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Le cabinet de curiosités imaginaires de Jean-Jacques Schuhl

Les Apparitions, fragments d’autobiographie d’un écrivain culte


Jean-Jacques Schuhl est un écrivain rare. Depuis Rose poussière, en 1972, il éparpille ici et là des textes essentiels lus par quelques happy few, qui forment une sorte de club discret et silencieux. Son Goncourt en 2000, Ingrid Caven, a à peine modifié ce statut spécial. Il demeure une sorte de dandy des lettres, toujours dissimulant sa longue silhouette élancée dans les recoins des dernières fêtes.Mais l’homme a ses obsessions artistiques, cultivées avec persévérance, qui vont d’ailleurs de pair avec sa vie. Schuhl sait se donner le temps de les exploiter dans ses livres, au fil d’un désœuvrement de principe, dont Les Apparitions, son nouveau et bref roman, qui sort en ce moment, apportent quelques clefs originales.

La poésie du réel

Comme dans un récit d’André Breton, Schuhl entreprend de nous narrer sa propre existence, dans son « immédiateté » la plus simple. Il constate sa ressemblance avec l’autoportrait de Dürer, et son imagination le travaille : « Il m’arrive de m’apercevoir ailleurs que dans un morceau d’aluminium, au coin d’une rue, par exemple, ou dans un bar, c’est moi et c’est un étranger. » Par sa manière subtile de passer du coq à l’âne, Schuhl nous donne ainsi l’impression de la plus parfaite improvisation. Son lecteur a la sensation de revivre en même temps que lui les méandres de ce qui lui arrive. Comme le lui dira plus tard une femme médecin : « Vous êtes écrivain, et avec votre imaginaire le facteur personnel singulier est plus important ». Schuhl, en somme, ne vit pas une vie normale, mais la poésie du réel.

Ainsi, lorsqu’il tombe malade d’une violente hémorragie interne, et qu’il sera hospitalisé, son esprit va se mettre à fonctionner d’une manière accélérée. La transfusion sanguine qu’on lui fait subir, lui évoque d’abord des histoires de vampires, mais surtout des analogies directes avec l’écriture. D’où des remarques comme celle-ci : « J’avais toujours cherché, j’y suis parfois parvenu, à écrire avec l’encre des autres, par transfusion du style… »

Des images inquiétantes

L’hospitalisation traînant en longueur, et une perte d’oxygène dans le cerveau survenant, Schuhl éprouve alors ce qu’il appelle des « apparitions », c’est-à-dire des visions qu’il pense véridiques. « J’ai d’abord cru être l’objet d’une expérimentation… », écrit-il dans un accès d’angoisse. Puis il songe à quelque effet psychédélique, comme ceux qu’on retrouve chez William Burroughs. Mais ces images sont très puissantes, Schuhl n’estime pas qu’elles proviennent seulement d’une « réalité altérée ». « Ces apparitions étaient des faits indéniables, nous dit-il, qui m’étaient destinés, offerts ou imposés par une force extérieure, peut-être une transcendance… » Du reste, il utilise bien ce mot, « apparitions », qu’on réserve d’habitude au domaine de la religion, pour parler par exemple des apparitions de la Vierge.

Les « apparitions » de Schuhl, qu’il nous détaille avec beaucoup de précision, ressemblent à des rêves, venus tout droit de son inconscient. Comme l’avait jadis montré le peintre Salvador Dali, avec sa fameuse méthode « paranoïa-critique », il est fréquent qu’un artiste ait facilement des remontées d’inconscient, dont il se servira pour son œuvre. C’est un peu ‒ du moins c’est ce que pensent les médecins à qui il s’adresse ‒ ce qui arrive à Schuhl.

On lira donc avec une certaine délectation ces étranges visions qui touchent le cerveau d’un écrivain. Elles mettent à vrai dire mal à l’aise, tant elles sont décrites de manière crue, saisissante, dans cette belle prose que nous aimons retrouver chez lui. Les Apparitions sont un petit ovni littéraire, décrivant une expérience limite, susceptible de se produire chez chacun d’entre nous, avec plus ou moins d’intensité ‒ l’intensité maximale étant réservée aux grands imaginatifs comme Jean-Jacques Schuhl lui-même, digne émule d’Edgar Poe.

Jean-Jacques Schuhl, Les Apparitions. Éd. Gallimard, collection « L’Infini ».

LES APPARITIONS

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Ingrid Caven - Prix Goncourt 2000

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Alain Guiraudie, cinéaste explorateur

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Dans « Viens je t’emmène », le réalisateur nous emmène à Clermont-Ferrand, cité plus dépaysante qu’elle n’en a l’air


Médéric, pâle joggeur clermontois, bobo trentenaire peu affriolant et d’une bien-pensance humanitaire parfaitement formatée, voit sa libido réveillée en sursaut par Isadora, une péripatéticienne érotomane (impayable, dans le rôle, la cinéaste et comédienne Noémie Lvovsky). Douée d’un brame exceptionnellement sonore, l’adipeuse catin au cœur d’artichaut, violentée, quoique consentante, par un mari éperdument jaloux (Michel Masiero), non seulement accepte de se donner gratis à ce client (qui se dit opposé, par principe, aux copulations transactionnelles), mais en plus elle en redemande.

Jean-Charles Clichet et Noémie Lvovsky © Les films du losange

Au même moment, un jeune SDF (Ilies Kadri), rebeu inoffensif qui mendie sa pitance aux passants, se débrouille pour taper l’incruste dans le clapier du blanc-bec trentenaire aux dévorantes ardeurs coïtales… Nous sommes à la veille de Noël, dans l’aimable cité anthracite de Clermont-Ferrand. Percutant de plein fouet (si l’on ose dire) ce vaudeville, un attentat perpétré, à 400 mètres de là, par un commando de djihadistes armés de machettes sème la terreur sur la capitale du Puy-de-Dôme.  Portrait de ville en creux et savoureux traité de sociologie appliquée, « Viens je t’emmène » subvertit malicieusement, l’air de ne pas y toucher, les poncifs dont il se fait en apparence l’expression: tolérance, diversité inclusive, accueil de l’autre…

A lire aussi: Depardieu, raccommodeur de destinées

Car, en fait d’œcuménisme sociétal, de paix civile et de vivre-ensemble, le film, en cela plus iconoclaste qu’il ne s’en donne l’air sous ses dehors de comédie de boulevard farfelue, dresse un état des lieux acide de la France urbaine profonde : quartiers hantés par l’insécurité, rue investie par une tribu d’adolescents maghrébins encapuchonnés et à la mine patibulaire, voisins de paliers tétanisés par la peur…

Poésie, humour et l’air de rien, critique du vivre-ensemble

De fait, Guiraudie nous emmène, précisément, là où le cinéma d’ordinaire ne vient pas. Là même où le mimétisme religieux pousse une dame sur le retour d’âge, de confession musulmane, à opter pour le port du voile, ce que son mari a manifestement du mal à piger ; où un Bidochon retraité, équipé d’un arsenal de gros calibre, transforme son domicile en forteresse de l’auto-défense ; où sert accessoirement de factotum à nos deux tourtereaux une mineure métissée, stagiaire à l’hôtel de passe dans lequel officie Isadora ; où une frénétique start-uppeuse (Dora Tillier) accrochée à son smartphone tentera,  au reste sans le moindre succès, de trouver en Médéric un associé jusque sous ses draps, dans une confusion très tendance entre espace professionnel et sphère privée

Qui a eu le bonheur de voir les deux films précédents de ce cinéaste rare à tous les sens du terme, « L’inconnu du lac » (2013) puis « Rester vertical » (2016) le comprendra : Alain Guiraudie ne repasse jamais par le même chemin. Il explore à chaque fois un nouveau territoire. Avec une liberté formelle, une acuité, une poésie, un humour qui ne sont qu’à lui.    

« Viens, je t’emmène ». Film d’Alain Guiraudie. France, couleur. Durée : 1h40. En salles le 2 mars.     

Quand Yannick Jadot reproche aux journalistes de «faire du Zemmour»

Et il n’était même pas sur CNews !


Jadot estime que les militantes islamistes en burqini, ce n’est pas un sujet

Début de semaine, interrogé sur la question du port du burqini dans les piscines municipales à Grenoble, Yannick Jadot (EELV) a interpellé Ruth Elkrief et Adrien Gindre de « Mission Convaincre » (LCI) et leur a lancé : « On a l’impression qu’on n’a pas eu assez de Zemmour pendant toute cette campagne ! » Le candidat à la présidentielle espérait peut-être ainsi que les téléspectateurs oublient que dans son mouvement, Eric Piolle, a récemment écrit : “Je soutiens le combat des hijabeuses. Sur le burkini et le rapport au corps, la majorité que je conduis à Grenoble s’est engagée dans un processus de réflexion et de formation. Nous rendrons public notre position avant l’ouverture des piscines d’été”…

Commentant la photo d’un collectif grenoblois favorable au port du burkini cet été dans les piscines de Grenoble, « un sujet politique très important », selon le journaliste Adrien Gindre, Yannick Jadot (EELV) s’est complètement crispé : 

Jadot : C’est quoi cette photo ? 

Elkrief : Elle vient du collectif organisé à Grenoble. 

Jadot : Donc, vous avez appelé un collectif pour récupérer la photo du collectif ?

Elkrief : Non, pas du tout. C’est le collectif lui-même qui l’avait. On a eu l’autorisation.

Jadot : Je suis curieux de savoir ce que vous faites… là.

Inversion accusatoire

Gindre : On va peut-être savoir ce que vous, vous faites là ! C’est vous qui êtes candidat à l’élection de la République (…) Considérez-vous que les piscines sont le lieu pour porter le burkini ?

Elkrief : Je rappelle que c’était sur le compte Facebook de ce collectif qui nous a autorisés à le reprendre…

Jadot : Vous vous rendez compte… Il y a des burkinis aujourd’hui dans les piscines à Grenoble ? Je vous pose la question ! Les femmes et le collectif n’ont jamais été reçus par le maire de Grenoble. Elles ont eu des contraventions. Et elles ont été interdites dans les piscines. Il n’y a pas de burkinis dans les piscines à Grenoble. 

Gindre : Donc, il n’y a pas lieu d’en débattre ? 

Jadot (s’emportant) : Vous vous rendez compte que depuis cinq minutes, on parle d’un sujet qui n’existe pas ! 

Gindre : Le maire de Grenoble a dit qu’il y aurait une réflexion [sur le port du burkini].

Jadot : C’est quand même incroyable ! On a l’impression qu’on n’a pas eu assez de Zemmour pendant toute cette campagne !

Un sujet qui ne serait plus d’actualité ? Bah voyons…

Yannick Jadot a ensuite reproché aux journalistes d’aller chercher un sujet qui « date d’il y a trois ans » alors que selon Ruth Elkrief, Eric Piolle, maire de Grenoble, entend réfléchir quant à la politique à mener face au burkini dans les piscines cet été. Pire, un tweet a été posté par ce dernier à ce sujet, il y a… seulement six jours !

Au-delà de la photo montrée à l’antenne, Ruth Elkrief estime alors que ce collectif interpelle sur ce que pensent les musulmans en France aujourd’hui, mais aussi qu’il y a bien un intérêt à obtenir de la part de Jadot un commentaire, puisqu’il se présente à l’élection présidentielle. Il est tristement symptomatique de voir que la seule réponse de l’écologiste, c’est de remettre en question la pertinence de la démarche de LCI. Au fond, tout questionnement sur les formes problématiques que prend un certain islam en France, pour Jadot, c’est « faire du Zemmour » !

Alors qu’on s’est gaussé en début de campagne du côté roquet de Zemmour, justement, voilà que c’est Jadot, gêné par les questions relatives au communautarisme, qui perd ses nerfs. Bon, mais lorsqu’il possédera les codes nucléaires, il gardera son calme, promis ?

Illusions et inconvénients de l’asymétrie

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Radu Portocală est né et a vécu pendant des années sous la botte de l’occupant soviet-russe. Comme presque tout le monde en Roumanie, les voisins de l’Est lui inspiraient une grande aversion et, en même temps, un besoin de compréhension… Sans battre notre coulpe à l’heure où l’Ukraine est attaquée, reconnaissons que ces trente dernières années, la Russie a été ignorée, d’abord, puis prise pour cible. Ce rôle de paria ne lui convenait pas. L’encerclement militaire, encore moins! La comprendre à temps nous aurait évité d’avoir, maintenant, à la blâmer.


