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“L’adieu à la nuit” de Téchiné: grand-mère n’y pourra rien

"L’Adieu à la nuit" d’André Téchiné (2019) sur Arte TV


“L’adieu à la nuit” de Téchiné: grand-mère n’y pourra rien
"L'Adieu à la nuit" drame d'André Téchiné (2019) avec Oulaya Amamra et Kacey Mottet-Klein © Curiosa Films

En 2019, le cinéaste, peu coutumier de ce genre de sujet, dépeignait avec lucidité les mécanismes de la radicalisation islamique. On peut revoir ce film sur le site d’Arte jusqu’au 17 mars, avec une Deneuve éblouissante.


Il est dans la vie d’heureuses et minuscules surprises, comme celle de tomber, un soir de blues aux alentours de la Saint-Valentin, sur un film d’André Téchiné sur Arte, qui diffuse jusqu’au 17 mars : “L’adieu à la nuit”. Bien que le sujet soit peu propice à dissiper un blues hivernal – la radicalisation d’un jeune converti à l’islam et ses projets de djihad – la perspective de se replonger un peu dans l’univers singulier de Téchiné, à la fois intense et maîtrisé, ravit.

Un Téchiné atypique

A priori, le sujet de l’islamisme et des atrocités commises en son nom ne sied pas à ce cinéaste, qui traite principalement dans ses films d’amour adolescentes, de complexité des sentiments, ou d’histoires de familles compliquées. Justement, c’est précisément cet intimisme qui fait la réussite du film. Bien sûr, Téchiné ne cherche pas à expliquer les raisons, toujours les mêmes et toujours différentes, qui poussaient des jeunes, à la fin des années 2010, à basculer, et à faire basculer leurs proches dans l’horreur. C’est d’ailleurs ce qui déplut, à l’époque, à certains critiques qui ont reproché au cinéaste une forme de naïveté, voire de complaisance face à la radicalisation. 

Comme d’habitude avec Téchiné, l’action se passe dans le Sud Ouest, ici dans les Pyrénées, non loin de Toulouse (et soudain, surgit l’ombre de Mohamed Merah).  Muriel (Catherine Deneuve) est à la tête d’un domaine qui abrite un centre équestre, c’est une femme d’un certain âge, terrienne et rayonnante. Elle attend son petit fils, Alex, jeune homme ombrageux qu’elle a élevé suite à la mort de sa mère. Mais celui-ci ne rend visite à sa grand-mère que pour finaliser son départ en Syrie avec Lila, qui est pour lui comme une sœur, et fait partie de la famille. Elle est d’origine maghrébine et on devine qu’elle a initié la conversion… 

Naïveté infantile

Certes, le terrain était favorable : la mère d’Alex est morte dans des circonstances mystérieuses et son père est aux abonnés absents. Il a donc trouvé des réponses à son chaos intérieur en embrassant l’islam prêt à penser, sous vide, fournit par les prédicateurs d’internet. Rien que de très classique et explosif, sans très mauvais jeu de mots. Quant à Lila – qui est plus idéologisée – elle en veut à l’Occident, qui ne lui propose plus rien que la marchandisation de tout et la consommation comme seuls idéaux. À juste titre ?

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Ironiquement, Alex et Lila préparent leur mortifère expédition comme on préparerait un séjour all inclusive en Tunisie, de manière candide et totalement infantile. Alex espère même que les kalach et les explosifs seront fournis gratuitement par la maison Daesh. Quant à Lila, elle nage en plein romantisme façon djihad pour poupées Barbie, en déclarant qu’elle serait fière si Alex (qui sera devenu son mari) tombait au champ d’honneur. Cela ferait presque sourire, si cela n’était pas tragique et désespérant. 

Déchirures familiales

L’écrivain Morgan Sportes a très bien analysé ce phénomène qu’il appelle « le djihad pieds-nickelés » dans son dernier roman Les djihadistes aussi ont des peines de cœur, en reconstituant l’épopée tragi-comique d’apprentis terroristes admirateurs Merah qui jetèrent une grenade dans une épicerie casher de Sarcelles en 2012. L’écrivain nous montrait une bande de pauvres types, pour la plupart convertis, qui n’ont ni les moyens intellectuels ni matériels de parvenir à leurs fins. Alors, ils se retrouvent au kébab du coin où ils fantasment l’héroïsme de la kalachnikov tout en échangeant des SMS avec leurs femmes, où il est question de couches-culottes. Nous étions avant le 13 novembre 2015… 

Téchiné a mis également le doigt sur cet amateurisme, Alex et Lila réunissent de l’argent comme ils peuvent, allant jusqu’à voler la grand-mère, sous les ordres d’un certain Bilal, ex dealer devenu moitié iman et moitié chef de mafia. Tout cela n’est décidément pas sérieux. 

Mais le film se préoccupe aussi de l’histoire d’Alex et sa grand-mère, laquelle ne perd pas son sang froid de maîtresse femme qui a les pieds sur terre lorsqu’elle découvre le pot aux roses. Elle ira jusqu’à l’enfermer dans les écuries, pour l’empêcher de partir. Cette confrontation entre la grand-mère et son petit-fils qui fait la force du film. Chez Téchiné, les familles ne sont que déchirures et malentendus. Finalement, pour Alex, le djihad n’est peut-être qu’un prétexte pour exister aux yeux de cette femme, pourtant aimante, qui s’opposera à la nuit pour à la fois le sauver et le sacrifier. 

L’Adieu à la nuit d’André Téchiné (2019) sur Arte TV




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est enseignante.

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