Accueil Site Page 996

Cet été, le roman ne passera pas!

1

Il y a autre chose que le roman !


Il m’arrive une grosse tuile. L’équivalent d’un accident de travail. Une forme d’incapacité si vous préférez. Je ne peux plus lire de romans. Pour un critique professionnel, c’est pire qu’une luxation du poignet. Je ne peux plus physiquement ouvrir un roman français ou étranger ; psychologiquement la fiction m’est devenue insupportable. C’est grave, docteur ? Serais-je guéri à temps pour la prochaine rentrée de septembre ? Car les livres débordent déjà de ma boîte à lettres. Ils arrivent depuis le printemps dans un flux ininterrompu qui me terrifie. Les personnages m’ennuient, les histoires m’accablent et l’imaginaire des autres me dépriment encore plus que le mien. Le format long est incompatible avec mon humeur changeante. Et cette vénération infantile, presque scolaire, pour le roman cathédrale, comme s’il était le sel de la littérature, son unique moyen de transport amoureux. J’ai parlé de ce problème à un confrère : comment dépasser ce dégoût temporaire et sauver mon emploi ?

À lire aussi, du même auteur : On lit quoi cet été?

Ce sage de l’édition m’a répondu que je vieillissais tout simplement. Que le roman est l’instrument d’une jeunesse avide d’engranger, par procuration, des expériences ; qu’il est nécessaire à la construction mentale du lecteur en formation ; qu’il est seulement un passage, un rite, l’expression d’un état temporaire mais qu’après s’être nourri d’écrivains mineurs ou majeurs, les deux formant une même école de la pensée, l’esprit vers la cinquantaine aspire à l’ascèse. Qu’avec les années, viennent l’épure des mots et la rigueur du style. Qu’un aphorisme peut suffire au bonheur du critique, qu’une chronique de trois mille signes enchantera bientôt tout un hiver. Que le roman n’est qu’un galop d’essai vers une écriture plus retenue, le chemin vers l’indicible. Que pour bien écrire et dire sa vérité, il faut biffer ses élans nocturnes ; retenir le jet cristallin est le travail de toute une vie. La création, cet art friable et éprouvant, bannit les longueurs assassines. Qu’après bien des efforts et des désillusions, au petit matin, juste quelques mots entrelacés, papiers collés et autres fragments poétiques dégageront autant de force que des centaines de pages reliées. D’autres confrères m’ont alors parlé du plaisir de relire ces fameux romans fondateurs qui cimentent nos bibliothèques, snobisme éculé des gens de notre métier. Coquetterie aussi tapée que les poires de Touraine, cette fausse vérité est plus entretenue par manque d’imagination que par goût sincère du Livre. Elle se veut cultivée, elle n’est que pédante.

Jamais, vous ne retrouverez le suc de la première gorgée ou du premier baiser, cette fébrilité toute absorbée, toute accrochée aux phrases nouvelles qui ruissellent et cascadent dans votre cœur. La chamade ne se reproduira jamais plus. Ces vaines séances de rattrapage et rengaines larmoyantes ne sont qu’une tentative désespérée de retrouver son adolescence disparue. Les journaux ou recueils de chroniques échappent à l’ingratitude du temps alors qu’ils en recèlent le trouble intérieur. Quand ils sont l’œuvre de très grands, maîtres en écriture fine et observateurs désabusés, on s’y ressource avec un bonheur intact, surtout durant l’été. Ils n’ont pas été flétris par les modes idiotes, ils ne s’embarrassent pas de mots inutiles. Ils sont le remède à notre errance balnéaire. Ils n’ont pas la lourdeur des romans à thèmes, ils expriment dans un français souverain nos pensées brouillonnes. Pour ce mois d’août, j’ai choisi quelques figures indispensables, d’abord le Journal de Jules Renard (1897-1910). On y revient toujours tant sa veine pleine d’amertume rurale et de gamineries théâtrales nous comble de félicité. Mille trouvailles, mille portraits, mille aigreurs qui fascinent autant par leur pertinence que par leur onde nostalgique. En cet été 1902, Renard est en verve, il enchaîne les saillies comme à la fin de l’envoi, Cyrano touche :

– « Cocu ». Chose étrange que ce petit mot n’ait pas de féminin. »      

« L’érudition de ceux qui méprisent le Larousse et qui s’imaginent qu’ils n’y apprendraient rien. »

La chronique est également une autre façon de voyager, de prendre « L’Air du pays » avec Kléber Haedens, chasseur en gourmandises teintées de mélancolie et échappées basques. Le 24 août, il écrit : « L’été ressemble encore à un péché capital. Nous entrons à Saint-Sébastien par un jour doré comme une sole frite et c’est pourtant sur l’Avenida de España que nous verrons les premières feuilles mortes ».

À lire aussi, du même auteur : La langue d’Audiard, ma Patrie!

Et pourquoi ne pas visiter Paris dans les pas de Jacques Audiberi (1937-1953), promenade à la gloire des marchés et des travailleurs anonymes. En ce 10 août 1938, dans Le Petit Parisien, il note ceci : « Quai de la Mégisserie et aussi quai de l’Hôtel-de-Ville, devant la Seine, cela caquète, roucoule, pépie, siffle, sifflote, dans un grand tapage de becs – puisque, disait Villon, il n’est bon bec que de Paris ».

Et enfin, laissez vous transpercer par le parfum de cette lointaine Amérique latine dans Conversations à Buenos Aires entre Jorge Luis Borges et Ernesto Sabato et cette merveilleuse antienne : « Nous sommes tous des poètes de quartier ».

Journal de Jules Renard – Bouquins / Robert Laffont

L’Air du pays de Kléber Haedens – Albin Michel

Paris Fut de Jacques Audiberti – Éditions Claire Paulhan

Conversations à Buenos Aires – Jorge Luis Borges /Ernesto Sabato – 10/18 

Jules Renard : Journal 1887-1910

Price: 32,00 €

36 used & new available from 12,00 €

L'Air du pays

Price: 16,90 €

16 used & new available from 9,00 €

   

Paris fût: Ecrits sur Paris 1937-1953

Price: 19,95 €

3 used & new available from

  

Conversations à Buenos Aires

Price: 20,00 €

9 used & new available from

   

Frédéric Beigbeder: « Bientôt on ne pourra plus écrire librement »

Bibliothèque de survie est son troisième recueil de critiques littéraires. Cet exercice qui alimente sa réflexion sur l’écriture -la sienne- est aussi l’occasion de partir en guerre contre la distinction entre « le pur et l’impur » et l’hygiénisme physique et mental qu’on nous impose. Beigbeder, un écrivain qui nous veut du bien.


Certains le détestent (qui ne le lisent pas), d’autres l’aiment beaucoup (qui le lisent). Vous conclurez vous-même. Oui, il vaut mieux lire. De toute façon, il vaut toujours mieux lire. Mais c’est ainsi : épidermique, viscéral, parfois bête. Et nous sommes dans le second cas : on n’a rien à reprocher à Frédéric Beigbeder. On le lit toujours avec sourire et amitié. Il est rapide, nerveux, informé. C’est même selon nous l’un des deux meilleurs dans le domaine de la critique littéraire aujourd’hui. Nous lui avons posé quelques questions à propos de sa Bibliothèque de survie. Il y a répondu, avec diligence et gentillesse : « Vous êtes gentille, vous. J’ai rarement rencontré des gens intelligents qui n’étaient pas gentils » – Sartre à Sagan (un des Rosebud de Beigbeder) dans Avec mon meilleur souvenir (un des meilleurs livres de Sagan selon Beigbeder… et votre serviteur). La littérature est un tout petit monde. Entretien, donc.

Causeur. C’est votre troisième « recueil » de critiques : pourquoi celles-là et pourquoi maintenant ? 

Frédéric Beigbeder. Tous les dix ans, j’ai besoin d’effectuer un tri parfaitement subjectif parmi mes émerveillements. C’est comme un bilan d’étape, un panorama de mes goûts qui me permet de mieux définir où j’en suis avec la création littéraire. Je refuse de séparer les morts (Molière, Wilde, Mann, Colette, Roth, Gómez de la Serna) des vivants (Kundera, Liberati, Reza, Mukasonga, Laferrière, Littell). 

Quelle est la part (rôle, importance) de la critique dans votre vie d’écrivain ?

C’est vital pour moi. Lire est aussi important que respirer, manger ou boire. Je ne comprends pas les écrivains qui ne lisent pas leurs contemporains.

Y a-t-il complémentarité des trois activités : la lecture, les romans, les critiques littéraires ?

La réflexion critique est une nourriture permanente pour mon écriture personnelle. Je suis une moule qui s’accroche au rocher des livres des autres. Je suis un parasite qui se greffe sur leur génie. C’est donc alimentaire, dans tous les sens du terme.

Par ailleurs, on ne le dit jamais mais la critique s’apprend lentement. À mon âge, j’ai lu plus de livres. Je commence à avoir une certaine expérience, qui me rend peut-être moins péremptoire et abrupt qu’autrefois.

À lire aussi: Causeur: Qui veut la peau de Pascal Praud?

Vous occupez depuis 2012 la place qu’occupait François Nourissier au Fig’ Mag’ : la postérité capricieuse l’ignore un peu – comme si le pape des lettres avait éclipsé l’écrivain de race. Est-ce que cela vous… perturbe ? A fortiori lorsque l’on sait votre goût pour son œuvre : « Je lui dois tout » (sic). Quel effet cela vous a fait de lui succéder ? 

Ce fut un grand honneur. J’ai peu connu Nourissier, même s’il m’a exprimé son estime à deux reprises dans ses articles, et en me sélectionnant au Goncourt pour 99 francs et Windows on the World. Je continue de penser qu’il est un des maîtres du récit autobiographique français, un digne descendant de Benjamin Constant, avec la même concision cruelle. Certes, il n’a pas la postérité qu’il mérite, mais peu importe. Quand on a écrit un texte aussi impeccable qu’Un petit bourgeois, on n’a aucun souci à se faire.

Vous appréci(i)ez Jean d’Ormesson. Sa présence médiatique a en partie occulté certains de ses très bons livres. Ne croyez-vous pas que seule la génération suivante, qui ne l’a pas connu « médiatique », le découvrira, enfin « vierge » ? Avez-vous parfois l’appréhension du « malentendu » ?

Ha, ha petit filou, je vois où vous voulez en venir… L’image qui efface le travail ! Dans le cas de Jean d’O, il faut distinguer les périodes. Ses meilleurs livres sont les plus intimes, où il écrit comme à l’oral : Le vagabond qui passe sous une ombrelle trouée, Au revoir et merci, mais aussi Au plaisir de Dieu sur son histoire familiale. Sans son image audiovisuelle, aurait-il été meilleur ? Nous ne le saurons jamais. Je suis comme lui, incapable de me cacher, je sais que c’est du temps perdu pour l’écriture. J’ai mieux connu d’Ormesson que Nourissier, deux grands angoissés mélancoliques (qui étaient très amis) mais quand j’écris, je me sens plus proche du laconisme du second.

Combien de livres faut-il ouvrir pour en trouver un qui, soudain, (vous) fait signe ?

On a tous une méthode différente. Je fais trois piles : les oui, les non, les peut-être. Je n’ai pas de place pour les « peut-être ». Je préfère aimer ou détester. Par manque d’espace, je pense que le critique doit alterner entre le dithyrambe et l’éreintement. Le but ultime est tout de même de donner envie de lire. Même les articles négatifs donnent parfois la curiosité d’aller vérifier…

Il y a toujours chez vous le sourire, la formule qui résume et fait sens, et l’érudition, légère et précise à la fois. Pensez-vous que les lecteurs de vos essais [Bibliothèque de survie (2021), Premier bilan après l’apocalypse (2011), Dernier inventaire avant liquidation (2001)] mesurent le sérieux qu’ils dissimulent (mal) ?

Je suis un cuistre qui se soigne. Pas trop de citations, pour dédramatiser et simplifier l’accès à la littérature. Le plus crucial dans un papier est l’enthousiasme. Il faut de l’énergie pour inciter à la lecture dans une époque amnésique et bête.

À lire aussi: Gide l’oublié

N’avez-vous jamais eu la tentation du Grand Meaulnes, du Diable au corps, de L’Attrape-cœurs ? Écrire LE livre que vous devez écrire ? Celui qui persiste dans une bibliothèque (la vôtre, la mienne) où l’on ne cesse de faire de la place – donc, souvent, d’« éliminer » des livres. Ou avez-vous l’impression que c’est déjà fait ?

Les chefs-d’œuvre que vous citez ont été rédigés par des auteurs qui sont morts très jeunes. Sauf Salinger, mais son cas est particulier : il a cessé de publier à 46 ans. Je crois qu’ils n’ont rien calculé. On ne choisit pas quels romans resteront. Comme dit Proust, c’est comme si vous demandiez à une oie de parler de son foie gras. Je ponds des histoires, certaines sont encore lues des années après, d’autres non. Et je ne saurai jamais pourquoi.

Pour Bibliothèque de survie, vous avez écrit une préface « de combat » : le monde devient fou (la cancel culture, le délire de censure du wokisme, la plainte, la victimisation, l’offense comme seules « armes » intellectuelles, le littéralisme et l’absence d’humour érigés en vertus éminentes). Y a-t-il une issue ? Je pose cette question a fortiori à vous qui datiez l’irruption du second degré dans la littérature de la parution de… Paludes (1) ? Naissance et mort du second degré (aujourd’hui), donc ?

Bien malgré moi, je me trouve embarqué dans une guerre entre le pur et l’impur. J’aimerais consacrer tout mon temps à écrire librement, mais cela ne sera bientôt plus possible. Donc je dois lutter lourdement pour ma légèreté. C’est bien dommage mais c’est comme ça. Nous vivons actuellement un moment historique. Ou bien les Français disent merde à la censure américaine, ou bien ce sera la deuxième mort de Charles Baudelaire.

En 2011, dans Premier bilan après l’apocalypse et à propos de Gérard Lauzier, vous écriviez ceci : « La société a régressé depuis, tant sur le plan des libertés que sur celui du droit à l’irrespect. » Dix ans après : cela vous désespère de faire le même constat – en pire ? 

Je décris dans ma préface un basculement encore plus grave : l’hygiénisme physique (la suppression de toutes nos libertés pour nous protéger contre un coronavirus) se double d’un hygiénisme mental (le politiquement correct devenu intolérance de masse). C’est la même démarche totalitaire : la bienveillance, l’altruisme sont de nouveau autoritaires et liberticides, comme en URSS. C’est complètement fou. À force de vouloir le bien des citoyens, on les surveille, les corrige, les dénonce. Ma maison a été taguée par des fanatiques. Mon nom figure sur des listes de salopards. Tout ça parce que je défends les films de Polanski ! Je ne pensais pas vivre tout cela un jour.

Colette est au premier rang des « 50 », avec Le Pur et l’Impur – un titre qui vaut programme. BHL avait écrit, pour tout autre chose (quoique), un livre intitulé La Pureté dangereuse. C’est votre diagnostic ?

La Pureté dangereuse est le meilleur essai de Lévy. Il avait tout senti il y a vingt ans. Il parlait de la menace islamo-fasciste, non de la cancel culture, mais ce sont deux formes de puritanisme antidémocratiques. Nous en avons parlé récemment avec Michel Houellebecq. Malgré son lyrisme échevelé, Lévy a souvent raison.

À lire aussi: Un père de l’Église nommé Basile

« J’attache une importance morale et littéraire à l’humour » (Jules Renard) : est-ce que cette remarque est inaudible aujourd’hui ? 

L’humour intelligent de Renard me plaît davantage que le ricanement formaté actuellement omniprésent. Je défends les caricatures de Charlie Hebdo mais je m’ennuie souvent en entendant certains fonctionnaires du rire.

Dans votre Bibliothèque de survie, la diversité des choix réjouit : I. B. Singer, Ann Scott, Chardonne, Liberati, etc. Vous vous y efforcez ?

C’est un florilège. Je veux montrer un éclectisme snob, une curiosité insatiable. Lire, c’est s’ouvrir à la voix d’un autre. Il faut se laisser surprendre. Chaque fois que j’ouvre un livre, j’entre dans un monde différent.

À rebours de beaucoup de critiques, vous évoquez systématiquement le style. C’était jadis ce qui discriminait un écrivain. Et aujourd’hui ?

On traverse une dictature du sujet. Les œuvres sont jugées pour leur utilité, leur résilience (quel mot haïssable !) et sur des critères affreusement moraux. L’auteur doit se victimiser, souffrir ostensiblement, et « témoigner ». Ce déballage m’ennuie. Je recherche toujours la forme autant que le fond. Si l’auteur transmute sa douleur en beauté, comme Lançon dans Le Lambeau, alors va pour le témoignage. Sinon, cela ne vaut rien.

Dans Premier bilan après l’apocalypse (votre palmarès des 100 livres du xxe siècle), vous consacrez un texte à Ivre du vin perdu, de Matzneff : que fait la police ?

Je ne renie pas ce que j’ai écrit sur Matzneff. Je suis contre la censure, parce qu’on ne sait pas où ça s’arrête. On commence par interdire Matzneff… Et ensuite, s’il faut retirer tous les romans pédophiles, que fait-on de Gide, Montherlant, Tournier et Robbe-Grillet ?


(1). Paludes est une satire sur le milieu littéraire publiée en 1895 par Gide.


Frédéric Beigbeder, Bibliothèque de survie, L’Observatoire, 2021.

Bibliothèque de survie

Price: 18,00 €

30 used & new available from 2,46 €

La haine anti-Blancs: la filiation ignoble

1

Les Blancs n’auront-ils bientôt le choix qu’entre se soumettre à la volonté des « racisés » ou se faire massacrer ?


C’est en tout cas ce qu’annonce de plus en plus ouvertement l’« antiracisme progressiste décolonial », autrement dit « woke », qui en réalité n’a rien d’antiraciste, puisqu’il hait indifféremment tous les Blancs en raison de leur seule appartenance ethnique, rien de progressiste, puisqu’il n’est qu’un tribalisme primitif mâtiné de suprémacisme racial, et rien de décolonial, puisqu’il veut la colonisation et l’exploitation de l’Occident par les « racisés ».

À lire aussi, Mathieu Bock-Côté : La France contre les dingos

Qu’on en juge. Il y a peu, un compte Twitter se présentant comme partisan de l’intersectionnalité et de la convergence des luttes, sans oublier le « féminisme queer », diffusait un questionnaire visant à évaluer votre participation (consciente ou non) à la « suprématie blanche ». Les résultats sont éclairants.

