La mise en avant des faits, des fautes et des erreurs de l’histoire alimente l’esprit de revanche et la crispation sur les « traumatismes choisis » et entraîne le rejet de l’autre et sert de prétexte à une culture victimaire fondée sur les préjugés et les blessures transmises.

A lire aussi: Le Danemark va limiter drastiquement le nombre de “non-Occidentaux” dans les quartiers

Contrairement à ce qu’on dit parfois, ce ne sont pas seulement la pauvreté, la misère, le chômage, le désespoir qui sont à l’origine de la violence et du fanatisme, mais plutôt un sentiment de vide intérieur qui finit par trouver une forme de résolution dans une idéologie. Le vrai problème vient donc de la violence et la destructivité. Considérer l’autre groupe comme essentiellement inhumain, monstrueux et mauvais par essence, c’est lui dénier le droit à l’existence. L’idéologie religieuse sert de prétexte à cette violence.

Il serait indispensable de s’intéresser à l’état réel de cette jeunesse, fer de lance de cette « intifada », y compris dans ses aspects psychopathologiques. Il serait important de regarder de plus près ce qui se passe dans les familles, entre les parents et les enfants, les frères et les sœurs, à ces enfants agressifs et autoritaires, à ces souffrances familiales et au sentiment de vide intérieur qui ne sont pas seulement causées par la paupérisation et le chômage.

Fantasmes

Les raisons pour lesquelles une partie importante de ces jeunes gens vivent leurs relations à la société française sur un mode paranoïaque dans lequel l’autre est vu sans nuance, « tout noir » alors qu’on est soi-même « tout blanc » tiennent beaucoup à une problématique familiale et sociale d’une part, politique d’autre part.

La diminution de l’image de la force paternelle introduite par les révolutions techniques et industrielles ainsi que la doxa pseudo féministe véhiculée par les médias et bon nombre d’intervenants sociaux a mis en cause l’identification des fils aux pères humiliés. Ces pères qui n’ont plus de travail ou qui ont un travail dévalorisé ont abouti à faire passer ces jeunes d’un monde où le père représentait l’autorité à une société de fratries, de bandes. Dans l’inconscient clivé de ces jeunes, la société française représente une mère archaïque toute puissante, castratrice et mauvaise. Le conflit œdipien étant impossible, l’agressivité normale des fils contre les pères se transforme en une rage aveugle et destructrice. Face à cette destructivité et à cette haine, la réaction de la société française qui ne supporte plus les agressions, le terrorisme et la délinquance grandissante ne fait que renforcer les fantasmes de persécution.

A lire aussi, Maurice Berger: Remettre la honte à sa juste place

Ces sentiments de frustration et d’humiliation, s’ajoutant aux problèmes d’identités, créent un certain nombre de blessures au narcissisme individuel et surtout collectif. C’est le cas de toutes les sociétés qui vivent une impasse et voient s’écrouler tous leurs espoirs et constatent la stagnation et la paralysie politique. Une autre issue consiste à créer des mythes qui visent à restituer les époques de grandeur. Ce fut le cas pour les Allemands, hantés par le souvenir du Saint empire romain germanique – mais surtout motivés par l’esprit de revanche, la défaite de 1918 et les clauses humiliantes du traité de Versailles. Ce fut le cas également pour d’autres peuples. Dans les pays arabes, c’est l’Islam qui permet de constituer cette nouvelle identité et de restaurer le narcissisme blessé.

L’islam radical a remplacé la gauche anti-impérialiste

Dans l’entretien du climat hystérique et de la fièvre nationaliste, les mouvements islamistes fondamentalistes jouent en effet un rôle important. Leur emprise est tout à fait logique et inévitable, car ils répondent à des besoins essentiels. Ces besoins fondamentaux non satisfaits sont nombreux: valorisation de soi, sécurité, affection, affiliation, repérage, projection dans l’avenir… Le narcissisme de groupe est proportionnel à l’absence de vraies satisfactions dans la vie et l’hystérie est une échappatoire devant les problèmes. La non-satisfaction de ces besoins met en danger l’individu. Lorsqu’elle est partagée par une proportion importante d’une population, c’est la cohésion collective qui est menacée, fondée sur un équilibre de forces et de tensions. L’islam a des effets réparateurs compensateurs. Face à la mondialisation et aux transformations qu’elle apporte, l’ethnocentrisme est une source de fierté, de dignité, de respect et de valeur morale. Face également à la propagation des idées démocratiques et libertaires qui n’apportent pas toujours le bonheur et la justice. La fierté dont on parle beaucoup en islam consiste à être inflexible, à relever la tête, à défendre l’identité musulmane et à honorer le devoir de mémoire. L’islam radical a remplacé la gauche anti-impérialiste mais il traîne encore derrière lui tous les déçus du combat anticapitaliste. Mais à côté de ce désir légitime de justice et de liberté pour tous les opprimés, les mouvements islamistes représentent aussi une psychopathologie collective. Comme ce fut le cas pour d’autres mouvements politiques de masse qui furent en réalité, des psychoses collectives, des épidémies de masse, l’annihilation de l’adversaire est légitime parce que ce dernier représente le mal absolu. Cette folie collective qui après avoir possédé l’Europe des croisades, de l’inquisition et de la Chasse aux sorcières, la Russie de Staline, l’Allemagne de Hitler, la Chine de Mao, le Cambodge de Pol Pot, s’empare aujourd’hui du monde arabe et musulman. Elle est le phénomène commun d’une même et terrible maladie collective qui prend des formes épidémiques et conduit comme toujours au massacre de tous ceux qui prétendent faire obstacle à l’avènement de la justice de Dieu ou de l’Idéologie sur la terre. Les discours contre le monde moderne – dont les sociétés occidentales  sont très représentatives – la violence valorisée, sacralisée comme un rituel de purification, répondent aussi à une quête de féerie pour enchanter le monde et permet de transformer l’exclusion grâce au rêve nostalgique de l’Age d’Or.

A lire aussi, Cyril Bennasar: Violences urbaines, répressions citoyennes

Ces jeunes musulmans qui se créent une nouvelle identité par l’islam dans sa forme hargneuse et revancharde ont quelque chose de cet enfant abandonné avec un sentiment de faiblesse et d’impuissance dont parle Erich Fromm, sentiment qui, d’après lui, constitue les facteurs de formation d’un caractère sadique. Leur violence va se tourner ainsi aussi bien contre des faibles, femmes ou autres adolescents ne faisant pas partie de leur bande et bien sûr contre tous les agents en position de faiblesse représentant l’autorité honnie de l’État, considéré comme une force d’occupation de leurs territoires.

Inceste: une tribune publiée dans “Le Monde” dénonce à son tour le « message délétère » de Muriel Salmona

0

Avec le magazine n°88 actuellement en kiosque, Causeur alerte en une sur “l’arnaque des souvenirs retrouvés”. Ce dernier numéro propose notamment un dossier sur la très contestable Muriel Salmona.

Avec l’affaire Duhamel, Salmona est invitée partout

Pour notre enquêteur Erwan Seznec, qui lui consacre tout un papier titré “Les liaisons dangereuses de Muriel Salmona”, cette psychiatre est entourée de militants qui sacralisent la parole de l’enfant. Ce sont peu ou prou les mêmes qui estimaient, dans l’affaire d’Outreau, que plus le témoignage d’un enfant est contradictoire, plus il est fiable. Par exemple, Marie-Christine Gryson-Dejehensart, avec qui Muriel Salmona a cosigné un livre (Danger en protection de l’enfance), est une experte qui n’a jamais eu un mot pour les 14 innocents d’Outreau qu’elle a contribué à mettre derrière les barreaux, et qui se réfère fréquemment à une contre-enquête fleurant bon le complotisme et publiée par la maison d’édition d’Alain Soral.

De son côté, Peggy Sastre démontre dans un papier remarquable (« Muriel Salmona, la psy qui traumatise ») que les notions d’«amnésie traumatique» et de «refoulement» sont dénuées de fondement scientifique. Elles constituent pourtant un écran derrière lequel Muriel Salmona promeut des thèses dangereuses.

Muriel Salmona enferme l’enfant victime d’inceste dans son traumatisme

Depuis l’affaire Olivier Duhamel et le lancement du mouvement #metooinceste sur les réseaux sociaux, Muriel Salmona est fréquemment invitée dans les plus grands médias. Elle y expose ses thèses sans contradicteur. C’est cette “médiatisation au risque de l’éthique” qui a fini par lasser une centaine de magistrats, avocats et thérapeutes, qui se réveillent et alertent à leur tour contre de possibles dérives dans une tribune publiée sur le site du Monde.

Denonçant le “clip glaçant de désespoir” et inadapté que Muriel Salmona a enregistré et diffusé sur le média Brut – jamais en retard d’un délire progressiste (voir plus bas) –  le collectif reconnaît que si dans la prise en charge des victimes d’inceste des lenteurs peuvent bien sûr être déplorées, la vision d’un système oppressif pour les enfants fantasmé par Muriel Salmona est malvenue. “N’enfermons pas l’enfant victime d’inceste dans son traumatisme !” s’agacent les signataires, qui voient dans la vidéo de la théoricienne du concept de “mémoire traumatique” une “prophétie autoréalisatrice pour tous les troubles futurs”.

Nul ne peut s’arroger la légitimité de se présenter comme l’unique recours [des enfants] en leur volant l’espoir de dépasser le statut de victime” rappelle la tribune, qui estime que Muriel Salmona dessert et décrédibilise les institutions.

Strasbourg: quand Jeanne Barseghian s’abrite derrière le concordat pour financer l’islam politique

0

Les accusations en islamo-gauchisme qui rendent furieux le parti EELV se vérifient dans les faits! La ville de Strasbourg vient d’allouer une subvention de 2,5 millions d’euros à la construction de la mosquée Eyyub Sultan, dans le quartier de la Meinau. Céline Pina rappelle que les édifices immenses sont là pour faire passer un message de domination, et dénonce la compromission de la mairie de Strasbourg.


C’est le festival des hypocrites à la mairie de Strasbourg. Quand la capitale alsacienne se voit reprocher le vote d’une subvention de plus de deux millions et demi d’euros pour l’édification d’une mosquée gigantesque, la maire de Strasbourg joue les ingénues et fait semblant de ne pas comprendre l’émoi suscité. Pour elle tout cela n’est qu’un mauvais procès et elle ne fait que se soumettre au concordat…

Jeanne Barseghian rappelle d’ailleurs que depuis 2008, 22 millions ont été versés aux cultes et prétend, en finançant Milli Görüs, ne faire que respecter un principe d’égalité.

On peut cependant se demander si l’exhibition de l’égalité n’est pas ici le faux-nez du clientélisme. En effet, à Strasbourg, seuls 37% de la population a voté et la maire s’est fait élire à la faveur d’une triangulaire. Toutes les voix comptent pour se maintenir au pouvoir et la stratégie clientéliste est la manière la plus rapide de les acquérir. Elle est surtout la seule qui reste quand vous n’êtes plus en prise avec la population. Faute d’avoir une vision d’avenir à lui proposer ou d’avoir créé un lien qui fait sens, celle-ci a déserté les élections. Dans ce type de configuration, une communauté comme la population turque est précieuse. Pourquoi ? Parce que, comme Erdogan refuse que la génération turque née en France puisse être un jour assimilée, il travaille au corps cette population et ce de deux manières : en lui inculquant un nationalisme féroce et la réislamisant de façon radicale. Du coup, en passant alliance avec cette communauté vous vous assurez un stock de voix car ceux-ci suivent les consignes qui leur sont données. Islamisme et impérialisme sont les deux piliers de la politique d’Erdogan. Et il ne s’en cache pas. Une partie de la population turque est donc instrumentalisée pour servir les intérêts du président turc sur notre sol et sa stratégie d’alliance locale. Deux associations lui servent de relais pour réaliser ces objectifs : le CCMTF, Comité de coordination des musulmans turcs de France, dit Ditib et Milli Görüs, très proche de l’AKP et qui prône l’islam politique des Frères musulmans. Que Milli Görüs soit un relais d’Erdogan et des Frères musulmans en France est de notoriété publique et il faut n’avoir honte de rien pour faire semblant de l’ignorer. Surtout quand on vit à Strasbourg.

