Chaque semaine, Philippe Lacoche nous donne des nouvelles de Picardie…
Ma Sauvageonne a véhiculé son fils, il y a peu, à la Maison du théâtre d’Amiens. Dans le cadre de ses études, ce dernier devait assister à la pièce Une vie d’acteur, d’Emilie Capliez et Tanguy Viel, avec, seul sur scène, le comédien Pierre Maillet. Comme je ne la lâche pas d’une semelle, j’étais, bien sûr, du voyage. Nous avions prévu d’abandonner l’adolescent aux portes de l’établissement théâtral, d’aller nous désaltérer dans un estaminet du quartier Saint-Leu, et de le récupérer une heure et vingt minutes plus tard. La vie, une fois de plus, en décida autrement.
À la porte de la Maison du théâtre, nous rencontrâmes, mon ami Monsieur Freytel (c’est ainsi que le surnomme le fils de la Sauvageonne, car c’est l’enseignant du lycée fort respectable et catholique qu’il fréquente). Je ne t’ai pas encore précisé, lectrice adulée, que Christophe Freytel est aussi professeur de théâtre, metteur en scène (il a donné vie sur les planches à ma pièce sobrement intitulée Pourriture!) et l’un de mes meilleurs amis. « Si vous voulez assister au spectacle, dites-le-moi car il me reste des places ; j’accompagne un groupe d’élèves », nous dit-il, pétillant de bonheur et toujours ravi de faire plaisir. Nous acceptâmes de bonne grâce, et ne le regrettâmes point. Nous passâmes une heure et vingt minutes très agréables grâce à Une vie d’acteur et à la prestation solitaire de Pierre Maillet.
A lire aussi: « La morue? Oui, chef! »
Acteur et metteur en scène, né à Narbonne en 1972, il totalise une trentaine de mises en scène à son actif. Il a également joué dans une quarantaine de spectacles pour d’autres troupes et collectifs. Mais ce qui le passionne, c’est le cinéma. Une vie d’acteur n’est rien d’autre que le reflet de sa passion. Parangon des cinéphiles, il collectionne, dit-on, chez lui des centaines de longs-métrages ; ils font partie de son existence et façonnent son univers artistique. Dans Une vie d’acteur, il les évoque mais il évoque aussi sa vie. Il raconte que, quand à 11 ans, dans un cinéma de province, il découvrit le film Tootsie, ce fut pour lui une révélation. « Je serai acteur ! » songea-t-il. Il y parvint. Il déroule ainsi la pelote de ses souvenirs qu’il fait resurgir en citant, insatiable, les noms des films qu’il vénère ou, pour diverses raisons, l’ont marqué : Tootsie (of course!), King Kong, Les dents de la mer, Ghostbusters, Le dernier métro, Frankenstein Junior, L’Effrontée, Mauvais sang, Buffet froid, Peau d’âne, Les parapluies de Cherbourg, etc. Chaque œuvre fait apparaître, chez Maillet, une image, une odeur, un visage, une situation, une joie, un malheur.
On sent bien qu’on est ici entre fiction et réalité. Et quand il raconte avec tant de mélancolie et de nostalgie son enfance à Narbonne, on n’est pas très loin du Patrick Modiano de Villa triste. Ces instants précieux se révèlent carrément délicieux et émouvants. On se réjouit alors que le cinéma ait rendu Maillet complètement marteau.





