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Europe: de la vertu qui rend petit

Après la publication, vendredi dernier, de la stratégie de sécurité nationale version MAGA de Trump, les Européens constatent avec effroi que le nouveau président américain ménage effectivement Moscou et s’indignent de la place qui semble leur être réservée dans le nouvel ordre mondial. Alors que la géopolitique issue de l’après-1945 est bouleversée par l’isolationnisme américain et l’attitude belliqueuse de la Russie, une Europe tétanisée et féminisée n’est capable de réagir que par une crise de nerfs, observe notre contributeur.


Face à l’intensification récente des discussions entre les Américains et les Russes pour aboutir à un accord de paix avec l’Ukraine, les Européens ne l’entendent pas de cette oreille et tentent d’imposer leur vision d’une paix impossible.

L’Europe a fendu l’armure. Elle est devenue cette étrange mégère qui couche son âme rancunière sur le divan de la morale. Son réarmement militaire se déploie dans le lit d’un ressentiment désordonné. Confrontée à la fin du glacis protecteur américain, l’Europe s’égare dans une sentimentalité toute fragile : elle casse des assiettes, s’agite dans tous les sens, condamnant tour à tour tous ceux qui seraient opposés à ses « valeurs ». 

Or les valeurs de l’Europe sont malades. Elles reposent sur une interprétation pathétique et épuisée de la réalité. « La morale est aujourd’hui en Europe une morale de troupeau », disait déjà Nietzsche, au XIXème siècle…

En boucle, on scande que la Russie serait à nos portes, on s’invente des ennemis illusoires, on se trompe de cible, on se trompe d’origine. « Il faut mettre en question la valeur même des valeurs morales », assénait Nietzsche. Nos valeurs égalitaristes, pudibondes et aplanissantes, celles qui prônent la faiblesse en archétype de la vie, ont triomphé. Ce qui est à l’œuvre aujourd’hui, c’est le couronnement de l’Europe tétanisée et féminisée.

L’hystérie européenne 

Cette situation géopolitique européenne n’est autre que le produit d’une physiologie particulière: celle d’un corps où l’idéal ascétique demeure le credo de la vie. La bienveillance éternelle exercée en mantra du vivant est la phase terminale d’une civilisation occidentale à bout de souffle et à bout de nerfs. Une vie vécue à l’aune dela curatelle du médecin, d’un corps fatigué, incapable d’agir autrement que par la faiblesse, forme sublimée du renoncement à soi. Mais quelle est la Sainte-Trinité des valeurs européennes ? Paix, Pitié et Compassion ! La paix idéalisée entretenue par une hystérisation des discours martiaux; la pitié à tout prix qui conduira à la mort; la compassion à tout prix qui conduira à la haine. Voilà où nous en sommes. Voilà ce que l’on martèle dans toutes les têtes européennes, relayé en grande pompe par les médias et l’ensemble des grandes institutions du monde occidental.

Alors que les tractations entre Vladimir Poutine et l’administration américaine se sont intensifiées ces dernières semaines pour tenter de trouver une issue à la guerre, les Européens semblent se refuser à tout compromis, à toute volonté de résolution du conflit. Ils ne raisonnent plus à partir de réalités mais d’idées abstraites. Ils sont prêts à falsifier le réel ; à créer l’illusion dangereuse que la Russie serait à nos portes d’ici trois ou quatre ans alors qu’elle avance péniblement sur le front ukrainien. En trois ans, la Russie n’a même pas été en mesure de conquérir le Donbass. Mais l’Europe n’a que faire de la réalité. Elle semble préférer poursuivre la guerre tant que son idéal de paix juste n’est pas accompli. Qu’importe les morts, qu’importe les réalités du terrain, qu’importe l’Ukraine, il faut d’abord et avant tout que sa morale triomphe coûte que coûte pour que le chemin d’une paix puisse se dessiner. 

Paralysie de la pensée

Les Européens ne savent plus réagir que par l’angoisse. Une angoisse fantasmée qui leur permet de tout légitimer même les irréalités les plus folles. La distance, la perspective, la nuance, et le recul historique ont littéralement disparu des discours. En 1948, Albert Camus publiait un article intitulé « Le siècle de la peur » où il soulignait qu’« entre la peur très générale d’une guerre, que tout le monde prépare et la peur toute particulière des idéologies meurtrières, il est donc bien vrai que nous vivons dans la terreur (…) Pour sortir de cette terreur, il faudrait pouvoir réfléchir et agir suivant la réflexion. Mais la terreur, justement, n’est pas un climat favorable à la réflexion ».  

A chaque tentative de discussion entre Trump et Poutine, que font les Européens ? Ils s’indignent, accusant les uns d’être poutinophiles, les autres d’être trop complaisants avec la Russie, suspectant chez tous ceux qui daignent réfléchir une forme d’intelligence avec l’ennemi ! Mais « un homme indigné est un homme qui ment », rappelait Nietzsche. Une gesticulation morale en vue de séparer le monde en deux camps : les « méchants » et les « gentils ». Au diable Trump et Poutine ! L’Europe adoube son nouveau roi de miséricorde : Volodymyr Zelensky, le supplicié, le courageux, le martyr, le valeureux. Elle s’unit dans la faiblesse pour mieux recréer les conditions de sa force. L’Europe est lancée dans une nouvelle croisade. En prenant sa faiblesse pour de la force, elle nous conduit tout droit à la guerre des faibles. 

Mais… quelle bataille culturelle?

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La droite dit, enfin, vouloir se lancer dans la bataille culturelle. Reste à savoir comment elle compte la mener.


Depuis l’affaire de la « labellisation » de l’information, la droite hausse le ton et cite 1984 de George Orwell davantage qu’une copie de philosophie de lycée. Enfin ! Elle qui s’est contentée jusqu’à présent de rêvasser à la France d’avant Mitterrand, de revendiquer son droit aux délices pralinés de la nostalgie et de brandir son « pass culture » sépia – les châteaux de la Loire, Le Château de ma Mère et le pensionnat du Fond de l’étang des Choristes – la voilà qui se réveille. Ce n’est pas trop tôt.

« La bataille culturelle va être violente », annonce fièrement la droite, émergeant de cinquante ans d’hibernation. À la bonne heure. Mais de quelle bataille culturelle parle-t-on ? Pendant que la gauche-fourmi érigeait, pierre après pierre, un modèle cohérent (histoire mondiale de la France, géographie a-physique, littérature a-stylistique, arts visuels occidentaloclastes, cinéma convivial), la droite-cigale se moquait et, entre deux-trois envolées lyriques sur l’âme de la France coincée entre la merveilleuse Jeanne d’Arc et l’odieuse Révolution française, trouvait scandaleux le travail de sape de la gauche tout en continuant à envoyer ses enfants à l’école apprendre l’histoire de esclavage européen et la littérature jeunesse francophone.

A lire aussi: L’immigration, la science et les gardiens du temple médiatique

Pour qu’il y ait bataille culturelle entre une droite enfin déniaisée et une gauche gramscienne enfin déstabilisée, il faut un combat à armes égales. Faire du Gramsci de droite, en somme. Raymond Aron avait décidément raison : dans l’ordre de l’histoire, si on entend survivre, il n’y a pas d’autre moyen de résister qu’en montrant à ses ennemis politiques que l’on est capable des mêmes vertus qu’eux. Aujourd’hui, la culture dite de droite se résume, en gros, au point d’histoire de Philippe de Villiers et au point philo de Michel Onfray – lequel n’est d’ailleurs pas de droite mais que la droite a raison d’apprécier – rares moments stimulants de la culture non mainstream. La France crève pourtant d’historiens méconnus capables d’alimenter des débats inédits sur des thèmes squattés par la gauche (colonisation, décolonisation, esclavage, guerres de religions etc.), d’artistes contemporains insensibles à l’antifascisme parisien, d’écrivains ne parlant pas des migrants et de professeurs susceptibles de faire des cours sur autre chose que la misogynie d’Émile Zola dans Au Bonheur des Dames. À la droite d’aller les chercher et de leur donner l’espace médiatique requis. Puisque tout se joue là.

Il n’y aura pas de « bataille culturelle » tant que la droite continuera à considérer que sa culture est immémoriale, sacrificielle mais toujours vivace sous les toits des églises qui s’effondrent et entre les pages des Mémoires de guerre du Général de Gaulle que tout le monde s’arrache tel un totem de grandeur. La gauche a toujours su renouveler son délire de l’homme nouveau : après le camarade communiste et le citoyen du monde, elle a eu l’idée du perpétuel éveillé à la croisée de toutes les causes minoritaires. À la droite de proposer l’homme tout court, capable de reconquérir son héritage et, surtout, de le moderniser. Vaste programme. Et qui va demander beaucoup de travail.

🎙️ Podcast: Impuissance du gouvernement, entrisme islamiste à gauche, échecs et succès littéraires…

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Avec Céline Pina, Eliott Mamane et Jeremy Stubbs.


Le Premier ministre Sébastien Lecornu essaie de faire adopter son projet de budget de la Sécurité sociale en appelant à la responsabilité de tous. Par là, il ne fait que se dégager de toute responsabilité.

Le 24 juin 2025, l’Assemblée nationale a créé une commission d’enquête « sur les liens existants entre les représentants de mouvements politiques et des organisations et réseaux soutenant l’action terroriste ou propageant l’idéologie islamiste ». Ses travaux ne sont pas encore terminés, mais ils ont déjà eu un effet: des journalistes ont été menacés par l’extrême gauche. C’est ainsi que cette dernière, tout en prétendant que l’enquête la vise injustement, a dévoilé sa fidélité à l’idéologie islamo-gauchiste et son peu de respect de la démocratie. Pendant ce temps, outre-Atlantique, Donald Trump envisage l’interdiction des Frères musulmans.

A lire aussi : Parlez-vous le Goldnadel?

Si le livre de Jordan Bardella connaît un grand succès populaire, celui de Marine Tondelier est un bide, ainsi que celui de Ségolène Royal. C’est le symptôme d’une gauche qui a perdu la confiance du peuple.

Pour les auditeurs qui sont à la recherche de lectures plus digestes, il y a le nouveau titre d’Eric Zemmour, La messe n’est pas dite (Fayard). Son auteur dialogue avec Mgr Rougé, l’évêque de Nanterre, dans le nouveau numéro de Causeur. Il y a aussi le dernier livre de Gilles-William Goldnadel, Vol au-dessus d’un nid de cocus (également chez Fayard)…

Écoutez 👇

Lyrique: un « Ariodante » en or au château de Versailles

Un ravissement du regard et de l’ouïe. Franco Fagioli irrésistible de drôlerie


Hasard du calendrier lyrique ? Moins de deux mois après la reprise d’Ariodante à l’Opéra de Paris dans l’épatante mise en scène de Robert Carsen, voilà que le célèbre ‘’Dramma per musica’’ de Haendel, apothéose de la musique baroque, fait l’objet d’une nouvelle production sous les auspices de l’Opéra Royal de Versailles – spectacle rare à tous les sens du mot : dernière représentation le 11 décembre !

Eclatant !

On est ici à mille lieues de la corrosive transposition contemporaine sur fond de scandales médiatiques secouant l’actuelle dynastie Windsor, telle qu’imaginée pour l’Opéra-Bastille par le fameux metteur en scène canadien. Pour l’heure, notre compatriote Nicolas Briançon –  cf. l’an passé, comme acteur au Théâtre Montparnasse, les sketchs de Poiret & Serrault revisités avec François Berléand et, cette saison, son duo avec Pierre Arditi dans Je me souviendrai… de presque tout, une pièce d’Alexis Macquart – investit quant à lui l’écrin fastueux de la monarchie absolue, la cage de scène de l’Opéra Royal s’offrant comme un prolongement de l’habillage de colonnes et de sculptures surchargé d’ors de la salle elle-même, dans une restitution raffinée, poétique et pleine d’esprit des « grandes machines » propres à la pyrotechnie baroque : toiles de décors peints qui, à vue, tombent des cintres, superpositions de trompes l’œil, architectures illusionnistes à la Hubert Robert, fausses ruines et jardins enchantés, lumières changeantes, etc.  Cette inventivité pleine de fraîcheur vient opportunément revivifier la haute tradition, avec un éclat sans pareil. On doit cette performance, une nouvelle fois, au talent de l’émérite Antoine Fontaine, adoubé dès longtemps comme chacun sait par les planches et le cinéma – de Patrice Chéreau à Michel Fau, en passant par Éric Rohmer…   

Franco Fagioli irrésistible de drôlerie

La cour d’Ecosse médiévale issue du livret d’Antonio Salvi inspiré de l’Arioste se voit ainsi transportée dans un XVIIIème siècle pastoral et transalpin dont les tableaux se métamorphoseront sans trêve au long des trois actes. Les costumes (signés David Belugou), renvoient plutôt au siècle du Roi Soleil, avec, pour les hommes, ces justaucorps, ces lourdes perruques bouclées qui s’étalent jusque sur l’échine et ces souliers à hauts talons et, pour les personnages féminins, ces robes baleinées, décolletées, flottantes, dans un camaïeu riche en couleurs pastels… Pour ce qui est du personnage d’Ariodante, lui, et lui seul, est habillé d’un rouge aussi clinquant, aussi vif que l’humour dont le vertigineux Franco Fagioli enrobe à merveille son rôle-titre (rôle assumé à l’origine, rappelons-le, par un castrat, mais qui, dans la version parisienne évoquée plus haut, était travesti sous une voix de mezzo – Emily d’Angelo en 2023, Cecilia Molinari cette année). Chanté donc ici par un contre-ténor, Ariodante y revêt, sous une forme délicieusement parodique, la figure d’une sorte de « folle » du plus haut comique, il faut bien le dire, feudataire emperruqué, gourmé, précieux, maniéré jusqu’au ridicule et fort peu viril en somme : il esquisse des révérences, s’essaie à des pas de danse, tourbillonne,  s’agite beaucoup des bras, les volutes et les ornements virtuoses de son chant servant de contrepoint expressif à un jeu de scène irrésistible de drôlerie et d’efficacité. Le rôle du « méchant », le fourbe et perfide Polinesso, est, là encore de façon tout à fait inattendue, prodigieusement campé par le juvénile Théo Imart, ravissant contre-ténor français –  âgé de 29 ans, il en fait dix de moins ! – (dont à bon escient la mise en scène  caractérise le double-jeu en lui faisant tour à tour ôter puis remettre sa perruque gris-perle sur son beau casque naturel de cheveux châtains) : l’articulation impeccable se conjugue chez lui à une émission flamboyante et à une rondeur de phrasé exceptionnels, cela joint à une présence scénique qui lui vouera d’ailleurs, à juste titre, les ovations répétées du public. On a donc hâte de redécouvrir l’éphèbe Théo Imart en mai prochain dans Ercole Amante (Hercule amoureux), autre opéra baroque d’Antonia Bembo, une nouvelle production de l’Opéra de Paris qui figure déjà dans l’agenda de tout amateur de lyrique. Quant au vibrato ciselé de la basse Nicolas Brooymans, il rend incomparable ce roi d’Écosse au lourd manteau chamarré d’or. Lurciano, le frère d’Ariodante, sous les traits du ténor britannique Laurence Kilsby, est éblouissant de naturel et de clarté. On n’est pas en reste du côté des voix féminines, avec, dans le rôle de Ginevra l’irremplaçable, étincelante Catherine Trottmann, familière de l’Opéra Royal, et la soprano belge Gwendoline Blondeel, laquelle, en Dalinda, impose son agilité dans les acrobaties de ses vocalises. Il est vrai que ce répertoire est, en soi, un véritable concours de virtuosité vocale entre les chanteurs !

