Les « woke », une lutte contre l’unité du genre humain
L’influence du mouvement woke n’est déjà plus à démontrer en Occident, en particulier aux États-Unis où il a vu le jour. Les Chinois aimeraient beaucoup se moquer de ce mouvement perçu comme celui d’une idéologie d’enfant gâtés et dégénérés. Au Canada, pays-extension de l’empire démocrate, son influence est perceptible chez la plupart des politiciens de « gauche », mais aussi de plus en plus chez des élus de « droite », ce qui est plus révélateur encore de son succès.
Tous les jours au Canada, on voit les codes et nouvelles normes de ce courant être diffusés et imposés à la télévision publique, où de nombreux animateurs et journalistes font du militantisme sans aucune retenue. On voit cette nouvelle utopie dans la posture du Premier ministre Justin Trudeau, dont le progressisme ostentatoire est reconnu mondialement.
Du grand Capital au grand Occidental
Mais qu’est-ce ce nouveau courant dont tout le monde parle ? Le mouvement woke s’enracine d’abord dans la gauche marxiste. On en reconnait plusieurs traits dans son univers : par exemple, le passage de la lutte des classes à la lutte des races, et la transformation des femmes en une sorte de prolétariat mondial devant s’affranchir du très toxique patronat masculin. L’idée d’un combat contre une puissance hégémonique est centrale. Il ne s’agit plus d’en finir avec le grand Capital, mais avec le grand Occidental.
Cependant, les woke s’éloignent du marxisme et de la gauche née à la Révolution française en niant le caractère universel d’une humanité qu’on fragmente en divers segments pour les enfermer dans une catégorie étanche. La gauche marxiste divisait le monde entre les faibles et les puissants, mais en appelait tout de même au rassemblement de l’humanité sous une bannière commune. Dans l’histoire des idées, l’obsession raciale avait toujours été réservée aux courants racistes et d’extrême droite.
Aujourd’hui, il n’y a plus une humanité une à faire progresser, mais des Afro-descendants contre des « Blancs », des colonisés contre des colonialistes, des femmes contre des hommes et des laids contre des beaux. Le courant woke prône la ségrégation de l’espace public, et même de l’espace numérique : les groupes qu’il croit opprimés et prétend représenter devraient évoluer dans des « safe spaces », de l’autre côté de la société.
Le culte du poly-multi-pluri tout
L’idéologie woke fait de la diversité sous toutes ses formes un idéal absolu. La diversité devient un culte à la limite de la religion. Rappelons que le mot woke vient du verbe « to wake » en anglais, qui signifie « se réveiller » ou « s’éveiller ». Les woke sont donc des « éveillés », alors que les autres sont des « endormis ». Vous croyez ou vous ne croyez pas. Véritables petits bouddhas sociaux, leur combat apparait quasiment comme un éveil spirituel, une sorte de défi lancé par un auteur ésotérique dans un livre de développement personnel. Tout devrait être pluri, multi et poly quelque chose : c’est une lutte menée contre l’unité des sociétés, et même du genre humain, surtout quand il est question de « décolonisation ».
Le wokisme est fondé sur un déni de la réalité : les sexes n’existeraient plus, de même que les cultures et les nations. La diversité culturelle est niée au nom de la… diversité culturelle. Il n’y a plus de Brésiliens noirs, d’Haïtiens, d’Afro-Américains, de Congolais et d’Éthiopiens, mais seulement des Noirs, lesquels formeraient apparemment une communauté unie. Il n’y a plus de Français, d’Irlandais, de Russes, de Croates et de Grecs, mais des Blancs, lesquels partageraient aussi un même et unique destin. Ce qui existerait, ce serait seulement des races en guerre les unes contre les autres, partout et tout le temps, et des individus troublés en guerre contre leur sexe.
Les woke se distinguent aussi par leur grande fragilité psychologique. Tout est potentiellement une « micro-agression », c’est-à-dire une atteinte à l’intégrité de leur petite personne, dont le confinement a confirmé l’équilibre extrêmement précaire.
La grande contradiction du « wokeness »
Le plus grand paradoxe de ce courant est de prôner en même temps un hyper essentialisme racial et un éclatement complet de toute identité sexuelle grâce à l’idéologie trans. C’est une contradiction monumentale et insurmontable. D’un côté, les gens dits racisés et leurs pseudos adversaires, les « Blancs », sont confinés à leur identité raciale, mais de l’autre, les gens sont invités à transcender leur sexe, lequel serait « assigné à la naissance » par des médecins malveillants et réactionnaires. On vous emprisonne dans votre origine ethnique, mais on vous force à vous « libérer » de votre prison de genre.
Grâce aux black studies, cours répandus dans les universités anglo-saxonnes, on apprend que les Grecs ont tout piqué aux Égyptiens, qu’une présence africaine est attestée en Angleterre depuis l’Antiquité et que Napoléon a inventé les chambres à gaz pour tuer les Haïtiens…
C’est une petite dame d’apparence toute frêle, aujourd’hui âgée de 86 ans. Mais Mary Lefkowitz possède un courage de lion, un intellect au rayon laser et une passion inextinguible pour la vérité. C’est que ce que nous découvrons avec la réécriture « antiraciste » de l’histoire et la cancel culture, elle l’a déjà vécu il y a trente ans en tant que titulaire d’une chaire de lettres classiques au très paisible Wellesley College, près de Boston. Au nom de la rigueur scientifique, elle a osé réfuter une série de thèses pseudo-historiques, idéologiquement motivées, sur l’origine de la civilisation grecque et le statut de la culture occidentale. Beaucoup plus qu’une tempête universitaire dans un verre d’eau académique, l’esclandre déclenché est devenu une lutte acharnée pour préserver la recherche historique de l’influence perverse des idéologies politiques. Victime d’insultes, de protestations, de dénonciations et d’un interminable procès vexatoire, Lefkowitz a tenu bon. Sa résistance infaillible et les tenants et aboutissants de cette affaire sont riches de leçons pour notre époque.
Athènes n’est plus dans Athènes
Tout commence au début des années 1990. À sa grande surprise, Lefkowitz apprend qu’un collègue, Tony Martin, enseigne dans ses cours que Socrate et Cléopâtre étaient noirs. Trinidadien, Martin est professeur dans la section d’african studies, ou black studies, l’étude de la culture africaine et celle de la diaspora africaine, section que Lefkowitz elle-même a aidé à créer. Peu de temps après, on demande à celle-ci d’écrire un compte-rendu de trois livres, dont le deuxième volume de l’ouvrage monumental, Black Athena, qui prétend démontrer que la plupart des réalisations de la Grèce ancienne ont une origine égyptienne (1). Son auteur, l’Anglais Martin Bernal, n’est pas un spécialiste de ce domaine. Petit-fils d’un égyptologue distingué, il a une formation de sociologue. Enseignant les sciences politiques à l’université de Cornell, c’est dans un but politique qu’il écrit son livre, puisqu’il s’agit d’« ébranler l’arrogance culturelle européenne ». Il se présente comme un non-spécialiste qui bouleverse les suppositions paresseuses et racistes des spécialistes de l’histoire ancienne. Son travail, truffé de références et accompagné d’une longue bibliographie, a de quoi impressionner le lecteur naïf.
Scandalisée, Lefkowitz démonte les arguments de Bernal dans une série d’articles et un ouvrage collectif (2). Selon Bernal, avant le XVIIIe siècle, tout le monde savait que la culture grecque venait de l’Égypte, mais les historiens modernes se sont employés à faire croire que les Grecs avaient créé leur propre culture – comme la déesse Athéna était sortie tout armée de la tête de Zeus. Il qualifie cette prétendue affabulation d’« aryenne » pour souligner son caractère raciste. Lefkowitz montre non seulement que la plupart des chercheurs sont loin d’être des suprémacistes blancs, mais que Bernal lui-même ignore tous les travaux mettant en lumière les contacts étroits des Grecs avec d’autres peuples du Moyen-Orient comme les Phéniciens et les Perses. Pour étayer son attaque, Bernal soutient que l’Égypte a envahi la Grèce au iie millénaire av. J.-C. et prétend en apporter les preuves archéologiques. Lefkowitz fait remarquer non seulement l’absence de toute trace tangible d’une telle invasion, mais aussi la dépendance de Bernal vis-à-vis de récits mythologiques. Enfin, Bernal affirme qu’au moins un tiers de la langue grecque est d’origine égyptienne, mais ses arguments étymologiques – comme la dérivation du nom d’Athéna de la déesse égyptienne Neith – se révèlent fantaisistes. Certes, l’Égypte a exercé une influence sur la Grèce, mais c’est la Grèce qui, sous Alexandre, a envahi et dominé l’Égypte, de 331 à 31 av. J.-C. Lefkowitz défend le caractère unique de la philosophie grecque, tout en soulignant que l’idée selon laquelle la sagesse des Hellènes provient de mystères censément égyptiens est un mythe promu par les francs-maçons au XVIIIe siècle. On en trouve une expression dans la Flûte enchantée de Mozart, avant que le déchiffrement des hiéroglyphes par Champollion rende de telles spéculations impossibles.
Un racisme classique
Cette querelle aurait pu rester une affaire d’obscurs pédants si le projet de Bernal ne venait pas appuyer un courant de pensée plus ancien, l’afrocentrisme, qui avait largement pignon sur rue dans les départements de black studies où tous les professeurs et tous les étudiants étaient noirs. Dans sa version modérée, que certains appellent « afrocentricité », il s’agit de compenser une vision traditionnelle de l’histoire trop centrée sur l’Europe. Mais souvent, c’est une autre tendance qui domine, plus revendicatrice et plus encline à faire violence aux faits historiques (3). Selon cet afrocentrisme-là, non seulement la première civilisation de l’humanité est égyptienne, mais les Égyptiens étaient des Noirs africains. Ensuite, les Grecs ont tout volé à la culture noire, et les historiens blancs ont dissimulé ce vol. Ce courant a pris racine au XIXe siècle quand des Afro-Américains cherchaient, pour des raisons compréhensibles, une généalogie culturelle plus noble que celle que l’esclavage leur imposait. Ils l’ont trouvée dans l’Égypte ancienne qui était bien un pays africain et entretenait des liens importants avec des peuples noirs habitant plus au sud de la vallée du Nil. À la pseudo-science des Blancs répondait donc une pseudo-histoire des Noirs. Des militants célèbres tels que Marcus Garvey et W. E. B. Du Bois ont adhéré à cette thèse d’un « héritage volé », selon le titre du livre influent publié par l’universitaire George James en 1954 : Stolen Legacy(4). Le monde francophone y a contribué de manière notoire à travers les apports du polymathe Cheik Anta Diop et du linguiste Théophile Obenga qui postulaient l’existence d’une langue négro-égyptienne dont les bases philologiques ont fait l’objet de critiques sévères (5). Ces auteurs ont promu l’idée d’une supériorité de la culture noire sur toutes les autres. À partir des années 1960, la thèse de l’« héritage volé » devient monnaie courante chez maints professeurs de black studies. Elle inspire une méfiance profonde vis-à-vis de la production d’historiens blancs qu’il est désormais légitime d’ignorer.
En critiquant l’œuvre de Bernal, Lefkowitz attaque donc tout l’édifice de l’afrocentrisme. D’ailleurs, les deux autres livres qu’elle recense en même temps que le volume de Bernal sont Stolen Legacy, de James, et Africa, Mother of Civilization, de Yosef Ben-Jochannan, professeur portoricain à Cornell qui se présente comme un juif éthiopien. Elle apprend chez ces deux auteurs qu’Aristote aurait plagié toute sa philosophie dans des livres se trouvant dans la bibliothèque d’Alexandrie – bien que le philosophe soit mort avant la construction de la bibliothèque. Choquée, Lefkowitz consacre un autre livre à la déconstruction de cette nouvelle mythologie, ce qui lui vaut d’être accusée d’être raciste, d’extrême droite et – ce qui est vrai – juive (6). En effet, une fois que la pseudo-histoire est dans la place, tous les délires deviennent possibles. L’afrocentrisme dans ses formes les plus outrancières est souvent associé à l’antisémitisme.
Typique à cet égard, l’organisation musulmane très hétérodoxe, la Nation of Islam, créée dans les années 1930 et refondée dans les années 1970 par Louis Farrakhan, publie en 1991 le premier volume d’une série intitulée « La Relation secrète entre les Noirs et les juifs » (7). Les juifs y sont accusés d’avoir financé la traite atlantique, d’avoir constitué la majorité des esclavagistes américains et d’être responsables de l’« Holocauste des Noirs africains ». Non content de s’approprier la Shoah, le livre exige excuses et réparations monétaires. Lefkowitz apprend que ce titre figure au programme d’un cours de son collègue Tony Martin, qui la dénoncera personnellement dans un brûlot publié à compte d’auteur et intitulé « L’Assaut juif ». Pour comble, quand elle interroge Yosef Ben-Jochannan sur Aristote, lors d’une conférence publique, il insinue qu’elle n’appartient pas aux vrais juifs qui sont… noirs.
L’archéologie sans le savoir
Aujourd’hui, les compromis avec la vérité,caractéristiques des années 1990, sont de nouveaux présents, bien que sous des formes modifiées. Beaucoup d’archéologues proclament ouvertement que leurs recherches ont des objectifs politiques, comme la lutte contre le nationalisme populiste (Brexit, Trump) et la protestation contre le meurtre de George Floyd. Dans ses interventions en ligne, l’égyptologue américaine Vanessa Davies dénonce le racisme de ses prédécesseurs blancs et parle des afrocentristes Diop et Obenga comme de pionniers injustement conspués. Au nom de la diversité, les archéologues britanniques sont engagés dans une quête de preuves d’une présence africaine en Angleterre à l’époque de l’Antiquité. L’empereur romain Septime Sévère, mort à York en 211, est né en Afrique du Nord. D’origine romano-punique, il est souvent présenté abusivement comme noir dans des listes des personnalités noires de l’histoire britannique qui foisonnent dans les médias – y compris la BBC – et une certaine littérature de vulgarisation. Toute personne potentiellement nord-africaine est présentée de façon à suggérer qu’elle est subsaharienne, pour montrer que l’immigration noire est une constante historique. C’est le cas de deux squelettes de femmes datant de l’époque romaine. La « Dame aux bijoux d’ivoire », découverte à York en 1901, qui a vécu au ive siècle, a été jugée par une analyse de 2010 comme potentiellement, partiellement nord-africaine, en dépit de la fragilité des données. En 2020, le Yorkshire Museum en a parlé dans un message posté pour saluer le mois de l’histoire des Noirs. La « Dame de Beachy Head », découverte en 1953, qui a vécu au iiie siècle, est présentée avec une certitude questionnable dans une étude de 2014 comme étant certainement d’origine subsaharienne. Si l’on consulte le matériel pédagogique proposé pendant le confinement par la municipalité londonienne – et travailliste – de Hackney, on trouve une leçon centrée sur cette dame où on pose aux élèves la question suivante : pourquoi ne savait-on pas qu’il y avait des gens originaires de l’Afrique au Royaume-Uni ? La réponse implicite est : parce que les beaufs blancs et leurs historiens officiels ont dissimulé cette présence.
