Accueil Culture « Les Deux Alfred », de Bruno Podalydès, un film succulent!

« Les Deux Alfred », de Bruno Podalydès, un film succulent!

En salles le 16 juin 2021


« Les Deux Alfred », de Bruno Podalydès, un film succulent!
Denis Podalydès dans "Les Deux Alfred" (2021) de Bruno Podalydès © Af Brillot

Après la disette, c’est la grande bouffe dans les salles de cinéma : 450 films nouveaux qui déferlent sur les écrans. Gare à l’indigestion et autant choisir des plats savoureux et roboratifs parmi des cartes et menus majoritairement insipides. Le dernier film de Bruno Podalydès, en salles demain, vaut le détour.


Depuis Dieu seul me voit, Liberté-Oléron et Comme un avion, pour ne citer qu’eux, on connaît la grande malice du cinéma de Bruno Podalydès en compagnonnage étroit avec son frère, l’acteur Denis Podalydès. Dans le paysage de la comédie française, très souvent affligeant, ses films font figure d’objets cinématographiques non identifiables et c’est tant mieux. On oscille entre Jacques Tati, Pierre Étaix, Pascal Thomas, Pierre Salvadori et quelques autres, tous plus soucieux du plaisir du spectateur que de la blague facile et de l’« humour » tendance Canal + historique. Avec Les Deux Alfred, son nouveau film qui patiente depuis septembre 2020 comme tant d’autres, le cinéaste fait à nouveau des merveilles. Son talentueux frère y incarne le héros principal, Alexandre, un chômeur qui doit cacher l’existence de son enfant pour travailler dans une « start-up ». En une phrase tout est dit ou presque des intentions de Podalydès qui, comme à son habitude et l’air de rien, nous tend un miroir qui ne sera déformant que pour les fous qui confondent la vraie vie avec les tristes impératifs de la modernité pour tous.

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Parce que Podalydès tire avec une grâce sans pareille sur tout ce qui bouge faussement, on peut et même on doit comparer son film avec une autre proposition qui nous fut faite l’an passé par le duo Delépine-Kervern sous le titre Effacer l’historique. Ces deux libertaires, mais qui semblent très bien s’accommoder de la télé selon Bolloré, font mine de dynamiter notre environnement social et économique. Or, avec eux, tout devient lourd, répétitif et pour tout dire vulgaire, tant finalement la solidarité qu’ils revendiquent (via les Gilets jaunes) exsude la condescendance. On peut d’autant plus faire la comparaison avec le film de Podalydès que tous deux ont un acteur en commun en la personne de Denis Podalydès. Mais quand Effacer l’historique s’appesantit lourdement durant une longue séquence sur le statut infernal des livreurs à vélo, Les Deux Alfred dit exactement la même chose en une minute à peine. Chez les uns, on épuise un sujet et les spectateurs avec, chez l’autre on le traite tout autant, mais avec la grâce et la légèreté grave d’un dessin de Sempé. L’esprit Canal qui n’est au fond qu’un humour de caserne à la mode Hara Kiri du pauvre a depuis longtemps trouvé ses limites et ses facilités récurrentes. A contrario, le scénario de Podalydès multiplie les notations brèves et percutantes, à l’instar du traitement qu’il réserve à cette start-up très macronienne qui est au centre du film. On y parle une novlangue composée d’acronymes compulsifs et d’anglicismes convulsifs, on y vit comme chez soi, ce dernier n’existant plus ou presque, et, cerise sur le gâteau, on y licencie sans vergogne les salariés qui auraient le malheur de songer au renouvellement des générations.

Affiche du film « Les Deux Alfred » © Af Brillot

Comme toujours chez Podalydès, le casting est des plus flamboyants. Depuis Yann Frisch qui joue le manager-gourou jusqu’à Sandrine Kiberlain, supérieure hiérarchique en surchauffe, en passant par le cinéaste lui-même dans le beau rôle du penseur forcément alternatif qui se définit hardiment comme « entrepreneur de lui-même ». Tout ce petit monde est rassemblé pour décrire une société au bord de la folie et de l’implosion technologique, au bord de l’épuisement et de la dépression généralisée. Avec une intelligence acérée, Podalydès, contrairement au tandem Delépine-Kervern, laisse de la place au spectateur face à ce constat affligeant. Scènes courtes, montage fluide : on a le sentiment d’un heureux vagabondage alors que tout ce qui est montré ne parle finalement que d’interdits sous couvert de branchitude. En nous laissant ainsi respirer, Podalydès tisse sa toile plus efficacement. Il suffit alors que les drones omniprésents dans cette société cauchemardesque se transforment tout à coup en simples pigeons voyageurs pour que le monde soit réenchanté. C’est tout l’art et la magie du cinéma de Podalydès qui s’expriment ainsi, revenant aux sources du cinématographe : Méliès s’y serait senti à son aise.

Juin 2021 – Causeur #91

Article extrait du Magazine Causeur




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Critique de cinéma. Il propose la rubrique "Tant qu'il y aura des films" chaque mois, dans le magazine

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