Photo: Geoffrey Hubbel

Au-delà de cette lecture pour ainsi dire « littérale », rappel de l’époque même de la création du chef d’œuvre à Londres, en 1735 comme l’on sait pour le Covent Garden, cet Ariodante versaillais dirigé sans baguette sur un tempo alerte par le chef (et violoniste) polonais Stefan Plewniak, à la tête d’un Orchestre de l’Opéra Royal en grande forme, est, d’un bout à l’autre, un ravissement du regard et de l’ouïe. Précipitez-vous !


Ariodante. Opéra en trois actes de Georg Friedrich Haendel. Avec Franco Fagioli, Catherine Trottmann, Théo Imart, Gwendoline Blondeel, Laurence Kilsby, Nicolas Brooymans, Antoine Ageorges. Direction: Stefan Plewniak. Mise en scène : Nicolas Briançon.

Orchestre de l’Opéra Royal. Nouvelle production.

Durée : 3h20.

Le 7 décembre à 15h, les 9 et 11 décembre à 20h.

L’immigration, la science et les gardiens du temple médiatique

Dans le « Complément d’enquête » qui a fait couler tant d’encre, France TV a prétendu dénoncer la « méthode CNews » en s’appuyant sur la science. Enfin, sur ce qu’elle appelle, elle, la science… Selon la télévision publique, l’absence de lien entre délinquance et immigration ferait l’unanimité parmi les scientifiques. En réalité, la synthèse du CEPII s’appuie sur seulement quatre études étrangères.


Aucun doute, la guerre est déclarée entre l’audiovisuel public, payé par tous les Français, et CNews, chaîne privée appartenant au groupe Bolloré. Le succès de cette dernière agace au plus haut point la présidente, les directeurs et les journalistes vedettes de France TV, tous très généreusement rémunérés avec l’argent de contribuables qui préféreraient que leurs impôts servent à autre chose qu’à maintenir un service public qui leur dit ce qu’ils doivent penser.

Label rouge

Selon les critères d’Emmanuel Macron et de Reporters sans frontières, le dernier Complément d’enquête sur CNews diffusé sur France 2 cochait toutes les cases d’une information fiable, issue d’un travail journalistique rigoureux, présentée par un journaliste d’une totale honnêteté intellectuelle. Selon les critères du commun des téléspectateurs clairvoyants, il a été l’illustration parfaite de ce que l’oligarchie politico-médiatique attend des médias qui rêvent d’être « labellisés » par cette dernière, à savoir un journalisme à la botte du pouvoir socialo-macroniste, prêt à tout pour museler les voix dissidentes.    

Au cours de ce reportage grossièrement à charge, un mot magique, censé clore le débat sur le lien entre délinquance et immigration, sujet trop souvent abordé sur CNews selon France TV, jaillit à plusieurs reprises de la bouche des gardiens du temple médiatique. À la trentième minute de cette invraisemblable enquête sur CNews, une voix off affirme que « le lien de causalité entre étrangers et insécurité n’existe pas. Et c’est la science qui le dit. Le CEPII a recensé tous les travaux sur le sujet. D’après lui, les études concluent unanimement à l’absence d’impact de l’immigration sur la délinquance. » Une demi-heure plus tard, face au député RN Philippe Ballard, Tristan Waleckx assène la même assertion : « Il y a des études scientifiques, c’est le CEPII, ce sont des économistes qui ont fait une compilation de toutes les études qui existent sur le sujet et qui concluent unanimement à l’absence d’impact de l’immigration sur la délinquance. » Condescendant, Tristan Waleckx déclare alors à Philippe Ballard qu’il y a « une différence entre le ressenti, le “doigt mouillé” et la science. » 

A lire aussi, Ivan Rioufol: La parole libérée, victorieuse de la gauche cloueuse de bec?  

Avant de disséquer le travail « scientifique » auquel Tristan Waleckx fait référence, rappelons que ce journaliste est diplômé de l’École supérieure de journalisme de Lille. Cela n’est pas anodin. Cette école se veut à la pointe du combat pour l’inclusion et la diversité ; elle est « le symbole du formatage idéologique des apprentis journalistes et le temple du “politiquement correct” le plus impeccablement sourcilleux[1] ». Les étudiants de l’ESJ lilloise affirment à 87% voter pour la gauche et l’extrême gauche. Nombre d’enseignants qui y dispensent leurs cours sont issus des principaux médias mainstream (Le Monde, France Info, France 2, l’AFP, France 3 Alsace, etc.) Bref, cet établissement produit « à la chaîne des petits soldats interchangeables au service d’une information corsetée, contrôlée » et très certainement prochainement « labellisée » par leurs prédécesseurs promus au rang de commissaires politico-médiatiques.

France TV

Revenons à notre sujet principal. Le CEPII (Centre d’études prospectives et d’informations internationales) est un service gouvernemental rattaché au Premier ministre. Le rapport dont fait état Tristan Waleckx date d’avril 2023. Élisabeth Borne était alors en poste à Matignon. Elle n’attendait vraisemblablement pas d’un rapport sur l’immigration et l’insécurité issu d’un de ses services qu’il dise autre chose que ce qu’affirmaient à l’époque son ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, et surtout son ministre de la Justice, Éric Dupond-Moretti : l’insécurité est un « sentiment », la submersion migratoire est un « fantasme », établir un lien entre les deux relève de la « désinformation » et fait le jeu de qui vous savez. Les économistes Arnaud Philippe et Jérôme Valette, auteurs du rapport en question, sont censés avoir scientifiquement prouvé la véracité de ces allégations. Voyons un peu à quoi ressemble ce travail titanesque et d’une extraordinaire rigueur vanté par les journalistes de la télévision publique.

Curieuse unanimité

Ce dossier « scientifique » a recensé, selon Tristan Waleckx, « toutes les études sur le sujet », et celles-ci auraient « conclu unanimement à l’absence d’impact de l’immigration sur la délinquance ». Étonnamment, ce dossier exceptionnel ne fait que quatre courtes pages. Il faut dire qu’il ne repose que sur quatre études relatives à l’immigration au Chili et aux États-Unis (1986-2004), au Royaume-Uni (1997-2008) et en Italie (1990-2003) – Tristan Waleckx a donc menti en parlant de… « toutes les études sur le sujet ». Par ailleurs, les périodes analysées remontent à deux voire trois décennies et les pays retenus présentent naturellement des spécificités – importance de l’immigration légale et illégale, origine des immigrés, etc. – qui interdisent les analogies avec l’immigration propre à la France, immigration qui provient à près de 60% du continent africain et a pris des proportions considérables ces dix dernières années. De toute évidence, comme cela arrive trop souvent lorsque l’idéologie domine la recherche, MM. Philippe et Valette connaissaient la conclusion de leur « travail » avant même de s’y atteler – ne leur restait plus qu’à trouver les quelques travaux allant dans leur sens ou pouvant se prêter à des contorsions interprétatives aboutissant à un résultat sonnant comme un slogan: il n’y a aucun lien entre la délinquance et l’immigration en France.      

Torsion de la réalité. Si les auteurs dudit rapport sont obligés de reconnaître que « la surreprésentation des immigrés dans les statistiques [sur la criminalité] se retrouve dans la plupart des grands pays d’accueil »etque, pour la France,« la proportion d’étrangers dans la population totale était en 2019 de 7,4 %, mais s’élevait à 14 % parmi les auteurs d’affaires traitées par la justice, à 16 % dans ceux ayant fait l’objet d’une réponse pénale et à 23 % des individus en prison » [c’est près de 25 % en 2025], ils affirment cependant que plusieurs raisons peuvent expliquer cela. D’abord, les jeunes hommes sont surreprésentés dans la population immigrée et sont plus pauvres que les natifs, ce qui les rendrait « plus susceptibles d’être en infraction avec la loi ». Curieux raisonnement. Quoi qu’il en soit, il y aurait donc bien un lien, même ténu, entre immigration et délinquance – oui, mais cela est la faute du pays d’accueil, en particulier pour les « atteintes aux biens » qui sont « uniquement dues à une exclusion [des immigrés] du marché du travail ». Ensuite, « la surreprésentation des immigrés dans les statistiques de délinquance ne peut être comprise qu’à l’aune du traitement différencié que subit cette population à toutes les étapes du système pénal : de la probabilité d’arrestation à celle d’être incarcéré ». En clair, les immigrés seraient plus souvent contrôlés, plus souvent arrêtés et plus sévèrement punis que les Français pour des infractions similaires. L’idéologie contre le réel – MM. Philippe et Valette ne suivent pas l’actualité ou habitent sur la planète Mars pour sortir de telles énormités. 

Enfin, expliquent-ils, si les Européens en général et les Français en particulier pensent qu’il y a un lien entre la délinquance et l’immigration, c’est surtout la faute des… médias qui traiteraient « de manière différente la délinquance d’origine étrangère et celle des natifs ». En Suisse, au moment du référendum sur la construction des minarets, c’est le traitement médiatique de la délinquance en fonction de l’origine du suspect qui, selon eux, aurait abouti à la victoire du « contre ». Puisqu’on vous dit que c’est scientifique… 

Perceptions, dites-vous…

La conclusion de ce document supposément scientifique est un parfait échantillon de la propagande immigrationniste chère à François Héran, Hervé Le Bras ou Éric Dupond-Moretti. Pour en souligner la fourberie, citons-la entièrement : « L’immigration mérite un débat à la hauteur des enjeux et des inquiétudes qu’elle suscite. Cependant, il n’y a pas de raisons de centrer cette discussion sur la délinquance. Si la surreprésentation quasi-mécanique des immigrés dans les statistiques et les biais médiatiques peuvent créer l’illusion d’une relation entre immigration et délinquance, les études montrent qu’il n’en est rien. Ce n’est pas le fait d’être immigré en soi qui conduit à plus de délinquance, mais des caractéristiques qui, lorsqu’elles se retrouvent chez des natifs, conduisent également à plus de délinquance. Quant au faible effet de l’immigration sur les vols, il peut être résorbé par des politiques favorisant l’intégration économique des immigrés sur le territoire national et notamment leur accès au marché du travail. Un traitement plus équilibré de l’information relative à la délinquance, selon l’origine nationale ou étrangère des suspects, permettrait également de rendre les perceptions plus proches de la réalité. » Cette prose artificieuse ne résulte pas d’un travail scientifique, inexistant en l’occurrence, mais d’une approche idéologique en faveur de l’immigration. Elle mérite un SIC d’or pour son involontaire mise en évidence du procédé orwellien de manipulation de la réalité et d’officialisation du mensonge qui infecte les organes gouvernementaux et les médias de l’audiovisuel public.  

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Car la réalité, implacable, dément ces contre-vérités. À l’inverse de la France, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne, le Danemark, les Pays-Bas ou la Suisse publient des chiffres extrêmement précis de la criminalité par nationalité ou par origine. Dans ces pays, une même conclusion s’impose : les étrangers et les personnes issues de l’immigration extra-européenne sont surreprésentés dans les agressions physiques et sexuelles, les vols, le narcotrafic. Cela n’a fait que s’amplifier ces dernières années. En Allemagne, en 2023, la police a recensé 923 000 délinquants présumés d’origine étrangère, soit 41 % de l’ensemble des suspects appréhendés. La ministre de l’Intérieur, la sociale-démocrate Nancy Faeser, prônait alors la tolérance zéro et affirmait vouloir obliger tous les délinquants étrangers à « quitter l’Allemagne ». De son côté, le gouvernement français répugne à publier des statistiques complètes et précises sur la criminalité, en particulier la nationalité ou l’origine des délinquants. Pourtant, selon le ministère de l’Intérieur, 93% des vols et 63% des agressions sexuelles dans les transports en commun en Île-de-France sont commis par des étrangers. Les violences sexuelles dans ces espaces ont augmenté de 86% en dix ans. Le phénomène se répand sur tout le territoire. Il serait également intéressant de connaître la proportion des Français issus de l’immigration impliqués dans des affaires d’agressions physiques et sexuelles, de vols, de refus d’obtempérer, de trafic de drogue, etc. Aux Pays-Bas, des statistiques complètes sont réalisées et publiées : alors que les personnes issues de l’immigration « non-occidentale » représentent 14% de la population, elles comptent pour 35% dans les infractions sexuelles, 40% dans les agressions physiques, 40% dans le narco-trafic, 60% dans les vols violents. Idem au Danemark où les immigrés et leurs descendants (= enfants) représentent 40% des condamnations pour homicides, viols et vols alors qu’ils ne représentent que 12% de la population[2]. Il est à craindre qu’en France les chiffres soient similaires, voire plus inquiétants encore. Difficile de le savoir : les pouvoirs publics ne donnent que peu d’informations et, à l’inverse de ce qu’affirment les auteurs du CEPII, les médias dominants rechignent à dire la vérité sur cette nouvelle criminalité et à montrer la réalité, quand ils ne la déforment pas – il suffit de se remémorer de quelle manière ont été traitées les affaires concernant Lola, Thomas, Philippine ou Élias, et de quelle façon ont été présentées celles concernant Adama Traoré ou Nahel Merzouk et les émeutes qui ont suivi, pour comprendre de quoi il retourne. Vaste sujet qui mériterait pour le coup un véritable… complément d’enquête.

Les Gobeurs ne se reposent jamais

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[1] Xavier Eman, Formatage continu, Tour de France des quatorze principales écoles de journalisme, préface de Claude Chollet (L’Observatoire du journalisme), 2024, La Nouvelle Librairie.