Entrisme turc

Strasbourg est en effet au cœur de la stratégie d’entrisme du président turc en France et en Europe, nombre d’articles ont paru dans des journaux tout sauf confidentiels pour analyser cette stratégie d’influence. Mais surtout un certain nombre d’actes ont été posés.

Il y a d’abord eu le scandaleux meeting d’Erdogan à Strasbourg, en 2015, entre les attentats de Charlie et ceux de Paris, intitulé « rencontres citoyennes contre le terrorisme », où Erdogan n’a pas un mot pour les victimes de l’islamisme et s’est prétendu victime du parti des travailleurs kurdes (PKK), qui sont les « terroristes » auxquels le titre de la rencontre fait allusion. Lors de ce même meeting, il se déchaîne contre les Etats européens qu’il fait huer, enchaîne les références religieuses, met en scène les victoires contre les croisés, accuse l’Europe de tous les maux, fait de la Turquie la seule vraie civilisation et termine avec un « un seul drapeau, un seul pays, une seule foi », qui raisonne comme un « ein volk ein reich, ein fuhrer » mais adapté au XXIème siècle. Ce qui n’est pas si étonnant, quand on sait que les Frères musulmans ont été des admirateurs et des alliés des nazis.

On atteint des sommets dans la manipulation et le mensonge

C’est une façon d’affirmer que même installé sur le sol français, c’est au président Erdogan que les Turcs doivent rendre compte. Il faut dire que le président turc est islamiste et qu’il ne s’en cache pas. Il fait régulièrement le geste de salut des Frères musulmans, confrérie dont il est plus que proche et qui l’a désigné comme le meilleur candidat pour le Califat. Autrement dit, pour prendre la tête de son rêve de gouvernement mondial voué à répandre l’islam en éliminant les « incroyants » dont font partie les chrétiens, les juifs, les hindous… et en mettant fin à l’existence d’Etats laïques. A noter qu’aucune de ces informations n’est un scoop ou ne nécessite de grandes recherches. On ne peut donc qu’être ébahi par l’ignorance des élus strasbourgeois, ou par leur aplomb dans la capacité à prendre leurs interlocuteurs pour des jambons.

Mais continuons, « demain, aucun Européen, aucun occidental, ne pourra plus faire un pas en sécurité, avec sérénité dans la rue, nulle part dans le monde », voilà ce que déclarait en mars 2017 Recep Tayyip Erdogan, menaçant l’ensemble de l’Europe parce que les Pays-bas avaient refusé qu’ils viennent faire chez eux le même type de meeting. Le président turc prend de plus en plus au sérieux son rôle de Calife, endossant le costume du protecteur des musulmans face à une Europe qu’il qualifie d’islamophobe, de raciste et qu’il accuse de piétiner les Droits de l’homme parce qu’elle refuse la charia et le voile sur son sol, tandis qu’allié aux milices de Daesh, il massacre le peuple kurde en Irak et en Syrie.

Une mosquée affiliée à un Etat hostile et menaçant

Rappelons aussi qu’après la décapitation de Samuel Paty et la dénonciation de la propagande islamiste qui a abouti à son assassinat, ce même dirigeant, au lieu d’adresser ses condoléances à la famille de la victime, avait insulté Emmanuel Macron et la France. Alors que nous pleurions un meurtre abject commis au nom de l’islam et pour cause de « blasphème », lui prétendait que les seules victimes en France étaient les musulmans et mettait en accusation le peuple français. Eh bien pour la maire de Strasbourg, les faits ne comptent pas et elle espère s’en laver les mains : il ne faut « pas importer les conflits étrangers sur notre sol ». On parle pourtant là de menaces directes et le rôle d’une puissance publique est d’examiner ses actions en opportunité.

A lire aussi, Aurélien Marq: Charte de l’islam: nécessaire, mais très loin d’être suffisant

Que la ville de Strasbourg, vivant sous le régime du concordat, ait le droit de verser cette subvention est exact. Mais est-il légitime de le faire quand la ville ne peut ignorer qu’elle finance un islam politique affilié à un Etat hostile et menaçant ? Un islam politique opposé à ce que nous sommes en tant que peuple et civilisation, et qui émane d’un pays qui soutient le jihadisme et l’idéologie islamiste. Cela ne peut être passé sous silence au prétexte d’une égalité de traitement qui finit par justifier le versement d’une part de nos impôts à des mouvements qui combattent notre civilisation et les fondamentaux de notre contrat social dont l’égalité en droit et la liberté d’expression et de conscience. A ce titre la décision de la maire de Strasbourg est éminemment politique et équivaut à un soutien extrêmement fort et affiché à l’islam politique.

Une construction imposante, visant à démontrer la force de l’islam sur un sol chrétien

D’ailleurs la maire et son adjoint, Jean Werlen le prouvent en se faisant les porte-paroles de Milli Görüs. Car dans tout leur exercice pathétique d’autojustification, basé sur le fait qu’ils ignoreraient tout de la réputation sulfureuse de Milli Görüs et de ses liens avérés avec Erdogan et l’islam politique, les deux élus ne pouvaient ignorer que l’association s’était distinguée en refusant de signer la charte des valeurs républicaines. Alors nos deux élus d’expliquer assez laborieusement qu’en fait l’association ne refuse pas de signer, mais voudrait consulter ses membres, a eu l’impression qu’on voulait lui forcer la main et que cela l’a froissé… Là on atteint des sommets dans la manipulation et le mensonge.

En effet la charte des valeurs républicaines n’est ni négociable ni amendable. C’est et ce doit être un acte de souveraineté. L’idée est claire: nous ne négocions pas les modalités de notre citoyenneté et les principes de notre droit avec les religions, quelles qu’elles soient. Nous avons des idéaux, des principes et des lois et ils s’imposent aux dogmes religieux. Donc signer la charte c’est accepter cet ordre juridique, refuser de la signer, c’est affirmer symboliquement que la charia est supérieure au droit français. Et c’est exactement ce qui s’est joué dans cette histoire.

A lire ensuite, Abdelaziz Kacem: L’arabe contre le séparatisme

Le président turc veut construire, avec l’aide du Qatar, pourvoyeur de fonds de la stratégie des Frères musulmans, une mosquée immense, la plus grande en Europe après Cordoue. Celle-ci devrait être le vaisseau amiral de la conquête islamique en Europe dont rêve Recep Tayyip Erdogan, elle doit montrer la puissance et la force de l’islam sur un sol chrétien, voilà pourquoi elle doit dominer son environnement. Pour satisfaire de tels rêves de grandeur, le Plan local d’Urbanisme a dû être modifié, ce qui indique bien l’aspect monumental et imposant de la construction et témoigne encore plus des limites intellectuelles de ces élus qui ont oublié que le geste architectural est lié au pouvoir et que les édifices immenses sont là pour faire passer un message de domination. Surtout quand le nouvel édifice dépasse tout ce qu’il y a autour de lui. La mairie de Strasbourg a donc choisi de financer les provocations d’Erdogan et l’affirmation de sa puissance comme de celle de l’islam politique sur notre sol. Et cela alors même que l’islam politique fait de la France et de l’Europe sa cible privilégiée. Pire même, on apprend que l’association Milli Görüs espère bien récolter auprès d’autres collectivités l’équivalent de six millions d’euros, c’est dire si nos élus sont vus comme susceptibles de dilapider l’argent public pour servir des intérêts étrangers au détriment de notre sécurité collective. Quand un élu fait cela, il trahit son devoir et ce qu’il doit à ses concitoyens soit par lâcheté, soit par intérêt personnel, mais quelle que soit la raison, il commet une faute.

On ne peut que se féliciter de la réaction sans ambiguïté de Gérald Darmanin et de Marlène Schiappa et remarquer que la maire de Strasbourg, elle, choisit de justifier l’inqualifiable. En attendant, les accusations de dérives islamo-gauchistes, qui rendent furieux les dirigeants d’EELV, se vérifient dans les faits et servent des personnes et des courants religieux et politiques qui mettent le feu au monde, nous attaquent et nous fragilisent à la fois en tant que nation et en tant que peuple.

Bertrand Tavernier, un souvenir

0
Le realisateur Bertrand Tavernier à Lyon, en 2014 © Fabrice Elsner/SIPA Numéro de reportage : 00695844_000023

Le destin fait bien les choses. Il arrive, un peu par hasard, qu’on rencontre un de ses cinéastes préférés.


Bertrand Tavernier et Jérôme Leroy, Perpignan, mai 2011
Bertrand Tavernier et Jérôme Leroy, Perpignan, mai 2011

Une rencontre la veille du scandale DSK

Il était un des cinéastes les plus chers à notre cœur. Cette photo date de mai 2011. C’est un de mes meilleurs souvenirs de rencontres d’autant plus qu’elle doit tout au hasard. On était à Perpignan, pour un éphémère festival de polar. Tavernier était venu pour une projection de son adaptation de James Lee Burke, Dans la brume électrique, son seul film américain. Le modérateur prévu avait fait défaut,  ma réputation bien exagérée de cinéphile a couru chez les organisateurs. Je me suis retrouvé à l’interroger de manière improvisée. J’étais fou de joie et terrifié. J’avais tort tant son affabilité et son érudition tranquille mettaient à l’aise l’interlocuteur. Je me souviens qu’on a surtout parlé de La princesse de Montpensier qui venait de sortir, de son goût pour le film noir, de Simenon dont le premier film de Tavernier est une adaptation (L’horloger de Saint-Paul, 1973). 

Il y a aussi eu ce moment où je lui ai dit toute ma reconnaissance pour le film Ça commence aujourd’hui qui racontait en 1999 le quotidien d’un directeur d’école primaire dans le nord du Valenciennois, là où la misère sociale n’est pas un vain mot. On avait trouvé, chez certains critiques qui ne dépassent pas le périph, un côté Zola trop appuyé à ce film. Il se trouve que j’ai été prof dans la même zone et que Ça commence aujourd’hui ne paraît outrancier ou moralisateur qu’aux gens qui n’ont pas été confrontés directement à cette détresse sociale aux aspects particulièrement poignants quand elle s’attaque à l’enfance et l’empêche d’être cet âge de l’émerveillement et de l’apprentissage heureux de la beauté du monde. Et pourtant ce n’était pas un film désespéré, mais humaniste.

A lire aussi, du même auteur: Kafka et Michaux au temps du «stop and go»

Un humanisme qui ne passe plus?

Humaniste… Voilà un mot bien démodé, mais qui résume sans doute le cinéma de Tavernier. Être humaniste peut vite vous faire taxer, en la matière, de cinéaste pesant, nian-nian, académique. Tavernier a transformé son adaptation de Jim Thompson, 1275 âmes, en film anticolonialiste dans Coup de Torchon, tourné à Saint-Louis du Sénégal. Et alors? Sa peinture d’un milieu qui baigne dans l’hypocrisie, le racisme et la violence larvée est le même  que celui de la petite ville américaine de Jim Thompson et le personnage du shérif qui passe pour un débile léger mais procède à un nettoyage par le vide chez les notables avec une intelligence méthodique, c’est le même que celui du flic débraillé joué par Noiret, un des acteurs fétiches de Tavernier. On retrouve cet humanisme sceptique, désespéré et aimable, toujours incarné par Noiret, dans le personnage du père qui n’a pas assez compris son fils dans L’Horloger de Saint-Paul, mais aussi dans le Régent de Que la fête commence ou le commandant lancé dans l’entreprise impossible d’un décompte exact des morts de 14-18 dans La vie et rien d’autre.