Pendant trois quarts de siècle, l’Occident s’est évertué – sans succès – à comprendre l’Union soviétique et à composer avec elle. Les périodes de détente succédaient aux tensions qui, souvent, étaient des fantasmes plutôt que des réalités. On se faisait peur en invoquant la permanente menace soviétique, mais, aujourd’hui encore, aucune preuve n’a été trouvée pour montrer qu’à un moment ou un autre, le Kremlin avait envisagé d’attaquer l’Ouest. Ici, on faisait des concessions ; là-bas, on se contentait de demeurer impénétrable. Ils savaient tout de nous ; on se contentait, à leur égard, de conjectures et d’approximations.

Après 1991, avec une assurance aussi soudaine que ridicule, l’Occident a choisi de concevoir sa politique envers la Russie se basant sur un certain nombre d’erreurs. Il se mettait ainsi dans la situation de celui qui court dans des sables mouvants. Et qui, ce faisant, se trouve très content de lui-même.

Il a été, d’abord, décidé que la Russie était faible, une puissance de troisième zone qu’il n’y avait plus aucune raison de craindre et que, bien au contraire, il fallait aider pour qu’elle sorte du marasme. Avec condescendance, elle fut même invitée à s’asseoir sur un strapontin à l’OTAN et à l’Union européenne. Nul ne doutait de ses intentions amicales. George Bush Jr., après avoir rencontré pour la première fois Vladimir Poutine, affirma fort satisfait : « J’ai regardé l’homme dans les yeux. J’ai vu son âme. Je l’ai trouvé particulièrement franc et digne de confiance. » La secrétaire d’État Madeleine Albright se montrait, elle aussi, très joyeuse de savoir Poutine à la tête de cette Russie considérée désormais comme insignifiante.

Ils espéraient une marionnette, qu’ils allaient tolérer à la présidence d’un pays voué à devenir une sorte de protectorat américain et, cela va de soi, un marché lucratif. Ce ne fut pas le cas. La sympathie condescendante qu’ils avaient témoignée à Poutine se transforma donc en haine farouche. Bush avait mal lu dans ses yeux. Du jour au lendemain, l’homme devint un autre Hitler. On se mit à le combattre sans trop savoir pourquoi. La méconnaissance de la Russie, l’incompréhension étaient les mêmes que par le passé, et l’Occident s’en flattait presque.

Paradoxalement, contre cette Russie qu’elle tenait pour exsangue l’Amérique décida d’ériger des protections. Ne tenant aucun compte des assurances qu’elle avait données – autrement dit, faisant fi de sa parole – elle poussa l’OTAN dans presque tous les pays ayant appartenu au Pacte de Varsovie. Le « cordon sanitaire » que l’Europe avait installé après le coup d’État de Lénine en 1917, et qui avait ulcéré Moscou, était remis en place. La Russie amie du début des années 1990 devenait une sorte de léproserie qu’il fallait entourer non de barbelés, mais de bases militaires. Et il était demandé aux Russes de s’en accommoder et, surtout, de ne pas s’en offusquer.

Mépriser la Russie, la regarder de haut, l’humilier a été un très mauvais calcul. L’encercler, lui montrant par cela qu’elle était à craindre, a été une preuve de faiblesse occidentale et n’a fait que lui donner envie de briser le siège.

Les exploits russes en Syrie, l’exhibition qui y a été faite de son armement moderne et très performant, ont eu le don de produire, surtout parmi les démocrates américains, Hillary Clinton en tête, une irritation aux accents hystériques. La candidate d’alors à la Maison Blanche et nombre de ses proches semblaient ne vouloir qu’une chose : déclarer la guerre à la Russie et l’effacer une fois pour toutes de la carte du monde.

Pendant ce temps, les États-Unis et leurs alliés ne se privaient pas d’intervenir dans les anciennes républiques soviétiques, essayant de placer à leur tête des hommes qui leur soient dévoués et qui fassent une politique pro-occidentale. Diverses « révolutions » furent ainsi organisées, dont celle de 2004, en Ukraine, la « révolution orange », a eu le plus grand retentissement. Les sources qui affirment que toutes ont été « stimulées » et financées par l’Ouest sont assez nombreuses et diverses pour qu’elles deviennent crédibles. Depuis, dans l’esprit des Américains, l’Ukraine s’est transformée en obsession constante, une sorte d’espace vital qu’il leur faut à tout prix tenir. Son admission dans l’Union européenne et l’OTAN, se disait-on, achèverait d’isoler la Russie, peut-être même de mettre Poutine à genoux – mais nul ne pensait pas que cela risquait, plutôt, de le faire enrager. On avait bien réussi, en bombardant la Serbie pendant des semaines, à lui arracher le Kosovo, son berceau historique ; on pouvait tout aussi bien faire passer à l’Ouest les lieux où la Russie est née.

Nous considérons maintenant que Poutine aurait dû accepter le jeu asymétrique qui lui était proposé, s’y soumettre docilement. C’est faire, une fois de plus, la preuve de notre ignorance face à la Russie. Il nous dit qu’attaquer l’Ukraine était la seule solution qui lui restait. Est-ce vrai ? On ne le saura que dans très longtemps, quand les choses n’auront plus l’importance qu’elles ont aujourd’hui. Pour l’instant, la violence de la guerre est, comme toujours, insupportable. Et de se dire que, sans l’obstination occidentale à vouloir brimer la Russie, elle aurait pu être évitée ne fait qu’augmenter la tristesse, la révolte, la frustration devant le spectacle terrible des chars et des bombes.

Les migrants du Covid-19


Par petits groupes et par dizaines, des hommes, des femmes et leurs enfants, tous d’origine rwandaise, ont franchi la frontière de la République démocratique du Congo (RDC) et se sont réfugiés dans les villages aux alentours de l’île d’Idjwi en janvier dernier. Face aux policiers venus s’enquérir de cette invasion incongrue, ils ont expliqué qu’ils fuyaient leur pays pour ne pas avoir à se faire vacciner contre le Covid-19.

55% des Rwandais ont reçu au moins une dose

Frappé comme le reste du monde par la pandémie, le gouvernement du Rwanda a préconisé aux Rwandais de venir se faire vacciner tout en laissant leur libre arbitre aux habitants des Grands Lacs. Plus de 55% des Rwandais ont reçu au moins une ou deux doses. Le pays figure même parmi les meilleurs élèves africains selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS).

Pourtant, il semble que la situation soit moins idyllique qu’elle n’y paraisse. Plusieurs médias internationaux affirment que les Rwandais subissent des fortes pressions, notamment dans les administrations où une forme de chantage serait exercée par le régime du président Paul Kagamé.

Raisons religieuses

Dans les campagnes, selon divers témoignages recueillis sur place, plusieurs personnes auraient été arrêtées ou molestées pour avoir refusé le vaccin « pour des raisons religieuses ».

Une situation qui aurait donc poussé certains à fuir vers les pays voisins, et qui a fortement irrité la porte-parole de Kigali Yolande Makolo. Officiellement, les réfugiés, depuis renvoyés chez eux, appartiendraient aux Témoins de Jéhovah. Un mouvement religieux qui n’est guère en odeur de sainteté dans cette partie du continent africain. « Tous les Rwandais sont encouragés à se faire vacciner pour se protéger et protéger les autres des effets potentiellement mortels de la Covid-19 », a fermement rappelé Mme Makolo, Bien qu’il minimise le phénomène, le gouvernement craint toutefois que ces exilés du Covid ne viennent grossir le flot de Rwandais, déjà réfugiés en RDC depuis le génocide, et qui se sont rassemblés en groupes armés, menaçant un régime loué avec bienveillance par l’Europe…

Comédie-Française: Tragédie française

Pour le 400e anniversaire de Molière, la troupe du Français a eu l’idée de remonter la première version du Tartuffe. Et pour concrétiser cette louable initiative, elle a demandé à un universitaire de reconstituer le texte perdu. Mais pour le jouer, nos comédiens ont choisi un metteur en scène de « l’extrême contemporain », et ils en sont ravis. C’est dur d’être fêté par des cons.


À la Comédie-Française, pour ouvrir la saison marquant le 400e anniversaire de la naissance de Molière, Éric Ruf, administrateur de la Maison, a décidé de monter la version première du Tartuffe, en trois actes, qui a été jouée une fois, le 12 mai 1664 devant Louis XIV, et aussitôt interdite pour des raisons politico-religieuses. La version que nous connaissons tous est celle que Molière a réécrite en 1669 et en cinq actes. Le manuscrit de la première version aurait été perdu, mais ces dernières années, Georges Forestier, professeur émérite de littérature française à la Sorbonne et grand spécialiste de Molière, s’est mis en tête de reconstituer ce texte originel par un travail de recherche et de « génétique théâtrale ». Forestier se compare à un restaurateur de tableaux. Retrouver un Poquelin « pur » pour ses 400 ans… de quoi satisfaire les âmes doucement conservatrices. Mais… c’est sans compter avec la Comédie-Française et son directeur ! Jugeons sur pièce les paroles du metteur en scène flamand de ce spectacle, Ivo Van Hove, du directeur de la maison, Éric Ruf, et de l’interprète de ce Tartuffe, Christophe Montenez. Et surtout, vive Molière !

Tout le monde s’agenouille devant le génie de Monsieur Ivo Van Hove et de la troupe du Français. Personne ne voit le scandale et le dévoiement de cette maison

Ivo Van Hove : « Quand Éric Ruf m’a demandé de faire quelque chose à la Comédie-Française il y a quelques années, je n’ai pas répondu. Pour moi c’était non. J’avais des préjugés sur la Comédie-Française, sur un académise théâtral “old fashion”. Je me demandais quoi faire là-bas… ? »

Éric Ruf (répondant à une question aux côtés d’Ivo Van Hove) : « Je me souviens d’une première conversation avec toi Ivo, sur Molière, où tu m’avais demandé si on pouvait, à la Comédie-Française, couper dans son texte. Et je t’ai répondu immédiatement OUI ! Ça m’intéressait beaucoup car comme on est dans la maison de Molière, […] on a toujours un sur-respect du texte, […] on est dans une génuflexion que je ne trouve pas juste. Pour cette saison Molière, je voulais qu’il y ait des regards singuliers sur cette œuvre. Et on souffre, nous Français, d’une bibliothèque moliéresque d’une densité et d’une lourdeur assez rare. Quand un metteur en scène étranger s’empare de cette œuvre, il n’a pas la lourdeur de la Bibliothèque nationale sur le dos. J’ai remarqué que les metteurs en scène étrangers avaient une liberté et une vérité plus grandes sur notre répertoire. C’était important pour moi de confier le premier pas de cette saison Molière à un metteur en scène étranger – enfin je ne sais pas ce que ça veut dire étranger – pour qui Molière n’est pas sur un piédestal ou un héros national. »

Christophe Montenez : « Ivo en tant que metteur en scène étranger – en tout cas d’une autre culture – est intéressant. Car nous, on a l’impression que telle réplique, il faudrait la jouer comme ça, et Ivo, lui, il déconstruit ça… parce que lui, il ne sait pas en fait. Et ça, c’est génial. »

Et voilà le travail ! Mais à quoi sert alors de restaurer le tableau ? Georges Forestier a reconstruit pour qu’Ivo déconstruise ? Forestier a cherché à se rapprocher le plus possible de la version originelle pour que le metteur en scène à qui l’on confie le projet déclare qu’il a fait le choix esthétique de « l’extrême contemporain », et qu’il a choisi de foutre les acteurs en costards-cravates pour que « les costumes situent les personnages dans la bourgeoisie parisienne d’aujourd’hui » ! J’ai du mal à saisir. Et puis, le maître flamand, trouvant probablement Molière un peu insuffisant dans la peinture de ses personnages, ajoute un prologue à la pièce « pour que l’on saisisse, dès le début de la représentation, qui est vraiment Tartuffe ». Et comme si ça ne suffisait pas, il ajoute également un épilogue.