[2] Ces chiffres sont extraits des différents dossiers présentés par le data-analyste Marc Vanguard sur son site web. Les nombreuses données récoltées et analysées par ce dernier sont issues des ministères, des différents services gouvernementaux ou des organes de la statistique officiels de chacun des pays concernés. Rien à voir, donc, avec le travail « scientifique » des économistes du CEPII…       

L’Espagnol qui voulait gagner sa place au soleil

De l’Espagne franquiste à la Movida, du Festival de Benidorm à son installation somptuaire en Floride, Julio Iglesias a incarné la réussite exponentielle du chanteur de charme et un art de vivre flamboyant. Enfin traduite en français, la biographie littéraire de Ignacio Peyró traduite par Albert Bensoussan vient de paraître au Cherche midi. Portraits croisés du crooner latin en lévitation et d’une émancipation ibérique…


Julio est une anomalie née au siècle dernier. Un mystère dans une époque devenue congelée. Son sourire aura abattu tant de digues morales. Il a toujours eu la baraka. Aujourd’hui, un tel parcours scruté par les réseaux sociaux serait-il possible ? Ses gestes, ses conquêtes, sa nonchalance et son charisme, son absence de calcul politique et sa bonne étoile, son ambition transparente comme l’eau de roche et son amour véritable du public charrient tant de souvenirs. Des bons. Le temps des possibles. D’un équilibrisme éminemment sympathique. Son œcuménisme scénique est incompréhensible de nos jours quand des chanteurs travaillent leur propre clientèle et incitent au clivage idéologique. Julio transcende les partis. Il n’est pas un sectaire, ni un roublard. Il veut être aimé de tous. Il croit aux forces de l’amour. Il a l’esprit large et le cœur ouvert à toutes les aventures. Il n’est pas borné. Il n’a pas l’outrecuidance de nous donner des leçons de civisme. Lui, le fils du bon docteur gambilleur, rejeton bourgeois évoluant dans un environnement franquiste, bénéficiant de la clémence du régime fut, à son corps défendant, l’incarnation de la transition démocratique espagnole. Il était déjà là sous Franco, il le sera encore sous Felipe González. L’ami d’Aznar chanta pour Mitterrand. Le proche du couple Reagan fut l’un des premiers à tourner en Chine. Il ne se coupa d’aucun public. Il ne se refusa à personne. Au-delà d’une habileté commerciale remarquable, il faut voir dans cette altruisme la marque d’une sincérité. Julio est comme ça, charmeur, doux, intelligent, conscient de son emprise et de ses limites vocales, professionnel acharné mais aussi rêveur, presque mélancolique. Il est peu porté sur les conflits. Il les enjambe. Il ne s’appesantit sur rien. La vie est trop courte et on l’appelle déjà à Mexico ou à Singapour pour un concert. Il dort dans son avion privé. Jadis (il a fêté ses 82 ans en septembre dernier), il apparaissait sur les écrans de la ZDF, de la BBC ou d’Antenne 2 dans le rôle du « latin lover », le micro collé à sa joue, la sérénade en sarabande, se moquant des idiomes locaux, susurrant l’amour béat, feignant d’être un perdant, jouant une partition frisant la caricature et nous l’adorions déjà. On pardonnera toujours tout à Julio. Il est l’élu du microsillon dans une Espagne sous camisole qui peina à se défaire de cette dictature maquillée en fée du tourisme balnéaire. Ignacio Peyró, actuellement directeur de l’Institut Cervantès à Rome, a écrit une biographie piquante et cajoleuse pour réparer une infamie culturelle. Le journaliste n’apprécie pas que l’on ricane sur Julio, que l’on mésestime son talent et son aura. Chez nous aussi, en France, le chanteur populaire vit des heures sombres. On le disqualifie par peur de succomber à ses tubes. Ignacio Peyró le confesse : « éprouver de l’antipathie pour Julio Iglesias serait comme détester les dauphins ». Dans cette étude littéraire à cloche-pied, il essaye de comprendre les ressorts de cette addiction méditerranéenne. Julio n’est pas une espagnolade éphémère. Il est le trait d’union d’un pays fragmenté. « Julio Iglesias a traversé son époque sans être le fils de son époque. Il fut crooner à contre-temps […] Quand la mode était au négligé esthétique, lui préférait les beaux costumes. Et si la vogue était au moralisme de la chanson d’auteur, il ne dédaignait pas la suave douceur d’un romantisme sans âge » analyse-t-il, brillamment. Dans cette biographie sentimentale, on en apprend donc autant sur la carrière de Julio notamment sa tumeur au dos que sur le lent réveil de l’Espagne. Comment Julio fut, à sa manière, l’artisan involontaire de la bétonnisation de Benidorm et la bande-son d’une classe moyenne émergente. La carrière de Julio se construit en parallèle de l’Espagne. Julio est un phénomène national à vocation internationale. Il remplit le Camp Nou à Barcelone alors qu’il fut gardien de but au Real. Julio brise tous les paradoxes.  Les filles passent, certaines comme la Française Gwendolyne laisse des traces. Le mariage de Julio et son divorce sont des événements mondains que l’on commente en terrasse. Peyró explique très bien que la réussite de Julio et son eldorado sur le continent américain sont, malgré les rires en coin, une fierté pour tous les Espagnols. L’un des leurs a réussi là où personne n’avait imaginé mettre les pieds. Cette biographie est savoureuse car on y croise Sydne Rome, Diana Ross, la moiteur des villas de milliardaires, le défilé des mannequins au petit matin et des garages remplis de Rolls. Juan Carlos se reconnaît dans ce chanteur de variété au culot monstre et pas bégueule pour une peseta. Jusqu’à maintenant, on aimait Julio sans le savoir, maintenant on pourra argumenter en société et faire taire les aigris de la vie.

Un certain Julio Iglesias de Ignacio Peyró – Le cherche midi 352 pages

Il y a une vie après l’Assemblée…

Nous n’avons toujours pas de budget mais les préparatifs de Noël vont bon train… À Béziers, le froid est arrivé et les chalets, les illuminations et la fontaine musicale de Noël ont été inaugurés dans la bonne humeur. En attendant la crèche, bien sûr !


Digues

Coup de tonnerre à l’AN : ils ont osé voter une résolution du Rassemblement national ! Le groupe parlementaire a réussi, lors de sa « niche parlementaire » et pour la première fois de son histoire, à faire voter un texte au sein de l’hémicycle. Une « journée historique pour le RN. Ce n’est pas un tournant, c’est une marche ! » a ainsi salué Marine Le Pen. Bon, pas d’emballement tout de même, il ne s’agit que d’une résolution symbolique. Mais le sujet est de taille : demander la suspension de l’accord franco-algérien de 1968. Cela n’a pas été du goût de tout le monde dans l’hémicycle, un député LFI pointant du doigt un « texte raciste », et « le retour de l’OAS [Organisation de l’armée secrète] à l’Assemblée nationale ». Rien que ça… Ian Brossat, sénateur communiste, n’a pas aimé non plus. Tout cela est très « nauséabond » selon lui. Remarquez, il sait de quoi il parle… Quelqu’un lui a-t-il rappelé que, durant la guerre d’Algérie, c’était des membres de son parti qui passaient des valises de billets pour le FLN ? « Nauséabond », vraiment ?

Un « bougé »

Ce débat est aussi l’occasion aussi d’en apprendre un peu plus sur les conséquences financières d’un tel accord avec l’Algérie. Par exemple, un Algérien de plus de 65 ans retraité en Algérie qui arrive dans l’Hexagone cesse de toucher sa retraite algérienne, mais touche immédiatement le minimum vieillesse en France, alors que le gouvernement algérien conserve l’argent de la pension de l’assuré. Bingo !

Pendant ce temps, et avant la libération de l’écrivain Boualem Sansal, Laurent Nuñez, dernier ministre de l’Intérieur en date, appelait à « renouer le dialogue avec Alger pour des questions de sécurité », et souhaitait un « bougé » – le nouveau mot à la mode chez nos politiques – dans nos relations avec l’Algérie, précisant qu’une remise en cause de l’accord franco-algérien de 1968 n’était pas « à l’ordre du jour ». Bah oui quoi ! Qui a dit que l’Assemblée nationale servait à quelque chose ?

Féminisme

Cela se passe le 6 novembre dans les couloirs de l’Assemblée nationale. Un groupe scolaire vient assister à une séance du Parlement. Il est composé de plusieurs fillettes, voilées de la tête aux pieds. Elles sont accompagnées d’un homme à la barbe longue et non taillée. Rapidement, la polémique enfle. Que dit le règlement du Palais-Bourbon à ce sujet ? Son article 8, qui encadre l’accès aux tribunes, exige que le public soit « assis, découvert et en silence ». En théorie donc, pas de voile islamique. Ce qui n’est apparemment pas si facile à faire appliquer par nos chers huissiers… Ce qui ne cesse de m’étonner, c’est la réaction de nos féministes pur jus. Parmi elles – au nom de la tolérance, bien sûr ! –, l’inénarrable Marine Tondelier et son « Qu’on lâche la grappe aux femmes ! » oubliant au passage que les femmes en question n’ont que 9 ou 10 ans et occultant la dimension patriarcale du voile… Et si on écoutait le bon sens des Français ? 71 % d’entre eux sont favorables à l’interdiction du voile pour les mineures de moins de 15 ans, selon un sondage CSA pour CNews, Europe 1 et le JDD. Parmi eux, figurez-vous qu’on trouve même des électeurs de gauche ! Rassurant.

All inclusive

On connaissait les LGBT, mais le combat semble maintenant d’arrière-garde. Eh oui ! Nous sommes passés aux LGBTQQIP2SAA ! Sans rire. Cette combinaison de lettres quasi exhaustive (on est rassurés !) tente « de représenter toutes les identités de la communauté queer ». Il s’agit des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres, queer, en questionnement, intersexuées, pansexuelles, bispirituelles, asexuelles et alliés. Là, je m’interroge : qu’est-ce donc qu’un « allié ». C’est celui (ou celle, je sais…) qui « soutient l’égalité des droits pour tous, sans distinction de race, d’orientation sexuelle, de genre ou de religion ». En cherchant bien, on devrait pouvoir trouver quelques hétéros dans cette dernière catégorie…

Sermon

Comme chaque commémoration de l’Armistice, le 11 novembre dernier a commencé par une messe à Béziers. Je ne résiste pas à partager avec vous un extrait du sermon (on dit homélie en langue bien-pensante) de notre archiprêtre Hervé Dussel : « Aujourd’hui, nous sentons bien que notre pays traverse un temps d’épreuve morale. […]Oui, la France est blessée, non par la guerre des armes, mais par l’usure du sens, par le doute sur ce qu’elle est et sur ce qu’elle veut devenir. Or, une nation ne se reconstruit pas seulement avec des lois ou des chiffres. Elle se reconstruit par la fidélité à ce qui l’a fait naître : la foi dans la valeur de l’homme, la responsabilité, la solidarité, la recherche du bien commun. » La messe s’est terminée avec la chorale de notre police municipale, qui a chanté, accompagnée d’une cornemuse, la Prière du para. Un hymne à la mémoire, à l’émotion et au recueillement. Hors du temps.

Révolte

Le 15 novembre, Béziers a accueilli la manifestation régionale des viticulteurs. Près de 7 000 personnes venues réclamer de pouvoir vivre du fruit de leur travail. Ce jour-là, nous avons été nombreux à penser à 1907, où nos vignerons avaient marché par centaines de milliers, le cœur en feu et les poings serrés sur ces mêmes allées Paul-Riquet. En 1907, chez nous, la révolte a éclaté comme un orage, contre la misère imposée par les puissants. En 1907, Paris a tremblé. En 2025, on attend toujours…

Liberté

Enfin la bonne nouvelle tant attendue ! Boualem Sansal est libre… Après presque une année entière de détention en Algérie. Nous avons fêté cela à Béziers en compagnie de Noëlle Lenoir et Xavier Driencourt, piliers de son comité de soutien, en inaugurant un patio à son nom au cœur même de notre médiathèque… Nous espérons tous le voir très vite. On croise les doigts pour que cette libération ne soit que les prémices d’une autre, celle du journaliste Christophe Gleizes, condamné pour « apologie du terrorisme ». En français dans le texte, « interview d’un footballeur kabyle sur le sport en Algérie ».

Pierre Maillet: le cinéma le rend marteau !

Chaque semaine, Philippe Lacoche nous donne des nouvelles de Picardie…


Ma Sauvageonne a véhiculé son fils, il y a peu, à la Maison du théâtre d’Amiens. Dans le cadre de ses études, ce dernier devait assister à la pièce Une vie d’acteur, d’Emilie Capliez et Tanguy Viel, avec, seul sur scène, le comédien Pierre Maillet. Comme je ne la lâche pas d’une semelle, j’étais, bien sûr, du voyage. Nous avions prévu d’abandonner l’adolescent aux portes de l’établissement théâtral, d’aller nous désaltérer dans un estaminet du quartier Saint-Leu, et de le récupérer une heure et vingt minutes plus tard. La vie, une fois de plus, en décida autrement.

À la porte de la Maison du théâtre, nous rencontrâmes, mon ami Monsieur Freytel (c’est ainsi que le surnomme le fils de la Sauvageonne, car c’est l’enseignant du lycée fort respectable et catholique qu’il fréquente). Je ne t’ai pas encore précisé, lectrice adulée, que Christophe Freytel est aussi professeur de théâtre, metteur en scène (il a donné vie sur les planches à ma pièce sobrement intitulée Pourriture!) et l’un de mes meilleurs amis. « Si vous voulez assister au spectacle, dites-le-moi car il me reste des places ; j’accompagne un groupe d’élèves », nous dit-il, pétillant de bonheur et toujours ravi de faire plaisir. Nous acceptâmes de bonne grâce, et ne le regrettâmes point. Nous passâmes une heure et vingt minutes très agréables grâce à Une vie d’acteur et à la prestation solitaire de Pierre Maillet.

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Acteur et metteur en scène, né à Narbonne en 1972, il totalise une trentaine de mises en scène à son actif. Il a également joué dans une quarantaine de spectacles pour d’autres troupes et collectifs. Mais ce qui le passionne, c’est le cinéma. Une vie d’acteur n’est rien d’autre que le reflet de sa passion. Parangon des cinéphiles, il collectionne, dit-on, chez lui des centaines de longs-métrages ; ils font partie de son existence et façonnent son univers artistique. Dans Une vie d’acteur, il les évoque mais il évoque aussi sa vie. Il raconte que, quand à 11 ans, dans un cinéma de province, il découvrit le film Tootsie, ce fut pour lui une révélation. « Je serai acteur ! » songea-t-il. Il y parvint. Il déroule ainsi la pelote de ses souvenirs qu’il fait resurgir en citant, insatiable, les noms des films qu’il vénère ou, pour diverses raisons, l’ont marqué : Tootsie (of course!), King Kong, Les dents de la mer, Ghostbusters, Le dernier métro, Frankenstein Junior, L’Effrontée, Mauvais sang, Buffet froid, Peau d’âne, Les parapluies de Cherbourg, etc. Chaque œuvre fait apparaître, chez Maillet, une image, une odeur, un visage, une situation, une joie, un malheur.