Je me souviens, sans que cela ait le moindre rapport, que le lendemain de la photo, on apprenait au matin que DSK avait été arrêté à New-York pour l’affaire du Sofitel. Cela aurait pu faire un scénario pour Tavernier, Chabrol ou même Yves Boisset, ces cinéastes qui grattaient là où ça fait mal tout en réussissant à faire des millions d’entrées.  Ils sont la preuve oubliée que l’on pouvait très bien faire un cinéma populaire de critique sociale, ce qui a totalement disparu aujourd’hui où la militance pure, intolérante, alliée au néopuritanisme woke donne l’impression que les films « politiques » doivent recevoir le tampon d’autorisation donné par le Bureau des Intersectionnalités. N’y échappent, encore aujourd’hui que de rares cinéastes comme  Lucas Belvaux dont le film sur la guerre d’Algérie, Des Hommes, attend encore de sortir  depuis des mois, dans la grande nuit de l’épidémie. La meilleure preuve que cet humanisme n’est plus vendeur, c’est que Tavernier ne parvenait même pas, ces dernières années, à réunir des fonds pour un nouveau film…

Le végan: espèce en voie d’auto-extinction

0
"Baisons-nous nous-mêmes plutôt que notre mère la Terre". Image d'illustration Unsplash, par Markus Spitze.

En Australie, la vasectomie fait fureur, portée par les végans ne voyant dans un enfant qu’un pollueur de notre mère la Terre. De quoi faire réduire la population végan?


Plutôt l’humanicide que l’écocide ! En Australie, les végans se font stériliser, convaincus que l’humanité nuit à l’environnement. Le pays a le taux de vasectomies (stérilisation des hommes) le plus élevé au monde, derrière la Nouvelle-Zélande. Or, les médecins notent une évolution dans le profil des patients, traditionnellement quarantenaires et déjà pères. Les nouveaux candidats à la stérilisation sont des végans entre 20 et 30 ans qui ne veulent pas d’enfants. La surpopulation les inquiète – ce qui peut surprendre dans un pays où la densité est de 3,2 habitants au km2.

© D.R.
© D.R.

Quid des préservatifs en latex 100 % végétal ? Le végan intégriste s’en méfie ; allez savoir si quelque composant n’a pas été testé sur des animaux de laboratoire. La vasectomie, c’est plus propre et c’est irréversible. Et puis, adieu la pilule : l’homme prend enfin sa part du fardeau contraceptif. La nouvelle masculinité se gorge de contrition… Le végan est prosélyte. Le « veganuary », tous les mois de janvier, conçu sur le modèle du mois sans alcool, veut nous inciter à nous passer de steaks pendant 31 jours en espérant notre conversion définitive au culte de Gaïa. Pour sauver le monde, les évangélistes du compost ont aussi lancé en 2013 la « Journée mondiale de la vasectomie » (ce sera le 16 novembre 2021… à vos scalpels). Ce jour-là, le « vasectomy-thon » consiste à stériliser le plus d’hommes possible à travers le monde, vidéos à l’appui et opérations en live. Le biologiste Paul R. Ehrlich, 88 ans, auteur en 1968 de La Bombe P (P pour population) est leur gourou.

Le néo-malthusianisme n’est pas moins absurde que le malthusianisme. Mais il est plus cruel, prêt à sacrifier l’humanité pour la planète. Pour l’activiste végan, un nouveau-né n’est qu’un pollueur amené à souiller l’environnement pour les quatre-vingt-dix ans à venir. Enfanter d’un émetteur de CO2 est une malédiction. La population végane devrait donc décroître. Aux dernières nouvelles, le taux de fécondité chez les artisans-bouchers serait, lui, bien épais…

La désertion du sens

0
© Image d'illustration Unsplash.

C’est la vraie pénurie qui afflige l’homme occidental, en cette période d’opulence.


C’est au micro de Répliques, dans le cadre d’une émission consacrée à la place du père à l’heure de sa remplaçabilité procréative, que j’ai pris connaissance d’une caractérisation de l’homme due au psychanalyste Pierre Legendre, qui m’a paru stimulante. Nous y étions définis, nous autres Homo sapiens, comme des « anima[ux] généalogique[s] ».

L’homme, précisait Jean-Pierre Winter, se distingue en effet des autres animaux par le souci qu’il manifeste de sa filiation. « Un veau peut savoir, et s’intéresser à savoir, qui est sa mère – encore qu’il peut se tromper, d’ailleurs, puisque sa mère sera celle qui va le nourrir – ; mais il ne s’inquiète en rien de qui est son père, et surtout […] en rien de savoir qui sont ses grands-parents – encore moins ! –. » « L’animal humain », lui, s’en préoccupe ; et ce simple intérêt qu’il en a suffit déjà à le singulariser parmi les mammifères courants.

Toutefois, la définition legendrienne de l’homme tomberait un peu court, si elle se bornait à cette observation. Aussi faut-il entendre le caractère « généalogique » de notre animalité, non pas au sens premier qu’en donne le dictionnaire, mais dans l’acception, élargie, qu’un Nietzsche en a retenue, dans ses travaux philosophiques. La qualification legendrienne revient alors à affirmer le souci de l’hérédité des choses comme préoccupation la plus spécifique qui soit à notre espèce.

Un prédateur des origines

L’homme, à mes yeux, n’est ni un herbivore, ni même un quelconque carnassier ; c’est, comme le consignait Baudelaire dans ses Fusées, « l’animal de proie le plus parfait ». Par-là, je n’entends pas seulement son magistère incontesté sur l’ensemble de la chaîne alimentaire ; je veux rendre aussi la dimension sans équivalent de son instinct de prédation. L’homme, pour moi, c’est l’animal qui a étendu son instinct de prédation jusqu’à l’origine même des choses, qu’il poursuit jusque dans leur être, qu’il traque jusque dans leur ascendance ou leur antécédence. L’homme, autrement dit, ce n’est pas seulement une suprême habileté à la chasse ; c’est aussi, et surtout, une imprécédence dans l’appétit qui lui fait remonter des pistes qu’aucun autre fauve n’eût même conçu l’idée de suivre.

A lire aussi: Les réponses de Gilles Cosson à la “crise de sens”

Aussi suis-je convaincu que l’injection de sens est une entreprise éminemment humaine, peut-être la plus humaine qui soit. L’être humain doit être introduit dans l’univers, et cette introduction passe par l’institution d’un sens qui doit d’abord lui être livré par ceux qui l’ont précédé, avant qu’il ne soit en âge d’y travailler lui-même et d’additionner son œuvre à l’édifice collectif. J’insiste encore : la demande instinctive de sens qui est inscrite en nous n’a rien d’un couronnement dispensable ; elle n’est pas au faîte d’une quelconque pyramide des désirs, elle est à la base, à côté du boire et du manger. Nous avons besoin de sens comme nous avons besoin de pain. Nos âmes aussi ont leurs estomacs ; partant, comment ne pas comprendre qu’elles ont aussi leurs famines ?

Théorie pascalienne des ordres

Pascal, dans ses Pensées, exposait et développait une conception tout à fait singulière de la tyrannie. La tyrannie, définissait-il, c’est un désir de domination hors de son ordre ; une volonté de régner hors ses frontières, d’imposer sa logique hors ses États. « On rend différents devoirs aux différents mérites : devoir d’amour à l’agrément, devoir de crainte à la force, devoir de créance à la science. On doit rendre ces devoirs-là, on est injuste de les refuser, et injuste d’en demander d’autres. Ainsi ces discours sont faux et tyranniques : « je suis beau, donc on doit me craindre. Je suis fort, donc on doit m’aimer […] » Et c’est de même être faux et tyrannique de dire : « Il n’est pas fort, donc je ne l’estimerai pas. Il n’est pas habile, donc je ne le craindrai pas. » »

L’apologète chrétien distinguait ainsi trois ordres : l’ordre de la chair, régi par la force – domaine des grands et des puissants – ; l’ordre de l’esprit, présidé par la science – apanage des génies et des savants – ; et enfin, l’ordre de la charité, dominé par la grâce – royaume des prophètes et des saints –. Dans le juste état des choses, chacun d’entre eux agit souverainement en son magistère, et sacrifie pour le reste aux exigences en vigueur. Chaque ordre est autonome, et évolue indépendamment des autres.

La tyrannie commence avec la méconnaissance de cette indépendance ; autrement dit, avec la colonisation d’un ordre par un autre, dénaturé par l’imposition d’une logique intérieure orthogonale à la sienne : monarque prétendant faire la police en matière de science, savant dicter sa loi en matière de foi religieuse, saint régner divinement en matière politique.

La pétrification mathématique de la vie

La famine actuelle des âmes se réinterprète alors aisément : elle est le corollaire mathématique de la tyrannie exercée par l’ordre de l’esprit sur l’ordre de la charité. A ce régime, Dieu chez Pascal, le sens, dans ma terminologie, dépérissent peu à peu. La science, en effet, ne secrète aucun sens : tout son objet, au contraire, consiste précisément à en reculer l’origine vers des amonts toujours plus lointains. Le sens requiert un dessein, une volonté, une aspiration ; la science ne chérit que les causalités implacables et aveugles, à l’indifférence inhumaine[tooltips content= »« Ô prisonniers, comprenez-moi ! Je vous délivre de votre science, de vos formules, de vos lois, de cet esclavage de l’esprit, de ce déterminisme plus dur que la fatalité. Je suis le défaut dans l’armure. Je suis la lucarne dans la prison. Je suis l’erreur dans le calcul : je suis la vie. Vous avez intégré la marche de l’étoile, ô génération des laboratoires, et vous ne la connaissez plus. » (Saint-Exupéry, Courrier Sud) »](1)[/tooltips].

A lire aussi, du même auteur: L’ère du ricanement

La science n’aspire pas au sens, elle ne vise que le congédiement du mystère, la pétrification mathématique de la vie. Ce que la science accroît, d’abord, c’est donc la prévisibilité de l’arbitraire ; et ensuite, évidemment, c’est l’arbitraire lui-même, à mesure que le sens est repoussé plus avant. Or, l’arbitraire n’est pas le sens, mais un milieu entre l’absurde et le sens – semblable au vide dont Pascal, dans sa correspondance avec le père Noël, faisait un milieu entre la matière et le néant -.

Extension du domaine de l’arbitraire

Aussi assiste-t-on, avec les progrès de l’ordre de l’esprit, et le recul de l’ordre de la charité, à une extension du domaine de l’arbitraire, et à un reflux corrélatif du sens. Bientôt, la « pensée calculante », pour parler comme Heidegger, finit par avoir raison de toute « pensée méditante ». Alors, comme le notait avec justesse Spengler, en 1931, dans L’homme et la technique : « On ne pense plus qu’en chevaux-vapeur. On ne regarde plus de chute d’eau sans vouloir la transformer en électricité ; on ne regarde plus d’enclos de troupeaux qui paissent sans penser à l’exploitation de leur stock de viande ». Bref, on ne croit plus qu’aux seules vertus de la logique et du nombre.

Or, rien n’assèche la profondeur, la beauté ou l’âme d’une chose comme un nombre. C’est en vain qu’un regard s’attarde ou qu’une attention s’aiguise contre lui, il n’y a rien à en pénétrer. Considérez seulement, si ceci ne vous parle pas, la différence d’humanité entre un nom et un code-barre, entre Jean et #105114. Sentez-vous l’abîme de sens qui sépare le premier du second ? L’odeur de presse qui accompagne le code-barre, la nécessaire dessiccation qui va de pair avec lui ?

