La droite dit, enfin, vouloir se lancer dans la bataille culturelle. Reste à savoir comment elle compte la mener.
Depuis l’affaire de la « labellisation » de l’information, la droite hausse le ton et cite 1984 de George Orwell davantage qu’une copie de philosophie de lycée. Enfin ! Elle qui s’est contentée jusqu’à présent de rêvasser à la France d’avant Mitterrand, de revendiquer son droit aux délices pralinés de la nostalgie et de brandir son « pass culture » sépia – les châteaux de la Loire, Le Château de ma Mère et le pensionnat du Fond de l’étang des Choristes – la voilà qui se réveille. Ce n’est pas trop tôt.
« La bataille culturelle va être violente », annonce fièrement la droite, émergeant de cinquante ans d’hibernation. À la bonne heure. Mais de quelle bataille culturelle parle-t-on ? Pendant que la gauche-fourmi érigeait, pierre après pierre, un modèle cohérent (histoire mondiale de la France, géographie a-physique, littérature a-stylistique, arts visuels occidentaloclastes, cinéma convivial), la droite-cigale se moquait et, entre deux-trois envolées lyriques sur l’âme de la France coincée entre la merveilleuse Jeanne d’Arc et l’odieuse Révolution française, trouvait scandaleux le travail de sape de la gauche tout en continuant à envoyer ses enfants à l’école apprendre l’histoire de esclavage européen et la littérature jeunesse francophone.
A lire aussi: L’immigration, la science et les gardiens du temple médiatique
Pour qu’il y ait bataille culturelle entre une droite enfin déniaisée et une gauche gramscienne enfin déstabilisée, il faut un combat à armes égales. Faire du Gramsci de droite, en somme. Raymond Aron avait décidément raison : dans l’ordre de l’histoire, si on entend survivre, il n’y a pas d’autre moyen de résister qu’en montrant à ses ennemis politiques que l’on est capable des mêmes vertus qu’eux. Aujourd’hui, la culture dite de droite se résume, en gros, au point d’histoire de Philippe de Villiers et au point philo de Michel Onfray – lequel n’est d’ailleurs pas de droite mais que la droite a raison d’apprécier – rares moments stimulants de la culture non mainstream. La France crève pourtant d’historiens méconnus capables d’alimenter des débats inédits sur des thèmes squattés par la gauche (colonisation, décolonisation, esclavage, guerres de religions etc.), d’artistes contemporains insensibles à l’antifascisme parisien, d’écrivains ne parlant pas des migrants et de professeurs susceptibles de faire des cours sur autre chose que la misogynie d’Émile Zola dans Au Bonheur des Dames. À la droite d’aller les chercher et de leur donner l’espace médiatique requis. Puisque tout se joue là.
Il n’y aura pas de « bataille culturelle » tant que la droite continuera à considérer que sa culture est immémoriale, sacrificielle mais toujours vivace sous les toits des églises qui s’effondrent et entre les pages des Mémoires de guerre du Général de Gaulle que tout le monde s’arrache tel un totem de grandeur. La gauche a toujours su renouveler son délire de l’homme nouveau : après le camarade communiste et le citoyen du monde, elle a eu l’idée du perpétuel éveillé à la croisée de toutes les causes minoritaires. À la droite de proposer l’homme tout court, capable de reconquérir son héritage et, surtout, de le moderniser. Vaste programme. Et qui va demander beaucoup de travail.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !

