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Michel Houellebecq, vers la douceur

Le nouveau roman de Michel Houellebecq, anéantir, a dérouté nombre de critiques qui s’obstinent à tenter de le démasquer derrière ses personnages et à lui faire dire ce qu’il ne dit pas. Houellebecq est un immense écrivain et ses livres sont de purs objets littéraires. Et anéantir est avant tout un roman d’amour.


Il y a deux erreurs communément commises quand on lit Houellebecq. La première, et l’auteur n’y est pas pour rien, est que la construction de sa légende l’a transformé en objet plus médiatique que littéraire, à coups d’entretiens provocateurs et de déclarations sarcastiques. À gauche, on traque ainsi le dérapage raciste, misogyne ou islamophobe. À droite, Houellebecq est enrôlé dans le bataillon néoréac et devient le critique de la modernité et du déclin de l’Occident. Que ses livres en général et le dernier en particulier, anéantir, évoquent cette perspective de manière obsessionnelle est une évidence. Que Houellebecq déplore ce déclin est une autre histoire, plus ambiguë… La jouissance narrative avec laquelle il met en scène une série d’attentats aussi spectaculaires que mystérieux, où la magie noire se mêle au radicalisme écologique, peut en effet interroger sur le peu de tendresse que Houellebecq entretient avec la civilisation marchande.

La seconde erreur, qui découle de la première, est de confondre l’auteur et le narrateur ou encore l’auteur et ses personnages. C’est avec ce genre de vision de la littérature que l’on a renvoyé Flaubert et Baudelaire en correctionnelle pour obscénité alors que ce n’était pas eux qui étaient obscènes, mais la réalité elle-même.

Houellebecq, un écrivain souvent instrumentalisé mais rarement compris

C’est ainsi que sont nés des contresens spectaculaires sur son œuvre, notamment avec Soumission où il décrivait en 2015 la France de 2022 élisant un président islamiste modéré. Il n’était pas là le dénonciateur d’on ne sait quel grand remplacement. Il racontait plutôt comment son personnage, un universitaire, se satisfaisait de cette situation qui assurait un confort moral et sexuel au mâle blanc fatigué.

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Il faut prendre ses romans pour ce qu’ils sont, de purs objets littéraires. On constatera ainsi que le personnage houellebecquien a d’abord fait le constat fondateur dans Extension du domaine de la lutte que la possibilité d’avoir une sexualité heureuse était devenue dépendante de notre place dans les rapports de production. Ensuite, ce personnage a cherché à fuir « l’inconvénient d’être né », comme aurait dit Cioran, et donc, logiquement, d’avoir à mourir un jour. Il l’a fui par le tourisme sexuel dans Plateforme ou par le transhumanisme dans Les Particules élémentaires ou La Possibilité d’une île.

Un roman d’amour où la politique et l’actualité sont toujours présents

Dans anéantir, c’est par l’amour que le personnage principal, Paul Raison, un énarque conseiller du ministre de l’Économie, trouve enfin la solution et transforme son nihilisme en une merveilleuse rédemption automnale, une ultime promenade en forêt de Compiègne d’un homme et d’une femme qui se sont aimés puis ont vécu côte à côte comme des étrangers avant de se retrouver, alors que la mort de l’un des deux est devenue inévitable.

C’est pour cela qu’anéantir a désorienté la critique. Ce livre est un roman d’amour et sur l’amour : sur son usure, sa résurrection, son caractère indispensable dans ce monde de 2027, où en pleine campagne présidentielle, des hackers préparent l’apocalypse. Houellebecq réussit le portrait parfait d’un homme d’État, Bruno Juge, aussi dévoué à la cause publique que dénué d’illusion sur le pouvoir réel du politique. Bruno Juge pratique avec un relatif succès une politique protectionniste mais a bien conscience qu’il ne s’agit que de manœuvres de retardement.

En réalité, anéantir est un roman balzacien. Tous les milieux sociaux y sont explorés. Le monde politique, celui de la police, des médias, du système de santé… Toutes les classes sociales y sont représentées, notamment au travers de la famille de Paul Raison : intellos parisiens, bourgeoisie de province ou classe moyenne en équilibre sur le mur étroit qui sépare les inclus des exclus.

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Balzacien, Houellebecq l’est aussi dans sa manière de ne pas hésiter à entrecouper sa narration de digressions didactiques, techniques ou ironiques sur le nom d’une rue, l’aménagement urbain du nouveau quartier de Bercy, les nombres premiers ou l’évolution des statuts des personnes âgées, on en passe et des meilleures. C’est souvent brillant et drôle, parfois aimablement ennuyeux, comme chez Balzac d’ailleurs. Dans anéantir, un personnage affirme que l’auteur de La Comédie humaine a exploré toutes les passions humaines, « sauf l’amour maternel ». Et Le Lys dans la vallée, alors ?

Un écrivain apaisé

Mais ce léger reproche ne doit pas faire oublier que Houellebecq est un remarquable conteur, nourri au lait des mauvais genres – son premier livre était une monographie sur Lovecraft : fantastique, SF, roman policier. Il a un art certain pour explorer le futur proche qui rappelle celui de J. G. Ballard, l’auteur anglais mort en 2009 qui disait : « J’écris avec un quart d’heure d’avance. » Son quart d’heure d’avance, Houellebecq l’emploie à peindre, avec des dons de paysagiste qu’on ne lui connaissait pas, la lumière jaune du Beaujolais comme à pointer le retour du religieux dans la société, non pas tant par le biais de l’islam qui n’est plus un thème central, que par des cultes new age qui touchent l’élite de la société : la femme de Paul Raison est adepte du wicanisme, une religion néodruidique tandis que sa sœur affiche une foi catholique toute franciscaine. Houellebecq résume, à la moitié du roman, la philosophie de Paul Raison qui est typique de la vision du monde de l’écrivain : « Il avait toujours envisagé le monde comme un endroit où il n’aurait pas dû être, mais qu’il n’était pas pressé de quitter simplement parce qu’il n’en connaissait pas d’autres. » C’est que l’écrivain n’a de cesse, très subtilement, de démontrer le contraire tout au long du livre.

anéantir, dont le titre paraît décidément bien paradoxal, a ainsi transformé l’écrivain des néons froids en un contemplatif presque apaisé qui ne trouve rien de plus beau que le bruit du vent dans les arbres. Mais cette transformation ne surprendra que ceux qui n’ont pas su voir, dans tous les livres de Michel Houellebecq, cette recherche implicite et désespérée d’un endroit où aller, et d’une femme à aimer.

Michel Houellebecq, Anéantir, Flammarion, 2022.

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Buvons du vin et du champagne, c’est bon pour la France

Alors que notre pays affiche le pire déficit commercial de son histoire en 2021, les vins et spiritueux ont représenté plus de 15 milliards d’euros dans cette balance commerciale. Un record historique !


Entrons un peu dans les chiffres : le déficit commercial catastrophique de la France – la différence entre les importations et les exportations – s’est établi pour l’année 2021 à 84,7 milliards d’euros selon les douanes, un niveau record qui tombe évidemment très mal. C’est ainsi que nous importons beaucoup trop de produits énergétiques par rapport à nos ventes : dans ce seul domaine nous avons en 2021 un déficit de 43 milliards d’euros, en progression de 20 milliards sur un an. Le secteur automobile est également très touché avec un solde de – 18 milliards. De plus, selon le magazine économique Capital : « Les marchandises essentielles pour lutter contre le Covid-19 (masques, gants, respirateurs, etc.) ont sérieusement grevé la balance commerciale française […] Les importations de ces produits essentiels ont bondi de 58,4 % en France par rapport à 2019, pour s’établir à 19,6 milliards d’euros. »

L’aérien a également basculé dans le déficit, tout comme les produits informatiques, électroniques et optiques avec 20,6 milliards d’euros de déficit en 2021. En face, côté positif, nous disposons heureusement de quelques bastions qui ont bien résisté comme le secteur aéronautique et spatial avec un excédent commercial de 19,7 milliards d’euros et tout ce qui est lié aux produits de beauté dans la catégorie « chimie, parfums et cosmétiques » avec + 15,2 milliards en 2021. 

La grande inquiétude des vignerons indépendants

Nous avons enfin un secteur en pleine forme, celui des vins et spiritueux, qui a pesé dans nos exportations à la hauteur de 15,5 milliards d’euros en 2021 contre 12 milliards en 2020 et 14 en 2019. Il s’agit là d’un record historique selon la Fédération des exportateurs de vins et spiritueux (FEVS). Les meilleures progressions : le champagne avec + 42 % et le cognac avec + 32 %. Les États-Unis restent le premier débouché des vins et spiritueux français avec 26,4 % en valeur et une augmentation de 34 % des exportations sur l’année 2021, notamment grâce à la suppression par le président Biden de certaines surtaxes douanières imposées par Donald Trump. 

Les vignerons indépendants, qui représentent 58 % de la production française et 60 % des surfaces viticoles, ont profité du Salon de l’Agriculture pour mettre en avant leurs 700 000 emplois non délocalisables, premier employeur de France au cœur des territoires, hors administration. Ils ont aussi déclenché une opération d’affichage national sur 6 500 panneaux pendant la période de la campagne présidentielle, sur le thème : « Qui mettra les vins d’artisans au programme ? » En réalité, ils s’inquiètent de la désagrégation lente de la culture du vin dans notre pays, culture qui imprègne pourtant notre histoire depuis plusieurs millénaires, s’inscrivant dans notre ADN même. 

Soyons reconnaissants à tous ces vignerons de porter haut les couleurs de la France dans le monde économique et dans les statistiques du commerce extérieur. 

Buvons leurs vins et leurs champagnes : ils apportent un vrai soutien à notre économie qui va en avoir de plus en plus besoin !

Contre le wokisme, les outils de la reconquête

Les 7 et 8 janvier, un colloque organisé conjointement par l’Observatoire du décolonialisme, le Collège de philosophie et le Comité Laïcité République s’est déroulé à la Sorbonne. Son titre « Après la déconstruction : reconstruire les sciences et la culture ». Anne-Marie Le Pourhiet [1] a pointé les dérives coupables de l’université et des académies. Nous publions son intervention.


Les outils juridiques d’une « reconstruction » scientifique existent déjà. Il convient seulement d’appliquer effectivement les règles qui régissent le service public de l’enseignement supérieur et encadrent la liberté académique, aujourd’hui bafouées dans plusieurs disciplines. Mais il faut aussi que les pouvoirs publics cessent leur double jeu en s’abstenant de prescrire, encourager, promouvoir et financer les dérives constatées dans le monde académique.

La liberté académique: une notion juridique définie et encadrée

Examinant, en 1984, la « loi Savary » relative à l’enseignement supérieur, le Conseil constitutionnel a déduit du préambule de la Constitution un principe d’indépendance des universitaires, garanti par un statut qui peut limiter la liberté d’expression « dans la seule mesure des exigences du service public ». Les dispositions de cette loi ont été reprises dans le Code de l’éducation : « Le service public de l’enseignement supérieur est laïque et indépendant de toute emprise politique, économique, religieuse ou idéologique ; il tend à l’objectivité du savoir ; il respecte la diversité des opinions. » (Article L141-6.) « Les enseignants-chercheurs jouissent d’une pleine indépendance et d’une entière liberté d’expression dans l’exercice de leurs fonctions d’enseignement et dans leurs activités de recherche, sous les réserves que leur imposent, conformément aux traditions universitaires, les principes de tolérance et d’objectivité. » (Article L952-2.) C’est donc parfaitement clair : l’objectivité est le principe cardinal de l’activité scientifique.

Anne-Marie Le Pourhiet © BALTEL/SIPA / 00636954_000033

Le Conseil de l’Europe a adopté en 2006 une recommandation relative à la liberté académique, qui reprend les principes de la Magna Carta Universitatum adoptée à Bologne en 1988 et affirme que la liberté académique doit garantir la liberté de rechercher et de diffuser sans restriction le savoir et la vérité.

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Citons enfin la recommandation de l’Unesco concernant « la condition du personnel enseignant de l’enseignement supérieur », adoptée en 1997. Se déclarant « préoccupée par la vulnérabilité de la communauté universitaire à l’égard des pressions politiques indésirables qui pourraient porter atteinte aux libertés académiques », l’Unesco affirme que les universités « sont des communautés d’érudits qui ont pour mission de préserver et de diffuser le savoir traditionnel et la culture, d’exprimer librement leur opinion à ce sujet et de poursuivre leur quête de la connaissance sans être entravés par des impératifs doctrinaires ». Elle ajoute qu’enseigner dans le supérieur est une « profession » dont les membres assurent un « service public » qui exige des enseignants « le respect de normes professionnelles rigoureuses dans l’étude et la recherche ». Les États membres ont le devoir de protéger l’autonomie des établissements « contre toute menace, d’où qu’elle vienne ». Il est précisé que l’exercice de ces droits « s’accompagne de devoirs et responsabilités spécifiques, y compris l’obligation de respecter les libertés académiques des autres membres de la communauté universitaire et d’accepter la confrontation loyale des différents points de vue ».

Les libertés académiques, conclut la recommandation, s’accompagnent de l’obligation faite à tout chercheur de « fonder son travail sur la quête sincère de la vérité » dans le respect des « normes éthiques et professionnelles, en particulier le principe de la preuve, de l’impartialité du raisonnement et de l’honnêteté du compte rendu ».

La liberté académique, une arme aux mains de militants politiques

Il résulte donc clairement de tout ce corpus normatif que la liberté académique est une liberté professionnelle, reconnue à une communauté de savants au service d’une fin. Cependant, la liberté des universitaires ne consiste pas à pouvoir écrire, publier et enseigner n’importe quoi, et leurs obligations sont au moins aussi importantes que leurs droits. Récuser la notion même d’objectivité, utiliser des postulats erronés, ériger des contre-vérités en dogmes, escamoter la vérification, trouver avant d’avoir commencé à chercher, se dispenser de cohérence logique et de rationalité, s’exonérer de procédures de validation, tordre les raisonnements, tricher dans le recensement des sources, soumettre la recherche à des impératifs doctrinaires, falsifier les résultats, affirmer sans démontrer, faire taire sous menaces la critique et la contradiction… tout cela ne peut tenir lieu de science et prétendre à la protection de la liberté académique.

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Or, force est de reconnaître que les instances d’évaluation, de qualification, de recrutement ou de promotion ne sont pas à la hauteur de leur mission et font preuve d’un laxisme coupable devant des thèses, travaux, colloques et publications d’une nullité scientifique flagrante voire d’une malhonnêteté intellectuelle grossière allant jusqu’à remettre ouvertement en cause le principe d’objectivité pour revendiquer le primat de divagations subjectives.

Le propre des « études » identitaires est de récuser les notions mêmes d’objectivité et de rationalité, considérées comme relevant de l’appareil normatif occidentalo-centriste mâle et blanc, de telle sorte que les minorités racisées seraient dispensées du respect de ces principes dominants étrangers à leurs références culturelles. Cette revendication d’exception qui conduit directement à s’affranchir de règles universelles n’est évidemment pas acceptable.

Une absence totale de contrôle

Le contrôle et l’évaluation de la qualité de la recherche et de l’enseignement doivent être exercés en interne par les instances de sélection et qualification, mais aussi par le Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur. Mais l’enseignement supérieur ne saurait non plus se soustraire au contrôle prévu par la Constitution, qui confie au Parlement la mission d’évaluer les politiques publiques, sans aucune exception, avec l’aide de la Cour des comptes, qui aurait beaucoup à dire sur la gestion de l’Université française.

Le problème, évidemment, c’est que le contrôle de qualité interne ne fonctionne pas, notamment dans les unités de sciences sociales. Un doctorant qui prépare une thèse bidon sur, par exemple, « Le privilège blanc dans les cosmétiques » ou « La territorialisation des lesbiennes dans le bassin d’Arcachon », a un directeur de recherche qui va approuver son travail, réunira un jury composé de compères militants qui lui décerneront un doctorat avec lequel il obtiendra ensuite la qualification de la section compétente du CNU, elle-même composée de collègues complaisants. Et c’est ainsi que l’heureux élu ira ensuite grossir les rangs d’une équipe d’enseignants-chercheurs. Le clonage reproductif marche très bien dans ce type d’études où la médiocrité scientifique est indéfiniment renouvelable.

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Mais les pouvoirs publics ne pêchent pas seulement par abstention, ils ont une responsabilité active directe dans la situation observée.

Le cerveau des étudiants est un vaste enjeu

Il ne s’agit pas de censurer ou sanctionner pénalement ou disciplinairement des universitaires « déviants », mais de défendre la qualité de la science française en arrêtant de promouvoir, relayer, encourager et financer généreusement de la fake science, des études et des « concepts » liberticides, fondamentalement « illibéraux », qui sont autant de germes de totalitarisme. Ce qui passe d’abord par un changement de « parole » politique dans les institutions européennes, nationales et locales, mais aussi par une désolidarisation des autorités publiques avec un discours, des procédés et des méthodes démocratiquement et scientifiquement inacceptables.

Le législateur contemporain et les ministères concernés multiplient, en effet, le double langage et les injonctions contradictoires. L’État lui-même a une fâcheuse tendance à porter atteinte au principe de neutralité idéologique et d’objectivité scientifique en laissant des revendications communautaires et militantes issues de la « société civile » se répandre tout à la fois dans les programmes, les manuels et les interventions en milieu scolaire, ainsi que dans la recherche universitaire. Le cerveau des étudiants et des élèves est devenu un enjeu militant, encouragé, voire institué par l’État qui met ainsi la puissance publique au service d’intérêts catégoriels.

Aux côtés des affirmations de principe du Code de l’éducation sur les libertés académiques et la nécessaire objectivité, des lois « bavardes », comme les dénonçait Pierre Mazeaud en son temps et que le Conseil constitutionnel a censurées en 2005 dans sa décision sur la loi Fillon, ont rajouté des dispositions filandreuses répondant à des revendications de clientèles militantes.

Ainsi est-il désormais écrit dans le Code que l’enseignement supérieur contribue à la « construction d’une société inclusive » et à la « sensibilisation et à la formation aux enjeux de la transition écologique et du développement durable », ou encore qu’il « mène une action contre les stéréotypes sexués, tant dans les enseignements que dans les différents aspects de la vie de la communauté éducative ». Littéralement, chaque universitaire est donc invité par le législateur à « mener des actions » militantes dans ses cours. Ce type de phraséologie est-il vraiment compatible avec les principes précédemment rappelés ?