On sent bien qu’on est ici entre fiction et réalité. Et quand il raconte avec tant de mélancolie et de nostalgie son enfance à Narbonne, on n’est pas très loin du Patrick Modiano de Villa triste. Ces instants précieux se révèlent carrément délicieux et émouvants. On se réjouit alors que le cinéma ait rendu Maillet complètement marteau.

Les (très bonnes) affaires chinoises de M. de Villepin


La cellule investigation de Radio France s’est livrée à une enquête de plusieurs mois sur les activités chinoises de l’ex-Premier ministre d’un des gouvernements Chirac. Les journalistes Élodie Guéguen et Géraldine Hallot étaient à la manœuvre. Le résultat de leur travail est des plus intéressants. Si l’on voulait résumer hâtivement – et je l’avoue ironiquement – nous dirions que la grandiloquence, le verbe emphatique et abondant se vendent plutôt bien dans les hautes strates de l’Empire du Milieu. Un autre ex-Premier ministre de la chiraquie avait en quelque sorte ouvert le bal, Jean-Pierre Raffarin, lui aussi grand faiseur de phrases. Pour l’un comme pour l’autre, l’avalanche verbale passée, il n’est pas rare qu’on se trouve devant davantage de vide que de sens profond. Du moins quand on se donne la peine de chercher à démêler ce qui a été déversé. Un peu comme pour le Trissotin de Molière, s’agissant de M. de Villepin on « cherche ce qu’il dit après qu’il a parlé. » Il se peut après tout que la grande subtilité que l’on prête au peuple chinois lui permette de pénétrer une finesse, une intensité conceptuelle qui, malencontreusement, se refuseraient à nous.

À l’instar de M. Raffarin, M. de Villepin, ayant sans doute considéré qu’il avait hissé la France au plus haut de ce qu’elle pouvait espérer en matière de prospérité intérieure, d’influence internationale, de puissance en tous domaines, et qu’elle ne lui offrirait donc plus le moindre chantier à sa mesure, conclut tout naturellement qu’il ne lui restait plus qu’à aller dispenser les bienfaits de son immense talent – que dis-je, talent, alors que le mot génie s’impose – ailleurs de par le monde.

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La Chine, donc, aura eu l’insigne bonheur de l’accueillir. Enfin un empire à sa dimension ! La Chine, mais aussi d’autres contrées de ce monde, nous rappelle l’enquête Radio France. L’Arabie Saoudite, le Qatar, à ce qu’il semble, et, paraît-il, en son temps, la Russie de M. Poutine. On notera le haut niveau d’exigence morale qui préside à de tels choix, orientés exclusivement vers des pays au système démocratique des plus avancés. On ne peut que s’en réjouir.

En Chine, nous apprennent donc les investigatrices, M de Villepin fait tout naturellement ce qu’il sait faire de mieux, il parle. Il donne des conférences. Parfois aussi, étant grand amateur d’art contemporain, il officie dans ce domaine, livre ses conseils éclairés. Avec son fils, il a ouvert d’ailleurs une vaste galerie d’art, très en vogue, à Hong-Kong. Propriété du fils, tient-il à préciser.

Nous apprenons aussi dans cette enquête que c’est le général Christian Quénot, ancien chef d’état-major de François Mitterrand qui l’aurait mis sur la piste de Pékin. Bien lui en a pris. Car là-bas, la parole est d’or : 94 000 euros versées à M. de Villepin pour deux conférences, l’une à Zhengzhou, une autre quelques jours après à Chengdu dans le Sichuan. Les journalistes de France Inter en ont dénombré pas moins de cinquante du même ordre. Bien sûr tous frais payés, voyage en first classe et tapis rouge à l’arrivée.

En outre, parmi d’autres occupations, notre ex-Premier ministre y assure là-bas la présidence de l’ITMA, une instance paragouvernementale en charge du tourisme de montagne. Toujours le goût des sommets, voyez-vous. Une autre de ses multiples compétences jusqu’alors trop ignorées de nous autres pauvres Français.

Bref, notre homme est, on le voit, particulièrement bien en cours chez l’empereur Xi Jinping. Il faut reconnaître qu’il sait y faire. Ne l’a-t-on pas photographié avec, sur les genoux, un magnifique Panda de 43 kilos ? L’image a fait le tour du pays et elle a de surcroît beaucoup plu aux autorités, car comme le dit sans fard le général Quénot lui-même : « Si vous n’êtes pas bien avec le pouvoir central, vous ne faites pas d’affaires en Chine. »

Bien sûr, les premiers intéressés – Villepin, Raffarin – jurent leurs grands dieux qu’il ne s’agit en aucune façon pour eux de cautionner le régime communiste, ni de participer à une entreprise visant à légitimer tant à l’intérieur qu’à l’extérieur ce système dictatorial. Pensez donc ! Mais qui peut croire que le pouvoir post-maoïste, qui a la main sur tout, de la conquête spatiale aux compétitions de ping-pong et de majong, se donnerait la peine de cajoler à ce point d’ex-Premiers ministres de démocraties occidentales s’il n’en attendait rien d’autre que les délices éclatantes de leur talent oratoire ou leurs avis éclairés sur le noir Soulages ? Oui, qui?

À l’en croire, ce serait donc en toute innocence, en toute « indépendance » (sic) que Villepin se fait l’enthousiaste VRP de ce vaste projet à fort relent impérialiste qu’est la « nouvelle route de la Soie », en réalité le grignotage à marche et emprunts forcés de territoires, de sites parfois stratégiques, tel port grec par exemple. Ou lorsqu’il s’enflamme à une tribune choisie, clamant « China is back », la Chine est de retour, et pour de bon ! On ne savait pas qu’elle avait disparu. Probablement, M. de Villepin, dont la modestie n’est pas le plus fulgurant des mérites, considère-t-il qu’avant sa venue elle sommeillait, déclinait, dépérissait. D’où le vrai sens, selon lui, de sa croisade, car il tient à le dire la main sur le cœur, il agit là-bas le plus souvent bénévolement. Ce qu’il gagne chez l’ami chinois c’est peanuts, ou presque. Quelque chose comme 8 à 10% du chiffre d’affaires de sa société Villepin International. Une broutille, une aumône, de l’argent de poche.

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D’ailleurs, au cas où certains d’entre nous se prendraient à rêver, il nous délivre ce précieux conseil : « Si vous voulez faire fortune, ce n’est pas en Chine qu’il faut aller. »

Ce serait donc ailleurs que notre homme serait allé chercher de quoi faire, notamment, de son vaste domicile parisien un véritable musée d’art contemporain, aux dires de ceux qui ont eu l’occasion d’en franchir les portes. Ailleurs, mais où ? À quand une nouvelle enquête du genre de celle-ci ? Ce pourrait-être également très instructif.

Comme l’est, instructif, le sens diplomatique très affiné dont l’intéressé fait preuve dans ses déclarations. On l’a maintes fois entendu condamner, avec toute la pompeuse véhémence dont il est capable, le sort fait aux Mahométans de Gaza. Mais étrangement, on ne l’a jamais entendu pleurer sur celui réservé aux musulmans Ouïghours. Il doit y avoir une explication. Toute simple. On aimerait l’entendre…

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Une nuit pour une vie entière

Antonio Muñoz Molina est considéré comme l’un des plus grands écrivains de langue espagnole. Son œuvre romanesque a reçu de nombreux prix et, chez nous, il a obtenu le prix Médicis étranger en 2020 pour Un promeneur solitaire dans la foule. Cette année, est publié dans une splendide traduction Je ne te verrai pas mourir ; titre emprunté à un vers de Idéa Vilarino : « Plus jamais je ne te toucherai. Je ne te verrai pas mourir. »


Le départ pour le nouveau monde

« Je suis une invention docile de mon père » dit Gabriel Aristu, personnage principal du roman. Et c’est donc docilement qu’il obéira à l’injonction de s’exiler aux États-Unis où il gravira les échelons et déambulera dans les étages élevés des banques internationales et des avocats d’affaires. La souffrance d’un père durant la guerre civile et les sacrifices endurés après celle-ci se conjugueront pour faire quitter l’Espagne à un jeune homme qui aurait préféré demeurer auprès d’Adriana Zuber et jouer du violoncelle. On saura très peu de choses de sa vie américaine ; sa femme possède une voix aiguë et enjouée qui semble résumer à elle toute seule la cordialité toujours un peu exagérée des autochtones; sa voix dit l’Amérique et cela suffit. Quant à ses deux enfants, on sait qu’ils sont deux… Le seul moment vraiment décrit sera celui de l’arrivée et du dépaysement pour qui change radicalement de dimension. Ce sera du reste également l’expérience du troisième personnage ; un jeune étudiant, exilé tout comme lui dans le nouveau monde, mais d’au moins une génération plus tard. « Les espaces intérieurs que me fit traverser le professeur Bersett avant d’atteindre le parking me parurent magnifiques. Sa voiture était un 4×4 aux proportions excessives. Je vis pour la première fois, dans un sursaut, une ceinture de sécurité qui s’ajustait automatiquement. Les rétroviseurs extérieurs étaient plus grands qu’en Espagne. L’autoroute sur laquelle nous débouchâmes avait une amplitude amazonienne. Des deux côtés s’élevaient des forêts de hauts arbres hivernaux que le coucher du soleil plongeait dans une ombre grisâtre, plus épaisse sur la ligne d’horizon composée de collines. Quand la nuit tomba, les voies s’éclairèrent et l’obscurité des bois devint impénétrable. Tel était l’impact du changement d’échelle pour un Européen du Sud, le côté démesuré, expansif, exorbitant de l’Amérique. »

J’ai tant rêvé de toi

Et c’est ce troisième personnage qui, en prononçant un nom, fera retraverser l’Atlantique à un monsieur de cinquante ans plus vieux désormais, pour revoir celle qu’il a portée en lui durant tout ce temps ; celle qui fut l’évidence dans sa vie, au point de passer celle-ci à rêver d’elle, au point de faire appel intérieurement à elle pour élucider ses pensées et ses choix. Plus que muse, elle aura été,  à distance et sans le savoir, son éclaireuse, car « en s’éloignant d’Adriana Zuber, il s’était éloigné de lui-même et de ce qu’il avait de meilleur en lui. (…) Il avait aboli la vie qu’il aurait dû mener, son identité qui ne se cristallisait qu’à son contact, grâce à son influence passionnée et lucide. » Le roman raconte de manière prodigieuse la vie onirique de Gabriel Aristu ; vie qui devient sa vie véritable et qu’il voudra à toute force lui faire savoir lorsqu’il la retrouvera, et qui lui fera dire d’abord : « Si je suis ici, si je te vois, si je te parle, c’est que je dois rêver. » Effectivement, comment faire la différence quand la substance onirique rencontre soudain le réel ? Mais la femme qui aujourd’hui se trouve face à lui et dont les cheveux ne sont plus roux mais blancs, incarne un principe de réalité qui tombe un peu comme un couperet et qui interroge quant à l’amour qu’on croit éprouver pour autrui :« Tu ne m’aimais pas comme tu le pensais, ou tu n’étais pas amoureux de la femme que j’étais, non. Tu étais amoureux de ton amour pour moi. » Adriana lui rappelle également qu’ils n’ont pas passé une nuit ensemble comme lui ne cesse de le croire, mais tout juste cinq heures entre le début de l’après-midi et le coucher du soleil, car il avait peur de décevoir ses parents en ne rentrant pas dîner avec eux avant son départ…

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Mais au-delà de cette différence d’appréciation, il y eut pour elle comme pour lui un miracle madrilène qui fut l’accomplissement de mois et peut-être d’années où leurs personnes auront accordé leurs goûts, leurs émois, leurs pensées au point que leurs corps auront trouvé immédiatement une harmonie et un bonheur tel qu’il s’inscrira pour toujours dans la mémoire d’un jeune homme indécis. Ces quelques heures puissamment érotiques sont décrites dans une prose d’une subtilité bouleversante, et ces quelques heures qu’il appellera pour toujours « la nuit » feront que rien, de son cœur, de sa chair et de sa mémoire ne semblera avoir été affecté par un demi-siècle d’existence hors d’Espagne même s’il ne se sent pas pour autant chez lui à Madrid lorsqu’il y remet les pieds. Il aura tangué quelque part sur l’océan et n’aura amarré qu’à la nuit venue.

Le dernier geste

Si le point de vue de cet homme et son parcours sont ici privilégiés, Adriana, à la fois inexistante dans sa vie réelle et omniprésente dans le roman, n’est pas pour autant invisible. Nous ne cessons de voir avec Gabriel ses yeux perçants, sa chevelure rousse, sa bouche ironique. En revanche, sa «  réalité rugueuse à étreindre[1] » ; celle de toute une vie, échappe à celui qui la retrouve au soir de sa vie. Adriana, elle, ne rêve pas, et n’a pas eu le dépaysement de celui qui part pour subvenir à la perte. Et c’est avec un réalisme poignant qu’elle fera une demande très concrète à l’homme autrefois tant aimé. C’est avec détermination qu’elle attendra de lui un geste qui appartient au domaine tangible de la vie. La question, bien sûr, sera de savoir si l’homme qui se sera nourri de rêves pour ne pas seulement errer en s’adaptant au monde ambiant, y consentira…

L’écriture d’Antonio Munos Molina est impressionnante, notamment dans les presque soixante premières pages qui sont une longue, très longue phrase telle une mélopée, que l’écrivain renouvelle à chaque chapitre, le précédent se concluant par une virgule, à l’image des amants qui, pendant cinq heures selon Adriana, une nuit selon Gabriel, n’auront cessé de remonter à la surface pour mieux replonger dans l’unisson de leur corps à corps, et à l’image du retour sporadique et pourtant sans fin de la femme aimée dans la nuit d’un homme.

Je ne te verrai pas mourir d’Antonio Munos Molina, Éditions du seuil, 2025 240 pages


[1] Rimbaud, Une saison en enfer

Europe: de la vertu qui rend petit

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Friedrich Merz, Keir Starmer, Volodymyr Zelenskyy et Emmanuel Macron au 10 Downing Street, à Londres, 8 décembre 2025 © Toby Melville/AP/SIPA

Après la publication, vendredi dernier, de la stratégie de sécurité nationale version MAGA de Trump, les Européens constatent avec effroi que le nouveau président américain ménage effectivement Moscou et s’indignent de la place qui semble leur être réservée dans le nouvel ordre mondial. Alors que la géopolitique issue de l’après-1945 est bouleversée par l’isolationnisme américain et l’attitude belliqueuse de la Russie, une Europe tétanisée et féminisée n’est capable de réagir que par une crise de nerfs, observe notre contributeur.