Au mieux : « Vous êtes sur la bonne voie pour devenir un.e allié.e des personnes racisé.e.s, mais il reste tant de travail à accomplir pour leur rendre justice. » Suit une publicité pour « approfondir » avec, comme par hasard, l’association Lallab bien connue pour sa grande complaisance envers l’islamisme.

Et au pire : « Vs êtes dans le confort de l’ignorance d’être blanc.he. Il va falloir vous rééduquer de A à Z. Vous finirez par comprendre que la vie des Noir.e.s compte, car ns vs l’affirmerons haut et fort jusqu’à ce que vs changiez ou disparaissiez. »

Car selon cette mouvance, bien sûr, vous ne pouvez pas ne rien avoir à vous reprocher. Au mieux, vous n’en faites pas assez mais êtes seulement « sur la bonne voie ». Au pire, vous n’avez même pas conscience d’être Blanc, et dans ce cas il est inenvisageable que vous considériez que « la vie des Noir.e.s compte » (car, sans doute, considérer que la vie d’une personne humaine compte quelle que soit sa couleur de peau ne… compte pas si vous n’exaltez pas les vies Noires au-dessus de toutes les autres), et vous devez « vous rééduquer de A à Z » ou disparaître (sic).

À lire aussi, Aurélien Marq : Formons-nous encore un seul peuple?

D’aucuns ont affirmé que ce compte était parodique. Certes, il est parfois caricatural dans sa diffusion de la propagande « antiraciste » et son utilisation de ses codes, y compris l’écriture « inclusive » et la minuscule à « blanc » contrastant avec la majuscule à « Noir ». Mais rien de ce qu’il écrit ou relaye ne sort de ce que la doxa qu’il prétend soutenir affirme au premier degré.

Ainsi, le « test » délirant évoqué plus haut est-il l’œuvre très sérieuse de Reshmi Dutt-Ballerstadt, qui ne dédaigne pas l’humour mais ne fait pas mystère de son positionnement idéologique. Ainsi, aussi, de cette « éducatrice » américaine qui affirme sans rire que l’endoctrinement « antiraciste » permanent est « le seul moyen pour que les enfants Blancs restent suffisamment humains ». La remise en cause de l’humanité d’enfants en raison de leur « race » vous rappelle quelque chose ? De même avec ces Blancs qui s’agenouillent devant les Noirs pour Black Lives Matter : une « race » inférieure sommée de s’autoflageller pour un prétendu crime collectif inexpiable et de s’agenouiller devant une « race » supérieure vous évoque des souvenirs ?

La même « éducatrice », à la question : « Les Européens ont-ils un jour fait quelque chose de bien ? » répond « Pour l’essentiel, non. Et les enfants doivent assumer la responsabilité des actions de leurs ancêtres. » Il faut croire qu’à ses yeux l’abolition de l’esclavage n’est pas quelque chose de bien, non plus que la découverte de l’emploi de l’électricité ou la vaccination. On pourrait multiplier les exemples du même acabit, y compris en France avec la mémorable sortie de Maboula Soumahoro affirmant que « un homme Blanc ne peut pas avoir raison contre une femme Noire », ce dont il faut conclure qu’elle croit la Terre plate puisqu’à une époque bon nombre de femmes Noires le croyaient, alors qu’Ératosthène était Blanc.

Notons au passage que cette référence aux « ancêtres » prouve bien l’hypocrisie de ceux qui, ici, se défendent des accusations de racisme en disant que les « Blancs » sur lesquels ils vomissent à longueur de temps ne sont pas vraiment les « Blancs », puisqu’il s’agirait de « race sociale » et non de « race biologique ». Le fait même d’avoir choisi une terminologie raciale et raciste pour décrire cette soi-disant réalité sociale montre bien l’authentique racisme sous-jacent, mais il n’est jamais inutile de le confirmer.

À lire aussi, Alexis Brunet : Si elle n’est plus contente en France, Maboula Soumahoro est la bienvenue au Vénézuela

À ce titre, l’une des illustrations du « test » de Reshmi Dutt-Ballerstadt est particulièrement intéressante : « Le privilège blanc, c’est quand votre histoire fait partie du cursus principal alors que la mienne n’est enseignée qu’en option ». Comme il ne s’agit évidemment pas de l’histoire d’une « race sociale », ni d’un pays puisque les étudiants d’une même université se trouvent par définition dans le même pays, alors il ne peut s’agir que de l’histoire d’une lignée : on en revient à la définition raciste de l’identité par le « sang » plutôt que par la culture ou par la citoyenneté.

Nous, Européens, sommes les héritiers d’Isocrate, d’Alexandre, des Césars et de la Chrétienté, et nous ne regardons pas à la couleur de peau mais acceptons comme faisant partie des nôtres quiconque fait sienne notre histoire et adopte notre art de vivre. Les « wokes » sont libres de refuser ce pacte civilisationnel, mais alors leur place n’est pas avec nous, ni sur notre continent : qu’ils partent vivre là où le tribalisme est la norme – et si l’Amérique bien-pensante continue à valider leur approche, mâtinée de puritanisme et de culte de l’argent, son effondrement ne sera pas une grande perte pour le reste du monde.

Le tweet de « Caitlyn Pernelle » est-il représentatif de tout le mouvement « antiraciste » ou seulement de la partie la plus « avancée » de ses militants ? Qu’importe, il doit nous alerter. Car malgré ses outrances évidentes, malgré ses délires manifestement pathologiques, il relève d’une rhétorique parfaitement identique à celles d’autres idéologies, tout aussi outranciaires et tout aussi délirantes, mais qui ont connu des succès sanglants.

Helen Pluckrose et James Lindsay l’ont démontré par une expérience simple : recopiant des passages entiers de Mein Kampf en changeant simplement le mot « Juifs » par « Blancs », ils ont écrit des textes évidemment immondes, mais qui ont été très bien accueillis dans la communauté « woke ».

À lire aussi, Erwan Seznec : Enquête: Facs, le grand déraillement

Et la similitude, à mon sens, est encore plus frappante avec la haine communiste des « bourgeois » et tout particulièrement la rhétorique d’un Georg Lukács dont on connaît, et ce n’est pas un hasard, la complaisance envers les crimes de masse du communisme. Remplacez « bourgeois » par « Blancs » et « prolétaires » par « racisés » dans les écrits de Lukács, et vous obtiendrez du « wokisme » chimiquement pur.

Nous savons ce que l’idéologie de Mein Kampf a fait aux Juifs. Nous savons ce que le communisme a fait à ceux qu’il appelait « bourgeois ». Ne prétendons pas ignorer ce que le soi-disant « antiracisme progressiste décolonial » a l’intention de faire aux Blancs. Et n’attendons pas qu’il soit trop tard pour combattre cette idéologie partout où elle se présente.

Marco Berger: « Taekwondo » ou le beau au bois dormant

Quand l’Argentin Marco Berger réinvente le cinéma gay, ça donne Taekwondo, un chef-d’œuvre et un parfait conte d’été. Loin, bien loin des clichés LGBT.


German, nouvel ami d’entraînement de Fernando, est invité par celui-ci pour des vacances entre garçons dans une grande maison de famille avec piscine et tennis en banlieue de Buenos Aires. Pièce rapportée, il découvre les amis d’enfance de son hôte, groupe soudé mais soumis à la compétition de jeunes hommes hétérosexuels. Or, German, surnommé Ger, homosexuel sous couverture, est attiré par Fer. Que va donner cette semaine de proximité en terrain hostile ?

Un Rohmer homosexuel ?

Nec plus ultra en matière de cinéma gay, l’argentin Marco Berger développe depuis une dizaine d’années une œuvre délicate et précieuse parvenue à maturation dans trois films en huis-clos dont le plus beau, Taekwondo, n’a curieusement jamais été distribué en France. C’est un conte rohmérien, à la fois moral et des quatre saisons, qui accorderait plus d’importance aux corps qu’au langage. Les jeunes hommes n’y sont que lentement différenciés, ils forment d’abord une masse presque indistincte qui semble pourvue d’un seul regard (cf. la scène du sauna).

À lire aussi, du même auteur : “À l’abordage” de Guillaume Brac: l’été en pente molle

À de petites touches, on comprend que l’intrus – Ger – n’est pas de la même classe sociale et qu’il tire vraisemblablement le diable par la queue…. Avant même d’être rohmérien, le conte est conte, comme on le voit à plusieurs motifs : un amoureux est réveillé d’un baiser par sa belle, les amis sont sept comme les nains, et le motif du lit occupé par un étranger endormi revient avec insistance. Le sommeil dans Taekwondo est égalisateur : tous y sont sujets, et il permet le rapprochement comme le rêve. 

Une sérénade centrale donne lieu à un enchaînement de plans où se tisse un lien presque gémellaire entre Ger et Fer. La nature de ce qui se donne à l’écran – promenade, acrobatie, jacuzzi – interroge : fantasme ou réalité ?

Taekwondo est un grand film qui prend le spectateur dans le filet du point de vue. Il faut le voir deux fois pour comprendre qu’on s’est laissé abuser par le regard de Ger qu’épouse principalement Berger. La clef du film est peut-être ce plan du jeune maître de maison, Fer, rêvant dans la cuisine après la sérénade ; sa respiration profonde vient du ventre : se souvient-il, rêve-t-il ?

Mystérieux et précis

Taekwondo a l’extrême bon goût d’éviter les pièges du cinéma LGBT : pas d’homophobie criarde en parangon du mal, ni de chantage à l’identité et de militance rampante. Cette absence de revendication tient à la condition particulière de l’homosexualité en Argentine. La discrétion protège et donne ce cachet particulier aux films de Marco Berger, ils sont à la fois mystérieux et précis. Leur exaltation morcelée du corps masculin rappellerait presque les blasons érotisés qu’en a donnés le photographe brésilien Alair Gomes. 

À lire aussi, du même auteur : Garçon chiffon: Ouin-ouin flonflon

Taekwondo est un film remarquablement argentin, à l’image du repas où les participants s’inventent des nationalités européennes. La fiction s’y double d’un contenu documentaire. Celui-ci, amassé par le co-réalisateur Martin Farina dans Les Garçons du stade, film étrange et cruel sur une équipe de football professionnelle, est littéralement décanté dans Taekwondo qui en reprend plusieurs plans (par exemple une femme de ménage faisant gonfler un drap avant de le border). Les amateurs d’Adolfo Bioy Casarès pourront aussi y voir un décalque de son indépassable Invention de Morel, où un homme réunit tous ses amis pour vivre avec eux une semaine éternelle de distractions et de romance. Et comme chez Bioy, le ver est dans le fruit.

Ode à la patience

Berger enregistre la ruine qui menace, sans qu’on s’en aperçoive jusqu’à bien avant dans le film. La villa mitoyenne abandonnée où les hôtes déambulent à des moments de latence apparaît pour ce qu’elle est, dévastée comme par un cyclone. Et le spectateur ne réalisera qu’à la dernière scène l’état déplorable des installations sportives dans la propriété : le panier de basket réduit à un cercle, le filet détendu. Le terrain de tennis et son éclairage nocturne sont d’ailleurs filmés comme deux hauts lieux de conclusion antonionienne (Blow-up, L’Éclipse). La fin secrète et ambiguë confirme la morale du regard de Marco Berger : faire semblant de montrer beaucoup pour cacher le primordial, l’infime et souterrain mouvement des cœurs.

Taekwondo est une ode à la patience et à la constance plus que jamais nécessaire en temps de désastres annoncés.

Taekwondo de Marco Berger et Martin Farina (2016) : disponible en DVD/BR


Taekwondo

Price: 21,31 €

10 used & new available from 21,31 €

Blow Up [Import anglais]

Price: 10,76 €

16 used & new available from 6,00 €

L'Invention de Morel

Price: 49,42 €

12 used & new available from 17,10 €

Comment le Covid a changé leur vie… sexuelle

Rester des mois enfermés à deux dans un appartement n’aura pas été de tout repos pour les couples ! Plusieurs études montrent les effets néfastes qu’a eu le Covid sur la vie intime des couples.


Contrairement aux pronostics, les confinements n’ont pas été si profitables aux couples. C’est ce que montrent les observations de nombreux thérapeutes ainsi que des études internationales. Après une période de « lune de miel » où les amants ont pu se retrouver et passer du temps ensemble, la routine et les désagréments de l’enfermement ont fait des ravages.

À lire aussi, Erwan Seznec : Le confinement n’a pas fait exploser les violences conjugales

Selon Justin Lehmiller, chercheur au célèbre institut américain Kinsey, c’est grâce à la distance et au mystère que la flamme peut durer dans un couple. Avec le confinement, finis la distance et le mystère : les défauts de son partenaire sautent aux yeux ! Les femmes, qui se plaignaient déjà d’avoir des journées doubles sur fond de charge mentale, ont dû vivre leurs deux vies au même endroit. Avec une maison en bazar et des marmots dans les pattes, elles n’ont pas eu tant que cela envie de batifoler.

À lire aussi, Pierre Vermeren : Comment la France encovidée a succombé à la pulsion de mort?

De plus, la peur du virus a tué dans l’œuf toute libido. « Deux zèbres ne vont pas s’accoupler devant un lion », selon la sexologue Emily Jamea. Cela explique la baisse des naissances, en France notamment où seulement 740 000 bébés sont nés en 2020 (–1,8 % en un an), chiffre le plus bas depuis 1945. Dans l’étude de la psychologue Rhonda Balzarini, les participants de 57 pays ont affirmé que plus les facteurs de stress liés à la pandémie augmentaient, plus le désir sexuel diminuait. L’arrivée des vaccins devrait annoncer le retour à une vie normale. Sauf que certaines personnes en avaient tellement assez de leur moitié qu’elles n’ont pas hésité à la tromper pendant le confinement. Dur de recoller les morceaux après ça…

La Fabrique du crétin. 2e livraison

Chers lecteurs, je profite de ces vacances pour écrire mon dernier livre sur l’état de l’Ecole, à paraître en janvier prochain. L’idée m’est venue de vous en soumettre les chapitres essentiels, afin de tenir compte de vos réactions. Aujourd’hui, La question de la langue, 1ère partie. Bonne lecture et n’hésitez pas à commenter, même avec férocité, cette analyse dernière, après 45 années passées dans un système éducatif désormais exsangue.


Quand on entre dans le corps principal de bâtiment rue de Grenelle, un escalier s’offre à vous, sur votre gauche. Montez quelques marches, et sur le mur sont accrochés les portraits de tous les ministres de l’Education depuis les débuts de la IIIème République. On y conserva longtemps le portrait de l’infâme Abel Bonnard, avant que François Bayrou ne le fasse décrocher et renvoyer aux poubelles de l’Histoire.

Le bras armé du ministère

De tous ces visages qui vous regardent monter, il est bien difficile d’en identifier plus d’une quinzaine — même pour un spécialiste de l’Education. C’est un ministère où l’on est rarement nommé pour ses compétences spécifiques. Qui se souvient par exemple de Lucien Paye (1961-1962), de Pierre Sudreau (d’avril à octobre 1962), ou même de Christian Fouchet (1962-1967) ? Qui se rappelle qu’Alain Peyrefitte, passé de l’Information à l’Education, était rue de Grenelle en 1968 — et que François-Xavier Ortoli lui succéda durant deux mois, le temps d’expédier les affaires courantes avant l’arrivée d’Edgar Faure, qui ne resta qu’un an mais marqua réellement de son empreinte la vie éducative ?

À lire aussi, du même auteur : La Fabrique du crétin, clap de fin

Et d’ailleurs, quelle importance ? Le bras armé du ministère, là où se fait vraiment le travail, c’est la DGESCO — Direction Générale de l’Enseignement Scolaire. Une Direction que l’on ne connaît guère, mais qui assure l’essentiel du travail, quand le ministre — et cela est souvent arrivé — se cantonne dans des activités de représentation. Par exemple sous le règne de Najat Vallaud-Belkacem, c’est Florence Robine, ex-professeur de Physique, qui fut le bras armé du ministère. ON la récompensa en la nommant rectrice de l’Académie de Nancy-Metz, puis ambassadeur de France en Bulgarie — elle avait enfin atteint son niveau d’incompétence, comme dit Peter Lawrence…

Quelle langue française ?

De 1962 à 1965, c’est un certain René Haby, ex-instituteur et agrégé d’Histoire, qui la dirigeait, et qui assura la continuité des services sous trois ministres aussi peu compétents les uns que les autres. Le même qui sera Ministre de l’Education sous Giscard, de 1974 à 1978. Le collège unique, la promesse de la « réussite pour tous », c’est lui. Mais pas seulement.

Pendant que De Gaulle défendait le France et le franc, soutenait le Concorde et faisait des misères au grand frère américain, René Haby lança deux commissions qui visaient l’une et l’autre à étudier une importante question : quelle langue française voulait-on transmettre aux enfants dans les écoles de la République ?

Comment, me direz-vous ? Il n’y en a pas qu’une ?

Tout dépend du point de vue. On avait gardé longtemps les mêmes programmes de Français — en 1945 on reprit les programmes de 1923, très normatifs, qui consacraient à l’apprentissage de la grammaire, étudiée en soi, de larges créneaux horaires. Vers la fin des années 1950, l’arrivée en Primaire de la première fournée du baby-boom et la prolongation de la scolarité obligatoire, décrétée par le ministre Berthoin (qui ça ?) en 1959, amenèrent le ministère à reconsidérer (prudemment) la question. On chargea donc un Inspecteur général, Marcel Rouchette, de diriger une Commission pour réfléchir à la question : quelle langue voulait-on / devait-on enseigner aux élèves ? On a appelé cette période la Rénovation. A posteriori, le mot a quelque chose de profondément ironique. Il s’agissait, pratiquement, d’une subversion de la langue et de son apprentissage.

La commission Rouchette travaille donc la question de 1963 à 1966. Une ère d’expérimentation s’ouvre en 1967 — jusqu’en 1972. Les Instructions officielles sont publiées à la fin de cette dernière année. Pompidou, qui lorsqu’il était Premier ministre avait sérieusement freiné les ambitions réformatrices, n’est déjà plus en état de s’y opposer.

