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Sahel: «La tentative de conquête néocoloniale de Poutine en Ukraine va décrédibiliser la propagande russe en Afrique»

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Emmanuel Macron a annoncé le 17 février sa décision de retirer les forces militaires engagées au Mali. Le géopolitologue Loup Viallet, spécialiste en intelligence économique et auteur de “La fin du franc CFA” et “Après la paix” (VA Editions, 2020 et 2021), analyse la situation.


Causeur. Que sait-on des milices russes Wagner, et de leur mission au Mali ?

Loup Viallet. Selon le général Townsend, patron du commandement des États-Unis pour l’Afrique (Africom), il y aurait plus de 1000 combattants de Wagner au Mali. En recoupant les données du site Flightradar24 (qui recense tous les vols commerciaux et privés en temps réel) avec les témoignages d’observateurs locaux, une corrélation a été établie entre le plan de vol d’un Tupolev Tu-154M de l’armée de l’air russe et le déploiement de mercenaires Wagner au Mali, en Libye, au Soudan et en Syrie.

Bien que le Kremlin le réfute, Wagner est en réalité l’armée fantôme du président Poutine. Cette compagnie a été fondée en 2014 à l’initiative de Dimitri Outkine et sans doute sur ordre présidentiel. Surnommé “Wagner” lorsqu’il était dans les forces spéciales russes, Outkine a reçu la décoration de chevalier de l’ordre du courage en décembre 2016 des mains du président russe. Le financier de Wagner n’est autre que l’oligarque Evgueni Prigojin, un homme fort du régime poutinien. 

Avant de se tourner vers l’Afrique, Wagner a accompli dans l’ombre les basses œuvres du Kremlin en Ukraine ou en Syrie. Sur le continent africain, la compagnie intervient à Madagascar, au Mozambique, au Soudan, en Libye et en Centrafrique, où elle a mis le pays en coupe réglée. L’objectif des Russes ? Obtenir des concessions minières (exploitées par des filiales liées aux principaux fonds de Prigojine) en échange de la protection du régime en place. Leur méthode ? Elle est barbare : les Wagner ont été reconnus coupables de tortures, viols et autres crimes de guerres en Libye et en Centrafrique. Ils ne sèment pas la paix, mais la terreur parmi les populations civiles. Ce sont des nettoyeurs. 

Au Mali, comme ailleurs en Afrique, leur objectif est triple : 1) Profiter des failles du pouvoir en place pour permettre à la Russie de mettre un pied dans la porte afin d’exercer une influence nouvelle. La plupart du temps, l’arrivée de Wagner s’accompagne d’une forte propagande anti-française : les Wagner veulent se présenter comme une force de libération du pays qualifiés de “colonies de la France”. Ce discours a pu être efficace auprès de certaines élites africaines corrompues à la recherche d’appuis extérieurs, comme auprès de foules incultes et prêtes à foncer sur un bouc-émissaire pourtant usé jusqu’à la corde. 2) Faire main basse sur les ressources naturelles minières afin de conforter le contrôle du régime russe sur leurs prix internationaux. 3) Exercer une influence géopolitique en dehors de l’“étranger proche” de la Russie, afin de contrôler celui des pays européens (l’arc-de-crise) et ainsi de chercher à influencer leur politique. Typiquement, la Centrafrique et le Soudan ont récemment montré un soutien à l’invasion russe en Ukraine. 14 pays africains, parmi lesquels le Mali, le Soudan et Madagascar se sont abstenus de voter la résolution de l’ONU demandant à la Russie de retirer ses troupes d’Ukraine le 2 mars dernier. Les conséquences de l’invasion de l’Ukraine par la Russie pourraient cependant mettre à mal le narratif de Wagner et de Moscou en Afrique : c’est un acte impérialiste en totale contradiction avec les valeurs anticoloniales qu’ils prônent sur le continent (souvent à rebours de la réalité). 

Quels sont les intérêts économiques français au Mali ?

Ils sont quasiment nuls. L’Afrique correspond à 5% du commerce extérieur français et la majorité des intérêts économiques de la France sur le continent africain sont désormais hors des pays de l’ancien pré carré français : au Nigéria, en Egypte, en Tunisie, au Maroc, en Afrique du Sud. De ce point de vue le Mali représenterait moins de 0,01% du commerce extérieur français. Le Mali a mille fois plus intérêt à commercer avec la France que l’inverse !

Quant aux quelques mines d’or maliennes, elles ne sont pas gérées par des Français mais par des groupes canadiens, britanniques, australiens. Bientôt par des groupes russes peut-être…

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La raison d’être de l’intervention Barkhane au Mali relevait d’une inquiétude sécuritaire, qui demeure plus que jamais. Le Sahel est situé sur l’”arc-de-crise” français et européen, cette zone géographique qui borde notre continent d’ouest en est, et à partir de laquelle des opérations de déstabilisation peuvent fragiliser notre voisinage immédiat ou être carrément menées sur le sol européen. On peut dire que le Mali fait partie de notre grand voisinage, au même titre que ses voisins sahéliens. Les 59 militaires français décédés en opération depuis le début de Barkhane sont morts pour la sécurité de nos deux continents. La fuite en avant de la junte au pouvoir à Bamako est déplorable de ce point de vue, car elle institue un foyer d’instabilité dans la bande sahélienne. Leurs homologues légitimes et voisins ouest-africains en sont conscients, c’est pourquoi ils n’ont pas suivi l’exemple malien. 

Pourquoi la France cesse-t-elle sa coopération militaire avec le Mali ? L’armée française est-elle en échec dans la région ?

C’est le comportement menteur, agressif et irresponsable de la junte installée au pouvoir à Bamako avec les putschs d’août 2020 et de mai 2021 qui a provoqué une crise avec la France et précipité le départ de Barkhane du Mali.

Plusieurs lignes rouges ont été franchies par le régime du colonel Assimi Goïta :

  1. L’usage d’une propagande ouvertement anti-française pour manipuler les foules de la capitale et dépeindre en force d’occupation une armée qui a sauvé le Mali de l’installation d’un califat islamique (cette propagande ne fonctionne que dans les zones en paix où Barkhane n’opère pas. Elle permet de présenter un bouc émissaire à des populations sous-éduquées et extrêmement pauvres).
  2. La trahison : la junte avait promis (à son peuple, à ses voisins et à ses partenaires) qu’elle organiserait une transition pour organiser des élections régulières. Alors que celles-ci auraient dû se dérouler début 2022, les putschistes ont régulièrement repoussé la date butoir. Le chronogramme a ainsi été reporté à cinq ans, puis à trois ans. Leur objectif n’est pas de rétablir l’ordre constitutionnel, mais bien de jouir le plus longtemps possible du pouvoir.
  3. L’invitation de la compagnie de mercenaires russes Wagner sur le territoire malien par les putschistes. Ce groupe de nettoyeurs liés au régime de Vladimir Poutine était déjà connu pour ses crimes de guerre en Libye et en Syrie, ainsi que pour avoir mis la Centrafrique en coupe réglée. Leurs objectifs de prédation économique et leurs méthodes barbares sont en contradiction totale avec ceux de Barkhane. 
  4. La volonté affichée par la junte malienne de négocier officiellement avec les groupes djihadistes présents au Mali en mandatant le Haut Conseil Islamique (HCI), une institution officielle, pour négocier avec le Groupe de Soutien à l’Islam et aux Musulmans (Al-Qaida).

Deux événements ont enfin mis le feu aux poudres : la mise en demeure faite sous un motif fallacieux par la junte au Danemark de retirer son contingent de forces spéciales, dont la présence était pourtant régulière. Et l’expulsion de l’ambassadeur de France au Mali, après que le ministre des Affaires étrangères français a jugé “irresponsable” la décision de la junte d’humilier le Danemark en manquant une nouvelle fois à sa parole. 

Ce sont tous ces chausses-trappes de la junte malienne qui ont provoqué l’annonce du départ de l’opération Barkhane, mais aussi de Takuba, le commando européen de 900 forces spéciales. Mais il ne faut pas tomber dans le piège tendu par la junte malienne. Le dialogue avec les forces armées du Mali est encore solide.

Le 17 février, le président Macron a donc annoncé la fin de l’opération Barkhane. Selon lui, la France ne peut pas gagner la guerre contre le terrorisme islamiste, “la victoire n’étant pas possible si elle n’est pas portée par l’État lui-même”. Est-ce à dire que le pouvoir au Mali tolèrerait désormais le djihadisme ?

Non, il ne s’agit pas de la fin de l’opération Barkhane au Sahel, mais de l’annonce d’un retrait des troupes françaises du Mali dans les “quatre à six mois”. Barkhane opère encore au Mali, au Burkina Faso, au Niger, au Tchad… Cela fait un an qu’un redéploiement a été décidé dans la région des trois frontières, avec le transfert du centre de commandement à Niamey. Aucun départ du continent n’est à prévoir : la guerre contre le terrorisme au Sahel a désormais des ramifications dans le golfe de Guinée et en Afrique centrale, où les groupes affiliés à Al-Qaida, à l’Etat Islamique ou à Boko Haram se font concurrence pour semer la violence, imposer la charia et se livrer à des trafics en tout genre.

L’idée de dialoguer avec les djihadistes n’est pas récente, elle a été formulée pour la première fois à l’occasion de la Conférence Nationale d’Entente en 2017. Les putschistes ont saisi cette solution pour montrer leur différence avec leurs prédécesseurs. En octobre 2020, celle-ci a permis d’obtenir la libération de la française Sophie Pétronin, de l’opposant Soumaila Cissé et de deux Italiens en contrepartie de la libération de deux cent djihadistes. Cet échange n’a pas permis de geler le conflit, seulement de renforcer les rangs terroristes. 

A lire ensuite: L’OTAN moribonde relégitimée

Plus récemment, le pouvoir putschiste a assumé ouvrir un canal de négociation officiel avec des groupes djihadistes liés à Al-Qaida en missionnant le Haut Conseil Islamique à cet effet. Ill s’agit là d’une forme de légitimation de groupes qui n’ont participé à aucun accord de paix au rang d’interlocuteurs crédibles. Des terroristes qui ont réduit en esclavage des populations, semé la violence et ignoré tous les accords de paix conclus dans la région sont-ils des interlocuteurs crédibles ? Il s’agit aussi d’une fuite en avant : la mouvance djihadiste n’a pas d’unité. Ses cellules sont très nombreuses et très peu hiérarchisées. Entamer des pourparlers avec les djihadistes est non seulement illusoire, mais contre-productif et tend à prolonger leur installation sur le territoire.

Quelles seront les étapes du retrait de nos troupes du Mali et que faut-il craindre pour nos hommes lors de ces manœuvres ?

