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Prix de l’électricité, Bruxelles et Paris responsables et coupables

La libéralisation des marchés de l’énergie en Europe est un échec cuisant. Elle ne s’est pas traduite, comme promis, par une baisse des prix pour les consommateurs, mais par une envolée des tarifs. De plus, les gouvernements français successifs n’ont cessé d’affaiblir EDF et le système électrique du pays, qui avait pourtant garanti pendant des décennies une électricité abondante et bon marché.


La flambée des prix de l’électricité est une mauvaise nouvelle pour l’économie française et ses finances publiques. Pourtant, avec 70 % de son électricité produite par des centrales nucléaires amorties, la France devrait pouvoir continuer à bénéficier d’une électricité bon marché. C’était sans compter avec une libéralisation européenne du marché de l’énergie menée de façon absurde et dogmatique, et avec des politiques énergétiques françaises caractérisées, depuis de nombreuses années maintenant, par l’indécision, le manque de courage et des calculs à courte vue.

Si on y ajoute les usines à gaz administratives dont l’État français a le secret pour donner l’illusion de créer un marché concurrentiel, on aboutit à une situation dans laquelle tout le monde est perdant. Le consommateur d’abord. Il paye toujours plus cher son électricité. Sans intervention de l’État, la hausse de la facture des particuliers en février aurait été de 44,5% ! EDF ensuite qui se trouve dans une situation financière et industrielle considérablement dégradée. L’électricien public est surendetté et incapable de respecter un calendrier industriel, que ce soit celui de la maintenance de son parc de 56 réacteurs nucléaires ou de la construction d’un unique EPR à Flamanville. Dans le premier cas, le retard se chiffre en année et dans le second… il dépasse une décennie. Enfin, le gouvernement se trouve condamné aujourd’hui à dépenser des dizaines de milliards pour éviter une catastrophe sociale, contenir l’envolée des prix et pour renflouer EDF, et lui donner enfin les moyens de mettre à niveau son outil de production…

Une libéralisation du marché européen menée en dépit du bon sens

La faute originelle revient, sans surprise, à la Commission européenne. Elle a pour nom « déréglementation du marché de l’énergie », intervenue en juillet 2007. On allait voir ce qu’on allait voir. La libéralisation du marché de l’énergie en général et de l’électricité en particulier devait ouvrir au consommateur européen une ère d’abondance et de prix cassés. C’est tout le contraire qui s’est passé.

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« Obsolète », « aberrant », voilà comment le ministre français de l’Économie, Bruno Le Maire, qualifie aujourd’hui, dans un sursaut de lucidité, le fonctionnement dudit marché européen de l’électricité. Il aura mis du temps à comprendre. Ce n’était pas le cas de Marcel Boiteux, qui dirigea EDF pendant vingt ans, jusqu’en 1987. Il insistait en 2007 sur le caractère absurde des exigences de Bruxelles visant à mettre fin aux tarifs réglementés de l’électricité (subventionnés) afin de permettre aux nouveaux entrants de se développer. « Dans ce cas, il ne s’agit plus, comme la Commission européenne le fait espérer, d’ouvrir la concurrence pour faire baisser les prix, mais bien d’augmenter les prix pour permettre la concurrence. » Il avait parfaitement raison.

Bruno Le Maire veut maintenant « revoir de fond en comble le fonctionnement du marché unique de l’électricité. […] En France, on s’approvisionne en électricité à partir des centrales nucléaires et de l’énergie hydraulique, donc on a une énergie décarbonée et un coût très bas, mais le marché […] fait qu’il y a un alignement des prix de l’électricité en France sur les prix du gaz. » L’ennui, c’est que le ministre français de l’Économie n’a évidemment pas le pouvoir de revoir le système de fond en comble.

Le dispositif ahurissant de l’Arenh…

Et puis la faute n’est pas seulement bruxelloise. Pour contourner les injonctions de la Commission, les gouvernements français ont créé un système encore plus absurde. Ils ont voulu retarder le plus longtemps possible la suppression des tarifs règlementés de vente (TRV), malgré les directives européennes successives qui la réclamaient, d’abord pour les industriels et ensuite pour le tertiaire et le résidentiel, pour lesquels ils ont été maintenus.

Comme les tarifs réglementés rendent difficile l’entrée sur le marché de fournisseurs alternatifs, qui doivent s’alimenter sur le marché de gros où les prix sont le plus souvent supérieurs aux TRV, le gouvernement, pour obtenir l’accord de Bruxelles, a créé en 2012 une concurrence artificielle avec le dispositif ahurissant de l’Arenh (Accès régulé à l’énergie nucléaire historique). Ce sigle ne peut avoir été concocté que par un technocrate sous amphétamines. L’Arenh consiste pour EDF à céder aux fournisseurs alternatifs une partie de sa production nucléaire, jusqu’à 25 %, à prix coûtant (42 euros/MWh)… en fait à perte. Cela a permis à près d’une cinquantaine de nouveaux distributeurs d’électricité d’apparaître, avec en tête Engie et Total, et de tailler des croupières à EDF… à ses frais. Fin 2020, ils alimentaient en électricité pas moins de 28 % des foyers.

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Avec la flambée actuelle des prix de l’électricité sur les marchés, les fournisseurs ont demandé massivement à bénéficier de ce mécanisme qui leur garantit des électrons pas chers. Mais leur demande n’a pas pu être satisfaite en totalité, loin de là. Le plafond est fixé à 100 térawatts-heure (TWh) et ils en ont demandé un niveau record de 160 TWh. L’électricité nucléaire bon marché qu’ils n’ont pas reçue, ils doivent la remplacer par des achats sur les marchés de gros aux cours particulièrement élevés. Cette inflation a un effet automatique sur les TRV.

Là encore, Bruxelles et Paris ont œuvré pour créer une situation qui ne fait que des perdants. D’abord, le mécanisme européen de fixation des prix de l’électricité est dysfonctionnel. C’est le coût de production de la dernière centrale appelée pour répondre à la demande qui fixe le prix unique de marché. Le prix retenu est par définition le plus élevé… En l’occurrence, le tarif des centrales à gaz qui servent d’appoint notamment quand les renouvelables, éolien et solaire, ne produisent pas du fait de leur intermittence. Il faut du vent et du soleil, sinon pas d’électricité. Non seulement les centrales à gaz sont donc sollicitées en dernier recours, et ont de ce fait des coûts de production élevés, mais ceux-ci atteignent des sommets quand les cours du gaz flambent, parce qu’une pénurie mondiale de cette énergie fossile existe depuis le début de l’année 2021.

Ainsi, le consommateur français subit de plein fouet l’augmentation des prix du gaz alors même que l’indépendance du pays en matière de production électrique devrait l’en préserver. D’après les statistiques d’Eurostat, en une dizaine d’années, la facture d’électricité toutes taxes comprises du consommateur français a augmenté de 50 %. Sachant que l’ensemble des taxes qui pèsent sur l’électricité (taxes sur la consommation finale d’électricité, contribution aux charges du service public de l’électricité, contribution tarifaire d’acheminement et TVA) représentent plus d’un tiers de la facture. Cela est lié notamment à l’utilisation d’un taux de TVA à 20 %, sur un produit de première nécessité, qui s’applique sur le prix total comprenant… les autres taxes.

Le gouvernement s’est piégé lui-même

Pour corriger une situation devenue aujourd’hui explosive, qu’a décidé le gouvernement français il y a quelques jours ? Il a contraint EDF à vendre encore plus d’électricité à prix bradé à ses concurrents… Le gouvernement s’est une fois encore piégé lui-même. Il s’est engagé, quoi qu’il en coûte, à limiter à 4 % cette année la hausse des tarifs réglementés de l’électricité pour les particuliers. Cela concerne 70 % des ménages. Mais la mesure est difficile à mettre en place et va donc coûter une fortune au budget de l’État et… à EDF. Fin septembre, le Premier ministre Jean Castex a annoncé « un bouclier tarifaire » pour protéger les Français de l’envolée historique des prix du gaz et de l’électricité. Le problème est que depuis l’annonce, les prix ont continué à augmenter sans qu’il puisse revenir sur sa parole. Inimaginable en année électorale. Sans compter que l’épisode des Gilets jaunes, né d’une hausse des prix des carburants, est encore dans toutes les mémoires.

Rencontre entre le ministre de l’Économie Emmanuel Macron et le directeur général d’EDF Jean-Bernard Lévy, à la centrale nucléaire de Civaux, 17 mars 2016 © GUILLAUME SOUVANT / AFP

Le gouvernement comptait à l’origine sur une baisse de la fiscalité pour arriver à contenir le tarif, mais cela ne suffit plus. Il envisageait un coût budgétaire de l’ordre de 4 milliards d’euros. Il sera au moins de 10 milliards. Le gouvernement a déjà baissé la taxe sur la consommation d’électricité (CSPE ou TICFE), « au plus bas de ce qui est possible au titre des règles européennes », a expliqué Bruno Le Maire. Mais cela ne couvre que jusqu’à 16 ou 17 % de l’augmentation du prix de l’électricité. La hausse des prix de gros est aujourd’hui largement supérieure à 40 %, d’où la nécessité de trouver un autre moyen pour réduire la facture. Il n’y avait que de mauvaises solutions. Celle qui a été choisie est la pire. C’est celle de la facilité. En plus, elle injurie l’avenir en affaiblissant encore un peu plus EDF.

Le gouvernement a décidé d’imposer à l’électricien public, dont il détient 83 % du capital, la vente d’une partie encore plus importante de sa production électrique nucléaire à ses concurrents. Il a porté de 100 à 120 TWh les volumes qui doivent être cédés à prix réduits. Pour donner un ordre d’idées, en 2020, EDF a produit 500 TWh d’électricité dont 335 TWh de nucléaire. Et passer cette année de 100 à 120 TWh d’électricité nucléaire vendus à prix cassé devrait lui coûter entre 7,7 milliards et 8,4 milliards d’euros. Et en plus, cela est loin de régler tous les problèmes.

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Les particuliers qui ne bénéficient pas du tarif réglementé vont voir leurs factures s’envoler tout comme bon nombre d’entreprises. L’industrie lourde est particulièrement touchée… à l’heure des proclamations de réindustrialisation et de la transformation des processus de production pour les rendre moins émetteurs de gaz à effet de serre.

D’ores et déjà, les activités les plus consommatrices d’électricité en France, comme la sidérurgie ou la chimie, ont prévenu qu’il pourrait y avoir des baisses sensibles de production, voire l’arrêt de certaines usines. Avec des prix de l’électricité de 180 euros le MWh, « nous ne pourrons ni réindustrialiser ni décarboner », a prévenu Gildas Barreyre, président du comité Électricité au sein de l’Uniden, une association qui réunit les activités les plus consommatrices d’électricité en France.

La sidérurgie, la chimie, le ciment, la pharmacie ont tenté d’obtenir un relèvement exceptionnel du quota annuel d’électricité à bas prix dont ils bénéficient. Mais le gouvernement s’y est refusé, car cela aurait été considéré comme une distorsion de concurrence par Bruxelles… Les « électro-intensifs » vont donc « devoir compléter une partie importante de leur approvisionnement sur le marché dans les pires conditions de prix qui soient », remarque l’Uniden.

Conclusion, l’énergie est une affaire trop sérieuse pour la confier aux technocrates bruxellois et aux politiques français. Ils ont créé une concurrence totalement artificielle entre distributeurs qui n’a aucun sens dans le contexte énergétique français, avec un opérateur public assurant les trois quarts de la production nationale d’électricité à l’aide de ses centrales nucléaires et pratiquant des tarifs inférieurs à ceux des autres pays.

Pour sortir d’une situation devenue kafkaïenne, il faudrait maintenant un miracle. À commencer par une réforme du marché de gros de l’électricité en Europe pour qu’il prenne en compte le coût moyen de la production selon les pays. Et il est plus que temps de donner à EDF les moyens financiers, réglementaires et industriels pour investir dans son outil de production, et pas seulement les éoliennes et les panneaux solaires, qui par nature produisent de l’électricité de façon intermittente et aléatoire. Les centrales nucléaires vieillissent et leurs capacités doivent être préservées et même développées, en modernisant les centrales, pour prolonger leur durée d’exploitation, et en en construisant de nouvelles. L’Autorité de sûreté nucléaire a demandé le 19 janvier un « plan Marshall » pour la filière nucléaire française. On ne pouvait mieux dire.

Les Français n’ont pas vu venir le variant ukrainien!

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Jusqu’au dernier moment, les Français n’ont pas voulu croire que la Russie attaquerait l’Ukraine. Plus d’un millier de nos compatriotes se retrouvent actuellement bloqués à Kiev.


Plusieurs centaines de citoyens français terrifiés sont actuellement bloqués, souvent avec femmes et enfants, en Ukraine, notamment à Kiev, où les combats font rage, en attendant une évacuation de dernière minute. Fallait-il anticiper leur départ avant l’invasion du pays comme l’ont fait d’autres pays ?

Inquiétudes

Le 26 février, alors que le territoire de l’Ukraine est dévasté par des tirs de missiles et des bombardements des forces russes, le ministre de l’économie Bruno Le Maire a reconnu sur CNews que « la situation est d’ailleurs aussi terrible pour le millier de nos compatriotes qui sont encore aujourd’hui sur place à Kiev et qui sont terriblement inquiets ». Répondant à une question de Jean-Pierre Elkabbach sur le sort de ces Français, le ministre a répondu qu’il faudrait le moment venu les rapatrier, mais que le sujet aujourd’hui « c’est faire bloc derrière l’Ukraine ».

Jusqu’à la veille-même de l’offensive russe, la France, à la différence des Etats-Unis et d’autres nations, n’a pas demandé à ses ressortissants de quitter le pays. Le ministère des Affaires étrangères a simplement conseillé de « de différer tous les déplacements en Ukraine » et l’ambassade de France à Kiev « faire quelques réserves d’eau, de nourriture, de vêtements chauds » et d’essence dans un message de l’ambassadeur datant du 13 février.

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Cela s’explique par le fait que la France a voulu croire, pratiquement jusqu’au déclenchement de la guerre, à une solution diplomatique. A l’issue de sa rencontre avec Vladimir Poutine, le président français déclarait le 7 février : « Le président Poutine m’a assuré de sa disponibilité à s’engager dans cette logique et de sa volonté de maintenir la stabilité et l’intégrité territoriale de l’Ukraine », avant de tenter un entretien de la dernière chance le 20 février.

Pris au piège

Par contraste, dès le 11 février, le président américain a demandé aux ressortissants américains de quitter l’Ukraine d’urgence – « Les citoyens américains doivent partir maintenant » – en soulignant clairement que l’armée n’interviendrait pas pour les évacuer et que ceux-ci devraient le faire eux-mêmes. Joe Biden a justifié sa décision en expliquant qu’une évacuation militaire serait extrêmement compliquée, notamment en raison des difficultés pour localiser les citoyens américains en Ukraine, ce territoire de plus de 600 000 km2 peuplé de 44 millions d’habitants. Au vu de l’expérience déchirante de l’évacuation des Occidentaux d’Afghanistan en août 2021, on comprend peut être un peu mieux cette décision.

Dans la même logique, dès la mi-février, face aux scénarios d’une invasion imminente de l’Ukraine par la Russie, de nombreux États – dont certains ont d’ailleurs déplacé leur ambassade de Kiev à Lviv, situé plus à l’ouest – ont appelé leurs ressortissants à quitter le pays. Il s’agit notamment du Royaume-Uni, de l’Allemagne, de l’Italie, de l’Espagne, du Canada, de la Norvège, de l’Australie, du Japon, d’Israël, de l’Arabie saoudite ou des Émirats Arabes unis.

