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Bret Easton Ellis a vu venir la cancel culture depuis longtemps

Entretien avec Olivier Amiel


Bret Easton Ellis a vu venir la cancel culture depuis longtemps
Le romancier américain Bret Easton Ellis © BALTEL/SIPA Numéro de reportage : 00606623_000003

Entretien avec Olivier Amiel, auteur de Voir le pire: L’altérité dans l’oeuvre de Bret Easton Ellis remède à l’épidémie de supériorité morale (Les Presses littéraires)


À travers une littérature singulière, alimentée par la violence, la star américaine Bret Easton Ellis a dépeint une Amérique riche et qui s’ennuie. Dans son petit essai publié ces jours-ci, notre contributeur perpignanais Olivier Amiel passe en revue l’ensemble des romans du provocateur et y voit la préfiguration de la cancel culture, et de la terrible fragmentation qui affecte aujourd’hui l’Amérique – les militants pro-Trump les plus radicaux sont allés jusqu’à envahir le Capitole! Amiel voit dans l’œuvre de l’écrivain un plaidoyer en faveur de l’altérité.

Malheureusement, la génération X, aguerrie au débat, s’efface actuellement devant l’intransigeance des millenials, et l’altérité vue comme empathie et mise en danger de soi pour mieux comprendre l’Autre disparait. Bret Easton Ellis ne remet pas en cause le combat passé pour lutter contre les discriminations raciales ou sexuelles. Il ne dit pas non plus que les antifascistes sont les nouveaux fascistes, mais… il constate que des combats sont dévoyés et conduisent aujourd’hui à une nouvelle discrimination contre ceux qui ne vont pas dans le sens de l’idéologie dominante (mépris, trolling sur les réseaux sociaux, appels au boycott etc.).

Causeur. En sous-titre sur la couverture de votre livre[tooltips content= »Voir le pire: L’altérité dans l’oeuvre de Bret Easton Ellis remède à l’épidémie de supériorité morale, Les Presses littéraires, 2021″](1)[/tooltips], vous mettez en exergue une épidémie qui n’est pas celle dont nous parlent les journaux quotidiennement. De quoi s’agit-il?

Olivier Amiel. Je reprends l’expression utilisée par Bret Easton Ellis dans son essai White en 2019 d’une « épidémie de supériorité morale ». C’est-à-dire une idéologie dominante et faussement bienveillante, qui dégouline de bons sentiments avec un discours victimaire et surprotecteur des offensés de tout poil. Ce mouvement militant a la particularité d’être porté par des personnes s’autoproclamant « progressistes » et pensant avoir seules la vérité face aux autres forcément « fascistes ». Sauf que pour imposer leur vision du monde, ils n’hésitent pas à agir eux-mêmes comme les vrais fascistes allant jusqu’à vouloir interdire, bannir, censurer, effacer, les idées, les œuvres et même les individus qui ne pensent pas comme eux. C’est la fameuse « Cancel culture ».

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Olivier Amiel

Pourquoi relire l’ensemble de l’œuvre de Bret Easton Ellis est nécessaire dans notre époque troublée? Quelle clé y trouvera-t-on et par quel roman commencer?

On peut commencer par n’importe lequel de ses livres. Lire ou relire Bret Easton Ellis me semble en effet opportun dans notre époque fragmentée et polarisée, car on retrouve dans toute sa bibliographie le principe de l’altérité, c’est-à-dire le rapport que nous avons avec « l’autre ». Ça peut être une source d’affrontement et d’opposition car on rejette instinctivement ce qui est différent, mais ça peut surtout être une source d’enrichissement et de dialogue. La lecture des romans de Bret Easton Ellis permet de mesurer et de tester notre altérité. Il joue beaucoup avec le lecteur par divers moyens : les mises en abyme, les fantasmes meurtriers, le courant de conscience[tooltips content= »Une technique narrative et introspective NDLR »](2)[/tooltips]… Toujours dans le but de nous forcer à nous mettre à la place de « l’autre » et ainsi tenter de le comprendre, voire au moins l’accepter. C’est une vraie leçon de nuance dans une époque où au contraire et paradoxalement, l’idéologie dominante et intolérante tente d’imposer sa vérité manichéenne au nom de l’altérité…

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Vous voyez dans American Psycho (roman publié en 1991, adapté au cinéma en 2000) un signe avant-coureur de la cancel culture que nous subissons de nos jours, et que vous pourfendez. Pourquoi?

C’est vrai, ce roman qui est une satire de la décennie 1980, des années « fric », décrit en détail les obsessions et les crimes d’un trader de Wall-Street le jour, qui devient psychopathe sanguinaire la nuit. Avant sa sortie, des extraits ont été publiés et ont suscité des appels au boycott du livre et même des menaces de mort contre son auteur, en particulier de la part d’associations féministes. La maison d’édition Simon and Schuster refuse même de sortir le livre. Ce sera le plus grand best-seller de l’auteur qui est édité depuis par Knopf. Cette campagne de dénigrement rappelle ce que des œuvres ou des artistes connaissent quasiment quotidiennement depuis quelques années au nom du bannissement par la cancel culture de tout ce qui est satirique ou ironique par peur de froisser des sensibilités de plus en plus grandes. Si on voit déjà avec American Psycho des groupes de pression tenter d’ « effacer » une œuvre culturelle, ce qui a changé aujourd’hui, ce sont les outils mis à la disposition des censeurs et des organisateurs de boycott, notamment avec les réseaux sociaux.

« Bien malin celui qui peut vraiment dire de quel bord politique est Bret Easton Ellis » écrivez-vous. Votre auteur fétiche pourrait donc avoir glissé un bulletin Biden dans l’urne, selon vous?

On sait seulement comme il le rappelle que la gauche a été son « côté de l’allée de l’église » mais qu’il ne la reconnaît pas dans sa tendance intolérante et se sentant moralement supérieure aux autres… C’est l’hystérie contre l’élection de Trump qui l’a conduit définitivement à prendre ses distances avec une idéologie sectaire, donneuse de leçon aux couches populaires et portée pourtant par les plus privilégiés de la société. Il ne partage pas non plus leur obsession identitaire et victimaire sur la race, le genre, l’orientation sexuelle, la lutte contre les discriminations ne pouvant pas justifier une réduction des individus à une partie de leur identité, ni la régression d’une liberté d’expression muselée. Il a suffi qu’il exprime une position nuancée pour qu’on le catalogue immédiatement comme « Trumpiste » alors qu’il a expliqué ne même pas avoir voté en 2016… Il y a une véritable polarisation des idées actuellement qui vous assigne à votre identité, à ce que vous votez, et vous isole des autres, de ceux qui ne pensent pas comme vous.

Quel est votre roman préféré de cet auteur? N’a-t-il pas tendance à se répéter ? Quels thèmes aimeriez-vous le voir aborder dans de prochains ouvrages?

J’ai un faible pour Lunar Park (2005) une fausse autobiographie, vrai exercice de style métafiction qui traite avec beaucoup d’émotion de la question des liens familiaux et de la paternité. L’auteur a son propre univers, donc on retrouve forcément chez Bret Easton Ellis certains « gimmicks » : des décors, des personnages, des milieux dépeints, ainsi que des clins d’œil récurrents par exemple aux morceaux d’Elvis Costello, à la drogue, aux lunettes de soleil… Je n’attends pas un thème particulier dans un prochain livre de Bret Easton Ellis, mais j’espère une nouvelle expérience d’inconfort, de remise en cause, d’altérité en somme.



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