Quant à l’histoire moderne, une autre technique consiste à détrôner les héros blancs traditionnels. C’est ainsi qu’une femme d’affaires et guérisseuse jamaïcaine, Mary Seacole (1805-1881), est portée aux nues comme une rivale de la grande pionnière des soins infirmiers, Florence Nightingale (1820-1910). Seacole était certes une personnalité remarquable, mais elle ne se définissait pas comme infirmière, n’a jamais mis les pieds dans un hôpital et ne se considérait pas comme noire. D’autres approches ont pour effet implicite d’éroder le caractère unique de la Shoah. Le professeur de black studies à Birmingham, Kehinde Andrews, considère Churchill comme l’équivalent d’Hitler à cause de la campagne britannique de bombardement de l’Allemagne. En 2005, l’écrivain et réalisateur Claude Ribbe lance le mythe d’une extermination planifiée des Noirs de Haïti ordonnée par Napoléon et mise en œuvre à travers le recours systématique à des chambres à gaz installées dans les cales des navires français (8). Cette mystification refait surface dans un article du professeur Marlene L. Daut, publié dans le New York Times le 18 mars. Ici, ainsi que dans un entretien sur France Culture et sur son compte Twitter, l’universitaire de Virginie décrit Napoléon comme « un fou raciste, belliqueux, génocidaire », le créateur des « chambres à gaz » et l’inventeur du « plan directeur pour Hitler ».Cependant, si la vérité est tant malmenée aujourd’hui, ce n’est pas tant par ces historiens militants et autres philosophes « postmodernes » que par ceux qui se taisent, par lâcheté, et n’osent pas contester les mensonges des autres. On pense à Juvénal : « Nec civis erat qui libera posset verba animi proferre et vitam impendere vero. » (« Il n’y avait pas un citoyen qui puisse exprimer librement ses opinions et risquer sa vie au nom de la vérité. ») Prenons exemple sur Mary Lefkowitz.
(1) Les deux premiers volumes de Black Athena : les racines afro-asiatiques de la civilisation classique, publiés en anglais en 1987 et 1991, ont été traduits en français et publiés aux PUF :vol. 1 :L’Invention de la Grèce antique, 1785-1985 (1996) ; vol. 2 : Les Sources écrites et archéologiques (1999). Le troisième volume est paru en anglais en 2006 : Black Athena. The Afroasiatic Roots of Classical Civilization, Volume III : The Linguistic Evidence.
(2) Mary Lefkowitz, Guy MacLean Rogers (dir.), Black Athena Revisited, University of North Carolina Press, 1996.
(3) Stephen Howe, Afrocentrism. Mythical Pasts and Imagined Home, Verso, 1999.
(4) Stolen Legacy. Greek Philosophyis Stolen Egyptian Philosophy(1954), réédité de nombreuses fois.
(5) Voir l’ouvrage collectif, Afrocentrismes : l’histoire des Africains entre Égypte et Amérique, Karthala, 2010.
(6) Not Out of Africa. How Afrocentrism Became an Excuse to Teach Myth as History, Basic Books, 1996.
(7) The Secret Relationship between Blacks and Jews. Le premier tome date de 1991, les deux autres de 2010 et 2016.
(8) Le Crime de Napoléon (2005), réédité en 2013 au Cherche-midi.
L’expropriation d’Orange en Irak souligne la nécessité de renforcer la protection des entreprises dans les pays les plus corrompus.
Les économistes experts du secteur des télécommunications évoquent une véritable expropriation. L’affaire est complexe mais pourrait se résumer ainsi. Le groupe de télécommunications français Orange s’est implanté en Irak en 2011, en investissant 430 millions $ au sein du troisième acteur irakien de la téléphonie mobile, Korek. Pour ce faire, il s’était lié à une société koweïtienne, Agility Public Warehouse. Ensemble, ces deux acteurs ont engagé 810 millions $ pour acquérir 44% de Korek. Accusé de ne pas avoir respecté ses engagements, notamment en termes d’infrastructures, Orange a vu son contrat dénoncé en 2014. L’autorité irakienne régulatrice des télécommunications, la CMC, a refusé tout règlement à l’amiable et a définitivement tranché l’affaire en 2018, le groupe français voyant ses parts transférées à trois investisseurs, dont le président de Korek, membre d’une puissante famille du Kurdistan irakien. Exproprié de facto, Orange a porté le cas auprès du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements, le CIRDI, à l’automne 2020. Le partenaire d’Orange, Agility, avait déjà eu recours au CIRDI, dont les trois juges Cavinder Bull, John Beechey et Sean Murphy, ont rejeté sa demande d’indemnisation en février.
Toutefois, selon de nombreux observateurs, de forts soupçons de corruption entachent l’ensemble de cette affaire. La justice britannique enquête d’ailleurs sur cette dernière, dans laquelle semblent être impliqués des intermédiaires de nationalité libanaise. Deux hommes d’affaires libanais, entrés au conseil d’administration de Korek, auraient chargé l’un de leurs partenaires d’acquérir une demeure à Wembley, dans la banlieue de Londres. C’est chose faite en septembre 2014, avec l’achat en cash d’une maison pour 830 000 £. Or, il apparaît qu’elle fut alors occupée par l’un des responsables de la CMC. Cette pratique en dit long sur l’état de corruption endémique qui sévit en Irak, ce pays étant placé à la 160ème position de l’indice de perception de la corruption de Transparency International.
Interrogations sur le CIRDI
Dès lors, il semblerait que le CIRDI, dont c’est pourtant l’une des attributions, n’ait pas suffisamment enquêté sur ces forts soupçons de corruption, comme en témoigne le rejet dont Agility a fait l’objet. Pourtant, le CIRDI est un organisme crucial pour garantir les investissements étrangers dans des pays comme l’Irak. En effet, un pays en reconstruction ou en voie de développement a besoin de capitaux et de savoir-faire étrangers pour rétablir une économie stable. Les investisseurs doivent donc être assurés que les moyens engagés soient à l’abri de pratiques comme la corruption ou l’expropriation. Un Etat qui aurait un recours massif à ces pratiques se verrait condamné à verser de lourdes indemnités, ce qui pourrait l’encourager à une plus grande transparence. Sans investissements, les chances d’un tel pays de se redresser, de moderniser son économie et donc de stabiliser sa société, sont faibles. L’Irak, déjà ruiné par le factionnalisme et les ingérences étrangères, n’a pas besoin en plus de voir les investissements étrangers se tarir. Or, ces derniers sont en chute libre, avec un record de pertes de -4,8 milliards $ en 2018.
Peut-être faudrait-il songer à réformer le CIRDI pour que cet organisme soit plus crédible dans ses missions. Fondé en 1965, il fait partie du Groupe de la Banque mondiale. L’Irak y a adhéré en 2015. Toutefois, le CIRDI a fait l’objet de multiples critiques, notamment de la part de pays latino-américains, dont de nombreux s’en sont retirés (le Brésil n’a, quant à lui, jamais adhéré). Parmi les principales critiques figurent sa trop grande proximité avec la Banque mondiale, le manque de moyens financiers et humains alors que le nombre de recours est en hausse, le déficit de transparence ou encore l’absence de procédures d’appel véritables. Le CIRDI n’en est pas moins indispensable aux yeux de nombreuses entreprises souhaitant réaliser de manière sereine des investissements à l’étranger. Il n’est donc pas question de remettre en question la pertinence de cette institution, mais davantage de la renforcer et de la crédibiliser : une plus grande autonomie face à la Banque mondiale et le renforcement des moyens semblent certaines des pistes à explorer sérieusement.
L’enjeu géopolitique
Cette affaire révèle aussi l’importance centrale d’une bonne analyse géopolitique préalable à un investissement. L’Irak est, on le sait, l’enjeu de luttes d’influence féroces entre les diverses factions présentes, ainsi que l’objet d’appétits étrangers, notamment iraniens. Non qu’Orange ne soit allé en Irak sans procéder à une telle analyse. Le pays est très complexe, déchiré entre communautés qui tentent de s’approprier les ressources financières (comme le pétrole, au centre des antagonismes entre la région autonome du Kurdistan et l’Etat central de Bagdad dans la région de Mossoul). L’influence britannique y est encore palpable, l’Irak ayant été créé au sortir de la Première guerre mondiale sous un mandat confié à Londres. En témoigne l’accord en 2012 entre le britannique Vodafone et Zain, 1er opérateur irakien de téléphonie mobile.
Le cas d’Orange mérite réflexion. S’il n’est pas indemnisé, cela ne pourrait que provoquer davantage de réticences de la part des investisseurs internationaux de se placer en Irak, condamnant à terme tout espoir de développement véritable.
Les raisons de l’abstention massive des Français aux élections sont à aller chercher dans le désintérêt total pour l’échelon régional et au-delà du ras-le-bol général!
Les raisons à l’abstention massive des Français aux élections sont simples: ras-le-bol général! Ras-le-bol de la culpabilisation, ras-le-bol des diktats européens, ras-le-bol de la destruction de la bioéthique, ras-le-bol des sujets abscons et imposés. Nous, on veut des sujets qui nous concernent!
Ne prenons pas les enfants du Bon Dieu pour des canards sauvages et, tant qu’on y est, allons-y du « ras-le-bol démocratique », selon l’expression de Madame de Montchalin, qui monte de la France profonde, en ce lendemain de premier tour des élections régionales où le président chauffe sa campagne présidentielle.
Ras-le-bol!
Ras-le-bol de s’accuser, se culpabiliser, se flageller. De mettre un genou en terre devant le monde entier. De plier l’échine sous la férule de l’oncle Jo. De se battre la coulpe pour la colonisation, la couleur de notre peau, la beauté de notre langue et de notre civilisation. De déplorer notre inappétence pour le mixage, le dégenrage, le métissage, la désidendité, la désexualisation. De ne pas voir ce que nous voyons. Entendre ce que nous entendons. Dire ce que nous pensons. Non, nous n’adorons pas sainte Greta. Non, le multiculturalisme à la Trudeau n’est pas notre code. Non, notre drapeau n’est pas arc-en-ciel, mais bleu blanc rouge, aux couleurs de la France.
Ras-le-bol que charbonnier ne soit plus maître chez lui. Ras-le-bol que Bruxelles, avec ses Commissions, sa Cour de justice, son Parlement, nous impose ses diktats qui excédent ses domaines de compétence économique et fasse main basse sur notre souveraineté. Aujourd’hui, c’est contre la fronde de la Hongrie qu’Ursula von der Leyen montre les dents. Demain, ce sera contre le Danemark et les demandeurs d’asile. Après-demain, la France, pour sa laïcité à la française. En attendant, on laisse violer (sans prévenir Madame Schiappa) l’article 1 du traité de la Convention internationale des droits de l’enfant. On nous saoule du verjus de la novlangue avec l’homophobie, la discrimination, la stigmatisation, l’hystérisation des débats, l’intolérance. Avec « la femme en souffrance d’enfant » et « les familles issues du don ». Avec le père qui n‘est jamais un donneur, et l’enfant qui naît de « la volonté » de deux femmes ; d’une grand-mère qui peut être un père ; du Code Napoléon qui est fini, et de l’altérité sexuelle des personnes de même sexe. Des « parents » qui peuvent être deux mères. Ras-le-bol qu’on se moque de nous, comme l’a dit le Sénat, refusant d’examiner, il y a peu, en commission spéciale, le projet de loi bioéthique. Car, au Sénat, on ne sert pas deux fois le même plat.
Nous, on veut!
Ce que « nous, on veut » comme dit un air populaire ? C’est simple ! D’abord, qu’on arrête de parler d’amour à la Chambre. Les députés n’y connaissent rien : l’amour dure deux ans. Il est « enfant de Bohême qui n’a jamais connu de loi. » Le mal d’enfant n’est pas une maladie orpheline. Les lesbiennes ne sont pas victimes d’une discrimination nécessitant une refonte du code civil. Le coût de la loi bioéthique, c’est 2,3 millions d’euros et huit associations rémunérées de façon ou d’une autre. Le tout imposé par la Commission européenne des droits de l’homme et la CEDH que notre filiation à la française ne regarde absolument pas. Et qui c’est qui paierait ? Le contribuable !
Nul besoin de sillonner la France, les manches retroussées, pour savoir ce que « nous, on veut ». Il suffit de passer en boucle le Flashmob, parti de la gare de l’Est, le 8 avril, pour la réouverture des lieux de culture, qui a fait le tour de France : « Non, non, non…. Nous, on veut… » et tirer les leçons de ce joyeux happening, en l’étendant à tous les domaines de la vie publique et privée, de quoi faire danser Marlène Schiappa jusqu’au vertige : santé, immigration, sécurité, travail, autorité, école, paix civile. Non, les Français ne sont pas tous des canards, ce sont aussi des piafs, ces boules de plumes trapues, effrontées, et sautillantes, qui ont siffloté, dimanche, un petit avant-goût du tournoi de 2022. Hélas ! On dira qu’il y a moins d’oiseaux à Paris, à part les corbeaux au bec jaune, larges comme des pelles, dans les jardins publics. À entendre les médias, le vote des régionales, comme les lois sociétales, les Français s’en taperaient. Ils préfèreraient la pêche à la ligne au vote. La plage sous le soleil, au bitume brûlant. Belle République, en vérité ! Sûr que, quand on serine une chronique de l’abstention annoncée, cela n’incite pas à aller voter : on l’a vu ce dimanche. Alors, on se console en pensant qu’à partir d’aujourd’hui, on tombe le masque mais on garde le slip français.