Dès le début, deux conceptions s’affrontent. Pour Michel Lebettre, directeur des enseignements élémentaires et complémentaires, la fonction de l’école primaire est de fournir des bases solides pour la poursuite de la scolarité en renforçant les deux disciplines fondamentales, le français et les mathématiques. L’enseignement de la grammaire est central et presque autonome car il permet d’aborder l’apprentissage du latin qui commence au collège. C’est une approche logique de la langue qui vise l’efficacité et repose sur la mémorisation, prélude à toute activité d’expression orale et écrite. Ainsi, on acquiert les connaissances en français en répétant et en appliquant les règles, comme le rappelle Michel Lebettre dans sa circulaire : « Il est donc recommandé instamment aux maîtres des classes élémentaires de consacrer tous leurs efforts à fixer de manière durable, dans ces diverses matières [les disciplines fondamentales, français et calcul], les connaissances prévues par les programmes. Ils n’y parviendront qu’au prix de répétitions fréquentes et d’exercices nombreux. La réhabilitation du rôle de la mémoire, qu’amorçaient déjà les instructions du 20 septembre 1938, devra donc être reprise car il n’est pas douteux que, pour de jeunes enfants, le « par cœur » ne soit la forme la plus authentique et la plus durable du savoir. »

Traduisons. Rien ne remplacera jamais le « par cœur » ; la grammaire et l’orthographe doivent être étudiées en soi et pour soi — l’apprentissage de la langue est donc normatif ; et la formation reçue en Primaire doit préparer à l’excellence au lycée — rappelons que les sections « classiques », avec latin, sont alors préférées aux sections « modernes ». Lebettre s’inscrit donc dans la lignée exacte des Instructions de 1923 à 1938, les dernières à avoir été visé par Jean Zay, ministre (de gauche) de l’Education depuis juin 1936 — et assassiné en juin 1944 par des miliciens venus le quérir dans sa prison de Riom où l’avait enfermé la justice de Pétain — aménageant une peine initiale de condamnation au bagne, comme Dreyfus.

Je précise cela à l’intention de ceux qui s’imaginent que la Gauche a toujours été du côté des « réformateurs ». Franc-maçon, Jean Zay a fait des études de Droit, il a adhéré jeune aux Jeunesses laïques et républicaines, il est à l’aile gauche du Parti Radical. Il a déjà prolongé l’obligation scolaire de 13 à 14 ans. Et l’une de ses circulaires interdit le port par les élèves de tout signe politique ou religieux. « L’enseignement public, dit-il, est laïque. Aucune forme de prosélytisme ne saurait être admise dans les établissements. » On mesure ce qui s’est perdu, à gauche et plus généralement dans la société française, avec nos débats actuels sur le voile, le burkini et les horaires dissociés pour les femmes musulmanes dans les piscines.

Construire son savoir tout seul

À la conception traditionnelle de Lebettre s’oppose la conception « novatrice » des partisans de la pédagogie Freinet, soutenus au ministère par Roger Gal, chef de la recherche pédagogique à l’Institut Pédagogique National, qui sera toujours le fer de lance des réformistes — ou le ver dans le fruit, comme vous voulez.

L’idée est que grammaire et orthographe sont communs à toutes les disciplines, et n’ont pas à être étudiées en soi. « Refusant la seule mémorisation des règles, la commission réclame un apprentissage reposant sur « l’activité intelligente des élèves », c’est-à-dire proposant des observations des faits de langue », résume très bien Marie-France Bishop dans un article publié dans Le Télémaque en 2008. Ou si l’on préfère, c’est à l’élève de relever les règles et les particularités de la langue, au hasard de ses lectures. De cette opposition naîtra un peu plus tard l’affrontement entre les partisans de la grammaire de phrase, qui s’appuient sur un apprentissage systématique des règles, et ceux de la grammaire de texte, où l’on fait de la grammaire à l’occasion de la lecture, mais jamais en soi. Et où les élèves découvrent par eux-mêmes les règles qui régissent les mots qu’ils lisent. Ils construisent déjà leurs savoirs tout seuls…

À lire aussi, du même auteur : Tous censeurs!

Le rapport remis à René Haby en 1963 concluait pourtant à « consolider l’acquisition des trois connaissances fondamentales : lecture, écriture, calcul. » Mais le directeur des services d’enseignement ne l’entend pas de cette oreille. Il veut réformer « les programmes et les horaires », mais aussi « les méthodes et l’esprit même qui anime cet enseignement. »

Arrêtons-nous un instant sur ce lien entre « horaires » et méthodes ». Rien de gratuit ni de fortuit, jamais, dans les décisions ministérielles. Ce qui se dessine dans les instructions de René Haby, c’est la possibilité, qui sera exploitée à partir des années 1980, de réduire drastiquement des horaires dédiés au français sous prétexte que c’est la langue utilisée en maths ou en Histoire, et que donc on peut considérer que tout ce qui se dit ou s’écrit en français est… du français : de ce qui était l’étude systématique de la langue on fera donc une discipline transversale. On pourra donc, à partir de cette observation fallacieuse, diminuer les horaires consacrés à la discipline, et, partant, les postes d’enseignants. La commission Rouchette transforme l’apprentissage du Français en apprentissages des situations de communication. D’où l’accent mis sur l’oral — c’est pratique, on n’y voit pas les fautes d’orthographe — et spécifiquement la langue orale des élèves. Se faire comprendre (« Moi Tarzan… Toi Jane… ») l’emporte désormais sur la qualité de l’expression.

Le bon usage

On parlait alors de « démocratisation ». Plus tard on utilisera le mot « massification ». Le quantitatif détrône le qualitatif. On ouvre la chasse à l’élitisme, bête noire des pédagogies de masse. Ce n’est pas anecdotique. Notre langue est traversée depuis l’origine par la question du « bon usage » — ce n’est pas par hasard que le dernier des grammairiens normatifs, Maurice Grévisse, intitule ainsi sa Grammaire en 1936 — et régulièrement mise à jour dans les décennies suivantes. L’expression vient de Vaugelas, qui en 1650, dans ses Observations sur la langue française, notait que le bon usage était « la façon de parler de la plus saine partie de la Cour, conformément à la façon d’écrire de la plus saine partie des auteurs du temps. » Il entendait proscrire le « gascon », comme on appelait uniformément tous les patois, et les bizarreries et créations verbales osées par certains littérateurs. En 1650, le « bon français » est parlé par cent mille personnes, tout au plus, sur 12 millions d’habitants. Aujourd’hui, quel serait le pourcentage de gens s’exprimant avec une vraie correction, sur 67 millions de Français ?

Il s’agissait donc de décomplexer les nouveaux arrivants en Sixième, en baissant drastiquement le seuil d’exigences. Un exemple entre mille : le mot « rédaction » disparaît des programmes, replacé par celui d’« expression écrite », qui est tout autre chose. L’oral, en bon français, est encore de l’écrit. Mais l’expression écrite suggère d’inverser les termes, de façon à faire de l’écrit un mime de l’oral le moins maîtrisé. À terme, c’est la prépondérance du « français banlieue » dont nous voyons aujourd’hui la déferlante. La montée en puissance, dans les années 1960, de la linguistique dans les études universitaires explique les choix faits par la commission — et les options ultérieures. La linguistique saussurienne met en avant la communication, considérée comme la principale fonction du langage. Et la linguistique transformationnelle chomskienne, qui déboule à l’orée des années 1970, explique les délires de « génétique de la langue » qui amèneront des maîtres un peu dépassés à imposer aux élèves des « arbres » germinatifs et génératifs censés expliquer le fonctionnement de la phrase.

À lire aussi, Sylvain Quennehen : École: l’habillement généreux d’une démission civilisationnelle

Atout supplémentaire et non négligeable pour les idéologues qui s’imposent alors : les parents, peu au fait du langage et du fonctionnement de ces modèles linguistiques, ne pourront pas aider leurs enfants — ce qui égalise les chances, paraît-il. De même les « maths modernes » sont incompréhensibles pour des « géniteurs d’apprenants » qui avaient appris les maths « à l’ancienne ». Et parmi les méthodes d’apprentissage du Lire / Ecrire, la méthode dite « idéo-visuelle » (improprement appelée « semi-globale », elle consiste à associer une image et un mot) est préférée au B-A-BA qui avait fait ses preuves depuis deux siècles, parce qu’elle permet aux classes défavorisées d’augmenter rapidement leur sac de mots — sac que les privilégiés avaient empli en famille. Le souci permanent, en ces années réformatrices, est l’égalisation des conditions — ce qui ne fera que renforcer leurs différences.

Un plafond de verre… opaque

Parce qu’il faut être clair. En se livrant à cette inversion des valeurs, le ministère choisissait, sous prétexte de « démocratisation », la mise à l’écart des Français appartenant aux couches les plus populaires, et préservait ceux qui étaient issus des classes les plus favorisées. Si l’on cesse d’apprendre le « bon » français à ceux qui n’en savent rien, on les condamne de fait à rester dans leur médiocrité, alors même qu’ils pouvaient s’en extraire. Sous prétexte d’uniformiser, on a réalisé ce qui, chez Bourdieu et Passeron, n’était encore qu’une prédiction : la conservation des « héritiers », leur « reproduction », et à terme la prédominance de la « noblesse d’Etat » telle qu’elle se perpétue à travers les grandes écoles — qui avaient pourtant permis, entre les années 1940 et 1970 au petit Bourdieu, fils de paysans ( et reçu à l’ENS-Ulm en 1951) et au petit Brighelli, de souche tout aussi humble (reçu à l’ENS-Saint-Cloud en 1972) d’aller au plus haut de leurs capacités. Les disciples de Bourdieu et Passeron (les Héritiers remonte à 1964, c’était l’actualité des membres de la commission Rouchette) ont œuvré en toute innocence, je préfère le croire, à contrarier les tendances lourdes dénoncées par les deux sociologues — et ce faisant, ils les ont renforcées. En 1972, la proportion d’élèves des Grandes Ecoles issus des classes défavorisées ne dépassait pas 10%. Elle est aujourd’hui, après tous les programmes de discrimination positive et d’aide aux boursiers, de moins de 2%.

Pourquoi ?

Parce qu’on a cessé de donner aux déshérités les codes du bon langage et de la culture bourgeoise (et si j’en crois Marx, il n’y en a pas d’autre, parce que la culture est celle de la classe au pouvoir : parler de « culture jeune » ou de « culture banlieue est une sordide plaisanterie). Parce que le plafond de verre qui les empêchait souvent d’accéder aux emplis supérieurs s’est opacifié. Et la décision de supprimer l’épreuve de culture générale dans divers concours a renforcé la sélection sociale : il faut être singulièrement ignorant de la langue pour croire qu’on ne repère pas instantanément, à sa façon de parler, un élève qui ne sort pas de la cuisse de Jupiter. La sélection sociale, qui était réelle, s’est renforcée dès lors qu’elle est devenue diffuse, et non sanctionnée par des épreuves spécifiques. On a lentement épuré le système de tous les exercices qui en constituaient l’ossature — ainsi la dissertation française, remplacée en 1998 par le « résumé-discussion », qui impliquait plus de technicité pure et moins de connivence culturelle.

La fabrique du crétin: La mort programmée de l'école

Price: 2,27 €

30 used & new available from

Tableau noir

Price: 12,00 €

32 used & new available from 1,91 €

C'est le français qu'on assassine

Price: 161,37 €

7 used & new available from 64,80 €

Trois électeurs LR en quête d’auteur

Une mère de famille médecin en Vendée, un jeune flic d’origine algérienne en Seine-Saint-Denis, un vieux commerçant dans le Berry… Ils n’ont rien en commun, si ce n’est une certaine idée de la France et, pour la défendre, leur bulletin de vote. Petite sociologie fictive des électeurs républicains.


Marie-Anne L., 58 ans

J’ai toujours aimé la campagne par ici, quand je la sillonne en voiture : on est au milieu de nulle part et pourtant on est en France. Une France oubliée, mais pas oubliée à la manière de la France périphérique, celle des zones pavillonnaires. Non, c’est une France rurale qui a plutôt été oubliée par l’histoire. Je suis médecin généraliste dans les Mauges, qui fut un foyer de la chouannerie. On dit qu’il y aurait eu un chouan dans ma famille. Dans les Mauges, quand on veut aller en ville, on va à Angers, ou à Nantes. D’ailleurs, c’est à Nantes que mes trois enfants font ou ont fait leurs études.

Je soupçonne Aymeric, l’aîné, d’avoir traîné là-bas avec les zadistes. Je crois bien l’avoir entrevu, il y a quelques années, dans un reportage de France 3 Pays de la Loire sur une manif  à Notre-Dame-des-Landes. Je ne lui en ai pas parlé, quand il est revenu le week-end. Je n’en ai pas parlé non plus à mon mari, ça aurait gâché le repas du dimanche. Mon mari est un responsable des Maisons familiales rurales du Maine-et-Loire, une association d’établissements scolaires pour les élèves du secondaire qui vivent en internat et, en plus de leurs études, apprennent à être autonomes dans la vie quotidienne.

À lire aussi, Erwan Seznec : Et si c’était lui ?

Il faut dire qu’on est plutôt une famille de droite, c’est-à-dire que nous avons voté Giscard en 1981, deux fois Chirac en 1988 et 2002, et deux fois Sarkozy en 2007 et 2012. Nous sommes catholiques, nous pratiquons dans la mesure du possible. Je ne suis pas forcément à l’aise depuis quelques années dans l’Église. J’aime bien le pape François, mais je le trouve parfois naïf quand il prône l’accueil inconditionnel des migrants.

Comme médecin, je comprends ce qui pousse des femmes au drame de l’avortement, j’essaie de les accompagner du mieux possible. Mais comme croyante, je m’en veux. Ça a été la même chose au moment de la Manif pour tous. J’ai défilé à Paris, la première manif de ma vie. On l’a faite en famille, à Paris. Sauf, comme par hasard, mon aîné, qui avait soi-disant un devoir de maths à préparer.

En 2017, j’ai voté Fillon au premier tour. Mon mari aussi. Au second, j’ai fait confiance à Macron. Mon mari, lui, s’est abstenu parce qu’il n’aimait pas la manière dont Fillon avait été descendu en plein vol.

À lire aussi, Roland Hureaux : Régionales: se méfier de l’électeur qui dort

Aujourd’hui, je ne sais plus trop qui représente nos idées. Macron m’a déçue et pas seulement parce que je me suis retrouvée dans mon cabinet sans masques ou presque au début de l’épidémie. J’aime bien Bruno Retailleau, il est du coin d’ailleurs, mais il ne semble pas avoir le vent en poupe. Mon mari parle de voter Le Pen, je lui dis qu’à mon avis ce n’est pas très catho, de voter Le Pen. Et puis est-ce qu’il a regardé son programme économique ? Pourquoi pas Mélenchon, pendant qu’il y est.

Non, ce qu’il nous manque, c’est un parti de droite, comme avant. Les Républicains, ils sont encore plus perdus qu’un randonneur dans les Mauges sans carte d’état-major. Bertrand ou Pécresse, oui, pourquoi pas ? Mais si au second tour, c’est Le Pen contre Macron, je voterai blanc, comme mon mari la dernière fois. Je l’entends déjà me dire : « Tu vois bien, Marie-Anne, que j’avais raison… »

Malik B., 36 ans

C’est pas compliqué : la droite, je lui dois tout.

C’est pour ça que la voir dans cet état-là, franchement, ça fait de la peine. Moi, je suis arrivé en France à 9 ans. Mes parents avaient fui l’Algérie : les barbus massacraient tout le monde et l’armée massacrait les Barbus après les avoir laissés massacrer ceux qui n’étaient pas barbus. Vous me suivez ?

On s’est installés à Roubaix, où on avait déjà de la famille. Mon père a bossé dans un garage et ma mère a fait femme de ménage. On était huit à la maison. Roubaix, par moments, on aurait pu se croire au bled. Je suis allé à l’école publique, puis au collège. Les profs, ils faisaient ce qu’ils pouvaient mais parfois, c’était n’importe quoi. Il y avait des élèves, ils me faisaient honte. Toujours à foutre le bordel dans la classe et à emmerder les filles qui s’habillaient trop sexy. En plus, je n’ai pas trop aimé la prof de français en 6e qui nous parlait toujours de « notre culture » et qui nous faisait lire des contes et légendes d’Afrique, des choses comme ça. Moi, j’aurais voulu qu’on me parle de Molière et de Prévert.

Sinon, il y avait les conseillers d’orientation. Je m’en souviendrai, de ceux-là. Ils voulaient toujours m’envoyer dans des filières courtes malgré mon 14 de moyenne générale. Ils se disaient de gauche, pourtant, tolérants et tout. Mais un Arabe de Roubaix, ça ne pouvait faire qu’un bac pro, un BTS avec de la chance. Et c’était les mêmes qui dénoncent aujourd’hui le « racisme systémique », comme ils disent.

À lire aussi, Jeremy Stubbs : Le modèle BoJo: une solution pour la France?

Moi, j’avais envie d’être flic. Histoire de montrer qu’on n’était pas forcément d’accord avec tous ceux qui commençaient à se laisser pousser la barbe et à voiler les sœurs. Alors je me suis défoncé pour les études. J’ai eu mon bac, j’ai passé le concours de gardien de la paix. Là, j’ai rencontré un formateur, un lieutenant de police, qui m’a eu à la bonne. J’avais bon esprit, qu’il disait. Il m’a invité à des réunions de l’UMP. J’étais un peu nerveux. On m’avait dit que la droite, elle nous aimait pas : « Tu vas être l’Arabe de service, Malik ! » J’ai surtout rencontré des militants, à l’UMP, qui voyaient plutôt le futur flic que l’Arabe. Ça m’a fait du bien.

J’ai fait mes premières années de gardien de la paix, comme tous les jeunes sortis de l’école, en Seine-Saint-Denis, dans un commissariat de quartier. J’ai compris que ça allait mal, encore plus qu’à Roubaix. J’ai continué à militer à l’UMP, j’ai passé des concours internes. Un prof de droit que j’avais rencontré lors d’une réunion du parti m’a bien aidé. J’ai été nommé aux stups, à Lille. J’ai fait la campagne de Sarkozy. En voilà un qui avait tout compris sur l’insécurité, le mérite, le travail. C’est pendant sa campagne que j’ai rencontré ma femme, une militante aussi.

Les années ont passé, on ne peut pas dire que ça s’est amélioré. Les attentats, les mosquées salafs et les jeunes de plus en plus violents. Macron, il a fallu que je me force pour voter pour lui. J’allais pas voter Marine, quand même. Mais Macron, on voit bien que les gens, les vraies gens, il ne les connaît pas. Il les méprise même un peu. Et puis les gesticulations sur l’islamo-gauchisme, c’est de la poudre aux yeux. Rien n’est fait pour rétablir l’ordre dans la rue. C’est là que ça commence, l’ordre. Dans la rue, où on ne respecte plus la police et où on tue les collègues, pas dans les facs où ils discutent du sexe des anges.

