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Faut–il en finir avec le Rapport Stora?

Benjamin Stora est-il réellement un spécialiste objectif sur la colonisation?


Faut–il en finir avec le Rapport Stora?
Militaires français patrouillant dans les rues d'Alger durant la période du Ramadan. Alger, ALGERIE - mars 1961 © DALMAS/SIPA Numéro de reportage : 00533181_000002

Pour l’historien Jean Monneret[tooltips content= »Spécialiste de l’Algérie française, il a publié en 2020 Dissidence – Dissonance, Contre la désinformation sur la guerre d’Algérie« ](1)[/tooltips], le rapport de Benjamin Stora enfonce un peu plus une France qui devrait forcément être « plurielle » dans le carcan pénitentiel. Analyse


Commencée en 1830, achevée en 1847, la Conquête de l’Algérie suscita en France un clivage entre « colonistes », soutenant l’entreprise et « anticolonistes » la combattant. Il s’est presque maintenu jusqu’à nos jours. En un premier temps, spécialement sous le Second Empire, l’Algérie fut tenue pour un territoire musulman n’ayant pas vocation à s’assimiler à la France. Après la chute de l’Empire en I870 et l’avènement de la troisième république, les dirigeants français, conduits par idéologie jacobine à négliger les identités religieuses et culturelles, firent de l’Algérie une extension du territoire métropolitain. L’empire colonial exalté et porté par Jules Ferry devint, pour la France amputée de l’Alsace-Lorraine, le moyen d’opposer cent millions d’hommes à la menace prussienne. Dans l’opinion, la réticence envers la colonisation demeura néanmoins latente.

Dans l’entre-deux-guerres, la mystique coloniale fut vivace tandis que les opposants se recrutaient de plus en plus à gauche. En 1945, l’influence du marxisme, dans les milieux intellectuels et à l’université, conforta cette hostilité. Les œuvres de Charles-André Julien (né en 1891 et mort en 1991, cet historien et journaliste, spécialiste de l’Afrique du Nord et militant anticolonialiste, a enseigné entre autres à Sciences-Po Paris, à l’ENA) et de Charles-Robert Ageron (né 1923 et mort en 2008, cet professeur d’Histoire à l’université de Tours, spécialiste de la colonisation française en Algérie est aussi un chrétien de gauche, proche de la revue Esprit et l’un des premiers à critiquer la torture) constituèrent un point d’équilibre, car, tout en centrant leurs analyses sur l’Algérie, « perle de l’empire » et en affirmant leur vision anticoloniale, ces historiens surent ne pas transiger avec les faits établis et écarter toute propagande.

L’anticolonialisme repentant domine depuis des décennies

En 1954, l’entrée dans un conflit armé en Algérie alimenta tant le vieux fonds anticolonial que la mystique impériale, confortée par le récit du rôle joué par l’Empire durant la lutte contre le national-socialisme. Dans le camp opposé, l’anticolonialisme fut également stimulé et trouva dans la dénonciation de la torture un aliment intarissable.

Après l’indépendance de l’Algérie en 1962, un silence se fit. Seul le cinéma produisit des œuvres généralement pro-indépendantistes et hostiles à l’Armée française. Il fallut attendre les années 1990 pour voir renaître les recherches sur la période coloniale et le conflit algérien. Entre temps, l’anticolonialisme était devenu dominant tant à l’Université que dans les médias.

Benjamin Stora et Emmanuel Macron, janvier 2021 © Christian Hartmann/AP/SIPA Numéro de reportage : AP22544838_000001
Benjamin Stora et Emmanuel Macron, janvier 2021 © Christian Hartmann/AP/SIPA Numéro de reportage : AP22544838_000001

En 1992, les archives militaires s’ouvrirent conformément à la règle de la prescription trentenaire. Benjamin Stora se fit un nom vers cette époque. Son téléfilm Les Années Algériennes sortit en septembre 1991. Les grands medias le désignèrent comme le meilleur spécialiste de l’Algérie.

Plusieurs de nos présidents se crurent obligés de lui demander son avis. Récemment, et pour ne pas déroger à ce qui devient une règle, Emmanuel Macron consulta Stora. Il lui commanda un rapport sur l’état des conflits mémoriels entre la France et L’Algérie Sa lettre de mission lui donnait comme objectif de «réconcilier le peuple algérien et le peuple français ». C’était beaucoup demander. Stora s’est contenté d’inventorier les revendications mémorielles des uns et des autres. Il les a assorties de préconisations. Seize pour apaiser la partie algérienne dont quelques-unes carabinées et huit, moitié moins, pour la partie française. Dans sa lettre de mission, Emmanuel Macron faisait allusion à « un chemin à parcourir en France » concernant la colonisation.

A lire aussi, Bernard Carayon: Mort de l’avocat du FLN Ali Boumendjel: un absurde mea culpa

Le document ouvre donc un épisode plutôt franco-français. Nous allons montrer qu’il conduira à une repentance qui n’osera pas dire son nom. A sens unique, comme souvent avec l’Algérie.

Alger fait la sourde oreille

Présenté par son auteur et le commanditaire présidentiel comme un texte destiné à réconcilier les peuples algérien et français le Rapport Stora est un leurre pour une raison simple : il n y a pas de contentieux entre ces peuples, lesquels se  soucient comme d’une guigne des prétendus conflits mémoriels qui les opposeraient. Nos yeux se sont ouverts, une première fois, lorsqu’un porte-parole des autorités algériennes a affirmé que le Rapport ne les concernait pas. De plus, un haut fonctionnaire algérien, questionné sur ce texte et la libre circulation en Algérie des enfants de harkis, qu’il suggère de faciliter répondit, avec une morgue caractéristique, qu’il ne fallait rien attendre sur ce point. Ceci signifie qu’il est vain d’attendre que ce texte débouche sur on ne sait quelles conversations avec l’Algérie. Il n’y en aura pas. Les Algériens ne sont pas demandeurs. Ils attendent « des excuses » pour la colonisation. Point.

Nous fûmes confortés en ce sentiment par l’article de Bérénice Levet dans Valeurs Actuelles du 4 février dernier. Celle-ci signale qu’à peine M. Macron avait-il indiqué que la République ne « toucherait pas aux statues », car, on ne choisit pas « une part de l’histoire de France, on choisit la France », qu’il nommait Pascal Blanchard à la tête de la commission chargée d’attribuer statues et noms de rue à des héros issus de l’immigration. Or, Blanchard est un anticolonialiste invétéré. M. Blanquer, Ministre de l’Education, s’est récemment inquiété du crédit dont jouissent les thèses « indigénistes » et décoloniales dans nos Universités. Gageons que cette nomination a dû l’enchanter. Conseillons lui donc, à titre de consolation, la lecture de L’imposture décoloniale de Pierre-André Taguieff.

Et si le but ultime de la publication Stora était tout simplement de favoriser une relecture anticoloniale de l’Histoire de France contemporaine ? Certains objecteront que tel n’est pas le dessein du Président. N’a-t-il pas précisé dans sa lettre de mission à Stora que: « Ce travail de mémoire et de vérité [nous devrons] le mener avec courage et un esprit de concorde, d’apaisement et de respect de toutes les consciences » (Page 9) ? Disons que la nomination de Blanchard ne va pas exactement dans ce sens. Notre président est passé maître dans l’art d’affirmer une chose et son contraire.

Ainsi, dans un entretien accordé à L’Express qu’analyse Madame Levet, il déclare ne pas être partisan du multiculturalisme, Mais, tout est là, il dit croire à une politique « de la reconnaissance des identités ». Lui qui a proclamé jadis, tout benoîtement, qu’il « n’y avait pas de culture française » compare aujourd’hui cette dernière « au fleuve principal » flanqué bien entendu « de ses affluents ». Voilà qui paraîtra bien innocent à certains. Qui ne voit pourtant que le modèle français qui faisait de notre langue, de notre histoire, de notre littérature, de notre mode de vie, le seul ciment du peuple a vécu ? C’est là une révolution culturelle.

Multiculturalisme et repentance se nourrissent

Comment se situe le Rapport Stora dans cette confusion? Pour répondre valablement à cette question, il faut d’abord fermer les yeux et imaginer. Imaginons que les préconisations les plus corsées de Stora soient retenues :

a/ Commémoration de la journée du 17 octobre 1961.

b/ Identification des lieux d’inhumation des condamnés à mort exécutés. (Lesquels deviendraient illico des lieux d’hommage et de commémoration).

c/ Transformation des lieux d’assignation à résidence en France métropolitaine en lieux de mémoire.

d/ Organisation d’un Colloque international d’hommage aux opposants à la guerre d’Algérie ; Mauriac, Mandouze, Ricœur, Sartre etc…

e/ Panthéonisation de Gisèle Halimi, grande dénonciatrice de l’Armée française.

Ceci serait un chef d’œuvre de désinformation ; le mot repentance ne serait pas utilisé mais la chose serait partout. Le Monde a récemment publié un article saluant la suggestion que soit publiée une liste d’Algériens musulmans disparus pendant le conflit. (Du fait des activités de l’armée française bien sûr. Une liste des harkis disparus ne présenterait sans doute pas le même intérêt pour les auteurs). Le journal indiquait qu’une telle publication vaudrait « reconnaissance « (sic). Le GRFDA (Groupe de Recherche des Français Disparus en Algérie créé en 2002), qui n’arrive toujours pas à donner un statut officiel à sa liste d’Européens disparus du fait du FLN, appréciera.