De la même façon, c’est le législateur lui-même qui a prescrit, dans l’article 2 de la loi dite « Taubira » du 21 mai 2001, que « les programmes scolaires et les programmes de recherche en histoire et en sciences humaines accorderont à la traite négrière et à l’esclavage la place conséquente qu’ils méritent » ou qui avait encore écrit dans l’article 4 de la loi du 23 février 2005, plus tard abrogé, que « les programmes de recherche universitaire accordent à l’histoire de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, la place qu’elle mérite ». Lesdits programmes devaient reconnaître en particulier « le rôle positif » de la colonisation. L’accumulation de ces lois liberticides a fini par déclencher des pétitions d’historiens et de juristes universitaires et même quelques censures du Conseil constitutionnel.

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Absurdistan

Mais au nom des politiques de diversité et d’égalité des sexes, les instances européennes et nationales ont depuis fait déferler sur l’Université un cheval de Troie militant intersectionnel parfaitement orwellien. Les boîtes mail des universitaires français sont en permanence inondées d’annonces, d’informations, de recommandations, prescriptions et injonctions issues des services centraux de leur université relayant eux-mêmes des directives européennes et des documents ministériels.

Les directeurs d’équipes de recherche ont, par exemple, récemment été sommés de désigner un « référent égalité » pour « promouvoir l’égalité des chances entre les femmes et les hommes, communiquer sur les actions mises en place et les campagnes de sensibilisation et de prévention contre les stéréotypes et les discriminations, faire partie d’un réseau régional, bénéficier de formations dédiées, identifier des actions à proposer ». Chaque laboratoire est donc invité à désigner une enseignante-chercheuse faisant office de « commissaire à la genritude », sorte de kapo dont on devine qu’elle aura notamment à dénoncer à la présidence de leur université tout geste « inapproprié » d’un professeur à l’égard d’une doctorante. Mais la réglementation universitaire nous propose également, et même impose à ceux qui exercent des responsabilités particulières, de suivre des stages d’éducation à l’égalité de genre, notamment dispensés par l’incontournable société EGAE, officine prospère de Mme Caroline De Haas, qui semble rafler tous les marchés publics de rééducation.

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Le monde universitaire est ainsi mis en coupe réglée, exactement sur le modèle de la révolution culturelle chinoise. Et voilà comment La Tache de Philippe Roth et Soumission de Houellebecq ne sont plus des romans, mais des réalités françaises.

Bien entendu, tous ces courriers, annonces et autres communications sont rédigés en écriture dite « inclusive » sous le nez d’une tutelle qui non seulement ne réagit pas, mais en réalité recommande, encourage et finance tout cela dans un « en même temps » qui n’échappe à personne. Face à cette duplicité des pouvoirs publics, j’avoue n’être guère optimiste sur la possible amélioration de la qualité de la science française.

Sans doute ce colloque est-il l’expression d’une résistance réjouissante et bienvenue, mais c’est un travail de titan qu’il nous faudrait mener pour effectuer la critique raisonnée de chaque thèse, chaque article et publication de l’absurdistan, et c’est évidemment épuisant.


[1] Professeur de droit public à l’université Rennes-I et vice-présidente de l’Association française de droit constitutionnel.

Accepteriez-vous une famille ukrainienne chez vous?

Une touchante unanimité caractérise les Français à l’égard des Ukrainiens confrontés à l’invasion russe: il faut les accueillir en Europe. Familles fuyant la guerre, réfugiés politiques ou migrants économiques : la crise ukrainienne ouvre la voie à une réflexion salutaire sur les mouvements migratoires et la solidarité qui en découle, selon Yves Mamou. Analyses.


Depuis le début de l’offensive russe, un million d’Ukrainiens ont déjà fui leur pays. Selon les scenarii, leur nombre pourrait atteindre entre cinq et sept millions. La Pologne, la Slovaquie, la Hongrie et la Roumanie, pays membres de l’Union Européenne, accueillent les réfugiés en provenance d’Ukraine sans aucune hésitation. Ces Etats que la Commission européenne a tenté de faire passer pour racistes et xénophobes parce qu’ils refusent de s’ouvrir à des populations en provenance d’Afrique et du Moyen-Orient, font preuve envers leurs voisins ukrainiens d’une attitude authentiquement solidaire.

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Cette différence d’attitude oblige à une réflexion sur l’accueil des réfugiés. La crise migratoire ukrainienne est-elle similaire à la crise migratoire de 2015 qui a vu plus d’un million de personnes originaires d’Asie, d’Afrique et du Moyen Orient affluer vers l’Europe ?

Un flot de réfugiés composé essentiellement de femmes et d’enfants

A l’évidence, la situation ukrainienne présente des particularités. Les Ukrainiens qui tentent de fuir la guerre et son cortège de morts et de destructions ne peuvent fuir en direction de la Russie ou de la Biélorussie qui leur font la guerre. Ils n’ont pas d’autre option que de franchir les frontières de l’UE (ou de la Moldavie). Rappelons que l’Afghanistan, l’Irak ou la Syrie qui continuent de fournir de gros contingents de réfugiés, n’ont aucune frontière avec l’UE.

Sur les réseaux sociaux, nombreux ont été ceux qui ont noté que le flot des réfugiés ukrainiens est essentiellement composé de femmes et d’enfants, les hommes ayant une interdiction de quitter leur pays pour cause de mobilisation. De nombreux médias ont aussi fait état d’Ukrainiens résidant dans l’UE (principalement en Pologne, où ils sont 500 000[1]) qui rejoignent leur pays pour le défendre.

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Si l’on compare avec la grande vague migratoire de 2015, les différences sont édifiantes : en 2015, les Syriens demandeurs d’asile dans l’UE (255 000) ont été presque trois fois plus nombreux que les femmes (104 000) ; pour les Afghans, l’écart a été encore plus flagrant : 141 000 hommes pour 34 000 femmes ; les hommes Irakiens (90 000) ont été eux aussi trois fois plus nombreux que les femmes (30.000). Et en 2014, (année consécutive à l’intervention militaire française au Mali contre les  djihadistes) les demandeurs d’asile maliens ont représenté 12 000 hommes pour… 600 femmes (!)

Migrants économiques

Les mouvements migratoires originaires d’Afrique et du Moyen-Orient sont donc constitués d’hommes jeunes qui exploitent souvent – il faut le reconnaître – un droit d’asile totalement dévoyé. Il s’agit bien souvent de migrants économiques, qui n’ont jamais eu l’intention de rester chez eux pour contribuer au développement de leurs pays, et qui, à la moindre occasion, fuient ce dernier pour se mettre en mouvement vers des terres économiquement plus prospères. Quand Kaboul est tombée aux mains des Talibans, les jeunes Afghans déjà réfugiés en Europe et amoureux de la démocratie ne se sont pas rués en direction de Kaboul pour reprendre leur capitale, les armes à la main…

Ces populations profitent de deux choses :
– notre absence de fermeté politique d’une part, qui leur permet de franchir aisément les frontières (ou du moins ce qu’il en reste),
– et d’autre part du discours de ceux qui font profession de présenter le premier migrant économique venu en réfugié politique persécuté, à qui il faut absolument accorder l’asile.

Les faux demandeurs d’asile

Une législation internationale finement pensée devrait  permettre d’affirmer qu’à partir du moment où les Afghans – pour ne citer qu’eux – ont quitté le Pakistan, la Turquie, ou l’Iran pour se mettre en marche vers l’Europe, ils ont cessé d’être des « réfugiés » pour devenir des migrants économiques. Des bonnes âmes tenteront d’imposer l’idée qu’ils aspiraient au cadre apaisant d’un régime démocratique, mais les réalistes savent qu’ils sont d’abord à la recherche d’opportunités économiques (démarche compréhensible, mais qui ne relève pas de l’asile), et les cyniques feront valoir que le panel de prestations sociales offert dans les pays d’Europe constitue un appel d’air puissant, en particulier pour ceux qui ne sont pas employables.

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L’attitude des responsables politiques français à l’égard des réfugiés ukrainiens a été  – à l’exception notable d’Éric Zemmour – d’une touchante unanimité. Pas un leader politique qui n’ait réclamé, voire exigé leur accueil dans l’hexagone, la France devant « prendre sa part » de ce fardeau de solidarité. Exigence assez inutile en fait, car la plupart des Ukrainiens aspirent vraisemblablement à retourner dans leur pays et voudront probablement, tant que durera la guerre, rester proches de ceux qui y combattent. En attendant, la Pologne est prête à leur ouvrir les bras et aucune réticence ne pénalise ces réfugiés avec lesquels les Polonais partagent une histoire commune. En effet, n’oublions pas que la partie ouest de l’Ukraine et la Pologne ont été unies au XVIIème siècle au sein d’une même entité politique.

La Pologne serait-elle en mesure d’accueillir les cinq à sept millions de réfugiés ukrainiens évoqués plus haut ? Probablement pas.  La question de la répartition de cette nouvelle vague de réfugiés dans les Etats membres de l’UE se posera rapidement si la guerre est longue. L’Allemagne, qui a toujours un important besoin de main d’œuvre, se portera très probablement volontaire. En France, les Ukrainiens auraient certes un effort d’adaptation à produire, mais ils sont chrétiens et le choc culturel qu’ils créeraient serait moindre qu’avec les Africains ou les Maghrébins, presque tous musulmans. Par ailleurs, on peut considérer qu’Eric Zemmour a fait preuve d’un certain courage politique (non dénué de maladresse en termes de communication) en ne cédant pas à la démagogie ambiante de la solidarité à tout prix. Le leader de « Reconquête ! » a déclaré « préférer » que les Ukrainiens qui ont trouvé refuge dans l’UE restent « en Pologne »,  « la France [étant] déjà submergée par l’immigration ». Mieux vaut aider la Pologne à gérer les réfugiés plutôt que de transférer ces réfugiés en France a-t-il ensuite précisé.

Repenser l’asile

La crise ukrainienne devrait en tout cas servir de tremplin au prochain président pour repenser la politique d’asile au niveau français, mais aussi au niveau européen et si possible au niveau mondial, en lançant une renégociation de la convention de Genève sur les réfugiés. La Convention de Genève [2], adoptée en 1951 et ratifiée par 145 pays, définit ce que sont les « réfugiés », leurs droits et énonce les obligations juridiques des États signataires envers tous ceux qui sont persécutés en raison de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un groupe social ou de leurs opinions politiques. Mais en favorisant la confusion entre migration économique et migration politique, ce texte est aujourd’hui obsolète.

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Les principes qui devraient guider cette réforme sont simples : un pays comme la France ne devrait accorder l’asile politique qu’aux combattants de la liberté auxquels le préambule de la Constitution de 1946 fait référence, c’est à dire à une poignée d’individus seulement chaque année. Les personnes déplacées qui fuient un conflit devraient être accueillies dans les pays limitrophes, afin de pouvoir rentrer chez elles dès que les conditions le permettent. La solidarité internationale avec ces pays d’accueil en but à un choc migratoire devrait se manifester de manière obligatoire : ce soutien pourrait prendre la forme d’un soutien financier, ou d’une aide à la relocalisation d’une partie des réfugiés (soit un mélange des deux), au choix du pays qui manifeste sa solidarité.  Enfin, les personnes menacées pour ce qu’elles sont (un Chrétien en Irak ou un homosexuel en Iran par exemple) devraient pouvoir se réfugier dans le premier pays où leur vie ne serait plus menacée, pas dans le pays de leur choix pour des raisons de convenances économiques principalement.

Conséquence logique, tout migrant arrivant en France et ayant transité préalablement par un pays démocratique que ce soit l’Italie, l’Espagne ou la Grèce (ou n’étant pas en mesure de prouver qu’il est arrivé directement en France, afin d’éviter les abus) ne devrait selon moi pas être autorisé à y déposer une demande d’asile. La procédure de Dublin actuellement en vigueur, devrait théoriquement empêcher la multiplication des dossiers dans les différents pays signataires du « Règlement Dublin », mais les lacunes de l’enregistrement des migrants dans la base de données Eurodac fait qu’il n’est pas rare de voir un demandeur d’asile multiplier les dossiers dans différents pays.

Il ne s’agit que de pistes. Mais une réflexion est à mener qui apurerait au moins un peu de ce malaise qui s’est instauré en Europe – et surtout en France – depuis trente ans sur les questions migratoires.


[1] Source : Eurostat

[2] https://www.unhcr.org/fr/4b14f4a62

Zemmourisme des Noirs en Afrique du Sud

En Afrique du Sud, l’opération Dudula réclame le départ du pays des travailleurs étrangers


« L’Afrique du Sud aux Sud Africains », « Sauver notre pays de l’immigration illégale ». Tels sont les mots d’ordre du mouvement « opération Dudula » (« refouler » en zoulou).

Dans un pays où le chômage avoisinerait 46%, la présence de quatre millions d’étrangers du Zimbabwe ou du Mozambique n’encourage guère à l’altruisme.

South Africa first 

Le 12 février, une grande marche a réuni près de 2000 Sud Africains noirs à Johannesburg. Vêtue de t-shirts blancs, la foule a battu le pavé en chantant et en dansant. « Les étrangers volent les emplois des Sud-Africains », ont-ils clamé entre deux mouvements de bassin. Des festivités qui ne sont pas du goût de tous. Cyril Ramaphosa, le président affilié à l’indétrônable ANC (Congrès National Africain), a dénoncé des « rassemblements essayant de fomenter des sentiments et attitudes négatives » envers les travailleurs illégaux. Une mise en garde qui n’a pas du tout calmé les ardeurs des « compagnons patriotes sud-africains », comme ils se désignent. En Afrique du Sud, ces marches enfiévrées font couler beaucoup d’encre, mais pas seulement : lors d’une manifestation dans le township de Soweto, la police a ouvert le feu. Qu’à cela ne tienne. Sous les auspices du slogan « Put South Africa first », l’opération Dudula est allée à la campagne y prôner la remigration. Une croisade qui n’est pas sans rappeler les petites virées d’Eric Zemmour dans nos terroirs. En proie à de fortes pressions migratoires de la part de ses voisins africains, l’Afrique du Sud fait régulièrement face à des bains de sang. En mai 2021, lors d’un discours à l’ambassade de France à Pretoria, à 60 km de Johannesburg, Emmanuel Macron s’était adressé aux jeunes de France issus de l’immigration en ces termes : « Vous êtes une chance pour la France ».

Espérons qu’il retourne vite à Pretoria y rétablir la concorde. Car entre la nation « arc-en-ciel » et la théorie du Grand Remplacement, il n’y a désormais qu’un pas. 

Sarcelles, épicentre de l’Univers

Quand les Sarcellois étaient chauvins… Bonnes feuilles de l’essai de Noémie Halioua publié aujourd’hui.


 « Sarcelles, dans les années 1990, c’était la capitale des banlieusards, le refuge des lascars et des rois de la débrouille. La capitale du hip-hop et de l’orthodoxie juive, des loyers pas chers et des synagogues de toutes les obédiences, des sacs Chanel à 50 francs et des épiceries rares. Nous étions cette « France d’en bas » qui n’avait d’autre conscience de classe que son opposition à celle qui la regardait de haut ou du moins, celle dont elle pensait qui la regardait de haut. Nous étions fastueux de bien d’autres façons et bien sûr, nous n’avions pas l’intention de nous laisser mépriser : de cette assignation nous avons forgé une identité forte, un chauvinisme local qui se poilait de sa mauvaise réputation et faisait de ses faiblesses une force. Nous forcions les traits auprès de ceux qui avaient peur d’y venir en voiture et cultivions un goût immodéré de la provocation. (…)

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Ce chauvinisme s’enracinait d’autant plus que nous voyagions peu : la plupart des gens vantaient avec humour les activités de « Sarcelles-plage » qui consistaient à se tourner les pouces pendant l’été. Quant à ceux qui partaient, ils rejoignaient leur famille au bled, en Israël, en Afrique, en Turquie, aux Antilles, etc. et n’avaient ainsi pas à payer l’hôtel. Chacun pouvait se targuer de racines physiques et symboliques partout ailleurs sur la planète, des origines auxquelles se rattacher, faute de mieux. « Ma mère est née là-bas, mon père est né là-bas / Moi je suis né ici, dans la misère et les cris », comme chantait alors Doc Gynéco avec sa voix suave pour décrire cette jeunesse banlieusarde à l’identité désorientée. La France était pour nous une idée abstraite, théorique, associée le plus souvent à des maux qu’elle avait infligés à nos ancêtres. Enfants d’immigrés pour la plupart, nous avions toutes les raisons d’en vouloir à ce pays qui nous hébergeait. Pour nous les Juifs, c’était parce qu’elle nous avait « vendus » pendant l’épisode de la collaboration, point culminant de la lâcheté dans l’histoire. Nous ressassions les épisodes de policiers français venus suspendre les cours dans les écoles pour en faire sortir les enfants juifs. Les nazis n’avaient pas demandé les enfants, mais Vichy se voulait plus royaliste que le roi, nous disait-on à l’école. Nous connaissions mieux l’histoire de nos peuples respectifs que les promenades de l’après-périphérique : il n’y avait pas encore de smartphones, et les connexions internet étaient encore limitées. Il n’y avait pas encore les vidéos en direct postées par des influenceuses depuis des hôtels cossus du Triangle d’or, ni celles des étudiants depuis les chambres de bonne sur le toit des bâtiments haussmanniens pour défaire nos préjugés. »

(…)