À lire aussi, Jean-Paul Brighelli : Pécresse contre les Khmers

Depuis que Sarko est dans les choux, je vois bien que LR, ils ne savent plus où ils habitent. Il y a ceux qui parlent bien, comme Ciotti ou Wauquiez, et ceux qui parlent déjà comme Macron, les Estrosi et compagnie. Et puis Le Pen, elle ne nous déteste pas tant que ça, en fait. Je m’en suis rendu compte, par contraste, avec Zemmour. Lui, il est du genre à trouver que je ne suis pas un bon Français parce que j’ai appelé ma fille Fadila. Je ne vais sûrement pas m’en vanter, mais c’est décidé : pour moi, ça va être Marine aux deux tours.

Elle me rappelle Sarko, en fait.

Laurent Wauquiez, président LR sortant d’Auvergne-Rhône-Alpes, après sa victoire aux élections régionales, Lyon, 27 juin 2021 © KONRAD K./SIPA

Marcel N., 75 ans

S’il n’en reste qu’un, je serai le dernier. Le dernier gaulliste. Et bientôt le dernier commerçant de cette sous-préfecture du Berry qui ressemble à une ville morte parce que la commune a été vampirisée par les centres commerciaux sur la route de Châteauroux. Je suis fleuriste et si je bosse encore à mon âge, c’est que personne ne veut reprendre le magasin.

Tout le monde a beau se dire gaulliste, aujourd’hui, ça me fait bien rigoler. La droite, en France, c’était le gaullisme, et rien d’autre. Les autres, les centristes, depuis Lecanuet, ça ne jure que par l’Europe, quand ce n’est pas les États-Unis. « O.K. boomer », me dit ma petite-fille qui est conseillère municipale écolo. Je l’adore, mais qu’est-ce qu’on s’engueule ! Ça ne m’empêche pas de lui donner à chaque fois un bouquet de pivoines, sa fleur préférée, quand c’est la saison.

Je suis encarté à droite depuis toujours, ou presque. Et à jour de mes cotisations. À 21 ans, en 1965, quand j’ai voté de Gaulle, j’étais à l’UNR. En 1968, quand j’ai pris le train à Vierzon pour la manif du 30 mai, à Paris, j’avais une carte de l’UD-Ve. J’étais responsable local à l’époque de l’UDR quand j’ai fait la campagne pour Pompidou et c’est sous l’étiquette RPR que je me suis présenté, sans succès, aux municipales de 1977.

À lire aussi, Philippe Bilger : Primaire, Guillaume Peltier: ça secoue chez les LR!

Mais là, le cauchemar avait déjà commencé. L’élection de Giscard. La fin du gaullisme. En 1974, j’avais préféré Chaban et j’avais du mal à pardonner à Chirac son ralliement. Il s’est repris un peu le Grand, quand il a parlé du « parti de l’étranger » après avoir claqué la porte de Matignon. Mais c’était trop tard.

Quand on est fleuriste, on voit les fleurs arriver à chaque saison, le mimosa en février, les chrysanthèmes pour la Toussaint, les dahlias en septembre, mais à chaque saison, pour le gaullisme, c’était pire. Il ne fleurissait plus. J’ai applaudi le baroud d’honneur de Séguin à Maastricht, la manière dont le Grand a bouffé Balladur et ce traître de Pasqua mais Chirac, il a quand même voté oui aux traités européens, et ça, ce n’est pas pardonnable. La cerise sur le gâteau, c’est quand Juppé a créé un parti unique de la droite. L’UMP, puis LR. Là, c’était fini. Dupont-Aignan, j’y ai pensé mais j’ai toujours été loyal au chef. Bête et discipliné. Et j’ai bien fait : Dupont-Aignan, il a quand même rallié Le Pen en 2017 et j’ai eu honte. Je vis peut-être sur des schémas du passé mais bon, le FN, ça s’est quand même construit sur la haine du général autant que du communisme.

Alors maintenant ?

J’irai voter Bertrand, sans illusion. Lui, il dit encore parfois qu’il est gaulliste social. Allez savoir : si la graine est encore là, le regain est toujours possible…

Parole de fleuriste.


Vivonne

Price: 22,00 €

33 used & new available from 3,76 €

Le Bloc

Price: 9,00 €

28 used & new available from 2,29 €

Lou, après tout : Le Grand Effondrement

Price: 16,95 €

37 used & new available from 2,47 €

Lou, après tout, tome 2 : La Communauté

Price: 17,95 €

24 used & new available from 3,99 €

Norlande

Price: 6,95 €

19 used & new available from 2,69 €

Subtilités japonaises

0

Le billet du vaurien


Il faut avoir vécu au Japon pour saisir que la langue japonaise, à l’opposé de toutes les autres, est faite pour couper court à la communication verbale. Il importe de laisser parler le néant et, surtout, de parvenir à transmettre ses pensées sans les dire. Comme dans les haïkus. Plus c’est bref, plus c’est profond.

À cet égard, Kierkegaard est très japonais quand il suggère qu’il convient de s’introduire comme un rêve dans l’esprit d’une jeune fille. Le grand art consiste à en sortir sans même l’éveiller. Avouerai-je que ne n’y suis jamais parvenu ?

Ce poème Zen de Sekishitsu que j’apprécie particulièrement, permettez-moi de le partager avec vous :

« Pendant soixante trois ans
Cette vieille bête maladroite 
S’est tirée d’affaire.
Et maintenant, pieds nus, 
parcourt le vide…
Quel non-sens ! »

À lire aussi, du même auteur : Les femmes se sentent-elles vraiment opprimées?

Poème auquel dans un dernier chuchotement, il serait loisible de répondre : 

« La vie est comme nous l’avons trouvée 
La mort aussi.
Un poème d’adieu ? 
Pourquoi insister ? »

Longtemps, quand une femme mourait, on offrait ses vêtements au monastère bouddhiste qui en faisait des bannières : les kimonos flottaient au vent de l’impermanence, concentrant dans leurs plis gracieusement macabres toute la poésie des métamorphoses et des métempsycoses par lesquelles une amante, même morte, peut rester éternellement belle et désirable. Une femme disparaît, elle se réincarnera ailleurs, mais son vêtement vide symbolise ce qu’il y a de plus précieux en elle : son absence. Car c’est absente que l’homme l’aime pour mieux la rêver. 

On danse sur quoi cet été?

0

De la Funk française, sirupeuse et débonnaire ou du slow subversif dont l’objectif estival est de (re)coller les corps.


C’est l’amoureux des belles lettres qui vous parle. L’esthète du cabriolet et des discothèques. Il y a dans ces quelques mots lâchés au creux de la piste, messages balnéaires ou dragues foireuses, plus de littérature que dans les derniers goncourables. Plus d’esprit aussi et de dérision. Une hauteur de vue sur les relations d’un soir ; une mélancolie salutaire en ces temps de glaciation idéologique.  

De l’âpreté du vocabulaire choisi, cet uppercut direct qui touche le bas ventre et qui ne s’encombre pas d’un progressisme fielleux, les paroliers d’avant s’inscrivaient dans le registre de l’émotion parlée, chère à un vieil atrabilaire meudonnais. Comme chez Chardonne, la simplicité et une certaine rudesse dans le tempo n’étaient pas exemptes d’une profondeur désespérée.

La Funk française ou l’école de la liberté

La Funk française des années 70-80 mériterait une analyse plus fine afin de déceler dans son style, sorte de libertinage assumé, toutefois assombri par les crises en gestation, les ferments d’une société aujourd’hui disparue. L’aigreur n’avait pas encore emporté les cœurs. Les passions tristes n’étaient pas une rente de situation pour des éditorialistes désœuvrés. L’amour sur la plage et le topless, la crème solaire et les nuits chaudes, les corps déliés et les clubs privés étaient le meilleur moyen pour la jeunesse de ce pays d’échapper à la technostructure et au spectre du CDI.

À lire aussi, du même auteur : On lit quoi cet été?

Il faut entendre cet appel à danser comme le dernier témoignage d’une communauté en voie de désagrégation. La Funk française est une école de pensée et de liberté. Des nouveaux (véritables) philosophes dont nous avons été incapables de reconnaître la mission émancipatrice. À cette mini-sélection, j’ai ajouté deux grands classiques, plus récents, le swing désenchanté de Guy Marchand et l’hyperbole mammaire de Valérie Lemercier. Écoutez et réparez enfin les vivants !    

Maya – Lait de coco – Marina Media

Elle était allongée sur la plage
Nue sur le sable chaud
Et le vent, le vent tournait les pages
De son San-Antonio
J’arrivais dans ma décapotable
Beau minet, belle bagnole
Gomina, Ray-Bans, look impeccable
De quoi la rendre folle

L’ombre des oiseaux caressait sa peau
Elle bronzait au lait de coco
L’ombre des oiseaux caressait sa peau
Elle bronzait au lait de coco

Laurie Destal – Frivole de nuit – RCA

Y’a plus de bébé, frivole de nuit
Le vague à l’âme, c’est pas pour aujourd’hui
Plus de discours ni de sanglots
Je te quitte c’est déjà trois mots de trop
Les gens nous blessent bien plus souvent
On va pas faire du sentiment
Et je claque, slam ! la porte en sortant
Comme ça bébé, oh, tu m’en voudras vraiment
Bébé est-ce que t’es folle ?
Tu dérailles, tu décolles
Trop belle
Trop jeune et trop frivole
Bébé, suspens ton vol
Laisse les vieux rock’n roll
Et aime

Serge Delisle – Germaine – RCA

Germaine,
T’as la nouvelle chaîne couleur et tu frimes dans ton auto,
Comme la reine des mégalos
Tu me prends comme gigolo, rêveur
Germaine,
Tu habites à la Madeleine
Tu ne connais pas ta veine
Tout ce que tu désires facile
T’as qu’à lever le petit doigt pour que j’accoure
Tranquille
Germaine,
T’es jeune belle et riche
Et tous les hommes vantards
Rêvent à tes grands yeux de biche
Tu les blouses comme des homards
Et tu te marres
Ringard

Pino d’Angio – Ma Quale idea – Mais quelle idée (version française) -Flarenasch /WEA

Dans une super discothèque
Avec mes beaux yeux de reptile
J’ai accroché une minette
Au regard profond débile
J’ai commencé à lui faire
Mon fameux roulis des hanches
Fred Astaire en pleine forme
Devant ce truc a l’air d’un manche
Et par un baiser farouche
Je lui ai fermé la bouche

Déchaînée par la musique,
Excitée par mon physique,
Elle m’a donné la réplique
Dans son numéro sadique
Sans me passer la pommade
Un ou deux rocks et trois ballades
Je l’avais rendue malade
J’en ai fait de la marmelade

Guy Marchand – Ouvrier de l’amour – EMI

Ouvrier de l’amour
O.S. en caresses
Ouvrier de l’amour
Spécialiste en femmes tristes
Je suis ton équipe de nuit
J’pointe à minuit
Expert pervers, je fais
Des heures supplémentaires

Valérie Lemercier chante – 95 C – Tricatel

95 C…
Plus la peine de s’effacer
Ma croissance est terminée
Pour moi tout peut commencer
95 C…
Mais c’est mon année,
Madame Soleil l’avait prédit
Elle a influencé ma destinée
95 c’est mon tour de
Faire des étincelles
C’est mon numéro sacré

Passe sanitaire: le Conseil constitutionnel a joué son rôle

En validant la loi autorisant le premier ministre à subordonner l’accès à certains lieux, le Conseil constitutionnel est resté dans son rôle : celui de contrôler le législateur plutôt que de s’y substituer. L’avis d’un juriste…


Sans surprise, le Conseil constitutionnel a validé l’essentiel de la loi relative à la gestion de la crise sanitaire, mettant en place le fameux passe sanitaire. À la marge, il censure néanmoins les dispositions autorisant la rupture du contrat de travail pour les salariés en CDD et le dispositif créant une mesure de placement à l’isolement automatique pour les personnes faisant l’objet d’un test de dépistage positif à la covid-19 (c’est-à-dire sans qu’une décision individuelle, administrative ou judiciaire, ne les contraignent).

À lire aussi, Gabriel Robin : Passe sanitaire: une hystérie calculée?

La décision rendue n’est pas surprenante, elle est cohérente avec la jurisprudence traditionnelle du Conseil constitutionnel et conforme au rôle qui est le sien, celui de contrôler le législateur et non de s’y substituer.

Le Conseil constitutionnel a estimé, à juste titre, que le législateur, expression même de la souveraineté nationale, disposait d’un pouvoir d’appréciation sur la réalité de la situation épidémique et qu’il appartenait aux représentants du peuple de concilier l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé et le respect des droits et libertés reconnus à toutes les personnes qui résident sur le territoire de la République.

On ne pouvait pas attendre une décision politique de la part d’un juge

Le Conseil constitutionnel a statué en droit, sa décision n’est pas politique et ne pouvait pas constituer le match retour du débat parlementaire. D’aucuns déplorent qu’il n’ait pas joué un rôle de contrepouvoir, mais il n’avait pas à le faire, nous sommes en démocratie, pas dans le gouvernement des juges.

Une démocratie ne fonctionne pas par un assemblage d’individus centrés sur leurs propres intérêts, mais elle procède d’une collectivité de citoyens œuvrant pour le bien commun. Les grands principes naturels et universels ne sauraient s’appliquer au détriment de l’expression de la souveraineté nationale et en dépit de tout pragmatisme.

La Constitution garantit des libertés individuelles, certes, tout comme elle consacre les principes :

  • que « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres Membres de la Société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la Loi », exprimé à l’article 4 de la Déclaration de 1789 ;
  • la protection de la santé par l’Etat à l’article 11 du Préambule de la Constitution de 1946.

La loi relative à la gestion de la crise sanitaire a posé les bornes à l’exercice des libertés et concourt à la protection de la santé. Elle est donc constitutionnelle.

L’équilibre entre les libertés conditionné au risque de surcharge du secteur hospitalier

En matière de libertés, tout bon juriste doit se poser trois questions, la mesure est-elle nécessaire, adaptée et proportionnée à l’objectif qu’elle poursuit.

Assurément la loi instaurant la possibilité de mettre en place un passe sanitaire l’est et il ne pouvait en aller autrement.

Sur la nécessité, le Conseil constitutionnel a laissé, comme le droit le prévoit, une marge d’appréciation au législateur. Il s’est simplement contenté de vérifier que le Parlement s’était appuyé sur deux avis du conseil scientifique des 6 et 16 juillet dernier. Nous savons depuis près de deux ans ce qu’est une épidémie et ce qu’impliquent les rebonds, la trajectoire exponentielle des courbes et le décalage entre hausse des contaminations et hausse des admissions en réanimation. La vérité du mois d’août n’est pas celle du mois de septembre et le risque de surcharge de l’hôpital existe. On pourra seulement regretter la précipitation issue de la déclaration du 12 juillet 2021 pour un phénomène, le rebond épidémique, largement prévisible.

Sur la question de l’adaptation de la mesure, on pourrait douter de l’efficacité sanitaire réelle du passe, car un QR code n’a jamais empêché un virus de circuler. Pour autant, en tant qu’il constitue une incitation à la vaccination – certes le vaccin n’empêche pas la transmission mais il limite fortement le risque de surcharge des hôpitaux-, ce dispositif apparaît adapté pour répondre à la menace.

Enfin sur la question de la proportionnalité, il faut bien reconnaître que l’introduction d’un tel dispositif ne doit pas être considérée comme une simple formalité. Il s’agit ni plus ni moins de la mise en place d’un laisser-passer pour les actes de la vie courante. Il ne peut donc être viable que s’il est accompagné de garanties, en particulier que le dispositif de contrôle ne s’accompagne pas d’un recueil de données personnelles et qu’il soit strictement délimité dans le temps. Il l’est jusqu’au 15 novembre 2021.

Au demeurant, un tel dispositif consistant à présenter un QR code est bien plus supportable et nettement moins liberticide qu’un confinement généralisé, une obligation d’auto-attestation, des couvre-feux à répétition ou des fermetures de commerces dits non essentiels.

Le mauvais sujet de la discrimination

Un milliard de vaccinés dans le monde et la distribution du vaccin dans tous les pays, démocraties comme dictatures, républiques comme monarchies, devrait suffire à évacuer la question du « manque de recul » trop souvent alléguée pour justifier un manque de discernement.

Toutes les mesures sanitaires prises depuis mars 2020 caractérisent une précaution sanitaire extrême qui serait contradictoire avec la diffusion massive d’un vaccin considéré à risque. Manifestement, il vaut mieux attraper le vaccin que le virus.

L’institution d’un passe sanitaire constitue-t-elle une mesure discriminatoire ? Objectivement oui, car elle crée deux catégories de citoyens avec comme discriminant l’état de santé, en principe prohibé.

À lire aussi, Nesrine Briki : Le passe sanitaire, la pensée magique en application

Pour autant, le risque de rupture d’égalité doit être considéré comme étant un mauvais débat ; tout bon juriste sait que ce principe connaît des tempéraments à commencer par celui tiré des différences de situations appréciables entre les individus. Certains plus que d’autres, en étant davantage exposés aux formes graves de la maladie, risquent de contribuer à la surcharge du système hospitalier.

Il n’existe ni discrimination ni stigmatisation dès lors que l’Etat fournit facilement et gratuitement le vaccin. Par un choix libre et éclairé, la personne non vaccinée peut assumer ses propres responsabilités.

Que l’on sorte enfin de cette crise et de l’état d’urgence permanent

Bien évidemment, il ne faut pas voir le passe sanitaire comme l’outil miracle ou refuser de considérer que ce dispositif crée de fortes tensions.

J’ai l’humilité de penser que le passe sanitaire est décrié pour ce qu’il révèle -une situation sanitaire épuisante- plutôt que pour ce qu’il n’est pas, un dispositif liberticide.

L’exaspération est parfaitement légitime, en particulier au regard de la gestion de la crise : une parole publique dégradée (contradictions permanentes sur les masques, les vaccins, le passe sanitaire, et un président en t-shirt sur Tik-Tok) ; un bricolage de mesures alambiquées et incompréhensibles (distinctions des commerces essentiels et autres, masque à l’extérieur même lorsqu’on est seul, rayons de 10 km autour de chez soi et auto-attestation) ; un goût immodéré pour les procédures opaques (l’Etat d’urgence permanent, Conseil de défense).

Cela ne fait pas pour autant du passe sanitaire le symbole de l’arbitraire et ne justifie pas de faire exagérément pencher la balance du côté des libertés individuelles au détriment de l’intérêt général.

Cet été, le roman ne passera pas!

1
Image d'illustration Unsplash

Il y a autre chose que le roman !