Face à l’intensification récente des discussions entre les Américains et les Russes pour aboutir à un accord de paix avec l’Ukraine, les Européens ne l’entendent pas de cette oreille et tentent d’imposer leur vision d’une paix impossible.

L’Europe a fendu l’armure. Elle est devenue cette étrange mégère qui couche son âme rancunière sur le divan de la morale. Son réarmement militaire se déploie dans le lit d’un ressentiment désordonné. Confrontée à la fin du glacis protecteur américain, l’Europe s’égare dans une sentimentalité toute fragile : elle casse des assiettes, s’agite dans tous les sens, condamnant tour à tour tous ceux qui seraient opposés à ses « valeurs ». 

Or les valeurs de l’Europe sont malades. Elles reposent sur une interprétation pathétique et épuisée de la réalité. « La morale est aujourd’hui en Europe une morale de troupeau », disait déjà Nietzsche, au XIXème siècle…

En boucle, on scande que la Russie serait à nos portes, on s’invente des ennemis illusoires, on se trompe de cible, on se trompe d’origine. « Il faut mettre en question la valeur même des valeurs morales », assénait Nietzsche. Nos valeurs égalitaristes, pudibondes et aplanissantes, celles qui prônent la faiblesse en archétype de la vie, ont triomphé. Ce qui est à l’œuvre aujourd’hui, c’est le couronnement de l’Europe tétanisée et féminisée.

L’hystérie européenne 

Cette situation géopolitique européenne n’est autre que le produit d’une physiologie particulière: celle d’un corps où l’idéal ascétique demeure le credo de la vie. La bienveillance éternelle exercée en mantra du vivant est la phase terminale d’une civilisation occidentale à bout de souffle et à bout de nerfs. Une vie vécue à l’aune dela curatelle du médecin, d’un corps fatigué, incapable d’agir autrement que par la faiblesse, forme sublimée du renoncement à soi. Mais quelle est la Sainte-Trinité des valeurs européennes ? Paix, Pitié et Compassion ! La paix idéalisée entretenue par une hystérisation des discours martiaux; la pitié à tout prix qui conduira à la mort; la compassion à tout prix qui conduira à la haine. Voilà où nous en sommes. Voilà ce que l’on martèle dans toutes les têtes européennes, relayé en grande pompe par les médias et l’ensemble des grandes institutions du monde occidental.

Alors que les tractations entre Vladimir Poutine et l’administration américaine se sont intensifiées ces dernières semaines pour tenter de trouver une issue à la guerre, les Européens semblent se refuser à tout compromis, à toute volonté de résolution du conflit. Ils ne raisonnent plus à partir de réalités mais d’idées abstraites. Ils sont prêts à falsifier le réel ; à créer l’illusion dangereuse que la Russie serait à nos portes d’ici trois ou quatre ans alors qu’elle avance péniblement sur le front ukrainien. En trois ans, la Russie n’a même pas été en mesure de conquérir le Donbass. Mais l’Europe n’a que faire de la réalité. Elle semble préférer poursuivre la guerre tant que son idéal de paix juste n’est pas accompli. Qu’importe les morts, qu’importe les réalités du terrain, qu’importe l’Ukraine, il faut d’abord et avant tout que sa morale triomphe coûte que coûte pour que le chemin d’une paix puisse se dessiner. 

Paralysie de la pensée

Les Européens ne savent plus réagir que par l’angoisse. Une angoisse fantasmée qui leur permet de tout légitimer même les irréalités les plus folles. La distance, la perspective, la nuance, et le recul historique ont littéralement disparu des discours. En 1948, Albert Camus publiait un article intitulé « Le siècle de la peur » où il soulignait qu’« entre la peur très générale d’une guerre, que tout le monde prépare et la peur toute particulière des idéologies meurtrières, il est donc bien vrai que nous vivons dans la terreur (…) Pour sortir de cette terreur, il faudrait pouvoir réfléchir et agir suivant la réflexion. Mais la terreur, justement, n’est pas un climat favorable à la réflexion ».  

A chaque tentative de discussion entre Trump et Poutine, que font les Européens ? Ils s’indignent, accusant les uns d’être poutinophiles, les autres d’être trop complaisants avec la Russie, suspectant chez tous ceux qui daignent réfléchir une forme d’intelligence avec l’ennemi ! Mais « un homme indigné est un homme qui ment », rappelait Nietzsche. Une gesticulation morale en vue de séparer le monde en deux camps : les « méchants » et les « gentils ». Au diable Trump et Poutine ! L’Europe adoube son nouveau roi de miséricorde : Volodymyr Zelensky, le supplicié, le courageux, le martyr, le valeureux. Elle s’unit dans la faiblesse pour mieux recréer les conditions de sa force. L’Europe est lancée dans une nouvelle croisade. En prenant sa faiblesse pour de la force, elle nous conduit tout droit à la guerre des faibles. 

Mais… quelle bataille culturelle?

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Les députés Charles Alloncle (UDR) et Jérémie Patrier-Leitus (Horizons), commission d’enquête sur la neutralité, le fonctionnement et le financement de l’audiovisuel public, Assemblée nationale, Paris, 25 novembre 2025 © Jeanne Accorsini/SIPA

La droite dit, enfin, vouloir se lancer dans la bataille culturelle. Reste à savoir comment elle compte la mener.


Depuis l’affaire de la « labellisation » de l’information, la droite hausse le ton et cite 1984 de George Orwell davantage qu’une copie de philosophie de lycée. Enfin ! Elle qui s’est contentée jusqu’à présent de rêvasser à la France d’avant Mitterrand, de revendiquer son droit aux délices pralinés de la nostalgie et de brandir son « pass culture » sépia – les châteaux de la Loire, Le Château de ma Mère et le pensionnat du Fond de l’étang des Choristes – la voilà qui se réveille. Ce n’est pas trop tôt.

« La bataille culturelle va être violente », annonce fièrement la droite, émergeant de cinquante ans d’hibernation. À la bonne heure. Mais de quelle bataille culturelle parle-t-on ? Pendant que la gauche-fourmi érigeait, pierre après pierre, un modèle cohérent (histoire mondiale de la France, géographie a-physique, littérature a-stylistique, arts visuels occidentaloclastes, cinéma convivial), la droite-cigale se moquait et, entre deux-trois envolées lyriques sur l’âme de la France coincée entre la merveilleuse Jeanne d’Arc et l’odieuse Révolution française, trouvait scandaleux le travail de sape de la gauche tout en continuant à envoyer ses enfants à l’école apprendre l’histoire de esclavage européen et la littérature jeunesse francophone.

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Pour qu’il y ait bataille culturelle entre une droite enfin déniaisée et une gauche gramscienne enfin déstabilisée, il faut un combat à armes égales. Faire du Gramsci de droite, en somme. Raymond Aron avait décidément raison : dans l’ordre de l’histoire, si on entend survivre, il n’y a pas d’autre moyen de résister qu’en montrant à ses ennemis politiques que l’on est capable des mêmes vertus qu’eux. Aujourd’hui, la culture dite de droite se résume, en gros, au point d’histoire de Philippe de Villiers et au point philo de Michel Onfray – lequel n’est d’ailleurs pas de droite mais que la droite a raison d’apprécier – rares moments stimulants de la culture non mainstream. La France crève pourtant d’historiens méconnus capables d’alimenter des débats inédits sur des thèmes squattés par la gauche (colonisation, décolonisation, esclavage, guerres de religions etc.), d’artistes contemporains insensibles à l’antifascisme parisien, d’écrivains ne parlant pas des migrants et de professeurs susceptibles de faire des cours sur autre chose que la misogynie d’Émile Zola dans Au Bonheur des Dames. À la droite d’aller les chercher et de leur donner l’espace médiatique requis. Puisque tout se joue là.

Il n’y aura pas de « bataille culturelle » tant que la droite continuera à considérer que sa culture est immémoriale, sacrificielle mais toujours vivace sous les toits des églises qui s’effondrent et entre les pages des Mémoires de guerre du Général de Gaulle que tout le monde s’arrache tel un totem de grandeur. La gauche a toujours su renouveler son délire de l’homme nouveau : après le camarade communiste et le citoyen du monde, elle a eu l’idée du perpétuel éveillé à la croisée de toutes les causes minoritaires. À la droite de proposer l’homme tout court, capable de reconquérir son héritage et, surtout, de le moderniser. Vaste programme. Et qui va demander beaucoup de travail.

🎙️ Podcast: Impuissance du gouvernement, entrisme islamiste à gauche, échecs et succès littéraires…

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La journaliste Céline Pina © Bernard Martinez

Avec Céline Pina, Eliott Mamane et Jeremy Stubbs.


Le Premier ministre Sébastien Lecornu essaie de faire adopter son projet de budget de la Sécurité sociale en appelant à la responsabilité de tous. Par là, il ne fait que se dégager de toute responsabilité.

Le 24 juin 2025, l’Assemblée nationale a créé une commission d’enquête « sur les liens existants entre les représentants de mouvements politiques et des organisations et réseaux soutenant l’action terroriste ou propageant l’idéologie islamiste ». Ses travaux ne sont pas encore terminés, mais ils ont déjà eu un effet: des journalistes ont été menacés par l’extrême gauche. C’est ainsi que cette dernière, tout en prétendant que l’enquête la vise injustement, a dévoilé sa fidélité à l’idéologie islamo-gauchiste et son peu de respect de la démocratie. Pendant ce temps, outre-Atlantique, Donald Trump envisage l’interdiction des Frères musulmans.

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Si le livre de Jordan Bardella connaît un grand succès populaire, celui de Marine Tondelier est un bide, ainsi que celui de Ségolène Royal. C’est le symptôme d’une gauche qui a perdu la confiance du peuple.

Pour les auditeurs qui sont à la recherche de lectures plus digestes, il y a le nouveau titre d’Eric Zemmour, La messe n’est pas dite (Fayard). Son auteur dialogue avec Mgr Rougé, l’évêque de Nanterre, dans le nouveau numéro de Causeur. Il y a aussi le dernier livre de Gilles-William Goldnadel, Vol au-dessus d’un nid de cocus (également chez Fayard)…

Écoutez 👇

Lyrique: un « Ariodante » en or au château de Versailles

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© Edouard Brane

Un ravissement du regard et de l’ouïe. Franco Fagioli irrésistible de drôlerie


Hasard du calendrier lyrique ? Moins de deux mois après la reprise d’Ariodante à l’Opéra de Paris dans l’épatante mise en scène de Robert Carsen, voilà que le célèbre ‘’Dramma per musica’’ de Haendel, apothéose de la musique baroque, fait l’objet d’une nouvelle production sous les auspices de l’Opéra Royal de Versailles – spectacle rare à tous les sens du mot : dernière représentation le 11 décembre !

Eclatant !

On est ici à mille lieues de la corrosive transposition contemporaine sur fond de scandales médiatiques secouant l’actuelle dynastie Windsor, telle qu’imaginée pour l’Opéra-Bastille par le fameux metteur en scène canadien. Pour l’heure, notre compatriote Nicolas Briançon –  cf. l’an passé, comme acteur au Théâtre Montparnasse, les sketchs de Poiret & Serrault revisités avec François Berléand et, cette saison, son duo avec Pierre Arditi dans Je me souviendrai… de presque tout, une pièce d’Alexis Macquart – investit quant à lui l’écrin fastueux de la monarchie absolue, la cage de scène de l’Opéra Royal s’offrant comme un prolongement de l’habillage de colonnes et de sculptures surchargé d’ors de la salle elle-même, dans une restitution raffinée, poétique et pleine d’esprit des « grandes machines » propres à la pyrotechnie baroque : toiles de décors peints qui, à vue, tombent des cintres, superpositions de trompes l’œil, architectures illusionnistes à la Hubert Robert, fausses ruines et jardins enchantés, lumières changeantes, etc.  Cette inventivité pleine de fraîcheur vient opportunément revivifier la haute tradition, avec un éclat sans pareil. On doit cette performance, une nouvelle fois, au talent de l’émérite Antoine Fontaine, adoubé dès longtemps comme chacun sait par les planches et le cinéma – de Patrice Chéreau à Michel Fau, en passant par Éric Rohmer…   

Franco Fagioli irrésistible de drôlerie

La cour d’Ecosse médiévale issue du livret d’Antonio Salvi inspiré de l’Arioste se voit ainsi transportée dans un XVIIIème siècle pastoral et transalpin dont les tableaux se métamorphoseront sans trêve au long des trois actes. Les costumes (signés David Belugou), renvoient plutôt au siècle du Roi Soleil, avec, pour les hommes, ces justaucorps, ces lourdes perruques bouclées qui s’étalent jusque sur l’échine et ces souliers à hauts talons et, pour les personnages féminins, ces robes baleinées, décolletées, flottantes, dans un camaïeu riche en couleurs pastels… Pour ce qui est du personnage d’Ariodante, lui, et lui seul, est habillé d’un rouge aussi clinquant, aussi vif que l’humour dont le vertigineux Franco Fagioli enrobe à merveille son rôle-titre (rôle assumé à l’origine, rappelons-le, par un castrat, mais qui, dans la version parisienne évoquée plus haut, était travesti sous une voix de mezzo – Emily d’Angelo en 2023, Cecilia Molinari cette année). Chanté donc ici par un contre-ténor, Ariodante y revêt, sous une forme délicieusement parodique, la figure d’une sorte de « folle » du plus haut comique, il faut bien le dire, feudataire emperruqué, gourmé, précieux, maniéré jusqu’au ridicule et fort peu viril en somme : il esquisse des révérences, s’essaie à des pas de danse, tourbillonne,  s’agite beaucoup des bras, les volutes et les ornements virtuoses de son chant servant de contrepoint expressif à un jeu de scène irrésistible de drôlerie et d’efficacité. Le rôle du « méchant », le fourbe et perfide Polinesso, est, là encore de façon tout à fait inattendue, prodigieusement campé par le juvénile Théo Imart, ravissant contre-ténor français –  âgé de 29 ans, il en fait dix de moins ! – (dont à bon escient la mise en scène  caractérise le double-jeu en lui faisant tour à tour ôter puis remettre sa perruque gris-perle sur son beau casque naturel de cheveux châtains) : l’articulation impeccable se conjugue chez lui à une émission flamboyante et à une rondeur de phrasé exceptionnels, cela joint à une présence scénique qui lui vouera d’ailleurs, à juste titre, les ovations répétées du public. On a donc hâte de redécouvrir l’éphèbe Théo Imart en mai prochain dans Ercole Amante (Hercule amoureux), autre opéra baroque d’Antonia Bembo, une nouvelle production de l’Opéra de Paris qui figure déjà dans l’agenda de tout amateur de lyrique. Quant au vibrato ciselé de la basse Nicolas Brooymans, il rend incomparable ce roi d’Écosse au lourd manteau chamarré d’or. Lurciano, le frère d’Ariodante, sous les traits du ténor britannique Laurence Kilsby, est éblouissant de naturel et de clarté. On n’est pas en reste du côté des voix féminines, avec, dans le rôle de Ginevra l’irremplaçable, étincelante Catherine Trottmann, familière de l’Opéra Royal, et la soprano belge Gwendoline Blondeel, laquelle, en Dalinda, impose son agilité dans les acrobaties de ses vocalises. Il est vrai que ce répertoire est, en soi, un véritable concours de virtuosité vocale entre les chanteurs !