 « Oui, il y avait une solidarité sarcelloise. Dans la quatrième ville la plus pauvre de France, où des cultures  traditionnelles  se  côtoyaient,  l’entraide venait pallier les difficultés en tous genres. Les mères célibataires gardaient leurs enfants entre elles, se dépannaient d’une portion de sucre pour le café, de câbles pour rallumer le moteur de la voiture. Les familles étaient voisines, avaient leurs enfants dans les mêmes classes, fréquentaient les mêmes parcs, et les murs des immeubles, fins comme du papier à musique, rendaient l’intimité difficile. Sur notre palier vivait une famille musulmane, et au-dessus une autre loubavitch.  Les familles faisaient aussi circuler les potins : des exploits de la catin du lycée, à la promotion du pot de mayonnaise chez Leclerc. Les naissances, les décès, les mariages étaient des événements du quartier que l’on se racontait sur le pas de la porte. Comme un petit village où personne n’est jamais tout à fait anonyme. Mais cette diversité relevait davantage d’une juxtaposition d’univers divers, que d’une aventure commune sincère. Il n’y avait pas de conflit ouvert entre les communautés, mais il régnait un entre-soi communément

partagé. Il n’y avait pas de guerre raciale mais du racisme, des préjugés sur les autres communautés. Sarah, ma meilleure amie d’enfance, se souvient d’une discussion entre un chauffeur et une habitante, alors que le bus était stationné en haut de l’avenue Paul Valéry, au niveau d’un feu rouge. Un croisement qui mène soit au « quartier feuj », soit vers des cités où règnent les caïds. « À  droite  les  riches,  à  gauche  les  pauvres », avait  lancé  la  dame  au  chauffeur.  « À  droite ceux qui travaillent, à gauche ceux qui foutent rien », avait-il corrigé. Les quartiers étaient déjà sectorisés, séparés par une frontière invisible qui était décidée et intégrée par la population locale, accompagnée par les pouvoirs publics. Les juifs avaient  déjà leur  quartier, ce  qui  est  quand même un retranchement problématique quand on y pense. L’unique socle commun aux Sarcellois n’était pas la France, c’était Sarcelles. »

(…)

 « Nous pouvions avoir des voisins africains, arabes, chaldéens ou pakistanais et bien nous entendre avec eux, mais s’en rapprocher trop était mal perçu : c’était à la fois trahir l’instinct tribal et prendre le risque d’être rejeté. Menacer l’identité du groupe et permettre à un antisémitisme enfoui de refaire surface. Chaque famille juive pouvait tisser des liens avec ses voisins qui venaient de partout, des relations parfois cordiales, chaleureuses, des amitiés sincères pouvaient naître, mais un accord tacite et réciproque impliquait que cette proximité ait une limite. Cette règle valait chez les Juifs comme ailleurs : chaque membre appartenait d’abord et avant tout à sa communauté ethnique ou religieuse, qui offrait une protection et une aide d’urgence alors que les pouvoirs publics étaient débordés. J’appris bien plus tard le récit idyllique qui était rapporté ailleurs, qui décrivait cette ville comme l’emblème du vivre-ensemble et  de  la  mixité,  le  symbole  de  la  cohabitation heureuse entre les communautés. Cela me parut immédiatement  fantasmé,  dans  la  mesure  où  il n’y avait pas de cohabitation, mais une habitation côte à côte. Il n’y avait pas de « vivre-ensemble » comme on l’entend aujourd’hui, plutôt des communautés qui vivaient de façon mitoyenne, chacune selon son propre mode de vie calqué sur celui de là où elle avait été déracinée et qui empêchait par principe l’établissement d’un socle commun. Entre les communautés, il y avait une scission géographique, psychologique, presque biologique, un séparatisme communément admis et réclamé par tous et accompagné par les autorités. »

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(…)

 « Sur le chemin du tramway, les tours n’ont pas bougé. En quinze ans, Nicolas Sarkozy a été élu président de la République, les Britanniques ont quitté l’Union européenne, des terroristes ont ensanglanté le Bataclan, le monde a changé, mais les tours du grand ensemble des Lochères sont restées debout, imperturbables. Les grands changements sont dus à des coups de bombes et de pochoirs. C’est le cas de cet immeuble dont la façade a été recouverte d’un graffiti signé Combo. On y voit peint en noir le mot « Coexist », qui assemble les symboles des trois religions monothéistes : le croissant de l’islam pour le C, l’étoile de David pour le X et la croix chrétienne pour le T. Ce dessin n’existait pas « à mon époque », il a été inauguré en grande pompe en 2015 en partenariat avec la municipalité pour célébrer le vivre-ensemble de la ville. Nul doute que certains appellent ça une œuvre : le graff remplit tous les critères de l’art postmoderne dit contemporain qui tient à deux critères : un niveau de difficulté de réalisation adapté à un enfant de trois ans, et idéologique à souhait, de quoi permettre  à  l’artiste de se faire le chantre de la morale et de la sainte vertu sans trop se fouler. À la manière des sculptures de l’ère communiste, l’œuvre vise avant tout à éduquer. Un autre dessin signé du même nom a été inauguré un peu plus loin Boulevard Maurice Ravel. On y voit des petits garçons jouer au football, accompagnés par cette citation : « Quand j’étais petit il y avait des musulmans, des juifs, des chrétiens, des noirs et des blancs… C’était juste des copains ». Une version en fait édulcorée de l’originale qui disait : « Quand  j’étais petit, il n’y avait pas de juifs, ni de musulmans, ni de chrétiens… mais juste des copains ». L’artiste a accepté de se plier à la demande du maire de l’époque, François Pupponi, qui se faisait le relais des chefs de communautés qui se plaignaient que celles-ci soient niées. Sur le fond : je ne sais pas où « l’artiste » a grandi, mais moi quand j’étais petite, chacun savait très bien à quelle communauté l’autre appartenait. C’était même un emblème qu’on portait en bandoulière, qu’on revendiquait haut et fort, et c’est en fonction d’elle que l’on se situait par rapport aux autres. La communauté religieuse ou ethnique était la référence : elle construisait notre rapport au monde. Si des amitiés sincères pouvaient émerger avec des membres d’autres communautés, elles devaient d’abord dépasser une méfiance innée, franchir certaines frontières mentales, certains obstacles qui n’étaient pas bénins. Dans la majorité des cas, au quotidien, les communautés vivaient entre elles : les juifs de leur côté, les musulmans de l’autre, et les chrétiens ailleurs encore. Ce séparatisme était aussi géographique : les juifs dans « le quartier juif », les chrétiens  « au village », les Africains dans « la tour des Africains », etc. Plutôt que l’ère du vivre-ensemble, c’était l’ère de l’entre-soi : chacun vivait dans sa bulle et y faisait perdurer la culture de ses ancêtres. Le vivre-ensemble qui est placardé sur les façades d’immeubles ne figure dans aucun de mes souvenirs et s’il a effectivement existé, il date d’avant ma venue au monde en 1990, lorsque l’idée de nation constituée par un socle commun n’était pas perçue comme « faisant le jeu du Front national »…

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Sarcelles: petite Jérusalem, grande désillusion

Noémie Halioua publie Les uns contre les autres – Sarcelles, du vivre-ensemble au vivre-séparé (Editions du Cerf, 2022)


« Ça intéresse quelqu’un ce qui nous arrive ? » Cette question, posée par une habitante de Sarcelles (95), traduit exactement le sentiment d’abandon et la détresse de populations dont le quotidien est rythmé par « l’impression de vivre dans un monde qui s’effondre un peu plus chaque jour ».

C’est pour écrire en 2018 un reportage consacré à l’agression antisémite d’un garçon de huit ans que Noémie Halioua a enquêté à Sarcelles. Elle en a tiré ce livre personnel et vivant, où, à travers ses souvenirs et ses échanges avec les habitants, elle raconte une ville charnelle, bouillonnante mais enferrée dans une impasse communautariste qui nourrit autant sa pauvreté que sa violence. Noémie Halioua a grandi dans cette ville emblématique de l’essor des villes nouvelles dans les années 60, comme de l’échec de l’utopie qu’elles portaient. Dès son enfance dans les années 90, « les quartiers étaient déjà sectorisés, séparés par une frontière invisible qui était décidée et intégrée par la population locale, accompagnée par les pouvoirs publics ». Pourtant, elle évoque des liens d’appartenance forts. Mais si les habitants se sentaient Sarcellois, ils ne s’identifiaient pas pour autant comme Français et leur communauté d’origine dictait leur façon de voir le monde.

Communautarisme étouffant et délétère, départ des « petits Blancs »

Elevée dans le vase clos de la petite Jérusalem, ce quartier où la communauté juive de Sarcelles était regroupée, ayant reçu une éducation traditionnelle dont elle parle avec une tendresse mâtinée de lucidité décapante, elle se compare à la petite sirène de Walt Disney, son film préféré. Elle rêve de voir l’autre côté du périphérique. Elle le fera. « Quitter Sarcelles ne se limite pas à un changement d’adresse postale : la bulle était sociale, économique et religieuse (…). Franchir les portes de Paris-Descartes fut un choc culturel digne d’un changement de continent. » En étudiant à Paris, Noémie Halioua raconte comment elle prend conscience de l’enfermement qu’une appartenance communautaire très forte peut susciter, mais aussi comment elle découvre l’émancipation républicaine. Elle raconte alors « une imbrication réalisable entre particularisme et universalisme », une façon de trouver sa place sans sacrifier l’héritage familial, en intégrant l’imaginaire historique et intellectuel des Lumières et de la République. « Je plantais mes racines dans une longue histoire qui me précédait, j’avais des ancêtres, une famille de pensée imparfaite mais idéaliste qui me correspondait. »

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Pendant que la jeune femme se découvre Française, Sarcelles sombre dans un communautarisme étouffant et délétère. Les villes nouvelles sont devenues des ghettos, des zones de relégation sociale et ethnique. Sarcelles est aujourd’hui une référence qui est tout sauf un modèle : elle est la plus connue de ces villes où il ne fait pas bon vivre et où l’on ne s’installe et ne reste souvent que parce que l’on n’a pas les moyens de vivre ailleurs. Bâtie au départ pour accueillir une population d’ouvriers et d’employés, la ville est devenue une de ces banlieues où se concentrent les victimes des soubresauts de l’histoire : juifs et assyro-chaldéens chassés des pays musulmans, immigrés économiques suite à la décolonisation, migrants chassés par les guerres et les violences ethniques… Sarcelles a souvent été présenté comme un laboratoire du « vivre ensemble », « vitrine du brassage entre les populations et du métissage ethnique ». Dans les faits, elle n’aura fait qu’accumuler les difficultés liées à la concentration sur le même territoire de populations aux cultures et mœurs très différentes, sans que celles-ci n’aient de modèle d’intégration à disposition : la concentration de l’immigration ayant abouti à un départ des « petits Blancs ». En guise de « vivre ensemble », c’est le « vivre séparé » qui s’est imposé : le culte des origines, l’exacerbation des différences culturelle n’a pas permis l’assimilation ni l’intégration. Les différentes communautés sont devenues des espaces identitaires fermés et en concurrence. Pourtant, si les habitants font le constat « d’une longue désagrégation du tissu social qui a amené à plus de séparatisme, plus de peur, plus de violence », c’est en décalage avec le discours des élites communautaires. Celles-ci « se serrent la pince devant les caméras et affirment que l’avenir est assuré. Nier les problèmes leur permet de conserver leur siège. » Elles alimentent aussi le déni sur la réelle situation de ces zones où les logiques ethniques et religieuses sont en train de supplanter la République.

Chacun part à la découverte de ses origines sans se rencontrer 

Pourtant, des habitants se souviennent du temps où « les dieux restaient à la maison », où les choses auraient pu être différentes. Noémie Halioua évoque l’investissement dans la culture et l’éducation populaire que portaient notamment les édiles communistes des années 60. La Maison des Jeunes et de la Culture, la bibliothèque, le forum des Cholettes (dite l’Olympia de Sarcelles), tous ces lieux de rencontre et de transmission ont été détruits ou ne jouent plus leur rôle. Même le discours autour de la place de la culture a évolué : aujourd’hui dans des espaces du repli sur soi, il « promeut un séparatisme culturel pour se défaire de son complexe colonial ». « Chacun part à la découverte de ses origines sans se rencontrer » et même quand il y a rencontre, le regard porté est négatif : la rencontre est de plus en plus vue comme un vol, une appropriation malvenue. Difficile alors de créer du commun. La culture devient incapable de créer du lien, de faire naitre un imaginaire partagé, d’aller au-delà des rapports de force et de domination, elle n’est plus une quête, ni un dépassement, encore moins une source de créativité, elle n’est plus qu’un rapport aux origines qui a tout du rappel à l’ordre.

On est passé de la culture comme vecteur d’unité, au multiculturalisme comme facteur de désagrégation de la société.

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Le témoignage d’un policier raconte ainsi une ville où il faut composer avec chaque communauté en fonction des règles des pays d’origine. Cette situation nourrit aussi un véritable clientélisme politique. L’auteur explique comment à l’occasion d’un Conseil municipal, un élu fit l’inventaire des subventions accordées aux organismes communautaires pour montrer à quel point ceux-ci sont privilégiés par rapport aux autres types d’associations et à quel point la logique communautariste guide la politique de la mairie.

Force est de constater, à la lecture du livre de Noémie Halioua, que Sarcelles témoigne du destin d’un territoire où la majorité des habitants est enfermée dans une identité ethnico-religieuse qui détruit l’idée même de commun. Ce destin n’est pas enviable et pourtant les logiques multiculturalistes et identitaires, qui créent ces zones de non-droit, se répandent.

Or on n’a rien trouvé de mieux que la République et la laïcité pour lutter contre la tribalisation du monde ! L’état de Sarcelles rappelle à la France qu’elle ne doit pas l’oublier si elle veut un avenir meilleur.

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Moi / Je / Nous / Vous

Emmanuel Macron, au lendemain d’une intervention télévisée sur la guerre russo-ukrainienne où il est apparu en protecteur de la nation, a donc fini par présenter sa candidature à l’élection présidentielle. Notre chroniqueur analyse cette «Lettre aux Français».


Emmanuel Macron connaît ses classiques. Il sait que dans « Le Corbeau et le Renard », le rusé goupil s’abstient complètement de dire « Je » : il use systématiquement du « vous » pour faire croire au Corbeau qu’il le prend en haute considération. C’est la base de la flatterie et de la séduction.

Il faut donc attendre le cinquième paragraphe pour trouver ce Je inévitable mais longtemps suspendu. Bien joué. Mais quand il y va, il y va fort, avec une anaphore insistante :

« Voilà pourquoi je sollicite votre confiance pour un nouveau mandat de Président de la République. Je suis candidat pour inventer avec vous, face aux défis du siècle, une réponse française et européenne singulière. Je suis candidat pour défendre nos valeurs que les dérèglements du monde menacent. Je suis candidat pour continuer de préparer l’avenir de nos enfants et de nos petits-enfants. »

Et immédiatement il revient au « nous » qu’il utilisait depuis le début de sa missive : « Pour nous permettre aujourd’hui comme demain de décider pour nous-mêmes. » Un « nous » globalisant », qui inclut adroitement le « vous » (Nous, c’est Moi +Vous). 

Macron a d’ailleurs commencé sur ce registre complice : « Depuis cinq ans, nous avons traversé ensemble nombre d’épreuves. Terrorisme, pandémie, retour de la violence, guerre en Europe : rarement, la France avait été confrontée à une telle accumulation de crises. Nous avons fait face avec dignité et fraternité. »

Vous avez remarqué ? Isolez les mots importants : « Nous », « épreuves », « la France » (qui est le singulier collectif qui englobe le « nous ») et « fraternité » — le dernier mot de la devise républicaine, qui évoque en filigrane l’histoire du pays depuis 1789. Bien joué. Bien écrit.

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Mais la phrase suivante éclaircit ce « nous » : « Nous avons tenu bon sans jamais renoncer à agir. » Ce ne sont guère les Français, confinés ou bousculés depuis cinq ans, qui ont « agi », c’est le chef de l’Etat — c’est l’essence même de sa fonction. Ce « nous » rassembleur était-il au fond un « Nous » de majesté ? Nous, Emmanuel Macron, roi de France…

Approximations et mots curieusement absents

S’ensuivent un certain nombre de grosses approximations — je ne me permettrai pas de dire « mensonges » — sur les emplois créés par l’industrie (il reste donc une industrie en France ?) et les investissements réalisés  dans « nos hôpitaux et notre recherche » : et « nous » qui pensions qu’on avait fait tout ce foin à propos du Covid parce que les hôpitaux, dans lesquels on a taillé 100 000 lits ces dernières années, étaient exsangues et surchargés, le personnel hospitalier sous-payé, et la recherche française infichue de trouver un vaccin ! Mais on s’en fiche, tant qu’il y a un bouclier vaccinal américain, n’est-ce pas…

Quant à l’idée d’avoir « renforcé nos armées, recruté policiers, gendarmes, magistrats et enseignants, réduit notre dépendance aux énergies fossiles, et modernisé notre agriculture », c’est de la haute fiction. Tout comme la réduction du déficit — « avant la pandémie », précise quand même le rédacteur, parce que depuis, il a explosé, et il va bien falloir le régler dans les années à venir : le « quoi qu’il en coûte » a tiré un chèque en blanc sur l’avenir, et fait peser sur les cinq prochaines années un suspense gracieux mais déjà levé : le cochon de payant est prié de passer à la caisse. Classes moyennes, numérotez vos abattis.

Notre président, on le sait, est passé par les classes préparatoires, où l’on apprend à bâtir un raisonnement dialectique. Après le mirage du Plus, arrive forcément le Moins : « Nous n’avons pas tout réussi. » Un peu d’humilité (le mot apparaît en toutes lettres un peu plus bas) ne fera pas mal, s’est dit le rédacteur : « Il est des choix qu’avec l’expérience acquise auprès de vous je ferais sans doute différemment. » Peccavi, Pater optime, dit-on en introduction d’une confession. Les Gilets jaunes furent sans doute la conséquence d’un petit péché d’orgueil.

Mais immédiatement, un « mais » refait basculer le propos dans le bon sens, celui de l’optimisme : « Mais les transformations engagées durant ce mandat ont permis à nombre de nos compatriotes de vivre mieux, à la France de gagner en indépendance. Et les crises que nous traversons depuis deux ans montrent que c’est bien ce chemin qui doit être poursuivi. »

Il vaut mieux rester dans le vague quand on n’a pas d’argument précis, enseignent les maîtres de rhétorique. 

Autant mettre sur le dos de cette modernité si difficile à maîtriser tout ce qu’il a pu y avoir de négatif : « Nous connaissons des bouleversements d’une rapidité inouïe : menace sur nos démocraties, montée des inégalités, changement climatique, transition démographique, transformations technologiques. » Et autant prévenir : « Ne nous trompons pas : nous ne répondrons pas à ces défis en choisissant le repli ou en cultivant la nostalgie. » 

Et d’insister avec un jeu sur les mots et les sonorités particulièrement efficace : « L’enjeu est de bâtir la France de nos enfants, pas de ressasser la France de notre enfance. » Magnifique combinaison de « a » et de « f ». Et cette opposition « enfants » (le futur) et « enfance » — le passé. De la belle ouvrage !