La substitution de la logique à l’organique

Péguy écrivait, dans Notre Jeunesse : « Je suis épouvanté quand je vois […] combien nos jeunes gens sont devenus étrangers à tout ce qui fut la pensée même et la mystique républicaine. Cela se voit surtout, et naturellement, comme cela se voit toujours, à ce que des pensées qui étaient pour nous des pensées sont devenus pour eux des idées, à ce que ce qui était pour nous, pour nos pères, un instinct, une race, des pensées, est devenu pour eux des propositions, à ce que ce qui était pour nous organique est devenu pour eux logique […] On prouve, on démontre aujourd’hui la République. Quand elle était vivante on ne la prouvait pas. On la vivait. » [tooltips content= »Autrement dit : ce qui va de soi ne se problématise pas. Et on pourrait penser ici à toutes ces expressions délicieuses qui ont envahi notre quotidien : « vivre-ensemble », « faire société », … »](2)[/tooltips]

A lire aussi: L’abandon des chiffres romains par le Musée Carnavalet révèle le trouble dans la civilisation

Toute la précarisation contemporaine du sens se lit là, dans cette substitution systématique de la logique à l’organique : la science, donc l’arbitraire, a succédé à ce qui allait de soi[tooltips content= »On pourrait dire encore, avec Spengler : « l’irréligion scientifique a pétrifié la religion du cœur ». Dans cette pétrification, Spengler voyait d’ailleurs l’un des symptômes de l’entrée d’une culture en phase civilisationnelle terminale. »](3)[/tooltips]. Cependant, à l’époque de Péguy, les conclusions tenaient encore, parce que les prémisses, elles, restaient acquises. Les axiomes de base continuant d’être vécus comme des vérités organiques, on ne faisait jamais que redémontrer les évidences d’hier ; on accomplissait, pour elles, le même travail de retrempe qu’un Descartes, en son siècle, avait pu accomplir pour l’âme, ou l’existence de Dieu, dans ses Méditations.

Mais aujourd’hui, les prémisses elles-mêmes ne tiennent plus, par l’action de quelques demi-habiles bien intentionnés. Rien ne se présente plus que comme une construction sociale susceptible de faire l’objet d’une déconstruction en sens inverse ; et le moderne est laissé seul à se débattre avec ce sentiment envahissant que tout, absolument tout, n’est jamais qu’arbitraire. On comprend mieux, dès lors, la fuite contemporaine devant la pensée méditante, la passion à aller s’abrutir dans quelque divertissement. « Je ne pense pas toujours, donc je ne suis pas toujours triste », écrivait en substance Cioran. Un tel aphorisme nous parle : il est la marque d’un monde dans lequel l’hébétude est plus heureuse que la lucidité. Pas de doute, donc, il s’agit bien du nôtre…

Faut–il en finir avec le Rapport Stora?

0
Militaires français patrouillant dans les rues d'Alger durant la période du Ramadan. Alger, ALGERIE - mars 1961 © DALMAS/SIPA Numéro de reportage : 00533181_000002

Pour l’historien Jean Monneret[tooltips content= »Spécialiste de l’Algérie française, il a publié en 2020 Dissidence – Dissonance, Contre la désinformation sur la guerre d’Algérie« ](1)[/tooltips], le rapport de Benjamin Stora enfonce un peu plus une France qui devrait forcément être « plurielle » dans le carcan pénitentiel. Analyse


Commencée en 1830, achevée en 1847, la Conquête de l’Algérie suscita en France un clivage entre « colonistes », soutenant l’entreprise et « anticolonistes » la combattant. Il s’est presque maintenu jusqu’à nos jours. En un premier temps, spécialement sous le Second Empire, l’Algérie fut tenue pour un territoire musulman n’ayant pas vocation à s’assimiler à la France. Après la chute de l’Empire en I870 et l’avènement de la troisième république, les dirigeants français, conduits par idéologie jacobine à négliger les identités religieuses et culturelles, firent de l’Algérie une extension du territoire métropolitain. L’empire colonial exalté et porté par Jules Ferry devint, pour la France amputée de l’Alsace-Lorraine, le moyen d’opposer cent millions d’hommes à la menace prussienne. Dans l’opinion, la réticence envers la colonisation demeura néanmoins latente.

Dans l’entre-deux-guerres, la mystique coloniale fut vivace tandis que les opposants se recrutaient de plus en plus à gauche. En 1945, l’influence du marxisme, dans les milieux intellectuels et à l’université, conforta cette hostilité. Les œuvres de Charles-André Julien (né en 1891 et mort en 1991, cet historien et journaliste, spécialiste de l’Afrique du Nord et militant anticolonialiste, a enseigné entre autres à Sciences-Po Paris, à l’ENA) et de Charles-Robert Ageron (né 1923 et mort en 2008, cet professeur d’Histoire à l’université de Tours, spécialiste de la colonisation française en Algérie est aussi un chrétien de gauche, proche de la revue Esprit et l’un des premiers à critiquer la torture) constituèrent un point d’équilibre, car, tout en centrant leurs analyses sur l’Algérie, « perle de l’empire » et en affirmant leur vision anticoloniale, ces historiens surent ne pas transiger avec les faits établis et écarter toute propagande.

L’anticolonialisme repentant domine depuis des décennies

En 1954, l’entrée dans un conflit armé en Algérie alimenta tant le vieux fonds anticolonial que la mystique impériale, confortée par le récit du rôle joué par l’Empire durant la lutte contre le national-socialisme. Dans le camp opposé, l’anticolonialisme fut également stimulé et trouva dans la dénonciation de la torture un aliment intarissable.

Après l’indépendance de l’Algérie en 1962, un silence se fit. Seul le cinéma produisit des œuvres généralement pro-indépendantistes et hostiles à l’Armée française. Il fallut attendre les années 1990 pour voir renaître les recherches sur la période coloniale et le conflit algérien. Entre temps, l’anticolonialisme était devenu dominant tant à l’Université que dans les médias.

Benjamin Stora et Emmanuel Macron, janvier 2021 © Christian Hartmann/AP/SIPA Numéro de reportage : AP22544838_000001
Benjamin Stora et Emmanuel Macron, janvier 2021 © Christian Hartmann/AP/SIPA Numéro de reportage : AP22544838_000001

En 1992, les archives militaires s’ouvrirent conformément à la règle de la prescription trentenaire. Benjamin Stora se fit un nom vers cette époque. Son téléfilm Les Années Algériennes sortit en septembre 1991. Les grands medias le désignèrent comme le meilleur spécialiste de l’Algérie.

Plusieurs de nos présidents se crurent obligés de lui demander son avis. Récemment, et pour ne pas déroger à ce qui devient une règle, Emmanuel Macron consulta Stora. Il lui commanda un rapport sur l’état des conflits mémoriels entre la France et L’Algérie Sa lettre de mission lui donnait comme objectif de «réconcilier le peuple algérien et le peuple français ». C’était beaucoup demander. Stora s’est contenté d’inventorier les revendications mémorielles des uns et des autres. Il les a assorties de préconisations. Seize pour apaiser la partie algérienne dont quelques-unes carabinées et huit, moitié moins, pour la partie française. Dans sa lettre de mission, Emmanuel Macron faisait allusion à « un chemin à parcourir en France » concernant la colonisation.

A lire aussi, Bernard Carayon: Mort de l’avocat du FLN Ali Boumendjel: un absurde mea culpa

Le document ouvre donc un épisode plutôt franco-français. Nous allons montrer qu’il conduira à une repentance qui n’osera pas dire son nom. A sens unique, comme souvent avec l’Algérie.

Alger fait la sourde oreille

Présenté par son auteur et le commanditaire présidentiel comme un texte destiné à réconcilier les peuples algérien et français le Rapport Stora est un leurre pour une raison simple : il n y a pas de contentieux entre ces peuples, lesquels se  soucient comme d’une guigne des prétendus conflits mémoriels qui les opposeraient. Nos yeux se sont ouverts, une première fois, lorsqu’un porte-parole des autorités algériennes a affirmé que le Rapport ne les concernait pas. De plus, un haut fonctionnaire algérien, questionné sur ce texte et la libre circulation en Algérie des enfants de harkis, qu’il suggère de faciliter répondit, avec une morgue caractéristique, qu’il ne fallait rien attendre sur ce point. Ceci signifie qu’il est vain d’attendre que ce texte débouche sur on ne sait quelles conversations avec l’Algérie. Il n’y en aura pas. Les Algériens ne sont pas demandeurs. Ils attendent « des excuses » pour la colonisation. Point.

Nous fûmes confortés en ce sentiment par l’article de Bérénice Levet dans Valeurs Actuelles du 4 février dernier. Celle-ci signale qu’à peine M. Macron avait-il indiqué que la République ne « toucherait pas aux statues », car, on ne choisit pas « une part de l’histoire de France, on choisit la France », qu’il nommait Pascal Blanchard à la tête de la commission chargée d’attribuer statues et noms de rue à des héros issus de l’immigration. Or, Blanchard est un anticolonialiste invétéré. M. Blanquer, Ministre de l’Education, s’est récemment inquiété du crédit dont jouissent les thèses « indigénistes » et décoloniales dans nos Universités. Gageons que cette nomination a dû l’enchanter. Conseillons lui donc, à titre de consolation, la lecture de L’imposture décoloniale de Pierre-André Taguieff.

Et si le but ultime de la publication Stora était tout simplement de favoriser une relecture anticoloniale de l’Histoire de France contemporaine ? Certains objecteront que tel n’est pas le dessein du Président. N’a-t-il pas précisé dans sa lettre de mission à Stora que: « Ce travail de mémoire et de vérité [nous devrons] le mener avec courage et un esprit de concorde, d’apaisement et de respect de toutes les consciences » (Page 9) ? Disons que la nomination de Blanchard ne va pas exactement dans ce sens. Notre président est passé maître dans l’art d’affirmer une chose et son contraire.

Ainsi, dans un entretien accordé à L’Express qu’analyse Madame Levet, il déclare ne pas être partisan du multiculturalisme, Mais, tout est là, il dit croire à une politique « de la reconnaissance des identités ». Lui qui a proclamé jadis, tout benoîtement, qu’il « n’y avait pas de culture française » compare aujourd’hui cette dernière « au fleuve principal » flanqué bien entendu « de ses affluents ». Voilà qui paraîtra bien innocent à certains. Qui ne voit pourtant que le modèle français qui faisait de notre langue, de notre histoire, de notre littérature, de notre mode de vie, le seul ciment du peuple a vécu ? C’est là une révolution culturelle.

Multiculturalisme et repentance se nourrissent

Comment se situe le Rapport Stora dans cette confusion? Pour répondre valablement à cette question, il faut d’abord fermer les yeux et imaginer. Imaginons que les préconisations les plus corsées de Stora soient retenues :

a/ Commémoration de la journée du 17 octobre 1961.

b/ Identification des lieux d’inhumation des condamnés à mort exécutés. (Lesquels deviendraient illico des lieux d’hommage et de commémoration).

c/ Transformation des lieux d’assignation à résidence en France métropolitaine en lieux de mémoire.

d/ Organisation d’un Colloque international d’hommage aux opposants à la guerre d’Algérie ; Mauriac, Mandouze, Ricœur, Sartre etc…

e/ Panthéonisation de Gisèle Halimi, grande dénonciatrice de l’Armée française.

Ceci serait un chef d’œuvre de désinformation ; le mot repentance ne serait pas utilisé mais la chose serait partout. Le Monde a récemment publié un article saluant la suggestion que soit publiée une liste d’Algériens musulmans disparus pendant le conflit. (Du fait des activités de l’armée française bien sûr. Une liste des harkis disparus ne présenterait sans doute pas le même intérêt pour les auteurs). Le journal indiquait qu’une telle publication vaudrait « reconnaissance « (sic). Le GRFDA (Groupe de Recherche des Français Disparus en Algérie créé en 2002), qui n’arrive toujours pas à donner un statut officiel à sa liste d’Européens disparus du fait du FLN, appréciera.

Quel rapport avec le multiculturalisme dira-t-on ? Très simple : multiculturalisme et repentance se nourrissent l’un l’autre. Si d’autres cultures doivent s’affirmer en France, il faut que la culture traditionnelle, canal historique, des Français autochtones s’amoindrisse. Il se trouvera bien un phraseur disponible pour dire que le fleuve n’est rien sans les affluents. Du moins est-ce ce que pensent nos élites: la France, nation éminemment coloniale doit purger son passé, pour pleinement vivre son avenir pluriel.

A lire ensuite, Loris Chavanette: La question algérienne: un procès à charge qui ne dit pas son nom

Désormais, il suffira à M. Macron de mettre en application les préconisations les plus « saillantes » du Rapport Stora pour modifier d’importance la perception que les Français ont de la Guerre d’Algérie et de la période dite « coloniale ». C’est là tout l’objectif de l’opération. Il ne s’agit pas d’apaiser les hiérarques d’Alger, ni d’entamer on ne sait quels négociation ou échanges culturels. Il s’agit d’enfoncer un peu plus la France dans le carcan pénitentiel. Sans le dire bien sûr et sans jamais prononcer les vilains mots qui fâchent.