Photo: Geoffrey Hubbel

Au-delà de cette lecture pour ainsi dire « littérale », rappel de l’époque même de la création du chef d’œuvre à Londres, en 1735 comme l’on sait pour le Covent Garden, cet Ariodante versaillais dirigé sans baguette sur un tempo alerte par le chef (et violoniste) polonais Stefan Plewniak, à la tête d’un Orchestre de l’Opéra Royal en grande forme, est, d’un bout à l’autre, un ravissement du regard et de l’ouïe. Précipitez-vous !


Ariodante. Opéra en trois actes de Georg Friedrich Haendel. Avec Franco Fagioli, Catherine Trottmann, Théo Imart, Gwendoline Blondeel, Laurence Kilsby, Nicolas Brooymans, Antoine Ageorges. Direction: Stefan Plewniak. Mise en scène : Nicolas Briançon.

Orchestre de l’Opéra Royal. Nouvelle production.

Durée : 3h20.

Le 7 décembre à 15h, les 9 et 11 décembre à 20h.

L’immigration, la science et les gardiens du temple médiatique

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Le député RN Philippe Ballard (à gauche) a répondu aux questions de Tristan Waleckx sur France 2, qui prétend que la chaîne CNews fait de la "désinformation". Capture France TV.

Dans le « Complément d’enquête » qui a fait couler tant d’encre, France TV a prétendu dénoncer la « méthode CNews » en s’appuyant sur la science. Enfin, sur ce qu’elle appelle, elle, la science… Selon la télévision publique, l’absence de lien entre délinquance et immigration ferait l’unanimité parmi les scientifiques. En réalité, la synthèse du CEPII s’appuie sur seulement quatre études étrangères.


Aucun doute, la guerre est déclarée entre l’audiovisuel public, payé par tous les Français, et CNews, chaîne privée appartenant au groupe Bolloré. Le succès de cette dernière agace au plus haut point la présidente, les directeurs et les journalistes vedettes de France TV, tous très généreusement rémunérés avec l’argent de contribuables qui préféreraient que leurs impôts servent à autre chose qu’à maintenir un service public qui leur dit ce qu’ils doivent penser.

Label rouge

Selon les critères d’Emmanuel Macron et de Reporters sans frontières, le dernier Complément d’enquête sur CNews diffusé sur France 2 cochait toutes les cases d’une information fiable, issue d’un travail journalistique rigoureux, présentée par un journaliste d’une totale honnêteté intellectuelle. Selon les critères du commun des téléspectateurs clairvoyants, il a été l’illustration parfaite de ce que l’oligarchie politico-médiatique attend des médias qui rêvent d’être « labellisés » par cette dernière, à savoir un journalisme à la botte du pouvoir socialo-macroniste, prêt à tout pour museler les voix dissidentes.    

Au cours de ce reportage grossièrement à charge, un mot magique, censé clore le débat sur le lien entre délinquance et immigration, sujet trop souvent abordé sur CNews selon France TV, jaillit à plusieurs reprises de la bouche des gardiens du temple médiatique. À la trentième minute de cette invraisemblable enquête sur CNews, une voix off affirme que « le lien de causalité entre étrangers et insécurité n’existe pas. Et c’est la science qui le dit. Le CEPII a recensé tous les travaux sur le sujet. D’après lui, les études concluent unanimement à l’absence d’impact de l’immigration sur la délinquance. » Une demi-heure plus tard, face au député RN Philippe Ballard, Tristan Waleckx assène la même assertion : « Il y a des études scientifiques, c’est le CEPII, ce sont des économistes qui ont fait une compilation de toutes les études qui existent sur le sujet et qui concluent unanimement à l’absence d’impact de l’immigration sur la délinquance. » Condescendant, Tristan Waleckx déclare alors à Philippe Ballard qu’il y a « une différence entre le ressenti, le “doigt mouillé” et la science. » 

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Avant de disséquer le travail « scientifique » auquel Tristan Waleckx fait référence, rappelons que ce journaliste est diplômé de l’École supérieure de journalisme de Lille. Cela n’est pas anodin. Cette école se veut à la pointe du combat pour l’inclusion et la diversité ; elle est « le symbole du formatage idéologique des apprentis journalistes et le temple du “politiquement correct” le plus impeccablement sourcilleux[1] ». Les étudiants de l’ESJ lilloise affirment à 87% voter pour la gauche et l’extrême gauche. Nombre d’enseignants qui y dispensent leurs cours sont issus des principaux médias mainstream (Le Monde, France Info, France 2, l’AFP, France 3 Alsace, etc.) Bref, cet établissement produit « à la chaîne des petits soldats interchangeables au service d’une information corsetée, contrôlée » et très certainement prochainement « labellisée » par leurs prédécesseurs promus au rang de commissaires politico-médiatiques.

France TV

Revenons à notre sujet principal. Le CEPII (Centre d’études prospectives et d’informations internationales) est un service gouvernemental rattaché au Premier ministre. Le rapport dont fait état Tristan Waleckx date d’avril 2023. Élisabeth Borne était alors en poste à Matignon. Elle n’attendait vraisemblablement pas d’un rapport sur l’immigration et l’insécurité issu d’un de ses services qu’il dise autre chose que ce qu’affirmaient à l’époque son ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, et surtout son ministre de la Justice, Éric Dupond-Moretti : l’insécurité est un « sentiment », la submersion migratoire est un « fantasme », établir un lien entre les deux relève de la « désinformation » et fait le jeu de qui vous savez. Les économistes Arnaud Philippe et Jérôme Valette, auteurs du rapport en question, sont censés avoir scientifiquement prouvé la véracité de ces allégations. Voyons un peu à quoi ressemble ce travail titanesque et d’une extraordinaire rigueur vanté par les journalistes de la télévision publique.

Curieuse unanimité

Ce dossier « scientifique » a recensé, selon Tristan Waleckx, « toutes les études sur le sujet », et celles-ci auraient « conclu unanimement à l’absence d’impact de l’immigration sur la délinquance ». Étonnamment, ce dossier exceptionnel ne fait que quatre courtes pages. Il faut dire qu’il ne repose que sur quatre études relatives à l’immigration au Chili et aux États-Unis (1986-2004), au Royaume-Uni (1997-2008) et en Italie (1990-2003) – Tristan Waleckx a donc menti en parlant de… « toutes les études sur le sujet ». Par ailleurs, les périodes analysées remontent à deux voire trois décennies et les pays retenus présentent naturellement des spécificités – importance de l’immigration légale et illégale, origine des immigrés, etc. – qui interdisent les analogies avec l’immigration propre à la France, immigration qui provient à près de 60% du continent africain et a pris des proportions considérables ces dix dernières années. De toute évidence, comme cela arrive trop souvent lorsque l’idéologie domine la recherche, MM. Philippe et Valette connaissaient la conclusion de leur « travail » avant même de s’y atteler – ne leur restait plus qu’à trouver les quelques travaux allant dans leur sens ou pouvant se prêter à des contorsions interprétatives aboutissant à un résultat sonnant comme un slogan: il n’y a aucun lien entre la délinquance et l’immigration en France.      

Torsion de la réalité. Si les auteurs dudit rapport sont obligés de reconnaître que « la surreprésentation des immigrés dans les statistiques [sur la criminalité] se retrouve dans la plupart des grands pays d’accueil »etque, pour la France,« la proportion d’étrangers dans la population totale était en 2019 de 7,4 %, mais s’élevait à 14 % parmi les auteurs d’affaires traitées par la justice, à 16 % dans ceux ayant fait l’objet d’une réponse pénale et à 23 % des individus en prison » [c’est près de 25 % en 2025], ils affirment cependant que plusieurs raisons peuvent expliquer cela. D’abord, les jeunes hommes sont surreprésentés dans la population immigrée et sont plus pauvres que les natifs, ce qui les rendrait « plus susceptibles d’être en infraction avec la loi ». Curieux raisonnement. Quoi qu’il en soit, il y aurait donc bien un lien, même ténu, entre immigration et délinquance – oui, mais cela est la faute du pays d’accueil, en particulier pour les « atteintes aux biens » qui sont « uniquement dues à une exclusion [des immigrés] du marché du travail ». Ensuite, « la surreprésentation des immigrés dans les statistiques de délinquance ne peut être comprise qu’à l’aune du traitement différencié que subit cette population à toutes les étapes du système pénal : de la probabilité d’arrestation à celle d’être incarcéré ». En clair, les immigrés seraient plus souvent contrôlés, plus souvent arrêtés et plus sévèrement punis que les Français pour des infractions similaires. L’idéologie contre le réel – MM. Philippe et Valette ne suivent pas l’actualité ou habitent sur la planète Mars pour sortir de telles énormités. 

Enfin, expliquent-ils, si les Européens en général et les Français en particulier pensent qu’il y a un lien entre la délinquance et l’immigration, c’est surtout la faute des… médias qui traiteraient « de manière différente la délinquance d’origine étrangère et celle des natifs ». En Suisse, au moment du référendum sur la construction des minarets, c’est le traitement médiatique de la délinquance en fonction de l’origine du suspect qui, selon eux, aurait abouti à la victoire du « contre ». Puisqu’on vous dit que c’est scientifique… 

Perceptions, dites-vous…

La conclusion de ce document supposément scientifique est un parfait échantillon de la propagande immigrationniste chère à François Héran, Hervé Le Bras ou Éric Dupond-Moretti. Pour en souligner la fourberie, citons-la entièrement : « L’immigration mérite un débat à la hauteur des enjeux et des inquiétudes qu’elle suscite. Cependant, il n’y a pas de raisons de centrer cette discussion sur la délinquance. Si la surreprésentation quasi-mécanique des immigrés dans les statistiques et les biais médiatiques peuvent créer l’illusion d’une relation entre immigration et délinquance, les études montrent qu’il n’en est rien. Ce n’est pas le fait d’être immigré en soi qui conduit à plus de délinquance, mais des caractéristiques qui, lorsqu’elles se retrouvent chez des natifs, conduisent également à plus de délinquance. Quant au faible effet de l’immigration sur les vols, il peut être résorbé par des politiques favorisant l’intégration économique des immigrés sur le territoire national et notamment leur accès au marché du travail. Un traitement plus équilibré de l’information relative à la délinquance, selon l’origine nationale ou étrangère des suspects, permettrait également de rendre les perceptions plus proches de la réalité. » Cette prose artificieuse ne résulte pas d’un travail scientifique, inexistant en l’occurrence, mais d’une approche idéologique en faveur de l’immigration. Elle mérite un SIC d’or pour son involontaire mise en évidence du procédé orwellien de manipulation de la réalité et d’officialisation du mensonge qui infecte les organes gouvernementaux et les médias de l’audiovisuel public.  

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Car la réalité, implacable, dément ces contre-vérités. À l’inverse de la France, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne, le Danemark, les Pays-Bas ou la Suisse publient des chiffres extrêmement précis de la criminalité par nationalité ou par origine. Dans ces pays, une même conclusion s’impose : les étrangers et les personnes issues de l’immigration extra-européenne sont surreprésentés dans les agressions physiques et sexuelles, les vols, le narcotrafic. Cela n’a fait que s’amplifier ces dernières années. En Allemagne, en 2023, la police a recensé 923 000 délinquants présumés d’origine étrangère, soit 41 % de l’ensemble des suspects appréhendés. La ministre de l’Intérieur, la sociale-démocrate Nancy Faeser, prônait alors la tolérance zéro et affirmait vouloir obliger tous les délinquants étrangers à « quitter l’Allemagne ». De son côté, le gouvernement français répugne à publier des statistiques complètes et précises sur la criminalité, en particulier la nationalité ou l’origine des délinquants. Pourtant, selon le ministère de l’Intérieur, 93% des vols et 63% des agressions sexuelles dans les transports en commun en Île-de-France sont commis par des étrangers. Les violences sexuelles dans ces espaces ont augmenté de 86% en dix ans. Le phénomène se répand sur tout le territoire. Il serait également intéressant de connaître la proportion des Français issus de l’immigration impliqués dans des affaires d’agressions physiques et sexuelles, de vols, de refus d’obtempérer, de trafic de drogue, etc. Aux Pays-Bas, des statistiques complètes sont réalisées et publiées : alors que les personnes issues de l’immigration « non-occidentale » représentent 14% de la population, elles comptent pour 35% dans les infractions sexuelles, 40% dans les agressions physiques, 40% dans le narco-trafic, 60% dans les vols violents. Idem au Danemark où les immigrés et leurs descendants (= enfants) représentent 40% des condamnations pour homicides, viols et vols alors qu’ils ne représentent que 12% de la population[2]. Il est à craindre qu’en France les chiffres soient similaires, voire plus inquiétants encore. Difficile de le savoir : les pouvoirs publics ne donnent que peu d’informations et, à l’inverse de ce qu’affirment les auteurs du CEPII, les médias dominants rechignent à dire la vérité sur cette nouvelle criminalité et à montrer la réalité, quand ils ne la déforment pas – il suffit de se remémorer de quelle manière ont été traitées les affaires concernant Lola, Thomas, Philippine ou Élias, et de quelle façon ont été présentées celles concernant Adama Traoré ou Nahel Merzouk et les émeutes qui ont suivi, pour comprendre de quoi il retourne. Vaste sujet qui mériterait pour le coup un véritable… complément d’enquête.

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[1] Xavier Eman, Formatage continu, Tour de France des quatorze principales écoles de journalisme, préface de Claude Chollet (L’Observatoire du journalisme), 2024, La Nouvelle Librairie.