L’exposition « Côté jardin, de Monet à Bonnard » réunit pour la première fois les œuvres d’artistes que tout opposait, les nabis et les impressionnistes. Elle nous permet aussi de retrouver le chemin des musées et le somptueux écrin de Giverny.
On entend déjà grogner au loin les ronchons : « Encore l’impressionnisme ! » Oui, et alors ? Pour attirer les touristes et remplir les caisses des musées qui sortent d’une mauvaise passe, mieux vaut Pissarro que Poussin, Le Nain ou Georges de la Tour (peut-être nos plus grands peintres). Mais la démagogie et l’appât du gain ne sont pas la tasse de thé de Cyrille Sciama, conservateur en chef du patrimoine et directeur général du très méconnu musée des impressionnismes, créé en 2009 à Giverny, à proximité de la maison de Monet. Ce mélomane érudit voue un culte au grand pianiste Alfred Brendel (dont le portrait orne son bureau) et l’exposition qu’il vient d’inaugurer dans son musée, il l’a méditée et préparée pendant des années. « Le projet de cette exposition traînait dans un carton depuis longtemps, raconte-t-il. Le fait que beaucoup de Français aient adopté le jardin comme un refuge, et aient quitté leur appartement pour aller vivre à la campagne pendant la pandémie, m’a fait soudain prendre conscience de son actualité : c’était le moment ou jamais ! Ce que j’ai voulu montrer, c’est que le jardin, de 1870 à 1940, a été un foyer de création artistique intense en France. Mais ce foyer ne passe pas par Matisse et Picasso : c’est donc une autre histoire de la modernité qui est racontée ici, celle d’un dialogue méconnu et oublié, mais qui a réellement existé, entre Monet et les nabis (Bonnard, Denis, Roussel et Vuillard) qui, au départ, ont d’abord rejeté l’impressionnisme avant de renouer avec lui. »
Giverny, lieu de pélerinage
Pour la première fois, une exposition rassemble et entrecroise les œuvres de ces peintres que tout opposait, puisque les nabis, qui se revendiquaient de Gauguin et de l’art japonais, avec leur théâtre d’ombres et ses larges aplats, refusaient la sensation immédiate et le travail en plein air, sur le motif, au profit d’une lente maturation spirituelle en atelier. Mais à partir de 1900, ils se séparent, doutent et se tournent à nouveau vers le patriarche de Giverny dont la quête contemplative les fascine. L’admiration réciproque entre Monet et Bonnard est une révélation : « Ils se rendent visite mutuellement, se parlent, s’écrivent… C’est l’une des plus belles amitiés artistiques de notre histoire. Alors que le jardin de Monet est totalement construit, celui de Bonnard est fou, sauvage et touffu », précise Cyrille Sciama. Le plus touchant est de voir le vieux sage encourager son nouveau « disciple » dans la voie qu’il s’est tracée et dont le but ultime, Monet le sait, ne peut être que le dépassement de l’impressionnisme, puisque Bonnard ne se contente pas de recomposer les couleurs du réel, mais les transpose, et crée un nouveau monde, imaginaire, où les feuillages, la mer, les champs et les fleurs fusionnent dans une explosion d’or, de bleu, de vert et d’orangé : plus encore que son maître, Bonnard reproduit l’intensité de la vie et annonce l’abstraction.
Cette exposition ne pouvait avoir lieu qu’à Giverny puisque ce village de Normandie a été le point de rencontre et de réconciliation entre Monet et les nabis.
Giverny ! Depuis plus d’un siècle, ce lieu de pèlerinage, situé à 60 km de Paris, est le symbole universel de l’art de vivre à la française. Mais y aller, aujourd’hui, est un choc spatio-temporel : au départ de la gare Saint-Lazare, on rêve de prendre le train de LaBête humaine filmé par Renoir (Jean).
Les impressionnistes à l’avant-garde
Visionnaires et parfaitement lucides, pour ne pas dire « réactionnaires » et « antimodernes », les impressionnistes ont fixé pour l’éternité des paysages et une douceur de vivre qu’ils savaient être en train de disparaître (cette conscience est très nette dans tous les propos d’Auguste Renoir rapportés par son fils dans son livre Pierre-Auguste Renoir, mon père). Témoins de la destruction de la nature et de l’extension tentaculaire des villes, ils ont vu surgir la laideur (Renoir, encore lui, peste sur les objets du quotidien fabriqués en série qui n’expriment plus la main de l’artisan sans laquelle il n’y a pas de beauté). En s’installant à Giverny en 1883, alors qu’il est riche, reconnu et qu’il se considère lui-même comme un homme de progrès (il conduit une automobile, se passionne pour la photographie et règne sur une famille recomposée), Monet pressent la fin d’un monde, de son monde. Comme le note Oswald Spengler dans Le Déclin de l’Occident (publié en 1918), Monet incarne en 1914 « les derniers feux du monde occidental ». Composé dans la lignée des aquariums et des serres inventés au milieu du XIXe siècle pour sauvegarder des pans de nature, son jardin d’eau sublime est un paradis artificiel entouré de murs et de haies, où l’on se perd, comme dans un rêve, et dans lequel il ne reçoit que ses amis les plus proches, tel Clemenceau. Avant lui, Pissarro, Manet, Caillebotte et Renoir avaient déjà fui Paris pour se réfugier dans de petites maisons dotées d’un jardin : « Le jardin, rappelle Sciama, symbolise aussi alors les valeurs de la République : la famille, l’unité, la concorde. »
En parcourant cette exposition légère et pleine de charme, on aura le plaisir de découvrir des peintres oubliés, comme Albert Bartholomé, dont le tableau Dans la serre (1881) est un chef-d’œuvre digne de Manet. Mais aussi des toiles récemment acquises par le musée et jamais présentées, comme le Parterre de marguerites de Gustave Caillebotte : quatre panneaux décoratifs, comme un papier peint en trompe-l’œil, destiné à être vus de loin. Du Klimt avant l’heure !
Alors que notre connaissance de la peinture repose trop souvent sur des reproductions lisses aux couleurs tronquées, la plus grande force de cette exposition est peut-être de nous rappeler qu’un tableau est bien plus qu’une image, que c’est quelque chose qui rayonne et qui nous murmure une « petite chanson ».
« Côté jardin : de Monet à Bonnard », jusqu’au 1er novembre Musée des impressionnismes Giverny, 99, rue Claude-Monet, 27620 Giverny
Affiche de l’exposition Côté jardin : de Monet à Bonnard
Plus que le critique, le comédien, le musicien et le danseur, c’est l’ouvreuse qui passe sa vie dans les salles de spectacle. Laissons donc sa petite lampe éclairer notre lanterne !
Le gars se nomme Christian Thielemann. Connu des mordus chez nous, et encore. Mais superstar dans son pays, l’Allemagne, où Thielemann rime avec Karajan. Pas que rime. Fusionne. Ex-assistant de Karajan, mèche de Karajan, autocratie de Karajan, densité sonore de Karajan, charisme de Karajan, jusqu’au soufre de Karajan. Malin, le feu maestrissimo s’était fait pardonner deux inscriptions au parti nazi. Le jeune impétrant reste le chouchou de la presse malgré ses sourires à Pegida, parti populiste islamosceptique. Un bon Aryen comme son modèle, comme lui nuancé dans ses propos mais d’une pièce dans ses postures.
Un tournant pour l’Opéra de Dresde
Caractériel par-dessus le marché. Impose des programmes comme si rien ne s’était passé depuis 1920. Quitte avec fracas le Deutsche Oper de sa ville natale, Berlin, parce que le Staatsoper rival reçoit plus d’argent. Fait encore sa diva en claquant la porte du Philharmonique de Munich parce que l’orchestre invite d’autres chefs qui ne lui plaisent pas. Vous voyez le genre. Et donc si on vous dit que la ministre de la Culture saxonne refuse de prolonger le contrat du chef à l’Opéra de Dresde, peu de chance, si déjà ça vous passionne, que ça vous étonne.
Sale coup pourtant. Pas contre Christian Thielemann, qui aime les coups. Contre l’Opéra de Dresde. Contre l’opéra en général. Que dit la ministre, Barbara Klepsch ? « Pour l’avenir, il nous faut prendre des décisions aujourd’hui. Cela implique que nous allons nommer une nouvelle direction à partir de la saison 2024-2025. » Certes. Et puis ? Et puis « dans dix ans, l’opéra sera différent de l’opéra d’aujourd’hui : il lui faudra emprunter de nouveaux chemins entre une pratique conventionnelle et une interprétation du théâtre musical et du concert correspondant à l’esprit du temps. » Traduction : rien à secouer de l’aura et de la transe qui sont la raison même du chef d’orchestre, mythe autrefois bien réel ; le politique veut du transitionnel solidaire écoresponsable.
Pour une fois, ce ne sont pas les Verts
Et comme le public, lui, veut de la transe et de l’aura, changeons de public. L’opéra de demain, variétoche mondiale et participative on suppose, attirera « de nouveaux publics ciblés qui ont un accès différent ou n’ont pas accès aux opéras, aux concerts et aux spectacles de ballet ». Le fameux non-public tellement plus intéressant que celui qui est là.
Je vous entends soupirer : ces Verts ! Même les Verts allemands, ces Verts sévères ! Raté. La ministre lyricophobe pointe à la CDU, temple chrétien-démocrate jusqu’ici garant de la Kultur avec un K d’or. Le parti d’Angela Merkel, wagnérienne abonnée depuis toujours au Festival de Bayreuth – celui-là même dont notre Thielemann est le barde solennel. La CDU, soutien des 80 Opéras allemands, la plupart dotés de troupes salariées, de grands orchestres, de jolis chœurs, d’administrations vertueuses. La CDU tendance, nouveau porte-voix de la cancellitude !
Angela Merkel s’en va dans trois mois. Christian Thielemann s’en va dans trois ans. La Kulturministerin Barbara Klepsch : « Nous disposons d’une institution en bon état et nous allons maintenant chercher une direction pour le Semperoper de la prochaine décennie. » Une bonne odeur de forêt noire. Ça sent le sapin.
Chloé Zhao devient la deuxième réalisatrice à recevoir l’Oscar de la meilleure mise en scène avec un film un peu trop malin pour être honnête.
Auréolé de récompenses majeures – plusieurs Oscars dont celui du meilleur film, le Lion d’or à Venise – « Nomadland » est un film pour aujourd’hui ; propre, bien mis, presque inattaquable mais avec une idée derrière la tête.
Chloe Zhao suit Fern (Frances McDormand, forcément oscarisée), veuve chassée de sa maison et de sa ville devenue fantôme par la crise des subprimes. Réduite à vivre dans son van, elle va découvrir la splendeur de l’Amérique et l’entraide auprès d’autres durs à cuire, ces « rubber tramps » comme ils s’appellent, réunis une fois l’an en convention avec un charismatique gourou à leur tête. Comme nous sommes à Hollywood, Zhao adapte un best-seller de Jessica Bruder, caste les vrais routards qui y figurent dans leur propre rôle et ajoute, caution artistique, deux acteurs célèbres dont l’un presque méconnaissable (David Strathairn, excellent de discrétion en soupirant à la triste figure).
Optique prétendument documentaire
« Nomadland » épouse le point de vue de Fern, celui du female gaze, appuie sur le champignon de la sororité (avec les formidables Swankie et Linda May) mais fait vite du surplace, ce qui ennuie pour un road-movie. L’optique prétendument documentaire de Zhao sent quand même fort son écriture par en-dessous (la jolie vaisselle qu’on fait admirer, évidemment cassée une heure plus tard par la figure masculine la plus proéminente).
Le flux de la vie n’apporte d’accrocs qu’immédiatement résolus par le récit grâce à la bienveillance ambiante, un peu d’astuce ou d’espièglerie. Le plus gros – le coup de la panne – amène un instant l’héroïne à perdre sa superbe de winneuse de la lose, mais cet instant dure moins d’un dixième de seconde puisque, obligée de révéler au garagiste qu’elle dort dans son van pour hâter la réparation, Fern embraie après cette révélation sans laisser le temps à quiconque (interlocuteur, spectateur) de s’apitoyer : un ange ne passe pas. Cet impensé auquel se refuse le film pèse grandement sur ses qualités réelles – principalement l’interprétation.
« Nomadland » fait mine de respecter le choix par l’héroïne de la marge vagabonde, et ce faisant entérine le rôle subalterne, qui échoit à Fern et ses pareils, d’armée de réserve du libéralisme. La chambre à soi, gagnée de haute lutte par Virginia Woolf, devient un van à soi, mais le gain de l’indépendance se paie par la larbinisation globale : Fern et ses amies deviennent des sous-bonniches où le vent les porte dès que l’argent manque.
Zhao a beau jeu d’y voir, dans la bouche de la soeur bourgeoise, l’esprit des « Pionniers de l’Amérique » ; dans les faits, c’est un sous-prolétariat corvéable à merci qu’exalte « Nomadland ». Les paysages américains semblent du coup contractuels. Tu as ta liberté et l’Amérique dans la poche, mais tu récureras les chiottes au fond d’un parc à thèmes dans le Wisconsin en décembre.
Le CV le mieux rédigé du monde ?
Ce prosaïsme est évidemment caché par le film – malgré une séquence très crue de diarrhée sans eau courante dans l’habitacle. L’idéalisation des destins reste frémissante, un peu trop soulignée par l’insupportable musique rêveuse et connivente dès que Fern croise d’autres humains, avec un panoramique exaspérant dans le camp improvisé et le quatuor à cordes avec piano qui monte comme un sanglot réprimé. On voit là le crossover auquel tente de se livrer Zhao, celui de l’académisme Sundance et d’une ampleur émotionnelle bien plus hollywoodienne.