À quoi sert même de fêter Molière puisqu’on ne veut pas le mettre sur un piédestal et qu’il ne mérite pas de génuflexions ? Il n’y a qu’à écouter Ruf parler en transpirant la honte d’être dans une maison française et de longue tradition pour comprendre son entreprise de destruction de la vieille maison de Molière. Ivo Van Hove craignait que la Comédie-Française soit encore la Comédie-Française, le voilà rassuré, il est chez lui ! Elle n’est pas « old fashion », elle est fashion ! Il pourra faire ce qui lui plaît : couper, réécrire, pisser sur les morceaux brisés du buste du grand homme, Éric Ruf et sa troupe, face à Ivo le Belge et à n’importe quel autre metteur en scène branché, fléchiront le genou en signe d’adoration, de respect et de soumission. Il va sans dire qu’il en est de même pour la presse : tout le monde s’agenouille devant le génie de Monsieur Ivo Van Hove et de la troupe du Français. Personne ne voit le scandale et le dévoiement de cette maison. Les réacs, eux-mêmes durement déculturés, en font l’éloge. Pascal Praud serait-il le nouveau chantre de la déconstruction du patrimoine théâtral français, lorsqu’il dit de l’actuelle troupe qu’elle est « une des plus belles de l’histoire, qui rappelle celle des Charon et des Hirsch » ? Rappelons à M. Praud que Charon, qui voyait (déjà !) arriver le totalitarisme des metteurs en scène, disait que de plus en plus souvent, « les metteurs en scène ont des complexes d’auteur, sûrement, puisqu’ils bouleversent tellement les pièces qu’on ne les reconnaît plus ». Il faudrait également rappeler à tous ces gens la phrase de l’illustre metteur en scène Charles Dullin – fondateur du cartel avec Jouvet, Gaston Baty et Pitoëff – sur le rôle du metteur en scène : « C’est un bon chef de service à qui il ne faut pas laisser prendre trop d’initiatives. Son rôle est de surveiller les manœuvres et d’apporter l’aide de ses connaissances et de son expérience à la mise en valeur du drame. C’est l’assistant du poète et non son égal. » Précisons à nos lecteurs que Le Tartuffe d’Ivo est déconseillé au moins de 15 ans… Quant à moi, c’est aux spectateurs en général que je le déconseille !

Russie-Ukraine: le choc des civilisations a eu lieu

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Poutine, président des Trois Russies


Il y a quelques semaines encore, on se demandait : à quoi sert l’OTAN ? Entre les multiples déclarations et insinuations de Donald Trump et le célèbre diagnostic de Macron (« ce qu’on est en train de vivre, c’est la mort cérébrale de l’Otan ») dans un entretien accordé à The Economist, la légitimité de l’Alliance était en train de saigner. Un fossé se creusait entre les membres occidentaux de l’Union européenne et certains membres orientaux de la même Union autour de la question des « valeurs communes ».

La résurrection de l’OTAN

Jusqu’à il y a peu, les États-Unis étaient engagés dans un glissement d’attention stratégique de l’arène atlantique vers l’indopacifique. Depuis jeudi matin 5h00 (heure de Paris), ces doutes autour de l’OTAN sont balayés. Le besoin de défense collective rapproche Varsovie et Paris qui étaient brouillés. Et à Washington, les russophones ont de nouveau la côte ! Pourquoi Poutine a-t-il pris le risque d’arrêter cet effilochage de l’OTAN et l’élargissement des clivages au sein de l’Europe ? La réponse est probablement que ces processus étaient trop lents à son goût et que la Russie n’a pas le temps.

Dans la durée, ce qu’on appelle la culture occidentale est comme les marées qui inéluctablement travaillent des blocs de granite. Les Kardashian s’infiltrent partout sur la planète : avez-vous remarqué sur les réseaux sociaux comment des jeunes filles et des femmes partout dans le monde ressemblent de plus en plus à ces vedettes de téléréalité ? Disney, l’alimentation – les Chinois se sont mis à consommer des produits laitiers !-, les intérieurs, la mode vestimentaire (costard cravate et Zara), la sexualité : tous ces éléments s’infiltrent également partout, aplatissent le monde et transforment l’ancien « village global » de l’ère de la télévision en énorme selfie d’écervelé.e.s.

Le cauchemar russe

L’émergence des sentiments nationaux, le désir de porter des jeans, d’écouter du rock, d’acheter du PQ de qualité, du beurre et de bonnes cigarettes ont érodé en son temps l’URSS. Leurs équivalents d’aujourd’hui travaillent la Russie (vous n’avez qu’à demander à Anna Delvey-Sorokin…). Le cauchemar russe, ce sont des collégiennes en cheveux bleus coupés court qui demanderaient qu’on les appelle Boris et non plus Tatiana ! Avec l’iPhone 20, les films Marvel, les Porsche et les stars de YouTube, il sera très difficile de tenir dans la durée.

D.R.

C’est pourquoi Poutine souhaite faire de la Russie une citadelle assiégée, le refuge du véritable Occident (comme les Chrétiens seraient le véritable Israël). Moscou est désormais le siège de la véritable Église et la capitale du Saint Empire. Et selon lui, la Russie n’est pas un pays qui s’est taillé un Empire (comme jadis la France et le Royaume Uni), la Russie est un Empire. Vu de Moscou aujourd’hui, pour parler de l’Empire russe, il faut employer le verbe « être » et non pas « avoir ».    

L’Ukraine est certes un enjeu stratégique, un espace tiré et déchiré par deux pôles de puissance. Mais c’est également un enjeu de civilisation et même de plus en plus, car en temps de guerre les objectifs et les justifications deviennent sublimes. En 1861, on part en guerre pour empêcher la dissolution des États-Unis et punir les rebelles, mais la guerre de Sécession est gagnée au nom de la liberté et de l’affranchissement des Noirs. Les guerres commencent comme une rixe entre voyous, et finissent en croisades. Pour mourir et faire accepter souffrances et privations, il faut toujours trouver un objectif moral, éthique ou religieux.

Hydrocarbures et armée: le hard power russe

Avec une démographie en souffrance et une économie limitée par la structure même du pouvoir actuel (connaissez-vous des marques russes hors Kalachnikov, Mig, Sukhoi et Lada ?), la Russie dispose de deux avantages : ses hydrocarbures et son armée. Et c’est avec ces deux cartes extrêmement puissantes que Poutine essaie de sauver sa Russie ou plutôt ses Russies – les Tsars l’étaient de toutes les Russies… car il y en a trois dont une a sa capitale à Moscou, la deuxième à Minsk et la troisième à Kiev. Il est impossible pour Moscou de voir émerger une Russie proposant une alternative radicale au modèle de la maison mère. On aurait pu tolérer de l’Ukraine qu’elle aille plus loin que la Biélorussie, mais pour Moscou elle est allée beaucoup trop loin.

À l’aune de cette analyse, on peut essayer de comprendre la suite de la stratégie russe. L’objectif étant de transformer l’Ukraine en Biélorussie, les Russes pourraient commencer par prendre Kiev et y installer un gouvernement qui leur est favorable. Ils pourraient ensuite annoncer que la légalité rompue en 2014 par le « coup de Maïdan » est désormais rétablie. Le nouveau gouvernement ukrainien en question appellerait alors la Russie à son secours face à la guérilla ou à la résistance, et rétablirait l’ordre dans le pays. La Russie, au nom du droit international (le gouvernement légal de Kiev étant souverain comme Assad à Damas…) empêcherait qui que ce soit d’intervenir par la force, et des Ukrainiens materaient la résistance d’autres Ukrainiens. Un gouvernement pro russe assis sur des baïonnettes… ukrainiennes ! C’est ainsi que Poutine pourrait régler ce problème qui ne manque pas de miner les observateurs occidentaux: prendre l’Ukraine, d’accord, mais l’occuper ? À Moscou, les Blancs sont de retour et ils ont des muscles rouges. Leur dirigeant croit que soit la Russie sera un Empire soit la Russie ne sera plus.   

Et vous, de qui ou de quoi êtes-vous «phobe»?

La peine de mort a beau être abolie, l’idéologie diversitaire ne se prive pas pour autant de prononcer des arrêts de mort sociale à tout bout de champ. Analyse.


La peine de mort étant abolie, on ne se prive pas de prononcer des arrêts de mort sociale, et les mêmes qui s’indignent de la violence institutionnelle pratiquent sans états d’âme le matraquage verbal. 

Appauvrie par l’inculture, aseptisée par le vocabulaire technique qui l’envahit chaque jour davantage, la langue française devient la complice d’un lavage de cerveau qu’on administre même aux jeunes enfants, contraints par l’école à se préoccuper de questions qu’ils ne se seraient pas posées si on les avait laissés se livrer à des occupations de leur âge, au lieu d’avoir à se faire une opinion – et la bonne ! – sur la « transphobie » par exemple. L’heure est en effet aux « phobies » en tous genres, et la multiplication de ces folies supposées furieuses va probablement contraindre les procureurs des nouveaux tribunaux révolutionnaires à inventer des sous-catégories verbales tant on aura bientôt besoin de cellules plus individualisées où enfermer les ennemis de la bienséance sociétale. La « phobie » n’est-elle pas une forme d’insanité appelant un traitement radical à la mesure de sa dangerosité ?

À lire ensuite: Le quidditch change de nom

Le processus accusatoire est pourtant clair : à chaque problème non réglé, à chaque question refoulée ou méritant un traitement plus nuancé, correspond désormais une « phobie » qui dissuade d’en parler, d’y réfléchir et de s’opposer à l’esprit du temps. On oublie qu’être véritablement phobique (agoraphobe, claustrophobe) est une souffrance qui empoisonne la vie, et que la vraie victime est celui ou celle qui subit l’emprise d’une panique aussi irraisonnée qu’incontrôlable. Le traitement des phobies fut d’ailleurs, avec celui de l’hystérie, l’un des premiers chantiers de la psychanalyse. Qu’à cela ne tienne puisque ce sont les nouveaux « phobes » qui, possédés par la peur ou la haine de l’Autre, sont censés faire des victimes à l’endroit desquelles devrait s’exprimer la compassion collective. On dit d’ailleurs désormais plus couramment « phobe » que phobique, afin d’englober dans une terminologie pseudo-médicale vague et unique l’ensemble des peurs qui n’osent plus dire leur nom. À ce jeu-là, qui n’est pas « phobe » de ceci ou de cela ?

Un ramassis d’arriérés à neutraliser

Les historiens et ethnologues des temps futurs enquêtant sur les mœurs étranges de notre époque se demanderont peut-être qui étaient vraiment tous ces nouveaux « phobes », et s’ils avaient surgi des bas-fonds de la société ou avaient débarqué d’une lointaine galaxie pour semer la confusion dans un monde où plus rien déjà ne fonctionnait : une tribu aussi exotique que les cynocéphales ou les acéphales au Moyen Âge ? Un ramassis d’arriérés tout juste bons à être rééduqués, ou bien quelques irréductibles qu’on ne saurait tolérer qu’au nom de la « diversité » tant aimée ? Et si certains de ces enquêteurs n’ont pas perdu tout sens de l’humour et de la poésie, ils seront peut-être tentés de classer les « phobes » parmi les peuplades inconnues sorties de l’imagination d’Henri Michaux, ou les créatures monstrueuses peuplant le Manuel de zoologie fantastique de Jorge Luis Borges.

Mais il y a plus grave. Alors que l’accusation de « phobie » s’apparente dans la plupart des cas à la diffamation, elle échappe à la loi puisque c’est la personne accusée qui est sommée, ou se sent obligée, d’apporter la preuve qu’elle n’est pas ce qu’on lui reproche d’être. Les torts et les responsabilités sont donc inversés et le procédé, en usage dans tous les systèmes totalitaires, parvient de plus en plus mal à dissimuler sa perversité en dépit de ses succès médiatiques. Tandis que les « phobes » supposés n’en finissent pas de s’introspecter afin d’extirper de leur inconscient les germes de la maladie dont ils seraient porteurs, leurs accusateurs occupent le terrain et se frottent les mains pour avoir inoculé au tissu social l’idée qu’un « phobe » est un malade mental qui s’ignore, voire un fou potentiel qu’il convient de neutraliser en lui refusant tout moyen de s’exprimer qui ne serait pas l’occasion de se ridiculiser à force de vouloir se justifier.