C’est sans les nommer une pierre dans le jardin des candidats qui prétendent que « c’était mieux avant » et qu’il faut ré-instituer la blouse grise à l’école. Macron aurait-il senti que son principal rival sera Zemmour, qui est d’abord apparu aux Marcheurs comme un bon moyen d’empêcher Marine Le Pen de parvenir en bon état au second tour, mais qui commence à être une menace — et, en même temps, une espérance ultime : un second tour Macron / Zemmour rassemblera derrière le président-candidat tous les électeurs de gauche molle qui l’ont porté au pouvoir en 2017, et qui se sont bien juré de ne plus s’y faire prendre — comme le Corbeau de la fable.

Arrive enfin la déclaration de candidature proprement dite, préparée par cette longue introduction sur la dialectique du passé (eux) et l’avenir (moi) : « Je suis candidat pour continuer de préparer l’avenir de nos enfants et de nos petits-enfants. » 

Vous avez vu, ce renfort des « petits-enfants », alors qu’on ne nous parlait jusqu’ici que des rejetons immédiats ? Appel du pied aux retraités, dont la pension ne sera certainement pas rognée, qu’allez-vous imaginer…

S’étant posé comme candidat de l’avenir, Macron développe le thème, en évoquant le « futur ». Demain on rase gratis, et on sortira « de la dépendance au gaz, au pétrole et au charbon. »
Ce qui compte aussi dans un discours, ce sont les mots absents. « Énergie nucléaire », par exemple — dont le président a chanté les possibilités il y a peu. Mais là, ça ferait désordre, juste après le mot « écologie ». Ratissons large, prudemment.

Comme un culot d’enfer fait partie de la panoplie du candidat, le Grand Communiquant n’hésite pas à affirmer qu’il va « améliorer ce modèle social auquel nous tenons tant et qui a fait ses preuves. » À se demander qui a lancé cette réforme des retraites oubliée pour l’instant, mais toute prête à ressortir de sa boîte.

Un pays qui se sent mourir

Macron a bien senti, à l’inverse d’autres candidats, que c’est surtout sur le plan culturel que ça va se jouer, dans un pays qui se sent mourir. « Nous ferons en sorte que tous les enfants de France aient les mêmes chances, que la méritocratie républicaine redevienne une promesse pour chacun. Pour cela, la priorité sera donnée à l’école et à nos enseignants, qui seront plus libres, plus respectés et mieux rémunérés. »

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Comment disait Pasqua déjà ? Les promesses n’engagent que ceux qui y croient. D’où le couplet sur le « grand âge », qui porte l’écho du tout récent scandale des EHPAD, et l’adjonction d’un petit quelque chose pour les handicapés. Sans oublier la France périphérique, ces « déserts médicaux » où l’on galère pour trouver un médecin. Et la défense de notre « art de vivre millénaire, enraciné dans chaque région, chaque canton, chaque ville et chaque village que ce soit en métropole ou dans nos outre-mer. Une histoire, une langue, une culture que lorsque l’on est Français, on se doit de connaître, d’aimer, de partager. » Ça y est, chacun a eu son lot. C’est que derrière la présidentielle, il y a des législatives à gagner — et ce sera une autre paire de manches. Une cohabitation (fort possible) n’est pas son idéal de gouvernement. 

Remarquez que ces beaux projets d’avenir ne sont pas chiffrés, le rédacteur est trop habile pour faire catalogue. Valérie Pécresse, qui a cru bon dans son discours du Zénith de se lancer dans une longue litanie de projets, aurait dû chercher un rédacteur qui connaisse les règles essentielles de la communication. Pas Igor Mitrofanoff, cheval de retour du fillonisme — et si propre sur lui…

Valérie Pécresse à Paris, 13 février 2022 © Jacques Witt/SIPA Numéro de reportage : 01060914_000004

Retour du Je, présenté comme le témoin de la résilience française : « Tout au long de mon mandat, j’ai vu partout un esprit de résistance à toute épreuve, une volonté d’engagement remarquable, une inlassable envie de bâtir. » Un petit coup de projecteur sur les Français de l’étranger, et reprise du singulier collectif face au Je présidentiel : « En chaque lieu, j’ai perçu le désir de prendre part à cette belle et grande aventure collective qui s’appelle la France. »

C’est le coup de clairon avant l’épilogue. À ce « France » correspond, dans les dernières lignes, cet « ensemble ». Et la combinaison finale des pronoms : « Avec vous. Pour vous. Pour nous tous. »

Le « Je » s’efface dans ce pluriel commode. Franchement, c’est bien cousu — même si on aperçoit un peu trop les coutures. L’essentiel était de se démarquer des candidats (suivez mon regard) qui usent et abusent d’un Je omniprésent. Le président de la République, dont chacun sait qu’il n’a aucun Ego, chante pour finir la République et la France — afin de donner à sa lettre très écrite un petit côté oral. Je ne sais qui a été la plume de Macron sur ce coup, mais il mérite les félicitations du jury de Sciences-Po.

Quant aux applaudissements des Français, c’est peut-être autre chose.

Chevènement chez Macron: misère du souverainisme de gauche

Comme Jean-Pierre Raffarin, Jean-Pierre Chevènement a annoncé soutenir Emmanuel Macron


En 2002, alors lycéen, j’étais déjà persuadé que l’immigration était la grande affaire, l’unique sujet politique important. Le lénifiant discours des membres de la gauche dite plurielle me rendait fou. Quand, à la télé, j’entendais les journalistes moquer le « sentiment d’insécurité » éprouvés par les Français, j’avais envie de rentrer dans l’écran et de leur faire éprouver un sentiment de poing dans la gueule.

Je vous parle d’un temps où la mystique républicaine me faisait quelque chose

Du reste, en ce temps-là, j’étais républicain. Oh, pas celui qui parle de « valeurs » ; non, un vrai, genre 93. Je lisais les discours de Saint-Just, je me décrétai jacobin, je ne voyais rien de plus beau que la mort du général Marceau sur le Rhin. Dans le champ politique alors partagé entre le radical-socialiste Chirac, la gauche youpi-tralala et le Front national, un homme s’était soudainement imposé : Jean-Pierre Chevènement. J’aimai son franc-parler, sa stature, l’amour de la France qu’il revendiquait contre ceux de son camp, cette gauche qui assimilait la nation à Auschwitz et le peuple, à la consanguinité. Je n’avais pas encore lu Péguy mais c’était très précisément la « mystique républicaine » qui m’emballait. J’avais l’impression que Chevènement était en mission, qu’il avait compris qu’à force de les mépriser, de leur dire qu’elles ne vivaient pas ce qu’elles vivaient, les classes populaires finiraient par passer au Front national – en fait, ce processus était déjà presque achevé. Lors des négociations sur l’autonomie de la Corse, je collai en catimini, dans tout mon bahut, des feuilles A4 rappelant d’indivisibilité du territoire français. A l’approche de l’élection, je franchissais le pas : j’adhérai au Mouvement des citoyens (MDC).

À lire aussi, Olivier Jouis: De Chevènement en 2002 à Zemmour en 2022, itinéraire d’un souverainiste venu de l’autre rive

Tandis que Chevènement était présenté comme « le troisième homme » par les sondeurs, je me rendais souvent au local du MDC de X. J’y retrouvai une drôle d’équipe, composée de communistes et de socialistes en rupture de ban et retraités. Moi qui m’attendais à trouver des partisans d’une troisième voie, j’étais déçu. Quand j’évoquai la possibilité d’une union avec les figures de l’autre rive – Pasqua et Villiers –, je provoquai une consternation dont, deux décennies plus tard, je me souviens encore. J’ignore si ces gens pensaient sérieusement l’emporter en comptant sur leurs propres forces, très limitées ; sans doute que, pour la plupart des militants, un parti est d’abord une sorte d’amicale. Chevènement lui-même – et ce fut le moment décisif de sa campagne – refusa, non sans morgue, l’alliance que lui proposait le RPF. Au « sentiment d’insécurité », il ne répondait pas du tout. Or, fort logiquement, la campagne s’était cristallisée autour de ce thème. Mauvais tribun et débatteur, un tantinet lunaire, ringardisé par les médias, l’ancien ministre dégringola au fil des semaines. J’étais accablé. Je cherchai un nouveau Clemenceau ; je trouvai un nouveau Pompée. Le soir du premier tour, mes camarades pleuraient. D’autres camarades, ceux du lycée, étaient, eux, désespérés. Le « fascisme » risquait de vaincre ; les trains étaient déjà prêts qui emporteraient les Arabes et les Noirs vers la Pologne… La quinzaine anti-Le Pen était lancée. Nos professeurs nous demandèrent d’aller manifester à Y, la grande ville. Ce jour-là, moi, j’allai faire un foot. Par la suite, je n’ai plus milité.

Natacha Polony, Michel Onfray, le Printemps républicain, Causeur: c’est à peu près tout ce qu’il reste du chevènementisme

Les socialistes reprochèrent longtemps à Chevènement – et dans une moindre mesure à Taubira – d’avoir fait perdre le lymphatique Jospin. Même s’il répondit souvent que l’homme de Creil devait sa défaite à la nullité de sa campagne – il la devait surtout, en vérité, à un déni d’un réel dont, deux décennies plus tard, la gauche ne veut toujours pas entendre parler –, le coup porta. Le « Che » de Belfort se fit discret. Vers 2006, il doucha rapidement les espoirs de ceux qui l’encourageaient à se présenter à la primaire socialiste. Ensuite, il devint une conscience, celle de la gauche d’avant, d’avant Maastricht, intervenant de plus en plus sporadiquement pour dire, jamais trop fort, tout le mal qu’il pensait de l’Union européenne, des traités, de la désindustrialisation, de l’impérialisme américain. Plus personne, dans son camp, ne l’écoutait. Ses partisans, on les trouvait et on les trouve encore dans le champ intellectuel. Natacha Polony, Michel Onfray, le Printemps républicain, Causeur dans une large mesure : c’est à peu près tout ce qu’il reste du chevènementisme. Ce n’est pas rien, oh non, mais ça n’intéresse toujours pas la gauche, qui accepte Polony depuis qu’elle s’est bien radoucie, qui traite Onfray et Elisabeth Lévy de fascistes, et qui se moque du Printemps républicain, lequel a – on est bien obligé de le dire – trente ans de retard au moins. La gauche est partie et ne reviendra pas ; elle est désormais relativiste, vivrensembliste, multiculturaliste ; la République qu’elle continue d’invoquer est parfaitement désincarnée, peuplée seulement de « valeurs » ; elle préfère que les autres crèvent pour l’Autre plutôt que d’admettre un lien, même ténu, entre immigration et délinquance, islam et islamisme. La gauche, doublée sur sa gauche par un wokisme qu’elle finira par faire sien, promeut les « mamans » lesbiennes qui vont louer des ventres en Inde ou en Ukraine au nom du délirant « droit à l’enfant », elle fait voter la monstrueuse IMG, elle soutient les « hijabeuses » au nom de l’« inclusion » et les garçonnets de huit ans qui veulent devenir des filles au nom d’un « genre » fantasmatique. Elle est le porte-parole du fanatique mouvement de déconstruction qui, sis sur les universités, les milieux économiques et l’industrie culturelle, vise à détruire – et détruit effectivement – les nations occidentales, les peuples occidentaux et, plus grave encore, infiniment plus grave, la conception occidental de l’être. Audibles, les chevènementistes susnommés le sont, certes. Mais auprès de qui ? C’est surtout à droite qu’on les écoute. Leur gauche est morte et enterrée depuis longtemps.

À lire aussi, du même auteur: Où va le populisme?

L’espoir est taquin : durant le mouvement des Gilets jaunes, j’ai cru un instant qu’il était encore possible d’unir les souverainistes des deux camps. Présent dix samedis sur les Champs, je vis, à côté des drapeaux de nos vieilles provinces, se dresser celui de l’an II. Main dans la main, Bonchamps et Kléber allaient prendre l’Elysée et y attraper l’homme de Davos. Hélas, très vite, les frictions se multiplièrent. Moi qui parlai à tous, je constatai que si, pour les patriotes – très majoritaires dans les rangs –, une alliance était envisageable, pour les vieux républicains, en revanche, elle était impensable – « J’manifeste pas avec des fachos ! ». Les deux camps poursuivaient certes le même but, mais pas pour les mêmes raisons. Les « fachos » voulaient continuer l’histoire de France ; les vieux républicains voulaient en recommencer une autre. Et le désaccord le plus flagrant – et qui rend en effet impossible l’union des deux souverainismes –, c’était l’immigration – seuls BFM et ceux qui ne battaient pas le pavé ignorent que parmi les principales revendications des manifestants, il y avait le refus du Pacte du Marrakech. Depuis une dizaine d’années, Chevènement pantouflait médiocrement, profitant goulûment de cette République qu’il prétendait autrefois relever. Récemment, il s’était distingué dans un débat avec Eric Zemmour, manifestant une hostilité digne d’un militant d’SOS Racisme. Son ralliement à Macron n’est que le dernier de ses reniements. Face à « la menace populiste », c’est-à-dire au réveil des peuples européens refusant de disparaître, il se fait, comme tout bon homme de gauche, castor. La grande affaire, l’unique sujet important, c’est, aujourd’hui plus encore qu’hier, l’immigration, et donc l’identité. De sorte que l’on peut se demander si le souverainisme de gauche n’est pas, tout simplement, un oxymore.

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Ne laissons pas M. Macron totalement fuir le débat national!

Bien que l’unité nationale soit de rigueur en ces temps troublés, on ne peut s’empêcher de constater que la guerre en Ukraine tombe à pic pour le président Macron, bientôt candidat à sa réélection. Son engagement nécessaire et légitime sur la scène internationale, en vue d’obtenir un cessez-le-feu, lui donnera une bonne raison, et excuse, pour ne pas répondre, ni débattre, avec ceux qui critiquent le bilan de son quinquennat…


Le 2 mars, le président de la République est intervenu durant une quinzaine de minutes. J’ai analysé à chaud sur Sud Radio son discours comme étant remarquable et consensuel dans sa première partie mais roué, habile et discutable dans la seconde. Tout en n’annonçant pas explicitement sa candidature – ce sera fait le 4 mars par une lettre aux Français publiée dans la presse quotidienne régionale -, Emmanuel Macron a largement développé les axes de son argumentation de campagne à venir.

Consensuel évidemment, d’abord, dans la dénonciation de la culpabilité exclusive de Poutine pour l’invasion de l’Ukraine et les terrifiants désastres en résultant, morts, blessés, civils atteints, destructions. Pour l’hommage rendu au peuple ukrainien et à son président, incroyable de résistance et de lucidité, pour la volonté de la France de participer à l’accueil des réfugiés, et pour favoriser la fermeté européenne. Rien qui puisse, sur ce plan, altérer l’union nationale qui, naturelle ou contrainte pour quelques autres, s’est créée autour de l’action du président, qui malgré une naïveté initiale s’est mis à la hauteur de ces événements bouleversants dans tous les sens.

Double regret

On me permettra, avant d’aborder la part plus politicienne de l’allocution du président, de formuler un double regret.

Fallait-il attendre la démonstration accablante des mensonges de Poutine sur l’invasion de l’Ukraine pour se persuader que, bien avant déjà, cette personnalité menait un jeu diplomatique singulier ? Épris du seul rapport de force et méprisant la faiblesse des Occidentaux qui croyaient l’amadouer en le courtisant ; alors qu’il aurait seulement respecté qui lui aurait tenu la dragée haute. Aussi, si le président Macron a raison quand il souligne l’obligation de poursuivre le dialogue avec Poutine, j’espère que la leçon aura porté ses fruits: les entretiens ne seront efficaces que si les interlocuteurs de Poutine ne le contredisent plus de manière classique mais avec une fermeté qui lui montreront que les temps ont changé et que l’illusion sur lui s’est dissipée.

A lire aussi, du même auteur: Poutine face à nos douceurs diplomatiques

Le projet européen évoqué par Emmanuel Macron – c’est mon second regret – qui consiste à pourvoir l’Europe de tout ce qui lui a manqué et dont la tragique absence a été à déplorer bien avant cette guerre n’arrive-t-il pas, sinon trop tard, du moins comme une sorte de rattrapage ? On aurait souhaité qu’il n’ait pas été nécessaire parce que la politique de la France l’aurait rendu inutile par une anticipation plus lucide.

Un président protecteur

Le président de la République, s’il ne s’est pas encore déclaré officiellement candidat, nous a indiqué toutefois de manière limpide les axes de sa campagne, auxquels il conviendra de répliquer principalement en ne lui permettant pas de se servir de la situation internationale et du futur européen pour fuir le débat national.

Parce qu’il est clair que son propos sombre sur l’avenir de notre monde, et sur le destin européen, n’a visé qu’à instiller dans les têtes que lui seul, protecteur, tutélaire, lucide, expérimenté, pourrait être la personnalité adéquate pour cette immense tâche. Que lui seul pourrait prévenir les dangers. Relever les défis. Favoriser les réussites.

Après cet exercice d’autosatisfaction subtil mais sans équivoque, ses contradicteurs, demain, n’auront pas d’autre choix que de le ramener à plus de modestie, de le contraindre à quitter la poésie des horizons pour la prose de la France en état de malaise sur trop de plans pour être ainsi reléguée. À la fin de son intervention, il s’est dévoilé. Tout en assurant que le débat démocratique aurait lieu, il s’est dit persuadé qu’on s’accorderait sur « l’essentiel », ce qui était signifier que l’accessoire concernait les controverses franco-françaises qui aujourd’hui, selon le candidat Macron, pèsent peu face au bruit et à la fureur de monde… Il faut sauver la campagne : la France l’attend, l’espère, la mérite. Trop de silences et de frustrations pour qu’elle ne soit pas enfin la démocratique opportunité de “libérer la parole” !

Michel Houellebecq, vers la douceur

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Michel Houellebecq dans Thalasso (2019), de Guillaume Nicloux © Les Films du Worso/Collection Christophe via AFP

Le nouveau roman de Michel Houellebecq, anéantir, a dérouté nombre de critiques qui s’obstinent à tenter de le démasquer derrière ses personnages et à lui faire dire ce qu’il ne dit pas. Houellebecq est un immense écrivain et ses livres sont de purs objets littéraires. Et anéantir est avant tout un roman d’amour.


Il y a deux erreurs communément commises quand on lit Houellebecq. La première, et l’auteur n’y est pas pour rien, est que la construction de sa légende l’a transformé en objet plus médiatique que littéraire, à coups d’entretiens provocateurs et de déclarations sarcastiques. À gauche, on traque ainsi le dérapage raciste, misogyne ou islamophobe. À droite, Houellebecq est enrôlé dans le bataillon néoréac et devient le critique de la modernité et du déclin de l’Occident. Que ses livres en général et le dernier en particulier, anéantir, évoquent cette perspective de manière obsessionnelle est une évidence. Que Houellebecq déplore ce déclin est une autre histoire, plus ambiguë… La jouissance narrative avec laquelle il met en scène une série d’attentats aussi spectaculaires que mystérieux, où la magie noire se mêle au radicalisme écologique, peut en effet interroger sur le peu de tendresse que Houellebecq entretient avec la civilisation marchande.

La seconde erreur, qui découle de la première, est de confondre l’auteur et le narrateur ou encore l’auteur et ses personnages. C’est avec ce genre de vision de la littérature que l’on a renvoyé Flaubert et Baudelaire en correctionnelle pour obscénité alors que ce n’était pas eux qui étaient obscènes, mais la réalité elle-même.

Houellebecq, un écrivain souvent instrumentalisé mais rarement compris

C’est ainsi que sont nés des contresens spectaculaires sur son œuvre, notamment avec Soumission où il décrivait en 2015 la France de 2022 élisant un président islamiste modéré. Il n’était pas là le dénonciateur d’on ne sait quel grand remplacement. Il racontait plutôt comment son personnage, un universitaire, se satisfaisait de cette situation qui assurait un confort moral et sexuel au mâle blanc fatigué.

A lire aussi : Cabale anti-Houellebecq : la possibilité d’une soumission

Il faut prendre ses romans pour ce qu’ils sont, de purs objets littéraires. On constatera ainsi que le personnage houellebecquien a d’abord fait le constat fondateur dans Extension du domaine de la lutte que la possibilité d’avoir une sexualité heureuse était devenue dépendante de notre place dans les rapports de production. Ensuite, ce personnage a cherché à fuir « l’inconvénient d’être né », comme aurait dit Cioran, et donc, logiquement, d’avoir à mourir un jour. Il l’a fui par le tourisme sexuel dans Plateforme ou par le transhumanisme dans Les Particules élémentaires ou La Possibilité d’une île.

Un roman d’amour où la politique et l’actualité sont toujours présents

Dans anéantir, c’est par l’amour que le personnage principal, Paul Raison, un énarque conseiller du ministre de l’Économie, trouve enfin la solution et transforme son nihilisme en une merveilleuse rédemption automnale, une ultime promenade en forêt de Compiègne d’un homme et d’une femme qui se sont aimés puis ont vécu côte à côte comme des étrangers avant de se retrouver, alors que la mort de l’un des deux est devenue inévitable.

C’est pour cela qu’anéantir a désorienté la critique. Ce livre est un roman d’amour et sur l’amour : sur son usure, sa résurrection, son caractère indispensable dans ce monde de 2027, où en pleine campagne présidentielle, des hackers préparent l’apocalypse. Houellebecq réussit le portrait parfait d’un homme d’État, Bruno Juge, aussi dévoué à la cause publique que dénué d’illusion sur le pouvoir réel du politique. Bruno Juge pratique avec un relatif succès une politique protectionniste mais a bien conscience qu’il ne s’agit que de manœuvres de retardement.

En réalité, anéantir est un roman balzacien. Tous les milieux sociaux y sont explorés. Le monde politique, celui de la police, des médias, du système de santé… Toutes les classes sociales y sont représentées, notamment au travers de la famille de Paul Raison : intellos parisiens, bourgeoisie de province ou classe moyenne en équilibre sur le mur étroit qui sépare les inclus des exclus.

A lire aussi : Il raconte quoi, le nouveau Houellebecq?

Balzacien, Houellebecq l’est aussi dans sa manière de ne pas hésiter à entrecouper sa narration de digressions didactiques, techniques ou ironiques sur le nom d’une rue, l’aménagement urbain du nouveau quartier de Bercy, les nombres premiers ou l’évolution des statuts des personnes âgées, on en passe et des meilleures. C’est souvent brillant et drôle, parfois aimablement ennuyeux, comme chez Balzac d’ailleurs. Dans anéantir, un personnage affirme que l’auteur de La Comédie humaine a exploré toutes les passions humaines, « sauf l’amour maternel ». Et Le Lys dans la vallée, alors ?

Un écrivain apaisé

Mais ce léger reproche ne doit pas faire oublier que Houellebecq est un remarquable conteur, nourri au lait des mauvais genres – son premier livre était une monographie sur Lovecraft : fantastique, SF, roman policier. Il a un art certain pour explorer le futur proche qui rappelle celui de J. G. Ballard, l’auteur anglais mort en 2009 qui disait : « J’écris avec un quart d’heure d’avance. » Son quart d’heure d’avance, Houellebecq l’emploie à peindre, avec des dons de paysagiste qu’on ne lui connaissait pas, la lumière jaune du Beaujolais comme à pointer le retour du religieux dans la société, non pas tant par le biais de l’islam qui n’est plus un thème central, que par des cultes new age qui touchent l’élite de la société : la femme de Paul Raison est adepte du wicanisme, une religion néodruidique tandis que sa sœur affiche une foi catholique toute franciscaine. Houellebecq résume, à la moitié du roman, la philosophie de Paul Raison qui est typique de la vision du monde de l’écrivain : « Il avait toujours envisagé le monde comme un endroit où il n’aurait pas dû être, mais qu’il n’était pas pressé de quitter simplement parce qu’il n’en connaissait pas d’autres. » C’est que l’écrivain n’a de cesse, très subtilement, de démontrer le contraire tout au long du livre.

anéantir, dont le titre paraît décidément bien paradoxal, a ainsi transformé l’écrivain des néons froids en un contemplatif presque apaisé qui ne trouve rien de plus beau que le bruit du vent dans les arbres. Mais cette transformation ne surprendra que ceux qui n’ont pas su voir, dans tous les livres de Michel Houellebecq, cette recherche implicite et désespérée d’un endroit où aller, et d’une femme à aimer.

Michel Houellebecq, Anéantir, Flammarion, 2022.

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Buvons du vin et du champagne, c’est bon pour la France

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Salon des vignerons à Rennes, janvier 2020 © GILE Michel/SIPA

Alors que notre pays affiche le pire déficit commercial de son histoire en 2021, les vins et spiritueux ont représenté plus de 15 milliards d’euros dans cette balance commerciale. Un record historique !


Entrons un peu dans les chiffres : le déficit commercial catastrophique de la France – la différence entre les importations et les exportations – s’est établi pour l’année 2021 à 84,7 milliards d’euros selon les douanes, un niveau record qui tombe évidemment très mal. C’est ainsi que nous importons beaucoup trop de produits énergétiques par rapport à nos ventes : dans ce seul domaine nous avons en 2021 un déficit de 43 milliards d’euros, en progression de 20 milliards sur un an. Le secteur automobile est également très touché avec un solde de – 18 milliards. De plus, selon le magazine économique Capital : « Les marchandises essentielles pour lutter contre le Covid-19 (masques, gants, respirateurs, etc.) ont sérieusement grevé la balance commerciale française […] Les importations de ces produits essentiels ont bondi de 58,4 % en France par rapport à 2019, pour s’établir à 19,6 milliards d’euros. »

L’aérien a également basculé dans le déficit, tout comme les produits informatiques, électroniques et optiques avec 20,6 milliards d’euros de déficit en 2021. En face, côté positif, nous disposons heureusement de quelques bastions qui ont bien résisté comme le secteur aéronautique et spatial avec un excédent commercial de 19,7 milliards d’euros et tout ce qui est lié aux produits de beauté dans la catégorie « chimie, parfums et cosmétiques » avec + 15,2 milliards en 2021. 

La grande inquiétude des vignerons indépendants

Nous avons enfin un secteur en pleine forme, celui des vins et spiritueux, qui a pesé dans nos exportations à la hauteur de 15,5 milliards d’euros en 2021 contre 12 milliards en 2020 et 14 en 2019. Il s’agit là d’un record historique selon la Fédération des exportateurs de vins et spiritueux (FEVS). Les meilleures progressions : le champagne avec + 42 % et le cognac avec + 32 %. Les États-Unis restent le premier débouché des vins et spiritueux français avec 26,4 % en valeur et une augmentation de 34 % des exportations sur l’année 2021, notamment grâce à la suppression par le président Biden de certaines surtaxes douanières imposées par Donald Trump. 

Les vignerons indépendants, qui représentent 58 % de la production française et 60 % des surfaces viticoles, ont profité du Salon de l’Agriculture pour mettre en avant leurs 700 000 emplois non délocalisables, premier employeur de France au cœur des territoires, hors administration. Ils ont aussi déclenché une opération d’affichage national sur 6 500 panneaux pendant la période de la campagne présidentielle, sur le thème : « Qui mettra les vins d’artisans au programme ? » En réalité, ils s’inquiètent de la désagrégation lente de la culture du vin dans notre pays, culture qui imprègne pourtant notre histoire depuis plusieurs millénaires, s’inscrivant dans notre ADN même. 

Soyons reconnaissants à tous ces vignerons de porter haut les couleurs de la France dans le monde économique et dans les statistiques du commerce extérieur. 

Buvons leurs vins et leurs champagnes : ils apportent un vrai soutien à notre économie qui va en avoir de plus en plus besoin !

Contre le wokisme, les outils de la reconquête

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L'université Lumière-Lyon 2, au cœur des débats sur la place de la pensée indigéniste, racialiste et décoloniale à l'Université, 11 avril 2018 © KONRAD K./SIPA

Les 7 et 8 janvier, un colloque organisé conjointement par l’Observatoire du décolonialisme, le Collège de philosophie et le Comité Laïcité République s’est déroulé à la Sorbonne. Son titre « Après la déconstruction : reconstruire les sciences et la culture ». Anne-Marie Le Pourhiet [1] a pointé les dérives coupables de l’université et des académies. Nous publions son intervention.


Les outils juridiques d’une « reconstruction » scientifique existent déjà. Il convient seulement d’appliquer effectivement les règles qui régissent le service public de l’enseignement supérieur et encadrent la liberté académique, aujourd’hui bafouées dans plusieurs disciplines. Mais il faut aussi que les pouvoirs publics cessent leur double jeu en s’abstenant de prescrire, encourager, promouvoir et financer les dérives constatées dans le monde académique.

La liberté académique: une notion juridique définie et encadrée

Examinant, en 1984, la « loi Savary » relative à l’enseignement supérieur, le Conseil constitutionnel a déduit du préambule de la Constitution un principe d’indépendance des universitaires, garanti par un statut qui peut limiter la liberté d’expression « dans la seule mesure des exigences du service public ». Les dispositions de cette loi ont été reprises dans le Code de l’éducation : « Le service public de l’enseignement supérieur est laïque et indépendant de toute emprise politique, économique, religieuse ou idéologique ; il tend à l’objectivité du savoir ; il respecte la diversité des opinions. » (Article L141-6.) « Les enseignants-chercheurs jouissent d’une pleine indépendance et d’une entière liberté d’expression dans l’exercice de leurs fonctions d’enseignement et dans leurs activités de recherche, sous les réserves que leur imposent, conformément aux traditions universitaires, les principes de tolérance et d’objectivité. » (Article L952-2.) C’est donc parfaitement clair : l’objectivité est le principe cardinal de l’activité scientifique.

Anne-Marie Le Pourhiet © BALTEL/SIPA / 00636954_000033

Le Conseil de l’Europe a adopté en 2006 une recommandation relative à la liberté académique, qui reprend les principes de la Magna Carta Universitatum adoptée à Bologne en 1988 et affirme que la liberté académique doit garantir la liberté de rechercher et de diffuser sans restriction le savoir et la vérité.

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Citons enfin la recommandation de l’Unesco concernant « la condition du personnel enseignant de l’enseignement supérieur », adoptée en 1997. Se déclarant « préoccupée par la vulnérabilité de la communauté universitaire à l’égard des pressions politiques indésirables qui pourraient porter atteinte aux libertés académiques », l’Unesco affirme que les universités « sont des communautés d’érudits qui ont pour mission de préserver et de diffuser le savoir traditionnel et la culture, d’exprimer librement leur opinion à ce sujet et de poursuivre leur quête de la connaissance sans être entravés par des impératifs doctrinaires ». Elle ajoute qu’enseigner dans le supérieur est une « profession » dont les membres assurent un « service public » qui exige des enseignants « le respect de normes professionnelles rigoureuses dans l’étude et la recherche ». Les États membres ont le devoir de protéger l’autonomie des établissements « contre toute menace, d’où qu’elle vienne ». Il est précisé que l’exercice de ces droits « s’accompagne de devoirs et responsabilités spécifiques, y compris l’obligation de respecter les libertés académiques des autres membres de la communauté universitaire et d’accepter la confrontation loyale des différents points de vue ».

Les libertés académiques, conclut la recommandation, s’accompagnent de l’obligation faite à tout chercheur de « fonder son travail sur la quête sincère de la vérité » dans le respect des « normes éthiques et professionnelles, en particulier le principe de la preuve, de l’impartialité du raisonnement et de l’honnêteté du compte rendu ».

La liberté académique, une arme aux mains de militants politiques

Il résulte donc clairement de tout ce corpus normatif que la liberté académique est une liberté professionnelle, reconnue à une communauté de savants au service d’une fin. Cependant, la liberté des universitaires ne consiste pas à pouvoir écrire, publier et enseigner n’importe quoi, et leurs obligations sont au moins aussi importantes que leurs droits. Récuser la notion même d’objectivité, utiliser des postulats erronés, ériger des contre-vérités en dogmes, escamoter la vérification, trouver avant d’avoir commencé à chercher, se dispenser de cohérence logique et de rationalité, s’exonérer de procédures de validation, tordre les raisonnements, tricher dans le recensement des sources, soumettre la recherche à des impératifs doctrinaires, falsifier les résultats, affirmer sans démontrer, faire taire sous menaces la critique et la contradiction… tout cela ne peut tenir lieu de science et prétendre à la protection de la liberté académique.

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Or, force est de reconnaître que les instances d’évaluation, de qualification, de recrutement ou de promotion ne sont pas à la hauteur de leur mission et font preuve d’un laxisme coupable devant des thèses, travaux, colloques et publications d’une nullité scientifique flagrante voire d’une malhonnêteté intellectuelle grossière allant jusqu’à remettre ouvertement en cause le principe d’objectivité pour revendiquer le primat de divagations subjectives.

Le propre des « études » identitaires est de récuser les notions mêmes d’objectivité et de rationalité, considérées comme relevant de l’appareil normatif occidentalo-centriste mâle et blanc, de telle sorte que les minorités racisées seraient dispensées du respect de ces principes dominants étrangers à leurs références culturelles. Cette revendication d’exception qui conduit directement à s’affranchir de règles universelles n’est évidemment pas acceptable.

Une absence totale de contrôle

Le contrôle et l’évaluation de la qualité de la recherche et de l’enseignement doivent être exercés en interne par les instances de sélection et qualification, mais aussi par le Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur. Mais l’enseignement supérieur ne saurait non plus se soustraire au contrôle prévu par la Constitution, qui confie au Parlement la mission d’évaluer les politiques publiques, sans aucune exception, avec l’aide de la Cour des comptes, qui aurait beaucoup à dire sur la gestion de l’Université française.

Le problème, évidemment, c’est que le contrôle de qualité interne ne fonctionne pas, notamment dans les unités de sciences sociales. Un doctorant qui prépare une thèse bidon sur, par exemple, « Le privilège blanc dans les cosmétiques » ou « La territorialisation des lesbiennes dans le bassin d’Arcachon », a un directeur de recherche qui va approuver son travail, réunira un jury composé de compères militants qui lui décerneront un doctorat avec lequel il obtiendra ensuite la qualification de la section compétente du CNU, elle-même composée de collègues complaisants. Et c’est ainsi que l’heureux élu ira ensuite grossir les rangs d’une équipe d’enseignants-chercheurs. Le clonage reproductif marche très bien dans ce type d’études où la médiocrité scientifique est indéfiniment renouvelable.

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Mais les pouvoirs publics ne pêchent pas seulement par abstention, ils ont une responsabilité active directe dans la situation observée.

Le cerveau des étudiants est un vaste enjeu

Il ne s’agit pas de censurer ou sanctionner pénalement ou disciplinairement des universitaires « déviants », mais de défendre la qualité de la science française en arrêtant de promouvoir, relayer, encourager et financer généreusement de la fake science, des études et des « concepts » liberticides, fondamentalement « illibéraux », qui sont autant de germes de totalitarisme. Ce qui passe d’abord par un changement de « parole » politique dans les institutions européennes, nationales et locales, mais aussi par une désolidarisation des autorités publiques avec un discours, des procédés et des méthodes démocratiquement et scientifiquement inacceptables.

Le législateur contemporain et les ministères concernés multiplient, en effet, le double langage et les injonctions contradictoires. L’État lui-même a une fâcheuse tendance à porter atteinte au principe de neutralité idéologique et d’objectivité scientifique en laissant des revendications communautaires et militantes issues de la « société civile » se répandre tout à la fois dans les programmes, les manuels et les interventions en milieu scolaire, ainsi que dans la recherche universitaire. Le cerveau des étudiants et des élèves est devenu un enjeu militant, encouragé, voire institué par l’État qui met ainsi la puissance publique au service d’intérêts catégoriels.

Aux côtés des affirmations de principe du Code de l’éducation sur les libertés académiques et la nécessaire objectivité, des lois « bavardes », comme les dénonçait Pierre Mazeaud en son temps et que le Conseil constitutionnel a censurées en 2005 dans sa décision sur la loi Fillon, ont rajouté des dispositions filandreuses répondant à des revendications de clientèles militantes.

Ainsi est-il désormais écrit dans le Code que l’enseignement supérieur contribue à la « construction d’une société inclusive » et à la « sensibilisation et à la formation aux enjeux de la transition écologique et du développement durable », ou encore qu’il « mène une action contre les stéréotypes sexués, tant dans les enseignements que dans les différents aspects de la vie de la communauté éducative ». Littéralement, chaque universitaire est donc invité par le législateur à « mener des actions » militantes dans ses cours. Ce type de phraséologie est-il vraiment compatible avec les principes précédemment rappelés ?

