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Europe: de la vertu qui rend petit

Inquiets, les dirigeants français, britannique et allemand retrouvent l'Ukainien Volodymyr Zelensky à Londres ce lundi


Europe: de la vertu qui rend petit
Friedrich Merz, Keir Starmer, Volodymyr Zelenskyy et Emmanuel Macron au 10 Downing Street, à Londres, 8 décembre 2025 © Toby Melville/AP/SIPA

Après la publication, vendredi dernier, de la stratégie de sécurité nationale version MAGA de Trump, les Européens constatent avec effroi que le nouveau président américain ménage effectivement Moscou et s’indignent de la place qui semble leur être réservée dans le nouvel ordre mondial. Alors que la géopolitique issue de l’après-1945 est bouleversée par l’isolationnisme américain et l’attitude belliqueuse de la Russie, une Europe tétanisée et féminisée n’est capable de réagir que par une crise de nerfs, observe notre contributeur.


Face à l’intensification récente des discussions entre les Américains et les Russes pour aboutir à un accord de paix avec l’Ukraine, les Européens ne l’entendent pas de cette oreille et tentent d’imposer leur vision d’une paix impossible.

L’Europe a fendu l’armure. Elle est devenue cette étrange mégère qui couche son âme rancunière sur le divan de la morale. Son réarmement militaire se déploie dans le lit d’un ressentiment désordonné. Confrontée à la fin du glacis protecteur américain, l’Europe s’égare dans une sentimentalité toute fragile : elle casse des assiettes, s’agite dans tous les sens, condamnant tour à tour tous ceux qui seraient opposés à ses « valeurs ». 

Or les valeurs de l’Europe sont malades. Elles reposent sur une interprétation pathétique et épuisée de la réalité. « La morale est aujourd’hui en Europe une morale de troupeau », disait déjà Nietzsche, au XIXème siècle…

En boucle, on scande que la Russie serait à nos portes, on s’invente des ennemis illusoires, on se trompe de cible, on se trompe d’origine. « Il faut mettre en question la valeur même des valeurs morales », assénait Nietzsche. Nos valeurs égalitaristes, pudibondes et aplanissantes, celles qui prônent la faiblesse en archétype de la vie, ont triomphé. Ce qui est à l’œuvre aujourd’hui, c’est le couronnement de l’Europe tétanisée et féminisée.

L’hystérie européenne 

Cette situation géopolitique européenne n’est autre que le produit d’une physiologie particulière: celle d’un corps où l’idéal ascétique demeure le credo de la vie. La bienveillance éternelle exercée en mantra du vivant est la phase terminale d’une civilisation occidentale à bout de souffle et à bout de nerfs. Une vie vécue à l’aune dela curatelle du médecin, d’un corps fatigué, incapable d’agir autrement que par la faiblesse, forme sublimée du renoncement à soi. Mais quelle est la Sainte-Trinité des valeurs européennes ? Paix, Pitié et Compassion ! La paix idéalisée entretenue par une hystérisation des discours martiaux; la pitié à tout prix qui conduira à la mort; la compassion à tout prix qui conduira à la haine. Voilà où nous en sommes. Voilà ce que l’on martèle dans toutes les têtes européennes, relayé en grande pompe par les médias et l’ensemble des grandes institutions du monde occidental.

Alors que les tractations entre Vladimir Poutine et l’administration américaine se sont intensifiées ces dernières semaines pour tenter de trouver une issue à la guerre, les Européens semblent se refuser à tout compromis, à toute volonté de résolution du conflit. Ils ne raisonnent plus à partir de réalités mais d’idées abstraites. Ils sont prêts à falsifier le réel ; à créer l’illusion dangereuse que la Russie serait à nos portes d’ici trois ou quatre ans alors qu’elle avance péniblement sur le front ukrainien. En trois ans, la Russie n’a même pas été en mesure de conquérir le Donbass. Mais l’Europe n’a que faire de la réalité. Elle semble préférer poursuivre la guerre tant que son idéal de paix juste n’est pas accompli. Qu’importe les morts, qu’importe les réalités du terrain, qu’importe l’Ukraine, il faut d’abord et avant tout que sa morale triomphe coûte que coûte pour que le chemin d’une paix puisse se dessiner. 

Paralysie de la pensée

Les Européens ne savent plus réagir que par l’angoisse. Une angoisse fantasmée qui leur permet de tout légitimer même les irréalités les plus folles. La distance, la perspective, la nuance, et le recul historique ont littéralement disparu des discours. En 1948, Albert Camus publiait un article intitulé « Le siècle de la peur » où il soulignait qu’« entre la peur très générale d’une guerre, que tout le monde prépare et la peur toute particulière des idéologies meurtrières, il est donc bien vrai que nous vivons dans la terreur (…) Pour sortir de cette terreur, il faudrait pouvoir réfléchir et agir suivant la réflexion. Mais la terreur, justement, n’est pas un climat favorable à la réflexion ».  

A chaque tentative de discussion entre Trump et Poutine, que font les Européens ? Ils s’indignent, accusant les uns d’être poutinophiles, les autres d’être trop complaisants avec la Russie, suspectant chez tous ceux qui daignent réfléchir une forme d’intelligence avec l’ennemi ! Mais « un homme indigné est un homme qui ment », rappelait Nietzsche. Une gesticulation morale en vue de séparer le monde en deux camps : les « méchants » et les « gentils ». Au diable Trump et Poutine ! L’Europe adoube son nouveau roi de miséricorde : Volodymyr Zelensky, le supplicié, le courageux, le martyr, le valeureux. Elle s’unit dans la faiblesse pour mieux recréer les conditions de sa force. L’Europe est lancée dans une nouvelle croisade. En prenant sa faiblesse pour de la force, elle nous conduit tout droit à la guerre des faibles. 




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est journaliste.

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