À lire ensuite: Debbie Hayton: trans d’un autre genre

Mais l’accusation de « phobie » a également ceci de pervers qu’elle pousse qui en est soupçonné à basculer, par crainte ou lassitude, dans le camp adverse où il va se sentir enfin admis, réconcilié avec l’humanité, car devenu inconditionnellement philanthrope et désormais habité par une philia universelle : non seulement il n’est pas « phobe » mais il aime, il adore toutes les victimes d’insupportables discriminations qui sont en fait les êtres les plus merveilleux du monde ! Le mécanisme de la collaboration active est en marche, et il n’y a plus qu’à le laisser fonctionner tout seul ; ce jeu de bascule supprimant la possibilité (et le droit ?) de ne pas se prononcer sur des questions devenues sociétales par lesquelles on ne se sent pas vraiment concerné, et qui ne concernent elles-mêmes qu’un très faible pourcentage des catégories minoritaires, dont les problèmes réels mériteraient une attention plus équitable car plus sélective.

Terroristes du langage

Ainsi respecter les personnes transgenres, dont certaines vivent un drame humain, signifie-t-il qu’on doive les prendre pour modèles d’une nouvelle humanité affranchie de tout genre, au sein de laquelle chaque individu pourra librement choisir celui qu’il « sent » être le sien ? De même devrait-on pouvoir s’interroger sur l’homoparentalité sans être taxé d’homophobie, et n’avoir aucune appétence pour une religion de la soumission comme l’islam sans être accusé d’islamophobie, etc. 

Un tel droit paraissait encore si évident il y a vingt ans qu’on a aujourd’hui presque honte de proférer de telles évidences. Elles sont pourtant constitutives d’un art de vivre et de penser qu’il ne faut pas abandonner aux terroristes du langage qui s’en sont emparés. 

Une nouvelle langue de bois ? Oui et non, car ce serait faire injure au bois de le penser perméable au fiel.

Vincent Bolloré contre le médiatiquement correct

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Alors qu’il s’apprête à quitter le monde des affaires, le milliardaire est accusé par toute la bonne presse d’avoir fait de CNews une « ORTF privée de droite ».


Depuis plusieurs mois Vincent Bolloré s’est vu consacrer des portraits et des analyses dont la tonalité, pour être généralement critique, n’empêchait pas, pour certains à contrecœur, l’expression d’une admiration pour le grand capitaine d’industrie qu’il a été et qu’il demeure. Même si son départ programmé le 17 février se ferait, selon Le Monde, « en pointillé ». Ce quotidien, dans une double page, appréhende ses multiples activités et réussites en même temps qu’il décrit une personnalité totalement atypique, même dans le monde des affaires et des grosses fortunes (pas née de rien pour lui).

Sans avoir eu la chance de le rencontrer, j’avais toujours éprouvé à son égard une estime toute particulière parce qu’il portait au plus haut le courage intellectuel et médiatique, avec, à l’évidence, une indifférence à l’égard de ceux qui systématiquement ne lui lâchaient pas les basques. Je ne parle pas seulement de son soutien constant à Eric Zemmour mais aussi de certaines de ses décisions qui m’ont réjoui parce qu’elles heurtaient de plein fouet le snobisme culturel et le médiatiquement correct.

Les conservateurs n’ont plus à s’excuser d’exister

Laissant de côté la dérision constante sur son catholicisme fervent et pratiquant, le plus insupportable, dans les attaques contre lui, est le reproche qui lui est fait d’avoir créé avec CNews « un ORTF privé de droite ». Il revient sans cesse, même si à la longue on comprend bien que c’est la réussite de cette chaîne qui dérange, bien plus que sa substance. Au demeurant CNews serait-elle exclusivement de droite qu’elle n’aurait pas à s’en repentir, pas plus que son promoteur. Comme si les sensibilités de gauche omniprésentes avaient toute latitude et liberté pour s’ébattre mais que la pensée et la vision conservatrices devaient s’excuser d’exister.

A lire aussi, Gilles-William Goldnadel: «Le scandale France Inter devrait être un thème majeur de la campagne»

Cette scie lassante est d’autant plus absurde que ce procès est quotidiennement battu en brèche, notamment par la présence régulière de ministres et d’élus venant défendre la cause du président et soutenir son action. Ce pluralisme qui est réclamé de partout, les adversaires de CNews ne veulent pas voir qu’il existe autant que possible et qu’il n’est pas honnête de blâmer une chaîne à cause du refus encore de quelques-uns de participer aux débats qu’elle organise. Si le pluralisme laisse encore à désirer, ce n’est pas la volonté de CNews mais en raison de ceux qui n’écoutent pas, n’apprennent rien, campent sur leurs positions négatives et se prennent pour des héros perchés sur leur Aventin !

La liberté de cette chaîne et son aptitude à traiter de tout, sans préjugés ni tabous, sont d’autant plus précieuses dans un monde médiatique où la frilosité est vantée et l’information seulement officielle, légitimée. Sur ce plan j’ai été effaré par la déclaration de la directrice de la rédaction de BFM TV, Céline Pigalle, qui a osé proférer qu’il ne faut « pas trop aller à rebours de la parole officielle puisque ce serait fragiliser un consensus social » (Figaro Magazine du 11/02, page 32). Même si elle n’évoquait que le sujet de la pandémie. Car son propos justifie en quelque sorte une possible occultation de de l’information et de la vérité parce qu’elle serait plus décente et apaisante que la transparence et la révélation de ce qui est, quelles qu’en soient les conséquences. Face à une telle conception de la prudence et donc du conformisme médiatiques, on comprend mieux le succès de CNews qui ne cesse de progresser parce qu’on sait que de cette chaîne on pourra tout attendre, sauf une connivence systématique avec le discours officiel.

La guerre du vocabulaire

Je voudrais profiter de cette analyse sur Vincent Bolloré et autour de lui pour dénoncer ce que je considère comme un absolu ridicule. Je pourrais le résumer comme l’interdiction faite à la droite d’user de son propre vocabulaire et donc d’être forcément coupable d’une grave dérive lorsqu’elle s’exprime avec des mots, fût-ce pour les stigmatiser, qui ont déjà été employés par d’autres ou, dans le passé, par des penseurs et essayistes aux grandes qualités intellectuelles mais rejetés par le progressisme qui souvent ne les a pas lus, ou avec des œillères. Combien de fois n’ai-je pas entendu, face à des banalités aujourd’hui admises parce qu’elles révèlent une réalité qu’il était scandaleux de faire apparaître hier – le FN a bien connu cela, vilipendé pour avoir dit la vérité trop tôt – cette réplique absurde, ce grief de « s’approprier le discours de l’extrême droite » ! Comme si le langage était encore une chasse gardée avec ses limites et ses frontières et qu’on n’avait pas le droit d’aller puiser dans ce trésor universel des mots à la disposition de tous !

A lire aussi, Frédéric Rouvillois: Pascal Praud: l’homme qui cause du peuple

Mais il y a pire.

Je me souviens d’un éditorial du Monde en date du 14 février qui le plus sérieusement du monde blâmait Valérie Pécresse d’avoir rappelé « la France des cathédrales », parce que cette belle expression énonçant une vérité historique provenait de Charles Maurras. Et d’avoir opposé les Français « de papier » aux Français « de cœur ». Ce qui avait été parfaitement compris par tout le monde mais, catastrophe, papier était un substantif que l’extrême droite avait déjà utilisé et qui renvoyait à une conception « passéiste » ! Tout cela pourrait sembler fou mais pourtant c’est vrai ! Comme si on avait la prétention de bloquer la droite en la constituant comme héritière de tous les mots stigmatisés par une bien-pensance délirante et en lui déniant tout droit à un vocabulaire et à un langage indépendants, autonomes !

Partant de Vincent Bolloré, j’ai voulu montrer combien des êtres de caractère comme lui étaient nécessaires dans un monde qui, de l’infime au grandiose, est prêt à gravir tous les degrés de l’ineptie et du ridicule, à atteindre le comble de ce qui pourrait, devrait nous faire rire si la liberté n’était pas un enjeu trop capital pour en plaisanter.

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Poutine: pour le comprendre, il suffit de l’écouter

Aveuglés par nos préconceptions, et floués par un décor plutôt laid sans les ornements officiels habituels, nous n’avons pas écouté attentivement la longue démonstration de Vladimir Poutine du 21 février.


Lorsque Vladimir Poutine prit la parole, le 21 février, dans une intervention télévisée, en russe bien entendu et non pas dans l’anglais de centre commercial qui a la faveur des décideurs internationaux (que ce soit le président ukrainien ou le secrétaire général de l’OTAN), les réactions des grands médias occidentaux, du Guardian au New York Times en passant par Le Parisien, ont été unanimes quant à la nature de son discours : il était trop long, compliqué, enflammé, passionné, décousu, colérique. L’Élysée, devenu une succursale du docteur Lacan, l’a même qualifié de « paranoïaque ».

Aveuglés par nos préconceptions

On peut se moquer des journalistes et plaindre les politiques, qui n’ont pas la patience d’écouter ou de trouver une bonne traduction. Mais ce qui est impardonnable de la part de personnes formées aux techniques de communication, est de ne pas comprendre que, en rhétorique, une prise de parole vise toujours un résultat déterminé par la personne qui parle. A cet égard, la performance oratoire du président russe, le 21 février, était exemplaire de ce que les médias sont incapables de voir, aveuglés qu’ils sont par leurs préconceptions. Ils sont habitués à un format de prise de parole qui n’a quasiment pas varié au cours de la succession de déclarations publiques de politiques et de porte-paroles qui a rythmé la longue crise ayant mené à la situation actuelle. A chaque fois, le responsable monte sur un podium ou traverse une scène, se place derrière un pupitre avec un logo ou un sceau d’office, et parle debout, costume sobre ou tailleur-pantalon. Le tout est américain et « corporate ». Quand un président américain monte au pupitre, on lui ajoute des drapeaux et des tentures, car du côté de Washington DC on aime bien les passementeries. Tel est le décor de la parole « responsable » attendue par les médias !

A lire aussi, Philippe Bilger: Poutine face à nos douceurs diplomatiques

Le décor a floué les observateurs

Or Poutine, qui sait manier le genre quand il le faut, a prononcé son discours de presqu’une heure assis à un bureau plutôt laid, sans les ornements officiels surajoutés dont raffolent les Américains et leurs émules. Un bureau sans prétention, avec trois téléphones loin d’être le dernier cri. Il n’était pas débout. Il ne haranguait pas. Il commentait une situation pour ses compatriotes, en adoptant une posture de pédagogue. Pendant une heure, il a expliqué, mais personne dans les médias occidentaux n’a pris la peine d’écouter attentivement. C’est d’autant plus étonnant que « faire de la pédagogie » est un mantra de la classe politique française. Mais, quand on « pédagogise » en France, le maître est à son pupitre, debout, énonçant ses directives comme un pion – style Castex – ou assis sous les projecteurs et les lambris – style présidentiel. Là, Poutine a « pédagogisé » assis, et dans un décor de DRH des années 80. Donc le commentariat n’a pas pris son effort de pédagogie au sérieux et, leurré par cette mise en scène sans faste, n’a pas compris la logique très claire de son intervention. Car l’intervention de Poutine présentait une argumentation logique : paragraphe par paragraphe, il a expliqué (à sa manière mais là n’est pas la question) les antécédents de la crise, rappelant l’histoire de l’Union Soviétique et de son démantèlement, ensuite l’histoire des accords de l’après-guerre-froide, le changement de régime en Ukraine, en concluant par l’impasse qui en résultait. On peut ne pas être d’accord, mais encore faut-il écouter et comprendre le raisonnement de Poutine. Au lieu de faire cet effort, nos médias et commentateurs s’en sont moqués, se plaignant qu’il leur casse les pieds en déblatérant pendant une heure.

Quelques heures après, Poutine signait un traité d’amitié avec les deux républiques sécessionnistes du Donbass et un jour après il activait ce pacte d’assistance et frappait de manière préemptive l’ancienne république soviétique d’Ukraine, prenant par surprise médias et politiques. C’est le décor qui a floué les observateurs. En rhétorique, nous avons une expression : ce qui est évident est « sub oculos subjectio », une mise sous les yeux. Encore faut-il savoir regarder autre chose que son nombril et écouter autre chose que sa propre voix.