Le retrait des troupes de Barkhane des bases de Gao, Gossi et Ménaka, toutes trois situées dans la région des trois frontières, est en préparation. Le chef de l’Etat a donc précisé qu’il prendrait “4 à 6 mois’” et s’effectuerait en coordination avec les forces armées maliennes et la Mission des Nations Unies au Mali. Les éléments français ont vocation à se déployer au Tchad, au Niger et au Burkina Faso.

Il va de soi que la communication agressive de la junte malienne envers Barkhane et la France ne va pas dans le sens d’un retrait paisible de nos troupes. Cependant la confiance des Maliens envers l’armée française est beaucoup plus forte dans les lieux où Barkhane patrouille que dans les villes où son action n’est perçue qu’à travers des rumeurs infondées et la propagande du régime (comme Bamako).

Le risque est évidemment de laisser le champ libre aux djihadistes et aux groupes comme Wagner (bien que, depuis l’invasion russe de l’Ukraine, ces derniers soient de plus en plus rapatriés pour opérer sur le champ d’intervention prioritaire du président Poutine). Un exemple récent vient corroborer cette interprétation : la ville de Toéni, située dans le Nord-Ouest du Burkina Faso a été attaquée lundi 28 février par une section de terroristes qui ont cherché à se replier derrière la frontière malienne. Ces derniers ont été neutralisés, mais il y a fort à parier que lorsque le retrait de Barkhane sera effectif le Nord-Est du Mali sera utilisé comme une base arrière par les groupes terroristes. D’où la nécessité de protéger la région des trois frontières du côté burkinabè et nigérien. 

Un dernier élément que je porte à votre attention : la guerre menée par le président Poutine en Ukraine risque fort d’avoir des conséquences inattendues au Mali. Un bataillon de Wagner aurait été transféré dans la région de Kiev avec pour ordre d’assassiner le président Zelensky. D’autres suivront peut-être, diluant la présence militaire russe en Afrique. Par ailleurs, il semble que l’armée française comptait s’appuyer sur les Antonov An 124 ukrainiens, des avions gros porteurs, qui sont basés à l’aéroport militaire d’Antonov aux portes de Kiev. Cette base est la cible de l’armée russe depuis le début des affrontements en Ukraine. Les premiers combats ont vu l’armée russe y détruire le plus gros avion du monde, un symbole national ukrainien, l’Antonov An 225. En ciblant les équipements de transport aériens ukrainiens, la stratégie russe pourrait aussi retarder le départ de Barkhane du Mali. 

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Lettre à une provinciale

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« Chère Louise », film oublié de Philippe de Broca présenté à Cannes en 1972, renaît en 2022


En voyant pour la première fois ce film disparu, j’ai communié avec mon pays, fouillé dans ses entrailles intimes.

J’ai retrouvé ma vieille nation boîtant sur le chemin de la modernité. Elle avait le charme éraflé d’une cousine trop longtemps calfeutrée dans le veuvage. Les malheurs tiennent chaud, surtout l’hiver, à la montagne. Souvenez-vous, quand l’attente et l’ennui rythmaient alors les vies monotones de nos grands-parents. Jadis, on avançait à pas mesurés dans l’existence. Seuls les chuchotements et le craquement du parquet bien ciré accompagnaient les gestes du quotidien. L’horizon semblait comme brouillé et indécis, le gris l’emportait sur le tumulte extérieur. Une certaine raideur morale pesait sur nos intérieurs. L’odeur de potage embaumait les appartements, dès la fin d’après-midi. Le qu’en-dira-t-on dictait la paix des ménages. Les voisins s’épiaient, avec méfiance et une pointe de jalousie. Les épiciers recomptaient, chaque soir, leur caisse et les écoliers s’ennuyaient poliment dans des salles mal chauffées.

Les Acacias

Les révolutions étaient si loin, là-bas, à la capitale, dans l’enfer du béton armé et des cités dortoirs. Partout ailleurs, les sous-préfectures assoupies et indifférentes au bruit ambiant temporisaient. Comme si un doigt avait appuyé sur la touche pause. Cet interlude ne durerait pas, les catastrophes étaient en marche. On n’incendiait pas des voitures dans la rue, mais la misère sociale y luisait déjà sous les réverbères. Le pacte bourgeois commençait à se fissurer sous les coups du divertissement-roi et de l’amour libre. Les rêves fous se taisaient, par politesse et par pudeur. On n’exprimait pas son mal-être à la télévision, on le tenait à distance, en laisse, par peur d’importuner les autres. Aujourd’hui, tout doit éclater dans l’hystérie et les cris, le mouvement frénétique est le seul moyen que nous ayons trouvé pour masquer notre errance commune. Au début des années 1970, une part d’innocence était encore possible. La tristesse n’était pas bannie du vocabulaire. Sur l’écran, j’ai revu cette province endormie, le ciel cafardeux, la couleur des vêtements hésitant entre l’ocre et le parme démodé, les avenues commerçantes n’avaient pas encore enfilé l’éclat tapageur de la société marchande, la crise s’approchait et la jeunesse riait de désespoir. Le vieux monde résistait péniblement à l’orage sous les napperons et les édredons.

A lire aussi: Marielle, Broca, Belmondo: le beau recueil nostalgique de Thomas Morales

Qui mieux que Philippe de Broca (1933-2004), dentelier de la pellicule, pour capturer cette lente désagrégation et en faire briller les mille fragments ? « Chère Louise », son film sorti en 1972 adapté d’une nouvelle de Jean-Louis Curtis fut projeté à Cannes dans l’indifférence et l’aigreur par des professionnels du métier estomaqués par les fausses valeurs. Trop lourds, ces gens-là n’aiment que le clinquant et le truqué, la démagogie et la vengeance, la condamnation et l’esprit de meute. Broca, je l’ai souvent écrit, excellait aussi bien dans la cavalcade échevelée que dans le registre aigre-doux, celui de l’effleurement des sentiments. Il y a un toucher de pellicule chez lui qui devrait être enseigné dans toutes les écoles de cinéma. Aux Amériques, son œuvre est vénérée et sa légende entretenue par des cinéphiles. Alors que chez nous, on ne veut voir dans sa filmographie que l’empreinte d’un bon faiseur rattaché à de grosses productions avec Belmondo, Noiret ou Rochefort en têtes d’affiche. Philippe de Broca avançait sur cette fragile ligne de crête où la sincérité des personnages éclate sans les habituels larmoiements. Même dans la comédie dramatique, il s’autorise des instants de poésie rieuse, en apesanteur, qui viennent serrer le cœur par leur folle audace. On partage son goût pour les chorales, la musique enchanteresse de Georges Delerue et la patte de Dabadie. Ce styliste hors des modes aura été le plus merveilleux distillateur d’une nostalgie bien française et aussi, ne l’oublions pas, l’observateur attentif des méandres du couple. Broca filme les femmes, sans les vampiriser, sans les trahir. Il les filme dans leur vérité nue, cruelle et tentatrice, désordonnée et aimable. « Chère Louise » est le portrait d’une femme à la beauté écaillée, embarquée dans l’amour, bousculée dans ses certitudes et tentant, malgré tout, de ne pas perdre son sang-froid. Une partition admirable de Jeanne Moreau qui, dans les tiraillements, se révèle sublime de justesse et de force. De Dieppe à Annecy, cette professeure de dessin, à la quarantaine molletonnée, va faire la rencontre de Luigi (Julian Negulesco), jeune immigré italien en recherche de stabilité. De cette union improbable et dissonante, affectueuse et déséquilibrante, Philippe de Broca en tire une lettre sensible dont les meurtrissures vous marqueront longtemps. Ce film laisse sur la peau les stigmates de l’émotion pure. « Chère Louise » dans une version restaurée 4K refait surface dans quelques cinémas à partir du 16 mars et dans un coffret DVD. D’ores et déjà, inscrivez cette date sur votre agenda, vous ne le regretterez pas !

Chère Louise, film de Philippe de Broca – Au cinéma le 16 mars en version restaurée 4K et en coffret DVD à partir du 18 mars.

Yvan Colonna: l’affaire se corse

Yvan Colonna, qui bénéficiait du statut de Détenu Particulièrement Surveillé, a été étranglé dans la salle de gym de la prison d’Arles par un co-détenu condamné pour islamisme, et se trouve aujourd’hui, pour autant que l’on sache, en état de mort cérébrale, suite à une anoxie du cerveau. Un hasard malheureux, sans doute.


Nous sommes nombreux à ne jamais avoir cru à la culpabilité d’Yvan Colonna — qui n’a jamais avoué, alors que le militantisme de l’époque supposait plutôt une revendication hautaine —, et à penser que le meurtre du préfet Erignac fut le fruit d’une manipulation politique de haut niveau. Pour explorer cette hypothèse, j’ai écrit en 2002 un roman, Pur porc (republié ultérieurement sous le titre Viande froide), et j’en ai tiré un scénario réalisé en 2012 par Antoine Santana pour Arte sous le titre Main basse sur une île, avec un François Berléand particulièrement convaincant.

Qui peut sérieusement penser que le « Groupe de Cargèse », que j’ai vaguement connu et dont le QI global ne dépassait pas 50, ait pu manigancer un assassinat exécuté avec une arme volée six mois auparavant dans une gendarmerie ? Quelle suite dans les idées ! Quel talent dans la rédaction d’un tract de revendication inidentifiable — fabriqué manifestement par un linguiste au courant des techniques d’analyse co-occurrentielle pratiquées par la police.

C’était l’avis de Jean-Michel Rossi, membre éminent du FLNC-Canal historique. Ce dernier avait fait paraître un brûlot intitulé Pour solde de tout compte. Guy Benhamou, journaliste alors à Libé et spécialiste des questions corses, qui l’aida à le mettre en forme, avait vu en 1996 sa maison de banlieue parisienne mitraillée par des inconnus : un hasard probablement. Quant à Rossi, il fut proprement exécuté d’une douzaine de balles dans la tête, en août 2000. L’Iguane — François Santoni, chef du FLNC — écrivit du coup Contre-enquête sur trois assassinats, où il analysait parallèlement la mort de son ami et celle du préfet : avant même la parution de l’ouvrage, il fut tué lui aussi, dans un guet-apens qui ressemblait fort à un exercice en triangulation style Dallas. Tous ces gens ont une fâcheuse tendance à se mettre par accident sur le trajet de balles tirées dans un pur but de divertissement.

C’est dire que la tentative d’assassinat (apparemment réussie, même s’il survit, Yvan Colonna, qui était libérable, ne dira plus jamais rien sur cette affaire) sur le principal inculpé de l’affaire Erignac est si suspecte que le soir même, des manifestations se montaient dans l’île, où Gilles Simeoni réclamait une enquête sérieuse — mais chacun sait que l’administration pénitentiaire est une bien plus grande muette que l’armée. Et mon ami Olivier Jourdan Roulot exprimait avec circonspection sur BFM ses doutes sur l’événement.