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Aujourd’hui, plusieurs centaines de citoyens français se retrouvent enlisés dans le piège de la guerre. Sur BFM TV, le 27 février, des images montrent une mère française désespérée à la recherche de son fils coincé en Ukraine sous les bombardements, dans une cave sans eau, sans électricité et sans Internet. Elle s’est rendue à la frontière polonaise et s’apprête à entrer en territoire ukrainien pour retrouver son enfant et implore, dans un message poignant, le gouvernement français de l’aider. Le 24 février, Le Figaro évoquait le cas d’un homme d’affaires français en déplacement dans le pays et logé dans un appartement loué sur Airbnb, qui est désormais bloqué à Kiev. Dans ce témoignage poignant, on apprend que le 23 février, alors que l’ambassade de France exhorte enfin ses ressortissants à quitter le territoire ukrainien, cet homme a réservé un billet d’avion pour le lendemain, mais que son vol est immédiatement annulé. Terrassé par l’angoisse, il fait face aux difficultés pour retirer de l’argent et pour s’acheter de la nourriture : « Il a tenté, comme les Ukrainiens, d’aller retirer de l’épargne à la banque – sans succès, les files d’attente aux guichets s’étirent sur plusieurs kilomètres. Il n’a pu acheter que des pâtes et de l’eau. Mais en rentrant, il a vu des soldats monter les escaliers du bâtiment. Il craint que ce ne soient des snipers venus faire de ce bâtiment leur base. » Ce qui l’a conduit à envisager d’aller dormir dans le métro, à l’abri des bombardements !

Evacuation par la route, mais plus tard

Selon la chaîne France 24, l’Ukraine avait promis de garder son espace aérien ouvert malgré une menace d’invasion russe, mais on savait que les avions volant dans l’espace aérien ukrainien ne seraient plus couverts par les compagnies d’assurance internationales à partir du 14 février, entraînant des annulations, ce qui avait par exemple incité KLM à annuler ses vols vers l’Ukraine dès le 12 février [1].

Le 25 février, l’ambassadeur de France en Ukraine, Etienne de Poncins, a annoncé qu’une équipe du Groupe d’intervention de la gendarmerie nationale (GIGN) avait décollé le 23 février de Satory pour sécuriser l’ambassade de France à Kiev, mais également pour préparer l’évacuation des ressortissants français sur place [2]. La députée LREM des Français de l’étranger Anne Genetet a confirmé sur BFM TV, le 26 février, que quelques centaines de Français essayaient de quitter l’Ukraine.

Une cellule de crise est en place au Quai d’Orsay et une évacuation est envisagée par la route, l’espace aérien ukrainien étant fermé depuis le 24 février. Mais pour l’heure, les Français bloqués en Ukraine, ont reçu la consigne de rester confinés jusqu’à nouvel ordre et de ne surtout pas sortir sur les routes, car cela serait trop dangereux en raison des bombardements. Mais une fois que le pilonnage des installations militaires ukrainiennes aura cessé, il y aura peut-être une fenêtre pour rapatrier ces Français. Les question lancinantes qui se posent désormais sont les suivantes : cette situation est-elle la conséquence d’une erreur d’appréciation – peut-être par manque d’information ? Et quand surgira donc cette « fenêtre » ?

Dernière minute. Alors que 400 000 Ukrainiens ont déjà quitté le pays, le 28 février, le ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian a incité les Français à tenter de prendre la route, tout en reconnaissant que la France ne pourrait ni leur apporter une assistance sur leur chemin ni assurer leur sécurité pendant leur trajet jusqu’à leur arrivée de l’autre côté de la frontière.

[1] https://www.france24.com/fr/europe/20220214-en-ukraine-les-d%C3%A9parts-en-cascade-des-expatri%C3%A9s-favorisent-la-guerre-psychologique

[2] https://www.leparisien.fr/international/ukraine-une-equipe-du-gign-en-renfort-a-lambassade-de-france-a-kiev-25-02-2022-QW4GCHNRYFEGROUI6HUUHNNDRI.php

Simenon! Leconte! Depardieu!

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Tout le monde dit du bien du « Maigret » de Patrice Leconte et de Gérard Depardieu. Eh bien, pour une fois, tout le monde a raison.


Il y a au moins deux Simenon : le très vilain garçon qui compilait les conquêtes féminines — rémunérées la plupart du temps, il raconte cela très bien avec un cynisme impeccable dans ses Mémoires intimes —, et le romancier génial, auteur de centaines de récits sous son nom ou sous divers pseudonymes, écrivant un roman en trois semaines puis faisant la fête à la fin du mois — et recommençant sans cesse. L’auteur des Maigret, bien sûr, mais aussi des Inconnus dans la maison, de La Veuve Couderc, ou de La Mort de Belle. Des romans qui ont généré des films le plus souvent remarquables. Bien sûr, ce n’était pas un père exemplaire — et le suicide de sa fille Marie-Jo l’a démontré amplement. Mais tous les grands écrivains sont des monstres — ce qui ne signifie aucunement que tous les monstres sont de grands écrivains, c’est comme les drogués qui se prennent pour la réincarnation de Baudelaire.

Il y a au moins deux Patrice Leconte. Le réalisateur des « Bronzés » — et la suite, « Les Vécés étaient fermés de l’intérieur » et autres comédies franchouillardes déjantées. Il fallait bien vivre. Puis il y a le metteur en scène de « Monsieur Hire », de « Tandem » — peut-être le plus grand rôle de Jean Rochefort —, de « Ridicule », et, aujourd’hui, de ce « Maigret » que vous irez voir dès que vous aurez 88 minutes devant vous : merci à lui de ne pas se prendre pour un cinéaste inspiré qui gonfle ses réalisations avec de la mauvaise graisse, comme tant de metteurs en scène post-pubères et « géniaux ».

Et il y a deux Gérard Depardieu. L’acteur d’instinct, absolument génial, celui qui a explosé dès « Les Valseuses » et qui a donné des performances inoubliables « Mon oncle d’Amérique », « Le Dernier métro », « Tous les matins du monde » ou « Danton ». Et l’outre gonflée de vinasse dès le petit matin, incontrôlable, incapable d’apprendre trois lignes de texte ou même de lire le prompteur, depuis 2008 et la mort de Guillaume. Loin de moi l’idée d’émettre un jugement, je n’ai pas perdu d’enfant et nous ne savons pas, les uns et les autres, comment nous réagirions si un tel déchirement nous était imposé.

Ces trois talents se sont donc retrouvés pour concocter un « Maigret » absolument éblouissant, un film nocturne, tout en couleurs froides, un film sur le deuil toujours recommencé, sur l’empathie d’un flic génial pour une victime désignée d’avance, où Depardieu devient le fameux commissaire par osmose, et bien mieux que la plupart de ses devanciers (le diable nous préserve de revoir cette nouille de Jean Richard). Pour les cinéphiles, il est à la hauteur de Michel Simon (qui joua une seule fois Maigret, mais que Simenon lui-même a trouvé fabuleux) ou de Charles Laughton. Même Gabin jouait un ton en dessous, trop occupé à se mettre en colère alors que Maigret est un taiseux.

Bien sûr, Leconte a pris quelques libertés avec l’intrigue, il a introduit quelques perversions bourgeoises dans ce qui était à l’origine l’histoire simple d’une pauvre fille imprudemment venue à Paris. Mais cela donne à Aurore Clément, l’actrice magnifique de « Lacombe Lucien » ou d’ « Apocalypse now », l’occasion de revenir au mieux de sa forme, à 76 ans. Ou Elisabeth Bourgine, applaudie jadis dans « Cours privé », et qui n’a pas changé — en tout cas, pas pour le pire. Un thème lesbien parcourt le film, initié par Bourgine et relayé par Mélanie Bernier, renforçant l’aspect glauque de l’ensemble. En fait, tout roule sur des non-dits.

Tous les acteurs sont d’ailleurs impeccablement (implacablement, allais-je écrire) dirigés, y compris le monstre qui ne peut plus enfiler seul le pardessus qui lui sert d’armure, dans un Paris froid, humide et moribond. La présence furtive — mais dans une scène fondamentale — d’André Wilms, autre acteur génial qui est décédé ce mois-ci, en père dépossédé de son enfant — c’est le second thème sous-jacent du film, la tristesse des hommes que leur enfant a quittés — apporte une touche sépulcrale supplémentaire.

Je l’ai vu alors que le gotha du cinéma français se rassemblait pour ses Césars de pacotille. Et ce fut un bon choix, de regarder un chef d’œuvre plutôt qu’un spectacle convenu plein de starlettes exhibitionnistes.


PS. J’avais bien pensé livrer une chronique — déjà écrite — sur l’Ukraine. Mais il y a chez Causeur des plumes bien plus autorisées que la mienne sur un tel sujet. Alors, plus tard, peut-être — quand le déferlement de grosses bêtises et d’idées convenues se sera ralenti.

Quand l’idéologie met les familles à la porte de Paris

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Une tribune libre de Valérie Montandon, conseillère de Paris (XIIe), vice-présidente du groupe « Changer Paris », Les Républicains


6000 écoliers et leur famille ont manqué à l’appel cette année à Paris et les fermetures d’école se profilent.

Pourquoi 12 000 Parisiens, dont une majorité de familles, quittent la capitale chaque année depuis 10 ans ? La hausse de l’immobilier n’est pas étrangère au départ des familles, mais les tensions sur le marché de l’immobilier parisien sont une réalité depuis des décennies. Anne Hidalgo et son équipe ne peuvent donc pas se réfugier derrière ce seul argument pour s’exonérer de leur part de responsabilité dans l’exode des familles de Paris ! La réponse se situe aussi dans l’idéologie prônée par Madame Hidalgo.

Implantation de salles de shoot, l’épée de Damoclès 

Si la situation sécuritaire se dégrade dans notre pays, Paris fait office d’effet loupe.

De nombreuses familles quittent la capitale en raison de l’abandon de certains quartiers comme le Nord-Est parisien. Le crack consommé en plein jour, les violences dont se rendent coupables les toxicomanes, les quartiers plongés dans le chaos ne sont plus des exceptions. Dans le quartier Lariboisière de la salle de shoot dont l’expérimentation a été prolongée jusqu’en 2025, les témoignages de parents démunis relatant des scènes de déshérence sont glaçants.

Le répit qu’ont connu les familles du 12e et 20e arrondissements aura été de courte durée. À la suite du rétropédalage pour la création d’une salle de shoot à Pelleport, et du transfert de camps de consommateurs de crack à Bercy-Charenton, projets orchestrés respectivement par la ville et l’État, ces arrondissements de l’est hier préservés risquent fort d’être maintenant concernés par le problème ! Mercredi 23 février, un arrêté du gouvernement vient d’autoriser les structures de consommation encadrée Halte Soin Addiction (HSA). Il s’agit de rendre possible la transformation de structures d’accueil existantes en salles de shoot, lesquelles se retrouveront ainsi démultipliées sur l’ensemble de la capitale. Autant d’épées de Damoclès qui planent sur les familles parisiennes ! 

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Évidemment, la toxicomanie est une question délicate et les problématiques qui y sont liées sont toujours des sujets sensibles et complexes à résoudre. Mais à Paris, ces difficultés sont exacerbées depuis plusieurs années par l’incapacité de la Ville et l’État à travailler de concert en bonne intelligence dans le cadre du “Plan crack” et à mettre en place des structures de soins et de sevrage. Ces mesures, que nous, élus de l’opposition, appelons de nos vœux, sont le seul véritable moyen d’aider ces personnes à sortir du terrible engrenage de la drogue.

Les écoliers, variables d’ajustement d’une mauvaise politique du logement 

La fréquentation des écoles est le premier baromètre de la vie d’un arrondissement. Nous constatons que la classe moyenne a disparu dans certains quartiers. Depuis vingt ans, l’idéologie rose-rouge-verte déconstruit la mixité sociale. Par mixité sociale, j’entends la véritable diversité sociale – pas cette mixité illusoire et factice dont la majorité nous fait la promotion depuis des années. La mixité réelle dont nous regrettons l’absence et que nous appelons de nos vœux est de conception républicaine ; c’est la mixité sociale où des catégories socio-professionnelles différentes se côtoyaient et vivaient ensemble – quelles que soient leurs origines ou confession. Autrefois, dans les cours de récréation de nos écoles, chacun venait avec sa différence ou son histoire, et participait de ce ciment de l’École de la République dans laquelle la promesse de l’ascenseur social avait encore un sens. Cette situation n’existe malheureusement plus dans certains quartiers de la capitale. C’est la mauvaise politique du logement qui en est la cause, et plus spécifiquement le déséquilibre dans les attributions des logements sociaux : depuis des années, la Ville a exclu du parc social les classes moyennes, les travailleurs de première ligne et a créé de facto des quartiers dans lesquels se retrouvent majoritairement des familles en grande difficulté sociale, avec qui plus est des équipements publics insuffisants.

Pour tenter de rendre à nos écoles parisiennes un équilibre sociologique, la majorité municipale modifie à son gré la carte scolaire des écoles et collèges. Notons qu’en mettant en place le système d’affection controversé des élèves Affelnet dans les lycées, le gouvernement a entériné une logique qui a pour conséquence de reléguer le mérite des élèves aux oubliettes. Les enfants deviennent ainsi la variable d’ajustement d’une mauvaise politique du logement. 

Circulation, l’asphyxie de Paris continue 

Se déplacer à Paris est devenu compliqué pour les familles, notamment celles qui ont des enfants en bas âge ou en situation de handicap. Les élus de la majorité ne cessent de mettre en place des mesures « d’apaisement » de la ville qui produisent l’effet inverse, en opposant les usagers les uns aux autres, sans vision globale de la circulation tous moyens confondus.

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L’accès aux soins s’en trouve aussi perturbé. Des familles du centre de Paris, qui étaient déjà privées du service d’artisans et de dépanneurs, se voient désormais refuser la visite de médecins ou d’infirmiers à domicile en raison de leur difficulté à y circuler et y stationner. De quoi encombrer un peu plus les urgences pédiatriques déjà tellement surchargées et dont l’accès, comme de nombreux hôpitaux parisiens, est devenu compliqué à l’instar du Centre Hospitalier National d’Ophtalmologie des Quinze-Vingts. Et les annonces récentes de la future Zone de Trafic Limité (ZTL) du centre de la capitale ne sont pas de nature à améliorer la situation. Cette mesure d’exclusion territoriale va encore tendre à transformer Paris en ville musée, qui ne sera plus faite pour ses habitants ! 

Ensemble, rétablissons un contre-pouvoir à la politique menée par la majorité parisienne ! 

Les échéances électorales à venir sont l’occasion d’opérer les changements nécessaires au niveau national en matière de politique du logement, d’éducation et de santé. 

Une politique du logement équilibrée, une refonte d’Affelnet axée sur le juste équilibre entre mixité sociale et mérite ainsi que le lancement d’une politique volontariste axée sur les soins et le sevrage des toxicomanes sont autant de propositions que nous souhaitons mettre en place. Elles permettront aux familles de rester ou revenir à Paris et d’établir un contre-pouvoir à la politique désastreuse menée par l’équipe municipale d’Anne Hidalgo avec la complicité de ce macronisme si déconnecté des réalités !

24 février 2022, l’étrange défaite

Islamisation. Jeudi 24 février, alors que nous étions occupés à bomber le torse face à Vladimir Poutine, nous capitulions face aux “hijabeuses”. À quoi bon faire progresser la parité dans le sport, dans ces conditions ?


Aucune loi n’empêchera une jeune femme de porter le voile islamique lors d’une compétition sportive. Ainsi en ont décidé nos députés. Le jeudi 24 février, la loi visant à « démocratiser le sport en France » a été définitivement adoptée à l’Assemblée Nationale, par 67 voix sur 73 exprimées. Nos regards étant alors braqués vers Poutine, la nouvelle a été reçue dans une indifférence générale. Le texte adopté n’interdira pas le port du voile en compétition. 