Le cabinet de curiosités imaginaires de Jean-Jacques Schuhl

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Les Apparitions, fragments d’autobiographie d’un écrivain culte


Jean-Jacques Schuhl est un écrivain rare. Depuis Rose poussière, en 1972, il éparpille ici et là des textes essentiels lus par quelques happy few, qui forment une sorte de club discret et silencieux. Son Goncourt en 2000, Ingrid Caven, a à peine modifié ce statut spécial. Il demeure une sorte de dandy des lettres, toujours dissimulant sa longue silhouette élancée dans les recoins des dernières fêtes.Mais l’homme a ses obsessions artistiques, cultivées avec persévérance, qui vont d’ailleurs de pair avec sa vie. Schuhl sait se donner le temps de les exploiter dans ses livres, au fil d’un désœuvrement de principe, dont Les Apparitions, son nouveau et bref roman, qui sort en ce moment, apportent quelques clefs originales.

La poésie du réel

Comme dans un récit d’André Breton, Schuhl entreprend de nous narrer sa propre existence, dans son « immédiateté » la plus simple. Il constate sa ressemblance avec l’autoportrait de Dürer, et son imagination le travaille : « Il m’arrive de m’apercevoir ailleurs que dans un morceau d’aluminium, au coin d’une rue, par exemple, ou dans un bar, c’est moi et c’est un étranger. » Par sa manière subtile de passer du coq à l’âne, Schuhl nous donne ainsi l’impression de la plus parfaite improvisation. Son lecteur a la sensation de revivre en même temps que lui les méandres de ce qui lui arrive. Comme le lui dira plus tard une femme médecin : « Vous êtes écrivain, et avec votre imaginaire le facteur personnel singulier est plus important ». Schuhl, en somme, ne vit pas une vie normale, mais la poésie du réel.

Ainsi, lorsqu’il tombe malade d’une violente hémorragie interne, et qu’il sera hospitalisé, son esprit va se mettre à fonctionner d’une manière accélérée. La transfusion sanguine qu’on lui fait subir, lui évoque d’abord des histoires de vampires, mais surtout des analogies directes avec l’écriture. D’où des remarques comme celle-ci : « J’avais toujours cherché, j’y suis parfois parvenu, à écrire avec l’encre des autres, par transfusion du style… »

Des images inquiétantes

L’hospitalisation traînant en longueur, et une perte d’oxygène dans le cerveau survenant, Schuhl éprouve alors ce qu’il appelle des « apparitions », c’est-à-dire des visions qu’il pense véridiques. « J’ai d’abord cru être l’objet d’une expérimentation… », écrit-il dans un accès d’angoisse. Puis il songe à quelque effet psychédélique, comme ceux qu’on retrouve chez William Burroughs. Mais ces images sont très puissantes, Schuhl n’estime pas qu’elles proviennent seulement d’une « réalité altérée ». « Ces apparitions étaient des faits indéniables, nous dit-il, qui m’étaient destinés, offerts ou imposés par une force extérieure, peut-être une transcendance… » Du reste, il utilise bien ce mot, « apparitions », qu’on réserve d’habitude au domaine de la religion, pour parler par exemple des apparitions de la Vierge.

Les « apparitions » de Schuhl, qu’il nous détaille avec beaucoup de précision, ressemblent à des rêves, venus tout droit de son inconscient. Comme l’avait jadis montré le peintre Salvador Dali, avec sa fameuse méthode « paranoïa-critique », il est fréquent qu’un artiste ait facilement des remontées d’inconscient, dont il se servira pour son œuvre. C’est un peu ‒ du moins c’est ce que pensent les médecins à qui il s’adresse ‒ ce qui arrive à Schuhl.

On lira donc avec une certaine délectation ces étranges visions qui touchent le cerveau d’un écrivain. Elles mettent à vrai dire mal à l’aise, tant elles sont décrites de manière crue, saisissante, dans cette belle prose que nous aimons retrouver chez lui. Les Apparitions sont un petit ovni littéraire, décrivant une expérience limite, susceptible de se produire chez chacun d’entre nous, avec plus ou moins d’intensité ‒ l’intensité maximale étant réservée aux grands imaginatifs comme Jean-Jacques Schuhl lui-même, digne émule d’Edgar Poe.

Jean-Jacques Schuhl, Les Apparitions. Éd. Gallimard, collection « L’Infini ».

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Alain Guiraudie, cinéaste explorateur

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© LES FILMS DU LOSANGE

Dans « Viens je t’emmène », le réalisateur nous emmène à Clermont-Ferrand, cité plus dépaysante qu’elle n’en a l’air


Médéric, pâle joggeur clermontois, bobo trentenaire peu affriolant et d’une bien-pensance humanitaire parfaitement formatée, voit sa libido réveillée en sursaut par Isadora, une péripatéticienne érotomane (impayable, dans le rôle, la cinéaste et comédienne Noémie Lvovsky). Douée d’un brame exceptionnellement sonore, l’adipeuse catin au cœur d’artichaut, violentée, quoique consentante, par un mari éperdument jaloux (Michel Masiero), non seulement accepte de se donner gratis à ce client (qui se dit opposé, par principe, aux copulations transactionnelles), mais en plus elle en redemande.

Jean-Charles Clichet et Noémie Lvovsky © Les films du losange

Au même moment, un jeune SDF (Ilies Kadri), rebeu inoffensif qui mendie sa pitance aux passants, se débrouille pour taper l’incruste dans le clapier du blanc-bec trentenaire aux dévorantes ardeurs coïtales… Nous sommes à la veille de Noël, dans l’aimable cité anthracite de Clermont-Ferrand. Percutant de plein fouet (si l’on ose dire) ce vaudeville, un attentat perpétré, à 400 mètres de là, par un commando de djihadistes armés de machettes sème la terreur sur la capitale du Puy-de-Dôme.  Portrait de ville en creux et savoureux traité de sociologie appliquée, « Viens je t’emmène » subvertit malicieusement, l’air de ne pas y toucher, les poncifs dont il se fait en apparence l’expression: tolérance, diversité inclusive, accueil de l’autre…

A lire aussi: Depardieu, raccommodeur de destinées

Car, en fait d’œcuménisme sociétal, de paix civile et de vivre-ensemble, le film, en cela plus iconoclaste qu’il ne s’en donne l’air sous ses dehors de comédie de boulevard farfelue, dresse un état des lieux acide de la France urbaine profonde : quartiers hantés par l’insécurité, rue investie par une tribu d’adolescents maghrébins encapuchonnés et à la mine patibulaire, voisins de paliers tétanisés par la peur…

Poésie, humour et l’air de rien, critique du vivre-ensemble

De fait, Guiraudie nous emmène, précisément, là où le cinéma d’ordinaire ne vient pas. Là même où le mimétisme religieux pousse une dame sur le retour d’âge, de confession musulmane, à opter pour le port du voile, ce que son mari a manifestement du mal à piger ; où un Bidochon retraité, équipé d’un arsenal de gros calibre, transforme son domicile en forteresse de l’auto-défense ; où sert accessoirement de factotum à nos deux tourtereaux une mineure métissée, stagiaire à l’hôtel de passe dans lequel officie Isadora ; où une frénétique start-uppeuse (Dora Tillier) accrochée à son smartphone tentera,  au reste sans le moindre succès, de trouver en Médéric un associé jusque sous ses draps, dans une confusion très tendance entre espace professionnel et sphère privée

Qui a eu le bonheur de voir les deux films précédents de ce cinéaste rare à tous les sens du terme, « L’inconnu du lac » (2013) puis « Rester vertical » (2016) le comprendra : Alain Guiraudie ne repasse jamais par le même chemin. Il explore à chaque fois un nouveau territoire. Avec une liberté formelle, une acuité, une poésie, un humour qui ne sont qu’à lui.    

« Viens, je t’emmène ». Film d’Alain Guiraudie. France, couleur. Durée : 1h40. En salles le 2 mars.     

Quand Yannick Jadot reproche aux journalistes de «faire du Zemmour»

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Et il n’était même pas sur CNews !


Jadot estime que les militantes islamistes en burqini, ce n’est pas un sujet

Début de semaine, interrogé sur la question du port du burqini dans les piscines municipales à Grenoble, Yannick Jadot (EELV) a interpellé Ruth Elkrief et Adrien Gindre de « Mission Convaincre » (LCI) et leur a lancé : « On a l’impression qu’on n’a pas eu assez de Zemmour pendant toute cette campagne ! » Le candidat à la présidentielle espérait peut-être ainsi que les téléspectateurs oublient que dans son mouvement, Eric Piolle, a récemment écrit : “Je soutiens le combat des hijabeuses. Sur le burkini et le rapport au corps, la majorité que je conduis à Grenoble s’est engagée dans un processus de réflexion et de formation. Nous rendrons public notre position avant l’ouverture des piscines d’été”…

Commentant la photo d’un collectif grenoblois favorable au port du burkini cet été dans les piscines de Grenoble, « un sujet politique très important », selon le journaliste Adrien Gindre, Yannick Jadot (EELV) s’est complètement crispé : 

Jadot : C’est quoi cette photo ? 

Elkrief : Elle vient du collectif organisé à Grenoble. 

Jadot : Donc, vous avez appelé un collectif pour récupérer la photo du collectif ?

Elkrief : Non, pas du tout. C’est le collectif lui-même qui l’avait. On a eu l’autorisation.

Jadot : Je suis curieux de savoir ce que vous faites… là.

Inversion accusatoire

Gindre : On va peut-être savoir ce que vous, vous faites là ! C’est vous qui êtes candidat à l’élection de la République (…) Considérez-vous que les piscines sont le lieu pour porter le burkini ?

Elkrief : Je rappelle que c’était sur le compte Facebook de ce collectif qui nous a autorisés à le reprendre…

Jadot : Vous vous rendez compte… Il y a des burkinis aujourd’hui dans les piscines à Grenoble ? Je vous pose la question ! Les femmes et le collectif n’ont jamais été reçus par le maire de Grenoble. Elles ont eu des contraventions. Et elles ont été interdites dans les piscines. Il n’y a pas de burkinis dans les piscines à Grenoble. 

Gindre : Donc, il n’y a pas lieu d’en débattre ? 

Jadot (s’emportant) : Vous vous rendez compte que depuis cinq minutes, on parle d’un sujet qui n’existe pas ! 

Gindre : Le maire de Grenoble a dit qu’il y aurait une réflexion [sur le port du burkini].

Jadot : C’est quand même incroyable ! On a l’impression qu’on n’a pas eu assez de Zemmour pendant toute cette campagne !

Un sujet qui ne serait plus d’actualité ? Bah voyons…

Yannick Jadot a ensuite reproché aux journalistes d’aller chercher un sujet qui « date d’il y a trois ans » alors que selon Ruth Elkrief, Eric Piolle, maire de Grenoble, entend réfléchir quant à la politique à mener face au burkini dans les piscines cet été. Pire, un tweet a été posté par ce dernier à ce sujet, il y a… seulement six jours !

Au-delà de la photo montrée à l’antenne, Ruth Elkrief estime alors que ce collectif interpelle sur ce que pensent les musulmans en France aujourd’hui, mais aussi qu’il y a bien un intérêt à obtenir de la part de Jadot un commentaire, puisqu’il se présente à l’élection présidentielle. Il est tristement symptomatique de voir que la seule réponse de l’écologiste, c’est de remettre en question la pertinence de la démarche de LCI. Au fond, tout questionnement sur les formes problématiques que prend un certain islam en France, pour Jadot, c’est « faire du Zemmour » !

Alors qu’on s’est gaussé en début de campagne du côté roquet de Zemmour, justement, voilà que c’est Jadot, gêné par les questions relatives au communautarisme, qui perd ses nerfs. Bon, mais lorsqu’il possédera les codes nucléaires, il gardera son calme, promis ?

Illusions et inconvénients de l’asymétrie

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Soldat ukrainien à Kiev, 25 février 2022 © Vadim Zamirovsky/AP/SIPA

Radu Portocală est né et a vécu pendant des années sous la botte de l’occupant soviet-russe. Comme presque tout le monde en Roumanie, les voisins de l’Est lui inspiraient une grande aversion et, en même temps, un besoin de compréhension… Sans battre notre coulpe à l’heure où l’Ukraine est attaquée, reconnaissons que ces trente dernières années, la Russie a été ignorée, d’abord, puis prise pour cible. Ce rôle de paria ne lui convenait pas. L’encerclement militaire, encore moins! La comprendre à temps nous aurait évité d’avoir, maintenant, à la blâmer.