De la même façon, c’est le législateur lui-même qui a prescrit, dans l’article 2 de la loi dite « Taubira » du 21 mai 2001, que « les programmes scolaires et les programmes de recherche en histoire et en sciences humaines accorderont à la traite négrière et à l’esclavage la place conséquente qu’ils méritent » ou qui avait encore écrit dans l’article 4 de la loi du 23 février 2005, plus tard abrogé, que « les programmes de recherche universitaire accordent à l’histoire de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, la place qu’elle mérite ». Lesdits programmes devaient reconnaître en particulier « le rôle positif » de la colonisation. L’accumulation de ces lois liberticides a fini par déclencher des pétitions d’historiens et de juristes universitaires et même quelques censures du Conseil constitutionnel.

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Absurdistan

Mais au nom des politiques de diversité et d’égalité des sexes, les instances européennes et nationales ont depuis fait déferler sur l’Université un cheval de Troie militant intersectionnel parfaitement orwellien. Les boîtes mail des universitaires français sont en permanence inondées d’annonces, d’informations, de recommandations, prescriptions et injonctions issues des services centraux de leur université relayant eux-mêmes des directives européennes et des documents ministériels.

Les directeurs d’équipes de recherche ont, par exemple, récemment été sommés de désigner un « référent égalité » pour « promouvoir l’égalité des chances entre les femmes et les hommes, communiquer sur les actions mises en place et les campagnes de sensibilisation et de prévention contre les stéréotypes et les discriminations, faire partie d’un réseau régional, bénéficier de formations dédiées, identifier des actions à proposer ». Chaque laboratoire est donc invité à désigner une enseignante-chercheuse faisant office de « commissaire à la genritude », sorte de kapo dont on devine qu’elle aura notamment à dénoncer à la présidence de leur université tout geste « inapproprié » d’un professeur à l’égard d’une doctorante. Mais la réglementation universitaire nous propose également, et même impose à ceux qui exercent des responsabilités particulières, de suivre des stages d’éducation à l’égalité de genre, notamment dispensés par l’incontournable société EGAE, officine prospère de Mme Caroline De Haas, qui semble rafler tous les marchés publics de rééducation.

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Le monde universitaire est ainsi mis en coupe réglée, exactement sur le modèle de la révolution culturelle chinoise. Et voilà comment La Tache de Philippe Roth et Soumission de Houellebecq ne sont plus des romans, mais des réalités françaises.

Bien entendu, tous ces courriers, annonces et autres communications sont rédigés en écriture dite « inclusive » sous le nez d’une tutelle qui non seulement ne réagit pas, mais en réalité recommande, encourage et finance tout cela dans un « en même temps » qui n’échappe à personne. Face à cette duplicité des pouvoirs publics, j’avoue n’être guère optimiste sur la possible amélioration de la qualité de la science française.

Sans doute ce colloque est-il l’expression d’une résistance réjouissante et bienvenue, mais c’est un travail de titan qu’il nous faudrait mener pour effectuer la critique raisonnée de chaque thèse, chaque article et publication de l’absurdistan, et c’est évidemment épuisant.


[1] Professeur de droit public à l’université Rennes-I et vice-présidente de l’Association française de droit constitutionnel.

Accepteriez-vous une famille ukrainienne chez vous?

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Une famille ukrainienne à la gare de Przemyśl en Pologne le 3 mars 2022 © Dominika Zarzycka/Sipa USA/SIPA

Une touchante unanimité caractérise les Français à l’égard des Ukrainiens confrontés à l’invasion russe: il faut les accueillir en Europe. Familles fuyant la guerre, réfugiés politiques ou migrants économiques : la crise ukrainienne ouvre la voie à une réflexion salutaire sur les mouvements migratoires et la solidarité qui en découle, selon Yves Mamou. Analyses.


Depuis le début de l’offensive russe, un million d’Ukrainiens ont déjà fui leur pays. Selon les scenarii, leur nombre pourrait atteindre entre cinq et sept millions. La Pologne, la Slovaquie, la Hongrie et la Roumanie, pays membres de l’Union Européenne, accueillent les réfugiés en provenance d’Ukraine sans aucune hésitation. Ces Etats que la Commission européenne a tenté de faire passer pour racistes et xénophobes parce qu’ils refusent de s’ouvrir à des populations en provenance d’Afrique et du Moyen-Orient, font preuve envers leurs voisins ukrainiens d’une attitude authentiquement solidaire.

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Cette différence d’attitude oblige à une réflexion sur l’accueil des réfugiés. La crise migratoire ukrainienne est-elle similaire à la crise migratoire de 2015 qui a vu plus d’un million de personnes originaires d’Asie, d’Afrique et du Moyen Orient affluer vers l’Europe ?

Un flot de réfugiés composé essentiellement de femmes et d’enfants

A l’évidence, la situation ukrainienne présente des particularités. Les Ukrainiens qui tentent de fuir la guerre et son cortège de morts et de destructions ne peuvent fuir en direction de la Russie ou de la Biélorussie qui leur font la guerre. Ils n’ont pas d’autre option que de franchir les frontières de l’UE (ou de la Moldavie). Rappelons que l’Afghanistan, l’Irak ou la Syrie qui continuent de fournir de gros contingents de réfugiés, n’ont aucune frontière avec l’UE.

Sur les réseaux sociaux, nombreux ont été ceux qui ont noté que le flot des réfugiés ukrainiens est essentiellement composé de femmes et d’enfants, les hommes ayant une interdiction de quitter leur pays pour cause de mobilisation. De nombreux médias ont aussi fait état d’Ukrainiens résidant dans l’UE (principalement en Pologne, où ils sont 500 000[1]) qui rejoignent leur pays pour le défendre.

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Si l’on compare avec la grande vague migratoire de 2015, les différences sont édifiantes : en 2015, les Syriens demandeurs d’asile dans l’UE (255 000) ont été presque trois fois plus nombreux que les femmes (104 000) ; pour les Afghans, l’écart a été encore plus flagrant : 141 000 hommes pour 34 000 femmes ; les hommes Irakiens (90 000) ont été eux aussi trois fois plus nombreux que les femmes (30.000). Et en 2014, (année consécutive à l’intervention militaire française au Mali contre les  djihadistes) les demandeurs d’asile maliens ont représenté 12 000 hommes pour… 600 femmes (!)

Migrants économiques

Les mouvements migratoires originaires d’Afrique et du Moyen-Orient sont donc constitués d’hommes jeunes qui exploitent souvent – il faut le reconnaître – un droit d’asile totalement dévoyé. Il s’agit bien souvent de migrants économiques, qui n’ont jamais eu l’intention de rester chez eux pour contribuer au développement de leurs pays, et qui, à la moindre occasion, fuient ce dernier pour se mettre en mouvement vers des terres économiquement plus prospères. Quand Kaboul est tombée aux mains des Talibans, les jeunes Afghans déjà réfugiés en Europe et amoureux de la démocratie ne se sont pas rués en direction de Kaboul pour reprendre leur capitale, les armes à la main…

Ces populations profitent de deux choses :
– notre absence de fermeté politique d’une part, qui leur permet de franchir aisément les frontières (ou du moins ce qu’il en reste),
– et d’autre part du discours de ceux qui font profession de présenter le premier migrant économique venu en réfugié politique persécuté, à qui il faut absolument accorder l’asile.

Les faux demandeurs d’asile

Une législation internationale finement pensée devrait  permettre d’affirmer qu’à partir du moment où les Afghans – pour ne citer qu’eux – ont quitté le Pakistan, la Turquie, ou l’Iran pour se mettre en marche vers l’Europe, ils ont cessé d’être des « réfugiés » pour devenir des migrants économiques. Des bonnes âmes tenteront d’imposer l’idée qu’ils aspiraient au cadre apaisant d’un régime démocratique, mais les réalistes savent qu’ils sont d’abord à la recherche d’opportunités économiques (démarche compréhensible, mais qui ne relève pas de l’asile), et les cyniques feront valoir que le panel de prestations sociales offert dans les pays d’Europe constitue un appel d’air puissant, en particulier pour ceux qui ne sont pas employables.

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L’attitude des responsables politiques français à l’égard des réfugiés ukrainiens a été  – à l’exception notable d’Éric Zemmour – d’une touchante unanimité. Pas un leader politique qui n’ait réclamé, voire exigé leur accueil dans l’hexagone, la France devant « prendre sa part » de ce fardeau de solidarité. Exigence assez inutile en fait, car la plupart des Ukrainiens aspirent vraisemblablement à retourner dans leur pays et voudront probablement, tant que durera la guerre, rester proches de ceux qui y combattent. En attendant, la Pologne est prête à leur ouvrir les bras et aucune réticence ne pénalise ces réfugiés avec lesquels les Polonais partagent une histoire commune. En effet, n’oublions pas que la partie ouest de l’Ukraine et la Pologne ont été unies au XVIIème siècle au sein d’une même entité politique.

La Pologne serait-elle en mesure d’accueillir les cinq à sept millions de réfugiés ukrainiens évoqués plus haut ? Probablement pas.  La question de la répartition de cette nouvelle vague de réfugiés dans les Etats membres de l’UE se posera rapidement si la guerre est longue. L’Allemagne, qui a toujours un important besoin de main d’œuvre, se portera très probablement volontaire. En France, les Ukrainiens auraient certes un effort d’adaptation à produire, mais ils sont chrétiens et le choc culturel qu’ils créeraient serait moindre qu’avec les Africains ou les Maghrébins, presque tous musulmans. Par ailleurs, on peut considérer qu’Eric Zemmour a fait preuve d’un certain courage politique (non dénué de maladresse en termes de communication) en ne cédant pas à la démagogie ambiante de la solidarité à tout prix. Le leader de « Reconquête ! » a déclaré « préférer » que les Ukrainiens qui ont trouvé refuge dans l’UE restent « en Pologne »,  « la France [étant] déjà submergée par l’immigration ». Mieux vaut aider la Pologne à gérer les réfugiés plutôt que de transférer ces réfugiés en France a-t-il ensuite précisé.

Repenser l’asile

La crise ukrainienne devrait en tout cas servir de tremplin au prochain président pour repenser la politique d’asile au niveau français, mais aussi au niveau européen et si possible au niveau mondial, en lançant une renégociation de la convention de Genève sur les réfugiés. La Convention de Genève [2], adoptée en 1951 et ratifiée par 145 pays, définit ce que sont les « réfugiés », leurs droits et énonce les obligations juridiques des États signataires envers tous ceux qui sont persécutés en raison de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un groupe social ou de leurs opinions politiques. Mais en favorisant la confusion entre migration économique et migration politique, ce texte est aujourd’hui obsolète.

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Les principes qui devraient guider cette réforme sont simples : un pays comme la France ne devrait accorder l’asile politique qu’aux combattants de la liberté auxquels le préambule de la Constitution de 1946 fait référence, c’est à dire à une poignée d’individus seulement chaque année. Les personnes déplacées qui fuient un conflit devraient être accueillies dans les pays limitrophes, afin de pouvoir rentrer chez elles dès que les conditions le permettent. La solidarité internationale avec ces pays d’accueil en but à un choc migratoire devrait se manifester de manière obligatoire : ce soutien pourrait prendre la forme d’un soutien financier, ou d’une aide à la relocalisation d’une partie des réfugiés (soit un mélange des deux), au choix du pays qui manifeste sa solidarité.  Enfin, les personnes menacées pour ce qu’elles sont (un Chrétien en Irak ou un homosexuel en Iran par exemple) devraient pouvoir se réfugier dans le premier pays où leur vie ne serait plus menacée, pas dans le pays de leur choix pour des raisons de convenances économiques principalement.

Conséquence logique, tout migrant arrivant en France et ayant transité préalablement par un pays démocratique que ce soit l’Italie, l’Espagne ou la Grèce (ou n’étant pas en mesure de prouver qu’il est arrivé directement en France, afin d’éviter les abus) ne devrait selon moi pas être autorisé à y déposer une demande d’asile. La procédure de Dublin actuellement en vigueur, devrait théoriquement empêcher la multiplication des dossiers dans les différents pays signataires du « Règlement Dublin », mais les lacunes de l’enregistrement des migrants dans la base de données Eurodac fait qu’il n’est pas rare de voir un demandeur d’asile multiplier les dossiers dans différents pays.

Il ne s’agit que de pistes. Mais une réflexion est à mener qui apurerait au moins un peu de ce malaise qui s’est instauré en Europe – et surtout en France – depuis trente ans sur les questions migratoires.


[1] Source : Eurostat

[2] https://www.unhcr.org/fr/4b14f4a62

Zemmourisme des Noirs en Afrique du Sud

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En Afrique du Sud, l’opération Dudula réclame le départ du pays des travailleurs étrangers


« L’Afrique du Sud aux Sud Africains », « Sauver notre pays de l’immigration illégale ». Tels sont les mots d’ordre du mouvement « opération Dudula » (« refouler » en zoulou).

Dans un pays où le chômage avoisinerait 46%, la présence de quatre millions d’étrangers du Zimbabwe ou du Mozambique n’encourage guère à l’altruisme.

South Africa first 

Le 12 février, une grande marche a réuni près de 2000 Sud Africains noirs à Johannesburg. Vêtue de t-shirts blancs, la foule a battu le pavé en chantant et en dansant. « Les étrangers volent les emplois des Sud-Africains », ont-ils clamé entre deux mouvements de bassin. Des festivités qui ne sont pas du goût de tous. Cyril Ramaphosa, le président affilié à l’indétrônable ANC (Congrès National Africain), a dénoncé des « rassemblements essayant de fomenter des sentiments et attitudes négatives » envers les travailleurs illégaux. Une mise en garde qui n’a pas du tout calmé les ardeurs des « compagnons patriotes sud-africains », comme ils se désignent. En Afrique du Sud, ces marches enfiévrées font couler beaucoup d’encre, mais pas seulement : lors d’une manifestation dans le township de Soweto, la police a ouvert le feu. Qu’à cela ne tienne. Sous les auspices du slogan « Put South Africa first », l’opération Dudula est allée à la campagne y prôner la remigration. Une croisade qui n’est pas sans rappeler les petites virées d’Eric Zemmour dans nos terroirs. En proie à de fortes pressions migratoires de la part de ses voisins africains, l’Afrique du Sud fait régulièrement face à des bains de sang. En mai 2021, lors d’un discours à l’ambassade de France à Pretoria, à 60 km de Johannesburg, Emmanuel Macron s’était adressé aux jeunes de France issus de l’immigration en ces termes : « Vous êtes une chance pour la France ».

Espérons qu’il retourne vite à Pretoria y rétablir la concorde. Car entre la nation « arc-en-ciel » et la théorie du Grand Remplacement, il n’y a désormais qu’un pas. 

Sarcelles, épicentre de l’Univers

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Une épicerie casher attaquée à Sarcelles, 19 septembre 2012 © A. GELEBART/20 MINUTES/SIPA

Quand les Sarcellois étaient chauvins… Bonnes feuilles de l’essai de Noémie Halioua publié aujourd’hui.


 « Sarcelles, dans les années 1990, c’était la capitale des banlieusards, le refuge des lascars et des rois de la débrouille. La capitale du hip-hop et de l’orthodoxie juive, des loyers pas chers et des synagogues de toutes les obédiences, des sacs Chanel à 50 francs et des épiceries rares. Nous étions cette « France d’en bas » qui n’avait d’autre conscience de classe que son opposition à celle qui la regardait de haut ou du moins, celle dont elle pensait qui la regardait de haut. Nous étions fastueux de bien d’autres façons et bien sûr, nous n’avions pas l’intention de nous laisser mépriser : de cette assignation nous avons forgé une identité forte, un chauvinisme local qui se poilait de sa mauvaise réputation et faisait de ses faiblesses une force. Nous forcions les traits auprès de ceux qui avaient peur d’y venir en voiture et cultivions un goût immodéré de la provocation. (…)

A lire aussi, Céline Pina: Sarcelles: petite Jérusalem, grande désillusion

Ce chauvinisme s’enracinait d’autant plus que nous voyagions peu : la plupart des gens vantaient avec humour les activités de « Sarcelles-plage » qui consistaient à se tourner les pouces pendant l’été. Quant à ceux qui partaient, ils rejoignaient leur famille au bled, en Israël, en Afrique, en Turquie, aux Antilles, etc. et n’avaient ainsi pas à payer l’hôtel. Chacun pouvait se targuer de racines physiques et symboliques partout ailleurs sur la planète, des origines auxquelles se rattacher, faute de mieux. « Ma mère est née là-bas, mon père est né là-bas / Moi je suis né ici, dans la misère et les cris », comme chantait alors Doc Gynéco avec sa voix suave pour décrire cette jeunesse banlieusarde à l’identité désorientée. La France était pour nous une idée abstraite, théorique, associée le plus souvent à des maux qu’elle avait infligés à nos ancêtres. Enfants d’immigrés pour la plupart, nous avions toutes les raisons d’en vouloir à ce pays qui nous hébergeait. Pour nous les Juifs, c’était parce qu’elle nous avait « vendus » pendant l’épisode de la collaboration, point culminant de la lâcheté dans l’histoire. Nous ressassions les épisodes de policiers français venus suspendre les cours dans les écoles pour en faire sortir les enfants juifs. Les nazis n’avaient pas demandé les enfants, mais Vichy se voulait plus royaliste que le roi, nous disait-on à l’école. Nous connaissions mieux l’histoire de nos peuples respectifs que les promenades de l’après-périphérique : il n’y avait pas encore de smartphones, et les connexions internet étaient encore limitées. Il n’y avait pas encore les vidéos en direct postées par des influenceuses depuis des hôtels cossus du Triangle d’or, ni celles des étudiants depuis les chambres de bonne sur le toit des bâtiments haussmanniens pour défaire nos préjugés. »

(…)

