Accueil Édition Abonné Décembre 2025 « Io sono Giorgia » ! Le système Meloni

« Io sono Giorgia » ! Le système Meloni

La vengeance d'une blonde


« Io sono Giorgia » ! Le système Meloni
Giorgia Meloni et Ursula von der Leyen au sommet du G7 à Borgo Egnazia, dans les Pouilles, le 13 juin 2024 © Francesco Fotia/AGF/SIPA

Giorgia Meloni est à la tête du gouvernement italien depuis trois ans. Ses succès ne reposent pas uniquement sur les lois votées ni les réformes engagées mais sur une stratégie européenne de longue haleine qui lui confère aujourd’hui prestige et sympathie sur la scène internationale.


En 1997, vous avez vibré pour le « blairisme », ce coup de neuf progressiste dont la social-démocratie européenne avait tant besoin ? En 2007, vous vous êtes emballé pour le « sarkozysme », ce grand retour de la volonté en politique ? En 2017, vous avez admiré le « macronisme », ce syncrétisme socialo-libéral si efficace et dynamique, censé dépasser les clivages traditionnels ? Alors c’est certain, vous adorerez le « melonisme », ce néopopulisme célébré ces derniers temps dans la presse internationale comme le mariage réussi entre convictions identitaires et rigueur budgétaire. Cependant, si vous ne croyez pas au père Noël, un bilan d’étape plus circonstancié de la politique de Giorgia Meloni depuis qu’elle a pris la tête du gouvernement italien s’impose. On verra aussi que la conquête du pouvoir a été préparée par une mue politique mûrement réfléchie.

Longévité rare

Arrivée en octobre 2022 au palais Chigi (le Matignon italien), Meloni peut se vanter d’une longévité rare à ce poste, mais surtout d’avoir maîtrisé les déficits, obtenu une forte désinflation et fait baisser le chômage. Seulement la Première ministre n’a pas eu recours à un traitement de choc à la Javier Milei pour obtenir ces résultats. On veut la recette de sa potion magique.

Retour en 2022. Dès qu’elle rentre en fonction, Meloni referme l’ère du « quoi qu’il en coûte », qui avait été ouverte par la pandémie de Covid, puis prolongée par l’envolée des prix de l’énergie suite à l’invasion de l’Ukraine. Conséquence, le déficit public, supérieur à 8 % du PIB en 2022, est ramené sous la barre des 4 % en 2024. Mieux, cette baisse de la dépense publique n’a pas asphyxié l’activité, car la présidente du Conseil s’est arrangée pour faire octroyer à l’Italie une portion non négligeable (environ 200 milliards d’euros) du plan de relance européen. En d’autres termes, comme l’a souligné Marine Le Pen dans notre numéro de novembre, nos voisins transalpins font désormais financer une partie de leurs dépenses publiques par Bruxelles. Cependant, comme on le verra, l’UE, comme le Ciel, aide ceux qui s’aident eux-mêmes. Meloni a beaucoup travaillé pour obtenir ce cadeau.

Vient alors le trophée de Meloni : l’emploi. Le taux de chômage, qui stagnait depuis une décennie autour de 9 à 10 %, s’établit désormais à environ 7 % et pourrait continuer de baisser. Ce succès, accompagné d’une belle reprise de l’investissement (680 milliards d’euros estimés en 2025), s’explique par un net recul de l’inflation (0,9 % aujourd’hui contre 8 % en 2022, ce qui a permis de sauvegarder la demande intérieure), doublé d’un excédent commercial en hausse (40 milliards d’euros cette année), reflet des performances de l’industrie italienne sur les marchés européens et asiatiques.

Parmi les autres mesures économiques décidées par Meloni, signalons la réforme du revenu de citoyenneté (l’équivalent de notre RSA), la réduction des subventions pour la rénovation énergétique des bâtiments et la flexibilisation du marché du travail. Mais aussi une baisse de l’impôt sur le revenu pour la tranche comprise entre 28 000 et 50 000 euros annuels (passée de 35 % à 33 %) et un allégement de l’impôt sur les sociétés. Enfin, quelques privatisations partielles comme celles d’ITA Airways (la compagnie aérienne nationale), de la banque Monte dei Paschi di Siena (la plus ancienne banque au monde) et du pétrolier ENI (le premier groupe du pays) ont rapporté autour de 4 milliards d’euros.