Quel rapport avec le multiculturalisme dira-t-on ? Très simple : multiculturalisme et repentance se nourrissent l’un l’autre. Si d’autres cultures doivent s’affirmer en France, il faut que la culture traditionnelle, canal historique, des Français autochtones s’amoindrisse. Il se trouvera bien un phraseur disponible pour dire que le fleuve n’est rien sans les affluents. Du moins est-ce ce que pensent nos élites: la France, nation éminemment coloniale doit purger son passé, pour pleinement vivre son avenir pluriel.

A lire ensuite, Loris Chavanette: La question algérienne: un procès à charge qui ne dit pas son nom

Désormais, il suffira à M. Macron de mettre en application les préconisations les plus « saillantes » du Rapport Stora pour modifier d’importance la perception que les Français ont de la Guerre d’Algérie et de la période dite « coloniale ». C’est là tout l’objectif de l’opération. Il ne s’agit pas d’apaiser les hiérarques d’Alger, ni d’entamer on ne sait quels négociation ou échanges culturels. Il s’agit d’enfoncer un peu plus la France dans le carcan pénitentiel. Sans le dire bien sûr et sans jamais prononcer les vilains mots qui fâchent.

La chose pour l’instant est loin d’être faite. Mais tout se met déjà en place. Certes, il ne suffira pas de solenniser certaines dates et de criminaliser certains épisodes. Il faudra le faire en profondeur et dans la durée. Très logiquement, le Rapport Stora prévoit donc de s’attaquer aux manuels scolaires. Et, non moins logiquement, de mettre à contribution l’industrie des images, films et séries télévisées. Or, ce sont là des armes de destruction massive des mémoires, des identités, comme de la discipline historique.

Un ARTE franco-algérien pour formater les esprits

Une « réconciliation des mémoires » peut paraître aujourd’hui un mot d’ordre militant, absurde et sans rapport avec une conception rationnelle et scientifique de l’Histoire. Aussi, tout le problème du tandem Macron/Stora est-il d’y arriver progressivement. La référence du Rapport à la « circulation des images, qui mènerait à des représentations réciproques (sic), à des ouvertures mutuelles » (resic.page 103) est tout sauf accidentelle. La suggestion de créer un ARTE franco-algérien (Page104) va dans le même sens. Le formatage des esprits s’imposerait ainsi, peu à peu, et mènerait, non pas certes à l’Histoire, mais à une « similihistoire » de style hollywoodien. Pour se rendre compte du résultat prévisible, il suffit de repenser à la représentation télévisée des Chevaux du Soleil de Jules Roy, il y a trente ans. Elle tourna à l’acte d’accusation implacable contre l’Algérie des Français.

D’ailleurs M. Stora enfonce le clou: « L’outil audiovisuel est un instrument décisif pour la préservation (comprendre destruction) des mémoires et le passage à l’Histoire, pour des tentatives de rapprochement entre la France et l’Algérie » (page 104). Il n’oublie qu’un « détail » : pour le passage à l’Histoire, il faudrait un ingrédient supplémentaire à savoir que toute l’opération soit basée sur la recherche de la Vérité. Là, il s’agira d’imposer une vision préétablie, partielle et partiale[tooltips content= »En 2012, on vit à la télé un biopic sur Toussaint Louverture. Il comportait quelques épisodes non-historiques pour le corser. Ainsi fut-il affirmé que la sœur du héros avait été violée par des marins européens. Ceci fut critiqué par des journalistes et des historiens. L’auteur eut cette réponse mémorable : « La vérité idéologique prime la vérité historique ». »](2)[/tooltips]. Il n’y aura, comme d’habitude, qu’un seul son de cloche : celui des anticoloniaux de choc, des progressistes, des décolonistes. D’ailleurs, Benjamin Stora est trop militant et trop engagé pour ne pas se trahir sur ce point comme il le fait page 103: « L’aventure coloniale dans les origines de la conquête, dans ses injustices et son fonctionnement inégalitaire n’a pas vraiment hanté le cinéma français ». Il va donc y remédier. Inutile de demander le programme, chers amis. Nous le connaissons déjà: injustices, inégalités. Point à la ligne. Voilà l’Algérie que l’on nous montrera. Inutile de chercher la vérité elle est déjà toute trouvée.

Nous sommes bien loin de Charles-André Julien et son disciple Charles-Robert Ageron, directeur de thèse d’un certain…Benjamin Stora ! Qu’on nous comprenne bien : nous n’avons rien contre le 7ème Art. Au contraire. Mais compte tenu de l’état actuel du cinéma français, où le contrôle étroit des contenus idéologiques et politiques est la règle, on peut redouter que l’objectivité ne soit guère le souci principal. Il est à craindre que ne se fasse attendre l’équivalent d’un Steven Spielberg avec La Liste de Schindler. En revanche, les navets de choc du style Hors-la-Loi de Bouchareb risquent de foisonner. Désastre annoncé.

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