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Régionales: se méfier de l’électeur qui dort

Les cartes ne sont pas tant rebattues que ça


Régionales: se méfier de l’électeur qui dort
Laurent Wauquiez, réélu président de la région Auvergne-Rhône-Alpes, célébrant sa victoire au Selcius, à Lyon, 27 juin 2021 © KONRAD K./SIPA Numéro de reportage : 01025716_000018

Il serait hasardeux de tirer des conclusions des élections régionales pour les appliquer à la prochaine présidentielle.


Le club des sortants

Le premier vainqueur des élections régionales et départementales, c’est le club des sortants. Tous les présidents de région sont réélus en métropole, aucune (hors la Réunion) n’a vu sa majorité basculer. Comment s’en étonner ? La région ne sert qu’à distribuer de l’argent aux départements, aux communes, aux entreprises et aux associations. C’est même par elle que transitent les crédits européens (la fameuse «Europe des régions»). Le président de région n’a presque aucun de ces pouvoirs régaliens qui pourraient faire des mécontents : police de la circulation et du stationnement, urbanisme, gestion des innombrables problèmes de proximité [1]. C’est essentiellement le maire et le préfet qui se chargent de ces tâches ingrates. La fiscalité régionale, mêlée aux autres, passe inaperçue.

Les opposants au système ont compris que, pour effectuer un vrai changement, les élections régionales ne servaient à rien

Au départ, les régions avaient des compétences stratégiques : aménagement du territoire, action économique (très limitée par les règles anticoncurrentielles de Bruxelles), formation professionnelle, plus les lycées et, de fait, l’enseignement supérieur. Mais les conseils régionaux ont voulu se rapprocher du terrain multipliant, en concurrence avec les conseils départementaux, les petites enveloppes destinées aux communes, finançant ici un cinéma, là le toit d’une église, là un terrain de football, etc. Toutes opérations plus clientélistes que stratégiques. Comment ne pas dire alors merci aux présidents en place ? Il n’était donc pas facile de battre un sortant. Et personne ne l’a fait.

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Au point qu’on s’interroge de plus en plus sur l’utilité d’une structure coûteuse qui fait souvent double emploi avec les départements et l’Etat : on évoque le retour à l’élection indirecte par les entités locales sur un format plus réduit, soit la suppression pure et simple de la région.

Une abstention logique

L’autre vainqueur, ce sont les abstentionnistes : près des deux tiers du corps électoral. Elle s’explique aussi.

Ne nous y trompons pas : le rejet de la classe politique et du système, dans les profondeurs du peuple français, est violent. Les ténors issus des Républicains, brillamment réélus, Bertrand, Pécresse, Wauquiez auraient tort d’imaginer que les électeurs, assagis, seraient revenus au bercail du « cercle de raison », à un centre droit à l’identité plus incertaine que jamais.

Il ne sert à rien de faire le procès des hommes politiques ; c’est la ligne (ou l’absence de ligne) des partis du courant principal, qui est en cause. Ils semblent ne plus faire qu’appliquer des décisions prises au niveau international (OMC, OMS, GIEC, OTAN, OCDE) ou continental (CEDH), la commission de Bruxelles n’étant qu’un rouage exécutif. Cette politique mondialisée, les Français n’en perçoivent pas toujours l’origine, mais ils l’abhorrent et voient qu’aucun politique français n’est assez courageux pour la remettre en cause. Ce rejet peut s’exprimer électoralement de deux manières : le vote de rupture ou l’abstention. C’est celle-ci qui a été choisie aux régionales. Très intelligemment, les opposants au système ont compris que, pour effectuer un vrai changement, les élections régionales ne servaient à rien.

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Ceux qui sont allés voter, les raisonnables et les obéissants (on les dit plus instruits, les fameuses CSP +, mais ils comprennent aussi beaucoup de personnes âgées de niveau modeste) ont voté comme on votait il y a cinquante ans : gauche /droite. Habitués à ce monde, ils sont moins portés aux ruptures. Mais, dans un autre contexte, par exemple lors d’un second tour de présidentielle serré entre des options antinomiques, comme ce fut le cas récemment aux Etats-Unis, il ne faut pas exclure que cette masse qui semble aujourd’hui assoupie (et comprend le plupart des jeunes) se réveille, et cela pour «casser la baraque», faisant le choix de la rupture, surtout si le candidat des forces dominantes reste Macron dont l’élection a montré l’usure.

Pas de figure de référence

Une telle rupture supposerait qu’il y ait une figure de référence. Mais Marine Le Pen sort elle aussi affaiblie de ces régionales, malgré la mise en avant de ralliés crédibles comme Garraud, Mariani, Juvin. Son recul général ne s’explique pas seulement par l’abstention. Ont aussi joué une campagne peu imaginative, axée sur le seul thème de la sécurité (dont la demande qui ressort des sondages n’est que l’expression d’un malaise beaucoup plus profond), les efforts de dédiabolisation (sur l’Europe, sur le covid etc.) qui laissent de moins en moins espérer d’elle une vraie rupture, une politique interne qui a conduit à mettre à l’écart un peu partout les militants éprouvés au bénéfice de jeunes apparatchiks sans attaches locales, entrainant la désorganisation de beaucoup de fédérations. Mais comme disait Sieyès, en politique, on ne supprime que ce qu’on remplace et pour le moment, M. Le Pen n’est pas remplacée.

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La gauche, depuis longtemps à la remorque d’un mondialisme honni, est, malgré les gesticulations pathétiques de Mélenchon, encore moins en mesure d’offrir une alternative. La stagnation générale de notre paysage politique qui ressort de ces élections est en décalage total avec l’immense malaise qui est celui de la France d’aujourd’hui. Dans un tel contexte, toute initiative qui pourrait faire bouger les lignes est désormais bienvenue.


[1] Il est d’autant plus paradoxal que tant de candidats aient fait campagne sur la sécurité sur laquelle la Région n’a aucune prise.

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est essayiste.

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