Chaque samedi, je me sens discriminée…

Toutefois, il serait de mauvaise foi de dire que tout le monde a été frappé d’apathie. Vendredi 25 février, Anasse Kazib, cheminot marxiste candidat à la présidentielle s’est félicité sur Twitter : « La loi sport a été adoptée sans l’amendement réactionnaire et islamophobe proposé par LR sur l’interdiction du voile en compétition sportive. Jusqu’au bout contre le racisme d’État et pour le droit de toutes les femmes à disposer de leur corps ! ». Le droit des femmes à disposer de leur corps, parlons-en. Début février, une femme a été décapitée par son mari dans le Sud-ouest de l’Iran, ceci pour soupçon d’adultère. Elle s’appelait Mona Heidan, elle avait 17 ans. 

Jeudi 24 février, le média Oh!mymag a diffusé un entretien vidéo avec le collectif “Les Hijabeuses”. Khartoum, une jeune femme drapée d’un grand voile noir s’y indigne du projet d’amendement LR, visant alors à inclure dans la loi sport l’interdiction du voile lors des compétitions sportives. « On veut nous l’interdire [le voile] même dans le sport, qui est source d’émancipation des femmes, je trouve ça réellement ridicule ». « Chaque samedi, je me sens discriminée, j’ai la boule au ventre pour savoir si je vais jouer au foot ou pas », renchérit sa coéquipière. « On arrive, on prie pour pouvoir jouer, alors que ce n’est pas normal de devoir se battre pour pouvoir jouer », reprend Khartoum. 

Khartoum a raison. Il n’est pas normal que des femmes soient obligées de se battre en Arabie Saoudite, en Iran ou ailleurs dans le monde musulman pour avoir le droit de taper dans un ballon, au motif que ce serait un truc de mec. « La société veut trop nous infantiliser, nous réduire comme des enfants, elle veut penser à notre place, parler à notre place à chaque fois alors qu’on est libre de nos choix autant que toutes les autres femmes sur Terre », poursuit-elle. Cette phrase mérite qu’on s’y arrête. Car non, Khartoum. En France, vous n’êtes pas aussi libre que toutes les femmes sur Terre. 

Il faudrait plutôt soutenir les Soudanaises, Marocaines, Saoudiennes…

En France, vous êtes infiniment plus libre que Mona Heidan, décapitée par son mari à l’âge de 17 ans, et dont le même mari a fièrement exhibé la tête. Avant ça, la même Mona Heidan avait été mariée à l’âge de 12 ans. En France, vous êtes considérablement plus libre que n’importe quelle femme du Soudan, les Soudanaises ayant obtenu l’autorisation de danser avec un homme, de porter un pantalon et de jouer au foot il y a seulement trois ans. Et vous êtes considérablement plus libre que les Saoudiennes, qui ne peuvent ni faire des études, ni voyager, ni nager, ni même sortir sans l’autorisation de leur « tuteur ». J’énumère des évidences ? Il semble que l’on soit obligé de les rappeler.

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Khartoum dit se sentir infantilisée. Épargnons-lui le sort des Afghanes, il est suffisamment sordide et loin de chez nous. Traversons la Méditerranée. Au Maroc, le suicide d’une femme il y a un an, condamnée à deux mois de prison ferme pour avoir eu un enfant hors mariage, devrait lui rappeler que le « on est libre de nos choix » reste un privilège d’Occidental(e). Un privilège qui donne aux “Hijabeuses”, le droit d’étudier, de faire le travail de leur choix, le sport qu’elles souhaitent, et de coucher avec celui (ou celle) qui leur plaît.

La ministre pense préserver la démocratie

« Le sport est un droit fondamental et je pense que tout le monde devrait se battre pour que tout le monde puisse pratiquer le sport », conclut Khartoum. Sur ce point, elle a raison. C’est d’ailleurs pour ça qu’il faudrait plutôt soutenir les courageuses anonymes qui se battent en Iran, en Arabie Saoudite et dans des dizaines d’autres pays pour prôner les vertus de l’exercice physique conjugué au beau sexe. 
« Préserver nos démocraties partout et là où on peut, c’est apporter, à son échelle, une petite pièce à un édifice qu’on doit protéger de toutes nos forces », a osé Roxana Maracineanu, ministre déléguée aux Sports lors de l’adoption de la loi. On hésite entre cynisme et bonne foi. Sans doute parle-t-elle de bonne foi, c’en est d’autant plus inquiétant. L’Histoire retiendra que ce jeudi 24 février, la capitulation face au faux « combat » des “Hijabeuses” n’est pas venue des rangs de La France Insoumise, mais de ceux de La République en Marche.

César 2022: fini le cinéma « woke »?

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Après deux anni horribiles ​​- 2020 et 2021 – les César ont retrouvé leur dignité cette année. Sophie Bachat commente le palmarès, qui a vu “Illusions perdues” remporter sept prix et “Annette” cinq – le film préféré des flics, “Bac Nord”, illustrant le séparatisme dans le nord de Marseille, est lui reparti bredouille, faut pas pousser non plus NDLR.


Souvenez-vous. Il y deux ans, nous avions assisté à la mise à mort de Polanski, à une cérémonie prise en otage par les féministes, Adèle Haenel en tête, le visage presque défiguré par la haine, qui s’était levée et s’était « cassée » à l’annonce de la victoire du condamné. Cerise sur le gâteau, Jean-Pierre Darroussin, croyant être drôle, avait volontairement estropié le nom du réalisateur franco-polonais. Chacun sait pourtant que dans les camps, on retirait aux juifs leurs patronymes, que l’on remplaçait par un matricule. Un homme privé de son nom n’est plus un homme… Quant à l’an dernier, la cérémonie des César tenait davantage de la performance de rue politisée que d’une fête censée récompenser les meilleurs artistes et techniciens du cinéma français. Ne nous y attardons plus. 

Il faudrait mettre De Caunes à la présentation chaque année !

Certes, en faisant fi du contexte des années passées, la remise de prix de vendredi aurait été banale. Ce fut long, avec les éternels remerciements et les sketchs un peu ratés. 

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Cependant, ce fut comme un retour à la maison, une douce madeleine. La présence d’Antoine de Caunes en maître de cérémonie, vieux briscard des César, a fait appel, une fois de plus, à notre nostalgie. D’autant plus qu’avant la cérémonie, Canal + avait eu la bonne idée de rediffuser la rétrospective « Les années de Caunes » – je me suis aperçue à cette occasion que notre mémoire cinématographique n’était désormais qu’un vaste cimetière. C’est la gorge serrée par l’émotion que j’ai regardé défiler à l’écran nos monstres sacrés : Serrault en robe de chambre, Rochefort, Johnny remettant un César d’honneur à Godard… Cette dernière séquence, en particulier, semble extraordinaire avec le recul : c’était l’alliance de l’instinct et de l’intellect, toute la force du cinéma français encapsulée en une image. 

La soirée toute entière fut en fait pour moi un retour au jardin du souvenir, avec notamment l’hommage à Belmondo, bien entendu, où on montra simplement un montage d’images tirées de ses plus grands films. Et Dieu sait s’il y en eut ! Nous l’avons revu, goguenard et fragile chez Godard, virevoltant dans les comédies des années 70, fragile chez Truffaut… Un génie, finalement ! Fini, les génies ? “La vie est dégueulasse”.

Illusions perdues

La présidente de cette 47ème édition était la scénariste Danielle Thompson, fille de Gérard Oury. Et encore une fois, ma gorge se serra ! Toute mon enfance et ma jeunesse défilèrent devant mes yeux lorsque furent diffusés les extraits des grands films qu’elle a scénarisés, dont “La Boum”, évidemment, le film « doudou » de ma génération. J’ai ressenti également l’envie pressante de revoir “Cousin, cousine” de Jean-Charles Tacchella, film délicieux et oublié. Et comme je ne rate pas une occasion de parler de moi, j’ai alors revécu mon éducation sentimentale et cinématographique, de même que la perte de mes illusions… 

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Quant au palmarès, il fut, je crois, tout à fait cohérent. Tout à fait mérité pour “Les illusions perdues” de Xavier Giannoli, qui remporta sept César, dont celui du meilleur film. Gageure que d’adapter un tel chef-d’œuvre, Giannoli, en réussissant ce pari, a rejoint le club de nos grands cinéastes. Leos Carax, notre enfant terrible et mystérieux du cinéma, a remporté le prix du meilleur scénario pour “Annette”, sa comédie musicale baroque, récompense qu’il n’a pas volée. Plus surprenant fut le prix du meilleur acteur remis à Benoît Magimel, pour “De son vivant” d’Emmanuelle Bercot, mais sa force teintée de fragilité le mérite peut-être finalement. Et j’ai été ravie, comme tout le monde, que la géniale Valérie Lemercier soit sacrée meilleure actrice : elle est bluffante dans “Aline”. 

Valérie Lemercier dans « Aline », film de 2021 © Jean-Marie Leroy / Rectangle Productions, Gaumont.

Un des sommets de la soirée fut la récompense pour le meilleur second rôle féminin de Aissatou Diallo Sagna, pour “Fracture” de Catherine Corsini. Cette aide soignante – qui fut castée par la réalisatrice, qui voulait que son film, qui traite de l’hôpital public, soit ancré dans le réel – prononça des remerciements vrais et émouvants, un antidote au discours halluciné teinté de racialisme que nous avait infligé en 2020 Aïssa Maïga. Deux ans après, les César ont vraiment retrouvé leur dignité. La cérémonie fut dédiée à Gaspard Ulliel, et quoiqu’on en dise, l’hommage que lui rendit le Canadien Xavier Dolan fut bouleversant.

Débarrassée de folies idéologiques et du besoin de vengeance, la soirée de vendredi était authentique. 


Palmarès complet

César d’honneur : Cate Blanchett
Meilleur film : Illusions perdues, réalisé par Xavier Giannoli
Meilleure réalisation : Leos Carax pour Annette
Meilleure actrice : Valérie Lemercier pour son rôle dans Aline
Meilleur acteur : Benoît Magimel pour son rôle dans De son vivant
Meilleur acteur dans un second rôle : Vincent Lacoste dans Illusions perdues
Meilleure actrice dans un second rôle : Aïssatou Diallo Sagna pour La Fracture
Meilleur film étranger : The Father, réalisé par Florian Zeller
Meilleur premier film : Les Magnétiques, réalisé par Vincent Maël Cardona
Meilleur scénario original : Arthur Harari et Vincent Poymiro pour Onoda, 10 000 nuits dans la jungle
Meilleurs décors : Riton Dupire-Clément pour Illusions perdues
Meilleurs costumes : Pierre-Jean Larroque pour Illusions perdues
Meilleur espoir féminin : Anamaria Vartolomei pour son rôle dans L’Evénement
Meilleur espoir masculin : Benjamin Voisin pour son rôle dans Illusions perdues
Meilleur court-métrage d’animation : Folie douce, folie dure, réalisé par Marine Laclotte
Meilleur court-métrage documentaire : Maalbeek, réalisé par Ismaël Joffroy Chandoutis
Meilleur long-métrage d’animation : Patrick Imbert pour Le Sommet des dieux
Meilleur documentaire : La Panthère des neiges, réalisé par Marie Amiguet et Vincent Munier
Meilleur film de court-métrage : Les Mauvais Garçons, réalisé par Elie Girard
Meilleur son : Erwan Kerzanet, Katia Boutin, Maxence Dussère, Paul Heymans et Thomas Gauder pour Annette
Meilleure adaptation : Xavier Giannoli et Jacques Fieschi pour Illusions perdues
Meilleur montage : Nelly Quettier pour Annette
Meilleure photographie : Christophe Beaucarne pour Illusions perdues
Meilleure musique originale : Ron Mael et Russell Mael pour le groupe Sparks pour Annette
Meilleurs effets visuels : Guillaume Pondard pour Annette

Et si Jean Richard était le meilleur Maigret?

De 1967 à 1990, l’acteur a porté l’imper et la pipe du personnage créé par Simenon à la télévision française


Il y a des plaisirs régressifs qui viennent de très loin. Une odeur de potage aux poireaux et des relents de Brouilly ensauvagent la cuisine de ma grand-mère. J’ai un goût de Tang orange sur la langue et j’ai trop abusé de « Chamonix » durant l’après-midi. Le socialisme triomphant n’aura pas entamé mon appétit. Dans notre famille de négociants, tous les plats sont copieusement arrosés au vin, des œufs au coq, en passant par l’entrecôte. « Marchand de vin » est chez nous plus qu’une profession, c’est un sacerdoce alimentaire.

Ce soir, nous dînerons d’œufs en meurette et d’une salade de pissenlits aux lardons. Ma chambre jouxte les chais où sont entreposés d’immenses foudres, ces barriques géantes me terrifient, à la nuit tombée. Leur ombre dessine des monstres bachiques et orgiaques. Et puis ce parfum de tanin, puissant et enivrant, qui résiste à trente années de rénovation. Une cave reste une cave même transformée en garage auto. L’essence ne pourra jamais annihiler l’imprégnation vinique, notre empreinte culturelle.

Après avoir feuilleté « Tennis de France », je glisse sur le parquet avec mes nouvelles Adidas Nastase par ennui, cherchant tout de même à briser un peu de faïence de Gien pour marquer ma présence. L’école me désole au grand dam de mes parents. Les enfances uniques sont désespérantes et aventureuses surtout vues de l’intérieur.

Quand le temps s’écoulait à la vitesse d’une micheline

Dans ces années-là, le temps s’écoulait à la vitesse d’une micheline entrant en gare de Tracy-sur-Loire. Simenon avait séjourné quelques mois sur les bords de la Loire dans ce village au cépage sauvignon à cheval entre le Cher et la Nièvre. Il officiait en tant que secrétaire particulier du marquis avant de faire fortune avec un commissaire, amateur de bière. Les présidences duraient alors sept ans ; les cohabitations houleuses mettaient un peu d’ambiance dans les austères hémicycles ; Simca avait disparu mais Talbot se lançait dans un dernier baroud d’honneur ; nous étions heureux sans le savoir ; la mondialisation nous mordillait les chevilles, bientôt elle nous boufferait la jambe. J’entends le générique des Enquêtes qui démarre et j’accours devant le poste qui n’est ni plat, ni haute-définition.

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Il chauffe comme un vieux gazogène de la guerre. Et sa profondeur démesurée a nécessité de coûteux travaux d’aménagement. Je ne peux me soustraire à cette attraction aussi hypnotique que Kaa dans le Livre de la jungle. Le rythme est pourtant lent, atrocement lent, j’y trouve déjà les germes de ma nostalgie, le seul capital qui nous reste après avoir tout perdu. Je suis trop jeune pour avoir connu les épisodes diffusés par l’ORTF. Jean Richard est dans mon souvenir associé à Antenne 2.

Les 88 feuilletons, de « Cécile est morte » tourné à Gennevilliers à « Maigret à New-York » aux Amériques, seront multi-diffusés. Je ne les verrai jamais dans leur ordre chronologique si bien que le noir et blanc puis la couleur forment dans mon esprit une sorte de tapisserie confuse. Le continuum mal accordé de mes jeunes années. Je sais seulement que le temps mort et les silences, la hantise de la télévision d’aujourd’hui, se propageaient pour mieux sédimenter ma façon de penser. Jean Richard dans la peau de Maigret avait des vertus méditatives, somnolentes diront les mauvaises langues, il nous apprenait à aimer une certaine rugosité d’atmosphère, donc de l’existence même. Il était cet existentialiste chaotique accoudé au zinc qui s’ignore. Il fuyait la vulgarité moderne qui s’exprimait de plus en plus dans le bruit incessant et la lumière aveuglante. Il ne craignait pas d’afficher une absence totale de mouvement.

Jean Richard, simenonien total

D’un bloc, toujours à l’écoute de l’autre, repu et callé dans son imper, il correspondait à la définition originelle de Simenon. Une force qui absorbe tout sur son passage et tait ses propres tourments. Quand il rencontra l’écrivain en compagnie de Claude Barma, son réalisateur. Le belgo-suisse priapique, un brin taquin lui révéla un secret sur la psychologie de son personnage. Lorsque Maigret sort de chez lui pour se rendre à la PJ et quitte son domicile, il ne fait qu’un seul geste à Madame Maigret : « une petite claque sur les fesses ».

