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Une lettre de Cioran

Le billet du vaurien


Une lettre de Cioran
L'écrivain Cioran en 1989 © OZKOK/SIPA Numéro de reportage: 00170537_000003

Le billet du vaurien

Mon ami tunisien, Mohamed-Djihâd Soussi, m’a transmis, outre un très bel éloge du suicide, une lettre de Cioran adressée le 22 juillet 1989 à Vincent La Soudière, lettre qui reflète tellement mon état d’esprit actuel que je ne résiste pas au plaisir de la reproduire ici.

Cher Ami,
«  Je ne suis pas triste, mais je suis fatigué De tout ce que j’ai jamais désiré. »
Ces vers d’un poète anglais injustement oublié, je me les répète souvent depuis longtemps, depuis toujours, mais plus particulièrement depuis quelque temps. J’ai pris la résolution d’abandonner à peu près toute espèce d’activité, écrire en tout premier lieu. Ce que j’avais à dire, je l’ai plus ou moins dit : à quoi bon insister ? Il faut regarder les choses en face : je suis vieux, et cela est une humiliation de tous les instants. Plus de projets, plus d’envie de voyager, plus rien. C’est évidemment la sagesse, mais la sagesse est une diminution et presque une défaite. 
Très amicalement, Cioran.


La défaite ne tardera pas. Cioran approche des quatre-vingt ans. L’Alzheimer le guette. Il aimait répéter le mot allemand : « Ceux que les dieux aiment, meurent jeunes. » Ce fut le cas de son ami Vincent La Soudière qui, bien que prolixe, ne publia qu’un mince volume de proses poétiques. Lui aussi était hanté par le suicide. Henri Michaux qui le présentera à Cioran, écrira à son sujet : « N’aurait-il fait qu’un livre, c’est comme s’il en avait écrit plusieurs. » J’ai parfois l’impression que bien que j’en ai publié plusieurs, c’est comme si je n’en avais écrit aucun. Sans doute me suis-je tenu trop éloigné des gouffres. On disait de ma mère qu’elle était une communiste de salon. Peut-être n’ai-je jamais été qu’un nihiliste de salon. Je n’échapperai pas aux humiliations de tous les instants que les années qui passent me réservent. À quoi bon publier encore ? Un suicide réussi vaut toujours mieux qu’un livre raté.




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