[2] Ces chiffres sont extraits des différents dossiers présentés par le data-analyste Marc Vanguard sur son site web. Les nombreuses données récoltées et analysées par ce dernier sont issues des ministères, des différents services gouvernementaux ou des organes de la statistique officiels de chacun des pays concernés. Rien à voir, donc, avec le travail « scientifique » des économistes du CEPII…       

L’Espagnol qui voulait gagner sa place au soleil

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© CHOGNARD ETIENNE/TF1/SIPA

De l’Espagne franquiste à la Movida, du Festival de Benidorm à son installation somptuaire en Floride, Julio Iglesias a incarné la réussite exponentielle du chanteur de charme et un art de vivre flamboyant. Enfin traduite en français, la biographie littéraire de Ignacio Peyró traduite par Albert Bensoussan vient de paraître au Cherche midi. Portraits croisés du crooner latin en lévitation et d’une émancipation ibérique…


Julio est une anomalie née au siècle dernier. Un mystère dans une époque devenue congelée. Son sourire aura abattu tant de digues morales. Il a toujours eu la baraka. Aujourd’hui, un tel parcours scruté par les réseaux sociaux serait-il possible ? Ses gestes, ses conquêtes, sa nonchalance et son charisme, son absence de calcul politique et sa bonne étoile, son ambition transparente comme l’eau de roche et son amour véritable du public charrient tant de souvenirs. Des bons. Le temps des possibles. D’un équilibrisme éminemment sympathique. Son œcuménisme scénique est incompréhensible de nos jours quand des chanteurs travaillent leur propre clientèle et incitent au clivage idéologique. Julio transcende les partis. Il n’est pas un sectaire, ni un roublard. Il veut être aimé de tous. Il croit aux forces de l’amour. Il a l’esprit large et le cœur ouvert à toutes les aventures. Il n’est pas borné. Il n’a pas l’outrecuidance de nous donner des leçons de civisme. Lui, le fils du bon docteur gambilleur, rejeton bourgeois évoluant dans un environnement franquiste, bénéficiant de la clémence du régime fut, à son corps défendant, l’incarnation de la transition démocratique espagnole. Il était déjà là sous Franco, il le sera encore sous Felipe González. L’ami d’Aznar chanta pour Mitterrand. Le proche du couple Reagan fut l’un des premiers à tourner en Chine. Il ne se coupa d’aucun public. Il ne se refusa à personne. Au-delà d’une habileté commerciale remarquable, il faut voir dans cette altruisme la marque d’une sincérité. Julio est comme ça, charmeur, doux, intelligent, conscient de son emprise et de ses limites vocales, professionnel acharné mais aussi rêveur, presque mélancolique. Il est peu porté sur les conflits. Il les enjambe. Il ne s’appesantit sur rien. La vie est trop courte et on l’appelle déjà à Mexico ou à Singapour pour un concert. Il dort dans son avion privé. Jadis (il a fêté ses 82 ans en septembre dernier), il apparaissait sur les écrans de la ZDF, de la BBC ou d’Antenne 2 dans le rôle du « latin lover », le micro collé à sa joue, la sérénade en sarabande, se moquant des idiomes locaux, susurrant l’amour béat, feignant d’être un perdant, jouant une partition frisant la caricature et nous l’adorions déjà. On pardonnera toujours tout à Julio. Il est l’élu du microsillon dans une Espagne sous camisole qui peina à se défaire de cette dictature maquillée en fée du tourisme balnéaire. Ignacio Peyró, actuellement directeur de l’Institut Cervantès à Rome, a écrit une biographie piquante et cajoleuse pour réparer une infamie culturelle. Le journaliste n’apprécie pas que l’on ricane sur Julio, que l’on mésestime son talent et son aura. Chez nous aussi, en France, le chanteur populaire vit des heures sombres. On le disqualifie par peur de succomber à ses tubes. Ignacio Peyró le confesse : « éprouver de l’antipathie pour Julio Iglesias serait comme détester les dauphins ». Dans cette étude littéraire à cloche-pied, il essaye de comprendre les ressorts de cette addiction méditerranéenne. Julio n’est pas une espagnolade éphémère. Il est le trait d’union d’un pays fragmenté. « Julio Iglesias a traversé son époque sans être le fils de son époque. Il fut crooner à contre-temps […] Quand la mode était au négligé esthétique, lui préférait les beaux costumes. Et si la vogue était au moralisme de la chanson d’auteur, il ne dédaignait pas la suave douceur d’un romantisme sans âge » analyse-t-il, brillamment. Dans cette biographie sentimentale, on en apprend donc autant sur la carrière de Julio notamment sa tumeur au dos que sur le lent réveil de l’Espagne. Comment Julio fut, à sa manière, l’artisan involontaire de la bétonnisation de Benidorm et la bande-son d’une classe moyenne émergente. La carrière de Julio se construit en parallèle de l’Espagne. Julio est un phénomène national à vocation internationale. Il remplit le Camp Nou à Barcelone alors qu’il fut gardien de but au Real. Julio brise tous les paradoxes.  Les filles passent, certaines comme la Française Gwendolyne laisse des traces. Le mariage de Julio et son divorce sont des événements mondains que l’on commente en terrasse. Peyró explique très bien que la réussite de Julio et son eldorado sur le continent américain sont, malgré les rires en coin, une fierté pour tous les Espagnols. L’un des leurs a réussi là où personne n’avait imaginé mettre les pieds. Cette biographie est savoureuse car on y croise Sydne Rome, Diana Ross, la moiteur des villas de milliardaires, le défilé des mannequins au petit matin et des garages remplis de Rolls. Juan Carlos se reconnaît dans ce chanteur de variété au culot monstre et pas bégueule pour une peseta. Jusqu’à maintenant, on aimait Julio sans le savoir, maintenant on pourra argumenter en société et faire taire les aigris de la vie.

Un certain Julio Iglesias de Ignacio Peyró – Le cherche midi 352 pages

Il y a une vie après l’Assemblée…

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© Ville de Béziers

Nous n’avons toujours pas de budget mais les préparatifs de Noël vont bon train… À Béziers, le froid est arrivé et les chalets, les illuminations et la fontaine musicale de Noël ont été inaugurés dans la bonne humeur. En attendant la crèche, bien sûr !


Digues

Coup de tonnerre à l’AN : ils ont osé voter une résolution du Rassemblement national ! Le groupe parlementaire a réussi, lors de sa « niche parlementaire » et pour la première fois de son histoire, à faire voter un texte au sein de l’hémicycle. Une « journée historique pour le RN. Ce n’est pas un tournant, c’est une marche ! » a ainsi salué Marine Le Pen. Bon, pas d’emballement tout de même, il ne s’agit que d’une résolution symbolique. Mais le sujet est de taille : demander la suspension de l’accord franco-algérien de 1968. Cela n’a pas été du goût de tout le monde dans l’hémicycle, un député LFI pointant du doigt un « texte raciste », et « le retour de l’OAS [Organisation de l’armée secrète] à l’Assemblée nationale ». Rien que ça… Ian Brossat, sénateur communiste, n’a pas aimé non plus. Tout cela est très « nauséabond » selon lui. Remarquez, il sait de quoi il parle… Quelqu’un lui a-t-il rappelé que, durant la guerre d’Algérie, c’était des membres de son parti qui passaient des valises de billets pour le FLN ? « Nauséabond », vraiment ?

Un « bougé »

Ce débat est aussi l’occasion aussi d’en apprendre un peu plus sur les conséquences financières d’un tel accord avec l’Algérie. Par exemple, un Algérien de plus de 65 ans retraité en Algérie qui arrive dans l’Hexagone cesse de toucher sa retraite algérienne, mais touche immédiatement le minimum vieillesse en France, alors que le gouvernement algérien conserve l’argent de la pension de l’assuré. Bingo !

Pendant ce temps, et avant la libération de l’écrivain Boualem Sansal, Laurent Nuñez, dernier ministre de l’Intérieur en date, appelait à « renouer le dialogue avec Alger pour des questions de sécurité », et souhaitait un « bougé » – le nouveau mot à la mode chez nos politiques – dans nos relations avec l’Algérie, précisant qu’une remise en cause de l’accord franco-algérien de 1968 n’était pas « à l’ordre du jour ». Bah oui quoi ! Qui a dit que l’Assemblée nationale servait à quelque chose ?

Féminisme

Cela se passe le 6 novembre dans les couloirs de l’Assemblée nationale. Un groupe scolaire vient assister à une séance du Parlement. Il est composé de plusieurs fillettes, voilées de la tête aux pieds. Elles sont accompagnées d’un homme à la barbe longue et non taillée. Rapidement, la polémique enfle. Que dit le règlement du Palais-Bourbon à ce sujet ? Son article 8, qui encadre l’accès aux tribunes, exige que le public soit « assis, découvert et en silence ». En théorie donc, pas de voile islamique. Ce qui n’est apparemment pas si facile à faire appliquer par nos chers huissiers… Ce qui ne cesse de m’étonner, c’est la réaction de nos féministes pur jus. Parmi elles – au nom de la tolérance, bien sûr ! –, l’inénarrable Marine Tondelier et son « Qu’on lâche la grappe aux femmes ! » oubliant au passage que les femmes en question n’ont que 9 ou 10 ans et occultant la dimension patriarcale du voile… Et si on écoutait le bon sens des Français ? 71 % d’entre eux sont favorables à l’interdiction du voile pour les mineures de moins de 15 ans, selon un sondage CSA pour CNews, Europe 1 et le JDD. Parmi eux, figurez-vous qu’on trouve même des électeurs de gauche ! Rassurant.

All inclusive

On connaissait les LGBT, mais le combat semble maintenant d’arrière-garde. Eh oui ! Nous sommes passés aux LGBTQQIP2SAA ! Sans rire. Cette combinaison de lettres quasi exhaustive (on est rassurés !) tente « de représenter toutes les identités de la communauté queer ». Il s’agit des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres, queer, en questionnement, intersexuées, pansexuelles, bispirituelles, asexuelles et alliés. Là, je m’interroge : qu’est-ce donc qu’un « allié ». C’est celui (ou celle, je sais…) qui « soutient l’égalité des droits pour tous, sans distinction de race, d’orientation sexuelle, de genre ou de religion ». En cherchant bien, on devrait pouvoir trouver quelques hétéros dans cette dernière catégorie…

Sermon

Comme chaque commémoration de l’Armistice, le 11 novembre dernier a commencé par une messe à Béziers. Je ne résiste pas à partager avec vous un extrait du sermon (on dit homélie en langue bien-pensante) de notre archiprêtre Hervé Dussel : « Aujourd’hui, nous sentons bien que notre pays traverse un temps d’épreuve morale. […]Oui, la France est blessée, non par la guerre des armes, mais par l’usure du sens, par le doute sur ce qu’elle est et sur ce qu’elle veut devenir. Or, une nation ne se reconstruit pas seulement avec des lois ou des chiffres. Elle se reconstruit par la fidélité à ce qui l’a fait naître : la foi dans la valeur de l’homme, la responsabilité, la solidarité, la recherche du bien commun. » La messe s’est terminée avec la chorale de notre police municipale, qui a chanté, accompagnée d’une cornemuse, la Prière du para. Un hymne à la mémoire, à l’émotion et au recueillement. Hors du temps.

Révolte

Le 15 novembre, Béziers a accueilli la manifestation régionale des viticulteurs. Près de 7 000 personnes venues réclamer de pouvoir vivre du fruit de leur travail. Ce jour-là, nous avons été nombreux à penser à 1907, où nos vignerons avaient marché par centaines de milliers, le cœur en feu et les poings serrés sur ces mêmes allées Paul-Riquet. En 1907, chez nous, la révolte a éclaté comme un orage, contre la misère imposée par les puissants. En 1907, Paris a tremblé. En 2025, on attend toujours…

Liberté

Enfin la bonne nouvelle tant attendue ! Boualem Sansal est libre… Après presque une année entière de détention en Algérie. Nous avons fêté cela à Béziers en compagnie de Noëlle Lenoir et Xavier Driencourt, piliers de son comité de soutien, en inaugurant un patio à son nom au cœur même de notre médiathèque… Nous espérons tous le voir très vite. On croise les doigts pour que cette libération ne soit que les prémices d’une autre, celle du journaliste Christophe Gleizes, condamné pour « apologie du terrorisme ». En français dans le texte, « interview d’un footballeur kabyle sur le sport en Algérie ».

Pierre Maillet: le cinéma le rend marteau !

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© Pascale Pigny

Chaque semaine, Philippe Lacoche nous donne des nouvelles de Picardie…


Ma Sauvageonne a véhiculé son fils, il y a peu, à la Maison du théâtre d’Amiens. Dans le cadre de ses études, ce dernier devait assister à la pièce Une vie d’acteur, d’Emilie Capliez et Tanguy Viel, avec, seul sur scène, le comédien Pierre Maillet. Comme je ne la lâche pas d’une semelle, j’étais, bien sûr, du voyage. Nous avions prévu d’abandonner l’adolescent aux portes de l’établissement théâtral, d’aller nous désaltérer dans un estaminet du quartier Saint-Leu, et de le récupérer une heure et vingt minutes plus tard. La vie, une fois de plus, en décida autrement.

À la porte de la Maison du théâtre, nous rencontrâmes, mon ami Monsieur Freytel (c’est ainsi que le surnomme le fils de la Sauvageonne, car c’est l’enseignant du lycée fort respectable et catholique qu’il fréquente). Je ne t’ai pas encore précisé, lectrice adulée, que Christophe Freytel est aussi professeur de théâtre, metteur en scène (il a donné vie sur les planches à ma pièce sobrement intitulée Pourriture!) et l’un de mes meilleurs amis. « Si vous voulez assister au spectacle, dites-le-moi car il me reste des places ; j’accompagne un groupe d’élèves », nous dit-il, pétillant de bonheur et toujours ravi de faire plaisir. Nous acceptâmes de bonne grâce, et ne le regrettâmes point. Nous passâmes une heure et vingt minutes très agréables grâce à Une vie d’acteur et à la prestation solitaire de Pierre Maillet.

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Acteur et metteur en scène, né à Narbonne en 1972, il totalise une trentaine de mises en scène à son actif. Il a également joué dans une quarantaine de spectacles pour d’autres troupes et collectifs. Mais ce qui le passionne, c’est le cinéma. Une vie d’acteur n’est rien d’autre que le reflet de sa passion. Parangon des cinéphiles, il collectionne, dit-on, chez lui des centaines de longs-métrages ; ils font partie de son existence et façonnent son univers artistique. Dans Une vie d’acteur, il les évoque mais il évoque aussi sa vie. Il raconte que, quand à 11 ans, dans un cinéma de province, il découvrit le film Tootsie, ce fut pour lui une révélation. « Je serai acteur ! » songea-t-il. Il y parvint. Il déroule ainsi la pelote de ses souvenirs qu’il fait resurgir en citant, insatiable, les noms des films qu’il vénère ou, pour diverses raisons, l’ont marqué : Tootsie (of course!), King Kong, Les dents de la mer, Ghostbusters, Le dernier métro, Frankenstein Junior, L’Effrontée, Mauvais sang, Buffet froid, Peau d’âne, Les parapluies de Cherbourg, etc. Chaque œuvre fait apparaître, chez Maillet, une image, une odeur, un visage, une situation, une joie, un malheur.