La chose pour l’instant est loin d’être faite. Mais tout se met déjà en place. Certes, il ne suffira pas de solenniser certaines dates et de criminaliser certains épisodes. Il faudra le faire en profondeur et dans la durée. Très logiquement, le Rapport Stora prévoit donc de s’attaquer aux manuels scolaires. Et, non moins logiquement, de mettre à contribution l’industrie des images, films et séries télévisées. Or, ce sont là des armes de destruction massive des mémoires, des identités, comme de la discipline historique.

Un ARTE franco-algérien pour formater les esprits

Une « réconciliation des mémoires » peut paraître aujourd’hui un mot d’ordre militant, absurde et sans rapport avec une conception rationnelle et scientifique de l’Histoire. Aussi, tout le problème du tandem Macron/Stora est-il d’y arriver progressivement. La référence du Rapport à la « circulation des images, qui mènerait à des représentations réciproques (sic), à des ouvertures mutuelles » (resic.page 103) est tout sauf accidentelle. La suggestion de créer un ARTE franco-algérien (Page104) va dans le même sens. Le formatage des esprits s’imposerait ainsi, peu à peu, et mènerait, non pas certes à l’Histoire, mais à une « similihistoire » de style hollywoodien. Pour se rendre compte du résultat prévisible, il suffit de repenser à la représentation télévisée des Chevaux du Soleil de Jules Roy, il y a trente ans. Elle tourna à l’acte d’accusation implacable contre l’Algérie des Français.

D’ailleurs M. Stora enfonce le clou: « L’outil audiovisuel est un instrument décisif pour la préservation (comprendre destruction) des mémoires et le passage à l’Histoire, pour des tentatives de rapprochement entre la France et l’Algérie » (page 104). Il n’oublie qu’un « détail » : pour le passage à l’Histoire, il faudrait un ingrédient supplémentaire à savoir que toute l’opération soit basée sur la recherche de la Vérité. Là, il s’agira d’imposer une vision préétablie, partielle et partiale[tooltips content= »En 2012, on vit à la télé un biopic sur Toussaint Louverture. Il comportait quelques épisodes non-historiques pour le corser. Ainsi fut-il affirmé que la sœur du héros avait été violée par des marins européens. Ceci fut critiqué par des journalistes et des historiens. L’auteur eut cette réponse mémorable : « La vérité idéologique prime la vérité historique ». »](2)[/tooltips]. Il n’y aura, comme d’habitude, qu’un seul son de cloche : celui des anticoloniaux de choc, des progressistes, des décolonistes. D’ailleurs, Benjamin Stora est trop militant et trop engagé pour ne pas se trahir sur ce point comme il le fait page 103: « L’aventure coloniale dans les origines de la conquête, dans ses injustices et son fonctionnement inégalitaire n’a pas vraiment hanté le cinéma français ». Il va donc y remédier. Inutile de demander le programme, chers amis. Nous le connaissons déjà: injustices, inégalités. Point à la ligne. Voilà l’Algérie que l’on nous montrera. Inutile de chercher la vérité elle est déjà toute trouvée.

Nous sommes bien loin de Charles-André Julien et son disciple Charles-Robert Ageron, directeur de thèse d’un certain…Benjamin Stora ! Qu’on nous comprenne bien : nous n’avons rien contre le 7ème Art. Au contraire. Mais compte tenu de l’état actuel du cinéma français, où le contrôle étroit des contenus idéologiques et politiques est la règle, on peut redouter que l’objectivité ne soit guère le souci principal. Il est à craindre que ne se fasse attendre l’équivalent d’un Steven Spielberg avec La Liste de Schindler. En revanche, les navets de choc du style Hors-la-Loi de Bouchareb risquent de foisonner. Désastre annoncé.

Dissidence Dissonance: Contre la désinformation sur la guerre d'Algérie

Price: 21,00 €

7 used & new available from 19,00 €

Rencontre avec Nicoletta

0
Nicoletta, 2020 © Jacques BENAROCH/SIPA Numéro de reportage : 00975215_000030

Nicoletta: «La seule Blanche avec une voix de chanteuse noire»


Ainsi parlait Ray Charles à propos de chanteuse mythique de la variété française qui sort un livre sur ses 50 ans de scène. Rencontre avec la Soul Sister…

Peu importe les paroles, une chanson de Nicoletta est une page blanche où se jouent nos souvenirs. Elle a mis des mots, des sonorités, des rythmes et une gestuelle sur nos fringales buissonnières. De Mamy Blue à Fio Maravilla, ses tubes ont traversé les générations. Ce n’est pas si fréquent.

«On ne joue pas avec toi, car ta mère est folle» lui disait-on à l’école. «Ma mère était déficiente mentale, elle avait le cerveau d’une petite fille de 8 ans, je lui ai appris à écrire, je lui faisais faire de la copie, je lui faisais dire tutu, titi, toto, tata… Vers 13, 14 ans c’est moi qui suis devenu sa petite maman». Comme tout un chacun, elle se construit par ses manques et comprend que le bonheur et le malheur sont frères jumeaux. On pense à la légendaire réplique d’Orson Welles: «En Italie, pendant les trente-cinq ans de règne des Borgia, il y a eu la guerre, la terreur, des crimes, du sang versé, mais cela a donné Michel Ange, Leonard de Vinci et la Renaissance. En Suisse, il y a eu l’amour fraternel et cinq cents ans de démocratie et de paix …. et qu’est-ce que ça a donné ? La pendule à coucou !». Elle a été conçue sous une vigne un 14 juillet d’un père inconnu: «A 8 ans, ma petite marraine, la boulangère du village me dit: – Tu sais, celui-là, dans la maison d’en face, c’est ton père.  Le lendemain matin, je croise cette silhouette et lui dis bonjour. Il m’a répondu une chose merveilleuse: -Et merde !» En une phrase, elle avait tué le père! Résister aux fantômes, c’est aussi devenir soi-même.

Elle grandit chez les bonnes sœurs dans une France de clochers, de chaumières et de calvaires semés aux carrefours des chemins. «J’ai raté ma fugue pour une raison de dénivellement auvergnat… tu cours, tu cours, tu crois qu’il y a un autre versant, et non tu te pètes la figure, ma copine s’est cassée la cheville ».

Sa jeunesse conjugue au futur simple les ambitions les plus déraisonnables et elle devient une jeune femme impétueuse, incertaine, invivable sans doute, mais qui au moins ne doute pas de son destin.

A lire aussi: Rendez-nous Eddie Barclay!

«Je suis arrivée à Paris, je me suis fait déposer au Flore, puis j’ai été dame pipi au King’s club.» C’est pour elle la découverte abrupte que l’humanité est animalité, mais aussi qu’au-delà d’une tristesse sourde, existent ces moments de grâce, de désespoir et d’érotisme, cette sensation unique d’un voile opaque qui se déchire: bref, cette révélation soudaine de ce qu’est la vie, ses saloperies et ses épiphanies.

«Une nuit, au King’s club, j’ai croisé Richard Bennett, le directeur artistique de Nino Ferrer. J’ai chanté «Loving you» d’Elvis. Il n’en croyait pas ses oreilles. Immédiatement il m’a fait signer un contrat de six mois avec une succursale de Barclay.» Elle se rappelle alors cette petite phrase insolente qui avait hanté sa jeunesse: «Tout est possible». Elle voulait faire de sa vie une chevauchée impromptue, comme une aventure: «Mai 1965: mon premier 45 tours sort, le succès fut immédiat, 60 000 ventes en quelques semaines, avec Mireille Mathieu, nous marquions le grand retour des chanteuses à voix. »

 Adamo, Johnny, Claude François… et Ray Charles

D’octobre 67 à mars 68, Nicoletta fait la première partie d’Adamo, avec un autre débutant, Michel Fugain. «Adamo m’a appris à respecter les gens, à m’assoir, à faire des dédicaces.» Beau voyage de bringues, sur les routes françaises, à l’aurore de jours nouveaux. Nicoletta aime cette tournée, cette familiarité douce qui s’insinue entre les choses.

Nicoletta fait ensuite la première partie de Johnny. «Dès que j’arrivais, le public scandait son nom avec une telle force que je perçois encore l’écho de cette foule en délire dans mes oreilles: Johnny! Johnny! Johnny… » Durant les concerts, les filles hurlent comme à quinze ans, elles aiment cette véhémence qu’insuffle le rythme, ces fringales de paroxysme, ces invitations à la fugue. Elles brûlent comme des torches devant les coups de gueule et les coups de reins.

Nicoletta nous raconte ce jour de première partie de Claude François: «Je fous presque mes tripes dans le micro, tellement j’avais mal au ventre pour chanter, ma voix était toute serrée à l’intérieur, je n’avais plus d’aisance respiratoire, j’étais paniquée… Claude François m’a coupé l’écho, tous les effets qui améliorent la voix, j’en pleurais en sortant de scène, j’entendais les gens dire -Ah Nicoletta, c’est pas la voix du disque. »

«La radio ne voulait même pas d’«Il est mort le soleil», une nuit Ray Charles m’appelle pour la reprendre et la chanson est traduite en 140 langues. Il m’emmène dans les bars à putes de Harlem. Elles le touchaient et l’appelaient Genius; tous les taxis avaient peur et aucun ne s’arrêtait; on marchait avec chacune Ray Charles dans un bras en manteau turquoise de cuir d’Astrakan». Marcher avec Ray Charles: divaguons un peu …. L’air est tiède… le jazz frelaté… mais on déambule sous la dentelle des balcons, quelque chose du Deep South flotte encore…

Une garçonnière pour Delon et un mariage de trois heures avec Ronet

L’appartement de Nicoletta fait office un temps de garçonnière pour Alain Delon, après sa rupture avec Nathalie. «Quand je reviens chez moi, la concierge me raconte: «Oh ce monsieur Delon… Elle était bien la petite blonde, la petite brune, la petite rousse.» Pour Nicoletta, Delon est resté un infidèle qui aspire à la constance, un cynique tendre, un écorché vif.

A lire aussi: Marielle, Broca, Belmondo: le beau recueil nostalgique de Thomas Morales

«J’ai aussi été mariée trois heures avec Maurice Ronet chez Castel, pour rire. Ronet, je l’ai vu en mai 68, le whisky à la main, en costume trois pièces sur les barricades hurlant «Vive le Général! Vive la République»… Que dire de ce suicidé perpétuel, condottiere désabusé, tué deux fois par Delon, feu follet passionné par l’OAS, les chants grégoriens, Dominique de Roux et les varans de Komodo?

1983: Bernard Lavilliers désespère de trouver une choriste avec qui marier sa voix pour Idées Noires: «D’emblée j’adorais, mais je me dis: si tu mets ta grosse voix là-dessus tu vas fracasser la sienne. Très rapidement, j’ai trouvé la solution en sautant une octave dans ma partie musicale et, ô miracle, ma voix devint fine et légère, car elle était en voix de tête.» Le succès fut immédiat: 1 million d’exemplaires! Commence alors une amitié avec cet explorateur des confins, chevaucheur de chimères, conquistador de l’inutile avec l’ombre de Nicoletta pour seul parachute. Et toujours cette envie d’être ailleurs, implacable, d’effacer ses propres traces.

«En 1995, j’ai décidé de faire un virage à 180 degrés: partir sur les routes de France avec une chorale de gospel à travers les églises et les cathédrales de France. » Dieu sera au rendez-vous, ou pas. Quand sonne l’angélus, la France des clochers regarde le ciel, et les étoiles qui s’y allument ne sont pas de chez nous, mais d’une contrée sans frontières. Encore faut-il des clochers pour que ces épousailles du sol et du sens soient fécondes.

