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« À l’abordage » de Guillaume Brac: l’été en pente molle

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« À l’abordage » de Guillaume Brac: l’été en pente molle
Guillaume Brac, Salif Cisse, Edouard Sulpice et Eric Nantchouang à Cabourg en 2020 © Sameer Al-DOUMY / AFP.

« À l’abordage » ressemble à un Rohmer woke assez pénible présentant un trio de célibataires. Actuellement sur arte.


Un point d’entrée contemporain du dernier film de Guillaume Brac est l’examen des privilèges, ce concept woke qui va déterminer le traitement des personnages principaux. Trois jeunes hommes partent A l’abordage du désir et des vacances, réunis à la faveur d’un blablacar. Ils échouent dans une Drôme estivale où Alma, magique flirt d’un soir, n’attend pas son amoureux déjà transi. Mais détaillons le trio :

– Félix (Eric Nantchouang) est souriant et entreprenant, avec une musculature conséquente mais  il est célibataire, noir et simple aide à domicile pour personnes âgées.
– Chérif (Salif Cissé) est réservé et empathique mais aussi célibataire, noir, magasinier et de corpulence XXL ; il ne se baigne jamais, arguant d’otites qui l’en empêcheraient (le spectateur avisé aura compris qu’il est mal dans son corps et ne veut pas l’exhiber.)
– Edouard (Edouard Sulpice) est un étudiant blanc et aisé mais lui aussi célibataire et pourvu d’une mère possessive qui l’appelle « Chaton », ce que les deux premiers découvrent à la faveur d’une conversation téléphonique sur haut-parleur d’où la naissance d’un peu glorieux surnom.

On voit que le point commun des trois – le célibat – s’accompagne de grandes disparités dans la caractérisation. Le plus privilégié est Edouard – à qui sa mère a prêté sa voiture pour qu’il la rejoigne dans leur résidence avec piscine -, le moins privilégié est Chérif, bon pote à la remorque de Félix, celui-ci se situant entre les deux et impulsant le récit par sa quête de l’amoureuse.

Des femmes caricaturales

Si les hommes sont à peu près correctement définis, on ne peut en dire autant des femmes toutes manquées par le film, de la jeune mère délaissée avec bébé qui va se rapprocher de Chérif à celle par qui le voyage arrive, Alma, dont l’actrice qui l’interprète semble avoir pour but d’être encore plus insupportable que Gwenaëlle Simon, l’amoureuse hystérique de Melvil Poupaud dans Conte d’été.

Brac, à qui le Conservatoire national supérieur d’art dramatique a passé commande, essaie de dresser un portrait de la jeunesse contemporaine, demandant aux jeunes comédiens de nourrir les personnages de leur expérience, quitte à s’en démarquer. Cet appel d’air du réel aboutit à un naturalisme à peine décanté, une sorte de ligne claire à la fois sage et flottante où les dialogues en français de synthèse sonnent plus vrais que nature, indisposant par leur médiocrité.

Une fois parvenus à destination, la structure faussement lâche répartit les groupes en deux camps – les vacanciers, la bande d’Alma – tout en ménageant des oppositions internes susceptibles d’évoluer (les deux autostoppeurs contre Edouard, Alma contre sa cousine). Rapidement, l’impression de naturel s’estompe et l’écriture devient extrêmement visible. Les saillies de réel à la Rozier cèdent le pas au tout-venant de la dramaturgie classique, de l’aparté de théâtre revu et corrigé – Chérif déclarant sa flamme au bébé de son béguin – aux rivalités entre jeunes coqs, avec bagarre en acmé d’une descente en canyoning.

Le vilain, c’est le mâle alpha

Comme toute l’œuvre au mieux insignifiante de Guillaume Brac, A l’abordage est une fiction compensatoire qui rétablit dans leurs droits des spécimens de virilité déficiente. Pour mener cette tâche à bien, le réalisateur doit désigner un vilain – le mâle alpha – et le faire descendre de son piédestal. À l’abordage se distingue d’Un monde sans femmes ou de l’ignoble Tonnerre, par la présence de deux mâles alpha au lieu d’un seul, un moniteur de camping pas fût-fût qui sera maté par une femelle alpha, et Félix qui a initié la fiction. Insensiblement, Brac va déporter son regard de l’infirmier sanguin un peu trop sûr de lui vers Chérif, dont la masculinité en jachère correspond mieux à ses standards. Ce cinéma d’éternel puceau qui chope à la fin contourne le thème du consentement en laissant aux femmes le choix d’élever à leur hauteur le marigot masculin qui s’agite plus bas. Le point d’orgue avant la conclusion heureuse est ménagé par une séquence de karaoké – à peu près, la 10 000ème qu’on ait vue depuis vingt ans – où, alcool et fumette aidant, les résistances vont céder. 

Notons bien qu’au final, le pseudo-conte rohmérien de Brac a redressé les torts et redistribué les privilèges : l’outsider – Chérif – a triomphé du favori – Félix à qui est quand même offert, à la toute fin, l’accessit d’une intermittente du spectacle certainement leste de la cuisse. Pour sa part, Edouard n’aura jamais été considéré comme un concurrent sérieux à la drague, puisque Brac lui donne comme mission de couper le cordon avec sa mère et de réparer la voiture qu’il a emboutie ; il va donc se refaire une virginité, qu’il n’a probablement jamais perdue, en découvrant les joies du sous-prolétariat, un travail au camping où il va récurer les chiottes – chacun trouve la féminité où il peut… Par une perversité très woke, c’est Edouard, le puceau mal regardé, qui aura porté le seul mauvais coup dans la bagarre générale, en s’en excusant toutefois. On voit qu’il est impossible pour Brac de figurer des noirs blessant des blancs, sous peine évidemment de « faire le jeu de » etc. Choisir deux héros issus de la diversité n’implique pas de créer de vrais personnages complexes et humains, mais de remplir les cases de la justice sociale dans une déclaration d’intention à quoi on peut désormais résumer le cinéma français.

Infantilisation généralisée

Cette soumission aux interdits de représentation contemporains confirme l’infantilisation généralisée des personnages dans l’Abordage. Au tout début, Chérif qui doit obtenir un congé de son directeur pas commode invente, moderne Antoine Doinel, le décès de sa grand-mère comme raison impromptue, et l’autre le lui accorde avec un laïus indiquant qu’il n’est pas dupe. Il est attendu de nous, spectateurs, que nous soyons aussi bienveillants que le patron, devant ce film gentil, prévisible et télévisuel qui nous attend.

On va dire que c’est raté…

À l’abordage (Guillaume Brac, 2021)
Sur le site d’Arte jusqu’au 26 juin




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