Avec cette série de Maigret qualifiée à tort de franchouillarde et nanardesque, notre corps s’habituait aux délices de la pause. Et notre œil captait une France, surtout celle des années 1970 et du début des années 1980, à jamais disparue. Comme si une craie anthracite avait déposé sa suie sur les murs de la ville. La série restituait admirablement ce Paris gris-souris et brumeux, soumis aux affres de la vie quotidienne. Jean Richard ne sublimait pas la vie. Et puis quelle joie de revoir les débuts télévisés de tant de jeunes comédiens (Michel Blanc, Jean-Pierre Bacri, Karin Viard ou Nicole Garcia). Bien sûr, il y eut d’autres Maigret plus prestigieux, Gabin, Cremer et depuis mercredi Depardieu dans les salles, mais Jean Richard incarnait un commissaire à la sobriété toute simenonienne.


L’intégralité des 88 feuilletons est disponible en streaming sur https://madelen.ina.fr/serie/les-enquetes-du-commissaire-maigret

“Les Nétanyahou” de Joshua Cohen: satire politique et littérature

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Cohen sur les traces de Bellow ou Roth


Né en 1980 dans le New Jersey, Joshua Aaron Cohen est considéré comme un des plus talentueux héritiers d’une grande tradition littéraire, celle du roman juif américain, qui comprend des écrivains tels que Saul Bellow, Cynthia Ozick ou Philip Roth. Son dernier roman, qui porte un titre énigmatique, Les Nétanyahou, est le quatrième à être traduit en France. Les critiques l’ont encensé, le Guardian qualifiant Joshua Cohen de “génie” et Nicole Krauss de “plus talentueux des auteurs anglophones contemporains”.  En ouvrant le livre, le lecteur découvre une citation de Vladimir Jabotinsky, l’enfant terrible du sionisme russe, dont Maxime Gorki déplorait le ralliement à la cause juive, qu’il considérait comme une “perte irrémédiable pour les lettres russes”. “Si vous n’éliminez pas la diaspora, la diaspora vous éliminera”, déclarait Jabotinsky, dans un discours fameux prononcé en Pologne le 9 avril 1938, jour commémorant la destruction du Temple. Cette citation placée en exergue du livre situe immédiatement le contexte du roman de Joshua Cohen. 

La tradition du « Campus novel »

En effet, il s’agit à la fois d’un “campus novel” dans la tradition de David Lodge et de Philip Roth, et d’un roman qui aborde de plein fouet le dilemme juif américain et l’opposition entre deux attitudes juives contraires : celle du sionisme pur et dur (celui de Jabotinsky), et celle du diasporisme et de l’assimilation juive dans la “Goldene Medine”, le “pays en or” que les Juifs ont cru trouver en Amérique depuis plus d’un siècle. Comme l’affirme le sous-titre, le roman est le “récit d’un épisode somme toute mineur dans l’histoire d’une famille très célèbre”. 

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Cet épisode – que l’auteur a appris de la bouche du critique littéraire Harold Bloom, auquel le livre est dédié – remonte aux années 1950, quand Bentsion Nétanyahou, historien spécialiste du judaïsme espagnol et père du futur Premier ministre israélien, devint professeur à l’université de Dropsie, en Pennsylvanie, après avoir été refusé par l’université hébraïque de Jérusalem, en raison de ses opinions politiques. 

L’humour juif, principal attrait du livre

À partir de cet épisode mineur, Joshua Cohen bâtit un roman souvent drôle, parfois grinçant, où l’influence de ses aînés (Roth et Bellow notamment) est très présente. Le narrateur, Ruben Blum, se dit “tiraillé entre deux sortes contraires d’exceptionnalisme”, “la condition américaine d’être libre de choisir et la condition juive d’avoir été choisi”. On ne saurait mieux définir le dilemme juif américain, et la relation bien particulière entre les Juifs et le pays des possibilités illimitées. L’humour juif acerbe de Cohen est l’attrait principal du livre (“J’imaginais notre rue illuminée par un pogrom, j’imaginais la femme de notre directeur, cette folle d’Ellen Morse qui ne ferait pas de mal à une mouche, venir nous apporter des plateaux-repas encore congelés tandis que nous nous faisions oublier dans notre garage individuel…”).

J’ai été moins convaincu par la dimension politique du roman, dont le lien avec l’ensemble du livre est assez ténu. On ne peut se départir de l’impression – et c’est sans doute le défaut principal du livre – que les Nétanyahou ne sont pas tant des personnages romanesques, que des arguments politiques… La description du personnage de Bentsion Nétanyahou, en particulier, confine à la caricature. 

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Quand Joshua Cohen prétend que ce dernier a remplacé l’histoire par une forme de théologie et les faits par des croyances, ou qu’à ses yeux, “les années 1490 et 1940 n’étaient au fond guère différentes”, il simplifie à outrance la pensée de l’historien, en accusant Nétanyahou d’envisager toute l’histoire juive comme une préfiguration de la Shoah et d’avoir une vision lacrymale de l’histoire juive.

Une satire politique un peu simpliste, mais quel talent!

Pour se forger un avis circonstancié, il faut lire le Magnum opus du professeur Nétanyahou, Les origines de l’Inquisition dans l’Espagne du XVe siècle, qui prend à contre-pied la thèse communément admise concernant le sort réservé aux Juifs par la Reine Isabelle la catholique et l’identité des Marranes. 

Ceux-ci n’étaient pas, affirme Nétanyahou, des faux chrétiens restés secrètement Juifs, mais des convertis sincères, que l’Église rejeta en vertu d’une conception raciale de l’identité juive. Contrairement à ce qu’affirme Joshua Cohen, cette thèse iconoclaste n’était pas le fruit d’une vision idéologique de l’histoire, mais celui d’une étude minutieuse, à laquelle le professeur Nétanyahou a consacré plusieurs décennies. Comme souvent, la satire politique pèche par simplification abusive. Mais cela ne retire rien au talent littéraire de l’auteur. La littérature juive a encore de beaux jours devant elle en Amérique.

Joshua Cohen, Les Nétanyahou, Grasset 2022.

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“L’adieu à la nuit” de Téchiné: grand-mère n’y pourra rien

En 2019, le cinéaste, peu coutumier de ce genre de sujet, dépeignait avec lucidité les mécanismes de la radicalisation islamique. On peut revoir ce film sur le site d’Arte jusqu’au 17 mars, avec une Deneuve éblouissante.


Il est dans la vie d’heureuses et minuscules surprises, comme celle de tomber, un soir de blues aux alentours de la Saint-Valentin, sur un film d’André Téchiné sur Arte, qui diffuse jusqu’au 17 mars : “L’adieu à la nuit”. Bien que le sujet soit peu propice à dissiper un blues hivernal – la radicalisation d’un jeune converti à l’islam et ses projets de djihad – la perspective de se replonger un peu dans l’univers singulier de Téchiné, à la fois intense et maîtrisé, ravit.

Un Téchiné atypique

A priori, le sujet de l’islamisme et des atrocités commises en son nom ne sied pas à ce cinéaste, qui traite principalement dans ses films d’amour adolescentes, de complexité des sentiments, ou d’histoires de familles compliquées. Justement, c’est précisément cet intimisme qui fait la réussite du film. Bien sûr, Téchiné ne cherche pas à expliquer les raisons, toujours les mêmes et toujours différentes, qui poussaient des jeunes, à la fin des années 2010, à basculer, et à faire basculer leurs proches dans l’horreur. C’est d’ailleurs ce qui déplut, à l’époque, à certains critiques qui ont reproché au cinéaste une forme de naïveté, voire de complaisance face à la radicalisation. 

Comme d’habitude avec Téchiné, l’action se passe dans le Sud Ouest, ici dans les Pyrénées, non loin de Toulouse (et soudain, surgit l’ombre de Mohamed Merah).  Muriel (Catherine Deneuve) est à la tête d’un domaine qui abrite un centre équestre, c’est une femme d’un certain âge, terrienne et rayonnante. Elle attend son petit fils, Alex, jeune homme ombrageux qu’elle a élevé suite à la mort de sa mère. Mais celui-ci ne rend visite à sa grand-mère que pour finaliser son départ en Syrie avec Lila, qui est pour lui comme une sœur, et fait partie de la famille. Elle est d’origine maghrébine et on devine qu’elle a initié la conversion… 

Naïveté infantile

Certes, le terrain était favorable : la mère d’Alex est morte dans des circonstances mystérieuses et son père est aux abonnés absents. Il a donc trouvé des réponses à son chaos intérieur en embrassant l’islam prêt à penser, sous vide, fournit par les prédicateurs d’internet. Rien que de très classique et explosif, sans très mauvais jeu de mots. Quant à Lila – qui est plus idéologisée – elle en veut à l’Occident, qui ne lui propose plus rien que la marchandisation de tout et la consommation comme seuls idéaux. À juste titre ?

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Ironiquement, Alex et Lila préparent leur mortifère expédition comme on préparerait un séjour all inclusive en Tunisie, de manière candide et totalement infantile. Alex espère même que les kalach et les explosifs seront fournis gratuitement par la maison Daesh. Quant à Lila, elle nage en plein romantisme façon djihad pour poupées Barbie, en déclarant qu’elle serait fière si Alex (qui sera devenu son mari) tombait au champ d’honneur. Cela ferait presque sourire, si cela n’était pas tragique et désespérant. 

Déchirures familiales

L’écrivain Morgan Sportes a très bien analysé ce phénomène qu’il appelle « le djihad pieds-nickelés » dans son dernier roman Les djihadistes aussi ont des peines de cœur, en reconstituant l’épopée tragi-comique d’apprentis terroristes admirateurs Merah qui jetèrent une grenade dans une épicerie casher de Sarcelles en 2012. L’écrivain nous montrait une bande de pauvres types, pour la plupart convertis, qui n’ont ni les moyens intellectuels ni matériels de parvenir à leurs fins. Alors, ils se retrouvent au kébab du coin où ils fantasment l’héroïsme de la kalachnikov tout en échangeant des SMS avec leurs femmes, où il est question de couches-culottes. Nous étions avant le 13 novembre 2015… 

Téchiné a mis également le doigt sur cet amateurisme, Alex et Lila réunissent de l’argent comme ils peuvent, allant jusqu’à voler la grand-mère, sous les ordres d’un certain Bilal, ex dealer devenu moitié iman et moitié chef de mafia. Tout cela n’est décidément pas sérieux. 

Mais le film se préoccupe aussi de l’histoire d’Alex et sa grand-mère, laquelle ne perd pas son sang froid de maîtresse femme qui a les pieds sur terre lorsqu’elle découvre le pot aux roses. Elle ira jusqu’à l’enfermer dans les écuries, pour l’empêcher de partir. Cette confrontation entre la grand-mère et son petit-fils qui fait la force du film. Chez Téchiné, les familles ne sont que déchirures et malentendus. Finalement, pour Alex, le djihad n’est peut-être qu’un prétexte pour exister aux yeux de cette femme, pourtant aimante, qui s’opposera à la nuit pour à la fois le sauver et le sacrifier. 

L’Adieu à la nuit d’André Téchiné (2019) sur Arte TV

Le cabinet de curiosités imaginaires de Jean-Jacques Schuhl

Les Apparitions, fragments d’autobiographie d’un écrivain culte


Jean-Jacques Schuhl est un écrivain rare. Depuis Rose poussière, en 1972, il éparpille ici et là des textes essentiels lus par quelques happy few, qui forment une sorte de club discret et silencieux. Son Goncourt en 2000, Ingrid Caven, a à peine modifié ce statut spécial. Il demeure une sorte de dandy des lettres, toujours dissimulant sa longue silhouette élancée dans les recoins des dernières fêtes.Mais l’homme a ses obsessions artistiques, cultivées avec persévérance, qui vont d’ailleurs de pair avec sa vie. Schuhl sait se donner le temps de les exploiter dans ses livres, au fil d’un désœuvrement de principe, dont Les Apparitions, son nouveau et bref roman, qui sort en ce moment, apportent quelques clefs originales.

La poésie du réel

Comme dans un récit d’André Breton, Schuhl entreprend de nous narrer sa propre existence, dans son « immédiateté » la plus simple. Il constate sa ressemblance avec l’autoportrait de Dürer, et son imagination le travaille : « Il m’arrive de m’apercevoir ailleurs que dans un morceau d’aluminium, au coin d’une rue, par exemple, ou dans un bar, c’est moi et c’est un étranger. » Par sa manière subtile de passer du coq à l’âne, Schuhl nous donne ainsi l’impression de la plus parfaite improvisation. Son lecteur a la sensation de revivre en même temps que lui les méandres de ce qui lui arrive. Comme le lui dira plus tard une femme médecin : « Vous êtes écrivain, et avec votre imaginaire le facteur personnel singulier est plus important ». Schuhl, en somme, ne vit pas une vie normale, mais la poésie du réel.

Ainsi, lorsqu’il tombe malade d’une violente hémorragie interne, et qu’il sera hospitalisé, son esprit va se mettre à fonctionner d’une manière accélérée. La transfusion sanguine qu’on lui fait subir, lui évoque d’abord des histoires de vampires, mais surtout des analogies directes avec l’écriture. D’où des remarques comme celle-ci : « J’avais toujours cherché, j’y suis parfois parvenu, à écrire avec l’encre des autres, par transfusion du style… »

Des images inquiétantes

L’hospitalisation traînant en longueur, et une perte d’oxygène dans le cerveau survenant, Schuhl éprouve alors ce qu’il appelle des « apparitions », c’est-à-dire des visions qu’il pense véridiques. « J’ai d’abord cru être l’objet d’une expérimentation… », écrit-il dans un accès d’angoisse. Puis il songe à quelque effet psychédélique, comme ceux qu’on retrouve chez William Burroughs. Mais ces images sont très puissantes, Schuhl n’estime pas qu’elles proviennent seulement d’une « réalité altérée ». « Ces apparitions étaient des faits indéniables, nous dit-il, qui m’étaient destinés, offerts ou imposés par une force extérieure, peut-être une transcendance… » Du reste, il utilise bien ce mot, « apparitions », qu’on réserve d’habitude au domaine de la religion, pour parler par exemple des apparitions de la Vierge.

Les « apparitions » de Schuhl, qu’il nous détaille avec beaucoup de précision, ressemblent à des rêves, venus tout droit de son inconscient. Comme l’avait jadis montré le peintre Salvador Dali, avec sa fameuse méthode « paranoïa-critique », il est fréquent qu’un artiste ait facilement des remontées d’inconscient, dont il se servira pour son œuvre. C’est un peu ‒ du moins c’est ce que pensent les médecins à qui il s’adresse ‒ ce qui arrive à Schuhl.

On lira donc avec une certaine délectation ces étranges visions qui touchent le cerveau d’un écrivain. Elles mettent à vrai dire mal à l’aise, tant elles sont décrites de manière crue, saisissante, dans cette belle prose que nous aimons retrouver chez lui. Les Apparitions sont un petit ovni littéraire, décrivant une expérience limite, susceptible de se produire chez chacun d’entre nous, avec plus ou moins d’intensité ‒ l’intensité maximale étant réservée aux grands imaginatifs comme Jean-Jacques Schuhl lui-même, digne émule d’Edgar Poe.

Jean-Jacques Schuhl, Les Apparitions. Éd. Gallimard, collection « L’Infini ».

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Prix de l’électricité, Bruxelles et Paris responsables et coupables

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Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne, et Bruno Le Maire, ministre de l’Économie et des Finances, Bruxelles, 29 mai 2017 © EMMANUEL DUNAND / AFP

La libéralisation des marchés de l’énergie en Europe est un échec cuisant. Elle ne s’est pas traduite, comme promis, par une baisse des prix pour les consommateurs, mais par une envolée des tarifs. De plus, les gouvernements français successifs n’ont cessé d’affaiblir EDF et le système électrique du pays, qui avait pourtant garanti pendant des décennies une électricité abondante et bon marché.