On sent bien qu’on est ici entre fiction et réalité. Et quand il raconte avec tant de mélancolie et de nostalgie son enfance à Narbonne, on n’est pas très loin du Patrick Modiano de Villa triste. Ces instants précieux se révèlent carrément délicieux et émouvants. On se réjouit alors que le cinéma ait rendu Maillet complètement marteau.

Les (très bonnes) affaires chinoises de M. de Villepin

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© RTL-BUKAJLO/RTL/SIPA

La cellule investigation de Radio France s’est livrée à une enquête de plusieurs mois sur les activités chinoises de l’ex-Premier ministre d’un des gouvernements Chirac. Les journalistes Élodie Guéguen et Géraldine Hallot étaient à la manœuvre. Le résultat de leur travail est des plus intéressants. Si l’on voulait résumer hâtivement – et je l’avoue ironiquement – nous dirions que la grandiloquence, le verbe emphatique et abondant se vendent plutôt bien dans les hautes strates de l’Empire du Milieu. Un autre ex-Premier ministre de la chiraquie avait en quelque sorte ouvert le bal, Jean-Pierre Raffarin, lui aussi grand faiseur de phrases. Pour l’un comme pour l’autre, l’avalanche verbale passée, il n’est pas rare qu’on se trouve devant davantage de vide que de sens profond. Du moins quand on se donne la peine de chercher à démêler ce qui a été déversé. Un peu comme pour le Trissotin de Molière, s’agissant de M. de Villepin on « cherche ce qu’il dit après qu’il a parlé. » Il se peut après tout que la grande subtilité que l’on prête au peuple chinois lui permette de pénétrer une finesse, une intensité conceptuelle qui, malencontreusement, se refuseraient à nous.

À l’instar de M. Raffarin, M. de Villepin, ayant sans doute considéré qu’il avait hissé la France au plus haut de ce qu’elle pouvait espérer en matière de prospérité intérieure, d’influence internationale, de puissance en tous domaines, et qu’elle ne lui offrirait donc plus le moindre chantier à sa mesure, conclut tout naturellement qu’il ne lui restait plus qu’à aller dispenser les bienfaits de son immense talent – que dis-je, talent, alors que le mot génie s’impose – ailleurs de par le monde.

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La Chine, donc, aura eu l’insigne bonheur de l’accueillir. Enfin un empire à sa dimension ! La Chine, mais aussi d’autres contrées de ce monde, nous rappelle l’enquête Radio France. L’Arabie Saoudite, le Qatar, à ce qu’il semble, et, paraît-il, en son temps, la Russie de M. Poutine. On notera le haut niveau d’exigence morale qui préside à de tels choix, orientés exclusivement vers des pays au système démocratique des plus avancés. On ne peut que s’en réjouir.

En Chine, nous apprennent donc les investigatrices, M de Villepin fait tout naturellement ce qu’il sait faire de mieux, il parle. Il donne des conférences. Parfois aussi, étant grand amateur d’art contemporain, il officie dans ce domaine, livre ses conseils éclairés. Avec son fils, il a ouvert d’ailleurs une vaste galerie d’art, très en vogue, à Hong-Kong. Propriété du fils, tient-il à préciser.

Nous apprenons aussi dans cette enquête que c’est le général Christian Quénot, ancien chef d’état-major de François Mitterrand qui l’aurait mis sur la piste de Pékin. Bien lui en a pris. Car là-bas, la parole est d’or : 94 000 euros versées à M. de Villepin pour deux conférences, l’une à Zhengzhou, une autre quelques jours après à Chengdu dans le Sichuan. Les journalistes de France Inter en ont dénombré pas moins de cinquante du même ordre. Bien sûr tous frais payés, voyage en first classe et tapis rouge à l’arrivée.

En outre, parmi d’autres occupations, notre ex-Premier ministre y assure là-bas la présidence de l’ITMA, une instance paragouvernementale en charge du tourisme de montagne. Toujours le goût des sommets, voyez-vous. Une autre de ses multiples compétences jusqu’alors trop ignorées de nous autres pauvres Français.

Bref, notre homme est, on le voit, particulièrement bien en cours chez l’empereur Xi Jinping. Il faut reconnaître qu’il sait y faire. Ne l’a-t-on pas photographié avec, sur les genoux, un magnifique Panda de 43 kilos ? L’image a fait le tour du pays et elle a de surcroît beaucoup plu aux autorités, car comme le dit sans fard le général Quénot lui-même : « Si vous n’êtes pas bien avec le pouvoir central, vous ne faites pas d’affaires en Chine. »

Bien sûr, les premiers intéressés – Villepin, Raffarin – jurent leurs grands dieux qu’il ne s’agit en aucune façon pour eux de cautionner le régime communiste, ni de participer à une entreprise visant à légitimer tant à l’intérieur qu’à l’extérieur ce système dictatorial. Pensez donc ! Mais qui peut croire que le pouvoir post-maoïste, qui a la main sur tout, de la conquête spatiale aux compétitions de ping-pong et de majong, se donnerait la peine de cajoler à ce point d’ex-Premiers ministres de démocraties occidentales s’il n’en attendait rien d’autre que les délices éclatantes de leur talent oratoire ou leurs avis éclairés sur le noir Soulages ? Oui, qui?

À l’en croire, ce serait donc en toute innocence, en toute « indépendance » (sic) que Villepin se fait l’enthousiaste VRP de ce vaste projet à fort relent impérialiste qu’est la « nouvelle route de la Soie », en réalité le grignotage à marche et emprunts forcés de territoires, de sites parfois stratégiques, tel port grec par exemple. Ou lorsqu’il s’enflamme à une tribune choisie, clamant « China is back », la Chine est de retour, et pour de bon ! On ne savait pas qu’elle avait disparu. Probablement, M. de Villepin, dont la modestie n’est pas le plus fulgurant des mérites, considère-t-il qu’avant sa venue elle sommeillait, déclinait, dépérissait. D’où le vrai sens, selon lui, de sa croisade, car il tient à le dire la main sur le cœur, il agit là-bas le plus souvent bénévolement. Ce qu’il gagne chez l’ami chinois c’est peanuts, ou presque. Quelque chose comme 8 à 10% du chiffre d’affaires de sa société Villepin International. Une broutille, une aumône, de l’argent de poche.

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D’ailleurs, au cas où certains d’entre nous se prendraient à rêver, il nous délivre ce précieux conseil : « Si vous voulez faire fortune, ce n’est pas en Chine qu’il faut aller. »

Ce serait donc ailleurs que notre homme serait allé chercher de quoi faire, notamment, de son vaste domicile parisien un véritable musée d’art contemporain, aux dires de ceux qui ont eu l’occasion d’en franchir les portes. Ailleurs, mais où ? À quand une nouvelle enquête du genre de celle-ci ? Ce pourrait-être également très instructif.

Comme l’est, instructif, le sens diplomatique très affiné dont l’intéressé fait preuve dans ses déclarations. On l’a maintes fois entendu condamner, avec toute la pompeuse véhémence dont il est capable, le sort fait aux Mahométans de Gaza. Mais étrangement, on ne l’a jamais entendu pleurer sur celui réservé aux musulmans Ouïghours. Il doit y avoir une explication. Toute simple. On aimerait l’entendre…

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Une nuit pour une vie entière

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L'écrivain espagnol Antonio Muñoz Molina photographié à Madrid en 2016 © EFE/SIPA

Antonio Muñoz Molina est considéré comme l’un des plus grands écrivains de langue espagnole. Son œuvre romanesque a reçu de nombreux prix et, chez nous, il a obtenu le prix Médicis étranger en 2020 pour Un promeneur solitaire dans la foule. Cette année, est publié dans une splendide traduction Je ne te verrai pas mourir ; titre emprunté à un vers de Idéa Vilarino : « Plus jamais je ne te toucherai. Je ne te verrai pas mourir. »


Le départ pour le nouveau monde

« Je suis une invention docile de mon père » dit Gabriel Aristu, personnage principal du roman. Et c’est donc docilement qu’il obéira à l’injonction de s’exiler aux États-Unis où il gravira les échelons et déambulera dans les étages élevés des banques internationales et des avocats d’affaires. La souffrance d’un père durant la guerre civile et les sacrifices endurés après celle-ci se conjugueront pour faire quitter l’Espagne à un jeune homme qui aurait préféré demeurer auprès d’Adriana Zuber et jouer du violoncelle. On saura très peu de choses de sa vie américaine ; sa femme possède une voix aiguë et enjouée qui semble résumer à elle toute seule la cordialité toujours un peu exagérée des autochtones; sa voix dit l’Amérique et cela suffit. Quant à ses deux enfants, on sait qu’ils sont deux… Le seul moment vraiment décrit sera celui de l’arrivée et du dépaysement pour qui change radicalement de dimension. Ce sera du reste également l’expérience du troisième personnage ; un jeune étudiant, exilé tout comme lui dans le nouveau monde, mais d’au moins une génération plus tard. « Les espaces intérieurs que me fit traverser le professeur Bersett avant d’atteindre le parking me parurent magnifiques. Sa voiture était un 4×4 aux proportions excessives. Je vis pour la première fois, dans un sursaut, une ceinture de sécurité qui s’ajustait automatiquement. Les rétroviseurs extérieurs étaient plus grands qu’en Espagne. L’autoroute sur laquelle nous débouchâmes avait une amplitude amazonienne. Des deux côtés s’élevaient des forêts de hauts arbres hivernaux que le coucher du soleil plongeait dans une ombre grisâtre, plus épaisse sur la ligne d’horizon composée de collines. Quand la nuit tomba, les voies s’éclairèrent et l’obscurité des bois devint impénétrable. Tel était l’impact du changement d’échelle pour un Européen du Sud, le côté démesuré, expansif, exorbitant de l’Amérique. »

J’ai tant rêvé de toi

Et c’est ce troisième personnage qui, en prononçant un nom, fera retraverser l’Atlantique à un monsieur de cinquante ans plus vieux désormais, pour revoir celle qu’il a portée en lui durant tout ce temps ; celle qui fut l’évidence dans sa vie, au point de passer celle-ci à rêver d’elle, au point de faire appel intérieurement à elle pour élucider ses pensées et ses choix. Plus que muse, elle aura été,  à distance et sans le savoir, son éclaireuse, car « en s’éloignant d’Adriana Zuber, il s’était éloigné de lui-même et de ce qu’il avait de meilleur en lui. (…) Il avait aboli la vie qu’il aurait dû mener, son identité qui ne se cristallisait qu’à son contact, grâce à son influence passionnée et lucide. » Le roman raconte de manière prodigieuse la vie onirique de Gabriel Aristu ; vie qui devient sa vie véritable et qu’il voudra à toute force lui faire savoir lorsqu’il la retrouvera, et qui lui fera dire d’abord : « Si je suis ici, si je te vois, si je te parle, c’est que je dois rêver. » Effectivement, comment faire la différence quand la substance onirique rencontre soudain le réel ? Mais la femme qui aujourd’hui se trouve face à lui et dont les cheveux ne sont plus roux mais blancs, incarne un principe de réalité qui tombe un peu comme un couperet et qui interroge quant à l’amour qu’on croit éprouver pour autrui :« Tu ne m’aimais pas comme tu le pensais, ou tu n’étais pas amoureux de la femme que j’étais, non. Tu étais amoureux de ton amour pour moi. » Adriana lui rappelle également qu’ils n’ont pas passé une nuit ensemble comme lui ne cesse de le croire, mais tout juste cinq heures entre le début de l’après-midi et le coucher du soleil, car il avait peur de décevoir ses parents en ne rentrant pas dîner avec eux avant son départ…

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Mais au-delà de cette différence d’appréciation, il y eut pour elle comme pour lui un miracle madrilène qui fut l’accomplissement de mois et peut-être d’années où leurs personnes auront accordé leurs goûts, leurs émois, leurs pensées au point que leurs corps auront trouvé immédiatement une harmonie et un bonheur tel qu’il s’inscrira pour toujours dans la mémoire d’un jeune homme indécis. Ces quelques heures puissamment érotiques sont décrites dans une prose d’une subtilité bouleversante, et ces quelques heures qu’il appellera pour toujours « la nuit » feront que rien, de son cœur, de sa chair et de sa mémoire ne semblera avoir été affecté par un demi-siècle d’existence hors d’Espagne même s’il ne se sent pas pour autant chez lui à Madrid lorsqu’il y remet les pieds. Il aura tangué quelque part sur l’océan et n’aura amarré qu’à la nuit venue.

Le dernier geste

Si le point de vue de cet homme et son parcours sont ici privilégiés, Adriana, à la fois inexistante dans sa vie réelle et omniprésente dans le roman, n’est pas pour autant invisible. Nous ne cessons de voir avec Gabriel ses yeux perçants, sa chevelure rousse, sa bouche ironique. En revanche, sa «  réalité rugueuse à étreindre[1] » ; celle de toute une vie, échappe à celui qui la retrouve au soir de sa vie. Adriana, elle, ne rêve pas, et n’a pas eu le dépaysement de celui qui part pour subvenir à la perte. Et c’est avec un réalisme poignant qu’elle fera une demande très concrète à l’homme autrefois tant aimé. C’est avec détermination qu’elle attendra de lui un geste qui appartient au domaine tangible de la vie. La question, bien sûr, sera de savoir si l’homme qui se sera nourri de rêves pour ne pas seulement errer en s’adaptant au monde ambiant, y consentira…

L’écriture d’Antonio Munos Molina est impressionnante, notamment dans les presque soixante premières pages qui sont une longue, très longue phrase telle une mélopée, que l’écrivain renouvelle à chaque chapitre, le précédent se concluant par une virgule, à l’image des amants qui, pendant cinq heures selon Adriana, une nuit selon Gabriel, n’auront cessé de remonter à la surface pour mieux replonger dans l’unisson de leur corps à corps, et à l’image du retour sporadique et pourtant sans fin de la femme aimée dans la nuit d’un homme.

Je ne te verrai pas mourir d’Antonio Munos Molina, Éditions du seuil, 2025 240 pages


[1] Rimbaud, Une saison en enfer