Il m’arrive une grosse tuile. L’équivalent d’un accident de travail. Une forme d’incapacité si vous préférez. Je ne peux plus lire de romans. Pour un critique professionnel, c’est pire qu’une luxation du poignet. Je ne peux plus physiquement ouvrir un roman français ou étranger ; psychologiquement la fiction m’est devenue insupportable. C’est grave, docteur ? Serais-je guéri à temps pour la prochaine rentrée de septembre ? Car les livres débordent déjà de ma boîte à lettres. Ils arrivent depuis le printemps dans un flux ininterrompu qui me terrifie. Les personnages m’ennuient, les histoires m’accablent et l’imaginaire des autres me dépriment encore plus que le mien. Le format long est incompatible avec mon humeur changeante. Et cette vénération infantile, presque scolaire, pour le roman cathédrale, comme s’il était le sel de la littérature, son unique moyen de transport amoureux. J’ai parlé de ce problème à un confrère : comment dépasser ce dégoût temporaire et sauver mon emploi ?

À lire aussi, du même auteur : On lit quoi cet été?

Ce sage de l’édition m’a répondu que je vieillissais tout simplement. Que le roman est l’instrument d’une jeunesse avide d’engranger, par procuration, des expériences ; qu’il est nécessaire à la construction mentale du lecteur en formation ; qu’il est seulement un passage, un rite, l’expression d’un état temporaire mais qu’après s’être nourri d’écrivains mineurs ou majeurs, les deux formant une même école de la pensée, l’esprit vers la cinquantaine aspire à l’ascèse. Qu’avec les années, viennent l’épure des mots et la rigueur du style. Qu’un aphorisme peut suffire au bonheur du critique, qu’une chronique de trois mille signes enchantera bientôt tout un hiver. Que le roman n’est qu’un galop d’essai vers une écriture plus retenue, le chemin vers l’indicible. Que pour bien écrire et dire sa vérité, il faut biffer ses élans nocturnes ; retenir le jet cristallin est le travail de toute une vie. La création, cet art friable et éprouvant, bannit les longueurs assassines. Qu’après bien des efforts et des désillusions, au petit matin, juste quelques mots entrelacés, papiers collés et autres fragments poétiques dégageront autant de force que des centaines de pages reliées. D’autres confrères m’ont alors parlé du plaisir de relire ces fameux romans fondateurs qui cimentent nos bibliothèques, snobisme éculé des gens de notre métier. Coquetterie aussi tapée que les poires de Touraine, cette fausse vérité est plus entretenue par manque d’imagination que par goût sincère du Livre. Elle se veut cultivée, elle n’est que pédante.

Jamais, vous ne retrouverez le suc de la première gorgée ou du premier baiser, cette fébrilité toute absorbée, toute accrochée aux phrases nouvelles qui ruissellent et cascadent dans votre cœur. La chamade ne se reproduira jamais plus. Ces vaines séances de rattrapage et rengaines larmoyantes ne sont qu’une tentative désespérée de retrouver son adolescence disparue. Les journaux ou recueils de chroniques échappent à l’ingratitude du temps alors qu’ils en recèlent le trouble intérieur. Quand ils sont l’œuvre de très grands, maîtres en écriture fine et observateurs désabusés, on s’y ressource avec un bonheur intact, surtout durant l’été. Ils n’ont pas été flétris par les modes idiotes, ils ne s’embarrassent pas de mots inutiles. Ils sont le remède à notre errance balnéaire. Ils n’ont pas la lourdeur des romans à thèmes, ils expriment dans un français souverain nos pensées brouillonnes. Pour ce mois d’août, j’ai choisi quelques figures indispensables, d’abord le Journal de Jules Renard (1897-1910). On y revient toujours tant sa veine pleine d’amertume rurale et de gamineries théâtrales nous comble de félicité. Mille trouvailles, mille portraits, mille aigreurs qui fascinent autant par leur pertinence que par leur onde nostalgique. En cet été 1902, Renard est en verve, il enchaîne les saillies comme à la fin de l’envoi, Cyrano touche :

– « Cocu ». Chose étrange que ce petit mot n’ait pas de féminin. »      

« L’érudition de ceux qui méprisent le Larousse et qui s’imaginent qu’ils n’y apprendraient rien. »

La chronique est également une autre façon de voyager, de prendre « L’Air du pays » avec Kléber Haedens, chasseur en gourmandises teintées de mélancolie et échappées basques. Le 24 août, il écrit : « L’été ressemble encore à un péché capital. Nous entrons à Saint-Sébastien par un jour doré comme une sole frite et c’est pourtant sur l’Avenida de España que nous verrons les premières feuilles mortes ».

À lire aussi, du même auteur : La langue d’Audiard, ma Patrie!

Et pourquoi ne pas visiter Paris dans les pas de Jacques Audiberi (1937-1953), promenade à la gloire des marchés et des travailleurs anonymes. En ce 10 août 1938, dans Le Petit Parisien, il note ceci : « Quai de la Mégisserie et aussi quai de l’Hôtel-de-Ville, devant la Seine, cela caquète, roucoule, pépie, siffle, sifflote, dans un grand tapage de becs – puisque, disait Villon, il n’est bon bec que de Paris ».

Et enfin, laissez vous transpercer par le parfum de cette lointaine Amérique latine dans Conversations à Buenos Aires entre Jorge Luis Borges et Ernesto Sabato et cette merveilleuse antienne : « Nous sommes tous des poètes de quartier ».

Journal de Jules Renard – Bouquins / Robert Laffont

L’Air du pays de Kléber Haedens – Albin Michel

Paris Fut de Jacques Audiberti – Éditions Claire Paulhan

Conversations à Buenos Aires – Jorge Luis Borges /Ernesto Sabato – 10/18 

Jules Renard : Journal 1887-1910

Price: 32,00 €

36 used & new available from 12,00 €

L'Air du pays

Price: 16,90 €

16 used & new available from 9,00 €

   

Paris fût: Ecrits sur Paris 1937-1953

Price: 19,95 €

3 used & new available from

  

Conversations à Buenos Aires

Price: 20,00 €

9 used & new available from

   

Frédéric Beigbeder: « Bientôt on ne pourra plus écrire librement »

1
Frédéric Beigbeder © Hannah Assouline

Bibliothèque de survie est son troisième recueil de critiques littéraires. Cet exercice qui alimente sa réflexion sur l’écriture -la sienne- est aussi l’occasion de partir en guerre contre la distinction entre « le pur et l’impur » et l’hygiénisme physique et mental qu’on nous impose. Beigbeder, un écrivain qui nous veut du bien.


Certains le détestent (qui ne le lisent pas), d’autres l’aiment beaucoup (qui le lisent). Vous conclurez vous-même. Oui, il vaut mieux lire. De toute façon, il vaut toujours mieux lire. Mais c’est ainsi : épidermique, viscéral, parfois bête. Et nous sommes dans le second cas : on n’a rien à reprocher à Frédéric Beigbeder. On le lit toujours avec sourire et amitié. Il est rapide, nerveux, informé. C’est même selon nous l’un des deux meilleurs dans le domaine de la critique littéraire aujourd’hui. Nous lui avons posé quelques questions à propos de sa Bibliothèque de survie. Il y a répondu, avec diligence et gentillesse : « Vous êtes gentille, vous. J’ai rarement rencontré des gens intelligents qui n’étaient pas gentils » – Sartre à Sagan (un des Rosebud de Beigbeder) dans Avec mon meilleur souvenir (un des meilleurs livres de Sagan selon Beigbeder… et votre serviteur). La littérature est un tout petit monde. Entretien, donc.

Causeur. C’est votre troisième « recueil » de critiques : pourquoi celles-là et pourquoi maintenant ? 

Frédéric Beigbeder. Tous les dix ans, j’ai besoin d’effectuer un tri parfaitement subjectif parmi mes émerveillements. C’est comme un bilan d’étape, un panorama de mes goûts qui me permet de mieux définir où j’en suis avec la création littéraire. Je refuse de séparer les morts (Molière, Wilde, Mann, Colette, Roth, Gómez de la Serna) des vivants (Kundera, Liberati, Reza, Mukasonga, Laferrière, Littell). 

Quelle est la part (rôle, importance) de la critique dans votre vie d’écrivain ?

C’est vital pour moi. Lire est aussi important que respirer, manger ou boire. Je ne comprends pas les écrivains qui ne lisent pas leurs contemporains.

Y a-t-il complémentarité des trois activités : la lecture, les romans, les critiques littéraires ?

La réflexion critique est une nourriture permanente pour mon écriture personnelle. Je suis une moule qui s’accroche au rocher des livres des autres. Je suis un parasite qui se greffe sur leur génie. C’est donc alimentaire, dans tous les sens du terme.

Par ailleurs, on ne le dit jamais mais la critique s’apprend lentement. À mon âge, j’ai lu plus de livres. Je commence à avoir une certaine expérience, qui me rend peut-être moins péremptoire et abrupt qu’autrefois.

À lire aussi: Causeur: Qui veut la peau de Pascal Praud?

Vous occupez depuis 2012 la place qu’occupait François Nourissier au Fig’ Mag’ : la postérité capricieuse l’ignore un peu – comme si le pape des lettres avait éclipsé l’écrivain de race. Est-ce que cela vous… perturbe ? A fortiori lorsque l’on sait votre goût pour son œuvre : « Je lui dois tout » (sic). Quel effet cela vous a fait de lui succéder ? 

Ce fut un grand honneur. J’ai peu connu Nourissier, même s’il m’a exprimé son estime à deux reprises dans ses articles, et en me sélectionnant au Goncourt pour 99 francs et Windows on the World. Je continue de penser qu’il est un des maîtres du récit autobiographique français, un digne descendant de Benjamin Constant, avec la même concision cruelle. Certes, il n’a pas la postérité qu’il mérite, mais peu importe. Quand on a écrit un texte aussi impeccable qu’Un petit bourgeois, on n’a aucun souci à se faire.

Vous appréci(i)ez Jean d’Ormesson. Sa présence médiatique a en partie occulté certains de ses très bons livres. Ne croyez-vous pas que seule la génération suivante, qui ne l’a pas connu « médiatique », le découvrira, enfin « vierge » ? Avez-vous parfois l’appréhension du « malentendu » ?

Ha, ha petit filou, je vois où vous voulez en venir… L’image qui efface le travail ! Dans le cas de Jean d’O, il faut distinguer les périodes. Ses meilleurs livres sont les plus intimes, où il écrit comme à l’oral : Le vagabond qui passe sous une ombrelle trouée, Au revoir et merci, mais aussi Au plaisir de Dieu sur son histoire familiale. Sans son image audiovisuelle, aurait-il été meilleur ? Nous ne le saurons jamais. Je suis comme lui, incapable de me cacher, je sais que c’est du temps perdu pour l’écriture. J’ai mieux connu d’Ormesson que Nourissier, deux grands angoissés mélancoliques (qui étaient très amis) mais quand j’écris, je me sens plus proche du laconisme du second.

Combien de livres faut-il ouvrir pour en trouver un qui, soudain, (vous) fait signe ?

On a tous une méthode différente. Je fais trois piles : les oui, les non, les peut-être. Je n’ai pas de place pour les « peut-être ». Je préfère aimer ou détester. Par manque d’espace, je pense que le critique doit alterner entre le dithyrambe et l’éreintement. Le but ultime est tout de même de donner envie de lire. Même les articles négatifs donnent parfois la curiosité d’aller vérifier…

Il y a toujours chez vous le sourire, la formule qui résume et fait sens, et l’érudition, légère et précise à la fois. Pensez-vous que les lecteurs de vos essais [Bibliothèque de survie (2021), Premier bilan après l’apocalypse (2011), Dernier inventaire avant liquidation (2001)] mesurent le sérieux qu’ils dissimulent (mal) ?

Je suis un cuistre qui se soigne. Pas trop de citations, pour dédramatiser et simplifier l’accès à la littérature. Le plus crucial dans un papier est l’enthousiasme. Il faut de l’énergie pour inciter à la lecture dans une époque amnésique et bête.

À lire aussi: Gide l’oublié

N’avez-vous jamais eu la tentation du Grand Meaulnes, du Diable au corps, de L’Attrape-cœurs ? Écrire LE livre que vous devez écrire ? Celui qui persiste dans une bibliothèque (la vôtre, la mienne) où l’on ne cesse de faire de la place – donc, souvent, d’« éliminer » des livres. Ou avez-vous l’impression que c’est déjà fait ?

Les chefs-d’œuvre que vous citez ont été rédigés par des auteurs qui sont morts très jeunes. Sauf Salinger, mais son cas est particulier : il a cessé de publier à 46 ans. Je crois qu’ils n’ont rien calculé. On ne choisit pas quels romans resteront. Comme dit Proust, c’est comme si vous demandiez à une oie de parler de son foie gras. Je ponds des histoires, certaines sont encore lues des années après, d’autres non. Et je ne saurai jamais pourquoi.

Pour Bibliothèque de survie, vous avez écrit une préface « de combat » : le monde devient fou (la cancel culture, le délire de censure du wokisme, la plainte, la victimisation, l’offense comme seules « armes » intellectuelles, le littéralisme et l’absence d’humour érigés en vertus éminentes). Y a-t-il une issue ? Je pose cette question a fortiori à vous qui datiez l’irruption du second degré dans la littérature de la parution de… Paludes (1) ? Naissance et mort du second degré (aujourd’hui), donc ?

Bien malgré moi, je me trouve embarqué dans une guerre entre le pur et l’impur. J’aimerais consacrer tout mon temps à écrire librement, mais cela ne sera bientôt plus possible. Donc je dois lutter lourdement pour ma légèreté. C’est bien dommage mais c’est comme ça. Nous vivons actuellement un moment historique. Ou bien les Français disent merde à la censure américaine, ou bien ce sera la deuxième mort de Charles Baudelaire.

En 2011, dans Premier bilan après l’apocalypse et à propos de Gérard Lauzier, vous écriviez ceci : « La société a régressé depuis, tant sur le plan des libertés que sur celui du droit à l’irrespect. » Dix ans après : cela vous désespère de faire le même constat – en pire ? 

Je décris dans ma préface un basculement encore plus grave : l’hygiénisme physique (la suppression de toutes nos libertés pour nous protéger contre un coronavirus) se double d’un hygiénisme mental (le politiquement correct devenu intolérance de masse). C’est la même démarche totalitaire : la bienveillance, l’altruisme sont de nouveau autoritaires et liberticides, comme en URSS. C’est complètement fou. À force de vouloir le bien des citoyens, on les surveille, les corrige, les dénonce. Ma maison a été taguée par des fanatiques. Mon nom figure sur des listes de salopards. Tout ça parce que je défends les films de Polanski ! Je ne pensais pas vivre tout cela un jour.

Colette est au premier rang des « 50 », avec Le Pur et l’Impur – un titre qui vaut programme. BHL avait écrit, pour tout autre chose (quoique), un livre intitulé La Pureté dangereuse. C’est votre diagnostic ?

La Pureté dangereuse est le meilleur essai de Lévy. Il avait tout senti il y a vingt ans. Il parlait de la menace islamo-fasciste, non de la cancel culture, mais ce sont deux formes de puritanisme antidémocratiques. Nous en avons parlé récemment avec Michel Houellebecq. Malgré son lyrisme échevelé, Lévy a souvent raison.

À lire aussi: Un père de l’Église nommé Basile

« J’attache une importance morale et littéraire à l’humour » (Jules Renard) : est-ce que cette remarque est inaudible aujourd’hui ? 

L’humour intelligent de Renard me plaît davantage que le ricanement formaté actuellement omniprésent. Je défends les caricatures de Charlie Hebdo mais je m’ennuie souvent en entendant certains fonctionnaires du rire.

Dans votre Bibliothèque de survie, la diversité des choix réjouit : I. B. Singer, Ann Scott, Chardonne, Liberati, etc. Vous vous y efforcez ?

C’est un florilège. Je veux montrer un éclectisme snob, une curiosité insatiable. Lire, c’est s’ouvrir à la voix d’un autre. Il faut se laisser surprendre. Chaque fois que j’ouvre un livre, j’entre dans un monde différent.

À rebours de beaucoup de critiques, vous évoquez systématiquement le style. C’était jadis ce qui discriminait un écrivain. Et aujourd’hui ?

On traverse une dictature du sujet. Les œuvres sont jugées pour leur utilité, leur résilience (quel mot haïssable !) et sur des critères affreusement moraux. L’auteur doit se victimiser, souffrir ostensiblement, et « témoigner ». Ce déballage m’ennuie. Je recherche toujours la forme autant que le fond. Si l’auteur transmute sa douleur en beauté, comme Lançon dans Le Lambeau, alors va pour le témoignage. Sinon, cela ne vaut rien.

Dans Premier bilan après l’apocalypse (votre palmarès des 100 livres du xxe siècle), vous consacrez un texte à Ivre du vin perdu, de Matzneff : que fait la police ?

Je ne renie pas ce que j’ai écrit sur Matzneff. Je suis contre la censure, parce qu’on ne sait pas où ça s’arrête. On commence par interdire Matzneff… Et ensuite, s’il faut retirer tous les romans pédophiles, que fait-on de Gide, Montherlant, Tournier et Robbe-Grillet ?


(1). Paludes est une satire sur le milieu littéraire publiée en 1895 par Gide.


Frédéric Beigbeder, Bibliothèque de survie, L’Observatoire, 2021.

Bibliothèque de survie

Price: 18,00 €

30 used & new available from 2,46 €

La haine anti-Blancs: la filiation ignoble

1
La militante radicale Maboula Soumahoro en 2012 © BALTEL/SIPA

Les Blancs n’auront-ils bientôt le choix qu’entre se soumettre à la volonté des « racisés » ou se faire massacrer ?


C’est en tout cas ce qu’annonce de plus en plus ouvertement l’« antiracisme progressiste décolonial », autrement dit « woke », qui en réalité n’a rien d’antiraciste, puisqu’il hait indifféremment tous les Blancs en raison de leur seule appartenance ethnique, rien de progressiste, puisqu’il n’est qu’un tribalisme primitif mâtiné de suprémacisme racial, et rien de décolonial, puisqu’il veut la colonisation et l’exploitation de l’Occident par les « racisés ».

À lire aussi, Mathieu Bock-Côté : La France contre les dingos

Qu’on en juge. Il y a peu, un compte Twitter se présentant comme partisan de l’intersectionnalité et de la convergence des luttes, sans oublier le « féminisme queer », diffusait un questionnaire visant à évaluer votre participation (consciente ou non) à la « suprématie blanche ». Les résultats sont éclairants.

Au mieux : « Vous êtes sur la bonne voie pour devenir un.e allié.e des personnes racisé.e.s, mais il reste tant de travail à accomplir pour leur rendre justice. » Suit une publicité pour « approfondir » avec, comme par hasard, l’association Lallab bien connue pour sa grande complaisance envers l’islamisme.