Pendant trois quarts de siècle, l’Occident s’est évertué – sans succès – à comprendre l’Union soviétique et à composer avec elle. Les périodes de détente succédaient aux tensions qui, souvent, étaient des fantasmes plutôt que des réalités. On se faisait peur en invoquant la permanente menace soviétique, mais, aujourd’hui encore, aucune preuve n’a été trouvée pour montrer qu’à un moment ou un autre, le Kremlin avait envisagé d’attaquer l’Ouest. Ici, on faisait des concessions ; là-bas, on se contentait de demeurer impénétrable. Ils savaient tout de nous ; on se contentait, à leur égard, de conjectures et d’approximations.

Après 1991, avec une assurance aussi soudaine que ridicule, l’Occident a choisi de concevoir sa politique envers la Russie se basant sur un certain nombre d’erreurs. Il se mettait ainsi dans la situation de celui qui court dans des sables mouvants. Et qui, ce faisant, se trouve très content de lui-même.

Il a été, d’abord, décidé que la Russie était faible, une puissance de troisième zone qu’il n’y avait plus aucune raison de craindre et que, bien au contraire, il fallait aider pour qu’elle sorte du marasme. Avec condescendance, elle fut même invitée à s’asseoir sur un strapontin à l’OTAN et à l’Union européenne. Nul ne doutait de ses intentions amicales. George Bush Jr., après avoir rencontré pour la première fois Vladimir Poutine, affirma fort satisfait : « J’ai regardé l’homme dans les yeux. J’ai vu son âme. Je l’ai trouvé particulièrement franc et digne de confiance. » La secrétaire d’État Madeleine Albright se montrait, elle aussi, très joyeuse de savoir Poutine à la tête de cette Russie considérée désormais comme insignifiante.

Ils espéraient une marionnette, qu’ils allaient tolérer à la présidence d’un pays voué à devenir une sorte de protectorat américain et, cela va de soi, un marché lucratif. Ce ne fut pas le cas. La sympathie condescendante qu’ils avaient témoignée à Poutine se transforma donc en haine farouche. Bush avait mal lu dans ses yeux. Du jour au lendemain, l’homme devint un autre Hitler. On se mit à le combattre sans trop savoir pourquoi. La méconnaissance de la Russie, l’incompréhension étaient les mêmes que par le passé, et l’Occident s’en flattait presque.

Paradoxalement, contre cette Russie qu’elle tenait pour exsangue l’Amérique décida d’ériger des protections. Ne tenant aucun compte des assurances qu’elle avait données – autrement dit, faisant fi de sa parole – elle poussa l’OTAN dans presque tous les pays ayant appartenu au Pacte de Varsovie. Le « cordon sanitaire » que l’Europe avait installé après le coup d’État de Lénine en 1917, et qui avait ulcéré Moscou, était remis en place. La Russie amie du début des années 1990 devenait une sorte de léproserie qu’il fallait entourer non de barbelés, mais de bases militaires. Et il était demandé aux Russes de s’en accommoder et, surtout, de ne pas s’en offusquer.

Mépriser la Russie, la regarder de haut, l’humilier a été un très mauvais calcul. L’encercler, lui montrant par cela qu’elle était à craindre, a été une preuve de faiblesse occidentale et n’a fait que lui donner envie de briser le siège.

Les exploits russes en Syrie, l’exhibition qui y a été faite de son armement moderne et très performant, ont eu le don de produire, surtout parmi les démocrates américains, Hillary Clinton en tête, une irritation aux accents hystériques. La candidate d’alors à la Maison Blanche et nombre de ses proches semblaient ne vouloir qu’une chose : déclarer la guerre à la Russie et l’effacer une fois pour toutes de la carte du monde.

Pendant ce temps, les États-Unis et leurs alliés ne se privaient pas d’intervenir dans les anciennes républiques soviétiques, essayant de placer à leur tête des hommes qui leur soient dévoués et qui fassent une politique pro-occidentale. Diverses « révolutions » furent ainsi organisées, dont celle de 2004, en Ukraine, la « révolution orange », a eu le plus grand retentissement. Les sources qui affirment que toutes ont été « stimulées » et financées par l’Ouest sont assez nombreuses et diverses pour qu’elles deviennent crédibles. Depuis, dans l’esprit des Américains, l’Ukraine s’est transformée en obsession constante, une sorte d’espace vital qu’il leur faut à tout prix tenir. Son admission dans l’Union européenne et l’OTAN, se disait-on, achèverait d’isoler la Russie, peut-être même de mettre Poutine à genoux – mais nul ne pensait pas que cela risquait, plutôt, de le faire enrager. On avait bien réussi, en bombardant la Serbie pendant des semaines, à lui arracher le Kosovo, son berceau historique ; on pouvait tout aussi bien faire passer à l’Ouest les lieux où la Russie est née.

Nous considérons maintenant que Poutine aurait dû accepter le jeu asymétrique qui lui était proposé, s’y soumettre docilement. C’est faire, une fois de plus, la preuve de notre ignorance face à la Russie. Il nous dit qu’attaquer l’Ukraine était la seule solution qui lui restait. Est-ce vrai ? On ne le saura que dans très longtemps, quand les choses n’auront plus l’importance qu’elles ont aujourd’hui. Pour l’instant, la violence de la guerre est, comme toujours, insupportable. Et de se dire que, sans l’obstination occidentale à vouloir brimer la Russie, elle aurait pu être évitée ne fait qu’augmenter la tristesse, la révolte, la frustration devant le spectacle terrible des chars et des bombes.

Les migrants du Covid-19

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Vaccination à Kigali © CHINE NOUVELLE/SIPA

Par petits groupes et par dizaines, des hommes, des femmes et leurs enfants, tous d’origine rwandaise, ont franchi la frontière de la République démocratique du Congo (RDC) et se sont réfugiés dans les villages aux alentours de l’île d’Idjwi en janvier dernier. Face aux policiers venus s’enquérir de cette invasion incongrue, ils ont expliqué qu’ils fuyaient leur pays pour ne pas avoir à se faire vacciner contre le Covid-19.

55% des Rwandais ont reçu au moins une dose

Frappé comme le reste du monde par la pandémie, le gouvernement du Rwanda a préconisé aux Rwandais de venir se faire vacciner tout en laissant leur libre arbitre aux habitants des Grands Lacs. Plus de 55% des Rwandais ont reçu au moins une ou deux doses. Le pays figure même parmi les meilleurs élèves africains selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS).

Pourtant, il semble que la situation soit moins idyllique qu’elle n’y paraisse. Plusieurs médias internationaux affirment que les Rwandais subissent des fortes pressions, notamment dans les administrations où une forme de chantage serait exercée par le régime du président Paul Kagamé.

Raisons religieuses

Dans les campagnes, selon divers témoignages recueillis sur place, plusieurs personnes auraient été arrêtées ou molestées pour avoir refusé le vaccin « pour des raisons religieuses ».

Une situation qui aurait donc poussé certains à fuir vers les pays voisins, et qui a fortement irrité la porte-parole de Kigali Yolande Makolo. Officiellement, les réfugiés, depuis renvoyés chez eux, appartiendraient aux Témoins de Jéhovah. Un mouvement religieux qui n’est guère en odeur de sainteté dans cette partie du continent africain. « Tous les Rwandais sont encouragés à se faire vacciner pour se protéger et protéger les autres des effets potentiellement mortels de la Covid-19 », a fermement rappelé Mme Makolo, Bien qu’il minimise le phénomène, le gouvernement craint toutefois que ces exilés du Covid ne viennent grossir le flot de Rwandais, déjà réfugiés en RDC depuis le génocide, et qui se sont rassemblés en groupes armés, menaçant un régime loué avec bienveillance par l’Europe…

Comédie-Française: Tragédie française

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Julien Frison, Denis Podalydès et Christophe Montenez dans "Le Tartuffe ou l’Hypocrite", mis en scène par Ivo Van Hove à la Comédie-Française © Jan Versweyveld/Comédie-Française

Pour le 400e anniversaire de Molière, la troupe du Français a eu l’idée de remonter la première version du Tartuffe. Et pour concrétiser cette louable initiative, elle a demandé à un universitaire de reconstituer le texte perdu. Mais pour le jouer, nos comédiens ont choisi un metteur en scène de « l’extrême contemporain », et ils en sont ravis. C’est dur d’être fêté par des cons.


À la Comédie-Française, pour ouvrir la saison marquant le 400e anniversaire de la naissance de Molière, Éric Ruf, administrateur de la Maison, a décidé de monter la version première du Tartuffe, en trois actes, qui a été jouée une fois, le 12 mai 1664 devant Louis XIV, et aussitôt interdite pour des raisons politico-religieuses. La version que nous connaissons tous est celle que Molière a réécrite en 1669 et en cinq actes. Le manuscrit de la première version aurait été perdu, mais ces dernières années, Georges Forestier, professeur émérite de littérature française à la Sorbonne et grand spécialiste de Molière, s’est mis en tête de reconstituer ce texte originel par un travail de recherche et de « génétique théâtrale ». Forestier se compare à un restaurateur de tableaux. Retrouver un Poquelin « pur » pour ses 400 ans… de quoi satisfaire les âmes doucement conservatrices. Mais… c’est sans compter avec la Comédie-Française et son directeur ! Jugeons sur pièce les paroles du metteur en scène flamand de ce spectacle, Ivo Van Hove, du directeur de la maison, Éric Ruf, et de l’interprète de ce Tartuffe, Christophe Montenez. Et surtout, vive Molière !

Tout le monde s’agenouille devant le génie de Monsieur Ivo Van Hove et de la troupe du Français. Personne ne voit le scandale et le dévoiement de cette maison

Ivo Van Hove : « Quand Éric Ruf m’a demandé de faire quelque chose à la Comédie-Française il y a quelques années, je n’ai pas répondu. Pour moi c’était non. J’avais des préjugés sur la Comédie-Française, sur un académise théâtral “old fashion”. Je me demandais quoi faire là-bas… ? »

Éric Ruf (répondant à une question aux côtés d’Ivo Van Hove) : « Je me souviens d’une première conversation avec toi Ivo, sur Molière, où tu m’avais demandé si on pouvait, à la Comédie-Française, couper dans son texte. Et je t’ai répondu immédiatement OUI ! Ça m’intéressait beaucoup car comme on est dans la maison de Molière, […] on a toujours un sur-respect du texte, […] on est dans une génuflexion que je ne trouve pas juste. Pour cette saison Molière, je voulais qu’il y ait des regards singuliers sur cette œuvre. Et on souffre, nous Français, d’une bibliothèque moliéresque d’une densité et d’une lourdeur assez rare. Quand un metteur en scène étranger s’empare de cette œuvre, il n’a pas la lourdeur de la Bibliothèque nationale sur le dos. J’ai remarqué que les metteurs en scène étrangers avaient une liberté et une vérité plus grandes sur notre répertoire. C’était important pour moi de confier le premier pas de cette saison Molière à un metteur en scène étranger – enfin je ne sais pas ce que ça veut dire étranger – pour qui Molière n’est pas sur un piédestal ou un héros national. »

Christophe Montenez : « Ivo en tant que metteur en scène étranger – en tout cas d’une autre culture – est intéressant. Car nous, on a l’impression que telle réplique, il faudrait la jouer comme ça, et Ivo, lui, il déconstruit ça… parce que lui, il ne sait pas en fait. Et ça, c’est génial. »

Et voilà le travail ! Mais à quoi sert alors de restaurer le tableau ? Georges Forestier a reconstruit pour qu’Ivo déconstruise ? Forestier a cherché à se rapprocher le plus possible de la version originelle pour que le metteur en scène à qui l’on confie le projet déclare qu’il a fait le choix esthétique de « l’extrême contemporain », et qu’il a choisi de foutre les acteurs en costards-cravates pour que « les costumes situent les personnages dans la bourgeoisie parisienne d’aujourd’hui » ! J’ai du mal à saisir. Et puis, le maître flamand, trouvant probablement Molière un peu insuffisant dans la peinture de ses personnages, ajoute un prologue à la pièce « pour que l’on saisisse, dès le début de la représentation, qui est vraiment Tartuffe ». Et comme si ça ne suffisait pas, il ajoute également un épilogue.