La flambée des prix de l’électricité est une mauvaise nouvelle pour l’économie française et ses finances publiques. Pourtant, avec 70 % de son électricité produite par des centrales nucléaires amorties, la France devrait pouvoir continuer à bénéficier d’une électricité bon marché. C’était sans compter avec une libéralisation européenne du marché de l’énergie menée de façon absurde et dogmatique, et avec des politiques énergétiques françaises caractérisées, depuis de nombreuses années maintenant, par l’indécision, le manque de courage et des calculs à courte vue.

Si on y ajoute les usines à gaz administratives dont l’État français a le secret pour donner l’illusion de créer un marché concurrentiel, on aboutit à une situation dans laquelle tout le monde est perdant. Le consommateur d’abord. Il paye toujours plus cher son électricité. Sans intervention de l’État, la hausse de la facture des particuliers en février aurait été de 44,5% ! EDF ensuite qui se trouve dans une situation financière et industrielle considérablement dégradée. L’électricien public est surendetté et incapable de respecter un calendrier industriel, que ce soit celui de la maintenance de son parc de 56 réacteurs nucléaires ou de la construction d’un unique EPR à Flamanville. Dans le premier cas, le retard se chiffre en année et dans le second… il dépasse une décennie. Enfin, le gouvernement se trouve condamné aujourd’hui à dépenser des dizaines de milliards pour éviter une catastrophe sociale, contenir l’envolée des prix et pour renflouer EDF, et lui donner enfin les moyens de mettre à niveau son outil de production…

Une libéralisation du marché européen menée en dépit du bon sens

La faute originelle revient, sans surprise, à la Commission européenne. Elle a pour nom « déréglementation du marché de l’énergie », intervenue en juillet 2007. On allait voir ce qu’on allait voir. La libéralisation du marché de l’énergie en général et de l’électricité en particulier devait ouvrir au consommateur européen une ère d’abondance et de prix cassés. C’est tout le contraire qui s’est passé.

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« Obsolète », « aberrant », voilà comment le ministre français de l’Économie, Bruno Le Maire, qualifie aujourd’hui, dans un sursaut de lucidité, le fonctionnement dudit marché européen de l’électricité. Il aura mis du temps à comprendre. Ce n’était pas le cas de Marcel Boiteux, qui dirigea EDF pendant vingt ans, jusqu’en 1987. Il insistait en 2007 sur le caractère absurde des exigences de Bruxelles visant à mettre fin aux tarifs réglementés de l’électricité (subventionnés) afin de permettre aux nouveaux entrants de se développer. « Dans ce cas, il ne s’agit plus, comme la Commission européenne le fait espérer, d’ouvrir la concurrence pour faire baisser les prix, mais bien d’augmenter les prix pour permettre la concurrence. » Il avait parfaitement raison.

Bruno Le Maire veut maintenant « revoir de fond en comble le fonctionnement du marché unique de l’électricité. […] En France, on s’approvisionne en électricité à partir des centrales nucléaires et de l’énergie hydraulique, donc on a une énergie décarbonée et un coût très bas, mais le marché […] fait qu’il y a un alignement des prix de l’électricité en France sur les prix du gaz. » L’ennui, c’est que le ministre français de l’Économie n’a évidemment pas le pouvoir de revoir le système de fond en comble.

Le dispositif ahurissant de l’Arenh…

Et puis la faute n’est pas seulement bruxelloise. Pour contourner les injonctions de la Commission, les gouvernements français ont créé un système encore plus absurde. Ils ont voulu retarder le plus longtemps possible la suppression des tarifs règlementés de vente (TRV), malgré les directives européennes successives qui la réclamaient, d’abord pour les industriels et ensuite pour le tertiaire et le résidentiel, pour lesquels ils ont été maintenus.

Comme les tarifs réglementés rendent difficile l’entrée sur le marché de fournisseurs alternatifs, qui doivent s’alimenter sur le marché de gros où les prix sont le plus souvent supérieurs aux TRV, le gouvernement, pour obtenir l’accord de Bruxelles, a créé en 2012 une concurrence artificielle avec le dispositif ahurissant de l’Arenh (Accès régulé à l’énergie nucléaire historique). Ce sigle ne peut avoir été concocté que par un technocrate sous amphétamines. L’Arenh consiste pour EDF à céder aux fournisseurs alternatifs une partie de sa production nucléaire, jusqu’à 25 %, à prix coûtant (42 euros/MWh)… en fait à perte. Cela a permis à près d’une cinquantaine de nouveaux distributeurs d’électricité d’apparaître, avec en tête Engie et Total, et de tailler des croupières à EDF… à ses frais. Fin 2020, ils alimentaient en électricité pas moins de 28 % des foyers.

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Avec la flambée actuelle des prix de l’électricité sur les marchés, les fournisseurs ont demandé massivement à bénéficier de ce mécanisme qui leur garantit des électrons pas chers. Mais leur demande n’a pas pu être satisfaite en totalité, loin de là. Le plafond est fixé à 100 térawatts-heure (TWh) et ils en ont demandé un niveau record de 160 TWh. L’électricité nucléaire bon marché qu’ils n’ont pas reçue, ils doivent la remplacer par des achats sur les marchés de gros aux cours particulièrement élevés. Cette inflation a un effet automatique sur les TRV.

Là encore, Bruxelles et Paris ont œuvré pour créer une situation qui ne fait que des perdants. D’abord, le mécanisme européen de fixation des prix de l’électricité est dysfonctionnel. C’est le coût de production de la dernière centrale appelée pour répondre à la demande qui fixe le prix unique de marché. Le prix retenu est par définition le plus élevé… En l’occurrence, le tarif des centrales à gaz qui servent d’appoint notamment quand les renouvelables, éolien et solaire, ne produisent pas du fait de leur intermittence. Il faut du vent et du soleil, sinon pas d’électricité. Non seulement les centrales à gaz sont donc sollicitées en dernier recours, et ont de ce fait des coûts de production élevés, mais ceux-ci atteignent des sommets quand les cours du gaz flambent, parce qu’une pénurie mondiale de cette énergie fossile existe depuis le début de l’année 2021.

Ainsi, le consommateur français subit de plein fouet l’augmentation des prix du gaz alors même que l’indépendance du pays en matière de production électrique devrait l’en préserver. D’après les statistiques d’Eurostat, en une dizaine d’années, la facture d’électricité toutes taxes comprises du consommateur français a augmenté de 50 %. Sachant que l’ensemble des taxes qui pèsent sur l’électricité (taxes sur la consommation finale d’électricité, contribution aux charges du service public de l’électricité, contribution tarifaire d’acheminement et TVA) représentent plus d’un tiers de la facture. Cela est lié notamment à l’utilisation d’un taux de TVA à 20 %, sur un produit de première nécessité, qui s’applique sur le prix total comprenant… les autres taxes.

Le gouvernement s’est piégé lui-même

Pour corriger une situation devenue aujourd’hui explosive, qu’a décidé le gouvernement français il y a quelques jours ? Il a contraint EDF à vendre encore plus d’électricité à prix bradé à ses concurrents… Le gouvernement s’est une fois encore piégé lui-même. Il s’est engagé, quoi qu’il en coûte, à limiter à 4 % cette année la hausse des tarifs réglementés de l’électricité pour les particuliers. Cela concerne 70 % des ménages. Mais la mesure est difficile à mettre en place et va donc coûter une fortune au budget de l’État et… à EDF. Fin septembre, le Premier ministre Jean Castex a annoncé « un bouclier tarifaire » pour protéger les Français de l’envolée historique des prix du gaz et de l’électricité. Le problème est que depuis l’annonce, les prix ont continué à augmenter sans qu’il puisse revenir sur sa parole. Inimaginable en année électorale. Sans compter que l’épisode des Gilets jaunes, né d’une hausse des prix des carburants, est encore dans toutes les mémoires.

Rencontre entre le ministre de l’Économie Emmanuel Macron et le directeur général d’EDF Jean-Bernard Lévy, à la centrale nucléaire de Civaux, 17 mars 2016 © GUILLAUME SOUVANT / AFP

Le gouvernement comptait à l’origine sur une baisse de la fiscalité pour arriver à contenir le tarif, mais cela ne suffit plus. Il envisageait un coût budgétaire de l’ordre de 4 milliards d’euros. Il sera au moins de 10 milliards. Le gouvernement a déjà baissé la taxe sur la consommation d’électricité (CSPE ou TICFE), « au plus bas de ce qui est possible au titre des règles européennes », a expliqué Bruno Le Maire. Mais cela ne couvre que jusqu’à 16 ou 17 % de l’augmentation du prix de l’électricité. La hausse des prix de gros est aujourd’hui largement supérieure à 40 %, d’où la nécessité de trouver un autre moyen pour réduire la facture. Il n’y avait que de mauvaises solutions. Celle qui a été choisie est la pire. C’est celle de la facilité. En plus, elle injurie l’avenir en affaiblissant encore un peu plus EDF.

Le gouvernement a décidé d’imposer à l’électricien public, dont il détient 83 % du capital, la vente d’une partie encore plus importante de sa production électrique nucléaire à ses concurrents. Il a porté de 100 à 120 TWh les volumes qui doivent être cédés à prix réduits. Pour donner un ordre d’idées, en 2020, EDF a produit 500 TWh d’électricité dont 335 TWh de nucléaire. Et passer cette année de 100 à 120 TWh d’électricité nucléaire vendus à prix cassé devrait lui coûter entre 7,7 milliards et 8,4 milliards d’euros. Et en plus, cela est loin de régler tous les problèmes.

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Les particuliers qui ne bénéficient pas du tarif réglementé vont voir leurs factures s’envoler tout comme bon nombre d’entreprises. L’industrie lourde est particulièrement touchée… à l’heure des proclamations de réindustrialisation et de la transformation des processus de production pour les rendre moins émetteurs de gaz à effet de serre.

D’ores et déjà, les activités les plus consommatrices d’électricité en France, comme la sidérurgie ou la chimie, ont prévenu qu’il pourrait y avoir des baisses sensibles de production, voire l’arrêt de certaines usines. Avec des prix de l’électricité de 180 euros le MWh, « nous ne pourrons ni réindustrialiser ni décarboner », a prévenu Gildas Barreyre, président du comité Électricité au sein de l’Uniden, une association qui réunit les activités les plus consommatrices d’électricité en France.

La sidérurgie, la chimie, le ciment, la pharmacie ont tenté d’obtenir un relèvement exceptionnel du quota annuel d’électricité à bas prix dont ils bénéficient. Mais le gouvernement s’y est refusé, car cela aurait été considéré comme une distorsion de concurrence par Bruxelles… Les « électro-intensifs » vont donc « devoir compléter une partie importante de leur approvisionnement sur le marché dans les pires conditions de prix qui soient », remarque l’Uniden.

Conclusion, l’énergie est une affaire trop sérieuse pour la confier aux technocrates bruxellois et aux politiques français. Ils ont créé une concurrence totalement artificielle entre distributeurs qui n’a aucun sens dans le contexte énergétique français, avec un opérateur public assurant les trois quarts de la production nationale d’électricité à l’aide de ses centrales nucléaires et pratiquant des tarifs inférieurs à ceux des autres pays.

Pour sortir d’une situation devenue kafkaïenne, il faudrait maintenant un miracle. À commencer par une réforme du marché de gros de l’électricité en Europe pour qu’il prenne en compte le coût moyen de la production selon les pays. Et il est plus que temps de donner à EDF les moyens financiers, réglementaires et industriels pour investir dans son outil de production, et pas seulement les éoliennes et les panneaux solaires, qui par nature produisent de l’électricité de façon intermittente et aléatoire. Les centrales nucléaires vieillissent et leurs capacités doivent être préservées et même développées, en modernisant les centrales, pour prolonger leur durée d’exploitation, et en en construisant de nouvelles. L’Autorité de sûreté nucléaire a demandé le 19 janvier un « plan Marshall » pour la filière nucléaire française. On ne pouvait mieux dire.

Les Français n’ont pas vu venir le variant ukrainien!

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Kiev, 26 février 2022 © MARCUS YAM/LOS ANGELES TIMES/Shu/SIPA

Jusqu’au dernier moment, les Français n’ont pas voulu croire que la Russie attaquerait l’Ukraine. Plus d’un millier de nos compatriotes se retrouvent actuellement bloqués à Kiev.


Plusieurs centaines de citoyens français terrifiés sont actuellement bloqués, souvent avec femmes et enfants, en Ukraine, notamment à Kiev, où les combats font rage, en attendant une évacuation de dernière minute. Fallait-il anticiper leur départ avant l’invasion du pays comme l’ont fait d’autres pays ?

Inquiétudes

Le 26 février, alors que le territoire de l’Ukraine est dévasté par des tirs de missiles et des bombardements des forces russes, le ministre de l’économie Bruno Le Maire a reconnu sur CNews que « la situation est d’ailleurs aussi terrible pour le millier de nos compatriotes qui sont encore aujourd’hui sur place à Kiev et qui sont terriblement inquiets ». Répondant à une question de Jean-Pierre Elkabbach sur le sort de ces Français, le ministre a répondu qu’il faudrait le moment venu les rapatrier, mais que le sujet aujourd’hui « c’est faire bloc derrière l’Ukraine ».

Jusqu’à la veille-même de l’offensive russe, la France, à la différence des Etats-Unis et d’autres nations, n’a pas demandé à ses ressortissants de quitter le pays. Le ministère des Affaires étrangères a simplement conseillé de « de différer tous les déplacements en Ukraine » et l’ambassade de France à Kiev « faire quelques réserves d’eau, de nourriture, de vêtements chauds » et d’essence dans un message de l’ambassadeur datant du 13 février.

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Cela s’explique par le fait que la France a voulu croire, pratiquement jusqu’au déclenchement de la guerre, à une solution diplomatique. A l’issue de sa rencontre avec Vladimir Poutine, le président français déclarait le 7 février : « Le président Poutine m’a assuré de sa disponibilité à s’engager dans cette logique et de sa volonté de maintenir la stabilité et l’intégrité territoriale de l’Ukraine », avant de tenter un entretien de la dernière chance le 20 février.

Pris au piège

Par contraste, dès le 11 février, le président américain a demandé aux ressortissants américains de quitter l’Ukraine d’urgence – « Les citoyens américains doivent partir maintenant » – en soulignant clairement que l’armée n’interviendrait pas pour les évacuer et que ceux-ci devraient le faire eux-mêmes. Joe Biden a justifié sa décision en expliquant qu’une évacuation militaire serait extrêmement compliquée, notamment en raison des difficultés pour localiser les citoyens américains en Ukraine, ce territoire de plus de 600 000 km2 peuplé de 44 millions d’habitants. Au vu de l’expérience déchirante de l’évacuation des Occidentaux d’Afghanistan en août 2021, on comprend peut être un peu mieux cette décision.

Dans la même logique, dès la mi-février, face aux scénarios d’une invasion imminente de l’Ukraine par la Russie, de nombreux États – dont certains ont d’ailleurs déplacé leur ambassade de Kiev à Lviv, situé plus à l’ouest – ont appelé leurs ressortissants à quitter le pays. Il s’agit notamment du Royaume-Uni, de l’Allemagne, de l’Italie, de l’Espagne, du Canada, de la Norvège, de l’Australie, du Japon, d’Israël, de l’Arabie saoudite ou des Émirats Arabes unis.