Et au pire : « Vs êtes dans le confort de l’ignorance d’être blanc.he. Il va falloir vous rééduquer de A à Z. Vous finirez par comprendre que la vie des Noir.e.s compte, car ns vs l’affirmerons haut et fort jusqu’à ce que vs changiez ou disparaissiez. »

Car selon cette mouvance, bien sûr, vous ne pouvez pas ne rien avoir à vous reprocher. Au mieux, vous n’en faites pas assez mais êtes seulement « sur la bonne voie ». Au pire, vous n’avez même pas conscience d’être Blanc, et dans ce cas il est inenvisageable que vous considériez que « la vie des Noir.e.s compte » (car, sans doute, considérer que la vie d’une personne humaine compte quelle que soit sa couleur de peau ne… compte pas si vous n’exaltez pas les vies Noires au-dessus de toutes les autres), et vous devez « vous rééduquer de A à Z » ou disparaître (sic).

À lire aussi, Aurélien Marq : Formons-nous encore un seul peuple?

D’aucuns ont affirmé que ce compte était parodique. Certes, il est parfois caricatural dans sa diffusion de la propagande « antiraciste » et son utilisation de ses codes, y compris l’écriture « inclusive » et la minuscule à « blanc » contrastant avec la majuscule à « Noir ». Mais rien de ce qu’il écrit ou relaye ne sort de ce que la doxa qu’il prétend soutenir affirme au premier degré.

Ainsi, le « test » délirant évoqué plus haut est-il l’œuvre très sérieuse de Reshmi Dutt-Ballerstadt, qui ne dédaigne pas l’humour mais ne fait pas mystère de son positionnement idéologique. Ainsi, aussi, de cette « éducatrice » américaine qui affirme sans rire que l’endoctrinement « antiraciste » permanent est « le seul moyen pour que les enfants Blancs restent suffisamment humains ». La remise en cause de l’humanité d’enfants en raison de leur « race » vous rappelle quelque chose ? De même avec ces Blancs qui s’agenouillent devant les Noirs pour Black Lives Matter : une « race » inférieure sommée de s’autoflageller pour un prétendu crime collectif inexpiable et de s’agenouiller devant une « race » supérieure vous évoque des souvenirs ?

La même « éducatrice », à la question : « Les Européens ont-ils un jour fait quelque chose de bien ? » répond « Pour l’essentiel, non. Et les enfants doivent assumer la responsabilité des actions de leurs ancêtres. » Il faut croire qu’à ses yeux l’abolition de l’esclavage n’est pas quelque chose de bien, non plus que la découverte de l’emploi de l’électricité ou la vaccination. On pourrait multiplier les exemples du même acabit, y compris en France avec la mémorable sortie de Maboula Soumahoro affirmant que « un homme Blanc ne peut pas avoir raison contre une femme Noire », ce dont il faut conclure qu’elle croit la Terre plate puisqu’à une époque bon nombre de femmes Noires le croyaient, alors qu’Ératosthène était Blanc.

Notons au passage que cette référence aux « ancêtres » prouve bien l’hypocrisie de ceux qui, ici, se défendent des accusations de racisme en disant que les « Blancs » sur lesquels ils vomissent à longueur de temps ne sont pas vraiment les « Blancs », puisqu’il s’agirait de « race sociale » et non de « race biologique ». Le fait même d’avoir choisi une terminologie raciale et raciste pour décrire cette soi-disant réalité sociale montre bien l’authentique racisme sous-jacent, mais il n’est jamais inutile de le confirmer.

À lire aussi, Alexis Brunet : Si elle n’est plus contente en France, Maboula Soumahoro est la bienvenue au Vénézuela

À ce titre, l’une des illustrations du « test » de Reshmi Dutt-Ballerstadt est particulièrement intéressante : « Le privilège blanc, c’est quand votre histoire fait partie du cursus principal alors que la mienne n’est enseignée qu’en option ». Comme il ne s’agit évidemment pas de l’histoire d’une « race sociale », ni d’un pays puisque les étudiants d’une même université se trouvent par définition dans le même pays, alors il ne peut s’agir que de l’histoire d’une lignée : on en revient à la définition raciste de l’identité par le « sang » plutôt que par la culture ou par la citoyenneté.

Nous, Européens, sommes les héritiers d’Isocrate, d’Alexandre, des Césars et de la Chrétienté, et nous ne regardons pas à la couleur de peau mais acceptons comme faisant partie des nôtres quiconque fait sienne notre histoire et adopte notre art de vivre. Les « wokes » sont libres de refuser ce pacte civilisationnel, mais alors leur place n’est pas avec nous, ni sur notre continent : qu’ils partent vivre là où le tribalisme est la norme – et si l’Amérique bien-pensante continue à valider leur approche, mâtinée de puritanisme et de culte de l’argent, son effondrement ne sera pas une grande perte pour le reste du monde.

Le tweet de « Caitlyn Pernelle » est-il représentatif de tout le mouvement « antiraciste » ou seulement de la partie la plus « avancée » de ses militants ? Qu’importe, il doit nous alerter. Car malgré ses outrances évidentes, malgré ses délires manifestement pathologiques, il relève d’une rhétorique parfaitement identique à celles d’autres idéologies, tout aussi outranciaires et tout aussi délirantes, mais qui ont connu des succès sanglants.

Helen Pluckrose et James Lindsay l’ont démontré par une expérience simple : recopiant des passages entiers de Mein Kampf en changeant simplement le mot « Juifs » par « Blancs », ils ont écrit des textes évidemment immondes, mais qui ont été très bien accueillis dans la communauté « woke ».

À lire aussi, Erwan Seznec : Enquête: Facs, le grand déraillement

Et la similitude, à mon sens, est encore plus frappante avec la haine communiste des « bourgeois » et tout particulièrement la rhétorique d’un Georg Lukács dont on connaît, et ce n’est pas un hasard, la complaisance envers les crimes de masse du communisme. Remplacez « bourgeois » par « Blancs » et « prolétaires » par « racisés » dans les écrits de Lukács, et vous obtiendrez du « wokisme » chimiquement pur.

Nous savons ce que l’idéologie de Mein Kampf a fait aux Juifs. Nous savons ce que le communisme a fait à ceux qu’il appelait « bourgeois ». Ne prétendons pas ignorer ce que le soi-disant « antiracisme progressiste décolonial » a l’intention de faire aux Blancs. Et n’attendons pas qu’il soit trop tard pour combattre cette idéologie partout où elle se présente.

Marco Berger: « Taekwondo » ou le beau au bois dormant

1
"Taekwondo" de Marco Berger. Capture d'écran YouTube

Quand l’Argentin Marco Berger réinvente le cinéma gay, ça donne Taekwondo, un chef-d’œuvre et un parfait conte d’été. Loin, bien loin des clichés LGBT.


German, nouvel ami d’entraînement de Fernando, est invité par celui-ci pour des vacances entre garçons dans une grande maison de famille avec piscine et tennis en banlieue de Buenos Aires. Pièce rapportée, il découvre les amis d’enfance de son hôte, groupe soudé mais soumis à la compétition de jeunes hommes hétérosexuels. Or, German, surnommé Ger, homosexuel sous couverture, est attiré par Fer. Que va donner cette semaine de proximité en terrain hostile ?

Un Rohmer homosexuel ?

Nec plus ultra en matière de cinéma gay, l’argentin Marco Berger développe depuis une dizaine d’années une œuvre délicate et précieuse parvenue à maturation dans trois films en huis-clos dont le plus beau, Taekwondo, n’a curieusement jamais été distribué en France. C’est un conte rohmérien, à la fois moral et des quatre saisons, qui accorderait plus d’importance aux corps qu’au langage. Les jeunes hommes n’y sont que lentement différenciés, ils forment d’abord une masse presque indistincte qui semble pourvue d’un seul regard (cf. la scène du sauna).

À lire aussi, du même auteur : “À l’abordage” de Guillaume Brac: l’été en pente molle

À de petites touches, on comprend que l’intrus – Ger – n’est pas de la même classe sociale et qu’il tire vraisemblablement le diable par la queue…. Avant même d’être rohmérien, le conte est conte, comme on le voit à plusieurs motifs : un amoureux est réveillé d’un baiser par sa belle, les amis sont sept comme les nains, et le motif du lit occupé par un étranger endormi revient avec insistance. Le sommeil dans Taekwondo est égalisateur : tous y sont sujets, et il permet le rapprochement comme le rêve. 

Une sérénade centrale donne lieu à un enchaînement de plans où se tisse un lien presque gémellaire entre Ger et Fer. La nature de ce qui se donne à l’écran – promenade, acrobatie, jacuzzi – interroge : fantasme ou réalité ?

Taekwondo est un grand film qui prend le spectateur dans le filet du point de vue. Il faut le voir deux fois pour comprendre qu’on s’est laissé abuser par le regard de Ger qu’épouse principalement Berger. La clef du film est peut-être ce plan du jeune maître de maison, Fer, rêvant dans la cuisine après la sérénade ; sa respiration profonde vient du ventre : se souvient-il, rêve-t-il ?

Mystérieux et précis

Taekwondo a l’extrême bon goût d’éviter les pièges du cinéma LGBT : pas d’homophobie criarde en parangon du mal, ni de chantage à l’identité et de militance rampante. Cette absence de revendication tient à la condition particulière de l’homosexualité en Argentine. La discrétion protège et donne ce cachet particulier aux films de Marco Berger, ils sont à la fois mystérieux et précis. Leur exaltation morcelée du corps masculin rappellerait presque les blasons érotisés qu’en a donnés le photographe brésilien Alair Gomes. 

À lire aussi, du même auteur : Garçon chiffon: Ouin-ouin flonflon

Taekwondo est un film remarquablement argentin, à l’image du repas où les participants s’inventent des nationalités européennes. La fiction s’y double d’un contenu documentaire. Celui-ci, amassé par le co-réalisateur Martin Farina dans Les Garçons du stade, film étrange et cruel sur une équipe de football professionnelle, est littéralement décanté dans Taekwondo qui en reprend plusieurs plans (par exemple une femme de ménage faisant gonfler un drap avant de le border). Les amateurs d’Adolfo Bioy Casarès pourront aussi y voir un décalque de son indépassable Invention de Morel, où un homme réunit tous ses amis pour vivre avec eux une semaine éternelle de distractions et de romance. Et comme chez Bioy, le ver est dans le fruit.

Ode à la patience

Berger enregistre la ruine qui menace, sans qu’on s’en aperçoive jusqu’à bien avant dans le film. La villa mitoyenne abandonnée où les hôtes déambulent à des moments de latence apparaît pour ce qu’elle est, dévastée comme par un cyclone. Et le spectateur ne réalisera qu’à la dernière scène l’état déplorable des installations sportives dans la propriété : le panier de basket réduit à un cercle, le filet détendu. Le terrain de tennis et son éclairage nocturne sont d’ailleurs filmés comme deux hauts lieux de conclusion antonionienne (Blow-up, L’Éclipse). La fin secrète et ambiguë confirme la morale du regard de Marco Berger : faire semblant de montrer beaucoup pour cacher le primordial, l’infime et souterrain mouvement des cœurs.

Taekwondo est une ode à la patience et à la constance plus que jamais nécessaire en temps de désastres annoncés.

Taekwondo de Marco Berger et Martin Farina (2016) : disponible en DVD/BR


Taekwondo

Price: 21,31 €

10 used & new available from 21,31 €

Blow Up [Import anglais]

Price: 10,76 €

16 used & new available from 6,00 €

L'Invention de Morel

Price: 49,42 €

12 used & new available from 17,10 €

Comment le Covid a changé leur vie… sexuelle

0
© D.R.

Rester des mois enfermés à deux dans un appartement n’aura pas été de tout repos pour les couples ! Plusieurs études montrent les effets néfastes qu’a eu le Covid sur la vie intime des couples.


Contrairement aux pronostics, les confinements n’ont pas été si profitables aux couples. C’est ce que montrent les observations de nombreux thérapeutes ainsi que des études internationales. Après une période de « lune de miel » où les amants ont pu se retrouver et passer du temps ensemble, la routine et les désagréments de l’enfermement ont fait des ravages.

À lire aussi, Erwan Seznec : Le confinement n’a pas fait exploser les violences conjugales

Selon Justin Lehmiller, chercheur au célèbre institut américain Kinsey, c’est grâce à la distance et au mystère que la flamme peut durer dans un couple. Avec le confinement, finis la distance et le mystère : les défauts de son partenaire sautent aux yeux ! Les femmes, qui se plaignaient déjà d’avoir des journées doubles sur fond de charge mentale, ont dû vivre leurs deux vies au même endroit. Avec une maison en bazar et des marmots dans les pattes, elles n’ont pas eu tant que cela envie de batifoler.

À lire aussi, Pierre Vermeren : Comment la France encovidée a succombé à la pulsion de mort?

De plus, la peur du virus a tué dans l’œuf toute libido. « Deux zèbres ne vont pas s’accoupler devant un lion », selon la sexologue Emily Jamea. Cela explique la baisse des naissances, en France notamment où seulement 740 000 bébés sont nés en 2020 (–1,8 % en un an), chiffre le plus bas depuis 1945. Dans l’étude de la psychologue Rhonda Balzarini, les participants de 57 pays ont affirmé que plus les facteurs de stress liés à la pandémie augmentaient, plus le désir sexuel diminuait. L’arrivée des vaccins devrait annoncer le retour à une vie normale. Sauf que certaines personnes en avaient tellement assez de leur moitié qu’elles n’ont pas hésité à la tromper pendant le confinement. Dur de recoller les morceaux après ça…

La Fabrique du crétin. 2e livraison

0
Apprentissage de la lecture à Clamart, 2006. SIPA. 00537617_000005

Chers lecteurs, je profite de ces vacances pour écrire mon dernier livre sur l’état de l’Ecole, à paraître en janvier prochain. L’idée m’est venue de vous en soumettre les chapitres essentiels, afin de tenir compte de vos réactions. Aujourd’hui, La question de la langue, 1ère partie. Bonne lecture et n’hésitez pas à commenter, même avec férocité, cette analyse dernière, après 45 années passées dans un système éducatif désormais exsangue.


Quand on entre dans le corps principal de bâtiment rue de Grenelle, un escalier s’offre à vous, sur votre gauche. Montez quelques marches, et sur le mur sont accrochés les portraits de tous les ministres de l’Education depuis les débuts de la IIIème République. On y conserva longtemps le portrait de l’infâme Abel Bonnard, avant que François Bayrou ne le fasse décrocher et renvoyer aux poubelles de l’Histoire.

Le bras armé du ministère

De tous ces visages qui vous regardent monter, il est bien difficile d’en identifier plus d’une quinzaine — même pour un spécialiste de l’Education. C’est un ministère où l’on est rarement nommé pour ses compétences spécifiques. Qui se souvient par exemple de Lucien Paye (1961-1962), de Pierre Sudreau (d’avril à octobre 1962), ou même de Christian Fouchet (1962-1967) ? Qui se rappelle qu’Alain Peyrefitte, passé de l’Information à l’Education, était rue de Grenelle en 1968 — et que François-Xavier Ortoli lui succéda durant deux mois, le temps d’expédier les affaires courantes avant l’arrivée d’Edgar Faure, qui ne resta qu’un an mais marqua réellement de son empreinte la vie éducative ?

À lire aussi, du même auteur : La Fabrique du crétin, clap de fin

Et d’ailleurs, quelle importance ? Le bras armé du ministère, là où se fait vraiment le travail, c’est la DGESCO — Direction Générale de l’Enseignement Scolaire. Une Direction que l’on ne connaît guère, mais qui assure l’essentiel du travail, quand le ministre — et cela est souvent arrivé — se cantonne dans des activités de représentation. Par exemple sous le règne de Najat Vallaud-Belkacem, c’est Florence Robine, ex-professeur de Physique, qui fut le bras armé du ministère. ON la récompensa en la nommant rectrice de l’Académie de Nancy-Metz, puis ambassadeur de France en Bulgarie — elle avait enfin atteint son niveau d’incompétence, comme dit Peter Lawrence…

Quelle langue française ?

De 1962 à 1965, c’est un certain René Haby, ex-instituteur et agrégé d’Histoire, qui la dirigeait, et qui assura la continuité des services sous trois ministres aussi peu compétents les uns que les autres. Le même qui sera Ministre de l’Education sous Giscard, de 1974 à 1978. Le collège unique, la promesse de la « réussite pour tous », c’est lui. Mais pas seulement.

Pendant que De Gaulle défendait le France et le franc, soutenait le Concorde et faisait des misères au grand frère américain, René Haby lança deux commissions qui visaient l’une et l’autre à étudier une importante question : quelle langue française voulait-on transmettre aux enfants dans les écoles de la République ?

Comment, me direz-vous ? Il n’y en a pas qu’une ?

Tout dépend du point de vue. On avait gardé longtemps les mêmes programmes de Français — en 1945 on reprit les programmes de 1923, très normatifs, qui consacraient à l’apprentissage de la grammaire, étudiée en soi, de larges créneaux horaires. Vers la fin des années 1950, l’arrivée en Primaire de la première fournée du baby-boom et la prolongation de la scolarité obligatoire, décrétée par le ministre Berthoin (qui ça ?) en 1959, amenèrent le ministère à reconsidérer (prudemment) la question. On chargea donc un Inspecteur général, Marcel Rouchette, de diriger une Commission pour réfléchir à la question : quelle langue voulait-on / devait-on enseigner aux élèves ? On a appelé cette période la Rénovation. A posteriori, le mot a quelque chose de profondément ironique. Il s’agissait, pratiquement, d’une subversion de la langue et de son apprentissage.

La commission Rouchette travaille donc la question de 1963 à 1966. Une ère d’expérimentation s’ouvre en 1967 — jusqu’en 1972. Les Instructions officielles sont publiées à la fin de cette dernière année. Pompidou, qui lorsqu’il était Premier ministre avait sérieusement freiné les ambitions réformatrices, n’est déjà plus en état de s’y opposer.