Mais le plus souvent, ces deux pôles s’annulent. La dramatisation est volontairement minimale, la romance semée comme des petits cailloux tout du long de la narration ne prend jamais. On peut trouver assez courageux le refus de Zhao, à la suite de son héroïne, de considérer le chevalier-servant en attente autrement que comme une possibilité qu’il convient de chasser de la main.
Mais étrangement, le plus beau plan, celui qui reste en mémoire, est le double visage de Strathairn et du bébé qui figure son petit-fils regardant Fern en légère contre-plongée, avec une demande muette qui ne sera jamais clairement explicitée.
Le retournement final interrogatif – Fern suit-elle sa route ou rejoint-elle celle d’un autre ? – laisse l’impression mitigée d’un film qui voudrait gagner sur tous les tableaux. « Nomadland », de fait, est un piédestal qui mène à plus haut : après ces invisibles choisis dans le caniveau, Zhao filmera pour une major le tout-venant de l’inepte survisible, une franchise Marvel. Et si Nomadland était finalement le CV le mieux rédigé du monde ?
Mon ami tunisien, Mohamed-Djihâd Soussi, m’a transmis, outre un très bel éloge du suicide, une lettre de Cioran adressée le 22 juillet 1989 à Vincent La Soudière, lettre qui reflète tellement mon état d’esprit actuel que je ne résiste pas au plaisir de la reproduire ici.
Cher Ami, « Je ne suis pas triste, mais je suis fatigué De tout ce que j’ai jamais désiré. » Ces vers d’un poète anglais injustement oublié, je me les répète souvent depuis longtemps, depuis toujours, mais plus particulièrement depuis quelque temps. J’ai pris la résolution d’abandonner à peu près toute espèce d’activité, écrire en tout premier lieu. Ce que j’avais à dire, je l’ai plus ou moins dit : à quoi bon insister ? Il faut regarder les choses en face : je suis vieux, et cela est une humiliation de tous les instants. Plus de projets, plus d’envie de voyager, plus rien. C’est évidemment la sagesse, mais la sagesse est une diminution et presque une défaite. Très amicalement, Cioran.
La défaite ne tardera pas. Cioran approche des quatre-vingt ans. L’Alzheimer le guette. Il aimait répéter le mot allemand : « Ceux que les dieux aiment, meurent jeunes. » Ce fut le cas de son ami Vincent La Soudière qui, bien que prolixe, ne publia qu’un mince volume de proses poétiques. Lui aussi était hanté par le suicide. Henri Michaux qui le présentera à Cioran, écrira à son sujet : « N’aurait-il fait qu’un livre, c’est comme s’il en avait écrit plusieurs. » J’ai parfois l’impression que bien que j’en ai publié plusieurs, c’est comme si je n’en avais écrit aucun. Sans doute me suis-je tenu trop éloigné des gouffres. On disait de ma mère qu’elle était une communiste de salon. Peut-être n’ai-je jamais été qu’un nihiliste de salon. Je n’échapperai pas aux humiliations de tous les instants que les années qui passent me réservent. À quoi bon publier encore ? Un suicide réussi vaut toujours mieux qu’un livre raté.
Sur France Inter le 16 juin, l’humoriste salariée du service public Charline Vanhoenacker a lu sa “lettre de motivation pour CNews”. Pour justifier cette missive, elle s’est appuyée sur une enquête du journal Libération affirmant que, sur un an, 36 % des invités de CNews ont été des représentants « d’extrême-droite. »
Charline Vanhoenacker veut, dit-elle en riant, aider CNews à améliorer ce score, d’où cette fameuse lettre de motivation. Passons rapidement sur l’absence évidente d’un quelconque humour de cette chroniqueuse qui ne fait glousser que ses collègues, surtout lorsqu’elle révèle vouloir se faire embaucher par CNews pour réaliser son rêve : se faire maltraiter en direct par…Élisabeth Lévy. Et confirmons le proverbe biblique : « On voit la paille dans l’œil de son voisin mais pas la poutre dans le sien. »
Les fact-checkers repartent à la chasse aux « fachos »
L’enquête en question est très intéressante. Le titre de présentation est doublé, en gras, sur la page du DataMatin de Libération, on ne peut pas le rater : « 36 % de invités politiques de CNews sont d’extrême-droite. » La ligne correspondant à cette assertion est bien visible en haut d’un tableau coloré. Il aurait été honnête de commenter la totalité de ce tableau. Pour constater deux choses : 1) Oui, CNews invite, plus que les autres, des représentants dits d’extrême-droite, mais… 2) Si l’on se reporte à l’antépénultième ligne du tableau qui concerne France Inter, on constate que la radio publique “la plus écoutée de France” n’invite de son côté qu’à peine… 3% de représentants d’extrême-droite (score le plus faible de toutes les radios publiques et privées), tandis que LREM + Modem passent allègrement la barre des 40%, et que la gauche + l’extrême-gauche approchent les 30%.
Encore plus intéressant : Libération propose d’affiner cette lecture via un lien qui conduit à CheckNews, c’est-à-dire à l’officine de vérification du journal… Libération. Cette officine a compté le nombre d’apparitions des responsables politiques dans les seules matinales depuis début avril. Libération souligne que la matinale de CNews se distingue en étant celle qui invite le plus de représentants de « l’extrême-droite » (26,5 % du total) mais avoue qu’il a intégré les interventions de différentes personnalités qui peuvent être “apparentées” RN. Et France Inter ? Aucun commentaire sur France Inter. Rien. Nada. Pourtant, la 1ère radio de France ne déroge pas à sa principale règle déontologique qui est, en période électorale, de donner le moins possible la parole au parti dont on peut penser ce qu’on veut, mais qui représente aujourd’hui potentiellement plus d’un quart des électeurs français.
📊 36% des invités politiques de CNews sont d’extrême droite. En une année, CNews a notamment reçu 138 fois Jean Messiha.
En conséquence de quoi, bon dernier du classement, France Inter n’a octroyé que… 3 % de ses invitations matinales à des représentants d’extrême-droite, score de loin le plus bas de toutes les radios et chaînes d’information continue. Comme Libé a dû voir que cela clochait quelque part, il précise : « Pour rappel, depuis le 10 mai et le début de la période électorale, les chaînes sont tenues de respecter une certaine équité, mais sans que cela ne se traduise par un pourcentage précis de temps de parole à donner à chaque parti. » Ah bon, me voilà rassuré, j’ai cru un instant que France Inter ne respectait pas « la pluralité des expressions politiques » qui lui tient tant à cœur.
C’est la notion du pluralisme de France inter qui est drôle!
3% c’est pas mal, mais je pense qu’on peut faire mieux, c’est-à-dire moins. J’aimerais participer. J’ai donc décidé de postuler à un poste de programmateur sur la radio publique. En prenant comme modèle la lettre de motivation de Charline Vanhoenacker, j’ai écrit la mienne pour France Inter.
Extraits :
« Chère France Inter, je me porte candidat pour vous aider à choisir vos invités, parce qu’il me semble important de contribuer à la pluralité des idées… de gauche. Bien sûr, je respecterai l’équilibre de la parole : par exemple, si on a un intervenant de LFI, on prendra comme contradicteur quelqu’un de droite comme… Aurélien Taché. Parce qu’il faut faire preuve de nuance dans ce métier, chose qu’on ne voit pas assez dans les médias privés. Pour eux, tous les progressistes sont des abrutis ! Allez hop, tout le monde dans le même sac, et ils ne sont même pas payés avec nos impôts, les cons.
[…]
Je pense avoir le profil pour le poste : hier j’ai agressé verbalement un ami qui avait tweeté un message de soutien à Jean Messiha ! C’est le métier qui rentre.
[…]
Je sais me montrer convaincant aussi : sachez par exemple que j’ai réussi à convaincre un ami de l’intérêt des éoliennes en me foutant gentiment de sa gueule devant tout le monde. L’humour, ça sert aussi à ça.
[…]
Je suis quelqu’un d’ambitieux et je ferai tout mon possible pour réaliser mon rêve : me faire maltraiter en direct par Charline Vanhoenacker.
[…]
Je voudrais que France Inter devienne ma nouvelle famille. Sans vouloir me victimiser, j’ai été élevé par des parents pétainistes. Je vis encore des moments très éprouvants : mon père regarde tous les soirs Zemmour sur CNews et m’appelle ensuite pour me rapporter les meilleures analyses de son éditorialiste préféré. La honte.
[…]
Et enfin, passionné de communication, je propose aussi de compléter votre campagne d’affichage par ce slogan : “Pourquoi on se gênerait alors que c’est nous qu’on est du côté du bien ?” »
La Namibie a été un protectorat allemand de 1884 à 1915. Cette colonisation a laissé des traces. Certains descendants des colons sont fiers de l’histoire allemande, et pas n’importe laquelle…
C’est un pays figé par le temps où l’on cultive une nostalgie pour le Reich à travers une saveur toute teutonne. À l’ombre de la statue équestre du « Reiterdenkmal », qui représente un colon prussien, placée au centre de Windhoek, la capitale, ils sont encore une minorité à regretter le passé d’une Allemagne qui a façonné la Namibie en devenir. Les descendants de ces « südwesters » se sont affranchis de tout politiquement correct et n’hésitent pas à arborer librement la croix gammée à leur bras dans cette partie de l’Afrique australe. L’ancien mandat sud-africain a même été au cœur d’un vaste projet utopique de recolonisation, base de départ du futur IVème Reich, une micro-nation morte aussi vite qu’elle est née.
Nostalgie d’une époque
C’est une boutique que l’on ne peut difficilement éviter à Swakopmund, la ville la plus allemande de Namibie. Chez Peter et Ludwig Haller, on trouve tout ce que compte de nostalgie coloniale dans ce pays balayé par le vent du désert. Entre deux masques africains, une édition de Mein Kampf, des médailles du Deutsches Kolonialreich, des photos d’Adolf Hitler, des tasses de thé ornées de la croix de fer, des cartes postales qui rappellent les grandes heures de la Prusse conquérante en Afrique ou encore des affiches publicitaires datant du régime de ségrégation raciale, aboli lors de la déclaration d’indépendance en 1991. C’est une attraction touristique qui a ses amateurs comme ses détracteurs. Dans cette station balnéaire tout rappelle une époque révolue mais que la minorité allemande entretient allégrement et que justifie Andreas Vogt. « Les germanophones nés en Namibie ont le droit de revendiquer la conservation de leur patrimoine dans le cadre de leurs droits culturels et du droit des minorités ancrés dans la Constitution » a expliqué récemment cet historien germano-namibien au Namibian Newspaper.
« Deutschland über alles » (« L’Allemagne doit dominer le monde »). Dans cette partie de l’Afrique marquée par un violent génocide perpétré contre les Héréros et les Namas entre 1904 et 1911, ce type de discours est toléré par le gouvernement actuel mais agace profondément certaines Ligues de défense des droits de l’homme qui s’inquiètent de cette résurgence du « bon vieux temps » qui donne lieu à toutes sortes de spéculations. En 2014, une vente aux enchères d’objets nazis à Swakopmund avaient cristallisé les passions et la presse locale s’était faite l’écho de ces Allemands qui étaient venus, brassards du IIIème Reich aux bras sans que cela ne gêne le moins du monde l’assistance qui s’était rassemblée pour acheter ces « reliques historiques ». Interviewé, Ludwig Haller, propriétaire de la Peter Antique Shop, avait même rappelé que « vendre des souvenirs nazis en Namibie n’avait rien d’illégal ». Une vérité qui a tout de même poussée certaines mairies à rebaptiser trois ans plus tard certains noms de rues après la construction d’un complexe résidentiel baptisé « Germania », rappelant celui très controversé de la capitale monumentale imaginée par Hitler pour son Reich. Exit donc la rue Kaiser Wilhem II ou encore la rue Heinrich Goering, deux noms associés à l’histoire de la colonisation de la Namibie. Si le premier figure en bonne place de nos livres d’histoire, le second qui a été gouverneur du Sud-Ouest allemand est ni plus ni moins que le père du Reichsmarschall Hermann Goering, un des plus grands dignitaires nazis à l’origine de la Gestapo.
Un nouveau Reich en Namibie ?
Il n’est pas rare de voir des couronnes de fleurs, auxquelles ont été accrochés de billets de banque des deux Reich défunts, déposées au pied des héros du panthéon colonial allemand par des associations germano-namibiennes qui ne cachent pas leurs liens avec des mouvances d’extrême-droite de la mère patrie et qui nient toute idée d’holocauste. Lors de la Seconde guerre mondiale, la Namibie avait été un terreau fertile aux idées nazies. Plus de 20% des germano-namibiens avaient même adhéré à l’unique section du NSDAP contraignant les autorités sud-africaines pro-britanniques à l’interdire deux ans plus tard. L’arrivée au pouvoir des afrikaners en 1948 va rapidement changer la donne et devenue citoyenne à part entière, la communauté allemande restera un soutien sans faille au régime d’apartheid de Pretoria. Et bien qu’elle méprise la rusticité des boers, elle continue de voter pour des partis qui préservent encore leur « esprit pionnier » comme le Republikanische Partei. Un mouvement dirigé par Henk Mudge et qui possède deux sièges au parlement. Les germano-namibiens, à quelques exceptions près, restent d’ailleurs convaincus de leur supériorité raciale et regardent l’Allemagne actuelle comme décadente.
En Afrique, lors de l’Oktober Fest, on toaste encore à cette Allemagne d’antan que l’on regrette. C’est dans ce contexte qu’un groupe de suprématistes hétéroclites, rassemblés sur le défunt forum internet 8Chan, a émis l’idée de créer en Namibie un nouveau Reich où prévaudraient des « valeurs occidentales et l’idéologie du national-socialisme ». Plus de 150 personnes s’étaient portées volontaires pour devenir colons et avaient élaboré des plans grossiers pour la fondation de cette micro-nation utopique, appelée « Nouvelle Rhodésie », qui se voulait sur le même modèle que la ville d’Orania en Afrique du Sud. Obnubilé par la pureté raciale, ce projet qui manquait singulièrement de femmes et restait interdit à tout « homo-fascismus » a fini par s’éteindre de lui-même sans que la communauté allemande de Namibie ne s’en soit émue.