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Aujourd’hui, plusieurs centaines de citoyens français se retrouvent enlisés dans le piège de la guerre. Sur BFM TV, le 27 février, des images montrent une mère française désespérée à la recherche de son fils coincé en Ukraine sous les bombardements, dans une cave sans eau, sans électricité et sans Internet. Elle s’est rendue à la frontière polonaise et s’apprête à entrer en territoire ukrainien pour retrouver son enfant et implore, dans un message poignant, le gouvernement français de l’aider. Le 24 février, Le Figaro évoquait le cas d’un homme d’affaires français en déplacement dans le pays et logé dans un appartement loué sur Airbnb, qui est désormais bloqué à Kiev. Dans ce témoignage poignant, on apprend que le 23 février, alors que l’ambassade de France exhorte enfin ses ressortissants à quitter le territoire ukrainien, cet homme a réservé un billet d’avion pour le lendemain, mais que son vol est immédiatement annulé. Terrassé par l’angoisse, il fait face aux difficultés pour retirer de l’argent et pour s’acheter de la nourriture : « Il a tenté, comme les Ukrainiens, d’aller retirer de l’épargne à la banque – sans succès, les files d’attente aux guichets s’étirent sur plusieurs kilomètres. Il n’a pu acheter que des pâtes et de l’eau. Mais en rentrant, il a vu des soldats monter les escaliers du bâtiment. Il craint que ce ne soient des snipers venus faire de ce bâtiment leur base. » Ce qui l’a conduit à envisager d’aller dormir dans le métro, à l’abri des bombardements !

Evacuation par la route, mais plus tard

Selon la chaîne France 24, l’Ukraine avait promis de garder son espace aérien ouvert malgré une menace d’invasion russe, mais on savait que les avions volant dans l’espace aérien ukrainien ne seraient plus couverts par les compagnies d’assurance internationales à partir du 14 février, entraînant des annulations, ce qui avait par exemple incité KLM à annuler ses vols vers l’Ukraine dès le 12 février [1].

Le 25 février, l’ambassadeur de France en Ukraine, Etienne de Poncins, a annoncé qu’une équipe du Groupe d’intervention de la gendarmerie nationale (GIGN) avait décollé le 23 février de Satory pour sécuriser l’ambassade de France à Kiev, mais également pour préparer l’évacuation des ressortissants français sur place [2]. La députée LREM des Français de l’étranger Anne Genetet a confirmé sur BFM TV, le 26 février, que quelques centaines de Français essayaient de quitter l’Ukraine.

Une cellule de crise est en place au Quai d’Orsay et une évacuation est envisagée par la route, l’espace aérien ukrainien étant fermé depuis le 24 février. Mais pour l’heure, les Français bloqués en Ukraine, ont reçu la consigne de rester confinés jusqu’à nouvel ordre et de ne surtout pas sortir sur les routes, car cela serait trop dangereux en raison des bombardements. Mais une fois que le pilonnage des installations militaires ukrainiennes aura cessé, il y aura peut-être une fenêtre pour rapatrier ces Français. Les question lancinantes qui se posent désormais sont les suivantes : cette situation est-elle la conséquence d’une erreur d’appréciation – peut-être par manque d’information ? Et quand surgira donc cette « fenêtre » ?

Dernière minute. Alors que 400 000 Ukrainiens ont déjà quitté le pays, le 28 février, le ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian a incité les Français à tenter de prendre la route, tout en reconnaissant que la France ne pourrait ni leur apporter une assistance sur leur chemin ni assurer leur sécurité pendant leur trajet jusqu’à leur arrivée de l’autre côté de la frontière.

[1] https://www.france24.com/fr/europe/20220214-en-ukraine-les-d%C3%A9parts-en-cascade-des-expatri%C3%A9s-favorisent-la-guerre-psychologique

[2] https://www.leparisien.fr/international/ukraine-une-equipe-du-gign-en-renfort-a-lambassade-de-france-a-kiev-25-02-2022-QW4GCHNRYFEGROUI6HUUHNNDRI.php

Simenon! Leconte! Depardieu!

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"Maigret" de Patrice Leconte, avec Gérard Depardieu et Jade Labeste © F COMME FILM et PASCAL CHANTIER

Tout le monde dit du bien du « Maigret » de Patrice Leconte et de Gérard Depardieu. Eh bien, pour une fois, tout le monde a raison.


Il y a au moins deux Simenon : le très vilain garçon qui compilait les conquêtes féminines — rémunérées la plupart du temps, il raconte cela très bien avec un cynisme impeccable dans ses Mémoires intimes —, et le romancier génial, auteur de centaines de récits sous son nom ou sous divers pseudonymes, écrivant un roman en trois semaines puis faisant la fête à la fin du mois — et recommençant sans cesse. L’auteur des Maigret, bien sûr, mais aussi des Inconnus dans la maison, de La Veuve Couderc, ou de La Mort de Belle. Des romans qui ont généré des films le plus souvent remarquables. Bien sûr, ce n’était pas un père exemplaire — et le suicide de sa fille Marie-Jo l’a démontré amplement. Mais tous les grands écrivains sont des monstres — ce qui ne signifie aucunement que tous les monstres sont de grands écrivains, c’est comme les drogués qui se prennent pour la réincarnation de Baudelaire.

Il y a au moins deux Patrice Leconte. Le réalisateur des « Bronzés » — et la suite, « Les Vécés étaient fermés de l’intérieur » et autres comédies franchouillardes déjantées. Il fallait bien vivre. Puis il y a le metteur en scène de « Monsieur Hire », de « Tandem » — peut-être le plus grand rôle de Jean Rochefort —, de « Ridicule », et, aujourd’hui, de ce « Maigret » que vous irez voir dès que vous aurez 88 minutes devant vous : merci à lui de ne pas se prendre pour un cinéaste inspiré qui gonfle ses réalisations avec de la mauvaise graisse, comme tant de metteurs en scène post-pubères et « géniaux ».

Et il y a deux Gérard Depardieu. L’acteur d’instinct, absolument génial, celui qui a explosé dès « Les Valseuses » et qui a donné des performances inoubliables « Mon oncle d’Amérique », « Le Dernier métro », « Tous les matins du monde » ou « Danton ». Et l’outre gonflée de vinasse dès le petit matin, incontrôlable, incapable d’apprendre trois lignes de texte ou même de lire le prompteur, depuis 2008 et la mort de Guillaume. Loin de moi l’idée d’émettre un jugement, je n’ai pas perdu d’enfant et nous ne savons pas, les uns et les autres, comment nous réagirions si un tel déchirement nous était imposé.

Ces trois talents se sont donc retrouvés pour concocter un « Maigret » absolument éblouissant, un film nocturne, tout en couleurs froides, un film sur le deuil toujours recommencé, sur l’empathie d’un flic génial pour une victime désignée d’avance, où Depardieu devient le fameux commissaire par osmose, et bien mieux que la plupart de ses devanciers (le diable nous préserve de revoir cette nouille de Jean Richard). Pour les cinéphiles, il est à la hauteur de Michel Simon (qui joua une seule fois Maigret, mais que Simenon lui-même a trouvé fabuleux) ou de Charles Laughton. Même Gabin jouait un ton en dessous, trop occupé à se mettre en colère alors que Maigret est un taiseux.

Bien sûr, Leconte a pris quelques libertés avec l’intrigue, il a introduit quelques perversions bourgeoises dans ce qui était à l’origine l’histoire simple d’une pauvre fille imprudemment venue à Paris. Mais cela donne à Aurore Clément, l’actrice magnifique de « Lacombe Lucien » ou d’ « Apocalypse now », l’occasion de revenir au mieux de sa forme, à 76 ans. Ou Elisabeth Bourgine, applaudie jadis dans « Cours privé », et qui n’a pas changé — en tout cas, pas pour le pire. Un thème lesbien parcourt le film, initié par Bourgine et relayé par Mélanie Bernier, renforçant l’aspect glauque de l’ensemble. En fait, tout roule sur des non-dits.

Tous les acteurs sont d’ailleurs impeccablement (implacablement, allais-je écrire) dirigés, y compris le monstre qui ne peut plus enfiler seul le pardessus qui lui sert d’armure, dans un Paris froid, humide et moribond. La présence furtive — mais dans une scène fondamentale — d’André Wilms, autre acteur génial qui est décédé ce mois-ci, en père dépossédé de son enfant — c’est le second thème sous-jacent du film, la tristesse des hommes que leur enfant a quittés — apporte une touche sépulcrale supplémentaire.

Je l’ai vu alors que le gotha du cinéma français se rassemblait pour ses Césars de pacotille. Et ce fut un bon choix, de regarder un chef d’œuvre plutôt qu’un spectacle convenu plein de starlettes exhibitionnistes.


PS. J’avais bien pensé livrer une chronique — déjà écrite — sur l’Ukraine. Mais il y a chez Causeur des plumes bien plus autorisées que la mienne sur un tel sujet. Alors, plus tard, peut-être — quand le déferlement de grosses bêtises et d’idées convenues se sera ralenti.

Quand l’idéologie met les familles à la porte de Paris

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Manifestation dans le quartier de Stalingrad, Paris, 2 octobre 2021 © Olivier Coret/SIPA

Une tribune libre de Valérie Montandon, conseillère de Paris (XIIe), vice-présidente du groupe « Changer Paris », Les Républicains


6000 écoliers et leur famille ont manqué à l’appel cette année à Paris et les fermetures d’école se profilent.

Pourquoi 12 000 Parisiens, dont une majorité de familles, quittent la capitale chaque année depuis 10 ans ? La hausse de l’immobilier n’est pas étrangère au départ des familles, mais les tensions sur le marché de l’immobilier parisien sont une réalité depuis des décennies. Anne Hidalgo et son équipe ne peuvent donc pas se réfugier derrière ce seul argument pour s’exonérer de leur part de responsabilité dans l’exode des familles de Paris ! La réponse se situe aussi dans l’idéologie prônée par Madame Hidalgo.

Implantation de salles de shoot, l’épée de Damoclès 

Si la situation sécuritaire se dégrade dans notre pays, Paris fait office d’effet loupe.

De nombreuses familles quittent la capitale en raison de l’abandon de certains quartiers comme le Nord-Est parisien. Le crack consommé en plein jour, les violences dont se rendent coupables les toxicomanes, les quartiers plongés dans le chaos ne sont plus des exceptions. Dans le quartier Lariboisière de la salle de shoot dont l’expérimentation a été prolongée jusqu’en 2025, les témoignages de parents démunis relatant des scènes de déshérence sont glaçants.

Le répit qu’ont connu les familles du 12e et 20e arrondissements aura été de courte durée. À la suite du rétropédalage pour la création d’une salle de shoot à Pelleport, et du transfert de camps de consommateurs de crack à Bercy-Charenton, projets orchestrés respectivement par la ville et l’État, ces arrondissements de l’est hier préservés risquent fort d’être maintenant concernés par le problème ! Mercredi 23 février, un arrêté du gouvernement vient d’autoriser les structures de consommation encadrée Halte Soin Addiction (HSA). Il s’agit de rendre possible la transformation de structures d’accueil existantes en salles de shoot, lesquelles se retrouveront ainsi démultipliées sur l’ensemble de la capitale. Autant d’épées de Damoclès qui planent sur les familles parisiennes ! 

À lire aussi, Erwan Seznec: L’accélération foudroyante de la gentrification de Paris

Évidemment, la toxicomanie est une question délicate et les problématiques qui y sont liées sont toujours des sujets sensibles et complexes à résoudre. Mais à Paris, ces difficultés sont exacerbées depuis plusieurs années par l’incapacité de la Ville et l’État à travailler de concert en bonne intelligence dans le cadre du “Plan crack” et à mettre en place des structures de soins et de sevrage. Ces mesures, que nous, élus de l’opposition, appelons de nos vœux, sont le seul véritable moyen d’aider ces personnes à sortir du terrible engrenage de la drogue.

Les écoliers, variables d’ajustement d’une mauvaise politique du logement 

La fréquentation des écoles est le premier baromètre de la vie d’un arrondissement. Nous constatons que la classe moyenne a disparu dans certains quartiers. Depuis vingt ans, l’idéologie rose-rouge-verte déconstruit la mixité sociale. Par mixité sociale, j’entends la véritable diversité sociale – pas cette mixité illusoire et factice dont la majorité nous fait la promotion depuis des années. La mixité réelle dont nous regrettons l’absence et que nous appelons de nos vœux est de conception républicaine ; c’est la mixité sociale où des catégories socio-professionnelles différentes se côtoyaient et vivaient ensemble – quelles que soient leurs origines ou confession. Autrefois, dans les cours de récréation de nos écoles, chacun venait avec sa différence ou son histoire, et participait de ce ciment de l’École de la République dans laquelle la promesse de l’ascenseur social avait encore un sens. Cette situation n’existe malheureusement plus dans certains quartiers de la capitale. C’est la mauvaise politique du logement qui en est la cause, et plus spécifiquement le déséquilibre dans les attributions des logements sociaux : depuis des années, la Ville a exclu du parc social les classes moyennes, les travailleurs de première ligne et a créé de facto des quartiers dans lesquels se retrouvent majoritairement des familles en grande difficulté sociale, avec qui plus est des équipements publics insuffisants.

Pour tenter de rendre à nos écoles parisiennes un équilibre sociologique, la majorité municipale modifie à son gré la carte scolaire des écoles et collèges. Notons qu’en mettant en place le système d’affection controversé des élèves Affelnet dans les lycées, le gouvernement a entériné une logique qui a pour conséquence de reléguer le mérite des élèves aux oubliettes. Les enfants deviennent ainsi la variable d’ajustement d’une mauvaise politique du logement. 

Circulation, l’asphyxie de Paris continue 

Se déplacer à Paris est devenu compliqué pour les familles, notamment celles qui ont des enfants en bas âge ou en situation de handicap. Les élus de la majorité ne cessent de mettre en place des mesures « d’apaisement » de la ville qui produisent l’effet inverse, en opposant les usagers les uns aux autres, sans vision globale de la circulation tous moyens confondus.

À lire aussi, Erwan Seznec: Ville de Paris: «Tout le monde ferme les yeux sur l’absentéisme»

L’accès aux soins s’en trouve aussi perturbé. Des familles du centre de Paris, qui étaient déjà privées du service d’artisans et de dépanneurs, se voient désormais refuser la visite de médecins ou d’infirmiers à domicile en raison de leur difficulté à y circuler et y stationner. De quoi encombrer un peu plus les urgences pédiatriques déjà tellement surchargées et dont l’accès, comme de nombreux hôpitaux parisiens, est devenu compliqué à l’instar du Centre Hospitalier National d’Ophtalmologie des Quinze-Vingts. Et les annonces récentes de la future Zone de Trafic Limité (ZTL) du centre de la capitale ne sont pas de nature à améliorer la situation. Cette mesure d’exclusion territoriale va encore tendre à transformer Paris en ville musée, qui ne sera plus faite pour ses habitants ! 

Ensemble, rétablissons un contre-pouvoir à la politique menée par la majorité parisienne ! 

Les échéances électorales à venir sont l’occasion d’opérer les changements nécessaires au niveau national en matière de politique du logement, d’éducation et de santé. 

Une politique du logement équilibrée, une refonte d’Affelnet axée sur le juste équilibre entre mixité sociale et mérite ainsi que le lancement d’une politique volontariste axée sur les soins et le sevrage des toxicomanes sont autant de propositions que nous souhaitons mettre en place. Elles permettront aux familles de rester ou revenir à Paris et d’établir un contre-pouvoir à la politique désastreuse menée par l’équipe municipale d’Anne Hidalgo avec la complicité de ce macronisme si déconnecté des réalités !

24 février 2022, l’étrange défaite

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Militantes pro-voile interrogées par le site Ohmymag. Capture ohmymag.com

Islamisation. Jeudi 24 février, alors que nous étions occupés à bomber le torse face à Vladimir Poutine, nous capitulions face aux “hijabeuses”. À quoi bon faire progresser la parité dans le sport, dans ces conditions ?


Aucune loi n’empêchera une jeune femme de porter le voile islamique lors d’une compétition sportive. Ainsi en ont décidé nos députés. Le jeudi 24 février, la loi visant à « démocratiser le sport en France » a été définitivement adoptée à l’Assemblée Nationale, par 67 voix sur 73 exprimées. Nos regards étant alors braqués vers Poutine, la nouvelle a été reçue dans une indifférence générale. Le texte adopté n’interdira pas le port du voile en compétition. 