À quoi sert même de fêter Molière puisqu’on ne veut pas le mettre sur un piédestal et qu’il ne mérite pas de génuflexions ? Il n’y a qu’à écouter Ruf parler en transpirant la honte d’être dans une maison française et de longue tradition pour comprendre son entreprise de destruction de la vieille maison de Molière. Ivo Van Hove craignait que la Comédie-Française soit encore la Comédie-Française, le voilà rassuré, il est chez lui ! Elle n’est pas « old fashion », elle est fashion ! Il pourra faire ce qui lui plaît : couper, réécrire, pisser sur les morceaux brisés du buste du grand homme, Éric Ruf et sa troupe, face à Ivo le Belge et à n’importe quel autre metteur en scène branché, fléchiront le genou en signe d’adoration, de respect et de soumission. Il va sans dire qu’il en est de même pour la presse : tout le monde s’agenouille devant le génie de Monsieur Ivo Van Hove et de la troupe du Français. Personne ne voit le scandale et le dévoiement de cette maison. Les réacs, eux-mêmes durement déculturés, en font l’éloge. Pascal Praud serait-il le nouveau chantre de la déconstruction du patrimoine théâtral français, lorsqu’il dit de l’actuelle troupe qu’elle est « une des plus belles de l’histoire, qui rappelle celle des Charon et des Hirsch » ? Rappelons à M. Praud que Charon, qui voyait (déjà !) arriver le totalitarisme des metteurs en scène, disait que de plus en plus souvent, « les metteurs en scène ont des complexes d’auteur, sûrement, puisqu’ils bouleversent tellement les pièces qu’on ne les reconnaît plus ». Il faudrait également rappeler à tous ces gens la phrase de l’illustre metteur en scène Charles Dullin – fondateur du cartel avec Jouvet, Gaston Baty et Pitoëff – sur le rôle du metteur en scène : « C’est un bon chef de service à qui il ne faut pas laisser prendre trop d’initiatives. Son rôle est de surveiller les manœuvres et d’apporter l’aide de ses connaissances et de son expérience à la mise en valeur du drame. C’est l’assistant du poète et non son égal. » Précisons à nos lecteurs que Le Tartuffe d’Ivo est déconseillé au moins de 15 ans… Quant à moi, c’est aux spectateurs en général que je le déconseille !

Russie-Ukraine: le choc des civilisations a eu lieu

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Moscou, D.R.

Poutine, président des Trois Russies


Il y a quelques semaines encore, on se demandait : à quoi sert l’OTAN ? Entre les multiples déclarations et insinuations de Donald Trump et le célèbre diagnostic de Macron (« ce qu’on est en train de vivre, c’est la mort cérébrale de l’Otan ») dans un entretien accordé à The Economist, la légitimité de l’Alliance était en train de saigner. Un fossé se creusait entre les membres occidentaux de l’Union européenne et certains membres orientaux de la même Union autour de la question des « valeurs communes ».

La résurrection de l’OTAN

Jusqu’à il y a peu, les États-Unis étaient engagés dans un glissement d’attention stratégique de l’arène atlantique vers l’indopacifique. Depuis jeudi matin 5h00 (heure de Paris), ces doutes autour de l’OTAN sont balayés. Le besoin de défense collective rapproche Varsovie et Paris qui étaient brouillés. Et à Washington, les russophones ont de nouveau la côte ! Pourquoi Poutine a-t-il pris le risque d’arrêter cet effilochage de l’OTAN et l’élargissement des clivages au sein de l’Europe ? La réponse est probablement que ces processus étaient trop lents à son goût et que la Russie n’a pas le temps.

Dans la durée, ce qu’on appelle la culture occidentale est comme les marées qui inéluctablement travaillent des blocs de granite. Les Kardashian s’infiltrent partout sur la planète : avez-vous remarqué sur les réseaux sociaux comment des jeunes filles et des femmes partout dans le monde ressemblent de plus en plus à ces vedettes de téléréalité ? Disney, l’alimentation – les Chinois se sont mis à consommer des produits laitiers !-, les intérieurs, la mode vestimentaire (costard cravate et Zara), la sexualité : tous ces éléments s’infiltrent également partout, aplatissent le monde et transforment l’ancien « village global » de l’ère de la télévision en énorme selfie d’écervelé.e.s.

Le cauchemar russe

L’émergence des sentiments nationaux, le désir de porter des jeans, d’écouter du rock, d’acheter du PQ de qualité, du beurre et de bonnes cigarettes ont érodé en son temps l’URSS. Leurs équivalents d’aujourd’hui travaillent la Russie (vous n’avez qu’à demander à Anna Delvey-Sorokin…). Le cauchemar russe, ce sont des collégiennes en cheveux bleus coupés court qui demanderaient qu’on les appelle Boris et non plus Tatiana ! Avec l’iPhone 20, les films Marvel, les Porsche et les stars de YouTube, il sera très difficile de tenir dans la durée.

D.R.

C’est pourquoi Poutine souhaite faire de la Russie une citadelle assiégée, le refuge du véritable Occident (comme les Chrétiens seraient le véritable Israël). Moscou est désormais le siège de la véritable Église et la capitale du Saint Empire. Et selon lui, la Russie n’est pas un pays qui s’est taillé un Empire (comme jadis la France et le Royaume Uni), la Russie est un Empire. Vu de Moscou aujourd’hui, pour parler de l’Empire russe, il faut employer le verbe « être » et non pas « avoir ».    

L’Ukraine est certes un enjeu stratégique, un espace tiré et déchiré par deux pôles de puissance. Mais c’est également un enjeu de civilisation et même de plus en plus, car en temps de guerre les objectifs et les justifications deviennent sublimes. En 1861, on part en guerre pour empêcher la dissolution des États-Unis et punir les rebelles, mais la guerre de Sécession est gagnée au nom de la liberté et de l’affranchissement des Noirs. Les guerres commencent comme une rixe entre voyous, et finissent en croisades. Pour mourir et faire accepter souffrances et privations, il faut toujours trouver un objectif moral, éthique ou religieux.

Hydrocarbures et armée: le hard power russe

Avec une démographie en souffrance et une économie limitée par la structure même du pouvoir actuel (connaissez-vous des marques russes hors Kalachnikov, Mig, Sukhoi et Lada ?), la Russie dispose de deux avantages : ses hydrocarbures et son armée. Et c’est avec ces deux cartes extrêmement puissantes que Poutine essaie de sauver sa Russie ou plutôt ses Russies – les Tsars l’étaient de toutes les Russies… car il y en a trois dont une a sa capitale à Moscou, la deuxième à Minsk et la troisième à Kiev. Il est impossible pour Moscou de voir émerger une Russie proposant une alternative radicale au modèle de la maison mère. On aurait pu tolérer de l’Ukraine qu’elle aille plus loin que la Biélorussie, mais pour Moscou elle est allée beaucoup trop loin.

À l’aune de cette analyse, on peut essayer de comprendre la suite de la stratégie russe. L’objectif étant de transformer l’Ukraine en Biélorussie, les Russes pourraient commencer par prendre Kiev et y installer un gouvernement qui leur est favorable. Ils pourraient ensuite annoncer que la légalité rompue en 2014 par le « coup de Maïdan » est désormais rétablie. Le nouveau gouvernement ukrainien en question appellerait alors la Russie à son secours face à la guérilla ou à la résistance, et rétablirait l’ordre dans le pays. La Russie, au nom du droit international (le gouvernement légal de Kiev étant souverain comme Assad à Damas…) empêcherait qui que ce soit d’intervenir par la force, et des Ukrainiens materaient la résistance d’autres Ukrainiens. Un gouvernement pro russe assis sur des baïonnettes… ukrainiennes ! C’est ainsi que Poutine pourrait régler ce problème qui ne manque pas de miner les observateurs occidentaux: prendre l’Ukraine, d’accord, mais l’occuper ? À Moscou, les Blancs sont de retour et ils ont des muscles rouges. Leur dirigeant croit que soit la Russie sera un Empire soit la Russie ne sera plus.   

Et vous, de qui ou de quoi êtes-vous «phobe»?

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Openclipart

La peine de mort a beau être abolie, l’idéologie diversitaire ne se prive pas pour autant de prononcer des arrêts de mort sociale à tout bout de champ. Analyse.


La peine de mort étant abolie, on ne se prive pas de prononcer des arrêts de mort sociale, et les mêmes qui s’indignent de la violence institutionnelle pratiquent sans états d’âme le matraquage verbal. 

Appauvrie par l’inculture, aseptisée par le vocabulaire technique qui l’envahit chaque jour davantage, la langue française devient la complice d’un lavage de cerveau qu’on administre même aux jeunes enfants, contraints par l’école à se préoccuper de questions qu’ils ne se seraient pas posées si on les avait laissés se livrer à des occupations de leur âge, au lieu d’avoir à se faire une opinion – et la bonne ! – sur la « transphobie » par exemple. L’heure est en effet aux « phobies » en tous genres, et la multiplication de ces folies supposées furieuses va probablement contraindre les procureurs des nouveaux tribunaux révolutionnaires à inventer des sous-catégories verbales tant on aura bientôt besoin de cellules plus individualisées où enfermer les ennemis de la bienséance sociétale. La « phobie » n’est-elle pas une forme d’insanité appelant un traitement radical à la mesure de sa dangerosité ?

À lire ensuite: Le quidditch change de nom

Le processus accusatoire est pourtant clair : à chaque problème non réglé, à chaque question refoulée ou méritant un traitement plus nuancé, correspond désormais une « phobie » qui dissuade d’en parler, d’y réfléchir et de s’opposer à l’esprit du temps. On oublie qu’être véritablement phobique (agoraphobe, claustrophobe) est une souffrance qui empoisonne la vie, et que la vraie victime est celui ou celle qui subit l’emprise d’une panique aussi irraisonnée qu’incontrôlable. Le traitement des phobies fut d’ailleurs, avec celui de l’hystérie, l’un des premiers chantiers de la psychanalyse. Qu’à cela ne tienne puisque ce sont les nouveaux « phobes » qui, possédés par la peur ou la haine de l’Autre, sont censés faire des victimes à l’endroit desquelles devrait s’exprimer la compassion collective. On dit d’ailleurs désormais plus couramment « phobe » que phobique, afin d’englober dans une terminologie pseudo-médicale vague et unique l’ensemble des peurs qui n’osent plus dire leur nom. À ce jeu-là, qui n’est pas « phobe » de ceci ou de cela ?

Un ramassis d’arriérés à neutraliser

Les historiens et ethnologues des temps futurs enquêtant sur les mœurs étranges de notre époque se demanderont peut-être qui étaient vraiment tous ces nouveaux « phobes », et s’ils avaient surgi des bas-fonds de la société ou avaient débarqué d’une lointaine galaxie pour semer la confusion dans un monde où plus rien déjà ne fonctionnait : une tribu aussi exotique que les cynocéphales ou les acéphales au Moyen Âge ? Un ramassis d’arriérés tout juste bons à être rééduqués, ou bien quelques irréductibles qu’on ne saurait tolérer qu’au nom de la « diversité » tant aimée ? Et si certains de ces enquêteurs n’ont pas perdu tout sens de l’humour et de la poésie, ils seront peut-être tentés de classer les « phobes » parmi les peuplades inconnues sorties de l’imagination d’Henri Michaux, ou les créatures monstrueuses peuplant le Manuel de zoologie fantastique de Jorge Luis Borges.

Mais il y a plus grave. Alors que l’accusation de « phobie » s’apparente dans la plupart des cas à la diffamation, elle échappe à la loi puisque c’est la personne accusée qui est sommée, ou se sent obligée, d’apporter la preuve qu’elle n’est pas ce qu’on lui reproche d’être. Les torts et les responsabilités sont donc inversés et le procédé, en usage dans tous les systèmes totalitaires, parvient de plus en plus mal à dissimuler sa perversité en dépit de ses succès médiatiques. Tandis que les « phobes » supposés n’en finissent pas de s’introspecter afin d’extirper de leur inconscient les germes de la maladie dont ils seraient porteurs, leurs accusateurs occupent le terrain et se frottent les mains pour avoir inoculé au tissu social l’idée qu’un « phobe » est un malade mental qui s’ignore, voire un fou potentiel qu’il convient de neutraliser en lui refusant tout moyen de s’exprimer qui ne serait pas l’occasion de se ridiculiser à force de vouloir se justifier.