Dès le début, deux conceptions s’affrontent. Pour Michel Lebettre, directeur des enseignements élémentaires et complémentaires, la fonction de l’école primaire est de fournir des bases solides pour la poursuite de la scolarité en renforçant les deux disciplines fondamentales, le français et les mathématiques. L’enseignement de la grammaire est central et presque autonome car il permet d’aborder l’apprentissage du latin qui commence au collège. C’est une approche logique de la langue qui vise l’efficacité et repose sur la mémorisation, prélude à toute activité d’expression orale et écrite. Ainsi, on acquiert les connaissances en français en répétant et en appliquant les règles, comme le rappelle Michel Lebettre dans sa circulaire : « Il est donc recommandé instamment aux maîtres des classes élémentaires de consacrer tous leurs efforts à fixer de manière durable, dans ces diverses matières [les disciplines fondamentales, français et calcul], les connaissances prévues par les programmes. Ils n’y parviendront qu’au prix de répétitions fréquentes et d’exercices nombreux. La réhabilitation du rôle de la mémoire, qu’amorçaient déjà les instructions du 20 septembre 1938, devra donc être reprise car il n’est pas douteux que, pour de jeunes enfants, le « par cœur » ne soit la forme la plus authentique et la plus durable du savoir. »

Traduisons. Rien ne remplacera jamais le « par cœur » ; la grammaire et l’orthographe doivent être étudiées en soi et pour soi — l’apprentissage de la langue est donc normatif ; et la formation reçue en Primaire doit préparer à l’excellence au lycée — rappelons que les sections « classiques », avec latin, sont alors préférées aux sections « modernes ». Lebettre s’inscrit donc dans la lignée exacte des Instructions de 1923 à 1938, les dernières à avoir été visé par Jean Zay, ministre (de gauche) de l’Education depuis juin 1936 — et assassiné en juin 1944 par des miliciens venus le quérir dans sa prison de Riom où l’avait enfermé la justice de Pétain — aménageant une peine initiale de condamnation au bagne, comme Dreyfus.

Je précise cela à l’intention de ceux qui s’imaginent que la Gauche a toujours été du côté des « réformateurs ». Franc-maçon, Jean Zay a fait des études de Droit, il a adhéré jeune aux Jeunesses laïques et républicaines, il est à l’aile gauche du Parti Radical. Il a déjà prolongé l’obligation scolaire de 13 à 14 ans. Et l’une de ses circulaires interdit le port par les élèves de tout signe politique ou religieux. « L’enseignement public, dit-il, est laïque. Aucune forme de prosélytisme ne saurait être admise dans les établissements. » On mesure ce qui s’est perdu, à gauche et plus généralement dans la société française, avec nos débats actuels sur le voile, le burkini et les horaires dissociés pour les femmes musulmanes dans les piscines.

Construire son savoir tout seul

À la conception traditionnelle de Lebettre s’oppose la conception « novatrice » des partisans de la pédagogie Freinet, soutenus au ministère par Roger Gal, chef de la recherche pédagogique à l’Institut Pédagogique National, qui sera toujours le fer de lance des réformistes — ou le ver dans le fruit, comme vous voulez.

L’idée est que grammaire et orthographe sont communs à toutes les disciplines, et n’ont pas à être étudiées en soi. « Refusant la seule mémorisation des règles, la commission réclame un apprentissage reposant sur « l’activité intelligente des élèves », c’est-à-dire proposant des observations des faits de langue », résume très bien Marie-France Bishop dans un article publié dans Le Télémaque en 2008. Ou si l’on préfère, c’est à l’élève de relever les règles et les particularités de la langue, au hasard de ses lectures. De cette opposition naîtra un peu plus tard l’affrontement entre les partisans de la grammaire de phrase, qui s’appuient sur un apprentissage systématique des règles, et ceux de la grammaire de texte, où l’on fait de la grammaire à l’occasion de la lecture, mais jamais en soi. Et où les élèves découvrent par eux-mêmes les règles qui régissent les mots qu’ils lisent. Ils construisent déjà leurs savoirs tout seuls…

À lire aussi, du même auteur : Tous censeurs!

Le rapport remis à René Haby en 1963 concluait pourtant à « consolider l’acquisition des trois connaissances fondamentales : lecture, écriture, calcul. » Mais le directeur des services d’enseignement ne l’entend pas de cette oreille. Il veut réformer « les programmes et les horaires », mais aussi « les méthodes et l’esprit même qui anime cet enseignement. »

Arrêtons-nous un instant sur ce lien entre « horaires » et méthodes ». Rien de gratuit ni de fortuit, jamais, dans les décisions ministérielles. Ce qui se dessine dans les instructions de René Haby, c’est la possibilité, qui sera exploitée à partir des années 1980, de réduire drastiquement des horaires dédiés au français sous prétexte que c’est la langue utilisée en maths ou en Histoire, et que donc on peut considérer que tout ce qui se dit ou s’écrit en français est… du français : de ce qui était l’étude systématique de la langue on fera donc une discipline transversale. On pourra donc, à partir de cette observation fallacieuse, diminuer les horaires consacrés à la discipline, et, partant, les postes d’enseignants. La commission Rouchette transforme l’apprentissage du Français en apprentissages des situations de communication. D’où l’accent mis sur l’oral — c’est pratique, on n’y voit pas les fautes d’orthographe — et spécifiquement la langue orale des élèves. Se faire comprendre (« Moi Tarzan… Toi Jane… ») l’emporte désormais sur la qualité de l’expression.

Le bon usage

On parlait alors de « démocratisation ». Plus tard on utilisera le mot « massification ». Le quantitatif détrône le qualitatif. On ouvre la chasse à l’élitisme, bête noire des pédagogies de masse. Ce n’est pas anecdotique. Notre langue est traversée depuis l’origine par la question du « bon usage » — ce n’est pas par hasard que le dernier des grammairiens normatifs, Maurice Grévisse, intitule ainsi sa Grammaire en 1936 — et régulièrement mise à jour dans les décennies suivantes. L’expression vient de Vaugelas, qui en 1650, dans ses Observations sur la langue française, notait que le bon usage était « la façon de parler de la plus saine partie de la Cour, conformément à la façon d’écrire de la plus saine partie des auteurs du temps. » Il entendait proscrire le « gascon », comme on appelait uniformément tous les patois, et les bizarreries et créations verbales osées par certains littérateurs. En 1650, le « bon français » est parlé par cent mille personnes, tout au plus, sur 12 millions d’habitants. Aujourd’hui, quel serait le pourcentage de gens s’exprimant avec une vraie correction, sur 67 millions de Français ?

Il s’agissait donc de décomplexer les nouveaux arrivants en Sixième, en baissant drastiquement le seuil d’exigences. Un exemple entre mille : le mot « rédaction » disparaît des programmes, replacé par celui d’« expression écrite », qui est tout autre chose. L’oral, en bon français, est encore de l’écrit. Mais l’expression écrite suggère d’inverser les termes, de façon à faire de l’écrit un mime de l’oral le moins maîtrisé. À terme, c’est la prépondérance du « français banlieue » dont nous voyons aujourd’hui la déferlante. La montée en puissance, dans les années 1960, de la linguistique dans les études universitaires explique les choix faits par la commission — et les options ultérieures. La linguistique saussurienne met en avant la communication, considérée comme la principale fonction du langage. Et la linguistique transformationnelle chomskienne, qui déboule à l’orée des années 1970, explique les délires de « génétique de la langue » qui amèneront des maîtres un peu dépassés à imposer aux élèves des « arbres » germinatifs et génératifs censés expliquer le fonctionnement de la phrase.

À lire aussi, Sylvain Quennehen : École: l’habillement généreux d’une démission civilisationnelle

Atout supplémentaire et non négligeable pour les idéologues qui s’imposent alors : les parents, peu au fait du langage et du fonctionnement de ces modèles linguistiques, ne pourront pas aider leurs enfants — ce qui égalise les chances, paraît-il. De même les « maths modernes » sont incompréhensibles pour des « géniteurs d’apprenants » qui avaient appris les maths « à l’ancienne ». Et parmi les méthodes d’apprentissage du Lire / Ecrire, la méthode dite « idéo-visuelle » (improprement appelée « semi-globale », elle consiste à associer une image et un mot) est préférée au B-A-BA qui avait fait ses preuves depuis deux siècles, parce qu’elle permet aux classes défavorisées d’augmenter rapidement leur sac de mots — sac que les privilégiés avaient empli en famille. Le souci permanent, en ces années réformatrices, est l’égalisation des conditions — ce qui ne fera que renforcer leurs différences.

Un plafond de verre… opaque

Parce qu’il faut être clair. En se livrant à cette inversion des valeurs, le ministère choisissait, sous prétexte de « démocratisation », la mise à l’écart des Français appartenant aux couches les plus populaires, et préservait ceux qui étaient issus des classes les plus favorisées. Si l’on cesse d’apprendre le « bon » français à ceux qui n’en savent rien, on les condamne de fait à rester dans leur médiocrité, alors même qu’ils pouvaient s’en extraire. Sous prétexte d’uniformiser, on a réalisé ce qui, chez Bourdieu et Passeron, n’était encore qu’une prédiction : la conservation des « héritiers », leur « reproduction », et à terme la prédominance de la « noblesse d’Etat » telle qu’elle se perpétue à travers les grandes écoles — qui avaient pourtant permis, entre les années 1940 et 1970 au petit Bourdieu, fils de paysans ( et reçu à l’ENS-Ulm en 1951) et au petit Brighelli, de souche tout aussi humble (reçu à l’ENS-Saint-Cloud en 1972) d’aller au plus haut de leurs capacités. Les disciples de Bourdieu et Passeron (les Héritiers remonte à 1964, c’était l’actualité des membres de la commission Rouchette) ont œuvré en toute innocence, je préfère le croire, à contrarier les tendances lourdes dénoncées par les deux sociologues — et ce faisant, ils les ont renforcées. En 1972, la proportion d’élèves des Grandes Ecoles issus des classes défavorisées ne dépassait pas 10%. Elle est aujourd’hui, après tous les programmes de discrimination positive et d’aide aux boursiers, de moins de 2%.

Pourquoi ?

Parce qu’on a cessé de donner aux déshérités les codes du bon langage et de la culture bourgeoise (et si j’en crois Marx, il n’y en a pas d’autre, parce que la culture est celle de la classe au pouvoir : parler de « culture jeune » ou de « culture banlieue est une sordide plaisanterie). Parce que le plafond de verre qui les empêchait souvent d’accéder aux emplis supérieurs s’est opacifié. Et la décision de supprimer l’épreuve de culture générale dans divers concours a renforcé la sélection sociale : il faut être singulièrement ignorant de la langue pour croire qu’on ne repère pas instantanément, à sa façon de parler, un élève qui ne sort pas de la cuisse de Jupiter. La sélection sociale, qui était réelle, s’est renforcée dès lors qu’elle est devenue diffuse, et non sanctionnée par des épreuves spécifiques. On a lentement épuré le système de tous les exercices qui en constituaient l’ossature — ainsi la dissertation française, remplacée en 1998 par le « résumé-discussion », qui impliquait plus de technicité pure et moins de connivence culturelle.

La fabrique du crétin: La mort programmée de l'école

Price: 2,27 €

30 used & new available from

Tableau noir

Price: 12,00 €

32 used & new available from 1,91 €

C'est le français qu'on assassine

Price: 161,37 €

7 used & new available from 64,80 €

Trois électeurs LR en quête d’auteur

1
Premier tour des élections régionales et départementales à Cucq (Pas-de-Calais), 20 juin 2021 © Ludovic MARIN / AFP

Une mère de famille médecin en Vendée, un jeune flic d’origine algérienne en Seine-Saint-Denis, un vieux commerçant dans le Berry… Ils n’ont rien en commun, si ce n’est une certaine idée de la France et, pour la défendre, leur bulletin de vote. Petite sociologie fictive des électeurs républicains.


Marie-Anne L., 58 ans

J’ai toujours aimé la campagne par ici, quand je la sillonne en voiture : on est au milieu de nulle part et pourtant on est en France. Une France oubliée, mais pas oubliée à la manière de la France périphérique, celle des zones pavillonnaires. Non, c’est une France rurale qui a plutôt été oubliée par l’histoire. Je suis médecin généraliste dans les Mauges, qui fut un foyer de la chouannerie. On dit qu’il y aurait eu un chouan dans ma famille. Dans les Mauges, quand on veut aller en ville, on va à Angers, ou à Nantes. D’ailleurs, c’est à Nantes que mes trois enfants font ou ont fait leurs études.

Je soupçonne Aymeric, l’aîné, d’avoir traîné là-bas avec les zadistes. Je crois bien l’avoir entrevu, il y a quelques années, dans un reportage de France 3 Pays de la Loire sur une manif  à Notre-Dame-des-Landes. Je ne lui en ai pas parlé, quand il est revenu le week-end. Je n’en ai pas parlé non plus à mon mari, ça aurait gâché le repas du dimanche. Mon mari est un responsable des Maisons familiales rurales du Maine-et-Loire, une association d’établissements scolaires pour les élèves du secondaire qui vivent en internat et, en plus de leurs études, apprennent à être autonomes dans la vie quotidienne.

À lire aussi, Erwan Seznec : Et si c’était lui ?

Il faut dire qu’on est plutôt une famille de droite, c’est-à-dire que nous avons voté Giscard en 1981, deux fois Chirac en 1988 et 2002, et deux fois Sarkozy en 2007 et 2012. Nous sommes catholiques, nous pratiquons dans la mesure du possible. Je ne suis pas forcément à l’aise depuis quelques années dans l’Église. J’aime bien le pape François, mais je le trouve parfois naïf quand il prône l’accueil inconditionnel des migrants.

Comme médecin, je comprends ce qui pousse des femmes au drame de l’avortement, j’essaie de les accompagner du mieux possible. Mais comme croyante, je m’en veux. Ça a été la même chose au moment de la Manif pour tous. J’ai défilé à Paris, la première manif de ma vie. On l’a faite en famille, à Paris. Sauf, comme par hasard, mon aîné, qui avait soi-disant un devoir de maths à préparer.

En 2017, j’ai voté Fillon au premier tour. Mon mari aussi. Au second, j’ai fait confiance à Macron. Mon mari, lui, s’est abstenu parce qu’il n’aimait pas la manière dont Fillon avait été descendu en plein vol.

À lire aussi, Roland Hureaux : Régionales: se méfier de l’électeur qui dort

Aujourd’hui, je ne sais plus trop qui représente nos idées. Macron m’a déçue et pas seulement parce que je me suis retrouvée dans mon cabinet sans masques ou presque au début de l’épidémie. J’aime bien Bruno Retailleau, il est du coin d’ailleurs, mais il ne semble pas avoir le vent en poupe. Mon mari parle de voter Le Pen, je lui dis qu’à mon avis ce n’est pas très catho, de voter Le Pen. Et puis est-ce qu’il a regardé son programme économique ? Pourquoi pas Mélenchon, pendant qu’il y est.

Non, ce qu’il nous manque, c’est un parti de droite, comme avant. Les Républicains, ils sont encore plus perdus qu’un randonneur dans les Mauges sans carte d’état-major. Bertrand ou Pécresse, oui, pourquoi pas ? Mais si au second tour, c’est Le Pen contre Macron, je voterai blanc, comme mon mari la dernière fois. Je l’entends déjà me dire : « Tu vois bien, Marie-Anne, que j’avais raison… »

Malik B., 36 ans

C’est pas compliqué : la droite, je lui dois tout.

C’est pour ça que la voir dans cet état-là, franchement, ça fait de la peine. Moi, je suis arrivé en France à 9 ans. Mes parents avaient fui l’Algérie : les barbus massacraient tout le monde et l’armée massacrait les Barbus après les avoir laissés massacrer ceux qui n’étaient pas barbus. Vous me suivez ?

On s’est installés à Roubaix, où on avait déjà de la famille. Mon père a bossé dans un garage et ma mère a fait femme de ménage. On était huit à la maison. Roubaix, par moments, on aurait pu se croire au bled. Je suis allé à l’école publique, puis au collège. Les profs, ils faisaient ce qu’ils pouvaient mais parfois, c’était n’importe quoi. Il y avait des élèves, ils me faisaient honte. Toujours à foutre le bordel dans la classe et à emmerder les filles qui s’habillaient trop sexy. En plus, je n’ai pas trop aimé la prof de français en 6e qui nous parlait toujours de « notre culture » et qui nous faisait lire des contes et légendes d’Afrique, des choses comme ça. Moi, j’aurais voulu qu’on me parle de Molière et de Prévert.

Sinon, il y avait les conseillers d’orientation. Je m’en souviendrai, de ceux-là. Ils voulaient toujours m’envoyer dans des filières courtes malgré mon 14 de moyenne générale. Ils se disaient de gauche, pourtant, tolérants et tout. Mais un Arabe de Roubaix, ça ne pouvait faire qu’un bac pro, un BTS avec de la chance. Et c’était les mêmes qui dénoncent aujourd’hui le « racisme systémique », comme ils disent.

À lire aussi, Jeremy Stubbs : Le modèle BoJo: une solution pour la France?

Moi, j’avais envie d’être flic. Histoire de montrer qu’on n’était pas forcément d’accord avec tous ceux qui commençaient à se laisser pousser la barbe et à voiler les sœurs. Alors je me suis défoncé pour les études. J’ai eu mon bac, j’ai passé le concours de gardien de la paix. Là, j’ai rencontré un formateur, un lieutenant de police, qui m’a eu à la bonne. J’avais bon esprit, qu’il disait. Il m’a invité à des réunions de l’UMP. J’étais un peu nerveux. On m’avait dit que la droite, elle nous aimait pas : « Tu vas être l’Arabe de service, Malik ! » J’ai surtout rencontré des militants, à l’UMP, qui voyaient plutôt le futur flic que l’Arabe. Ça m’a fait du bien.

J’ai fait mes premières années de gardien de la paix, comme tous les jeunes sortis de l’école, en Seine-Saint-Denis, dans un commissariat de quartier. J’ai compris que ça allait mal, encore plus qu’à Roubaix. J’ai continué à militer à l’UMP, j’ai passé des concours internes. Un prof de droit que j’avais rencontré lors d’une réunion du parti m’a bien aidé. J’ai été nommé aux stups, à Lille. J’ai fait la campagne de Sarkozy. En voilà un qui avait tout compris sur l’insécurité, le mérite, le travail. C’est pendant sa campagne que j’ai rencontré ma femme, une militante aussi.

Les années ont passé, on ne peut pas dire que ça s’est amélioré. Les attentats, les mosquées salafs et les jeunes de plus en plus violents. Macron, il a fallu que je me force pour voter pour lui. J’allais pas voter Marine, quand même. Mais Macron, on voit bien que les gens, les vraies gens, il ne les connaît pas. Il les méprise même un peu. Et puis les gesticulations sur l’islamo-gauchisme, c’est de la poudre aux yeux. Rien n’est fait pour rétablir l’ordre dans la rue. C’est là que ça commence, l’ordre. Dans la rue, où on ne respecte plus la police et où on tue les collègues, pas dans les facs où ils discutent du sexe des anges.