Pas vraiment une rupture historique

Cependant l’Italie n’est pas sortie de l’auberge. La croissance reste faible (+ 0,7 % en 2024), la productivité du travail demeure atone, la bureaucratie administrative continue de peser sur les entreprises, les inégalités régionales se creusent et le vieillissement de la population érode le marché du travail. Enfin, avec une dette publique proche de 135 % du PIB, l’Italie reste le deuxième pays le plus endetté de l’UE (derrière la Grèce et juste devant la France). Bref, l’essentiel du redressement économique de la péninsule provient davantage de circonstances favorables, dont Meloni a certes su tirer le plus grand profit, que de réformes structurelles durables, dont le pays aurait pourtant bien besoin. Et si Rome inspire aujourd’hui davantage de confiance aux institutions européennes et aux marchés financiers, les jeunes actifs italiens se montrent plus réservés puisque 156 000 d’entre eux ont émigré en 2024, tandis que le nombre de naissances a atteint un niveau historiquement bas, avec 370 000 naissances par an et un taux de fécondité de 1,18 enfant par femme.

Autre point crucial : la politique migratoire, pilier de la campagne électorale de Meloni en 2022 et thème majeur pour ses alliés berlusconistes et salvinistes. Depuis que la droite est aux affaires, des résultats authentiquement positifs et concrets ont été enregistrés en matière de réduction des flux. Pourtant, le protocole pour l’établissement de centres d’accueil externalisés en Albanie, conçus pour traiter les cas de 36 000 migrants par an, a été bloqué par la justice. Parallèlement, afin de ne pas nuire aux entreprises, le gouvernement a octroyé 450 000 permis de travail pour la période 2023-2025, et 500 000 sont prévus pour 2026-2028. Bref, s’il y a moins d’entrées illégales, c’est très largement parce qu’il y a plus de permis de séjour.

En réalité, le crédit politique dont bénéficie la Première ministre, et d’où découle son enviable marge de manœuvre, tient pour une grande part à des mesures situées hors des champs économique et migratoire. Une réforme résolument « pro-forces de l’ordre » est notamment en cours, pour accélérer les procédures judiciaires, renforcer les pouvoirs de la police, garantir les peines de perpétuité réelle et interdire les rave parties. En matière bioéthique, une loi anti-GPA a été adoptée en octobre 2024, avec des peines allant jusqu’à deux ans de prison et un million d’euros d’amende pour les contrevenants. Enfin, un projet de « IIIᵉ République » visant à instaurer l’élection directe du Premier ministre au suffrage universel pour un mandat de cinq ans est en débat.

Cette politique, qui ne manque pas de bons sens et de résultats tangibles, ne suffit pas à parler de rupture historique en Italie. Ce ne sont pas des mesures concrètes qui ont permis à Giorgia Meloni de devenir la préférée de Trump, la coqueluche de The Economist et un modèle de réussite pour la droite. Pour comprendre ce phénomène, il faut remonter quelques années en arrière et, plutôt que de regarder vers Rome, se tourner vers Strasbourg et Bruxelles.

Il y a cinq ans, Giorgia Meloni a opéré un virage. Tout en continuant de revendiquer ses origines modestes, d’assumer son passé d’extrême droite, de clamer sa sensibilité anti-élitiste et de tendre la main à la Russie, elle a rompu avec l’euroscepticisme auquel elle devait pourtant son ascension politique. Comparée à Mario Draghi, fils de banquier, lui-même ex-banquier chez Goldman Sachs et ancien gouverneur de la Banque centrale européenne, la quadragénaire n’est pas obligée de prouver ni son attachement à la souveraineté nationale, ni son appartenance au peuple. Pour caricaturer, si elle était française, on pourrait dire qu’elle sent bon le gilet jaune à côté de son prédécesseur qui fait terriblement penser à Macron.

Fitto: la main sur le robinet de lait

Désormais, son objectif est de faire de l’Italie une voix audible à Bruxelles, plutôt que de suivre son allié Matteo Salvini, un temps le patron de la droite italienne, qui se maintient dans la dissidence antisystème. Dès 2021, elle se fait remarquer en refusant de rejoindre le projet de groupe populiste, les Patriots for Europe (P4E), porté au Parlement de Strasbourg non seulement par Salvini, mais aussi par Viktor Orban et Marine Le Pen. Avec son bras droit Raffaele Fitto, elle maintient son parti, les Frères d’Italie (FdI), au sein du groupe Conservateurs et réformistes européens (CRE) qui, contrairement aux P4E, accepte de dialoguer avec les députés de droite classique du Parti populaire européen (PPE). Une manœuvre appréciée dans les rangs de celui-ci.