À lire ensuite: Debbie Hayton: trans d’un autre genre

Mais l’accusation de « phobie » a également ceci de pervers qu’elle pousse qui en est soupçonné à basculer, par crainte ou lassitude, dans le camp adverse où il va se sentir enfin admis, réconcilié avec l’humanité, car devenu inconditionnellement philanthrope et désormais habité par une philia universelle : non seulement il n’est pas « phobe » mais il aime, il adore toutes les victimes d’insupportables discriminations qui sont en fait les êtres les plus merveilleux du monde ! Le mécanisme de la collaboration active est en marche, et il n’y a plus qu’à le laisser fonctionner tout seul ; ce jeu de bascule supprimant la possibilité (et le droit ?) de ne pas se prononcer sur des questions devenues sociétales par lesquelles on ne se sent pas vraiment concerné, et qui ne concernent elles-mêmes qu’un très faible pourcentage des catégories minoritaires, dont les problèmes réels mériteraient une attention plus équitable car plus sélective.

Terroristes du langage

Ainsi respecter les personnes transgenres, dont certaines vivent un drame humain, signifie-t-il qu’on doive les prendre pour modèles d’une nouvelle humanité affranchie de tout genre, au sein de laquelle chaque individu pourra librement choisir celui qu’il « sent » être le sien ? De même devrait-on pouvoir s’interroger sur l’homoparentalité sans être taxé d’homophobie, et n’avoir aucune appétence pour une religion de la soumission comme l’islam sans être accusé d’islamophobie, etc. 

Un tel droit paraissait encore si évident il y a vingt ans qu’on a aujourd’hui presque honte de proférer de telles évidences. Elles sont pourtant constitutives d’un art de vivre et de penser qu’il ne faut pas abandonner aux terroristes du langage qui s’en sont emparés. 

Une nouvelle langue de bois ? Oui et non, car ce serait faire injure au bois de le penser perméable au fiel.

Vincent Bolloré contre le médiatiquement correct

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Lionel BONAVENTURE / AFP

Alors qu’il s’apprête à quitter le monde des affaires, le milliardaire est accusé par toute la bonne presse d’avoir fait de CNews une « ORTF privée de droite ».


Depuis plusieurs mois Vincent Bolloré s’est vu consacrer des portraits et des analyses dont la tonalité, pour être généralement critique, n’empêchait pas, pour certains à contrecœur, l’expression d’une admiration pour le grand capitaine d’industrie qu’il a été et qu’il demeure. Même si son départ programmé le 17 février se ferait, selon Le Monde, « en pointillé ». Ce quotidien, dans une double page, appréhende ses multiples activités et réussites en même temps qu’il décrit une personnalité totalement atypique, même dans le monde des affaires et des grosses fortunes (pas née de rien pour lui).

Sans avoir eu la chance de le rencontrer, j’avais toujours éprouvé à son égard une estime toute particulière parce qu’il portait au plus haut le courage intellectuel et médiatique, avec, à l’évidence, une indifférence à l’égard de ceux qui systématiquement ne lui lâchaient pas les basques. Je ne parle pas seulement de son soutien constant à Eric Zemmour mais aussi de certaines de ses décisions qui m’ont réjoui parce qu’elles heurtaient de plein fouet le snobisme culturel et le médiatiquement correct.

Les conservateurs n’ont plus à s’excuser d’exister

Laissant de côté la dérision constante sur son catholicisme fervent et pratiquant, le plus insupportable, dans les attaques contre lui, est le reproche qui lui est fait d’avoir créé avec CNews « un ORTF privé de droite ». Il revient sans cesse, même si à la longue on comprend bien que c’est la réussite de cette chaîne qui dérange, bien plus que sa substance. Au demeurant CNews serait-elle exclusivement de droite qu’elle n’aurait pas à s’en repentir, pas plus que son promoteur. Comme si les sensibilités de gauche omniprésentes avaient toute latitude et liberté pour s’ébattre mais que la pensée et la vision conservatrices devaient s’excuser d’exister.

A lire aussi, Gilles-William Goldnadel: «Le scandale France Inter devrait être un thème majeur de la campagne»

Cette scie lassante est d’autant plus absurde que ce procès est quotidiennement battu en brèche, notamment par la présence régulière de ministres et d’élus venant défendre la cause du président et soutenir son action. Ce pluralisme qui est réclamé de partout, les adversaires de CNews ne veulent pas voir qu’il existe autant que possible et qu’il n’est pas honnête de blâmer une chaîne à cause du refus encore de quelques-uns de participer aux débats qu’elle organise. Si le pluralisme laisse encore à désirer, ce n’est pas la volonté de CNews mais en raison de ceux qui n’écoutent pas, n’apprennent rien, campent sur leurs positions négatives et se prennent pour des héros perchés sur leur Aventin !

La liberté de cette chaîne et son aptitude à traiter de tout, sans préjugés ni tabous, sont d’autant plus précieuses dans un monde médiatique où la frilosité est vantée et l’information seulement officielle, légitimée. Sur ce plan j’ai été effaré par la déclaration de la directrice de la rédaction de BFM TV, Céline Pigalle, qui a osé proférer qu’il ne faut « pas trop aller à rebours de la parole officielle puisque ce serait fragiliser un consensus social » (Figaro Magazine du 11/02, page 32). Même si elle n’évoquait que le sujet de la pandémie. Car son propos justifie en quelque sorte une possible occultation de de l’information et de la vérité parce qu’elle serait plus décente et apaisante que la transparence et la révélation de ce qui est, quelles qu’en soient les conséquences. Face à une telle conception de la prudence et donc du conformisme médiatiques, on comprend mieux le succès de CNews qui ne cesse de progresser parce qu’on sait que de cette chaîne on pourra tout attendre, sauf une connivence systématique avec le discours officiel.

La guerre du vocabulaire

Je voudrais profiter de cette analyse sur Vincent Bolloré et autour de lui pour dénoncer ce que je considère comme un absolu ridicule. Je pourrais le résumer comme l’interdiction faite à la droite d’user de son propre vocabulaire et donc d’être forcément coupable d’une grave dérive lorsqu’elle s’exprime avec des mots, fût-ce pour les stigmatiser, qui ont déjà été employés par d’autres ou, dans le passé, par des penseurs et essayistes aux grandes qualités intellectuelles mais rejetés par le progressisme qui souvent ne les a pas lus, ou avec des œillères. Combien de fois n’ai-je pas entendu, face à des banalités aujourd’hui admises parce qu’elles révèlent une réalité qu’il était scandaleux de faire apparaître hier – le FN a bien connu cela, vilipendé pour avoir dit la vérité trop tôt – cette réplique absurde, ce grief de « s’approprier le discours de l’extrême droite » ! Comme si le langage était encore une chasse gardée avec ses limites et ses frontières et qu’on n’avait pas le droit d’aller puiser dans ce trésor universel des mots à la disposition de tous !

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Mais il y a pire.

Je me souviens d’un éditorial du Monde en date du 14 février qui le plus sérieusement du monde blâmait Valérie Pécresse d’avoir rappelé « la France des cathédrales », parce que cette belle expression énonçant une vérité historique provenait de Charles Maurras. Et d’avoir opposé les Français « de papier » aux Français « de cœur ». Ce qui avait été parfaitement compris par tout le monde mais, catastrophe, papier était un substantif que l’extrême droite avait déjà utilisé et qui renvoyait à une conception « passéiste » ! Tout cela pourrait sembler fou mais pourtant c’est vrai ! Comme si on avait la prétention de bloquer la droite en la constituant comme héritière de tous les mots stigmatisés par une bien-pensance délirante et en lui déniant tout droit à un vocabulaire et à un langage indépendants, autonomes !

Partant de Vincent Bolloré, j’ai voulu montrer combien des êtres de caractère comme lui étaient nécessaires dans un monde qui, de l’infime au grandiose, est prêt à gravir tous les degrés de l’ineptie et du ridicule, à atteindre le comble de ce qui pourrait, devrait nous faire rire si la liberté n’était pas un enjeu trop capital pour en plaisanter.

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Poutine: pour le comprendre, il suffit de l’écouter

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D.R.

Aveuglés par nos préconceptions, et floués par un décor plutôt laid sans les ornements officiels habituels, nous n’avons pas écouté attentivement la longue démonstration de Vladimir Poutine du 21 février.


Lorsque Vladimir Poutine prit la parole, le 21 février, dans une intervention télévisée, en russe bien entendu et non pas dans l’anglais de centre commercial qui a la faveur des décideurs internationaux (que ce soit le président ukrainien ou le secrétaire général de l’OTAN), les réactions des grands médias occidentaux, du Guardian au New York Times en passant par Le Parisien, ont été unanimes quant à la nature de son discours : il était trop long, compliqué, enflammé, passionné, décousu, colérique. L’Élysée, devenu une succursale du docteur Lacan, l’a même qualifié de « paranoïaque ».

Aveuglés par nos préconceptions

On peut se moquer des journalistes et plaindre les politiques, qui n’ont pas la patience d’écouter ou de trouver une bonne traduction. Mais ce qui est impardonnable de la part de personnes formées aux techniques de communication, est de ne pas comprendre que, en rhétorique, une prise de parole vise toujours un résultat déterminé par la personne qui parle. A cet égard, la performance oratoire du président russe, le 21 février, était exemplaire de ce que les médias sont incapables de voir, aveuglés qu’ils sont par leurs préconceptions. Ils sont habitués à un format de prise de parole qui n’a quasiment pas varié au cours de la succession de déclarations publiques de politiques et de porte-paroles qui a rythmé la longue crise ayant mené à la situation actuelle. A chaque fois, le responsable monte sur un podium ou traverse une scène, se place derrière un pupitre avec un logo ou un sceau d’office, et parle debout, costume sobre ou tailleur-pantalon. Le tout est américain et « corporate ». Quand un président américain monte au pupitre, on lui ajoute des drapeaux et des tentures, car du côté de Washington DC on aime bien les passementeries. Tel est le décor de la parole « responsable » attendue par les médias !

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Le décor a floué les observateurs

Or Poutine, qui sait manier le genre quand il le faut, a prononcé son discours de presqu’une heure assis à un bureau plutôt laid, sans les ornements officiels surajoutés dont raffolent les Américains et leurs émules. Un bureau sans prétention, avec trois téléphones loin d’être le dernier cri. Il n’était pas débout. Il ne haranguait pas. Il commentait une situation pour ses compatriotes, en adoptant une posture de pédagogue. Pendant une heure, il a expliqué, mais personne dans les médias occidentaux n’a pris la peine d’écouter attentivement. C’est d’autant plus étonnant que « faire de la pédagogie » est un mantra de la classe politique française. Mais, quand on « pédagogise » en France, le maître est à son pupitre, debout, énonçant ses directives comme un pion – style Castex – ou assis sous les projecteurs et les lambris – style présidentiel. Là, Poutine a « pédagogisé » assis, et dans un décor de DRH des années 80. Donc le commentariat n’a pas pris son effort de pédagogie au sérieux et, leurré par cette mise en scène sans faste, n’a pas compris la logique très claire de son intervention. Car l’intervention de Poutine présentait une argumentation logique : paragraphe par paragraphe, il a expliqué (à sa manière mais là n’est pas la question) les antécédents de la crise, rappelant l’histoire de l’Union Soviétique et de son démantèlement, ensuite l’histoire des accords de l’après-guerre-froide, le changement de régime en Ukraine, en concluant par l’impasse qui en résultait. On peut ne pas être d’accord, mais encore faut-il écouter et comprendre le raisonnement de Poutine. Au lieu de faire cet effort, nos médias et commentateurs s’en sont moqués, se plaignant qu’il leur casse les pieds en déblatérant pendant une heure.

Quelques heures après, Poutine signait un traité d’amitié avec les deux républiques sécessionnistes du Donbass et un jour après il activait ce pacte d’assistance et frappait de manière préemptive l’ancienne république soviétique d’Ukraine, prenant par surprise médias et politiques. C’est le décor qui a floué les observateurs. En rhétorique, nous avons une expression : ce qui est évident est « sub oculos subjectio », une mise sous les yeux. Encore faut-il savoir regarder autre chose que son nombril et écouter autre chose que sa propre voix.