 « Oui, il y avait une solidarité sarcelloise. Dans la quatrième ville la plus pauvre de France, où des cultures  traditionnelles  se  côtoyaient,  l’entraide venait pallier les difficultés en tous genres. Les mères célibataires gardaient leurs enfants entre elles, se dépannaient d’une portion de sucre pour le café, de câbles pour rallumer le moteur de la voiture. Les familles étaient voisines, avaient leurs enfants dans les mêmes classes, fréquentaient les mêmes parcs, et les murs des immeubles, fins comme du papier à musique, rendaient l’intimité difficile. Sur notre palier vivait une famille musulmane, et au-dessus une autre loubavitch.  Les familles faisaient aussi circuler les potins : des exploits de la catin du lycée, à la promotion du pot de mayonnaise chez Leclerc. Les naissances, les décès, les mariages étaient des événements du quartier que l’on se racontait sur le pas de la porte. Comme un petit village où personne n’est jamais tout à fait anonyme. Mais cette diversité relevait davantage d’une juxtaposition d’univers divers, que d’une aventure commune sincère. Il n’y avait pas de conflit ouvert entre les communautés, mais il régnait un entre-soi communément

partagé. Il n’y avait pas de guerre raciale mais du racisme, des préjugés sur les autres communautés. Sarah, ma meilleure amie d’enfance, se souvient d’une discussion entre un chauffeur et une habitante, alors que le bus était stationné en haut de l’avenue Paul Valéry, au niveau d’un feu rouge. Un croisement qui mène soit au « quartier feuj », soit vers des cités où règnent les caïds. « À  droite  les  riches,  à  gauche  les  pauvres », avait  lancé  la  dame  au  chauffeur.  « À  droite ceux qui travaillent, à gauche ceux qui foutent rien », avait-il corrigé. Les quartiers étaient déjà sectorisés, séparés par une frontière invisible qui était décidée et intégrée par la population locale, accompagnée par les pouvoirs publics. Les juifs avaient  déjà leur  quartier, ce  qui  est  quand même un retranchement problématique quand on y pense. L’unique socle commun aux Sarcellois n’était pas la France, c’était Sarcelles. »

(…)

 « Nous pouvions avoir des voisins africains, arabes, chaldéens ou pakistanais et bien nous entendre avec eux, mais s’en rapprocher trop était mal perçu : c’était à la fois trahir l’instinct tribal et prendre le risque d’être rejeté. Menacer l’identité du groupe et permettre à un antisémitisme enfoui de refaire surface. Chaque famille juive pouvait tisser des liens avec ses voisins qui venaient de partout, des relations parfois cordiales, chaleureuses, des amitiés sincères pouvaient naître, mais un accord tacite et réciproque impliquait que cette proximité ait une limite. Cette règle valait chez les Juifs comme ailleurs : chaque membre appartenait d’abord et avant tout à sa communauté ethnique ou religieuse, qui offrait une protection et une aide d’urgence alors que les pouvoirs publics étaient débordés. J’appris bien plus tard le récit idyllique qui était rapporté ailleurs, qui décrivait cette ville comme l’emblème du vivre-ensemble et  de  la  mixité,  le  symbole  de  la  cohabitation heureuse entre les communautés. Cela me parut immédiatement  fantasmé,  dans  la  mesure  où  il n’y avait pas de cohabitation, mais une habitation côte à côte. Il n’y avait pas de « vivre-ensemble » comme on l’entend aujourd’hui, plutôt des communautés qui vivaient de façon mitoyenne, chacune selon son propre mode de vie calqué sur celui de là où elle avait été déracinée et qui empêchait par principe l’établissement d’un socle commun. Entre les communautés, il y avait une scission géographique, psychologique, presque biologique, un séparatisme communément admis et réclamé par tous et accompagné par les autorités. »

A lire ensuite: Quand M’hammed Henniche faisait la pluie et le beau temps en Seine-Saint-Denis

(…)

 « Sur le chemin du tramway, les tours n’ont pas bougé. En quinze ans, Nicolas Sarkozy a été élu président de la République, les Britanniques ont quitté l’Union européenne, des terroristes ont ensanglanté le Bataclan, le monde a changé, mais les tours du grand ensemble des Lochères sont restées debout, imperturbables. Les grands changements sont dus à des coups de bombes et de pochoirs. C’est le cas de cet immeuble dont la façade a été recouverte d’un graffiti signé Combo. On y voit peint en noir le mot « Coexist », qui assemble les symboles des trois religions monothéistes : le croissant de l’islam pour le C, l’étoile de David pour le X et la croix chrétienne pour le T. Ce dessin n’existait pas « à mon époque », il a été inauguré en grande pompe en 2015 en partenariat avec la municipalité pour célébrer le vivre-ensemble de la ville. Nul doute que certains appellent ça une œuvre : le graff remplit tous les critères de l’art postmoderne dit contemporain qui tient à deux critères : un niveau de difficulté de réalisation adapté à un enfant de trois ans, et idéologique à souhait, de quoi permettre  à  l’artiste de se faire le chantre de la morale et de la sainte vertu sans trop se fouler. À la manière des sculptures de l’ère communiste, l’œuvre vise avant tout à éduquer. Un autre dessin signé du même nom a été inauguré un peu plus loin Boulevard Maurice Ravel. On y voit des petits garçons jouer au football, accompagnés par cette citation : « Quand j’étais petit il y avait des musulmans, des juifs, des chrétiens, des noirs et des blancs… C’était juste des copains ». Une version en fait édulcorée de l’originale qui disait : « Quand  j’étais petit, il n’y avait pas de juifs, ni de musulmans, ni de chrétiens… mais juste des copains ». L’artiste a accepté de se plier à la demande du maire de l’époque, François Pupponi, qui se faisait le relais des chefs de communautés qui se plaignaient que celles-ci soient niées. Sur le fond : je ne sais pas où « l’artiste » a grandi, mais moi quand j’étais petite, chacun savait très bien à quelle communauté l’autre appartenait. C’était même un emblème qu’on portait en bandoulière, qu’on revendiquait haut et fort, et c’est en fonction d’elle que l’on se situait par rapport aux autres. La communauté religieuse ou ethnique était la référence : elle construisait notre rapport au monde. Si des amitiés sincères pouvaient émerger avec des membres d’autres communautés, elles devaient d’abord dépasser une méfiance innée, franchir certaines frontières mentales, certains obstacles qui n’étaient pas bénins. Dans la majorité des cas, au quotidien, les communautés vivaient entre elles : les juifs de leur côté, les musulmans de l’autre, et les chrétiens ailleurs encore. Ce séparatisme était aussi géographique : les juifs dans « le quartier juif », les chrétiens  « au village », les Africains dans « la tour des Africains », etc. Plutôt que l’ère du vivre-ensemble, c’était l’ère de l’entre-soi : chacun vivait dans sa bulle et y faisait perdurer la culture de ses ancêtres. Le vivre-ensemble qui est placardé sur les façades d’immeubles ne figure dans aucun de mes souvenirs et s’il a effectivement existé, il date d’avant ma venue au monde en 1990, lorsque l’idée de nation constituée par un socle commun n’était pas perçue comme « faisant le jeu du Front national »…

Les uns contre les autres - Sarcelles, du vivre-ensemble au vivre-séparé

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Sarcelles: petite Jérusalem, grande désillusion

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La journaliste Noémie Halioua publie "Les Uns contre les autres" © Photo: Hannah Assouline

Noémie Halioua publie Les uns contre les autres – Sarcelles, du vivre-ensemble au vivre-séparé (Editions du Cerf, 2022)


« Ça intéresse quelqu’un ce qui nous arrive ? » Cette question, posée par une habitante de Sarcelles (95), traduit exactement le sentiment d’abandon et la détresse de populations dont le quotidien est rythmé par « l’impression de vivre dans un monde qui s’effondre un peu plus chaque jour ».

C’est pour écrire en 2018 un reportage consacré à l’agression antisémite d’un garçon de huit ans que Noémie Halioua a enquêté à Sarcelles. Elle en a tiré ce livre personnel et vivant, où, à travers ses souvenirs et ses échanges avec les habitants, elle raconte une ville charnelle, bouillonnante mais enferrée dans une impasse communautariste qui nourrit autant sa pauvreté que sa violence. Noémie Halioua a grandi dans cette ville emblématique de l’essor des villes nouvelles dans les années 60, comme de l’échec de l’utopie qu’elles portaient. Dès son enfance dans les années 90, « les quartiers étaient déjà sectorisés, séparés par une frontière invisible qui était décidée et intégrée par la population locale, accompagnée par les pouvoirs publics ». Pourtant, elle évoque des liens d’appartenance forts. Mais si les habitants se sentaient Sarcellois, ils ne s’identifiaient pas pour autant comme Français et leur communauté d’origine dictait leur façon de voir le monde.

Communautarisme étouffant et délétère, départ des « petits Blancs »

Elevée dans le vase clos de la petite Jérusalem, ce quartier où la communauté juive de Sarcelles était regroupée, ayant reçu une éducation traditionnelle dont elle parle avec une tendresse mâtinée de lucidité décapante, elle se compare à la petite sirène de Walt Disney, son film préféré. Elle rêve de voir l’autre côté du périphérique. Elle le fera. « Quitter Sarcelles ne se limite pas à un changement d’adresse postale : la bulle était sociale, économique et religieuse (…). Franchir les portes de Paris-Descartes fut un choc culturel digne d’un changement de continent. » En étudiant à Paris, Noémie Halioua raconte comment elle prend conscience de l’enfermement qu’une appartenance communautaire très forte peut susciter, mais aussi comment elle découvre l’émancipation républicaine. Elle raconte alors « une imbrication réalisable entre particularisme et universalisme », une façon de trouver sa place sans sacrifier l’héritage familial, en intégrant l’imaginaire historique et intellectuel des Lumières et de la République. « Je plantais mes racines dans une longue histoire qui me précédait, j’avais des ancêtres, une famille de pensée imparfaite mais idéaliste qui me correspondait. »

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Pendant que la jeune femme se découvre Française, Sarcelles sombre dans un communautarisme étouffant et délétère. Les villes nouvelles sont devenues des ghettos, des zones de relégation sociale et ethnique. Sarcelles est aujourd’hui une référence qui est tout sauf un modèle : elle est la plus connue de ces villes où il ne fait pas bon vivre et où l’on ne s’installe et ne reste souvent que parce que l’on n’a pas les moyens de vivre ailleurs. Bâtie au départ pour accueillir une population d’ouvriers et d’employés, la ville est devenue une de ces banlieues où se concentrent les victimes des soubresauts de l’histoire : juifs et assyro-chaldéens chassés des pays musulmans, immigrés économiques suite à la décolonisation, migrants chassés par les guerres et les violences ethniques… Sarcelles a souvent été présenté comme un laboratoire du « vivre ensemble », « vitrine du brassage entre les populations et du métissage ethnique ». Dans les faits, elle n’aura fait qu’accumuler les difficultés liées à la concentration sur le même territoire de populations aux cultures et mœurs très différentes, sans que celles-ci n’aient de modèle d’intégration à disposition : la concentration de l’immigration ayant abouti à un départ des « petits Blancs ». En guise de « vivre ensemble », c’est le « vivre séparé » qui s’est imposé : le culte des origines, l’exacerbation des différences culturelle n’a pas permis l’assimilation ni l’intégration. Les différentes communautés sont devenues des espaces identitaires fermés et en concurrence. Pourtant, si les habitants font le constat « d’une longue désagrégation du tissu social qui a amené à plus de séparatisme, plus de peur, plus de violence », c’est en décalage avec le discours des élites communautaires. Celles-ci « se serrent la pince devant les caméras et affirment que l’avenir est assuré. Nier les problèmes leur permet de conserver leur siège. » Elles alimentent aussi le déni sur la réelle situation de ces zones où les logiques ethniques et religieuses sont en train de supplanter la République.

Chacun part à la découverte de ses origines sans se rencontrer 

Pourtant, des habitants se souviennent du temps où « les dieux restaient à la maison », où les choses auraient pu être différentes. Noémie Halioua évoque l’investissement dans la culture et l’éducation populaire que portaient notamment les édiles communistes des années 60. La Maison des Jeunes et de la Culture, la bibliothèque, le forum des Cholettes (dite l’Olympia de Sarcelles), tous ces lieux de rencontre et de transmission ont été détruits ou ne jouent plus leur rôle. Même le discours autour de la place de la culture a évolué : aujourd’hui dans des espaces du repli sur soi, il « promeut un séparatisme culturel pour se défaire de son complexe colonial ». « Chacun part à la découverte de ses origines sans se rencontrer » et même quand il y a rencontre, le regard porté est négatif : la rencontre est de plus en plus vue comme un vol, une appropriation malvenue. Difficile alors de créer du commun. La culture devient incapable de créer du lien, de faire naitre un imaginaire partagé, d’aller au-delà des rapports de force et de domination, elle n’est plus une quête, ni un dépassement, encore moins une source de créativité, elle n’est plus qu’un rapport aux origines qui a tout du rappel à l’ordre.

On est passé de la culture comme vecteur d’unité, au multiculturalisme comme facteur de désagrégation de la société.

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Le témoignage d’un policier raconte ainsi une ville où il faut composer avec chaque communauté en fonction des règles des pays d’origine. Cette situation nourrit aussi un véritable clientélisme politique. L’auteur explique comment à l’occasion d’un Conseil municipal, un élu fit l’inventaire des subventions accordées aux organismes communautaires pour montrer à quel point ceux-ci sont privilégiés par rapport aux autres types d’associations et à quel point la logique communautariste guide la politique de la mairie.

Force est de constater, à la lecture du livre de Noémie Halioua, que Sarcelles témoigne du destin d’un territoire où la majorité des habitants est enfermée dans une identité ethnico-religieuse qui détruit l’idée même de commun. Ce destin n’est pas enviable et pourtant les logiques multiculturalistes et identitaires, qui créent ces zones de non-droit, se répandent.

Or on n’a rien trouvé de mieux que la République et la laïcité pour lutter contre la tribalisation du monde ! L’état de Sarcelles rappelle à la France qu’elle ne doit pas l’oublier si elle veut un avenir meilleur.

Les uns contre les autres - Sarcelles, du vivre-ensemble au vivre-séparé

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Moi / Je / Nous / Vous

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Emmanuel Macron, au lendemain d’une intervention télévisée sur la guerre russo-ukrainienne où il est apparu en protecteur de la nation, a donc fini par présenter sa candidature à l’élection présidentielle. Notre chroniqueur analyse cette «Lettre aux Français».


Emmanuel Macron connaît ses classiques. Il sait que dans « Le Corbeau et le Renard », le rusé goupil s’abstient complètement de dire « Je » : il use systématiquement du « vous » pour faire croire au Corbeau qu’il le prend en haute considération. C’est la base de la flatterie et de la séduction.

Il faut donc attendre le cinquième paragraphe pour trouver ce Je inévitable mais longtemps suspendu. Bien joué. Mais quand il y va, il y va fort, avec une anaphore insistante :

« Voilà pourquoi je sollicite votre confiance pour un nouveau mandat de Président de la République. Je suis candidat pour inventer avec vous, face aux défis du siècle, une réponse française et européenne singulière. Je suis candidat pour défendre nos valeurs que les dérèglements du monde menacent. Je suis candidat pour continuer de préparer l’avenir de nos enfants et de nos petits-enfants. »

Et immédiatement il revient au « nous » qu’il utilisait depuis le début de sa missive : « Pour nous permettre aujourd’hui comme demain de décider pour nous-mêmes. » Un « nous » globalisant », qui inclut adroitement le « vous » (Nous, c’est Moi +Vous). 

Macron a d’ailleurs commencé sur ce registre complice : « Depuis cinq ans, nous avons traversé ensemble nombre d’épreuves. Terrorisme, pandémie, retour de la violence, guerre en Europe : rarement, la France avait été confrontée à une telle accumulation de crises. Nous avons fait face avec dignité et fraternité. »

Vous avez remarqué ? Isolez les mots importants : « Nous », « épreuves », « la France » (qui est le singulier collectif qui englobe le « nous ») et « fraternité » — le dernier mot de la devise républicaine, qui évoque en filigrane l’histoire du pays depuis 1789. Bien joué. Bien écrit.

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Mais la phrase suivante éclaircit ce « nous » : « Nous avons tenu bon sans jamais renoncer à agir. » Ce ne sont guère les Français, confinés ou bousculés depuis cinq ans, qui ont « agi », c’est le chef de l’Etat — c’est l’essence même de sa fonction. Ce « nous » rassembleur était-il au fond un « Nous » de majesté ? Nous, Emmanuel Macron, roi de France…

Approximations et mots curieusement absents

S’ensuivent un certain nombre de grosses approximations — je ne me permettrai pas de dire « mensonges » — sur les emplois créés par l’industrie (il reste donc une industrie en France ?) et les investissements réalisés  dans « nos hôpitaux et notre recherche » : et « nous » qui pensions qu’on avait fait tout ce foin à propos du Covid parce que les hôpitaux, dans lesquels on a taillé 100 000 lits ces dernières années, étaient exsangues et surchargés, le personnel hospitalier sous-payé, et la recherche française infichue de trouver un vaccin ! Mais on s’en fiche, tant qu’il y a un bouclier vaccinal américain, n’est-ce pas…

Quant à l’idée d’avoir « renforcé nos armées, recruté policiers, gendarmes, magistrats et enseignants, réduit notre dépendance aux énergies fossiles, et modernisé notre agriculture », c’est de la haute fiction. Tout comme la réduction du déficit — « avant la pandémie », précise quand même le rédacteur, parce que depuis, il a explosé, et il va bien falloir le régler dans les années à venir : le « quoi qu’il en coûte » a tiré un chèque en blanc sur l’avenir, et fait peser sur les cinq prochaines années un suspense gracieux mais déjà levé : le cochon de payant est prié de passer à la caisse. Classes moyennes, numérotez vos abattis.

Notre président, on le sait, est passé par les classes préparatoires, où l’on apprend à bâtir un raisonnement dialectique. Après le mirage du Plus, arrive forcément le Moins : « Nous n’avons pas tout réussi. » Un peu d’humilité (le mot apparaît en toutes lettres un peu plus bas) ne fera pas mal, s’est dit le rédacteur : « Il est des choix qu’avec l’expérience acquise auprès de vous je ferais sans doute différemment. » Peccavi, Pater optime, dit-on en introduction d’une confession. Les Gilets jaunes furent sans doute la conséquence d’un petit péché d’orgueil.

Mais immédiatement, un « mais » refait basculer le propos dans le bon sens, celui de l’optimisme : « Mais les transformations engagées durant ce mandat ont permis à nombre de nos compatriotes de vivre mieux, à la France de gagner en indépendance. Et les crises que nous traversons depuis deux ans montrent que c’est bien ce chemin qui doit être poursuivi. »

Il vaut mieux rester dans le vague quand on n’a pas d’argument précis, enseignent les maîtres de rhétorique. 