Les « woke », une lutte contre l’unité du genre humain
L’influence du mouvement woke n’est déjà plus à démontrer en Occident, en particulier aux États-Unis où il a vu le jour. Les Chinois aimeraient beaucoup se moquer de ce mouvement perçu comme celui d’une idéologie d’enfant gâtés et dégénérés. Au Canada, pays-extension de l’empire démocrate, son influence est perceptible chez la plupart des politiciens de « gauche », mais aussi de plus en plus chez des élus de « droite », ce qui est plus révélateur encore de son succès.
Tous les jours au Canada, on voit les codes et nouvelles normes de ce courant être diffusés et imposés à la télévision publique, où de nombreux animateurs et journalistes font du militantisme sans aucune retenue. On voit cette nouvelle utopie dans la posture du Premier ministre Justin Trudeau, dont le progressisme ostentatoire est reconnu mondialement.
Du grand Capital au grand Occidental
Mais qu’est-ce ce nouveau courant dont tout le monde parle ? Le mouvement woke s’enracine d’abord dans la gauche marxiste. On en reconnait plusieurs traits dans son univers : par exemple, le passage de la lutte des classes à la lutte des races, et la transformation des femmes en une sorte de prolétariat mondial devant s’affranchir du très toxique patronat masculin. L’idée d’un combat contre une puissance hégémonique est centrale. Il ne s’agit plus d’en finir avec le grand Capital, mais avec le grand Occidental.
Cependant, les woke s’éloignent du marxisme et de la gauche née à la Révolution française en niant le caractère universel d’une humanité qu’on fragmente en divers segments pour les enfermer dans une catégorie étanche. La gauche marxiste divisait le monde entre les faibles et les puissants, mais en appelait tout de même au rassemblement de l’humanité sous une bannière commune. Dans l’histoire des idées, l’obsession raciale avait toujours été réservée aux courants racistes et d’extrême droite.
Aujourd’hui, il n’y a plus une humanité une à faire progresser, mais des Afro-descendants contre des « Blancs », des colonisés contre des colonialistes, des femmes contre des hommes et des laids contre des beaux. Le courant woke prône la ségrégation de l’espace public, et même de l’espace numérique : les groupes qu’il croit opprimés et prétend représenter devraient évoluer dans des « safe spaces », de l’autre côté de la société.
Le culte du poly-multi-pluri tout
L’idéologie woke fait de la diversité sous toutes ses formes un idéal absolu. La diversité devient un culte à la limite de la religion. Rappelons que le mot woke vient du verbe « to wake » en anglais, qui signifie « se réveiller » ou « s’éveiller ». Les woke sont donc des « éveillés », alors que les autres sont des « endormis ». Vous croyez ou vous ne croyez pas. Véritables petits bouddhas sociaux, leur combat apparait quasiment comme un éveil spirituel, une sorte de défi lancé par un auteur ésotérique dans un livre de développement personnel. Tout devrait être pluri, multi et poly quelque chose : c’est une lutte menée contre l’unité des sociétés, et même du genre humain, surtout quand il est question de « décolonisation ».
Le wokisme est fondé sur un déni de la réalité : les sexes n’existeraient plus, de même que les cultures et les nations. La diversité culturelle est niée au nom de la… diversité culturelle. Il n’y a plus de Brésiliens noirs, d’Haïtiens, d’Afro-Américains, de Congolais et d’Éthiopiens, mais seulement des Noirs, lesquels formeraient apparemment une communauté unie. Il n’y a plus de Français, d’Irlandais, de Russes, de Croates et de Grecs, mais des Blancs, lesquels partageraient aussi un même et unique destin. Ce qui existerait, ce serait seulement des races en guerre les unes contre les autres, partout et tout le temps, et des individus troublés en guerre contre leur sexe.
Les woke se distinguent aussi par leur grande fragilité psychologique. Tout est potentiellement une « micro-agression », c’est-à-dire une atteinte à l’intégrité de leur petite personne, dont le confinement a confirmé l’équilibre extrêmement précaire.
La grande contradiction du « wokeness »
Le plus grand paradoxe de ce courant est de prôner en même temps un hyper essentialisme racial et un éclatement complet de toute identité sexuelle grâce à l’idéologie trans. C’est une contradiction monumentale et insurmontable. D’un côté, les gens dits racisés et leurs pseudos adversaires, les « Blancs », sont confinés à leur identité raciale, mais de l’autre, les gens sont invités à transcender leur sexe, lequel serait « assigné à la naissance » par des médecins malveillants et réactionnaires. On vous emprisonne dans votre origine ethnique, mais on vous force à vous « libérer » de votre prison de genre.
Grâce aux black studies, cours répandus dans les universités anglo-saxonnes, on apprend que les Grecs ont tout piqué aux Égyptiens, qu’une présence africaine est attestée en Angleterre depuis l’Antiquité et que Napoléon a inventé les chambres à gaz pour tuer les Haïtiens…
C’est une petite dame d’apparence toute frêle, aujourd’hui âgée de 86 ans. Mais Mary Lefkowitz possède un courage de lion, un intellect au rayon laser et une passion inextinguible pour la vérité. C’est que ce que nous découvrons avec la réécriture « antiraciste » de l’histoire et la cancel culture, elle l’a déjà vécu il y a trente ans en tant que titulaire d’une chaire de lettres classiques au très paisible Wellesley College, près de Boston. Au nom de la rigueur scientifique, elle a osé réfuter une série de thèses pseudo-historiques, idéologiquement motivées, sur l’origine de la civilisation grecque et le statut de la culture occidentale. Beaucoup plus qu’une tempête universitaire dans un verre d’eau académique, l’esclandre déclenché est devenu une lutte acharnée pour préserver la recherche historique de l’influence perverse des idéologies politiques. Victime d’insultes, de protestations, de dénonciations et d’un interminable procès vexatoire, Lefkowitz a tenu bon. Sa résistance infaillible et les tenants et aboutissants de cette affaire sont riches de leçons pour notre époque.
Athènes n’est plus dans Athènes
Tout commence au début des années 1990. À sa grande surprise, Lefkowitz apprend qu’un collègue, Tony Martin, enseigne dans ses cours que Socrate et Cléopâtre étaient noirs. Trinidadien, Martin est professeur dans la section d’african studies, ou black studies, l’étude de la culture africaine et celle de la diaspora africaine, section que Lefkowitz elle-même a aidé à créer. Peu de temps après, on demande à celle-ci d’écrire un compte-rendu de trois livres, dont le deuxième volume de l’ouvrage monumental, Black Athena, qui prétend démontrer que la plupart des réalisations de la Grèce ancienne ont une origine égyptienne (1). Son auteur, l’Anglais Martin Bernal, n’est pas un spécialiste de ce domaine. Petit-fils d’un égyptologue distingué, il a une formation de sociologue. Enseignant les sciences politiques à l’université de Cornell, c’est dans un but politique qu’il écrit son livre, puisqu’il s’agit d’« ébranler l’arrogance culturelle européenne ». Il se présente comme un non-spécialiste qui bouleverse les suppositions paresseuses et racistes des spécialistes de l’histoire ancienne. Son travail, truffé de références et accompagné d’une longue bibliographie, a de quoi impressionner le lecteur naïf.
Scandalisée, Lefkowitz démonte les arguments de Bernal dans une série d’articles et un ouvrage collectif (2). Selon Bernal, avant le XVIIIe siècle, tout le monde savait que la culture grecque venait de l’Égypte, mais les historiens modernes se sont employés à faire croire que les Grecs avaient créé leur propre culture – comme la déesse Athéna était sortie tout armée de la tête de Zeus. Il qualifie cette prétendue affabulation d’« aryenne » pour souligner son caractère raciste. Lefkowitz montre non seulement que la plupart des chercheurs sont loin d’être des suprémacistes blancs, mais que Bernal lui-même ignore tous les travaux mettant en lumière les contacts étroits des Grecs avec d’autres peuples du Moyen-Orient comme les Phéniciens et les Perses. Pour étayer son attaque, Bernal soutient que l’Égypte a envahi la Grèce au iie millénaire av. J.-C. et prétend en apporter les preuves archéologiques. Lefkowitz fait remarquer non seulement l’absence de toute trace tangible d’une telle invasion, mais aussi la dépendance de Bernal vis-à-vis de récits mythologiques. Enfin, Bernal affirme qu’au moins un tiers de la langue grecque est d’origine égyptienne, mais ses arguments étymologiques – comme la dérivation du nom d’Athéna de la déesse égyptienne Neith – se révèlent fantaisistes. Certes, l’Égypte a exercé une influence sur la Grèce, mais c’est la Grèce qui, sous Alexandre, a envahi et dominé l’Égypte, de 331 à 31 av. J.-C. Lefkowitz défend le caractère unique de la philosophie grecque, tout en soulignant que l’idée selon laquelle la sagesse des Hellènes provient de mystères censément égyptiens est un mythe promu par les francs-maçons au XVIIIe siècle. On en trouve une expression dans la Flûte enchantée de Mozart, avant que le déchiffrement des hiéroglyphes par Champollion rende de telles spéculations impossibles.
Un racisme classique
Cette querelle aurait pu rester une affaire d’obscurs pédants si le projet de Bernal ne venait pas appuyer un courant de pensée plus ancien, l’afrocentrisme, qui avait largement pignon sur rue dans les départements de black studies où tous les professeurs et tous les étudiants étaient noirs. Dans sa version modérée, que certains appellent « afrocentricité », il s’agit de compenser une vision traditionnelle de l’histoire trop centrée sur l’Europe. Mais souvent, c’est une autre tendance qui domine, plus revendicatrice et plus encline à faire violence aux faits historiques (3). Selon cet afrocentrisme-là, non seulement la première civilisation de l’humanité est égyptienne, mais les Égyptiens étaient des Noirs africains. Ensuite, les Grecs ont tout volé à la culture noire, et les historiens blancs ont dissimulé ce vol. Ce courant a pris racine au XIXe siècle quand des Afro-Américains cherchaient, pour des raisons compréhensibles, une généalogie culturelle plus noble que celle que l’esclavage leur imposait. Ils l’ont trouvée dans l’Égypte ancienne qui était bien un pays africain et entretenait des liens importants avec des peuples noirs habitant plus au sud de la vallée du Nil. À la pseudo-science des Blancs répondait donc une pseudo-histoire des Noirs. Des militants célèbres tels que Marcus Garvey et W. E. B. Du Bois ont adhéré à cette thèse d’un « héritage volé », selon le titre du livre influent publié par l’universitaire George James en 1954 : Stolen Legacy(4). Le monde francophone y a contribué de manière notoire à travers les apports du polymathe Cheik Anta Diop et du linguiste Théophile Obenga qui postulaient l’existence d’une langue négro-égyptienne dont les bases philologiques ont fait l’objet de critiques sévères (5). Ces auteurs ont promu l’idée d’une supériorité de la culture noire sur toutes les autres. À partir des années 1960, la thèse de l’« héritage volé » devient monnaie courante chez maints professeurs de black studies. Elle inspire une méfiance profonde vis-à-vis de la production d’historiens blancs qu’il est désormais légitime d’ignorer.
En critiquant l’œuvre de Bernal, Lefkowitz attaque donc tout l’édifice de l’afrocentrisme. D’ailleurs, les deux autres livres qu’elle recense en même temps que le volume de Bernal sont Stolen Legacy, de James, et Africa, Mother of Civilization, de Yosef Ben-Jochannan, professeur portoricain à Cornell qui se présente comme un juif éthiopien. Elle apprend chez ces deux auteurs qu’Aristote aurait plagié toute sa philosophie dans des livres se trouvant dans la bibliothèque d’Alexandrie – bien que le philosophe soit mort avant la construction de la bibliothèque. Choquée, Lefkowitz consacre un autre livre à la déconstruction de cette nouvelle mythologie, ce qui lui vaut d’être accusée d’être raciste, d’extrême droite et – ce qui est vrai – juive (6). En effet, une fois que la pseudo-histoire est dans la place, tous les délires deviennent possibles. L’afrocentrisme dans ses formes les plus outrancières est souvent associé à l’antisémitisme.
Typique à cet égard, l’organisation musulmane très hétérodoxe, la Nation of Islam, créée dans les années 1930 et refondée dans les années 1970 par Louis Farrakhan, publie en 1991 le premier volume d’une série intitulée « La Relation secrète entre les Noirs et les juifs » (7). Les juifs y sont accusés d’avoir financé la traite atlantique, d’avoir constitué la majorité des esclavagistes américains et d’être responsables de l’« Holocauste des Noirs africains ». Non content de s’approprier la Shoah, le livre exige excuses et réparations monétaires. Lefkowitz apprend que ce titre figure au programme d’un cours de son collègue Tony Martin, qui la dénoncera personnellement dans un brûlot publié à compte d’auteur et intitulé « L’Assaut juif ». Pour comble, quand elle interroge Yosef Ben-Jochannan sur Aristote, lors d’une conférence publique, il insinue qu’elle n’appartient pas aux vrais juifs qui sont… noirs.
L’archéologie sans le savoir
Aujourd’hui, les compromis avec la vérité,caractéristiques des années 1990, sont de nouveaux présents, bien que sous des formes modifiées. Beaucoup d’archéologues proclament ouvertement que leurs recherches ont des objectifs politiques, comme la lutte contre le nationalisme populiste (Brexit, Trump) et la protestation contre le meurtre de George Floyd. Dans ses interventions en ligne, l’égyptologue américaine Vanessa Davies dénonce le racisme de ses prédécesseurs blancs et parle des afrocentristes Diop et Obenga comme de pionniers injustement conspués. Au nom de la diversité, les archéologues britanniques sont engagés dans une quête de preuves d’une présence africaine en Angleterre à l’époque de l’Antiquité. L’empereur romain Septime Sévère, mort à York en 211, est né en Afrique du Nord. D’origine romano-punique, il est souvent présenté abusivement comme noir dans des listes des personnalités noires de l’histoire britannique qui foisonnent dans les médias – y compris la BBC – et une certaine littérature de vulgarisation. Toute personne potentiellement nord-africaine est présentée de façon à suggérer qu’elle est subsaharienne, pour montrer que l’immigration noire est une constante historique. C’est le cas de deux squelettes de femmes datant de l’époque romaine. La « Dame aux bijoux d’ivoire », découverte à York en 1901, qui a vécu au ive siècle, a été jugée par une analyse de 2010 comme potentiellement, partiellement nord-africaine, en dépit de la fragilité des données. En 2020, le Yorkshire Museum en a parlé dans un message posté pour saluer le mois de l’histoire des Noirs. La « Dame de Beachy Head », découverte en 1953, qui a vécu au iiie siècle, est présentée avec une certitude questionnable dans une étude de 2014 comme étant certainement d’origine subsaharienne. Si l’on consulte le matériel pédagogique proposé pendant le confinement par la municipalité londonienne – et travailliste – de Hackney, on trouve une leçon centrée sur cette dame où on pose aux élèves la question suivante : pourquoi ne savait-on pas qu’il y avait des gens originaires de l’Afrique au Royaume-Uni ? La réponse implicite est : parce que les beaufs blancs et leurs historiens officiels ont dissimulé cette présence.