Cette stratégie est aussi appliquée à l’intérieur de l’Italie. Lorsqu’en février 2021, Draghi forme un gouvernement d’unité nationale, Meloni choisit de rester en dehors de la coalition pour incarner une opposition patriotique sans pour autant rompre avec les circuits institutionnels. Ainsi, tout en critiquant les orientations générales de « Super Mario », elle vote en faveur de ses projets de lois liés à la sécurité, à la gestion sanitaire et au plan de relance européen, se positionnant dès lors comme l’opposition responsable, figure de proue d’une droite responsable.

C’est ainsi que lorsque Meloni arrive au pouvoir l’année suivante, Ursula von der Leyen sait déjà qu’on peut lui faire confiance. À ses yeux, avoir une interlocutrice raisonnable au cœur du camp populiste européen est même inespéré. La Première ministre italienne comprend vite le bénéfice qu’elle peut en tirer pour son pays. Ce bénéfice porte un nom : « Next Generation EU ». C’est le vaste plan de relance mis en place par l’Union à partir de 2020.

Alors que durant le gouvernement Draghi, le volet italien de Next Generation EU était géré dans une logique de neutralité destinée à rassurer Bruxelles, Meloni confie le dossier directement au seul Raffaele Fitto, ancien député européen, fin connaisseur des arcanes de l’UE et homme de confiance. Désormais ministre des Affaires européennes, il s’applique à le transformer en un instrument au service de sa politique. Reconnaissante de cet engagement résolument européen qui fragilise considérablement le camp souverainiste à Strasbourg, von der Leyen fait en sorte que Fitto ne soit pas dérangé par la machine bruxelloise.

Bari, 24 juin 2020 : Giorgia Meloni aux côtés de Raffaele Fitto, candidat de droite à la présidence de la région des Pouilles. PA/SIPA

Dans le prolongement de ce revirement pro-UE, Meloni s’aligne aussi sur les États-Unis en affichant un soutien ferme à l’Ukraine et à l’OTAN, et en se retirant du projet chinois de « Nouvelles Routes de la soie ». Bien avant les embrassades avec Donald Trump, elle sait rassurer la Maison-Blanche de Joe Biden.

En juin 2024, la victoire du PPE de von der Leyen aux élections européennes renforce encore la position de l’Italienne. Fitto quitte le gouvernement italien pour rejoindre la Commission en tant que vice-président exécutif et commissaire à la cohésion et aux réformes, un poste en surplomb, qui permet d’intervenir sur une part importante du budget européen. Le chat a désormais la main directement sur le robinet de lait.

C’est ainsi qu’un cycle vertueux économique a pu se déclencher à toute vitesse en Italie, avec à la clé la stabilisation de la dette, la confiance renouvelée des marchés, la décision des agences de notation de relever la perspective du pays et enfin la baisse des taux, et donc du coût du service de la dette. Chaque acteur dans cet écosystème aurait pu se dire « attendons un peu, une hirondelle ne fait pas le printemps ». Seulement, grâce à un travail politique de longue haleine en amont, la Première ministre, qui a su se faire des amis puissants à Bruxelles, Strasbourg, Londres et New York, est accueillie avec le tapis rouge à tous les étages.

Pour comprendre la méthode Meloni et ses indéniables succès, il ne faut donc pas chercher du côté des lois votées ni des réformes engagées. Sa réussite est d’abord celle d’une stratégie européenne et internationale entreprise en profondeur et rendue possible par une solide personnalité. Son parcours, son style et ses prises de position lui ont conféré une côte de sympathie considérable auprès des électeurs de droite et permis de s’imposer face à ses deux alliés, Forza Italia, l’ancien parti de Berlusconi, et la Lega de Salvini. Meloni en a profité pour fixer comme priorité absolue le maintien de bonnes relations avec les bailleurs de fonds mondiaux. S’il fallait, pour cela, modérer la critique de l’UE et soutenir l’Ukraine, qu’il en fût ainsi. Ses accomplissements économiques, son prestige sur la scène internationale et ses mesures conservatrices adoptées sur le plan sociétal lui ont permis de naviguer habilement et de se construire un espace politique unique. L’art d’avancer, comme elle aime à le répéter, con i piedi per terra, « avec les pieds sur terre ».

Décembre 2025 – #140

Article extrait du Magazine Causeur




Article précédent Parlez-vous le Goldnadel?
est historien et directeur de la publication de Causeur.

RÉAGISSEZ À CET ARTICLE

Pour laisser un commentaire sur un article, nous vous invitons à créer un compte Disqus ci-dessous (bouton S'identifier) ou à vous connecter avec votre compte existant.
Une tenue correcte est exigée. Soyez courtois et évitez le hors sujet.
Notre charte de modération