Autant mettre sur le dos de cette modernité si difficile à maîtriser tout ce qu’il a pu y avoir de négatif : « Nous connaissons des bouleversements d’une rapidité inouïe : menace sur nos démocraties, montée des inégalités, changement climatique, transition démographique, transformations technologiques. » Et autant prévenir : « Ne nous trompons pas : nous ne répondrons pas à ces défis en choisissant le repli ou en cultivant la nostalgie. » 

Et d’insister avec un jeu sur les mots et les sonorités particulièrement efficace : « L’enjeu est de bâtir la France de nos enfants, pas de ressasser la France de notre enfance. » Magnifique combinaison de « a » et de « f ». Et cette opposition « enfants » (le futur) et « enfance » — le passé. De la belle ouvrage !

C’est sans les nommer une pierre dans le jardin des candidats qui prétendent que « c’était mieux avant » et qu’il faut ré-instituer la blouse grise à l’école. Macron aurait-il senti que son principal rival sera Zemmour, qui est d’abord apparu aux Marcheurs comme un bon moyen d’empêcher Marine Le Pen de parvenir en bon état au second tour, mais qui commence à être une menace — et, en même temps, une espérance ultime : un second tour Macron / Zemmour rassemblera derrière le président-candidat tous les électeurs de gauche molle qui l’ont porté au pouvoir en 2017, et qui se sont bien juré de ne plus s’y faire prendre — comme le Corbeau de la fable.

Arrive enfin la déclaration de candidature proprement dite, préparée par cette longue introduction sur la dialectique du passé (eux) et l’avenir (moi) : « Je suis candidat pour continuer de préparer l’avenir de nos enfants et de nos petits-enfants. » 

Vous avez vu, ce renfort des « petits-enfants », alors qu’on ne nous parlait jusqu’ici que des rejetons immédiats ? Appel du pied aux retraités, dont la pension ne sera certainement pas rognée, qu’allez-vous imaginer…

S’étant posé comme candidat de l’avenir, Macron développe le thème, en évoquant le « futur ». Demain on rase gratis, et on sortira « de la dépendance au gaz, au pétrole et au charbon. »
Ce qui compte aussi dans un discours, ce sont les mots absents. « Énergie nucléaire », par exemple — dont le président a chanté les possibilités il y a peu. Mais là, ça ferait désordre, juste après le mot « écologie ». Ratissons large, prudemment.

Comme un culot d’enfer fait partie de la panoplie du candidat, le Grand Communiquant n’hésite pas à affirmer qu’il va « améliorer ce modèle social auquel nous tenons tant et qui a fait ses preuves. » À se demander qui a lancé cette réforme des retraites oubliée pour l’instant, mais toute prête à ressortir de sa boîte.

Un pays qui se sent mourir

Macron a bien senti, à l’inverse d’autres candidats, que c’est surtout sur le plan culturel que ça va se jouer, dans un pays qui se sent mourir. « Nous ferons en sorte que tous les enfants de France aient les mêmes chances, que la méritocratie républicaine redevienne une promesse pour chacun. Pour cela, la priorité sera donnée à l’école et à nos enseignants, qui seront plus libres, plus respectés et mieux rémunérés. »

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Comment disait Pasqua déjà ? Les promesses n’engagent que ceux qui y croient. D’où le couplet sur le « grand âge », qui porte l’écho du tout récent scandale des EHPAD, et l’adjonction d’un petit quelque chose pour les handicapés. Sans oublier la France périphérique, ces « déserts médicaux » où l’on galère pour trouver un médecin. Et la défense de notre « art de vivre millénaire, enraciné dans chaque région, chaque canton, chaque ville et chaque village que ce soit en métropole ou dans nos outre-mer. Une histoire, une langue, une culture que lorsque l’on est Français, on se doit de connaître, d’aimer, de partager. » Ça y est, chacun a eu son lot. C’est que derrière la présidentielle, il y a des législatives à gagner — et ce sera une autre paire de manches. Une cohabitation (fort possible) n’est pas son idéal de gouvernement. 

Remarquez que ces beaux projets d’avenir ne sont pas chiffrés, le rédacteur est trop habile pour faire catalogue. Valérie Pécresse, qui a cru bon dans son discours du Zénith de se lancer dans une longue litanie de projets, aurait dû chercher un rédacteur qui connaisse les règles essentielles de la communication. Pas Igor Mitrofanoff, cheval de retour du fillonisme — et si propre sur lui…

Valérie Pécresse à Paris, 13 février 2022 © Jacques Witt/SIPA Numéro de reportage : 01060914_000004

Retour du Je, présenté comme le témoin de la résilience française : « Tout au long de mon mandat, j’ai vu partout un esprit de résistance à toute épreuve, une volonté d’engagement remarquable, une inlassable envie de bâtir. » Un petit coup de projecteur sur les Français de l’étranger, et reprise du singulier collectif face au Je présidentiel : « En chaque lieu, j’ai perçu le désir de prendre part à cette belle et grande aventure collective qui s’appelle la France. »

C’est le coup de clairon avant l’épilogue. À ce « France » correspond, dans les dernières lignes, cet « ensemble ». Et la combinaison finale des pronoms : « Avec vous. Pour vous. Pour nous tous. »

Le « Je » s’efface dans ce pluriel commode. Franchement, c’est bien cousu — même si on aperçoit un peu trop les coutures. L’essentiel était de se démarquer des candidats (suivez mon regard) qui usent et abusent d’un Je omniprésent. Le président de la République, dont chacun sait qu’il n’a aucun Ego, chante pour finir la République et la France — afin de donner à sa lettre très écrite un petit côté oral. Je ne sais qui a été la plume de Macron sur ce coup, mais il mérite les félicitations du jury de Sciences-Po.

Quant aux applaudissements des Français, c’est peut-être autre chose.

Chevènement chez Macron: misère du souverainisme de gauche

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Jean-Pierre Chèvenement photographié en 2018 © BALTEL/SIPA

Comme Jean-Pierre Raffarin, Jean-Pierre Chevènement a annoncé soutenir Emmanuel Macron


En 2002, alors lycéen, j’étais déjà persuadé que l’immigration était la grande affaire, l’unique sujet politique important. Le lénifiant discours des membres de la gauche dite plurielle me rendait fou. Quand, à la télé, j’entendais les journalistes moquer le « sentiment d’insécurité » éprouvés par les Français, j’avais envie de rentrer dans l’écran et de leur faire éprouver un sentiment de poing dans la gueule.

Je vous parle d’un temps où la mystique républicaine me faisait quelque chose

Du reste, en ce temps-là, j’étais républicain. Oh, pas celui qui parle de « valeurs » ; non, un vrai, genre 93. Je lisais les discours de Saint-Just, je me décrétai jacobin, je ne voyais rien de plus beau que la mort du général Marceau sur le Rhin. Dans le champ politique alors partagé entre le radical-socialiste Chirac, la gauche youpi-tralala et le Front national, un homme s’était soudainement imposé : Jean-Pierre Chevènement. J’aimai son franc-parler, sa stature, l’amour de la France qu’il revendiquait contre ceux de son camp, cette gauche qui assimilait la nation à Auschwitz et le peuple, à la consanguinité. Je n’avais pas encore lu Péguy mais c’était très précisément la « mystique républicaine » qui m’emballait. J’avais l’impression que Chevènement était en mission, qu’il avait compris qu’à force de les mépriser, de leur dire qu’elles ne vivaient pas ce qu’elles vivaient, les classes populaires finiraient par passer au Front national – en fait, ce processus était déjà presque achevé. Lors des négociations sur l’autonomie de la Corse, je collai en catimini, dans tout mon bahut, des feuilles A4 rappelant d’indivisibilité du territoire français. A l’approche de l’élection, je franchissais le pas : j’adhérai au Mouvement des citoyens (MDC).

À lire aussi, Olivier Jouis: De Chevènement en 2002 à Zemmour en 2022, itinéraire d’un souverainiste venu de l’autre rive

Tandis que Chevènement était présenté comme « le troisième homme » par les sondeurs, je me rendais souvent au local du MDC de X. J’y retrouvai une drôle d’équipe, composée de communistes et de socialistes en rupture de ban et retraités. Moi qui m’attendais à trouver des partisans d’une troisième voie, j’étais déçu. Quand j’évoquai la possibilité d’une union avec les figures de l’autre rive – Pasqua et Villiers –, je provoquai une consternation dont, deux décennies plus tard, je me souviens encore. J’ignore si ces gens pensaient sérieusement l’emporter en comptant sur leurs propres forces, très limitées ; sans doute que, pour la plupart des militants, un parti est d’abord une sorte d’amicale. Chevènement lui-même – et ce fut le moment décisif de sa campagne – refusa, non sans morgue, l’alliance que lui proposait le RPF. Au « sentiment d’insécurité », il ne répondait pas du tout. Or, fort logiquement, la campagne s’était cristallisée autour de ce thème. Mauvais tribun et débatteur, un tantinet lunaire, ringardisé par les médias, l’ancien ministre dégringola au fil des semaines. J’étais accablé. Je cherchai un nouveau Clemenceau ; je trouvai un nouveau Pompée. Le soir du premier tour, mes camarades pleuraient. D’autres camarades, ceux du lycée, étaient, eux, désespérés. Le « fascisme » risquait de vaincre ; les trains étaient déjà prêts qui emporteraient les Arabes et les Noirs vers la Pologne… La quinzaine anti-Le Pen était lancée. Nos professeurs nous demandèrent d’aller manifester à Y, la grande ville. Ce jour-là, moi, j’allai faire un foot. Par la suite, je n’ai plus milité.

Natacha Polony, Michel Onfray, le Printemps républicain, Causeur: c’est à peu près tout ce qu’il reste du chevènementisme

Les socialistes reprochèrent longtemps à Chevènement – et dans une moindre mesure à Taubira – d’avoir fait perdre le lymphatique Jospin. Même s’il répondit souvent que l’homme de Creil devait sa défaite à la nullité de sa campagne – il la devait surtout, en vérité, à un déni d’un réel dont, deux décennies plus tard, la gauche ne veut toujours pas entendre parler –, le coup porta. Le « Che » de Belfort se fit discret. Vers 2006, il doucha rapidement les espoirs de ceux qui l’encourageaient à se présenter à la primaire socialiste. Ensuite, il devint une conscience, celle de la gauche d’avant, d’avant Maastricht, intervenant de plus en plus sporadiquement pour dire, jamais trop fort, tout le mal qu’il pensait de l’Union européenne, des traités, de la désindustrialisation, de l’impérialisme américain. Plus personne, dans son camp, ne l’écoutait. Ses partisans, on les trouvait et on les trouve encore dans le champ intellectuel. Natacha Polony, Michel Onfray, le Printemps républicain, Causeur dans une large mesure : c’est à peu près tout ce qu’il reste du chevènementisme. Ce n’est pas rien, oh non, mais ça n’intéresse toujours pas la gauche, qui accepte Polony depuis qu’elle s’est bien radoucie, qui traite Onfray et Elisabeth Lévy de fascistes, et qui se moque du Printemps républicain, lequel a – on est bien obligé de le dire – trente ans de retard au moins. La gauche est partie et ne reviendra pas ; elle est désormais relativiste, vivrensembliste, multiculturaliste ; la République qu’elle continue d’invoquer est parfaitement désincarnée, peuplée seulement de « valeurs » ; elle préfère que les autres crèvent pour l’Autre plutôt que d’admettre un lien, même ténu, entre immigration et délinquance, islam et islamisme. La gauche, doublée sur sa gauche par un wokisme qu’elle finira par faire sien, promeut les « mamans » lesbiennes qui vont louer des ventres en Inde ou en Ukraine au nom du délirant « droit à l’enfant », elle fait voter la monstrueuse IMG, elle soutient les « hijabeuses » au nom de l’« inclusion » et les garçonnets de huit ans qui veulent devenir des filles au nom d’un « genre » fantasmatique. Elle est le porte-parole du fanatique mouvement de déconstruction qui, sis sur les universités, les milieux économiques et l’industrie culturelle, vise à détruire – et détruit effectivement – les nations occidentales, les peuples occidentaux et, plus grave encore, infiniment plus grave, la conception occidental de l’être. Audibles, les chevènementistes susnommés le sont, certes. Mais auprès de qui ? C’est surtout à droite qu’on les écoute. Leur gauche est morte et enterrée depuis longtemps.

À lire aussi, du même auteur: Où va le populisme?

L’espoir est taquin : durant le mouvement des Gilets jaunes, j’ai cru un instant qu’il était encore possible d’unir les souverainistes des deux camps. Présent dix samedis sur les Champs, je vis, à côté des drapeaux de nos vieilles provinces, se dresser celui de l’an II. Main dans la main, Bonchamps et Kléber allaient prendre l’Elysée et y attraper l’homme de Davos. Hélas, très vite, les frictions se multiplièrent. Moi qui parlai à tous, je constatai que si, pour les patriotes – très majoritaires dans les rangs –, une alliance était envisageable, pour les vieux républicains, en revanche, elle était impensable – « J’manifeste pas avec des fachos ! ». Les deux camps poursuivaient certes le même but, mais pas pour les mêmes raisons. Les « fachos » voulaient continuer l’histoire de France ; les vieux républicains voulaient en recommencer une autre. Et le désaccord le plus flagrant – et qui rend en effet impossible l’union des deux souverainismes –, c’était l’immigration – seuls BFM et ceux qui ne battaient pas le pavé ignorent que parmi les principales revendications des manifestants, il y avait le refus du Pacte du Marrakech. Depuis une dizaine d’années, Chevènement pantouflait médiocrement, profitant goulûment de cette République qu’il prétendait autrefois relever. Récemment, il s’était distingué dans un débat avec Eric Zemmour, manifestant une hostilité digne d’un militant d’SOS Racisme. Son ralliement à Macron n’est que le dernier de ses reniements. Face à « la menace populiste », c’est-à-dire au réveil des peuples européens refusant de disparaître, il se fait, comme tout bon homme de gauche, castor. La grande affaire, l’unique sujet important, c’est, aujourd’hui plus encore qu’hier, l’immigration, et donc l’identité. De sorte que l’on peut se demander si le souverainisme de gauche n’est pas, tout simplement, un oxymore.

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Ne laissons pas M. Macron totalement fuir le débat national!

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Allocution télévisée d'Emmanuel Macron au sujet de la guerre en Ukraine, 2 mars 2022 © Jacques Witt/SIPA

Bien que l’unité nationale soit de rigueur en ces temps troublés, on ne peut s’empêcher de constater que la guerre en Ukraine tombe à pic pour le président Macron, bientôt candidat à sa réélection. Son engagement nécessaire et légitime sur la scène internationale, en vue d’obtenir un cessez-le-feu, lui donnera une bonne raison, et excuse, pour ne pas répondre, ni débattre, avec ceux qui critiquent le bilan de son quinquennat…


Le 2 mars, le président de la République est intervenu durant une quinzaine de minutes. J’ai analysé à chaud sur Sud Radio son discours comme étant remarquable et consensuel dans sa première partie mais roué, habile et discutable dans la seconde. Tout en n’annonçant pas explicitement sa candidature – ce sera fait le 4 mars par une lettre aux Français publiée dans la presse quotidienne régionale -, Emmanuel Macron a largement développé les axes de son argumentation de campagne à venir.

Consensuel évidemment, d’abord, dans la dénonciation de la culpabilité exclusive de Poutine pour l’invasion de l’Ukraine et les terrifiants désastres en résultant, morts, blessés, civils atteints, destructions. Pour l’hommage rendu au peuple ukrainien et à son président, incroyable de résistance et de lucidité, pour la volonté de la France de participer à l’accueil des réfugiés, et pour favoriser la fermeté européenne. Rien qui puisse, sur ce plan, altérer l’union nationale qui, naturelle ou contrainte pour quelques autres, s’est créée autour de l’action du président, qui malgré une naïveté initiale s’est mis à la hauteur de ces événements bouleversants dans tous les sens.

Double regret

On me permettra, avant d’aborder la part plus politicienne de l’allocution du président, de formuler un double regret.

Fallait-il attendre la démonstration accablante des mensonges de Poutine sur l’invasion de l’Ukraine pour se persuader que, bien avant déjà, cette personnalité menait un jeu diplomatique singulier ? Épris du seul rapport de force et méprisant la faiblesse des Occidentaux qui croyaient l’amadouer en le courtisant ; alors qu’il aurait seulement respecté qui lui aurait tenu la dragée haute. Aussi, si le président Macron a raison quand il souligne l’obligation de poursuivre le dialogue avec Poutine, j’espère que la leçon aura porté ses fruits: les entretiens ne seront efficaces que si les interlocuteurs de Poutine ne le contredisent plus de manière classique mais avec une fermeté qui lui montreront que les temps ont changé et que l’illusion sur lui s’est dissipée.

A lire aussi, du même auteur: Poutine face à nos douceurs diplomatiques

Le projet européen évoqué par Emmanuel Macron – c’est mon second regret – qui consiste à pourvoir l’Europe de tout ce qui lui a manqué et dont la tragique absence a été à déplorer bien avant cette guerre n’arrive-t-il pas, sinon trop tard, du moins comme une sorte de rattrapage ? On aurait souhaité qu’il n’ait pas été nécessaire parce que la politique de la France l’aurait rendu inutile par une anticipation plus lucide.

Un président protecteur

Le président de la République, s’il ne s’est pas encore déclaré officiellement candidat, nous a indiqué toutefois de manière limpide les axes de sa campagne, auxquels il conviendra de répliquer principalement en ne lui permettant pas de se servir de la situation internationale et du futur européen pour fuir le débat national.

Parce qu’il est clair que son propos sombre sur l’avenir de notre monde, et sur le destin européen, n’a visé qu’à instiller dans les têtes que lui seul, protecteur, tutélaire, lucide, expérimenté, pourrait être la personnalité adéquate pour cette immense tâche. Que lui seul pourrait prévenir les dangers. Relever les défis. Favoriser les réussites.

Après cet exercice d’autosatisfaction subtil mais sans équivoque, ses contradicteurs, demain, n’auront pas d’autre choix que de le ramener à plus de modestie, de le contraindre à quitter la poésie des horizons pour la prose de la France en état de malaise sur trop de plans pour être ainsi reléguée. À la fin de son intervention, il s’est dévoilé. Tout en assurant que le débat démocratique aurait lieu, il s’est dit persuadé qu’on s’accorderait sur « l’essentiel », ce qui était signifier que l’accessoire concernait les controverses franco-françaises qui aujourd’hui, selon le candidat Macron, pèsent peu face au bruit et à la fureur de monde… Il faut sauver la campagne : la France l’attend, l’espère, la mérite. Trop de silences et de frustrations pour qu’elle ne soit pas enfin la démocratique opportunité de “libérer la parole” !