Chaque samedi, je me sens discriminée…

Toutefois, il serait de mauvaise foi de dire que tout le monde a été frappé d’apathie. Vendredi 25 février, Anasse Kazib, cheminot marxiste candidat à la présidentielle s’est félicité sur Twitter : « La loi sport a été adoptée sans l’amendement réactionnaire et islamophobe proposé par LR sur l’interdiction du voile en compétition sportive. Jusqu’au bout contre le racisme d’État et pour le droit de toutes les femmes à disposer de leur corps ! ». Le droit des femmes à disposer de leur corps, parlons-en. Début février, une femme a été décapitée par son mari dans le Sud-ouest de l’Iran, ceci pour soupçon d’adultère. Elle s’appelait Mona Heidan, elle avait 17 ans. 

Jeudi 24 février, le média Oh!mymag a diffusé un entretien vidéo avec le collectif “Les Hijabeuses”. Khartoum, une jeune femme drapée d’un grand voile noir s’y indigne du projet d’amendement LR, visant alors à inclure dans la loi sport l’interdiction du voile lors des compétitions sportives. « On veut nous l’interdire [le voile] même dans le sport, qui est source d’émancipation des femmes, je trouve ça réellement ridicule ». « Chaque samedi, je me sens discriminée, j’ai la boule au ventre pour savoir si je vais jouer au foot ou pas », renchérit sa coéquipière. « On arrive, on prie pour pouvoir jouer, alors que ce n’est pas normal de devoir se battre pour pouvoir jouer », reprend Khartoum. 

Khartoum a raison. Il n’est pas normal que des femmes soient obligées de se battre en Arabie Saoudite, en Iran ou ailleurs dans le monde musulman pour avoir le droit de taper dans un ballon, au motif que ce serait un truc de mec. « La société veut trop nous infantiliser, nous réduire comme des enfants, elle veut penser à notre place, parler à notre place à chaque fois alors qu’on est libre de nos choix autant que toutes les autres femmes sur Terre », poursuit-elle. Cette phrase mérite qu’on s’y arrête. Car non, Khartoum. En France, vous n’êtes pas aussi libre que toutes les femmes sur Terre. 

Il faudrait plutôt soutenir les Soudanaises, Marocaines, Saoudiennes…

En France, vous êtes infiniment plus libre que Mona Heidan, décapitée par son mari à l’âge de 17 ans, et dont le même mari a fièrement exhibé la tête. Avant ça, la même Mona Heidan avait été mariée à l’âge de 12 ans. En France, vous êtes considérablement plus libre que n’importe quelle femme du Soudan, les Soudanaises ayant obtenu l’autorisation de danser avec un homme, de porter un pantalon et de jouer au foot il y a seulement trois ans. Et vous êtes considérablement plus libre que les Saoudiennes, qui ne peuvent ni faire des études, ni voyager, ni nager, ni même sortir sans l’autorisation de leur « tuteur ». J’énumère des évidences ? Il semble que l’on soit obligé de les rappeler.

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Khartoum dit se sentir infantilisée. Épargnons-lui le sort des Afghanes, il est suffisamment sordide et loin de chez nous. Traversons la Méditerranée. Au Maroc, le suicide d’une femme il y a un an, condamnée à deux mois de prison ferme pour avoir eu un enfant hors mariage, devrait lui rappeler que le « on est libre de nos choix » reste un privilège d’Occidental(e). Un privilège qui donne aux “Hijabeuses”, le droit d’étudier, de faire le travail de leur choix, le sport qu’elles souhaitent, et de coucher avec celui (ou celle) qui leur plaît.

La ministre pense préserver la démocratie

« Le sport est un droit fondamental et je pense que tout le monde devrait se battre pour que tout le monde puisse pratiquer le sport », conclut Khartoum. Sur ce point, elle a raison. C’est d’ailleurs pour ça qu’il faudrait plutôt soutenir les courageuses anonymes qui se battent en Iran, en Arabie Saoudite et dans des dizaines d’autres pays pour prôner les vertus de l’exercice physique conjugué au beau sexe. 
« Préserver nos démocraties partout et là où on peut, c’est apporter, à son échelle, une petite pièce à un édifice qu’on doit protéger de toutes nos forces », a osé Roxana Maracineanu, ministre déléguée aux Sports lors de l’adoption de la loi. On hésite entre cynisme et bonne foi. Sans doute parle-t-elle de bonne foi, c’en est d’autant plus inquiétant. L’Histoire retiendra que ce jeudi 24 février, la capitulation face au faux « combat » des “Hijabeuses” n’est pas venue des rangs de La France Insoumise, mais de ceux de La République en Marche.

César 2022: fini le cinéma « woke »?

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L'acteur Vincent Lacoste reçoit le prix du meilleur acteur dans un second rôle, 25 février 2022 © Laurent VU/SIPA

Après deux anni horribiles ​​- 2020 et 2021 – les César ont retrouvé leur dignité cette année. Sophie Bachat commente le palmarès, qui a vu “Illusions perdues” remporter sept prix et “Annette” cinq – le film préféré des flics, “Bac Nord”, illustrant le séparatisme dans le nord de Marseille, est lui reparti bredouille, faut pas pousser non plus NDLR.


Souvenez-vous. Il y deux ans, nous avions assisté à la mise à mort de Polanski, à une cérémonie prise en otage par les féministes, Adèle Haenel en tête, le visage presque défiguré par la haine, qui s’était levée et s’était « cassée » à l’annonce de la victoire du condamné. Cerise sur le gâteau, Jean-Pierre Darroussin, croyant être drôle, avait volontairement estropié le nom du réalisateur franco-polonais. Chacun sait pourtant que dans les camps, on retirait aux juifs leurs patronymes, que l’on remplaçait par un matricule. Un homme privé de son nom n’est plus un homme… Quant à l’an dernier, la cérémonie des César tenait davantage de la performance de rue politisée que d’une fête censée récompenser les meilleurs artistes et techniciens du cinéma français. Ne nous y attardons plus. 

Il faudrait mettre De Caunes à la présentation chaque année !

Certes, en faisant fi du contexte des années passées, la remise de prix de vendredi aurait été banale. Ce fut long, avec les éternels remerciements et les sketchs un peu ratés. 

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Cependant, ce fut comme un retour à la maison, une douce madeleine. La présence d’Antoine de Caunes en maître de cérémonie, vieux briscard des César, a fait appel, une fois de plus, à notre nostalgie. D’autant plus qu’avant la cérémonie, Canal + avait eu la bonne idée de rediffuser la rétrospective « Les années de Caunes » – je me suis aperçue à cette occasion que notre mémoire cinématographique n’était désormais qu’un vaste cimetière. C’est la gorge serrée par l’émotion que j’ai regardé défiler à l’écran nos monstres sacrés : Serrault en robe de chambre, Rochefort, Johnny remettant un César d’honneur à Godard… Cette dernière séquence, en particulier, semble extraordinaire avec le recul : c’était l’alliance de l’instinct et de l’intellect, toute la force du cinéma français encapsulée en une image. 

La soirée toute entière fut en fait pour moi un retour au jardin du souvenir, avec notamment l’hommage à Belmondo, bien entendu, où on montra simplement un montage d’images tirées de ses plus grands films. Et Dieu sait s’il y en eut ! Nous l’avons revu, goguenard et fragile chez Godard, virevoltant dans les comédies des années 70, fragile chez Truffaut… Un génie, finalement ! Fini, les génies ? “La vie est dégueulasse”.

Illusions perdues

La présidente de cette 47ème édition était la scénariste Danielle Thompson, fille de Gérard Oury. Et encore une fois, ma gorge se serra ! Toute mon enfance et ma jeunesse défilèrent devant mes yeux lorsque furent diffusés les extraits des grands films qu’elle a scénarisés, dont “La Boum”, évidemment, le film « doudou » de ma génération. J’ai ressenti également l’envie pressante de revoir “Cousin, cousine” de Jean-Charles Tacchella, film délicieux et oublié. Et comme je ne rate pas une occasion de parler de moi, j’ai alors revécu mon éducation sentimentale et cinématographique, de même que la perte de mes illusions… 

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Quant au palmarès, il fut, je crois, tout à fait cohérent. Tout à fait mérité pour “Les illusions perdues” de Xavier Giannoli, qui remporta sept César, dont celui du meilleur film. Gageure que d’adapter un tel chef-d’œuvre, Giannoli, en réussissant ce pari, a rejoint le club de nos grands cinéastes. Leos Carax, notre enfant terrible et mystérieux du cinéma, a remporté le prix du meilleur scénario pour “Annette”, sa comédie musicale baroque, récompense qu’il n’a pas volée. Plus surprenant fut le prix du meilleur acteur remis à Benoît Magimel, pour “De son vivant” d’Emmanuelle Bercot, mais sa force teintée de fragilité le mérite peut-être finalement. Et j’ai été ravie, comme tout le monde, que la géniale Valérie Lemercier soit sacrée meilleure actrice : elle est bluffante dans “Aline”. 

Valérie Lemercier dans « Aline », film de 2021 © Jean-Marie Leroy / Rectangle Productions, Gaumont.

Un des sommets de la soirée fut la récompense pour le meilleur second rôle féminin de Aissatou Diallo Sagna, pour “Fracture” de Catherine Corsini. Cette aide soignante – qui fut castée par la réalisatrice, qui voulait que son film, qui traite de l’hôpital public, soit ancré dans le réel – prononça des remerciements vrais et émouvants, un antidote au discours halluciné teinté de racialisme que nous avait infligé en 2020 Aïssa Maïga. Deux ans après, les César ont vraiment retrouvé leur dignité. La cérémonie fut dédiée à Gaspard Ulliel, et quoiqu’on en dise, l’hommage que lui rendit le Canadien Xavier Dolan fut bouleversant.

Débarrassée de folies idéologiques et du besoin de vengeance, la soirée de vendredi était authentique. 


Palmarès complet

César d’honneur : Cate Blanchett
Meilleur film : Illusions perdues, réalisé par Xavier Giannoli
Meilleure réalisation : Leos Carax pour Annette
Meilleure actrice : Valérie Lemercier pour son rôle dans Aline
Meilleur acteur : Benoît Magimel pour son rôle dans De son vivant
Meilleur acteur dans un second rôle : Vincent Lacoste dans Illusions perdues
Meilleure actrice dans un second rôle : Aïssatou Diallo Sagna pour La Fracture
Meilleur film étranger : The Father, réalisé par Florian Zeller
Meilleur premier film : Les Magnétiques, réalisé par Vincent Maël Cardona
Meilleur scénario original : Arthur Harari et Vincent Poymiro pour Onoda, 10 000 nuits dans la jungle
Meilleurs décors : Riton Dupire-Clément pour Illusions perdues
Meilleurs costumes : Pierre-Jean Larroque pour Illusions perdues
Meilleur espoir féminin : Anamaria Vartolomei pour son rôle dans L’Evénement
Meilleur espoir masculin : Benjamin Voisin pour son rôle dans Illusions perdues
Meilleur court-métrage d’animation : Folie douce, folie dure, réalisé par Marine Laclotte
Meilleur court-métrage documentaire : Maalbeek, réalisé par Ismaël Joffroy Chandoutis
Meilleur long-métrage d’animation : Patrick Imbert pour Le Sommet des dieux
Meilleur documentaire : La Panthère des neiges, réalisé par Marie Amiguet et Vincent Munier
Meilleur film de court-métrage : Les Mauvais Garçons, réalisé par Elie Girard
Meilleur son : Erwan Kerzanet, Katia Boutin, Maxence Dussère, Paul Heymans et Thomas Gauder pour Annette
Meilleure adaptation : Xavier Giannoli et Jacques Fieschi pour Illusions perdues
Meilleur montage : Nelly Quettier pour Annette
Meilleure photographie : Christophe Beaucarne pour Illusions perdues
Meilleure musique originale : Ron Mael et Russell Mael pour le groupe Sparks pour Annette
Meilleurs effets visuels : Guillaume Pondard pour Annette

Et si Jean Richard était le meilleur Maigret?

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Jean Richard - Les enquêtes du commissaire Maigret - "Maigret et l'homme du banc" © GINIES/SIPA

De 1967 à 1990, l’acteur a porté l’imper et la pipe du personnage créé par Simenon à la télévision française


Il y a des plaisirs régressifs qui viennent de très loin. Une odeur de potage aux poireaux et des relents de Brouilly ensauvagent la cuisine de ma grand-mère. J’ai un goût de Tang orange sur la langue et j’ai trop abusé de « Chamonix » durant l’après-midi. Le socialisme triomphant n’aura pas entamé mon appétit. Dans notre famille de négociants, tous les plats sont copieusement arrosés au vin, des œufs au coq, en passant par l’entrecôte. « Marchand de vin » est chez nous plus qu’une profession, c’est un sacerdoce alimentaire.

Ce soir, nous dînerons d’œufs en meurette et d’une salade de pissenlits aux lardons. Ma chambre jouxte les chais où sont entreposés d’immenses foudres, ces barriques géantes me terrifient, à la nuit tombée. Leur ombre dessine des monstres bachiques et orgiaques. Et puis ce parfum de tanin, puissant et enivrant, qui résiste à trente années de rénovation. Une cave reste une cave même transformée en garage auto. L’essence ne pourra jamais annihiler l’imprégnation vinique, notre empreinte culturelle.

Après avoir feuilleté « Tennis de France », je glisse sur le parquet avec mes nouvelles Adidas Nastase par ennui, cherchant tout de même à briser un peu de faïence de Gien pour marquer ma présence. L’école me désole au grand dam de mes parents. Les enfances uniques sont désespérantes et aventureuses surtout vues de l’intérieur.

Quand le temps s’écoulait à la vitesse d’une micheline

Dans ces années-là, le temps s’écoulait à la vitesse d’une micheline entrant en gare de Tracy-sur-Loire. Simenon avait séjourné quelques mois sur les bords de la Loire dans ce village au cépage sauvignon à cheval entre le Cher et la Nièvre. Il officiait en tant que secrétaire particulier du marquis avant de faire fortune avec un commissaire, amateur de bière. Les présidences duraient alors sept ans ; les cohabitations houleuses mettaient un peu d’ambiance dans les austères hémicycles ; Simca avait disparu mais Talbot se lançait dans un dernier baroud d’honneur ; nous étions heureux sans le savoir ; la mondialisation nous mordillait les chevilles, bientôt elle nous boufferait la jambe. J’entends le générique des Enquêtes qui démarre et j’accours devant le poste qui n’est ni plat, ni haute-définition.

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Il chauffe comme un vieux gazogène de la guerre. Et sa profondeur démesurée a nécessité de coûteux travaux d’aménagement. Je ne peux me soustraire à cette attraction aussi hypnotique que Kaa dans le Livre de la jungle. Le rythme est pourtant lent, atrocement lent, j’y trouve déjà les germes de ma nostalgie, le seul capital qui nous reste après avoir tout perdu. Je suis trop jeune pour avoir connu les épisodes diffusés par l’ORTF. Jean Richard est dans mon souvenir associé à Antenne 2.

Les 88 feuilletons, de « Cécile est morte » tourné à Gennevilliers à « Maigret à New-York » aux Amériques, seront multi-diffusés. Je ne les verrai jamais dans leur ordre chronologique si bien que le noir et blanc puis la couleur forment dans mon esprit une sorte de tapisserie confuse. Le continuum mal accordé de mes jeunes années. Je sais seulement que le temps mort et les silences, la hantise de la télévision d’aujourd’hui, se propageaient pour mieux sédimenter ma façon de penser. Jean Richard dans la peau de Maigret avait des vertus méditatives, somnolentes diront les mauvaises langues, il nous apprenait à aimer une certaine rugosité d’atmosphère, donc de l’existence même. Il était cet existentialiste chaotique accoudé au zinc qui s’ignore. Il fuyait la vulgarité moderne qui s’exprimait de plus en plus dans le bruit incessant et la lumière aveuglante. Il ne craignait pas d’afficher une absence totale de mouvement.