Rappelons pour compléter le dossier que l’avocat d’Yvan Colonna, Antoine Sollacaro, a été assassiné lui-même en octobre 2012 par un individu parfaitement identifié mais qui mystérieusement n’est toujours pas passé en procès — et qui continue à se balader librement dans l’île. Ah, la belle mansuétude de la justice française…

Vous vous demandez peut-être à qui le meurtre d’Erignac pouvait bien profiter. Ma foi, demandez-vous pourquoi peu de temps après le gouvernement Jospin avait proposé de donner aux maires de Corse la haute main sur les permis de construire — y compris sur les zones théoriquement préservées par le Conservatoire du Littoral. Une initiative violemment combattue par le FLNC, branche Armata Corsa — dont tous les membres, ou à peu près, furent éliminés entre 2000 et 2002. Des accidents de chasse certainement.

Lors de son arrestation, Nicolas Sarkozy avait désigné Yvan Colonna comme « l’assassin du préfet Erignac » — au mépris de toute procédure judiciaire. Il fallait un coupable, pour exonérer l’Etat de toute ingérence dans cette ténébreuse affaire. Et ce n’est pas le sénateur Charasse, aujourd’hui disparu, et dont la mère était corse, qui nous aidera désormais à démêler les fils entrecroisés de l’histoire : rappelons que l’ancien ministre du Budget s’est longtemps occupé à l’Elysée des affaires insulaires, au point de présumer contre toute évidence que mon père, président d’une université dont l’oligarchie corse ne voulait guère, était le chef du FLNC. Loin de moi de présumer que c’est à son instigation que des membres d’un service parallèle montèrent un casse chez mes parents, se firent bêtement gauler par une brigade de policiers qui passaient, et ne furent jamais traduits en justice. Il n’y a que dans les romans foutraques que de telles mésaventures arrivent. Chacun sait qu’il n’y a pas de pieds-nickelés à la DGSE.

Colonna aurait pu être transféré depuis des années à la prison de Borgo, près de Bastia, où ses proches auraient pu plus facilement lui rendre visite. Il ne l’a pas été — et je n’irai pas jusqu’à présumer que quelqu’un, en très haut lieu, avait une idée derrière la tête. « Compte tenu de son statut de DPS, dit son avocat Maître Sylvain Cormier, il n’est pas normal que ce genre de choses aient pu arriver. » Un instant d’inattention, sans doute. Le député nationaliste de Haute-Corse, Jean-Félix Acquaviva, en rajoute une couche, trouvant « surprenant qu’un tel acte ait pu être commis dans la salle de sport d’une prison centrale surveillée et a fortiori sur un détenu particulièrement signalé. » Et de fustiger « la responsabilité écrasante de l’Etat ». Pff… Vilaines insinuations. Je salue la famille et les amis d’Yvan Colonna, et m’associe à leur chagrin et à leur trouble. Quant à savoir ce qui s’est passé dans l’esprit d’un détenu à tête assez creuse pour avoir intégré l’idéologie islamiste, ce qu’il a pu croire ou les promesses qu’on lui a faites — tout cela appartient à la fiction, ça va de soi.

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6000 éoliennes allemandes sérieusement affectées par une cyberattaque russe

Au moment même de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, une cyberattaque a mis hors de service le réseau américain de satellite KA-SAT. Non seulement, il permettait à des centaines de milliers d’Ukrainiens d’accéder à internet, mais il permettait aussi de commander à distance près de 6000 éoliennes allemandes. 20% du parc éolien allemand est concerné par le problème, révèle la revue Transitions et Énergies.


Ces éoliennes allemandes fonctionnent aujourd’hui en mode automatique, mais il serait difficile de les arrêter si le vent atteignait 80 km/h. Elles risqueraient alors d’être endommagées ou détruites. Près d’une semaine après l’attaque, le réseau n’était toujours pas réparé faute de composants électroniques.

L’industrie énergétique est non seulement très vulnérable aux cyberattaques, mais elle est aussi une cible de choix. Pour preuve, il y a tout juste un mois une cyberattaque a pris pour cibles des terminaux pétroliers dans plusieurs grands ports européens en Allemagne, aux Pays-Bas et en Belgique. Avaient été touchées simultanément les installations des ports de Hambourg (Allemagne), Rotterdam (Pays-Bas) et Anvers (Belgique). Cela avait affecté quelques jours la distribution de pétrole dans le nord de l’Europe. Certains experts avaient émis l’hypothèse que la Russie n’était peut-être pas étrangère à cela…

Une attaque simultanée avec l’invasion de l’Ukraine

Un mois plus tard, c’est au tour d’éoliennes allemandes de montrer leur vulnérabilité aux cyberattaques… même si elles n’étaient pas vraiment visées. Le 24 février au petit matin, une heure exactement après le discours de Vladimir Poutine annonçant l’invasion de l’Ukraine, le réseau américain de satellite KA-SAT a été attaqué et mis hors service.

Cette fois, il n’y avait aucun doute sur l’origine de l’attaque. Puisque les…

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Football: les Russes se contenteront de la télé!

La planète foot se mobilise contre Poutine. Mais l’immixtion de la FIFA dans les affaires du monde est une réalité assez récente.


Dans le monde du football, l’offensive russe en Ukraine commence à avoir des répercussions. Propriété depuis 2003 de l’oligarque russe Roman Abramovitch, le club londonien de Chelsea, vainqueur de la dernière Ligue des Champions, a vu son président quitter l’Angleterre dès les premières heures de l’invasion et laisser les rênes aux administrateurs de la fondation caritative de Chelsea. Proche de Vladimir Poutine, l’oligarque de confession juive et d’ascendance ukrainienne (qui a eu la bonne idée de ne pas trop se mêler de politique, contrairement à d’autres compatriotes milliardaires) aurait été sollicité par l’Ukraine pour mener les négociations avec Moscou et se trouverait actuellement en Biélorussie. En attendant, on parle d’une revente du club anglais, dont la valeur est évaluée à trois milliards d’euros.

Des Coupes du Monde ont été organisées chez Mussolini et Hitler

En cette année de Coupe du monde (qui aura lieu exceptionnellement en novembre-décembre, climat qatarien oblige), l’actualité internationale n’est pas sans incidences dans le petit monde du football. Lundi dernier, la FIFA a décidé d’exclure la Russie de sa prochaine compétition. Il faut dire que la sélection devait jouer un match de barrage contre la Pologne, qui avait manifesté son souhait de ne pas jouer contre son encombrant voisin. Dans un premier temps, la FIFA (et l’UEFA, organisatrice des matches de qualification) misait plutôt sur une sanction symbolique forçant la Russie, à jouer sur terrain neutre, sans hymne ni drapeau, à la manière d’une nation fantôme, un peu comme lors des derniers JO. La pression exercée par les autres fédérations européennes était devenue trop forte. Il est loin le souvenir de la dernière Coupe du monde organisée en 2018, quand la Russie accueillait des supporters de la terre entière et quand les joueurs de l’équipe de France, tout juste champions du monde, s’ambiançaient dans les vestiaires du stade Loujniki avec Vladimir Poutine. Il faut bien peu de temps au hard power pour détruire des années de construction d’un soft power finalement fragile.

A lire aussi : Russie-Ukraine: le choc des civilisations a eu lieu

Il y aurait une histoire à faire des rapports entre les instances mondiales du football et les aléas de l’histoire politique. Plutôt épargnées par la guerre froide (alors que les Jeux olympiques faisaient l’objet de menaces permanentes de boycotts) peut-être parce que les Etats-Unis ne prêtaient à ce sport aucun intérêt à l’époque, elles ont su développé une realpolitik décomplexée, épargnée de toute moraline.

Avant-guerre déjà, la FIFA avait offert à l’Italie de Benito Mussolini une formidable vitrine en lui confiant la deuxième édition de la Coupe du monde, en 1934. Désignée pays hôte dans des conditions troubles, l’Italie remporta la compétition dans une atmosphère de propagande effrénée, où les techniques naissantes de battage médiatique autour des événements sportifs (timbres à l’effigie du mondial, affiches déployées sur tout le territoire…) se fondaient à merveille dans un environnement totalitaire. L’Italie remporta la compétition (les joueurs italiens n’avaient semble-t-il pas intérêt à se louper), au terme de matches violents. On raconte que Mussolini lui-même aurait désigné les arbitres de certaines rencontres. Quatre ans plus tard, pour la Coupe du monde en 1938, l’Allemagne nazie était bien décidée à faire savoir qu’elle avait réalisé l’Anschluss quelques semaines plus tôt aux lecteurs de L’Auto (l’ancêtre de L’Equipe) et intégrait de force plusieurs joueurs autrichiens, hormis Matthias Sindelar, l’un des meilleurs Européens de l’époque qui refusa d’intégrer la sélection germanique. Marié à une Juive italienne et traqué par la Gestapo, il décéda dans des conditions suspectes, officiellement à cause d’une intoxication au monoxyde de carbone. Malgré le renfort de ces joueurs autrichiens, la greffe n’a pas pris, et quelques années avant Stalingrad, l’Allemagne se faisait sèchement sortir par la Suisse.

Yougoslavie, Chili, Irak…

Pendant la guerre froide, la FIFA joue à fond l’équilibre entre Est et Ouest. Un joueur est-allemand passe discrètement à l’Ouest ? Il est automatiquement privé de pelouse pour un an. Dans l’esprit de la FIFA, il n’y a pas vraiment de régimes infréquentables, à part peut-être l’Afrique du Sud ségrégationniste. En novembre 1973, le Chili devait recevoir l’URSS pour un match de qualification au stade Nacional, qui depuis le coup d’Etat du général Pinochet en septembre, a plus accueilli d’opposants et de tortionnaires que de matches de football. En cherchant bien, on aurait peut-être pu retrouver sur la pelouse quelques doigts de pieds. L’Union soviétique, à la pointe du combat pour les droits de l’homme (surtout chez les autres) refuse alors d’envoyer son équipe. Devant 15 000 spectateurs, l’équipe chilienne donne le coup d’envoi dans un match sans adversaire. Elle marque un but et la « partie » s’arrête au bout de quelques secondes. La FIFA valide le ticket du Chili pour le prochain mondial.

Cinq ans plus tard, le général Videla remet la Coupe du monde à domicile au capitaine argentin Daniel Passarella, dans une édition à peu près aussi douteuse que celle de 1934.