Quant à l’histoire moderne, une autre technique consiste à détrôner les héros blancs traditionnels. C’est ainsi qu’une femme d’affaires et guérisseuse jamaïcaine, Mary Seacole (1805-1881), est portée aux nues comme une rivale de la grande pionnière des soins infirmiers, Florence Nightingale (1820-1910). Seacole était certes une personnalité remarquable, mais elle ne se définissait pas comme infirmière, n’a jamais mis les pieds dans un hôpital et ne se considérait pas comme noire. D’autres approches ont pour effet implicite d’éroder le caractère unique de la Shoah. Le professeur de black studies à Birmingham, Kehinde Andrews, considère Churchill comme l’équivalent d’Hitler à cause de la campagne britannique de bombardement de l’Allemagne. En 2005, l’écrivain et réalisateur Claude Ribbe lance le mythe d’une extermination planifiée des Noirs de Haïti ordonnée par Napoléon et mise en œuvre à travers le recours systématique à des chambres à gaz installées dans les cales des navires français (8). Cette mystification refait surface dans un article du professeur Marlene L. Daut, publié dans le New York Times le 18 mars. Ici, ainsi que dans un entretien sur France Culture et sur son compte Twitter, l’universitaire de Virginie décrit Napoléon comme « un fou raciste, belliqueux, génocidaire », le créateur des « chambres à gaz » et l’inventeur du « plan directeur pour Hitler ».Cependant, si la vérité est tant malmenée aujourd’hui, ce n’est pas tant par ces historiens militants et autres philosophes « postmodernes » que par ceux qui se taisent, par lâcheté, et n’osent pas contester les mensonges des autres. On pense à Juvénal : « Nec civis erat qui libera posset verba animi proferre et vitam impendere vero. » (« Il n’y avait pas un citoyen qui puisse exprimer librement ses opinions et risquer sa vie au nom de la vérité. ») Prenons exemple sur Mary Lefkowitz.
(1) Les deux premiers volumes de Black Athena : les racines afro-asiatiques de la civilisation classique, publiés en anglais en 1987 et 1991, ont été traduits en français et publiés aux PUF :vol. 1 :L’Invention de la Grèce antique, 1785-1985 (1996) ; vol. 2 : Les Sources écrites et archéologiques (1999). Le troisième volume est paru en anglais en 2006 : Black Athena. The Afroasiatic Roots of Classical Civilization, Volume III : The Linguistic Evidence.
(2) Mary Lefkowitz, Guy MacLean Rogers (dir.), Black Athena Revisited, University of North Carolina Press, 1996.
(3) Stephen Howe, Afrocentrism. Mythical Pasts and Imagined Home, Verso, 1999.
(4) Stolen Legacy. Greek Philosophyis Stolen Egyptian Philosophy(1954), réédité de nombreuses fois.
(5) Voir l’ouvrage collectif, Afrocentrismes : l’histoire des Africains entre Égypte et Amérique, Karthala, 2010.
(6) Not Out of Africa. How Afrocentrism Became an Excuse to Teach Myth as History, Basic Books, 1996.
(7) The Secret Relationship between Blacks and Jews. Le premier tome date de 1991, les deux autres de 2010 et 2016.
(8) Le Crime de Napoléon (2005), réédité en 2013 au Cherche-midi.
L’expropriation d’Orange en Irak souligne la nécessité de renforcer la protection des entreprises dans les pays les plus corrompus.
Les économistes experts du secteur des télécommunications évoquent une véritable expropriation. L’affaire est complexe mais pourrait se résumer ainsi. Le groupe de télécommunications français Orange s’est implanté en Irak en 2011, en investissant 430 millions $ au sein du troisième acteur irakien de la téléphonie mobile, Korek. Pour ce faire, il s’était lié à une société koweïtienne, Agility Public Warehouse. Ensemble, ces deux acteurs ont engagé 810 millions $ pour acquérir 44% de Korek. Accusé de ne pas avoir respecté ses engagements, notamment en termes d’infrastructures, Orange a vu son contrat dénoncé en 2014. L’autorité irakienne régulatrice des télécommunications, la CMC, a refusé tout règlement à l’amiable et a définitivement tranché l’affaire en 2018, le groupe français voyant ses parts transférées à trois investisseurs, dont le président de Korek, membre d’une puissante famille du Kurdistan irakien. Exproprié de facto, Orange a porté le cas auprès du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements, le CIRDI, à l’automne 2020. Le partenaire d’Orange, Agility, avait déjà eu recours au CIRDI, dont les trois juges Cavinder Bull, John Beechey et Sean Murphy, ont rejeté sa demande d’indemnisation en février.
Toutefois, selon de nombreux observateurs, de forts soupçons de corruption entachent l’ensemble de cette affaire. La justice britannique enquête d’ailleurs sur cette dernière, dans laquelle semblent être impliqués des intermédiaires de nationalité libanaise. Deux hommes d’affaires libanais, entrés au conseil d’administration de Korek, auraient chargé l’un de leurs partenaires d’acquérir une demeure à Wembley, dans la banlieue de Londres. C’est chose faite en septembre 2014, avec l’achat en cash d’une maison pour 830 000 £. Or, il apparaît qu’elle fut alors occupée par l’un des responsables de la CMC. Cette pratique en dit long sur l’état de corruption endémique qui sévit en Irak, ce pays étant placé à la 160ème position de l’indice de perception de la corruption de Transparency International.
Interrogations sur le CIRDI
Dès lors, il semblerait que le CIRDI, dont c’est pourtant l’une des attributions, n’ait pas suffisamment enquêté sur ces forts soupçons de corruption, comme en témoigne le rejet dont Agility a fait l’objet. Pourtant, le CIRDI est un organisme crucial pour garantir les investissements étrangers dans des pays comme l’Irak. En effet, un pays en reconstruction ou en voie de développement a besoin de capitaux et de savoir-faire étrangers pour rétablir une économie stable. Les investisseurs doivent donc être assurés que les moyens engagés soient à l’abri de pratiques comme la corruption ou l’expropriation. Un Etat qui aurait un recours massif à ces pratiques se verrait condamné à verser de lourdes indemnités, ce qui pourrait l’encourager à une plus grande transparence. Sans investissements, les chances d’un tel pays de se redresser, de moderniser son économie et donc de stabiliser sa société, sont faibles. L’Irak, déjà ruiné par le factionnalisme et les ingérences étrangères, n’a pas besoin en plus de voir les investissements étrangers se tarir. Or, ces derniers sont en chute libre, avec un record de pertes de -4,8 milliards $ en 2018.
Peut-être faudrait-il songer à réformer le CIRDI pour que cet organisme soit plus crédible dans ses missions. Fondé en 1965, il fait partie du Groupe de la Banque mondiale. L’Irak y a adhéré en 2015. Toutefois, le CIRDI a fait l’objet de multiples critiques, notamment de la part de pays latino-américains, dont de nombreux s’en sont retirés (le Brésil n’a, quant à lui, jamais adhéré). Parmi les principales critiques figurent sa trop grande proximité avec la Banque mondiale, le manque de moyens financiers et humains alors que le nombre de recours est en hausse, le déficit de transparence ou encore l’absence de procédures d’appel véritables. Le CIRDI n’en est pas moins indispensable aux yeux de nombreuses entreprises souhaitant réaliser de manière sereine des investissements à l’étranger. Il n’est donc pas question de remettre en question la pertinence de cette institution, mais davantage de la renforcer et de la crédibiliser : une plus grande autonomie face à la Banque mondiale et le renforcement des moyens semblent certaines des pistes à explorer sérieusement.
L’enjeu géopolitique
Cette affaire révèle aussi l’importance centrale d’une bonne analyse géopolitique préalable à un investissement. L’Irak est, on le sait, l’enjeu de luttes d’influence féroces entre les diverses factions présentes, ainsi que l’objet d’appétits étrangers, notamment iraniens. Non qu’Orange ne soit allé en Irak sans procéder à une telle analyse. Le pays est très complexe, déchiré entre communautés qui tentent de s’approprier les ressources financières (comme le pétrole, au centre des antagonismes entre la région autonome du Kurdistan et l’Etat central de Bagdad dans la région de Mossoul). L’influence britannique y est encore palpable, l’Irak ayant été créé au sortir de la Première guerre mondiale sous un mandat confié à Londres. En témoigne l’accord en 2012 entre le britannique Vodafone et Zain, 1er opérateur irakien de téléphonie mobile.
Le cas d’Orange mérite réflexion. S’il n’est pas indemnisé, cela ne pourrait que provoquer davantage de réticences de la part des investisseurs internationaux de se placer en Irak, condamnant à terme tout espoir de développement véritable.
Les raisons de l’abstention massive des Français aux élections sont à aller chercher dans le désintérêt total pour l’échelon régional et au-delà du ras-le-bol général!
Les raisons à l’abstention massive des Français aux élections sont simples: ras-le-bol général! Ras-le-bol de la culpabilisation, ras-le-bol des diktats européens, ras-le-bol de la destruction de la bioéthique, ras-le-bol des sujets abscons et imposés. Nous, on veut des sujets qui nous concernent!
Ne prenons pas les enfants du Bon Dieu pour des canards sauvages et, tant qu’on y est, allons-y du « ras-le-bol démocratique », selon l’expression de Madame de Montchalin, qui monte de la France profonde, en ce lendemain de premier tour des élections régionales où le président chauffe sa campagne présidentielle.
Ras-le-bol!
Ras-le-bol de s’accuser, se culpabiliser, se flageller. De mettre un genou en terre devant le monde entier. De plier l’échine sous la férule de l’oncle Jo. De se battre la coulpe pour la colonisation, la couleur de notre peau, la beauté de notre langue et de notre civilisation. De déplorer notre inappétence pour le mixage, le dégenrage, le métissage, la désidendité, la désexualisation. De ne pas voir ce que nous voyons. Entendre ce que nous entendons. Dire ce que nous pensons. Non, nous n’adorons pas sainte Greta. Non, le multiculturalisme à la Trudeau n’est pas notre code. Non, notre drapeau n’est pas arc-en-ciel, mais bleu blanc rouge, aux couleurs de la France.
Ras-le-bol que charbonnier ne soit plus maître chez lui. Ras-le-bol que Bruxelles, avec ses Commissions, sa Cour de justice, son Parlement, nous impose ses diktats qui excédent ses domaines de compétence économique et fasse main basse sur notre souveraineté. Aujourd’hui, c’est contre la fronde de la Hongrie qu’Ursula von der Leyen montre les dents. Demain, ce sera contre le Danemark et les demandeurs d’asile. Après-demain, la France, pour sa laïcité à la française. En attendant, on laisse violer (sans prévenir Madame Schiappa) l’article 1 du traité de la Convention internationale des droits de l’enfant. On nous saoule du verjus de la novlangue avec l’homophobie, la discrimination, la stigmatisation, l’hystérisation des débats, l’intolérance. Avec « la femme en souffrance d’enfant » et « les familles issues du don ». Avec le père qui n‘est jamais un donneur, et l’enfant qui naît de « la volonté » de deux femmes ; d’une grand-mère qui peut être un père ; du Code Napoléon qui est fini, et de l’altérité sexuelle des personnes de même sexe. Des « parents » qui peuvent être deux mères. Ras-le-bol qu’on se moque de nous, comme l’a dit le Sénat, refusant d’examiner, il y a peu, en commission spéciale, le projet de loi bioéthique. Car, au Sénat, on ne sert pas deux fois le même plat.
Nous, on veut!
Ce que « nous, on veut » comme dit un air populaire ? C’est simple ! D’abord, qu’on arrête de parler d’amour à la Chambre. Les députés n’y connaissent rien : l’amour dure deux ans. Il est « enfant de Bohême qui n’a jamais connu de loi. » Le mal d’enfant n’est pas une maladie orpheline. Les lesbiennes ne sont pas victimes d’une discrimination nécessitant une refonte du code civil. Le coût de la loi bioéthique, c’est 2,3 millions d’euros et huit associations rémunérées de façon ou d’une autre. Le tout imposé par la Commission européenne des droits de l’homme et la CEDH que notre filiation à la française ne regarde absolument pas. Et qui c’est qui paierait ? Le contribuable !
Nul besoin de sillonner la France, les manches retroussées, pour savoir ce que « nous, on veut ». Il suffit de passer en boucle le Flashmob, parti de la gare de l’Est, le 8 avril, pour la réouverture des lieux de culture, qui a fait le tour de France : « Non, non, non…. Nous, on veut… » et tirer les leçons de ce joyeux happening, en l’étendant à tous les domaines de la vie publique et privée, de quoi faire danser Marlène Schiappa jusqu’au vertige : santé, immigration, sécurité, travail, autorité, école, paix civile. Non, les Français ne sont pas tous des canards, ce sont aussi des piafs, ces boules de plumes trapues, effrontées, et sautillantes, qui ont siffloté, dimanche, un petit avant-goût du tournoi de 2022. Hélas ! On dira qu’il y a moins d’oiseaux à Paris, à part les corbeaux au bec jaune, larges comme des pelles, dans les jardins publics. À entendre les médias, le vote des régionales, comme les lois sociétales, les Français s’en taperaient. Ils préfèreraient la pêche à la ligne au vote. La plage sous le soleil, au bitume brûlant. Belle République, en vérité ! Sûr que, quand on serine une chronique de l’abstention annoncée, cela n’incite pas à aller voter : on l’a vu ce dimanche. Alors, on se console en pensant qu’à partir d’aujourd’hui, on tombe le masque mais on garde le slip français.