Jean Richard, simenonien total

D’un bloc, toujours à l’écoute de l’autre, repu et callé dans son imper, il correspondait à la définition originelle de Simenon. Une force qui absorbe tout sur son passage et tait ses propres tourments. Quand il rencontra l’écrivain en compagnie de Claude Barma, son réalisateur. Le belgo-suisse priapique, un brin taquin lui révéla un secret sur la psychologie de son personnage. Lorsque Maigret sort de chez lui pour se rendre à la PJ et quitte son domicile, il ne fait qu’un seul geste à Madame Maigret : « une petite claque sur les fesses ».

Avec cette série de Maigret qualifiée à tort de franchouillarde et nanardesque, notre corps s’habituait aux délices de la pause. Et notre œil captait une France, surtout celle des années 1970 et du début des années 1980, à jamais disparue. Comme si une craie anthracite avait déposé sa suie sur les murs de la ville. La série restituait admirablement ce Paris gris-souris et brumeux, soumis aux affres de la vie quotidienne. Jean Richard ne sublimait pas la vie. Et puis quelle joie de revoir les débuts télévisés de tant de jeunes comédiens (Michel Blanc, Jean-Pierre Bacri, Karin Viard ou Nicole Garcia). Bien sûr, il y eut d’autres Maigret plus prestigieux, Gabin, Cremer et depuis mercredi Depardieu dans les salles, mais Jean Richard incarnait un commissaire à la sobriété toute simenonienne.


L’intégralité des 88 feuilletons est disponible en streaming sur https://madelen.ina.fr/serie/les-enquetes-du-commissaire-maigret

“Les Nétanyahou” de Joshua Cohen: satire politique et littérature

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L'écrivain américain Joshua Cohen © C Beowulf Sheehan

Cohen sur les traces de Bellow ou Roth


Né en 1980 dans le New Jersey, Joshua Aaron Cohen est considéré comme un des plus talentueux héritiers d’une grande tradition littéraire, celle du roman juif américain, qui comprend des écrivains tels que Saul Bellow, Cynthia Ozick ou Philip Roth. Son dernier roman, qui porte un titre énigmatique, Les Nétanyahou, est le quatrième à être traduit en France. Les critiques l’ont encensé, le Guardian qualifiant Joshua Cohen de “génie” et Nicole Krauss de “plus talentueux des auteurs anglophones contemporains”.  En ouvrant le livre, le lecteur découvre une citation de Vladimir Jabotinsky, l’enfant terrible du sionisme russe, dont Maxime Gorki déplorait le ralliement à la cause juive, qu’il considérait comme une “perte irrémédiable pour les lettres russes”. “Si vous n’éliminez pas la diaspora, la diaspora vous éliminera”, déclarait Jabotinsky, dans un discours fameux prononcé en Pologne le 9 avril 1938, jour commémorant la destruction du Temple. Cette citation placée en exergue du livre situe immédiatement le contexte du roman de Joshua Cohen. 

La tradition du « Campus novel »

En effet, il s’agit à la fois d’un “campus novel” dans la tradition de David Lodge et de Philip Roth, et d’un roman qui aborde de plein fouet le dilemme juif américain et l’opposition entre deux attitudes juives contraires : celle du sionisme pur et dur (celui de Jabotinsky), et celle du diasporisme et de l’assimilation juive dans la “Goldene Medine”, le “pays en or” que les Juifs ont cru trouver en Amérique depuis plus d’un siècle. Comme l’affirme le sous-titre, le roman est le “récit d’un épisode somme toute mineur dans l’histoire d’une famille très célèbre”. 

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Cet épisode – que l’auteur a appris de la bouche du critique littéraire Harold Bloom, auquel le livre est dédié – remonte aux années 1950, quand Bentsion Nétanyahou, historien spécialiste du judaïsme espagnol et père du futur Premier ministre israélien, devint professeur à l’université de Dropsie, en Pennsylvanie, après avoir été refusé par l’université hébraïque de Jérusalem, en raison de ses opinions politiques. 

L’humour juif, principal attrait du livre

À partir de cet épisode mineur, Joshua Cohen bâtit un roman souvent drôle, parfois grinçant, où l’influence de ses aînés (Roth et Bellow notamment) est très présente. Le narrateur, Ruben Blum, se dit “tiraillé entre deux sortes contraires d’exceptionnalisme”, “la condition américaine d’être libre de choisir et la condition juive d’avoir été choisi”. On ne saurait mieux définir le dilemme juif américain, et la relation bien particulière entre les Juifs et le pays des possibilités illimitées. L’humour juif acerbe de Cohen est l’attrait principal du livre (“J’imaginais notre rue illuminée par un pogrom, j’imaginais la femme de notre directeur, cette folle d’Ellen Morse qui ne ferait pas de mal à une mouche, venir nous apporter des plateaux-repas encore congelés tandis que nous nous faisions oublier dans notre garage individuel…”).

J’ai été moins convaincu par la dimension politique du roman, dont le lien avec l’ensemble du livre est assez ténu. On ne peut se départir de l’impression – et c’est sans doute le défaut principal du livre – que les Nétanyahou ne sont pas tant des personnages romanesques, que des arguments politiques… La description du personnage de Bentsion Nétanyahou, en particulier, confine à la caricature. 

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Quand Joshua Cohen prétend que ce dernier a remplacé l’histoire par une forme de théologie et les faits par des croyances, ou qu’à ses yeux, “les années 1490 et 1940 n’étaient au fond guère différentes”, il simplifie à outrance la pensée de l’historien, en accusant Nétanyahou d’envisager toute l’histoire juive comme une préfiguration de la Shoah et d’avoir une vision lacrymale de l’histoire juive.

Une satire politique un peu simpliste, mais quel talent!

Pour se forger un avis circonstancié, il faut lire le Magnum opus du professeur Nétanyahou, Les origines de l’Inquisition dans l’Espagne du XVe siècle, qui prend à contre-pied la thèse communément admise concernant le sort réservé aux Juifs par la Reine Isabelle la catholique et l’identité des Marranes. 

Ceux-ci n’étaient pas, affirme Nétanyahou, des faux chrétiens restés secrètement Juifs, mais des convertis sincères, que l’Église rejeta en vertu d’une conception raciale de l’identité juive. Contrairement à ce qu’affirme Joshua Cohen, cette thèse iconoclaste n’était pas le fruit d’une vision idéologique de l’histoire, mais celui d’une étude minutieuse, à laquelle le professeur Nétanyahou a consacré plusieurs décennies. Comme souvent, la satire politique pèche par simplification abusive. Mais cela ne retire rien au talent littéraire de l’auteur. La littérature juive a encore de beaux jours devant elle en Amérique.

Joshua Cohen, Les Nétanyahou, Grasset 2022.

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“L’adieu à la nuit” de Téchiné: grand-mère n’y pourra rien

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"L'Adieu à la nuit" drame d'André Téchiné (2019) avec Oulaya Amamra et Kacey Mottet-Klein © Curiosa Films

En 2019, le cinéaste, peu coutumier de ce genre de sujet, dépeignait avec lucidité les mécanismes de la radicalisation islamique. On peut revoir ce film sur le site d’Arte jusqu’au 17 mars, avec une Deneuve éblouissante.


Il est dans la vie d’heureuses et minuscules surprises, comme celle de tomber, un soir de blues aux alentours de la Saint-Valentin, sur un film d’André Téchiné sur Arte, qui diffuse jusqu’au 17 mars : “L’adieu à la nuit”. Bien que le sujet soit peu propice à dissiper un blues hivernal – la radicalisation d’un jeune converti à l’islam et ses projets de djihad – la perspective de se replonger un peu dans l’univers singulier de Téchiné, à la fois intense et maîtrisé, ravit.

Un Téchiné atypique

A priori, le sujet de l’islamisme et des atrocités commises en son nom ne sied pas à ce cinéaste, qui traite principalement dans ses films d’amour adolescentes, de complexité des sentiments, ou d’histoires de familles compliquées. Justement, c’est précisément cet intimisme qui fait la réussite du film. Bien sûr, Téchiné ne cherche pas à expliquer les raisons, toujours les mêmes et toujours différentes, qui poussaient des jeunes, à la fin des années 2010, à basculer, et à faire basculer leurs proches dans l’horreur. C’est d’ailleurs ce qui déplut, à l’époque, à certains critiques qui ont reproché au cinéaste une forme de naïveté, voire de complaisance face à la radicalisation. 

Comme d’habitude avec Téchiné, l’action se passe dans le Sud Ouest, ici dans les Pyrénées, non loin de Toulouse (et soudain, surgit l’ombre de Mohamed Merah).  Muriel (Catherine Deneuve) est à la tête d’un domaine qui abrite un centre équestre, c’est une femme d’un certain âge, terrienne et rayonnante. Elle attend son petit fils, Alex, jeune homme ombrageux qu’elle a élevé suite à la mort de sa mère. Mais celui-ci ne rend visite à sa grand-mère que pour finaliser son départ en Syrie avec Lila, qui est pour lui comme une sœur, et fait partie de la famille. Elle est d’origine maghrébine et on devine qu’elle a initié la conversion… 

Naïveté infantile

Certes, le terrain était favorable : la mère d’Alex est morte dans des circonstances mystérieuses et son père est aux abonnés absents. Il a donc trouvé des réponses à son chaos intérieur en embrassant l’islam prêt à penser, sous vide, fournit par les prédicateurs d’internet. Rien que de très classique et explosif, sans très mauvais jeu de mots. Quant à Lila – qui est plus idéologisée – elle en veut à l’Occident, qui ne lui propose plus rien que la marchandisation de tout et la consommation comme seuls idéaux. À juste titre ?

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Ironiquement, Alex et Lila préparent leur mortifère expédition comme on préparerait un séjour all inclusive en Tunisie, de manière candide et totalement infantile. Alex espère même que les kalach et les explosifs seront fournis gratuitement par la maison Daesh. Quant à Lila, elle nage en plein romantisme façon djihad pour poupées Barbie, en déclarant qu’elle serait fière si Alex (qui sera devenu son mari) tombait au champ d’honneur. Cela ferait presque sourire, si cela n’était pas tragique et désespérant. 

Déchirures familiales

L’écrivain Morgan Sportes a très bien analysé ce phénomène qu’il appelle « le djihad pieds-nickelés » dans son dernier roman Les djihadistes aussi ont des peines de cœur, en reconstituant l’épopée tragi-comique d’apprentis terroristes admirateurs Merah qui jetèrent une grenade dans une épicerie casher de Sarcelles en 2012. L’écrivain nous montrait une bande de pauvres types, pour la plupart convertis, qui n’ont ni les moyens intellectuels ni matériels de parvenir à leurs fins. Alors, ils se retrouvent au kébab du coin où ils fantasment l’héroïsme de la kalachnikov tout en échangeant des SMS avec leurs femmes, où il est question de couches-culottes. Nous étions avant le 13 novembre 2015… 

Téchiné a mis également le doigt sur cet amateurisme, Alex et Lila réunissent de l’argent comme ils peuvent, allant jusqu’à voler la grand-mère, sous les ordres d’un certain Bilal, ex dealer devenu moitié iman et moitié chef de mafia. Tout cela n’est décidément pas sérieux. 

Mais le film se préoccupe aussi de l’histoire d’Alex et sa grand-mère, laquelle ne perd pas son sang froid de maîtresse femme qui a les pieds sur terre lorsqu’elle découvre le pot aux roses. Elle ira jusqu’à l’enfermer dans les écuries, pour l’empêcher de partir. Cette confrontation entre la grand-mère et son petit-fils qui fait la force du film. Chez Téchiné, les familles ne sont que déchirures et malentendus. Finalement, pour Alex, le djihad n’est peut-être qu’un prétexte pour exister aux yeux de cette femme, pourtant aimante, qui s’opposera à la nuit pour à la fois le sauver et le sacrifier. 

L’Adieu à la nuit d’André Téchiné (2019) sur Arte TV

Le cabinet de curiosités imaginaires de Jean-Jacques Schuhl

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Les Apparitions, fragments d’autobiographie d’un écrivain culte


Jean-Jacques Schuhl est un écrivain rare. Depuis Rose poussière, en 1972, il éparpille ici et là des textes essentiels lus par quelques happy few, qui forment une sorte de club discret et silencieux. Son Goncourt en 2000, Ingrid Caven, a à peine modifié ce statut spécial. Il demeure une sorte de dandy des lettres, toujours dissimulant sa longue silhouette élancée dans les recoins des dernières fêtes.Mais l’homme a ses obsessions artistiques, cultivées avec persévérance, qui vont d’ailleurs de pair avec sa vie. Schuhl sait se donner le temps de les exploiter dans ses livres, au fil d’un désœuvrement de principe, dont Les Apparitions, son nouveau et bref roman, qui sort en ce moment, apportent quelques clefs originales.

La poésie du réel

Comme dans un récit d’André Breton, Schuhl entreprend de nous narrer sa propre existence, dans son « immédiateté » la plus simple. Il constate sa ressemblance avec l’autoportrait de Dürer, et son imagination le travaille : « Il m’arrive de m’apercevoir ailleurs que dans un morceau d’aluminium, au coin d’une rue, par exemple, ou dans un bar, c’est moi et c’est un étranger. » Par sa manière subtile de passer du coq à l’âne, Schuhl nous donne ainsi l’impression de la plus parfaite improvisation. Son lecteur a la sensation de revivre en même temps que lui les méandres de ce qui lui arrive. Comme le lui dira plus tard une femme médecin : « Vous êtes écrivain, et avec votre imaginaire le facteur personnel singulier est plus important ». Schuhl, en somme, ne vit pas une vie normale, mais la poésie du réel.

Ainsi, lorsqu’il tombe malade d’une violente hémorragie interne, et qu’il sera hospitalisé, son esprit va se mettre à fonctionner d’une manière accélérée. La transfusion sanguine qu’on lui fait subir, lui évoque d’abord des histoires de vampires, mais surtout des analogies directes avec l’écriture. D’où des remarques comme celle-ci : « J’avais toujours cherché, j’y suis parfois parvenu, à écrire avec l’encre des autres, par transfusion du style… »

Des images inquiétantes

L’hospitalisation traînant en longueur, et une perte d’oxygène dans le cerveau survenant, Schuhl éprouve alors ce qu’il appelle des « apparitions », c’est-à-dire des visions qu’il pense véridiques. « J’ai d’abord cru être l’objet d’une expérimentation… », écrit-il dans un accès d’angoisse. Puis il songe à quelque effet psychédélique, comme ceux qu’on retrouve chez William Burroughs. Mais ces images sont très puissantes, Schuhl n’estime pas qu’elles proviennent seulement d’une « réalité altérée ». « Ces apparitions étaient des faits indéniables, nous dit-il, qui m’étaient destinés, offerts ou imposés par une force extérieure, peut-être une transcendance… » Du reste, il utilise bien ce mot, « apparitions », qu’on réserve d’habitude au domaine de la religion, pour parler par exemple des apparitions de la Vierge.

Les « apparitions » de Schuhl, qu’il nous détaille avec beaucoup de précision, ressemblent à des rêves, venus tout droit de son inconscient. Comme l’avait jadis montré le peintre Salvador Dali, avec sa fameuse méthode « paranoïa-critique », il est fréquent qu’un artiste ait facilement des remontées d’inconscient, dont il se servira pour son œuvre. C’est un peu ‒ du moins c’est ce que pensent les médecins à qui il s’adresse ‒ ce qui arrive à Schuhl.

On lira donc avec une certaine délectation ces étranges visions qui touchent le cerveau d’un écrivain. Elles mettent à vrai dire mal à l’aise, tant elles sont décrites de manière crue, saisissante, dans cette belle prose que nous aimons retrouver chez lui. Les Apparitions sont un petit ovni littéraire, décrivant une expérience limite, susceptible de se produire chez chacun d’entre nous, avec plus ou moins d’intensité ‒ l’intensité maximale étant réservée aux grands imaginatifs comme Jean-Jacques Schuhl lui-même, digne émule d’Edgar Poe.

Jean-Jacques Schuhl, Les Apparitions. Éd. Gallimard, collection « L’Infini ».

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