45 millions de disques vendus

Comment résumer 45 millions de disques vendus ? Nicoletta a tout connu, tout regardé, au long des continents, avec ses yeux intrépides, et ce toucher subtil qui laisse pourtant glisser entre ses doigts le sable du temps. Autant de chansons de Nicoletta, autant d’égéries dégustées, effleurées ou rêvées, autant d’ambitions déçues, d’exaltations qui tournent court.

Et quand elle entonne encore aujourd’hui Mamy Blue, c’est un autre moi qui naît chez celui qui écoute, un autre moi venu d’on ne sait où, un moi qui communie dans la soul la plus pure.

Soul Sister: 50 ans de scène

Price: 28,00 €

22 used & new available from 3,00 €

Nicoletta invitée de Simon Collin dans l’émission les Clochards célestes sur YouTube

 

25 mars 1821 – 25 mars 2021

0
"Scènes des massacres de Scio : familles grecques attendant la mort ou l'esclavage", tableau de Delacroix (1824) représentant les massacres perpétrés à Chios en avril 1822 par les Ottomans lors de la guerre d'indépendance grecque. Détail. D.R.

Qui donc, quel blasphémateur, quel Croisé peu au fait du destin islamique de l’Europe a chanté «Le vrai Dieu sous ses pieds foulant le faux prophète»? 

Et à quelle occasion ?

Le 25 mars 1821, Germanós, évêque de Pátras (au nord du Péloponnèse) lance — ainsi dit la légende : « La race impie des Turcs a comblé la mesure des iniquités ; l’heure d’en purger la Grèce est arrivée » — et il bénit le premier étendard de la liberté portant la croix blanche sur fond bleu.

Que croyez-vous que firent alors les gouvernements européens ? Ils condamnèrent cette atteinte aux droits sacrés des sultans qui depuis 1453 empalaient, crucifiaient et massacraient les Grecs. Metternich, le ministre autrichien qui par le Congrès de Vienne en 1815 avait établi un ordre européen monarchique, ne voulait pas qu’une insurrection démocratique donnât des idées aux divers peuples du continent — idées qui ont quand même éclos à partir de 1848, avec ce que l’on a appelé le Printemps des peuples.

Traditions turques

Pourquoi le 25 mars ? C’est le jour retenu par les scoliastes pour fêter l’Annonciation (soit neuf mois avant la naissance du Christ). C’est par ailleurs une date symbole dans la tradition chrétienne, premier jour de la création du monde, anniversaire de la chute d’Adam et Ève, de la mort d’Adam, du sacrifice d’Isaac, de la mort du Christ sur la croix, — et du Jugement Dernier, qui reste à venir.

A lire aussi: Affaire PSG/Basaksehir Istanbul : l’UEFA confirme que les arbitres n’ont rien dit de raciste!

Les agnostiques savent, eux, que c’est la date de l’équinoxe de printemps dans le calendrier latin.  Les grands événements religieux se sont coulés dans les traditions qui les ont précédés — tout comme la naissance du Christ a été fixée à la nuit la plus longue de l’année, en déplaçant quelque peu l’événement.

Les Turcs donc tenaient la Grèce d’une poigne de fer. L’humour ottoman consiste à empaler d’abord et à interroger ensuite. Et si Hugo (c’était lui, le blasphémateur cité en tête de cette chronique) parle globalement de l’Afrique, c’est que l’empire ottoman allait du désert de Gobi à la pointe extrême de l’Algérie actuelle, et couvrait tout le Moyen-Orient. Erdogan, en s’installant en Syrie ou en Libye, en revendiquant les fonds pétrolifères de la mer Egée, cherche à reconstituer cet empire qui a volé en éclats après le Traité de Sèvres en 1920. En appuyant l’Azerbaïdjan contre l’Arménie (un tic chez les Turcs) ou en massacrant sans trêve les Kurdes, il s’inscrit dans la même tradition.

Si les rois installés sur des trônes incertains après la fin de l’Empire se montraient conservateurs, il n’en fut pas de même pour les peuples, et surtout pour la frange intellectuelle et philhellène, comme on disait alors, ces jeunes gens passionnés qui revendiquaient l’appellation globale de Romantiques. Hugo s’enflamma, Byron paya de sa personne et s’engagea dans ce qui était une ébauche de Brigades Internationales — pour aller mourir finalement à Missolonghi, tué par des médecins besogneux : le soir de sa mort éclata un immense orage, signe que le poète était parti, dirent les Grecs, qui ont conservé quelques réflexes de l’époque polythéiste.

À Strasbourg, une mosquée à l’initiative Millî Görüs crée la polémique

La libération de la Grèce n’alla pas de soi. Les Turcs se livrèrent à des massacres, à Chios et ailleurs, qui indignèrent encore plus les Romantiques. Delacroix en fit un tableau saisissant. Précisons qu’une grande partie des populations insurgées fut effectivement massacrée, mais que bien plus nombreux furent les Grecs réduits en esclavage. Parce que les Turcs, comme les Arabes qui leur avaient communiqué l’islam, étaient des esclavagistes bien plus systématiques que les Occidentaux — et ils le restèrent bien plus longtemps.

Les puissances européennes n’appuyèrent les insurgés que lorsque leurs progrès furent évidents — surtout sous la pression russe, assez encline à soutenir des Orthodoxes. La marine franco-russo-britannique écrasa la flotte turque à Navarin en 1827, les Russes attaquèrent au nord, le pacha cerné de toutes parts reconnut l’indépendance de la Grèce en 1832. Plus de dix ans de guerre et des centaines de milliers de morts.

A lire aussi, Jean-François Colosimo: «Erdogan est le vrai successeur d’Atatürk»

Pourquoi penser à cela ? Eh bien parce que…

– nous sommes le 25 mars ;

– le Parlement européen a fait de son mieux, depuis 2008, à l’instigation des Allemands qui ont un vieux compte à régler avec la Grèce depuis 1944, pour écraser la Grèce sous des restructurations économiques impitoyables ;

– et à Strasbourg la mairie à tendance verte a décidé d’allouer une subvention de 2 563 000 euros pour la construction de la plus grande mosquée européenne, une mosquée turque appelée Eyyub Sultan, à l’initiative d’une organisation turque, Millî Görüs (qui a refusé de signer la charte pour un islam de France — des progressistes, sûrement), avec des capitaux turcs pour l’essentiel. Tout cela sur le dos du Concordat de 1802 qui a donné à l’Alsace un statut inspiré du Droit allemand qui permet de financer des lieux de culte avec des deniers publics.

Précisons qu’en même temps, la majorité strasbourgeoise, fort critiquée aussi bien par LR que par LREM, a refusé de voter une résolution proposée par l’Alliance de la mémoire de l’Holocauste. Antisémites un jour, antisémites toujours. Après tout, le vert est la couleur commune aux écolos et à l’islam.

Bret Easton Ellis a vu venir la cancel culture depuis longtemps

0
Le romancier américain Bret Easton Ellis © BALTEL/SIPA Numéro de reportage : 00606623_000003

Entretien avec Olivier Amiel, auteur de Voir le pire: L’altérité dans l’oeuvre de Bret Easton Ellis remède à l’épidémie de supériorité morale (Les Presses littéraires)


À travers une littérature singulière, alimentée par la violence, la star américaine Bret Easton Ellis a dépeint une Amérique riche et qui s’ennuie. Dans son petit essai publié ces jours-ci, notre contributeur perpignanais Olivier Amiel passe en revue l’ensemble des romans du provocateur et y voit la préfiguration de la cancel culture, et de la terrible fragmentation qui affecte aujourd’hui l’Amérique – les militants pro-Trump les plus radicaux sont allés jusqu’à envahir le Capitole! Amiel voit dans l’œuvre de l’écrivain un plaidoyer en faveur de l’altérité.

Malheureusement, la génération X, aguerrie au débat, s’efface actuellement devant l’intransigeance des millenials, et l’altérité vue comme empathie et mise en danger de soi pour mieux comprendre l’Autre disparait. Bret Easton Ellis ne remet pas en cause le combat passé pour lutter contre les discriminations raciales ou sexuelles. Il ne dit pas non plus que les antifascistes sont les nouveaux fascistes, mais… il constate que des combats sont dévoyés et conduisent aujourd’hui à une nouvelle discrimination contre ceux qui ne vont pas dans le sens de l’idéologie dominante (mépris, trolling sur les réseaux sociaux, appels au boycott etc.).

Causeur. En sous-titre sur la couverture de votre livre[tooltips content= »Voir le pire: L’altérité dans l’oeuvre de Bret Easton Ellis remède à l’épidémie de supériorité morale, Les Presses littéraires, 2021″](1)[/tooltips], vous mettez en exergue une épidémie qui n’est pas celle dont nous parlent les journaux quotidiennement. De quoi s’agit-il?

Olivier Amiel. Je reprends l’expression utilisée par Bret Easton Ellis dans son essai White en 2019 d’une « épidémie de supériorité morale ». C’est-à-dire une idéologie dominante et faussement bienveillante, qui dégouline de bons sentiments avec un discours victimaire et surprotecteur des offensés de tout poil. Ce mouvement militant a la particularité d’être porté par des personnes s’autoproclamant « progressistes » et pensant avoir seules la vérité face aux autres forcément « fascistes ». Sauf que pour imposer leur vision du monde, ils n’hésitent pas à agir eux-mêmes comme les vrais fascistes allant jusqu’à vouloir interdire, bannir, censurer, effacer, les idées, les œuvres et même les individus qui ne pensent pas comme eux. C’est la fameuse « Cancel culture ».

olivier amiel perpignan gitans
Olivier Amiel

Pourquoi relire l’ensemble de l’œuvre de Bret Easton Ellis est nécessaire dans notre époque troublée? Quelle clé y trouvera-t-on et par quel roman commencer?

On peut commencer par n’importe lequel de ses livres. Lire ou relire Bret Easton Ellis me semble en effet opportun dans notre époque fragmentée et polarisée, car on retrouve dans toute sa bibliographie le principe de l’altérité, c’est-à-dire le rapport que nous avons avec « l’autre ». Ça peut être une source d’affrontement et d’opposition car on rejette instinctivement ce qui est différent, mais ça peut surtout être une source d’enrichissement et de dialogue. La lecture des romans de Bret Easton Ellis permet de mesurer et de tester notre altérité. Il joue beaucoup avec le lecteur par divers moyens : les mises en abyme, les fantasmes meurtriers, le courant de conscience[tooltips content= »Une technique narrative et introspective NDLR »](2)[/tooltips]… Toujours dans le but de nous forcer à nous mettre à la place de « l’autre » et ainsi tenter de le comprendre, voire au moins l’accepter. C’est une vraie leçon de nuance dans une époque où au contraire et paradoxalement, l’idéologie dominante et intolérante tente d’imposer sa vérité manichéenne au nom de l’altérité…

A lire aussi: Selon le «New York Times», Napoléon était un… suprémaciste blanc!

Vous voyez dans American Psycho (roman publié en 1991, adapté au cinéma en 2000) un signe avant-coureur de la cancel culture que nous subissons de nos jours, et que vous pourfendez. Pourquoi?

C’est vrai, ce roman qui est une satire de la décennie 1980, des années « fric », décrit en détail les obsessions et les crimes d’un trader de Wall-Street le jour, qui devient psychopathe sanguinaire la nuit. Avant sa sortie, des extraits ont été publiés et ont suscité des appels au boycott du livre et même des menaces de mort contre son auteur, en particulier de la part d’associations féministes. La maison d’édition Simon and Schuster refuse même de sortir le livre. Ce sera le plus grand best-seller de l’auteur qui est édité depuis par Knopf. Cette campagne de dénigrement rappelle ce que des œuvres ou des artistes connaissent quasiment quotidiennement depuis quelques années au nom du bannissement par la cancel culture de tout ce qui est satirique ou ironique par peur de froisser des sensibilités de plus en plus grandes. Si on voit déjà avec American Psycho des groupes de pression tenter d’ « effacer » une œuvre culturelle, ce qui a changé aujourd’hui, ce sont les outils mis à la disposition des censeurs et des organisateurs de boycott, notamment avec les réseaux sociaux.