L’exposition « Côté jardin, de Monet à Bonnard » réunit pour la première fois les œuvres d’artistes que tout opposait, les nabis et les impressionnistes. Elle nous permet aussi de retrouver le chemin des musées et le somptueux écrin de Giverny.
On entend déjà grogner au loin les ronchons : « Encore l’impressionnisme ! » Oui, et alors ? Pour attirer les touristes et remplir les caisses des musées qui sortent d’une mauvaise passe, mieux vaut Pissarro que Poussin, Le Nain ou Georges de la Tour (peut-être nos plus grands peintres). Mais la démagogie et l’appât du gain ne sont pas la tasse de thé de Cyrille Sciama, conservateur en chef du patrimoine et directeur général du très méconnu musée des impressionnismes, créé en 2009 à Giverny, à proximité de la maison de Monet. Ce mélomane érudit voue un culte au grand pianiste Alfred Brendel (dont le portrait orne son bureau) et l’exposition qu’il vient d’inaugurer dans son musée, il l’a méditée et préparée pendant des années. « Le projet de cette exposition traînait dans un carton depuis longtemps, raconte-t-il. Le fait que beaucoup de Français aient adopté le jardin comme un refuge, et aient quitté leur appartement pour aller vivre à la campagne pendant la pandémie, m’a fait soudain prendre conscience de son actualité : c’était le moment ou jamais ! Ce que j’ai voulu montrer, c’est que le jardin, de 1870 à 1940, a été un foyer de création artistique intense en France. Mais ce foyer ne passe pas par Matisse et Picasso : c’est donc une autre histoire de la modernité qui est racontée ici, celle d’un dialogue méconnu et oublié, mais qui a réellement existé, entre Monet et les nabis (Bonnard, Denis, Roussel et Vuillard) qui, au départ, ont d’abord rejeté l’impressionnisme avant de renouer avec lui. »
Giverny, lieu de pélerinage
Pour la première fois, une exposition rassemble et entrecroise les œuvres de ces peintres que tout opposait, puisque les nabis, qui se revendiquaient de Gauguin et de l’art japonais, avec leur théâtre d’ombres et ses larges aplats, refusaient la sensation immédiate et le travail en plein air, sur le motif, au profit d’une lente maturation spirituelle en atelier. Mais à partir de 1900, ils se séparent, doutent et se tournent à nouveau vers le patriarche de Giverny dont la quête contemplative les fascine. L’admiration réciproque entre Monet et Bonnard est une révélation : « Ils se rendent visite mutuellement, se parlent, s’écrivent… C’est l’une des plus belles amitiés artistiques de notre histoire. Alors que le jardin de Monet est totalement construit, celui de Bonnard est fou, sauvage et touffu », précise Cyrille Sciama. Le plus touchant est de voir le vieux sage encourager son nouveau « disciple » dans la voie qu’il s’est tracée et dont le but ultime, Monet le sait, ne peut être que le dépassement de l’impressionnisme, puisque Bonnard ne se contente pas de recomposer les couleurs du réel, mais les transpose, et crée un nouveau monde, imaginaire, où les feuillages, la mer, les champs et les fleurs fusionnent dans une explosion d’or, de bleu, de vert et d’orangé : plus encore que son maître, Bonnard reproduit l’intensité de la vie et annonce l’abstraction.
Cette exposition ne pouvait avoir lieu qu’à Giverny puisque ce village de Normandie a été le point de rencontre et de réconciliation entre Monet et les nabis.
Giverny ! Depuis plus d’un siècle, ce lieu de pèlerinage, situé à 60 km de Paris, est le symbole universel de l’art de vivre à la française. Mais y aller, aujourd’hui, est un choc spatio-temporel : au départ de la gare Saint-Lazare, on rêve de prendre le train de LaBête humaine filmé par Renoir (Jean).
Les impressionnistes à l’avant-garde
Visionnaires et parfaitement lucides, pour ne pas dire « réactionnaires » et « antimodernes », les impressionnistes ont fixé pour l’éternité des paysages et une douceur de vivre qu’ils savaient être en train de disparaître (cette conscience est très nette dans tous les propos d’Auguste Renoir rapportés par son fils dans son livre Pierre-Auguste Renoir, mon père). Témoins de la destruction de la nature et de l’extension tentaculaire des villes, ils ont vu surgir la laideur (Renoir, encore lui, peste sur les objets du quotidien fabriqués en série qui n’expriment plus la main de l’artisan sans laquelle il n’y a pas de beauté). En s’installant à Giverny en 1883, alors qu’il est riche, reconnu et qu’il se considère lui-même comme un homme de progrès (il conduit une automobile, se passionne pour la photographie et règne sur une famille recomposée), Monet pressent la fin d’un monde, de son monde. Comme le note Oswald Spengler dans Le Déclin de l’Occident (publié en 1918), Monet incarne en 1914 « les derniers feux du monde occidental ». Composé dans la lignée des aquariums et des serres inventés au milieu du XIXe siècle pour sauvegarder des pans de nature, son jardin d’eau sublime est un paradis artificiel entouré de murs et de haies, où l’on se perd, comme dans un rêve, et dans lequel il ne reçoit que ses amis les plus proches, tel Clemenceau. Avant lui, Pissarro, Manet, Caillebotte et Renoir avaient déjà fui Paris pour se réfugier dans de petites maisons dotées d’un jardin : « Le jardin, rappelle Sciama, symbolise aussi alors les valeurs de la République : la famille, l’unité, la concorde. »
En parcourant cette exposition légère et pleine de charme, on aura le plaisir de découvrir des peintres oubliés, comme Albert Bartholomé, dont le tableau Dans la serre (1881) est un chef-d’œuvre digne de Manet. Mais aussi des toiles récemment acquises par le musée et jamais présentées, comme le Parterre de marguerites de Gustave Caillebotte : quatre panneaux décoratifs, comme un papier peint en trompe-l’œil, destiné à être vus de loin. Du Klimt avant l’heure !
Alors que notre connaissance de la peinture repose trop souvent sur des reproductions lisses aux couleurs tronquées, la plus grande force de cette exposition est peut-être de nous rappeler qu’un tableau est bien plus qu’une image, que c’est quelque chose qui rayonne et qui nous murmure une « petite chanson ».
« Côté jardin : de Monet à Bonnard », jusqu’au 1er novembre Musée des impressionnismes Giverny, 99, rue Claude-Monet, 27620 Giverny
Affiche de l’exposition Côté jardin : de Monet à Bonnard
Plus que le critique, le comédien, le musicien et le danseur, c’est l’ouvreuse qui passe sa vie dans les salles de spectacle. Laissons donc sa petite lampe éclairer notre lanterne !
Le gars se nomme Christian Thielemann. Connu des mordus chez nous, et encore. Mais superstar dans son pays, l’Allemagne, où Thielemann rime avec Karajan. Pas que rime. Fusionne. Ex-assistant de Karajan, mèche de Karajan, autocratie de Karajan, densité sonore de Karajan, charisme de Karajan, jusqu’au soufre de Karajan. Malin, le feu maestrissimo s’était fait pardonner deux inscriptions au parti nazi. Le jeune impétrant reste le chouchou de la presse malgré ses sourires à Pegida, parti populiste islamosceptique. Un bon Aryen comme son modèle, comme lui nuancé dans ses propos mais d’une pièce dans ses postures.
Un tournant pour l’Opéra de Dresde
Caractériel par-dessus le marché. Impose des programmes comme si rien ne s’était passé depuis 1920. Quitte avec fracas le Deutsche Oper de sa ville natale, Berlin, parce que le Staatsoper rival reçoit plus d’argent. Fait encore sa diva en claquant la porte du Philharmonique de Munich parce que l’orchestre invite d’autres chefs qui ne lui plaisent pas. Vous voyez le genre. Et donc si on vous dit que la ministre de la Culture saxonne refuse de prolonger le contrat du chef à l’Opéra de Dresde, peu de chance, si déjà ça vous passionne, que ça vous étonne.
Sale coup pourtant. Pas contre Christian Thielemann, qui aime les coups. Contre l’Opéra de Dresde. Contre l’opéra en général. Que dit la ministre, Barbara Klepsch ? « Pour l’avenir, il nous faut prendre des décisions aujourd’hui. Cela implique que nous allons nommer une nouvelle direction à partir de la saison 2024-2025. » Certes. Et puis ? Et puis « dans dix ans, l’opéra sera différent de l’opéra d’aujourd’hui : il lui faudra emprunter de nouveaux chemins entre une pratique conventionnelle et une interprétation du théâtre musical et du concert correspondant à l’esprit du temps. » Traduction : rien à secouer de l’aura et de la transe qui sont la raison même du chef d’orchestre, mythe autrefois bien réel ; le politique veut du transitionnel solidaire écoresponsable.
Pour une fois, ce ne sont pas les Verts
Et comme le public, lui, veut de la transe et de l’aura, changeons de public. L’opéra de demain, variétoche mondiale et participative on suppose, attirera « de nouveaux publics ciblés qui ont un accès différent ou n’ont pas accès aux opéras, aux concerts et aux spectacles de ballet ». Le fameux non-public tellement plus intéressant que celui qui est là.
Je vous entends soupirer : ces Verts ! Même les Verts allemands, ces Verts sévères ! Raté. La ministre lyricophobe pointe à la CDU, temple chrétien-démocrate jusqu’ici garant de la Kultur avec un K d’or. Le parti d’Angela Merkel, wagnérienne abonnée depuis toujours au Festival de Bayreuth – celui-là même dont notre Thielemann est le barde solennel. La CDU, soutien des 80 Opéras allemands, la plupart dotés de troupes salariées, de grands orchestres, de jolis chœurs, d’administrations vertueuses. La CDU tendance, nouveau porte-voix de la cancellitude !
Angela Merkel s’en va dans trois mois. Christian Thielemann s’en va dans trois ans. La Kulturministerin Barbara Klepsch : « Nous disposons d’une institution en bon état et nous allons maintenant chercher une direction pour le Semperoper de la prochaine décennie. » Une bonne odeur de forêt noire. Ça sent le sapin.
Chloé Zhao devient la deuxième réalisatrice à recevoir l’Oscar de la meilleure mise en scène avec un film un peu trop malin pour être honnête.
Auréolé de récompenses majeures – plusieurs Oscars dont celui du meilleur film, le Lion d’or à Venise – « Nomadland » est un film pour aujourd’hui ; propre, bien mis, presque inattaquable mais avec une idée derrière la tête.
Chloe Zhao suit Fern (Frances McDormand, forcément oscarisée), veuve chassée de sa maison et de sa ville devenue fantôme par la crise des subprimes. Réduite à vivre dans son van, elle va découvrir la splendeur de l’Amérique et l’entraide auprès d’autres durs à cuire, ces « rubber tramps » comme ils s’appellent, réunis une fois l’an en convention avec un charismatique gourou à leur tête. Comme nous sommes à Hollywood, Zhao adapte un best-seller de Jessica Bruder, caste les vrais routards qui y figurent dans leur propre rôle et ajoute, caution artistique, deux acteurs célèbres dont l’un presque méconnaissable (David Strathairn, excellent de discrétion en soupirant à la triste figure).
Optique prétendument documentaire
« Nomadland » épouse le point de vue de Fern, celui du female gaze, appuie sur le champignon de la sororité (avec les formidables Swankie et Linda May) mais fait vite du surplace, ce qui ennuie pour un road-movie. L’optique prétendument documentaire de Zhao sent quand même fort son écriture par en-dessous (la jolie vaisselle qu’on fait admirer, évidemment cassée une heure plus tard par la figure masculine la plus proéminente).
Le flux de la vie n’apporte d’accrocs qu’immédiatement résolus par le récit grâce à la bienveillance ambiante, un peu d’astuce ou d’espièglerie. Le plus gros – le coup de la panne – amène un instant l’héroïne à perdre sa superbe de winneuse de la lose, mais cet instant dure moins d’un dixième de seconde puisque, obligée de révéler au garagiste qu’elle dort dans son van pour hâter la réparation, Fern embraie après cette révélation sans laisser le temps à quiconque (interlocuteur, spectateur) de s’apitoyer : un ange ne passe pas. Cet impensé auquel se refuse le film pèse grandement sur ses qualités réelles – principalement l’interprétation.
« Nomadland » fait mine de respecter le choix par l’héroïne de la marge vagabonde, et ce faisant entérine le rôle subalterne, qui échoit à Fern et ses pareils, d’armée de réserve du libéralisme. La chambre à soi, gagnée de haute lutte par Virginia Woolf, devient un van à soi, mais le gain de l’indépendance se paie par la larbinisation globale : Fern et ses amies deviennent des sous-bonniches où le vent les porte dès que l’argent manque.
Zhao a beau jeu d’y voir, dans la bouche de la soeur bourgeoise, l’esprit des « Pionniers de l’Amérique » ; dans les faits, c’est un sous-prolétariat corvéable à merci qu’exalte « Nomadland ». Les paysages américains semblent du coup contractuels. Tu as ta liberté et l’Amérique dans la poche, mais tu récureras les chiottes au fond d’un parc à thèmes dans le Wisconsin en décembre.
Le CV le mieux rédigé du monde ?
Ce prosaïsme est évidemment caché par le film – malgré une séquence très crue de diarrhée sans eau courante dans l’habitacle. L’idéalisation des destins reste frémissante, un peu trop soulignée par l’insupportable musique rêveuse et connivente dès que Fern croise d’autres humains, avec un panoramique exaspérant dans le camp improvisé et le quatuor à cordes avec piano qui monte comme un sanglot réprimé. On voit là le crossover auquel tente de se livrer Zhao, celui de l’académisme Sundance et d’une ampleur émotionnelle bien plus hollywoodienne.