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Au lendemain de la guerre froide, l’équilibre de la terreur laisse place à des instances improvisées gendarmes du monde. L’UEFA prive la Yougoslavie d’euro 92 quelques semaines avant le coup d’envoi (laissant sa place au Danemark qui l’emporta à la surprise générale). La FIFA en fit de même pour le mondial 94. Dans le même temps, il s’en est fallu de peu pour que l’Irak n’obtienne sa qualification pour la Coupe du monde américaine en 1994, alors que Saddam Hussein menaçait de se rendre en Amérique pour voir ses joueurs, si peu de temps après la guerre du Golfe.

Finalement, il n’y a que dans « The Big Lebowski » que l’on verra le raïs à Los Angeles.

Jean-Pierre Pernaut, poète français

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La star de TF1, attachée à la France profonde et à l’identité de nos terroirs, une exception dans un petit monde médiatique très parisien, s’est éteinte hier mercredi, à l’âge de 71 ans.


Jean-Pierre Pernaut, si on se fie à sa date de naissance, 1950, était un baby-boomer. A lui les trente glorieuses, dans une France où chaque année qui passait allait être meilleure que la précédente. 

Le successeur d’Yves Mourousi

On a cru que cela aurait pu durer une éternité, on avait juste oublié que le capitalisme enchaine les crises, que ces trois décennies étaient en fait une parenthèse heureuse, rien de plus. Jean-Pierre Pernaut, et il avait bien raison, n’aimait pas les idées générales. Il préférait la sensation. À sa manière, il était un poète. Il a bien senti que les années 80 derrière leur côté ultra-festif avec le fric et la coke comme valeurs cardinales, ça allait sérieusement altérer notre perception, qu’on allait perdre de vue la réalité. Le dédoublement numérique du monde, presque total aujourd’hui, nous ferait  oublier l’essentiel : on vit dans un pays magnifique pour qui sait la beauté d’une sous-préfecture au matin, la façade désuète d’un cinéma à La Souterraine, et ces magasins aux enseignes dont le lettrage était déjà démodé au moment de la guerre d’Algérie.

macron pernaut france peripherique
Emmanuel Macrpn et Jean-Pierre Pernaut, 12 avril 2008. Sipa. Numéro de reportage : 00854196_000011.

Finalement, quand il a succédé au très noctambule et people Yves Mourousi, pour le 13 heures de TF1 privatisée par Bouygues, cela signifiait une forme de nostalgie, là où tant d’autres ont vu un retour à l’ordre. Il est vrai qu’au même moment, on virait Polac de “Droit de Réponse”. Il n’empêche : le JT de Pernaut s’est transformé en un manifeste. On a dit que c’était un manifeste de droite, voire poujadiste parce qu’il était essentiellement regardé par des retraités et des femmes au foyer. 

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Cette France qu’on ne voulait plus voir

C’est vrai que ça tapait dur sur les fonctionnaires, les cheminots, les profs à l’occasion. Mais l’essentiel n’était pas là. L’essentiel était que Jean-Pierre Pernaut, Picard fidèle à la Picardie où il a fait ses débuts dans le journalisme, Picard qui a vu le nom même de Picardie disparaître d’un coup de ciseau administratif lors de la naissance des grandes régions qui ne correspondent qu’à une réalité administrative et non plus à un lien charnel, a vu aussi disparaître une France des terroirs. Ou plutôt, – il a intuitivement compris cette évolution, ce qui a fait son succès d’audience et sa longévité à l’antenne – , la France des terroirs n’avait pas disparu mais on ne voulait plus voir car elle n’était plus très glamour. Les fraises de Beaulieu-sur-Dordogne, les harmonies municipales du Berry, les géants des carnavals dans toutes les petites villes du Nord, vraiment, vous trouvez ça intéressant ? À l’époque des nouvelles technologies, des trains à grande vitesse, des métropoles hyper connectées ? Oui, a répondu Jean-Pierre Pernaut, non seulement je trouve ça intéressant, mais je trouve ça vital. 

Une question d’identité, mais d’identité heureuse. Libre à une fraction de la gauche, la fraction « morale », de trouver cela réac. À ce moment-là, il faudra admettre que l’Aragon de « Je vous salue ma France aux yeux de tourterelle » ou du « Conscrit des cent villages » était réac lui aussi. Écoutez plutôt : 

« J’emmène avec moi pour bagage
Cent villages sans lien sinon
L’ancienne antienne de leurs noms
L’odorante fleur du langage (…)
Adieu Forléans Marimbault
Vollore-Ville Volmerange
Avize Avoine Vallerange
Ainval-Septoutre Mongibaud »

Cela aurait pu être récité à chaque 13h de Pernaut. Après tout, ce n’était pas de sa faute si la mondialisation avait été décrétée heureuse par une micro élite libérale-libertaire, tandis que n’importe quel corso fleuri, n’importe quelle criée aux poissons ou foire aux bestiaux à Saint-Léonard-de-Noblat  devenaient intrinsèquement moisis, voire fascistes.

Dupont-Aignan le voyait ministre

Il n’a jamais voulu pour autant apparaître comme le type de droite, il a refusé des offres de Dupont-Aignan qui voulait faire de lui un ministre de l’Aménagement du territoire. C’est qu’aimer la France n’est pas l’apanage de la droite, c’est l’apanage des Français de tous bords qui, comme Pernaut, préfèrent dire « campagne » à « ruralité » et « en province » à  « en région ».

Ce n’est pas un programme politique, c’est un programme esthétique. C’est largement aussi important et il me plait de penser que quelque part, dans un chef-lieu de canton ensoleillé, par la fenêtre ouverte sur le mail, on entend encore la voix de Jean-Pierre Pernaut qui sort d’une vieille télé à tube cathodique.

L’OTAN moribonde relégitimée

Entretien avec Jean-Robert Raviot


En envahissant l’Ukraine, Moscou a concrétisé la menace russe qui planait sur l’Europe.

Du fait de cette menace réelle, l’OTAN se retrouve ainsi relégitimée, donnant corps à l’émergence d’une nouvelle guerre froide.

Entretien avec Jean-Robert Raviot, professeur à l’Université Paris Nanterre. Jean-Robert Raviot est directeur du master Études russes et post-soviétiques et coordinateur de la filière bilingue Droit français – Droit russe. Propos recueillis par Étienne de Floirac.


Conflits. Comment expliquez-vous cette soudaine attaque de l’Ukraine par la Russie le 24 février ? Un élément déclencheur aurait-il provoqué cette décision ?

Jean-Robert Raviot. Cette invasion russe de l’Ukraine m’a sidéré, comme elle a sidéré beaucoup d’observateurs. Je pensais que la pression militaire russe à la frontière ukrainienne allait se poursuivre dans une sorte de guerre des nerfs. L’objectif affiché par Vladimir Poutine était un objectif de long terme : obtenir une Ukraine neutre, puis ouvrir une grande négociation avec les États-Unis et leurs alliés de l’OTAN pour obtenir une révision complète de l’architecture de sécurité du continent européen plus favorable à la Russie que celle qui a résulté de la fin de la guerre froide. Je pensais donc que la Russie allait faire monter la pression militaire tant qu’elle n’aurait pas obtenu au moins un résultat positif pour elle : a minima l’application des accords de Minsk-II par Kiev [1], voire la fédéralisation de l’Ukraine, voire, en plus, la proclamation, par cette dernière, de sa neutralité et l’abandon de tout projet d’adhésion à l’OTAN. C’était une erreur. L’intensification de la pression signifiait que l’invasion russe de l’Ukraine était déjà passée du stade du scénario à celui de projet. Il semble plausible de considérer que ce soit le rejet par les États-Unis d’engager des négociations avec Moscou sur la base des deux projets de traité présentés par la Russie le 17 décembre 2021 [2] qui ait accéléré la mise au point de l’opération lancée le 24 février.

Peut-on parler d’invasion ou cette notion est-elle mal adaptée à la situation ?

Ne jouons pas sur les mots : il s’agit d’une invasion. De même que le rattachement de la Crimée à la Russie en 2014 a été précédé d’une annexion ! Je dirais même plus : la Russie envahit militairement l’Ukraine, mais elle envahit aussi les esprits de chaque foyer européen par la télévision. Cette invasion concrétise une menace russe qui n’était jusqu’ici, pour les Européens de l’Ouest, qu’un récit, du virtuel, quelque chose d’assez abstrait et lointain. Par cette invasion, la Russie fait renaître la peur de la guerre chez soi, des bombardements et de l’exode, voire l’angoisse de la bombe atomique. Par cette invasion, Poutine place la Russie en dehors d’un dogme fondamental qui soude l’Europe depuis 1945 : « L’Europe, c’est la paix ». Pas de guerre territoriale entre peuples européens. En d’autres termes, Poutine a fait sortir la Russie de la « civilisation européenne ».

C’est la menace soviétique qui a présidé à la création de l’OTAN en 1949, et la disparition de l’URSS et de son bloc l’avaient laissée en quelque sorte orpheline. La guerre contre l’Ukraine en 2022 consacre cette menace russe dans toute sa réalité, elle l’objective pleinement.

La Serbie de Milosevic, accusée de fomenter un génocide contre les Albanais du Kosovo, avait déjà été désignée comme étant « sortie de la civilisation » en 1999. L’OTAN avait mené sur ce motif des bombardements ciblés, une guerre dite préventive, « à but humanitaire ». Mais la Russie de Poutine n’est pas du même calibre, elle est une puissance nucléaire et, contrairement à la Serbie, elle est dans une posture offensive. Pour les Occidentaux, la contre-offensive ne peut donc qu’être oblique : sanctions économiques et financières, mise au ban de la « communauté internationale » dans tous les domaines. Elle pourrait déboucher aussi sur un soutien à une résistance armée qui se formerait dans une Ukraine bientôt occupée, totalement ou partiellement.

Vladimir Poutine, coupable, mais pas responsable ?

Pour un réaliste, la notion de culpabilité ne fait pas partie du vocabulaire de l’analyse politique et géopolitique. Poutine est-il responsable ? Évidemment. Qui envahit qui ? Là encore, ne jouons pas sur les mots. Ce qui est plus intéressant, c’est d’examiner les causes qui ont conduit Poutine à planifier, puis à décider de la mise en œuvre d’une opération d’une telle ampleur. Il faut donc se risquer à analyser les intentions à travers la trame du discours officiel, en essayant d’entrevoir l’univers mental qui a façonné cette décision. Pour moi, deux registres de discours permettent de dessiner deux chaînes de causalité, étroitement liées l’une à l’autre, qui ont conduit à cette décision.