« Bien malin celui qui peut vraiment dire de quel bord politique est Bret Easton Ellis » écrivez-vous. Votre auteur fétiche pourrait donc avoir glissé un bulletin Biden dans l’urne, selon vous?

On sait seulement comme il le rappelle que la gauche a été son « côté de l’allée de l’église » mais qu’il ne la reconnaît pas dans sa tendance intolérante et se sentant moralement supérieure aux autres… C’est l’hystérie contre l’élection de Trump qui l’a conduit définitivement à prendre ses distances avec une idéologie sectaire, donneuse de leçon aux couches populaires et portée pourtant par les plus privilégiés de la société. Il ne partage pas non plus leur obsession identitaire et victimaire sur la race, le genre, l’orientation sexuelle, la lutte contre les discriminations ne pouvant pas justifier une réduction des individus à une partie de leur identité, ni la régression d’une liberté d’expression muselée. Il a suffi qu’il exprime une position nuancée pour qu’on le catalogue immédiatement comme « Trumpiste » alors qu’il a expliqué ne même pas avoir voté en 2016… Il y a une véritable polarisation des idées actuellement qui vous assigne à votre identité, à ce que vous votez, et vous isole des autres, de ceux qui ne pensent pas comme vous.

Quel est votre roman préféré de cet auteur? N’a-t-il pas tendance à se répéter ? Quels thèmes aimeriez-vous le voir aborder dans de prochains ouvrages?

J’ai un faible pour Lunar Park (2005) une fausse autobiographie, vrai exercice de style métafiction qui traite avec beaucoup d’émotion de la question des liens familiaux et de la paternité. L’auteur a son propre univers, donc on retrouve forcément chez Bret Easton Ellis certains « gimmicks » : des décors, des personnages, des milieux dépeints, ainsi que des clins d’œil récurrents par exemple aux morceaux d’Elvis Costello, à la drogue, aux lunettes de soleil… Je n’attends pas un thème particulier dans un prochain livre de Bret Easton Ellis, mais j’espère une nouvelle expérience d’inconfort, de remise en cause, d’altérité en somme.

Le péril d’une « intifada » à la française

0
Lyon, octobre 2015 © KONRAD K./SIPA Numéro de reportage : 00728859_000019

«Jeunes», «incivilités», «violences urbaines»: toutes ces expressions de la novlangue technocratique de gauche servent à masquer une réalité qui est l’intifada, parfois larvée, parfois explosive, menée par une partie de la jeunesse musulmane, issue de l’immigration, contre les agents des institutions de la République.


L’identification aux Palestiniens en lutte contre l’occupant israélien n’est pas un hasard: le combat est le même. Il fait rage en France, mais aussi dans d’autres pays européens.

Traumatismes choisis

La «peste émotionnelle» est une formule du psychiatre Wilhelm Reich qui désigne parfaitement cet enchevêtrement de peurs collectives, de rancœurs ressassées, d’histoires mythiques et de traditions orales enseignées depuis le plus jeune âge, qui constituent la source véritable du conflit ou, tout au moins, l’information qui permet de le faire durer indéfiniment. En effet, la réalité n’est pas constituée, comme on le pensait au XIXème siècle, seulement de matière et d’énergie, mais aussi pour une bonne part d’information. On ne doit pas négliger l’importance de cette information transmise par les symboles, les récits déformés et tendancieux de l’histoire, les propagandes, et les religions dans leur version instrumentale. La mise en avant des faits, des fautes et des erreurs de l’histoire alimente l’esprit de revanche et la crispation sur les « traumatismes choisis » et entraîne le rejet de l’autre et sert de prétexte à une culture victimaire fondée sur les préjugés et les blessures transmises.

A lire aussi: Le Danemark va limiter drastiquement le nombre de “non-Occidentaux” dans les quartiers

Contrairement à ce qu’on dit parfois, ce ne sont pas seulement la pauvreté, la misère, le chômage, le désespoir qui sont à l’origine de la violence et du fanatisme, mais plutôt un sentiment de vide intérieur qui finit par trouver une forme de résolution dans une idéologie. Le vrai problème vient donc de la violence et la destructivité. Considérer l’autre groupe comme essentiellement inhumain, monstrueux et mauvais par essence, c’est lui dénier le droit à l’existence. L’idéologie religieuse sert de prétexte à cette violence.

Il serait indispensable de s’intéresser à l’état réel de cette jeunesse, fer de lance de cette « intifada », y compris dans ses aspects psychopathologiques. Il serait important de regarder de plus près ce qui se passe dans les familles, entre les parents et les enfants, les frères et les sœurs, à ces enfants agressifs et autoritaires, à ces souffrances familiales et au sentiment de vide intérieur qui ne sont pas seulement causées par la paupérisation et le chômage.

Fantasmes

Les raisons pour lesquelles une partie importante de ces jeunes gens vivent leurs relations à la société française sur un mode paranoïaque dans lequel l’autre est vu sans nuance, « tout noir » alors qu’on est soi-même « tout blanc » tiennent beaucoup à une problématique familiale et sociale d’une part, politique d’autre part.

La diminution de l’image de la force paternelle introduite par les révolutions techniques et industrielles ainsi que la doxa pseudo féministe véhiculée par les médias et bon nombre d’intervenants sociaux a mis en cause l’identification des fils aux pères humiliés. Ces pères qui n’ont plus de travail ou qui ont un travail dévalorisé ont abouti à faire passer ces jeunes d’un monde où le père représentait l’autorité à une société de fratries, de bandes. Dans l’inconscient clivé de ces jeunes, la société française représente une mère archaïque toute puissante, castratrice et mauvaise. Le conflit œdipien étant impossible, l’agressivité normale des fils contre les pères se transforme en une rage aveugle et destructrice. Face à cette destructivité et à cette haine, la réaction de la société française qui ne supporte plus les agressions, le terrorisme et la délinquance grandissante ne fait que renforcer les fantasmes de persécution.

A lire aussi, Maurice Berger: Remettre la honte à sa juste place

Ces sentiments de frustration et d’humiliation, s’ajoutant aux problèmes d’identités, créent un certain nombre de blessures au narcissisme individuel et surtout collectif. C’est le cas de toutes les sociétés qui vivent une impasse et voient s’écrouler tous leurs espoirs et constatent la stagnation et la paralysie politique. Une autre issue consiste à créer des mythes qui visent à restituer les époques de grandeur. Ce fut le cas pour les Allemands, hantés par le souvenir du Saint empire romain germanique – mais surtout motivés par l’esprit de revanche, la défaite de 1918 et les clauses humiliantes du traité de Versailles. Ce fut le cas également pour d’autres peuples. Dans les pays arabes, c’est l’Islam qui permet de constituer cette nouvelle identité et de restaurer le narcissisme blessé.

L’islam radical a remplacé la gauche anti-impérialiste

Dans l’entretien du climat hystérique et de la fièvre nationaliste, les mouvements islamistes fondamentalistes jouent en effet un rôle important. Leur emprise est tout à fait logique et inévitable, car ils répondent à des besoins essentiels. Ces besoins fondamentaux non satisfaits sont nombreux: valorisation de soi, sécurité, affection, affiliation, repérage, projection dans l’avenir… Le narcissisme de groupe est proportionnel à l’absence de vraies satisfactions dans la vie et l’hystérie est une échappatoire devant les problèmes. La non-satisfaction de ces besoins met en danger l’individu. Lorsqu’elle est partagée par une proportion importante d’une population, c’est la cohésion collective qui est menacée, fondée sur un équilibre de forces et de tensions. L’islam a des effets réparateurs compensateurs. Face à la mondialisation et aux transformations qu’elle apporte, l’ethnocentrisme est une source de fierté, de dignité, de respect et de valeur morale. Face également à la propagation des idées démocratiques et libertaires qui n’apportent pas toujours le bonheur et la justice. La fierté dont on parle beaucoup en islam consiste à être inflexible, à relever la tête, à défendre l’identité musulmane et à honorer le devoir de mémoire. L’islam radical a remplacé la gauche anti-impérialiste mais il traîne encore derrière lui tous les déçus du combat anticapitaliste. Mais à côté de ce désir légitime de justice et de liberté pour tous les opprimés, les mouvements islamistes représentent aussi une psychopathologie collective. Comme ce fut le cas pour d’autres mouvements politiques de masse qui furent en réalité, des psychoses collectives, des épidémies de masse, l’annihilation de l’adversaire est légitime parce que ce dernier représente le mal absolu. Cette folie collective qui après avoir possédé l’Europe des croisades, de l’inquisition et de la Chasse aux sorcières, la Russie de Staline, l’Allemagne de Hitler, la Chine de Mao, le Cambodge de Pol Pot, s’empare aujourd’hui du monde arabe et musulman. Elle est le phénomène commun d’une même et terrible maladie collective qui prend des formes épidémiques et conduit comme toujours au massacre de tous ceux qui prétendent faire obstacle à l’avènement de la justice de Dieu ou de l’Idéologie sur la terre. Les discours contre le monde moderne – dont les sociétés occidentales  sont très représentatives – la violence valorisée, sacralisée comme un rituel de purification, répondent aussi à une quête de féerie pour enchanter le monde et permet de transformer l’exclusion grâce au rêve nostalgique de l’Age d’Or.

A lire aussi, Cyril Bennasar: Violences urbaines, répressions citoyennes

Ces jeunes musulmans qui se créent une nouvelle identité par l’islam dans sa forme hargneuse et revancharde ont quelque chose de cet enfant abandonné avec un sentiment de faiblesse et d’impuissance dont parle Erich Fromm, sentiment qui, d’après lui, constitue les facteurs de formation d’un caractère sadique. Leur violence va se tourner ainsi aussi bien contre des faibles, femmes ou autres adolescents ne faisant pas partie de leur bande et bien sûr contre tous les agents en position de faiblesse représentant l’autorité honnie de l’État, considéré comme une force d’occupation de leurs territoires.

Inceste: une tribune publiée dans “Le Monde” dénonce à son tour le « message délétère » de Muriel Salmona

0
Muriel Salmona Image: capture d'écran Brut.

Avec le magazine n°88 actuellement en kiosque, Causeur alerte en une sur “l’arnaque des souvenirs retrouvés”. Ce dernier numéro propose notamment un dossier sur la très contestable Muriel Salmona.

Avec l’affaire Duhamel, Salmona est invitée partout

Pour notre enquêteur Erwan Seznec, qui lui consacre tout un papier titré “Les liaisons dangereuses de Muriel Salmona”, cette psychiatre est entourée de militants qui sacralisent la parole de l’enfant. Ce sont peu ou prou les mêmes qui estimaient, dans l’affaire d’Outreau, que plus le témoignage d’un enfant est contradictoire, plus il est fiable. Par exemple, Marie-Christine Gryson-Dejehensart, avec qui Muriel Salmona a cosigné un livre (Danger en protection de l’enfance), est une experte qui n’a jamais eu un mot pour les 14 innocents d’Outreau qu’elle a contribué à mettre derrière les barreaux, et qui se réfère fréquemment à une contre-enquête fleurant bon le complotisme et publiée par la maison d’édition d’Alain Soral.

De son côté, Peggy Sastre démontre dans un papier remarquable (« Muriel Salmona, la psy qui traumatise ») que les notions d’«amnésie traumatique» et de «refoulement» sont dénuées de fondement scientifique. Elles constituent pourtant un écran derrière lequel Muriel Salmona promeut des thèses dangereuses.

Muriel Salmona enferme l’enfant victime d’inceste dans son traumatisme

Depuis l’affaire Olivier Duhamel et le lancement du mouvement #metooinceste sur les réseaux sociaux, Muriel Salmona est fréquemment invitée dans les plus grands médias. Elle y expose ses thèses sans contradicteur. C’est cette “médiatisation au risque de l’éthique” qui a fini par lasser une centaine de magistrats, avocats et thérapeutes, qui se réveillent et alertent à leur tour contre de possibles dérives dans une tribune publiée sur le site du Monde.