Mais le plus souvent, ces deux pôles s’annulent. La dramatisation est volontairement minimale, la romance semée comme des petits cailloux tout du long de la narration ne prend jamais. On peut trouver assez courageux le refus de Zhao, à la suite de son héroïne, de considérer le chevalier-servant en attente autrement que comme une possibilité qu’il convient de chasser de la main.
Mais étrangement, le plus beau plan, celui qui reste en mémoire, est le double visage de Strathairn et du bébé qui figure son petit-fils regardant Fern en légère contre-plongée, avec une demande muette qui ne sera jamais clairement explicitée.
Le retournement final interrogatif – Fern suit-elle sa route ou rejoint-elle celle d’un autre ? – laisse l’impression mitigée d’un film qui voudrait gagner sur tous les tableaux. « Nomadland », de fait, est un piédestal qui mène à plus haut : après ces invisibles choisis dans le caniveau, Zhao filmera pour une major le tout-venant de l’inepte survisible, une franchise Marvel. Et si Nomadland était finalement le CV le mieux rédigé du monde ?
Mon ami tunisien, Mohamed-Djihâd Soussi, m’a transmis, outre un très bel éloge du suicide, une lettre de Cioran adressée le 22 juillet 1989 à Vincent La Soudière, lettre qui reflète tellement mon état d’esprit actuel que je ne résiste pas au plaisir de la reproduire ici.
Cher Ami, « Je ne suis pas triste, mais je suis fatigué De tout ce que j’ai jamais désiré. » Ces vers d’un poète anglais injustement oublié, je me les répète souvent depuis longtemps, depuis toujours, mais plus particulièrement depuis quelque temps. J’ai pris la résolution d’abandonner à peu près toute espèce d’activité, écrire en tout premier lieu. Ce que j’avais à dire, je l’ai plus ou moins dit : à quoi bon insister ? Il faut regarder les choses en face : je suis vieux, et cela est une humiliation de tous les instants. Plus de projets, plus d’envie de voyager, plus rien. C’est évidemment la sagesse, mais la sagesse est une diminution et presque une défaite. Très amicalement, Cioran.
La défaite ne tardera pas. Cioran approche des quatre-vingt ans. L’Alzheimer le guette. Il aimait répéter le mot allemand : « Ceux que les dieux aiment, meurent jeunes. » Ce fut le cas de son ami Vincent La Soudière qui, bien que prolixe, ne publia qu’un mince volume de proses poétiques. Lui aussi était hanté par le suicide. Henri Michaux qui le présentera à Cioran, écrira à son sujet : « N’aurait-il fait qu’un livre, c’est comme s’il en avait écrit plusieurs. » J’ai parfois l’impression que bien que j’en ai publié plusieurs, c’est comme si je n’en avais écrit aucun. Sans doute me suis-je tenu trop éloigné des gouffres. On disait de ma mère qu’elle était une communiste de salon. Peut-être n’ai-je jamais été qu’un nihiliste de salon. Je n’échapperai pas aux humiliations de tous les instants que les années qui passent me réservent. À quoi bon publier encore ? Un suicide réussi vaut toujours mieux qu’un livre raté.
Sur France Inter le 16 juin, l’humoriste salariée du service public Charline Vanhoenacker a lu sa “lettre de motivation pour CNews”. Pour justifier cette missive, elle s’est appuyée sur une enquête du journal Libération affirmant que, sur un an, 36 % des invités de CNews ont été des représentants « d’extrême-droite. »
Charline Vanhoenacker veut, dit-elle en riant, aider CNews à améliorer ce score, d’où cette fameuse lettre de motivation. Passons rapidement sur l’absence évidente d’un quelconque humour de cette chroniqueuse qui ne fait glousser que ses collègues, surtout lorsqu’elle révèle vouloir se faire embaucher par CNews pour réaliser son rêve : se faire maltraiter en direct par…Élisabeth Lévy. Et confirmons le proverbe biblique : « On voit la paille dans l’œil de son voisin mais pas la poutre dans le sien. »
Les fact-checkers repartent à la chasse aux « fachos »
L’enquête en question est très intéressante. Le titre de présentation est doublé, en gras, sur la page du DataMatin de Libération, on ne peut pas le rater : « 36 % de invités politiques de CNews sont d’extrême-droite. » La ligne correspondant à cette assertion est bien visible en haut d’un tableau coloré. Il aurait été honnête de commenter la totalité de ce tableau. Pour constater deux choses : 1) Oui, CNews invite, plus que les autres, des représentants dits d’extrême-droite, mais… 2) Si l’on se reporte à l’antépénultième ligne du tableau qui concerne France Inter, on constate que la radio publique “la plus écoutée de France” n’invite de son côté qu’à peine… 3% de représentants d’extrême-droite (score le plus faible de toutes les radios publiques et privées), tandis que LREM + Modem passent allègrement la barre des 40%, et que la gauche + l’extrême-gauche approchent les 30%.
Encore plus intéressant : Libération propose d’affiner cette lecture via un lien qui conduit à CheckNews, c’est-à-dire à l’officine de vérification du journal… Libération. Cette officine a compté le nombre d’apparitions des responsables politiques dans les seules matinales depuis début avril. Libération souligne que la matinale de CNews se distingue en étant celle qui invite le plus de représentants de « l’extrême-droite » (26,5 % du total) mais avoue qu’il a intégré les interventions de différentes personnalités qui peuvent être “apparentées” RN. Et France Inter ? Aucun commentaire sur France Inter. Rien. Nada. Pourtant, la 1ère radio de France ne déroge pas à sa principale règle déontologique qui est, en période électorale, de donner le moins possible la parole au parti dont on peut penser ce qu’on veut, mais qui représente aujourd’hui potentiellement plus d’un quart des électeurs français.
📊 36% des invités politiques de CNews sont d’extrême droite. En une année, CNews a notamment reçu 138 fois Jean Messiha.
En conséquence de quoi, bon dernier du classement, France Inter n’a octroyé que… 3 % de ses invitations matinales à des représentants d’extrême-droite, score de loin le plus bas de toutes les radios et chaînes d’information continue. Comme Libé a dû voir que cela clochait quelque part, il précise : « Pour rappel, depuis le 10 mai et le début de la période électorale, les chaînes sont tenues de respecter une certaine équité, mais sans que cela ne se traduise par un pourcentage précis de temps de parole à donner à chaque parti. » Ah bon, me voilà rassuré, j’ai cru un instant que France Inter ne respectait pas « la pluralité des expressions politiques » qui lui tient tant à cœur.
C’est la notion du pluralisme de France inter qui est drôle!
3% c’est pas mal, mais je pense qu’on peut faire mieux, c’est-à-dire moins. J’aimerais participer. J’ai donc décidé de postuler à un poste de programmateur sur la radio publique. En prenant comme modèle la lettre de motivation de Charline Vanhoenacker, j’ai écrit la mienne pour France Inter.
Extraits :
« Chère France Inter, je me porte candidat pour vous aider à choisir vos invités, parce qu’il me semble important de contribuer à la pluralité des idées… de gauche. Bien sûr, je respecterai l’équilibre de la parole : par exemple, si on a un intervenant de LFI, on prendra comme contradicteur quelqu’un de droite comme… Aurélien Taché. Parce qu’il faut faire preuve de nuance dans ce métier, chose qu’on ne voit pas assez dans les médias privés. Pour eux, tous les progressistes sont des abrutis ! Allez hop, tout le monde dans le même sac, et ils ne sont même pas payés avec nos impôts, les cons.
[…]
Je pense avoir le profil pour le poste : hier j’ai agressé verbalement un ami qui avait tweeté un message de soutien à Jean Messiha ! C’est le métier qui rentre.
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Je sais me montrer convaincant aussi : sachez par exemple que j’ai réussi à convaincre un ami de l’intérêt des éoliennes en me foutant gentiment de sa gueule devant tout le monde. L’humour, ça sert aussi à ça.
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Je suis quelqu’un d’ambitieux et je ferai tout mon possible pour réaliser mon rêve : me faire maltraiter en direct par Charline Vanhoenacker.
[…]
Je voudrais que France Inter devienne ma nouvelle famille. Sans vouloir me victimiser, j’ai été élevé par des parents pétainistes. Je vis encore des moments très éprouvants : mon père regarde tous les soirs Zemmour sur CNews et m’appelle ensuite pour me rapporter les meilleures analyses de son éditorialiste préféré. La honte.
[…]
Et enfin, passionné de communication, je propose aussi de compléter votre campagne d’affichage par ce slogan : “Pourquoi on se gênerait alors que c’est nous qu’on est du côté du bien ?” »
La Namibie a été un protectorat allemand de 1884 à 1915. Cette colonisation a laissé des traces. Certains descendants des colons sont fiers de l’histoire allemande, et pas n’importe laquelle…
C’est un pays figé par le temps où l’on cultive une nostalgie pour le Reich à travers une saveur toute teutonne. À l’ombre de la statue équestre du « Reiterdenkmal », qui représente un colon prussien, placée au centre de Windhoek, la capitale, ils sont encore une minorité à regretter le passé d’une Allemagne qui a façonné la Namibie en devenir. Les descendants de ces « südwesters » se sont affranchis de tout politiquement correct et n’hésitent pas à arborer librement la croix gammée à leur bras dans cette partie de l’Afrique australe. L’ancien mandat sud-africain a même été au cœur d’un vaste projet utopique de recolonisation, base de départ du futur IVème Reich, une micro-nation morte aussi vite qu’elle est née.
Nostalgie d’une époque
C’est une boutique que l’on ne peut difficilement éviter à Swakopmund, la ville la plus allemande de Namibie. Chez Peter et Ludwig Haller, on trouve tout ce que compte de nostalgie coloniale dans ce pays balayé par le vent du désert. Entre deux masques africains, une édition de Mein Kampf, des médailles du Deutsches Kolonialreich, des photos d’Adolf Hitler, des tasses de thé ornées de la croix de fer, des cartes postales qui rappellent les grandes heures de la Prusse conquérante en Afrique ou encore des affiches publicitaires datant du régime de ségrégation raciale, aboli lors de la déclaration d’indépendance en 1991. C’est une attraction touristique qui a ses amateurs comme ses détracteurs. Dans cette station balnéaire tout rappelle une époque révolue mais que la minorité allemande entretient allégrement et que justifie Andreas Vogt. « Les germanophones nés en Namibie ont le droit de revendiquer la conservation de leur patrimoine dans le cadre de leurs droits culturels et du droit des minorités ancrés dans la Constitution » a expliqué récemment cet historien germano-namibien au Namibian Newspaper.
« Deutschland über alles » (« L’Allemagne doit dominer le monde »). Dans cette partie de l’Afrique marquée par un violent génocide perpétré contre les Héréros et les Namas entre 1904 et 1911, ce type de discours est toléré par le gouvernement actuel mais agace profondément certaines Ligues de défense des droits de l’homme qui s’inquiètent de cette résurgence du « bon vieux temps » qui donne lieu à toutes sortes de spéculations. En 2014, une vente aux enchères d’objets nazis à Swakopmund avaient cristallisé les passions et la presse locale s’était faite l’écho de ces Allemands qui étaient venus, brassards du IIIème Reich aux bras sans que cela ne gêne le moins du monde l’assistance qui s’était rassemblée pour acheter ces « reliques historiques ». Interviewé, Ludwig Haller, propriétaire de la Peter Antique Shop, avait même rappelé que « vendre des souvenirs nazis en Namibie n’avait rien d’illégal ». Une vérité qui a tout de même poussée certaines mairies à rebaptiser trois ans plus tard certains noms de rues après la construction d’un complexe résidentiel baptisé « Germania », rappelant celui très controversé de la capitale monumentale imaginée par Hitler pour son Reich. Exit donc la rue Kaiser Wilhem II ou encore la rue Heinrich Goering, deux noms associés à l’histoire de la colonisation de la Namibie. Si le premier figure en bonne place de nos livres d’histoire, le second qui a été gouverneur du Sud-Ouest allemand est ni plus ni moins que le père du Reichsmarschall Hermann Goering, un des plus grands dignitaires nazis à l’origine de la Gestapo.
Un nouveau Reich en Namibie ?
Il n’est pas rare de voir des couronnes de fleurs, auxquelles ont été accrochés de billets de banque des deux Reich défunts, déposées au pied des héros du panthéon colonial allemand par des associations germano-namibiennes qui ne cachent pas leurs liens avec des mouvances d’extrême-droite de la mère patrie et qui nient toute idée d’holocauste. Lors de la Seconde guerre mondiale, la Namibie avait été un terreau fertile aux idées nazies. Plus de 20% des germano-namibiens avaient même adhéré à l’unique section du NSDAP contraignant les autorités sud-africaines pro-britanniques à l’interdire deux ans plus tard. L’arrivée au pouvoir des afrikaners en 1948 va rapidement changer la donne et devenue citoyenne à part entière, la communauté allemande restera un soutien sans faille au régime d’apartheid de Pretoria. Et bien qu’elle méprise la rusticité des boers, elle continue de voter pour des partis qui préservent encore leur « esprit pionnier » comme le Republikanische Partei. Un mouvement dirigé par Henk Mudge et qui possède deux sièges au parlement. Les germano-namibiens, à quelques exceptions près, restent d’ailleurs convaincus de leur supériorité raciale et regardent l’Allemagne actuelle comme décadente.
En Afrique, lors de l’Oktober Fest, on toaste encore à cette Allemagne d’antan que l’on regrette. C’est dans ce contexte qu’un groupe de suprématistes hétéroclites, rassemblés sur le défunt forum internet 8Chan, a émis l’idée de créer en Namibie un nouveau Reich où prévaudraient des « valeurs occidentales et l’idéologie du national-socialisme ». Plus de 150 personnes s’étaient portées volontaires pour devenir colons et avaient élaboré des plans grossiers pour la fondation de cette micro-nation utopique, appelée « Nouvelle Rhodésie », qui se voulait sur le même modèle que la ville d’Orania en Afrique du Sud. Obnubilé par la pureté raciale, ce projet qui manquait singulièrement de femmes et restait interdit à tout « homo-fascismus » a fini par s’éteindre de lui-même sans que la communauté allemande de Namibie ne s’en soit émue.