À lire aussi, Jean-Paul Brighelli : Pécresse contre les Khmers

Depuis que Sarko est dans les choux, je vois bien que LR, ils ne savent plus où ils habitent. Il y a ceux qui parlent bien, comme Ciotti ou Wauquiez, et ceux qui parlent déjà comme Macron, les Estrosi et compagnie. Et puis Le Pen, elle ne nous déteste pas tant que ça, en fait. Je m’en suis rendu compte, par contraste, avec Zemmour. Lui, il est du genre à trouver que je ne suis pas un bon Français parce que j’ai appelé ma fille Fadila. Je ne vais sûrement pas m’en vanter, mais c’est décidé : pour moi, ça va être Marine aux deux tours.

Elle me rappelle Sarko, en fait.

Laurent Wauquiez, président LR sortant d’Auvergne-Rhône-Alpes, après sa victoire aux élections régionales, Lyon, 27 juin 2021 © KONRAD K./SIPA

Marcel N., 75 ans

S’il n’en reste qu’un, je serai le dernier. Le dernier gaulliste. Et bientôt le dernier commerçant de cette sous-préfecture du Berry qui ressemble à une ville morte parce que la commune a été vampirisée par les centres commerciaux sur la route de Châteauroux. Je suis fleuriste et si je bosse encore à mon âge, c’est que personne ne veut reprendre le magasin.

Tout le monde a beau se dire gaulliste, aujourd’hui, ça me fait bien rigoler. La droite, en France, c’était le gaullisme, et rien d’autre. Les autres, les centristes, depuis Lecanuet, ça ne jure que par l’Europe, quand ce n’est pas les États-Unis. « O.K. boomer », me dit ma petite-fille qui est conseillère municipale écolo. Je l’adore, mais qu’est-ce qu’on s’engueule ! Ça ne m’empêche pas de lui donner à chaque fois un bouquet de pivoines, sa fleur préférée, quand c’est la saison.

Je suis encarté à droite depuis toujours, ou presque. Et à jour de mes cotisations. À 21 ans, en 1965, quand j’ai voté de Gaulle, j’étais à l’UNR. En 1968, quand j’ai pris le train à Vierzon pour la manif du 30 mai, à Paris, j’avais une carte de l’UD-Ve. J’étais responsable local à l’époque de l’UDR quand j’ai fait la campagne pour Pompidou et c’est sous l’étiquette RPR que je me suis présenté, sans succès, aux municipales de 1977.

À lire aussi, Philippe Bilger : Primaire, Guillaume Peltier: ça secoue chez les LR!

Mais là, le cauchemar avait déjà commencé. L’élection de Giscard. La fin du gaullisme. En 1974, j’avais préféré Chaban et j’avais du mal à pardonner à Chirac son ralliement. Il s’est repris un peu le Grand, quand il a parlé du « parti de l’étranger » après avoir claqué la porte de Matignon. Mais c’était trop tard.

Quand on est fleuriste, on voit les fleurs arriver à chaque saison, le mimosa en février, les chrysanthèmes pour la Toussaint, les dahlias en septembre, mais à chaque saison, pour le gaullisme, c’était pire. Il ne fleurissait plus. J’ai applaudi le baroud d’honneur de Séguin à Maastricht, la manière dont le Grand a bouffé Balladur et ce traître de Pasqua mais Chirac, il a quand même voté oui aux traités européens, et ça, ce n’est pas pardonnable. La cerise sur le gâteau, c’est quand Juppé a créé un parti unique de la droite. L’UMP, puis LR. Là, c’était fini. Dupont-Aignan, j’y ai pensé mais j’ai toujours été loyal au chef. Bête et discipliné. Et j’ai bien fait : Dupont-Aignan, il a quand même rallié Le Pen en 2017 et j’ai eu honte. Je vis peut-être sur des schémas du passé mais bon, le FN, ça s’est quand même construit sur la haine du général autant que du communisme.

Alors maintenant ?

J’irai voter Bertrand, sans illusion. Lui, il dit encore parfois qu’il est gaulliste social. Allez savoir : si la graine est encore là, le regain est toujours possible…

Parole de fleuriste.


Vivonne

Price: 22,00 €

33 used & new available from 3,76 €

Le Bloc

Price: 9,00 €

28 used & new available from 2,29 €

Lou, après tout : Le Grand Effondrement

Price: 16,95 €

37 used & new available from 2,47 €

Lou, après tout, tome 2 : La Communauté

Price: 17,95 €

24 used & new available from 3,99 €

Lou, après tout : La bataille de la Douceur

Price: 17,95 €

22 used & new available from 3,98 €

Norlande

Price: 6,95 €

19 used & new available from 2,69 €

Subtilités japonaises

0
Image d'illustration Unsplash

Le billet du vaurien


Il faut avoir vécu au Japon pour saisir que la langue japonaise, à l’opposé de toutes les autres, est faite pour couper court à la communication verbale. Il importe de laisser parler le néant et, surtout, de parvenir à transmettre ses pensées sans les dire. Comme dans les haïkus. Plus c’est bref, plus c’est profond.

À cet égard, Kierkegaard est très japonais quand il suggère qu’il convient de s’introduire comme un rêve dans l’esprit d’une jeune fille. Le grand art consiste à en sortir sans même l’éveiller. Avouerai-je que ne n’y suis jamais parvenu ?

Ce poème Zen de Sekishitsu que j’apprécie particulièrement, permettez-moi de le partager avec vous :

« Pendant soixante trois ans
Cette vieille bête maladroite 
S’est tirée d’affaire.
Et maintenant, pieds nus, 
parcourt le vide…
Quel non-sens ! »

À lire aussi, du même auteur : Les femmes se sentent-elles vraiment opprimées?

Poème auquel dans un dernier chuchotement, il serait loisible de répondre : 

« La vie est comme nous l’avons trouvée 
La mort aussi.
Un poème d’adieu ? 
Pourquoi insister ? »

Longtemps, quand une femme mourait, on offrait ses vêtements au monastère bouddhiste qui en faisait des bannières : les kimonos flottaient au vent de l’impermanence, concentrant dans leurs plis gracieusement macabres toute la poésie des métamorphoses et des métempsycoses par lesquelles une amante, même morte, peut rester éternellement belle et désirable. Une femme disparaît, elle se réincarnera ailleurs, mais son vêtement vide symbolise ce qu’il y a de plus précieux en elle : son absence. Car c’est absente que l’homme l’aime pour mieux la rêver. 

On danse sur quoi cet été?

0
Image d'illustration Unsplash

De la Funk française, sirupeuse et débonnaire ou du slow subversif dont l’objectif estival est de (re)coller les corps.


C’est l’amoureux des belles lettres qui vous parle. L’esthète du cabriolet et des discothèques. Il y a dans ces quelques mots lâchés au creux de la piste, messages balnéaires ou dragues foireuses, plus de littérature que dans les derniers goncourables. Plus d’esprit aussi et de dérision. Une hauteur de vue sur les relations d’un soir ; une mélancolie salutaire en ces temps de glaciation idéologique.  

De l’âpreté du vocabulaire choisi, cet uppercut direct qui touche le bas ventre et qui ne s’encombre pas d’un progressisme fielleux, les paroliers d’avant s’inscrivaient dans le registre de l’émotion parlée, chère à un vieil atrabilaire meudonnais. Comme chez Chardonne, la simplicité et une certaine rudesse dans le tempo n’étaient pas exemptes d’une profondeur désespérée.

La Funk française ou l’école de la liberté

La Funk française des années 70-80 mériterait une analyse plus fine afin de déceler dans son style, sorte de libertinage assumé, toutefois assombri par les crises en gestation, les ferments d’une société aujourd’hui disparue. L’aigreur n’avait pas encore emporté les cœurs. Les passions tristes n’étaient pas une rente de situation pour des éditorialistes désœuvrés. L’amour sur la plage et le topless, la crème solaire et les nuits chaudes, les corps déliés et les clubs privés étaient le meilleur moyen pour la jeunesse de ce pays d’échapper à la technostructure et au spectre du CDI.

À lire aussi, du même auteur : On lit quoi cet été?

Il faut entendre cet appel à danser comme le dernier témoignage d’une communauté en voie de désagrégation. La Funk française est une école de pensée et de liberté. Des nouveaux (véritables) philosophes dont nous avons été incapables de reconnaître la mission émancipatrice. À cette mini-sélection, j’ai ajouté deux grands classiques, plus récents, le swing désenchanté de Guy Marchand et l’hyperbole mammaire de Valérie Lemercier. Écoutez et réparez enfin les vivants !    

Maya – Lait de coco – Marina Media

Elle était allongée sur la plage
Nue sur le sable chaud
Et le vent, le vent tournait les pages
De son San-Antonio
J’arrivais dans ma décapotable
Beau minet, belle bagnole
Gomina, Ray-Bans, look impeccable
De quoi la rendre folle

L’ombre des oiseaux caressait sa peau
Elle bronzait au lait de coco
L’ombre des oiseaux caressait sa peau
Elle bronzait au lait de coco

Laurie Destal – Frivole de nuit – RCA

Y’a plus de bébé, frivole de nuit
Le vague à l’âme, c’est pas pour aujourd’hui
Plus de discours ni de sanglots
Je te quitte c’est déjà trois mots de trop
Les gens nous blessent bien plus souvent
On va pas faire du sentiment
Et je claque, slam ! la porte en sortant
Comme ça bébé, oh, tu m’en voudras vraiment
Bébé est-ce que t’es folle ?
Tu dérailles, tu décolles
Trop belle
Trop jeune et trop frivole
Bébé, suspens ton vol
Laisse les vieux rock’n roll
Et aime

Serge Delisle – Germaine – RCA

Germaine,
T’as la nouvelle chaîne couleur et tu frimes dans ton auto,
Comme la reine des mégalos
Tu me prends comme gigolo, rêveur
Germaine,
Tu habites à la Madeleine
Tu ne connais pas ta veine
Tout ce que tu désires facile
T’as qu’à lever le petit doigt pour que j’accoure
Tranquille
Germaine,
T’es jeune belle et riche
Et tous les hommes vantards
Rêvent à tes grands yeux de biche
Tu les blouses comme des homards
Et tu te marres
Ringard

Pino d’Angio – Ma Quale idea – Mais quelle idée (version française) -Flarenasch /WEA

Dans une super discothèque
Avec mes beaux yeux de reptile
J’ai accroché une minette
Au regard profond débile
J’ai commencé à lui faire
Mon fameux roulis des hanches
Fred Astaire en pleine forme
Devant ce truc a l’air d’un manche
Et par un baiser farouche
Je lui ai fermé la bouche

Déchaînée par la musique,
Excitée par mon physique,
Elle m’a donné la réplique
Dans son numéro sadique
Sans me passer la pommade
Un ou deux rocks et trois ballades
Je l’avais rendue malade
J’en ai fait de la marmelade

Guy Marchand – Ouvrier de l’amour – EMI

Ouvrier de l’amour
O.S. en caresses
Ouvrier de l’amour
Spécialiste en femmes tristes
Je suis ton équipe de nuit
J’pointe à minuit
Expert pervers, je fais
Des heures supplémentaires

Valérie Lemercier chante – 95 C – Tricatel

95 C…
Plus la peine de s’effacer
Ma croissance est terminée
Pour moi tout peut commencer
95 C…
Mais c’est mon année,
Madame Soleil l’avait prédit
Elle a influencé ma destinée
95 c’est mon tour de
Faire des étincelles
C’est mon numéro sacré

Passe sanitaire: le Conseil constitutionnel a joué son rôle

0
Conseil Constitutionnel, Paris, mars 2017 © Witt/SIPA Numéro de reportage : 00800792_000018

En validant la loi autorisant le premier ministre à subordonner l’accès à certains lieux, le Conseil constitutionnel est resté dans son rôle : celui de contrôler le législateur plutôt que de s’y substituer. L’avis d’un juriste…


Sans surprise, le Conseil constitutionnel a validé l’essentiel de la loi relative à la gestion de la crise sanitaire, mettant en place le fameux passe sanitaire. À la marge, il censure néanmoins les dispositions autorisant la rupture du contrat de travail pour les salariés en CDD et le dispositif créant une mesure de placement à l’isolement automatique pour les personnes faisant l’objet d’un test de dépistage positif à la covid-19 (c’est-à-dire sans qu’une décision individuelle, administrative ou judiciaire, ne les contraignent).

À lire aussi, Gabriel Robin : Passe sanitaire: une hystérie calculée?

La décision rendue n’est pas surprenante, elle est cohérente avec la jurisprudence traditionnelle du Conseil constitutionnel et conforme au rôle qui est le sien, celui de contrôler le législateur et non de s’y substituer.

Le Conseil constitutionnel a estimé, à juste titre, que le législateur, expression même de la souveraineté nationale, disposait d’un pouvoir d’appréciation sur la réalité de la situation épidémique et qu’il appartenait aux représentants du peuple de concilier l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé et le respect des droits et libertés reconnus à toutes les personnes qui résident sur le territoire de la République.

On ne pouvait pas attendre une décision politique de la part d’un juge

Le Conseil constitutionnel a statué en droit, sa décision n’est pas politique et ne pouvait pas constituer le match retour du débat parlementaire. D’aucuns déplorent qu’il n’ait pas joué un rôle de contrepouvoir, mais il n’avait pas à le faire, nous sommes en démocratie, pas dans le gouvernement des juges.

Une démocratie ne fonctionne pas par un assemblage d’individus centrés sur leurs propres intérêts, mais elle procède d’une collectivité de citoyens œuvrant pour le bien commun. Les grands principes naturels et universels ne sauraient s’appliquer au détriment de l’expression de la souveraineté nationale et en dépit de tout pragmatisme.

La Constitution garantit des libertés individuelles, certes, tout comme elle consacre les principes :

  • que « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres Membres de la Société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la Loi », exprimé à l’article 4 de la Déclaration de 1789 ;
  • la protection de la santé par l’Etat à l’article 11 du Préambule de la Constitution de 1946.

La loi relative à la gestion de la crise sanitaire a posé les bornes à l’exercice des libertés et concourt à la protection de la santé. Elle est donc constitutionnelle.

L’équilibre entre les libertés conditionné au risque de surcharge du secteur hospitalier

En matière de libertés, tout bon juriste doit se poser trois questions, la mesure est-elle nécessaire, adaptée et proportionnée à l’objectif qu’elle poursuit.

Assurément la loi instaurant la possibilité de mettre en place un passe sanitaire l’est et il ne pouvait en aller autrement.

Sur la nécessité, le Conseil constitutionnel a laissé, comme le droit le prévoit, une marge d’appréciation au législateur. Il s’est simplement contenté de vérifier que le Parlement s’était appuyé sur deux avis du conseil scientifique des 6 et 16 juillet dernier. Nous savons depuis près de deux ans ce qu’est une épidémie et ce qu’impliquent les rebonds, la trajectoire exponentielle des courbes et le décalage entre hausse des contaminations et hausse des admissions en réanimation. La vérité du mois d’août n’est pas celle du mois de septembre et le risque de surcharge de l’hôpital existe. On pourra seulement regretter la précipitation issue de la déclaration du 12 juillet 2021 pour un phénomène, le rebond épidémique, largement prévisible.

Sur la question de l’adaptation de la mesure, on pourrait douter de l’efficacité sanitaire réelle du passe, car un QR code n’a jamais empêché un virus de circuler. Pour autant, en tant qu’il constitue une incitation à la vaccination – certes le vaccin n’empêche pas la transmission mais il limite fortement le risque de surcharge des hôpitaux-, ce dispositif apparaît adapté pour répondre à la menace.

Enfin sur la question de la proportionnalité, il faut bien reconnaître que l’introduction d’un tel dispositif ne doit pas être considérée comme une simple formalité. Il s’agit ni plus ni moins de la mise en place d’un laisser-passer pour les actes de la vie courante. Il ne peut donc être viable que s’il est accompagné de garanties, en particulier que le dispositif de contrôle ne s’accompagne pas d’un recueil de données personnelles et qu’il soit strictement délimité dans le temps. Il l’est jusqu’au 15 novembre 2021.

Au demeurant, un tel dispositif consistant à présenter un QR code est bien plus supportable et nettement moins liberticide qu’un confinement généralisé, une obligation d’auto-attestation, des couvre-feux à répétition ou des fermetures de commerces dits non essentiels.

Le mauvais sujet de la discrimination

Un milliard de vaccinés dans le monde et la distribution du vaccin dans tous les pays, démocraties comme dictatures, républiques comme monarchies, devrait suffire à évacuer la question du « manque de recul » trop souvent alléguée pour justifier un manque de discernement.

Toutes les mesures sanitaires prises depuis mars 2020 caractérisent une précaution sanitaire extrême qui serait contradictoire avec la diffusion massive d’un vaccin considéré à risque. Manifestement, il vaut mieux attraper le vaccin que le virus.

L’institution d’un passe sanitaire constitue-t-elle une mesure discriminatoire ? Objectivement oui, car elle crée deux catégories de citoyens avec comme discriminant l’état de santé, en principe prohibé.

À lire aussi, Nesrine Briki : Le passe sanitaire, la pensée magique en application

Pour autant, le risque de rupture d’égalité doit être considéré comme étant un mauvais débat ; tout bon juriste sait que ce principe connaît des tempéraments à commencer par celui tiré des différences de situations appréciables entre les individus. Certains plus que d’autres, en étant davantage exposés aux formes graves de la maladie, risquent de contribuer à la surcharge du système hospitalier.

Il n’existe ni discrimination ni stigmatisation dès lors que l’Etat fournit facilement et gratuitement le vaccin. Par un choix libre et éclairé, la personne non vaccinée peut assumer ses propres responsabilités.

Que l’on sorte enfin de cette crise et de l’état d’urgence permanent

Bien évidemment, il ne faut pas voir le passe sanitaire comme l’outil miracle ou refuser de considérer que ce dispositif crée de fortes tensions.

J’ai l’humilité de penser que le passe sanitaire est décrié pour ce qu’il révèle -une situation sanitaire épuisante- plutôt que pour ce qu’il n’est pas, un dispositif liberticide.

L’exaspération est parfaitement légitime, en particulier au regard de la gestion de la crise : une parole publique dégradée (contradictions permanentes sur les masques, les vaccins, le passe sanitaire, et un président en t-shirt sur Tik-Tok) ; un bricolage de mesures alambiquées et incompréhensibles (distinctions des commerces essentiels et autres, masque à l’extérieur même lorsqu’on est seul, rayons de 10 km autour de chez soi et auto-attestation) ; un goût immodéré pour les procédures opaques (l’Etat d’urgence permanent, Conseil de défense).

Cela ne fait pas pour autant du passe sanitaire le symbole de l’arbitraire et ne justifie pas de faire exagérément pencher la balance du côté des libertés individuelles au détriment de l’intérêt général.