La première chaîne de causalité est de nature politique et géopolitique : c’est le registre politique et géopolitique de la nouvelle guerre froide [3]. La nouvelle guerre froide n’est pas une continuation, mais plutôt une résurgence de la guerre froide proprement dite (1947-1990), qui intervient dans les années 2000, en réaction de l’après-guerre froide des années 1990. La nouvelle guerre froide procède d’une nouvelle volonté russe de réviser l’ordre européen. La Russie estime que ce dernier s’est construit sans elle et contre elle à un moment – les années 1990 – où elle se trouvait en position de faiblesse. Figure-clef de la guerre froide, excellent connaisseur de l’URSS, inventeur du concept de containment qui a servi de fondement à la doctrine Truman d’endiguement de l’expansionnisme soviétique, le grand diplomate américain George Kennan (1904-2005) avertissait en 1997 que la décision d’admettre au sein de l’OTAN les anciens satellites de l’URSS en Europe de l’Est était une « erreur fatidique » [4]. On mesure aujourd’hui toute la justesse prémonitoire de cette phrase…

Kiev, 26 février 2022 © MARCUS YAM/LOS ANGELES TIMES/Shu/SIPA Numéro de reportage : Shutterstock40939164_000021

Dans le nouveau contexte international des années 2000, marqué par la sortie des États-Unis de leur statut d’hyperpuissance, celui de l’après-guerre froide, et le redéploiement de leur engagement vers les terrains moyen-oriental et asiatique, ainsi que par la montée en puissance rapide de la Chine, la Russie cherche à regagner en puissance en développant une « rivalité asymétrique » avec les États-Unis qui, à certains égards, emprunte au répertoire de la guerre froide [5]. La nouvelle guerre froide est caractérisée par un contexte international beaucoup plus complexe, plus fragile et plus fluctuant que l’ancien monde bipolaire. Si la nouvelle guerre froide a fini par se réchauffer plus vite que l’ancienne, c’est que la position asymétrique de la Russie face à l’Occident a amplifié la perception, par ses dirigeants, d’une montée de la menace occidentale. La rivalité asymétrique se déployant simultanément sur de multiples théâtres d’opération – militaro-stratégique, économique, financier, informationnel, idéologique – elle a déstabilisé le pouvoir russe, contraint de s’adapter en permanence, et a considérablement amplifié la perception d’une menace multiforme en provenance de l’Occident.

Sur cette première chaîne de causalité géopolitique s’en greffe une deuxième, d’ordre civilisationnel et culturel. C’est le registre du monde russe, en vertu duquel la Russie est un État porteur d’une civilisation – le monde russe [6], rousskii mir – menacée dans son existence même par une russophobie occidentale latente et diffuse – une sorte de stase qui conduirait les dirigeants occidentaux à toujours viser, plus ou moins consciemment, la destruction de la Russie pour s’emparer de ses ressources naturelles, contrôler les corridors logistiques du continent eurasiatique, voire, aujourd’hui, pour mieux contenir la Chine. Cette stase civilisationnelle russophobe de l’Occident serait le vrai motif des entreprises d’invasion de la Russie par l’Occident en 1812, en 1941…

Selon cette vision très culturaliste, que l’on retrouve par exemple dans la pensée d’Alexandre Soljenitsyne, l’Ukraine n’est pas une…

>> Lire la fin de l’entretien sur le site de la revue « Conflits » <<

[1] Les accords de Minsk-II, signés le 12 février 2015, sont signés selon le « Format Normandie » (Russie-Ukraine-Allemagne-France, avec des représentants des républiques autoproclamées du Donbass et de Lougansk). La Russie et l’Ukraine s’accusent mutuellement de ne jamais avoir eu l’intention d’en respecter les termes. Le 31 janvier 2022, le secrétaire du Conseil de sécurité nationale et de défense de l’Ukraine déclarait que « le respect des accords de Minsk, signés sous la menace des Russes sous le regard des Allemands et des Français, signifie la destruction du pays ».

[2] Proposition russe d’engager des négociations immédiates autour d’un « traité entre les États-Unis et la Fédération de Russie sur les garanties de sécurité » d’une part et d’un « accord sur les mesures pour assurer la sécurité de la Fédération de Russie et les États membres de l’OTAN » d’autre part. Les demandes russes : renoncement à tout élargissement de l’OTAN (à l’Ukraine et à d’autres États), pas d’armement supplémentaire dans les États ayant adhéré à l’OTAN après 1997 (tous les États d’Europe de l’Est), interdiction de l’implantation de nouvelles installations militaires américaines sur le territoire des États issus de l’URSS (Pays baltes).

[3] Jean-Robert Raviot (dir.), Russie : vers une nouvelle guerre froide ?, La Documentation française, 2016.

[4] George F. Kennan, « A Fateful Error », New York Times, 5 février 1997.

[5] Andrei P. Tsygankov, Russia and America. The Asymmetric Rivalry, Polity Press, 2019.

[6] Marlène Laruelle, The ‘Russian World’. Russia’s Soft Power and Geopolitical Imagination, 2015: https://www.ponarseurasia.org/the-russian-world-russia-s-soft-power-and-geopolitical-imagination/

Lettre à Cécile

On est trop sérieux quand on a dix-sept ans. L’édito politique de Jérôme Leroy


Ma pauvre Cécile, j’ai 57 ans, quarante ans de plus que toi, et je n’entends plus trop des choses que j’aime quand je vois l’état présent du monde.  Je présume que pour toi, c’est pareil à cette différence notable que je me souviens, au moins, qu’il y a eu un monde avant. Avant quoi, va savoir. Je ne sais pas si c’était mieux avant mais je suis bien certain que c’est pire maintenant. Peut-être le monde d’avant le virus ou d’avant ces rapports sur le climat qui sont comme la Lettre volée d’Edgar Poe : lisibles par tous mais lus par personne. Ou avant la guerre, parce que pour couronner le tout, on t’offre une bonne guerre à l’ancienne en Europe, avec des offensives terrestres, des bombardements, des exodes massifs et même, ne reculons devant aucun sacrifice, des menaces nucléaires.

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Parce que toi, à 17 ans, tu n’auras tout de même pas eu de chance, ces cinq dernières années. Tu étais au collège quand Macron est arrivé et t’a expliqué ou a expliqué à tes parents que « tu n’étais rien » et qu’il suffisait « de traverser la rue pour trouver un boulot. » Pour peu que tu vives dans une zone périphérique, comme on dit, tu les as peut-être accompagnés sur les ronds points, au milieu des gilets jaunes. Tu as peut-être vu revenir  après les samedis des manifs un père ou une cousine éborgnés par les LBD et tu as appris assez vite qu’il n’y avait même pas besoin de l’extrême-droite pour mater policièrement une insurrection populaire : même le centrisme macronien peut être autoritaire.

Scénario de science-fiction

Au lycée, qui aurait dû être la période de tes plus belles années, un virus t’a enfermé de confinements en couvre-feux et a masqué durablement ton minois. Tu as alors entendu à peu près n’importe quoi asséné avec certitude, tu as vu un scientifique de renom gonflé comme une outre de sa propre suffisance, ivre de sa surexposition médiatique se faire une réputation sur la panique devant ce scénario de science-fiction devenu notre présent. Tu as sans doute compris, depuis, que les médecins ont dû se battre sur deux fronts, celui de la maladie mais aussi celui des aberrations antivax le plus souvent masquées derrière un discours sur la liberté tenu par des poutiniens exaltés, ce qui ne manque pas d’ironie. Cela a évité de s’interroger sur ce virus né de la déforestation, c’est-à-dire de la dévastation marchande de la nature et sur les ravages qu’il a pu faire,  aggravés par des systèmes de santé soumis depuis longtemps à une logique libérale. Tu remarqueras d’ailleurs, Cécile, que ce sont les mêmes qui « ne croient pas » au réchauffement comme ils ne croient pas au virus. Il y en a qui cochent toutes les cases, décidément…Tu as peut-être lu Descartes en cours de philo et tu sais désormais que ce pays qu’on disait cartésien, avec un orgueil légitime, est devenu la nation du charlatanisme triomphant et auto-satisfait, légitimé par des réseaux sociaux qui font leur beurre sur la folie ambiante.

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Écervelée manipulée ?

Tu aurais pu croire qu’un monde nouveau allait émerger, en écoutant le président, au début de la crise : au nom du « quoiqu’il en coûte », il annonçait des jours heureux pour après et tu vois le résultat. Rien n’a changé, alors que tu angoisses à cause de Parcours Sup, un truc pour t’orienter que n’auraient même pas osé imaginé Orwell et Kafka, la main dans la main. Si tu te plains des insuffisances manifestes de Blanquer ou de son arrogance d’amateur, il te répondra qu’un danger autrement plus grand te menace que celui de fêter tes trente ans dans une planète écologiquement invivable : c’est l’islamo-gauchisme ou le woke – fais ton choix – mais ne t’avise pas de manifester dans la rue ton angoisse climatique, tu seras vite classée comme une écervelée manipulée, au mieux, mais plus surement comme une racaille antifa, au pire.

Les jours heureux, les vrais

Ma pauvre Cécile, tu ne pourras même pas voter ce coup-ci, et peut-être n’en aurais-tu pas eu envie. Je vais le faire pour toi. En me souvenant de Paul Nizan, un écrivain communiste qui a dit : « J’avais vingt ans. Je ne laisserai personne dire que c’est le plus bel âge de la vie. » Et je vais le faire pour un candidat qui sait de quoi il parle, lui, quand il parle des jours heureux.

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Macron/Ukraine: le drapeau au risque de l’effacement démocratique?

L’élection présidentielle française apparaît de plus en plus comme une victime collatérale de la guerre russo-ukrainienne, analyse Philippe Bilger. Emmanuel Macron, qui bénéficie de l’effet drapeau, prendra la parole ce soir à 20h.


La guerre menée par Poutine contre l’Ukraine, son peuple courageux et son intrépide président, a d’une certaine manière décanté aussi les choses, les rapports de force sur le plan national. Emmanuel Macron, bénéficiant de l’effet drapeau comme l’a indiqué Frédéric Dabi, a augmenté son socle pour le premier tour. Marine Le Pen se maintient derrière lui mais à bonne distance. Eric Zemmour recule sensiblement: il paie le prix de ses positions pro-russes et favorables à Poutine malgré son infléchissement récent. Jean-Luc Mélenchon pâtit un peu, mais à un degré moindre, de sa volonté de faire de la France un pays non aligné s’il gagnait l’élection présidentielle – optimisme qui n’est plus partagé que par LFI.

La candidate LR en mauvaise posture pour le second tour

Valérie Pécresse malheureusement, sauf miracle pour la droite républicaine, semble devoir priver ses soutiens (dont je suis et je persiste) d’une qualification pour le second tour pour un certain nombre de raisons, dont la principale tient à la médiocre articulation entre la personnalité de la candidate, ses forces, ses faiblesses et son équipe de campagne qui n’a pas été enthousiasmante pour la communication et le professionnalisme. Tout peut arriver encore, certes, mais il est plus que probable que le second tour opposera à nouveau le président sortant et Marine Le Pen.