Denonçant le “clip glaçant de désespoir” et inadapté que Muriel Salmona a enregistré et diffusé sur le média Brut – jamais en retard d’un délire progressiste (voir plus bas) –  le collectif reconnaît que si dans la prise en charge des victimes d’inceste des lenteurs peuvent bien sûr être déplorées, la vision d’un système oppressif pour les enfants fantasmé par Muriel Salmona est malvenue. “N’enfermons pas l’enfant victime d’inceste dans son traumatisme !” s’agacent les signataires, qui voient dans la vidéo de la théoricienne du concept de “mémoire traumatique” une “prophétie autoréalisatrice pour tous les troubles futurs”.

Nul ne peut s’arroger la légitimité de se présenter comme l’unique recours [des enfants] en leur volant l’espoir de dépasser le statut de victime” rappelle la tribune, qui estime que Muriel Salmona dessert et décrédibilise les institutions.

Strasbourg: quand Jeanne Barseghian s’abrite derrière le concordat pour financer l’islam politique

0
S'en prenant à la maire Jeanne Barseghian (notre photo, image d'archive), le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin a affirmé que "la mairie verte de Strasbourg finance une mosquée soutenue par une fédération qui a refusé de signer la charte des principes de l’islam de France et qui défend un islam politique (...)" © ISA HARSIN/SIPA Numéro de reportage : 00977486_000008

Les accusations en islamo-gauchisme qui rendent furieux le parti EELV se vérifient dans les faits! La ville de Strasbourg vient d’allouer une subvention de 2,5 millions d’euros à la construction de la mosquée Eyyub Sultan, dans le quartier de la Meinau. Céline Pina rappelle que les édifices immenses sont là pour faire passer un message de domination, et dénonce la compromission de la mairie de Strasbourg.


C’est le festival des hypocrites à la mairie de Strasbourg. Quand la capitale alsacienne se voit reprocher le vote d’une subvention de plus de deux millions et demi d’euros pour l’édification d’une mosquée gigantesque, la maire de Strasbourg joue les ingénues et fait semblant de ne pas comprendre l’émoi suscité. Pour elle tout cela n’est qu’un mauvais procès et elle ne fait que se soumettre au concordat…

Jeanne Barseghian rappelle d’ailleurs que depuis 2008, 22 millions ont été versés aux cultes et prétend, en finançant Milli Görüs, ne faire que respecter un principe d’égalité.

On peut cependant se demander si l’exhibition de l’égalité n’est pas ici le faux-nez du clientélisme. En effet, à Strasbourg, seuls 37% de la population a voté et la maire s’est fait élire à la faveur d’une triangulaire. Toutes les voix comptent pour se maintenir au pouvoir et la stratégie clientéliste est la manière la plus rapide de les acquérir. Elle est surtout la seule qui reste quand vous n’êtes plus en prise avec la population. Faute d’avoir une vision d’avenir à lui proposer ou d’avoir créé un lien qui fait sens, celle-ci a déserté les élections. Dans ce type de configuration, une communauté comme la population turque est précieuse. Pourquoi ? Parce que, comme Erdogan refuse que la génération turque née en France puisse être un jour assimilée, il travaille au corps cette population et ce de deux manières : en lui inculquant un nationalisme féroce et la réislamisant de façon radicale. Du coup, en passant alliance avec cette communauté vous vous assurez un stock de voix car ceux-ci suivent les consignes qui leur sont données. Islamisme et impérialisme sont les deux piliers de la politique d’Erdogan. Et il ne s’en cache pas. Une partie de la population turque est donc instrumentalisée pour servir les intérêts du président turc sur notre sol et sa stratégie d’alliance locale. Deux associations lui servent de relais pour réaliser ces objectifs : le CCMTF, Comité de coordination des musulmans turcs de France, dit Ditib et Milli Görüs, très proche de l’AKP et qui prône l’islam politique des Frères musulmans. Que Milli Görüs soit un relais d’Erdogan et des Frères musulmans en France est de notoriété publique et il faut n’avoir honte de rien pour faire semblant de l’ignorer. Surtout quand on vit à Strasbourg.

Entrisme turc

Strasbourg est en effet au cœur de la stratégie d’entrisme du président turc en France et en Europe, nombre d’articles ont paru dans des journaux tout sauf confidentiels pour analyser cette stratégie d’influence. Mais surtout un certain nombre d’actes ont été posés.

Il y a d’abord eu le scandaleux meeting d’Erdogan à Strasbourg, en 2015, entre les attentats de Charlie et ceux de Paris, intitulé « rencontres citoyennes contre le terrorisme », où Erdogan n’a pas un mot pour les victimes de l’islamisme et s’est prétendu victime du parti des travailleurs kurdes (PKK), qui sont les « terroristes » auxquels le titre de la rencontre fait allusion. Lors de ce même meeting, il se déchaîne contre les Etats européens qu’il fait huer, enchaîne les références religieuses, met en scène les victoires contre les croisés, accuse l’Europe de tous les maux, fait de la Turquie la seule vraie civilisation et termine avec un « un seul drapeau, un seul pays, une seule foi », qui raisonne comme un « ein volk ein reich, ein fuhrer » mais adapté au XXIème siècle. Ce qui n’est pas si étonnant, quand on sait que les Frères musulmans ont été des admirateurs et des alliés des nazis.

On atteint des sommets dans la manipulation et le mensonge

C’est une façon d’affirmer que même installé sur le sol français, c’est au président Erdogan que les Turcs doivent rendre compte. Il faut dire que le président turc est islamiste et qu’il ne s’en cache pas. Il fait régulièrement le geste de salut des Frères musulmans, confrérie dont il est plus que proche et qui l’a désigné comme le meilleur candidat pour le Califat. Autrement dit, pour prendre la tête de son rêve de gouvernement mondial voué à répandre l’islam en éliminant les « incroyants » dont font partie les chrétiens, les juifs, les hindous… et en mettant fin à l’existence d’Etats laïques. A noter qu’aucune de ces informations n’est un scoop ou ne nécessite de grandes recherches. On ne peut donc qu’être ébahi par l’ignorance des élus strasbourgeois, ou par leur aplomb dans la capacité à prendre leurs interlocuteurs pour des jambons.

Mais continuons, « demain, aucun Européen, aucun occidental, ne pourra plus faire un pas en sécurité, avec sérénité dans la rue, nulle part dans le monde », voilà ce que déclarait en mars 2017 Recep Tayyip Erdogan, menaçant l’ensemble de l’Europe parce que les Pays-bas avaient refusé qu’ils viennent faire chez eux le même type de meeting. Le président turc prend de plus en plus au sérieux son rôle de Calife, endossant le costume du protecteur des musulmans face à une Europe qu’il qualifie d’islamophobe, de raciste et qu’il accuse de piétiner les Droits de l’homme parce qu’elle refuse la charia et le voile sur son sol, tandis qu’allié aux milices de Daesh, il massacre le peuple kurde en Irak et en Syrie.

Une mosquée affiliée à un Etat hostile et menaçant

Rappelons aussi qu’après la décapitation de Samuel Paty et la dénonciation de la propagande islamiste qui a abouti à son assassinat, ce même dirigeant, au lieu d’adresser ses condoléances à la famille de la victime, avait insulté Emmanuel Macron et la France. Alors que nous pleurions un meurtre abject commis au nom de l’islam et pour cause de « blasphème », lui prétendait que les seules victimes en France étaient les musulmans et mettait en accusation le peuple français. Eh bien pour la maire de Strasbourg, les faits ne comptent pas et elle espère s’en laver les mains : il ne faut « pas importer les conflits étrangers sur notre sol ». On parle pourtant là de menaces directes et le rôle d’une puissance publique est d’examiner ses actions en opportunité.

A lire aussi, Aurélien Marq: Charte de l’islam: nécessaire, mais très loin d’être suffisant

Que la ville de Strasbourg, vivant sous le régime du concordat, ait le droit de verser cette subvention est exact. Mais est-il légitime de le faire quand la ville ne peut ignorer qu’elle finance un islam politique affilié à un Etat hostile et menaçant ? Un islam politique opposé à ce que nous sommes en tant que peuple et civilisation, et qui émane d’un pays qui soutient le jihadisme et l’idéologie islamiste. Cela ne peut être passé sous silence au prétexte d’une égalité de traitement qui finit par justifier le versement d’une part de nos impôts à des mouvements qui combattent notre civilisation et les fondamentaux de notre contrat social dont l’égalité en droit et la liberté d’expression et de conscience. A ce titre la décision de la maire de Strasbourg est éminemment politique et équivaut à un soutien extrêmement fort et affiché à l’islam politique.

Une construction imposante, visant à démontrer la force de l’islam sur un sol chrétien

D’ailleurs la maire et son adjoint, Jean Werlen le prouvent en se faisant les porte-paroles de Milli Görüs. Car dans tout leur exercice pathétique d’autojustification, basé sur le fait qu’ils ignoreraient tout de la réputation sulfureuse de Milli Görüs et de ses liens avérés avec Erdogan et l’islam politique, les deux élus ne pouvaient ignorer que l’association s’était distinguée en refusant de signer la charte des valeurs républicaines. Alors nos deux élus d’expliquer assez laborieusement qu’en fait l’association ne refuse pas de signer, mais voudrait consulter ses membres, a eu l’impression qu’on voulait lui forcer la main et que cela l’a froissé… Là on atteint des sommets dans la manipulation et le mensonge.

En effet la charte des valeurs républicaines n’est ni négociable ni amendable. C’est et ce doit être un acte de souveraineté. L’idée est claire: nous ne négocions pas les modalités de notre citoyenneté et les principes de notre droit avec les religions, quelles qu’elles soient. Nous avons des idéaux, des principes et des lois et ils s’imposent aux dogmes religieux. Donc signer la charte c’est accepter cet ordre juridique, refuser de la signer, c’est affirmer symboliquement que la charia est supérieure au droit français. Et c’est exactement ce qui s’est joué dans cette histoire.

A lire ensuite, Abdelaziz Kacem: L’arabe contre le séparatisme

Le président turc veut construire, avec l’aide du Qatar, pourvoyeur de fonds de la stratégie des Frères musulmans, une mosquée immense, la plus grande en Europe après Cordoue. Celle-ci devrait être le vaisseau amiral de la conquête islamique en Europe dont rêve Recep Tayyip Erdogan, elle doit montrer la puissance et la force de l’islam sur un sol chrétien, voilà pourquoi elle doit dominer son environnement. Pour satisfaire de tels rêves de grandeur, le Plan local d’Urbanisme a dû être modifié, ce qui indique bien l’aspect monumental et imposant de la construction et témoigne encore plus des limites intellectuelles de ces élus qui ont oublié que le geste architectural est lié au pouvoir et que les édifices immenses sont là pour faire passer un message de domination. Surtout quand le nouvel édifice dépasse tout ce qu’il y a autour de lui. La mairie de Strasbourg a donc choisi de financer les provocations d’Erdogan et l’affirmation de sa puissance comme de celle de l’islam politique sur notre sol. Et cela alors même que l’islam politique fait de la France et de l’Europe sa cible privilégiée. Pire même, on apprend que l’association Milli Görüs espère bien récolter auprès d’autres collectivités l’équivalent de six millions d’euros, c’est dire si nos élus sont vus comme susceptibles de dilapider l’argent public pour servir des intérêts étrangers au détriment de notre sécurité collective. Quand un élu fait cela, il trahit son devoir et ce qu’il doit à ses concitoyens soit par lâcheté, soit par intérêt personnel, mais quelle que soit la raison, il commet une faute.

On ne peut que se féliciter de la réaction sans ambiguïté de Gérald Darmanin et de Marlène Schiappa et remarquer que la maire de Strasbourg, elle, choisit de justifier l’inqualifiable. En attendant, les accusations de dérives islamo-gauchistes, qui rendent furieux les dirigeants d’EELV, se vérifient dans les faits et servent des personnes et des courants religieux et politiques qui mettent le feu au monde, nous attaquent et nous fragilisent à la fois en tant que nation et en tant que peuple.