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Des nymphéas pour le repos du Tigre


Des nymphéas pour le repos du Tigre

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Petit-Luc est le lieu d’un massacre de près de six cents civils durant les guerres de Vendée. Mais l’Historial de la Vendée, bâti à cet endroit, est dédié à l’histoire régionale dans toutes ses composantes. C’est ainsi qu’une intéressante exposition y est consacrée à Georges Clemenceau, fameux Vendéen qui se considérait héritier « en bloc » de la Révolution et arborait sur sa cheminée un buste de Robespierre. L’événement est consacré aux goûts artistiques de l’homme d’État, abstraction faite de sa passion pour l’Extrême-Orient, qui fera bientôt l’objet d’une approche spécifique au musée Guimet.

L’exposition est dominée par une prodigieuse série de bustes de Clemenceau, modelés par Rodin. Il s’agit d’études en terre ou en plâtre pour préparer un bronze. Chaque pièce explore un aspect de la personnalité du « Tigre ». L’ensemble le fait revivre avec une stupéfiante vérité. Rodin appréhende son personnage comme s’il s’agissait d’écrire un roman. Il le regarde de façon pénétrante, sans concession, mais non sans compassion. Il saisit son modèle dans toutes ses composantes, en une seule intuition,qualités et défauts confondus. Clemenceau,dans ces bustes, apparaît à la foisintransigeant et humain, auguste et chafouin, borné et visionnaire, viril et sénile. On mesure là véritablement la portée du génie de Rodin.

Quant à Clemenceau, tant de psychologie et surtout tant de séances de pose ne lui ont pas plu. Il s’est aussi souvenu que Rodin l’avait déçu au temps de l’affaire Dreyfus. Il s’est définitivement brouillé avec le sculpteur. Ce qu’il aimait, c’était l’impressionnisme. Il a entretenu jusqu’au bout une amitié fidèle avec Claude Monet (1840-1926). Le moustachu et le barbu aimaient se promener ensemble dans les jardins de Giverny. Après que le peintrea peint,au fil des années,plusieurs centaines de nymphéas en petit format, Clemenceau l’a soutenu pour en faire une série de taille monumentale, en vue d’une installation à l’Orangerie des Tuileries. L’artiste était âgé et atteint de cécité. L’amicale pression de Clemenceau, qui a poussé son ami à travailler coûte que coûte, est touchante. En tout cas, elle a été déterminante.

L’exposition de l’Historial de la Vendée bénéficie de prêts importants d’œuvres de divers musées nationaux. On trouve des peintures de Manet, Whistler, Eugène Carrière et Daumier. Mais les plus nombreuses sont logiquement celles de Monet. En particulier, on découvre des nymphéas de la dernière période, celle où il s’approche de façon étonnante de l’expressionnisme abstrait et de la gestualité d’une Joan Mitchell.

On peut se demander ce qui rapprochait tant Clemenceau de Monet. Pourquoi le« Tigre », si agité, si combatif, si immergé dans la vie et dans l’histoire, était-il lié à Monet qui ne s’intéressait à rien tant que de faire le tour de son étang et de peindre des fleurs, même en pleine guerre ? Malheureusement, le livre rédigé en 1928 par Clemenceau sur Monet ne nous éclaire guère. On peut juste y goûter l’emphase un peu datée du tribun. C’est peut-être justement en raison de son caractère parfaitement reposant quel’homme d’État appréciait la peinture de Monet. En somme, il s’agissait d’un art pas prise de tête, une ambiance fleurie. C’était ce qu’il fallait pour le repos du « Tigre ».

Il faut dire aussi que, pour Clemenceau, l’impressionnisme avait la saveur d’une affaire de jeunesse. C’est, en effet, quand il était jeune journaliste qu’il a connu les artistes de ce mouvement. Au début, les impressionnistes ont suscité de l’espoir, par leur volonté affichée de peindre la vie réelle. C’était effectivement une bonne idée. Ainsi, Émile Zola a-t-il cru sincèrement qu’ils allaient adopter en peinture une démarche naturaliste et sociale comparable à la sienne en littérature. Ces artistes ont connu un rapide succès commercial. Cependant, en matière de vie réelle, on a surtout vudes scènes de canotage, des pique-niques par beau temps et des parterres fleuris. Progressivement, Zola a pris du recul, tandis que Clemenceau, bizarrement, renforçait son soutien. Les impressionnistes ont, à mon avis, inventé la peinture sympa. Il n’y a d’ailleurs pas de mal à cela. C’est comme les robes d’été à fleurs, si on aime, pourquoi s’en priver ? Cependant, certaines personnes peuvent attendre davantage de la peinture. C’est mon cas.

Le Clemenceau homme politique n’est pas à l’ordre du jour de cette exposition. Cependant, il était difficile d’en faire complètement abstraction. Il réapparaît parfois sous un jour imprévu.C’est le cas avec cet intéressant exemplaire de « Aupied du Sinaï », illustré par Toulouse-Lautrec. Dans cet ouvrage consacré aux juifs, on est surpris de voir Clemenceau reprendre à son compte nombre de clichés antisémites en cours à son époque. Il faut sans doute replacer cela dans le contexte, mais tout de même, c’est un peu décevant de la part du grand dreyfusard qu’il a été.

Il faut rendre hommage aux commissaires, Christophe Vital et Florence Rionnet, qui ont très intelligemment constitué cette exposition. Par la diversité et le niveau des pièces présentées, elle mérite le voyage. Surtout, elle est conçue pour être accessible à tous les publics sans être rébarbative. Elle permet à chacun de se faire librement une idée personnelle sur Clemenceau et sur l’art de son temps. Et le moins qu’on puisse dire est qu’il y a matière à des opinions très contrastées.

Clemenceau et les artistes modernes. Jusqu’au 2 mars à l’Historial de la Vendée.

*Photo: GINIES/SIPA.00618575_000007.



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est écrivain. Dernier ouvrage paru : Précipitation en milieu acide (L'éditeur, 2013).

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