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Il n’est pas indécent de s’interroger sur les effets de cette campagne présidentielle réduite à presque rien, plaçant les opposants à Emmanuel Macron (qui va se déclarer candidat de manière imminente) dans un étau entre unité nationale obligatoire et nécessité d’incriminer un bilan qui pourrait laisser largement place à la critique, à la dénonciation et à l’aspiration à un changement présidentiel.

Raffarin apporte son soutien à Macron!

On se moque trop, à cause de son physique apparemment patelin, du président du Sénat Gérard Larcher, aux antipodes, malgré les apparences de rondeurs, d’un Jean-Pierre Raffarin qui vient de révéler qu’il a deux amours : la Chine et maintenant Emmanuel Macron !

Gérard Larcher, dont la lucidité sous ce quinquennat n’a jamais été prise en défaut, a récemment souligné une difficulté. S’il était hors de question de ne pas soutenir l’action présidentielle dans cette période tragique où Emmanuel Macron ne démérite pas, on pouvait craindre une conséquence, qui serait l’effacement démocratique. En effet, comme l’élection présidentielle ne sera pas reportée – ce serait ajouter à la crise -, il est légitime de s’interroger sur la compatibilité entre ces terrifiantes séquences internationales où le président bénéficie de son statut et de son rôle forcément tutélaire et la campagne qui ne saurait se réduire à une sorte de validation, sous l’emprise de ces événements guerriers, d’un bilan quasiment impossible à discuter.

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Une réélection jouée d’avance ?

Il convient de sauver la mise de la démocratie par tous moyens. Il faudra inventer une voie originale conciliant la décence internationale avec la joute nationale. Sinon je crains le pire.

Si Emmanuel Macron est réélu, je me demande comment notre pays vivra cette frustration d’avoir été confronté à des échanges républicains forcément pauvres et biaisés. Je ne voudrais pas qu’il y ait alors le risque, encore plus que pour les gilets jaunes hier, de voir contester la légitimité d’une réélection acquise dans une sorte de consensus contraint ou au fil de débats réduits, contraignant à passer trop vite sur un bilan. Occultant le passé à cause d’un présent très préoccupant et d’un avenir angoissant. Ce mandat aura connu trop de crises, de drames, de tragédies, de violences pour qu’on puisse accepter de gaîté de cœur que le suivant lui ressemble, fût-ce pour d’autres motifs.

Orelsan, la sagesse du rap

Le succès d’Aurélien Cotentin, jeune homme issu de la France périphérique devenu Orelsan, rappeur national, ne lui a pas valu que des amis. Loin des clichés de racaille du milieu, il s’est imposé par sa vision du monde sensible et sincère, et par sa façon quasi balzacienne de dépeindre notre société.


En novembre dernier est sorti le quatrième album d’Orelsan, « Civilisation ». Le jour même de sa mise en place dans les bacs, il a été numéro un des ventes et premier sur les plates-formes de streaming. Rançon de la gloire, les critiques n’ont pas tardé non plus : on a entendu dire que le rappeur était devenu démago, moins percutant, voire « vendu au système ». Et avoir été qualifié de « sociologue » par le président Macron n’a pas arrangé son cas. « Orelsan c’est mort, il est récupéré ! », a ainsi tranché Renaud – qui, c’est bien connu, ne l’a jamais été.

Pour ma part, à la faveur d’une série documentaire retraçant son parcours, Montre jamais ça à personne, diffusée sur Amazon, j’ai été cueillie, séduite et emballée par cet artiste sensible et bourru, profondément sincère.

Sous le feu des projecteurs pour de mauvaises raisons

Orelsan a été propulsé sur le devant de la scène médiatique de manière fulgurante et brutale en 2009, quand sa chanson Sale pute, qui figure sur son premier album, « Perdu d’avance », a fait aboyer les chiennes de garde. La meute s’est empressée de dénoncer cette histoire d’un jeune homme qui dit vouloir « avorter à l’opinel » sa petite amie infidèle… La polémique a duré plusieurs semaines et mobilisé jusqu’à Ségolène Royal qui a courageusement réussi à faire annuler le concert du chanteur prévu aux Francofolies de La Rochelle. Je n’ose pas imaginer le sort que lui réserveraient aujourd’hui les thuriféraires de #MeToo.

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À cette époque, le rappeur, dans sa naïveté encore mal dégrossie, n’a pas compris ce qui lui arrivait : « Mais quand il y a l’buzz les merdes rappliquent : les hyènes, les fils de polémistes, je viens juste de sortir mon premier disque, j’fais de la politique, j’suis seul et triste », chante-t-il dans « Shonen », le premier morceau de son dernier album. Mais Orelsan est sorti grandi de cette épreuve et, avec une énergie qui pourrait être celle du désespoir, est parvenu au sommet.

Orelsan, loin des clichés attribués au rap

Il a inventé le rap de la complexité des sentiments, très loin des clichés « gangsta » et testostéronés de Booba et consorts. Il s’est aussi toujours tenu éloigné de la culture du clash, préférant distiller dans ses chansons des « punchlines » assassines : « Si t’as la fureur de vaincre moi j’ai la rage de perdre, j’prendrai même plus la peine de répondre à vos clashs de merde, j’prêterai ni mon buzz ni mon temps, j’verserai ni ma sueur ni mon sang, tu parles de moi pour rien dans tes titres, tu ferais même pas de buzz avec un album antisémite », scande-t-il dans Raelsan, la chanson phare de son deuxième album « Le Chant des sirènes ». Raelsan, c’est son double maléfique, son Gainsbarre à lui, celui qui succombe aux chants des sirènes du succès et à la luxure, qui est au « Cap d’Agde dans la chatte du diable », et qui devient méchamment cynique. Mais heureusement, Orelsan veille pour lui rappeler qu’il ne doit pas perdre de vue Aurélien Cotentin, le petit gars de Caen qu’il a été, lorsqu’il végétait comme veilleur de nuit dans un hôtel. Des nuits passées à composer des sons sur son ordinateur en fumant des joints. Cet Aurélien-là a des liens de parenté avec Holden Caulfield, le héros de L’Attrape-cœurs de Salinger. Il partage avec lui la pureté des sentiments : « Sans concessions les sentiments sont plus purs, voilà pourquoi j’écris des chansons de rupture. » Une forme de lucidité et, surtout, le refus de toute compromission : « Je resterai pas bloqué dans une parodie de succès, dans une version d’Entourage à petit budget, je ferai ce qui me plaît jusqu’à ma dernière quête, jusqu’à revenir dans l’hôtellerie plier des serviettes. »

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Rappeur-chroniqueur de la société contemporaine

La quête. Voilà, à mon sens, le mot-clé pour comprendre l’œuvre d’Orelsan, et particulièrement son dernier album. Ce grand amateur de mangas est en quête, comme dans Dragon Ball, des sept boules de cristal qui représentent la sagesse ultime. Nous l’avons vu évoluer, du garçon un peu paumé des débuts – qui a dû affronter sans filet les jeux du cirque médiatique – jusqu’à l’homme de presque 40 ans, apaisé et jeune marié. Depuis « Perdu d’avance », le rappeur nous livre à la fois son autobiographie et (je n’ai pas peur de l’affirmer) une sorte de Comédie humaine version rap. Il croque des portraits d’une sidérante justesse : du DJ de province dans sa bagnole « tunée » à l’instagrameuse, en passant par la « mi-blogueuse mi-journaliste » ou l’aide-soignante épuisée. En cela, Macron a vu juste : dans cent ans, lorsque les historiens – s’il en reste– voudront étudier la France des années 2020, ils pourront écouter les chansons d’Orelsan.

La force de son caractère et la puissance de ses textes s’expliquent peut-être par sa capacité de détachement, une certaine sagesse, qui lui permet d’observer ses contemporains sans se laisser aveugler par la moindre idéologie. Il peut ainsi viser juste et parfois faire mal, comme dans son chef-d’œuvre Suicide social. Mais Orelsan est bien trop intelligent et lucide pour devenir un chanteur engagé – cette spécialité française – et qu’importe si ses fans les plus droitards se sentent visés par le texte de L’Odeur de l’essence : « Leur faire miroiter la grandeur d’une France passée qu’ils ont fantasmée. » Ils en viendraient à le taxer de gauchiste, ou pire, de macroniste. Notre rappeur ne va pas perdre du temps à leur répondre, il a une œuvre à accomplir. Dans son morceau Manifeste, où le narrateur se retrouve au milieu d’une manifestation qui tourne mal, il prouve ses talents de grand conteur. Pendant les sept minutes haletantes que dure la chanson, nous voyons défiler sous nos yeux toute la détresse et la violence de notre société post-moderne. Orelsan sait aussi la tragédie de l’existence et nous la livre, par petites bribes : « J’ai 7 ans la vie est facile, quand je sais pas je demande à ma mère, un jour elle me dit je sais pas tout, j’ai perdu foi en l’univers. ».

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Sahel: «La tentative de conquête néocoloniale de Poutine en Ukraine va décrédibiliser la propagande russe en Afrique»

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Manifestants hostiles à la France, Bamako, 22 septembre 2020 © AP/SIPA

Emmanuel Macron a annoncé le 17 février sa décision de retirer les forces militaires engagées au Mali. Le géopolitologue Loup Viallet, spécialiste en intelligence économique et auteur de “La fin du franc CFA” et “Après la paix” (VA Editions, 2020 et 2021), analyse la situation.


Causeur. Que sait-on des milices russes Wagner, et de leur mission au Mali ?

Loup Viallet. Selon le général Townsend, patron du commandement des États-Unis pour l’Afrique (Africom), il y aurait plus de 1000 combattants de Wagner au Mali. En recoupant les données du site Flightradar24 (qui recense tous les vols commerciaux et privés en temps réel) avec les témoignages d’observateurs locaux, une corrélation a été établie entre le plan de vol d’un Tupolev Tu-154M de l’armée de l’air russe et le déploiement de mercenaires Wagner au Mali, en Libye, au Soudan et en Syrie.

Bien que le Kremlin le réfute, Wagner est en réalité l’armée fantôme du président Poutine. Cette compagnie a été fondée en 2014 à l’initiative de Dimitri Outkine et sans doute sur ordre présidentiel. Surnommé “Wagner” lorsqu’il était dans les forces spéciales russes, Outkine a reçu la décoration de chevalier de l’ordre du courage en décembre 2016 des mains du président russe. Le financier de Wagner n’est autre que l’oligarque Evgueni Prigojin, un homme fort du régime poutinien. 

Avant de se tourner vers l’Afrique, Wagner a accompli dans l’ombre les basses œuvres du Kremlin en Ukraine ou en Syrie. Sur le continent africain, la compagnie intervient à Madagascar, au Mozambique, au Soudan, en Libye et en Centrafrique, où elle a mis le pays en coupe réglée. L’objectif des Russes ? Obtenir des concessions minières (exploitées par des filiales liées aux principaux fonds de Prigojine) en échange de la protection du régime en place. Leur méthode ? Elle est barbare : les Wagner ont été reconnus coupables de tortures, viols et autres crimes de guerres en Libye et en Centrafrique. Ils ne sèment pas la paix, mais la terreur parmi les populations civiles. Ce sont des nettoyeurs. 

Au Mali, comme ailleurs en Afrique, leur objectif est triple : 1) Profiter des failles du pouvoir en place pour permettre à la Russie de mettre un pied dans la porte afin d’exercer une influence nouvelle. La plupart du temps, l’arrivée de Wagner s’accompagne d’une forte propagande anti-française : les Wagner veulent se présenter comme une force de libération du pays qualifiés de “colonies de la France”. Ce discours a pu être efficace auprès de certaines élites africaines corrompues à la recherche d’appuis extérieurs, comme auprès de foules incultes et prêtes à foncer sur un bouc-émissaire pourtant usé jusqu’à la corde. 2) Faire main basse sur les ressources naturelles minières afin de conforter le contrôle du régime russe sur leurs prix internationaux. 3) Exercer une influence géopolitique en dehors de l’“étranger proche” de la Russie, afin de contrôler celui des pays européens (l’arc-de-crise) et ainsi de chercher à influencer leur politique. Typiquement, la Centrafrique et le Soudan ont récemment montré un soutien à l’invasion russe en Ukraine. 14 pays africains, parmi lesquels le Mali, le Soudan et Madagascar se sont abstenus de voter la résolution de l’ONU demandant à la Russie de retirer ses troupes d’Ukraine le 2 mars dernier. Les conséquences de l’invasion de l’Ukraine par la Russie pourraient cependant mettre à mal le narratif de Wagner et de Moscou en Afrique : c’est un acte impérialiste en totale contradiction avec les valeurs anticoloniales qu’ils prônent sur le continent (souvent à rebours de la réalité). 

Quels sont les intérêts économiques français au Mali ?

Ils sont quasiment nuls. L’Afrique correspond à 5% du commerce extérieur français et la majorité des intérêts économiques de la France sur le continent africain sont désormais hors des pays de l’ancien pré carré français : au Nigéria, en Egypte, en Tunisie, au Maroc, en Afrique du Sud. De ce point de vue le Mali représenterait moins de 0,01% du commerce extérieur français. Le Mali a mille fois plus intérêt à commercer avec la France que l’inverse !

Quant aux quelques mines d’or maliennes, elles ne sont pas gérées par des Français mais par des groupes canadiens, britanniques, australiens. Bientôt par des groupes russes peut-être…

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La raison d’être de l’intervention Barkhane au Mali relevait d’une inquiétude sécuritaire, qui demeure plus que jamais. Le Sahel est situé sur l’”arc-de-crise” français et européen, cette zone géographique qui borde notre continent d’ouest en est, et à partir de laquelle des opérations de déstabilisation peuvent fragiliser notre voisinage immédiat ou être carrément menées sur le sol européen. On peut dire que le Mali fait partie de notre grand voisinage, au même titre que ses voisins sahéliens. Les 59 militaires français décédés en opération depuis le début de Barkhane sont morts pour la sécurité de nos deux continents. La fuite en avant de la junte au pouvoir à Bamako est déplorable de ce point de vue, car elle institue un foyer d’instabilité dans la bande sahélienne. Leurs homologues légitimes et voisins ouest-africains en sont conscients, c’est pourquoi ils n’ont pas suivi l’exemple malien. 

Pourquoi la France cesse-t-elle sa coopération militaire avec le Mali ? L’armée française est-elle en échec dans la région ?

C’est le comportement menteur, agressif et irresponsable de la junte installée au pouvoir à Bamako avec les putschs d’août 2020 et de mai 2021 qui a provoqué une crise avec la France et précipité le départ de Barkhane du Mali.

Plusieurs lignes rouges ont été franchies par le régime du colonel Assimi Goïta :

  1. L’usage d’une propagande ouvertement anti-française pour manipuler les foules de la capitale et dépeindre en force d’occupation une armée qui a sauvé le Mali de l’installation d’un califat islamique (cette propagande ne fonctionne que dans les zones en paix où Barkhane n’opère pas. Elle permet de présenter un bouc émissaire à des populations sous-éduquées et extrêmement pauvres).
  2. La trahison : la junte avait promis (à son peuple, à ses voisins et à ses partenaires) qu’elle organiserait une transition pour organiser des élections régulières. Alors que celles-ci auraient dû se dérouler début 2022, les putschistes ont régulièrement repoussé la date butoir. Le chronogramme a ainsi été reporté à cinq ans, puis à trois ans. Leur objectif n’est pas de rétablir l’ordre constitutionnel, mais bien de jouir le plus longtemps possible du pouvoir.
  3. L’invitation de la compagnie de mercenaires russes Wagner sur le territoire malien par les putschistes. Ce groupe de nettoyeurs liés au régime de Vladimir Poutine était déjà connu pour ses crimes de guerre en Libye et en Syrie, ainsi que pour avoir mis la Centrafrique en coupe réglée. Leurs objectifs de prédation économique et leurs méthodes barbares sont en contradiction totale avec ceux de Barkhane. 
  4. La volonté affichée par la junte malienne de négocier officiellement avec les groupes djihadistes présents au Mali en mandatant le Haut Conseil Islamique (HCI), une institution officielle, pour négocier avec le Groupe de Soutien à l’Islam et aux Musulmans (Al-Qaida).

Deux événements ont enfin mis le feu aux poudres : la mise en demeure faite sous un motif fallacieux par la junte au Danemark de retirer son contingent de forces spéciales, dont la présence était pourtant régulière. Et l’expulsion de l’ambassadeur de France au Mali, après que le ministre des Affaires étrangères français a jugé “irresponsable” la décision de la junte d’humilier le Danemark en manquant une nouvelle fois à sa parole. 

Ce sont tous ces chausses-trappes de la junte malienne qui ont provoqué l’annonce du départ de l’opération Barkhane, mais aussi de Takuba, le commando européen de 900 forces spéciales. Mais il ne faut pas tomber dans le piège tendu par la junte malienne. Le dialogue avec les forces armées du Mali est encore solide.

Le 17 février, le président Macron a donc annoncé la fin de l’opération Barkhane. Selon lui, la France ne peut pas gagner la guerre contre le terrorisme islamiste, “la victoire n’étant pas possible si elle n’est pas portée par l’État lui-même”. Est-ce à dire que le pouvoir au Mali tolèrerait désormais le djihadisme ?

Non, il ne s’agit pas de la fin de l’opération Barkhane au Sahel, mais de l’annonce d’un retrait des troupes françaises du Mali dans les “quatre à six mois”. Barkhane opère encore au Mali, au Burkina Faso, au Niger, au Tchad… Cela fait un an qu’un redéploiement a été décidé dans la région des trois frontières, avec le transfert du centre de commandement à Niamey. Aucun départ du continent n’est à prévoir : la guerre contre le terrorisme au Sahel a désormais des ramifications dans le golfe de Guinée et en Afrique centrale, où les groupes affiliés à Al-Qaida, à l’Etat Islamique ou à Boko Haram se font concurrence pour semer la violence, imposer la charia et se livrer à des trafics en tout genre.

L’idée de dialoguer avec les djihadistes n’est pas récente, elle a été formulée pour la première fois à l’occasion de la Conférence Nationale d’Entente en 2017. Les putschistes ont saisi cette solution pour montrer leur différence avec leurs prédécesseurs. En octobre 2020, celle-ci a permis d’obtenir la libération de la française Sophie Pétronin, de l’opposant Soumaila Cissé et de deux Italiens en contrepartie de la libération de deux cent djihadistes. Cet échange n’a pas permis de geler le conflit, seulement de renforcer les rangs terroristes. 

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Plus récemment, le pouvoir putschiste a assumé ouvrir un canal de négociation officiel avec des groupes djihadistes liés à Al-Qaida en missionnant le Haut Conseil Islamique à cet effet. Ill s’agit là d’une forme de légitimation de groupes qui n’ont participé à aucun accord de paix au rang d’interlocuteurs crédibles. Des terroristes qui ont réduit en esclavage des populations, semé la violence et ignoré tous les accords de paix conclus dans la région sont-ils des interlocuteurs crédibles ? Il s’agit aussi d’une fuite en avant : la mouvance djihadiste n’a pas d’unité. Ses cellules sont très nombreuses et très peu hiérarchisées. Entamer des pourparlers avec les djihadistes est non seulement illusoire, mais contre-productif et tend à prolonger leur installation sur le territoire.

Quelles seront les étapes du retrait de nos troupes du Mali et que faut-il craindre pour nos hommes lors de ces manœuvres ?

Le retrait des troupes de Barkhane des bases de Gao, Gossi et Ménaka, toutes trois situées dans la région des trois frontières, est en préparation. Le chef de l’Etat a donc précisé qu’il prendrait “4 à 6 mois’” et s’effectuerait en coordination avec les forces armées maliennes et la Mission des Nations Unies au Mali. Les éléments français ont vocation à se déployer au Tchad, au Niger et au Burkina Faso.

Il va de soi que la communication agressive de la junte malienne envers Barkhane et la France ne va pas dans le sens d’un retrait paisible de nos troupes. Cependant la confiance des Maliens envers l’armée française est beaucoup plus forte dans les lieux où Barkhane patrouille que dans les villes où son action n’est perçue qu’à travers des rumeurs infondées et la propagande du régime (comme Bamako).

Le risque est évidemment de laisser le champ libre aux djihadistes et aux groupes comme Wagner (bien que, depuis l’invasion russe de l’Ukraine, ces derniers soient de plus en plus rapatriés pour opérer sur le champ d’intervention prioritaire du président Poutine). Un exemple récent vient corroborer cette interprétation : la ville de Toéni, située dans le Nord-Ouest du Burkina Faso a été attaquée lundi 28 février par une section de terroristes qui ont cherché à se replier derrière la frontière malienne. Ces derniers ont été neutralisés, mais il y a fort à parier que lorsque le retrait de Barkhane sera effectif le Nord-Est du Mali sera utilisé comme une base arrière par les groupes terroristes. D’où la nécessité de protéger la région des trois frontières du côté burkinabè et nigérien. 

Un dernier élément que je porte à votre attention : la guerre menée par le président Poutine en Ukraine risque fort d’avoir des conséquences inattendues au Mali. Un bataillon de Wagner aurait été transféré dans la région de Kiev avec pour ordre d’assassiner le président Zelensky. D’autres suivront peut-être, diluant la présence militaire russe en Afrique. Par ailleurs, il semble que l’armée française comptait s’appuyer sur les Antonov An 124 ukrainiens, des avions gros porteurs, qui sont basés à l’aéroport militaire d’Antonov aux portes de Kiev. Cette base est la cible de l’armée russe depuis le début des affrontements en Ukraine. Les premiers combats ont vu l’armée russe y détruire le plus gros avion du monde, un symbole national ukrainien, l’Antonov An 225. En ciblant les équipements de transport aériens ukrainiens, la stratégie russe pourrait aussi retarder le départ de Barkhane du Mali. 

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Lettre à une provinciale

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"Chère Louise" de Philippe de Broca (1972) avec Jeanne Moreau © TF1 Studio

« Chère Louise », film oublié de Philippe de Broca présenté à Cannes en 1972, renaît en 2022


En voyant pour la première fois ce film disparu, j’ai communié avec mon pays, fouillé dans ses entrailles intimes.

J’ai retrouvé ma vieille nation boîtant sur le chemin de la modernité. Elle avait le charme éraflé d’une cousine trop longtemps calfeutrée dans le veuvage. Les malheurs tiennent chaud, surtout l’hiver, à la montagne. Souvenez-vous, quand l’attente et l’ennui rythmaient alors les vies monotones de nos grands-parents. Jadis, on avançait à pas mesurés dans l’existence. Seuls les chuchotements et le craquement du parquet bien ciré accompagnaient les gestes du quotidien. L’horizon semblait comme brouillé et indécis, le gris l’emportait sur le tumulte extérieur. Une certaine raideur morale pesait sur nos intérieurs. L’odeur de potage embaumait les appartements, dès la fin d’après-midi. Le qu’en-dira-t-on dictait la paix des ménages. Les voisins s’épiaient, avec méfiance et une pointe de jalousie. Les épiciers recomptaient, chaque soir, leur caisse et les écoliers s’ennuyaient poliment dans des salles mal chauffées.

Les Acacias

Les révolutions étaient si loin, là-bas, à la capitale, dans l’enfer du béton armé et des cités dortoirs. Partout ailleurs, les sous-préfectures assoupies et indifférentes au bruit ambiant temporisaient. Comme si un doigt avait appuyé sur la touche pause. Cet interlude ne durerait pas, les catastrophes étaient en marche. On n’incendiait pas des voitures dans la rue, mais la misère sociale y luisait déjà sous les réverbères. Le pacte bourgeois commençait à se fissurer sous les coups du divertissement-roi et de l’amour libre. Les rêves fous se taisaient, par politesse et par pudeur. On n’exprimait pas son mal-être à la télévision, on le tenait à distance, en laisse, par peur d’importuner les autres. Aujourd’hui, tout doit éclater dans l’hystérie et les cris, le mouvement frénétique est le seul moyen que nous ayons trouvé pour masquer notre errance commune. Au début des années 1970, une part d’innocence était encore possible. La tristesse n’était pas bannie du vocabulaire. Sur l’écran, j’ai revu cette province endormie, le ciel cafardeux, la couleur des vêtements hésitant entre l’ocre et le parme démodé, les avenues commerçantes n’avaient pas encore enfilé l’éclat tapageur de la société marchande, la crise s’approchait et la jeunesse riait de désespoir. Le vieux monde résistait péniblement à l’orage sous les napperons et les édredons.

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Qui mieux que Philippe de Broca (1933-2004), dentelier de la pellicule, pour capturer cette lente désagrégation et en faire briller les mille fragments ? « Chère Louise », son film sorti en 1972 adapté d’une nouvelle de Jean-Louis Curtis fut projeté à Cannes dans l’indifférence et l’aigreur par des professionnels du métier estomaqués par les fausses valeurs. Trop lourds, ces gens-là n’aiment que le clinquant et le truqué, la démagogie et la vengeance, la condamnation et l’esprit de meute. Broca, je l’ai souvent écrit, excellait aussi bien dans la cavalcade échevelée que dans le registre aigre-doux, celui de l’effleurement des sentiments. Il y a un toucher de pellicule chez lui qui devrait être enseigné dans toutes les écoles de cinéma. Aux Amériques, son œuvre est vénérée et sa légende entretenue par des cinéphiles. Alors que chez nous, on ne veut voir dans sa filmographie que l’empreinte d’un bon faiseur rattaché à de grosses productions avec Belmondo, Noiret ou Rochefort en têtes d’affiche. Philippe de Broca avançait sur cette fragile ligne de crête où la sincérité des personnages éclate sans les habituels larmoiements. Même dans la comédie dramatique, il s’autorise des instants de poésie rieuse, en apesanteur, qui viennent serrer le cœur par leur folle audace. On partage son goût pour les chorales, la musique enchanteresse de Georges Delerue et la patte de Dabadie. Ce styliste hors des modes aura été le plus merveilleux distillateur d’une nostalgie bien française et aussi, ne l’oublions pas, l’observateur attentif des méandres du couple. Broca filme les femmes, sans les vampiriser, sans les trahir. Il les filme dans leur vérité nue, cruelle et tentatrice, désordonnée et aimable. « Chère Louise » est le portrait d’une femme à la beauté écaillée, embarquée dans l’amour, bousculée dans ses certitudes et tentant, malgré tout, de ne pas perdre son sang-froid. Une partition admirable de Jeanne Moreau qui, dans les tiraillements, se révèle sublime de justesse et de force. De Dieppe à Annecy, cette professeure de dessin, à la quarantaine molletonnée, va faire la rencontre de Luigi (Julian Negulesco), jeune immigré italien en recherche de stabilité. De cette union improbable et dissonante, affectueuse et déséquilibrante, Philippe de Broca en tire une lettre sensible dont les meurtrissures vous marqueront longtemps. Ce film laisse sur la peau les stigmates de l’émotion pure. « Chère Louise » dans une version restaurée 4K refait surface dans quelques cinémas à partir du 16 mars et dans un coffret DVD. D’ores et déjà, inscrivez cette date sur votre agenda, vous ne le regretterez pas !

Chère Louise, film de Philippe de Broca – Au cinéma le 16 mars en version restaurée 4K et en coffret DVD à partir du 18 mars.

Yvan Colonna: l’affaire se corse

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AP/SIPA

Yvan Colonna, qui bénéficiait du statut de Détenu Particulièrement Surveillé, a été étranglé dans la salle de gym de la prison d’Arles par un co-détenu condamné pour islamisme, et se trouve aujourd’hui, pour autant que l’on sache, en état de mort cérébrale, suite à une anoxie du cerveau. Un hasard malheureux, sans doute.


Nous sommes nombreux à ne jamais avoir cru à la culpabilité d’Yvan Colonna — qui n’a jamais avoué, alors que le militantisme de l’époque supposait plutôt une revendication hautaine —, et à penser que le meurtre du préfet Erignac fut le fruit d’une manipulation politique de haut niveau. Pour explorer cette hypothèse, j’ai écrit en 2002 un roman, Pur porc (republié ultérieurement sous le titre Viande froide), et j’en ai tiré un scénario réalisé en 2012 par Antoine Santana pour Arte sous le titre Main basse sur une île, avec un François Berléand particulièrement convaincant.

Qui peut sérieusement penser que le « Groupe de Cargèse », que j’ai vaguement connu et dont le QI global ne dépassait pas 50, ait pu manigancer un assassinat exécuté avec une arme volée six mois auparavant dans une gendarmerie ? Quelle suite dans les idées ! Quel talent dans la rédaction d’un tract de revendication inidentifiable — fabriqué manifestement par un linguiste au courant des techniques d’analyse co-occurrentielle pratiquées par la police.

C’était l’avis de Jean-Michel Rossi, membre éminent du FLNC-Canal historique. Ce dernier avait fait paraître un brûlot intitulé Pour solde de tout compte. Guy Benhamou, journaliste alors à Libé et spécialiste des questions corses, qui l’aida à le mettre en forme, avait vu en 1996 sa maison de banlieue parisienne mitraillée par des inconnus : un hasard probablement. Quant à Rossi, il fut proprement exécuté d’une douzaine de balles dans la tête, en août 2000. L’Iguane — François Santoni, chef du FLNC — écrivit du coup Contre-enquête sur trois assassinats, où il analysait parallèlement la mort de son ami et celle du préfet : avant même la parution de l’ouvrage, il fut tué lui aussi, dans un guet-apens qui ressemblait fort à un exercice en triangulation style Dallas. Tous ces gens ont une fâcheuse tendance à se mettre par accident sur le trajet de balles tirées dans un pur but de divertissement.

C’est dire que la tentative d’assassinat (apparemment réussie, même s’il survit, Yvan Colonna, qui était libérable, ne dira plus jamais rien sur cette affaire) sur le principal inculpé de l’affaire Erignac est si suspecte que le soir même, des manifestations se montaient dans l’île, où Gilles Simeoni réclamait une enquête sérieuse — mais chacun sait que l’administration pénitentiaire est une bien plus grande muette que l’armée. Et mon ami Olivier Jourdan Roulot exprimait avec circonspection sur BFM ses doutes sur l’événement.

Rappelons pour compléter le dossier que l’avocat d’Yvan Colonna, Antoine Sollacaro, a été assassiné lui-même en octobre 2012 par un individu parfaitement identifié mais qui mystérieusement n’est toujours pas passé en procès — et qui continue à se balader librement dans l’île. Ah, la belle mansuétude de la justice française…

Vous vous demandez peut-être à qui le meurtre d’Erignac pouvait bien profiter. Ma foi, demandez-vous pourquoi peu de temps après le gouvernement Jospin avait proposé de donner aux maires de Corse la haute main sur les permis de construire — y compris sur les zones théoriquement préservées par le Conservatoire du Littoral. Une initiative violemment combattue par le FLNC, branche Armata Corsa — dont tous les membres, ou à peu près, furent éliminés entre 2000 et 2002. Des accidents de chasse certainement.

Lors de son arrestation, Nicolas Sarkozy avait désigné Yvan Colonna comme « l’assassin du préfet Erignac » — au mépris de toute procédure judiciaire. Il fallait un coupable, pour exonérer l’Etat de toute ingérence dans cette ténébreuse affaire. Et ce n’est pas le sénateur Charasse, aujourd’hui disparu, et dont la mère était corse, qui nous aidera désormais à démêler les fils entrecroisés de l’histoire : rappelons que l’ancien ministre du Budget s’est longtemps occupé à l’Elysée des affaires insulaires, au point de présumer contre toute évidence que mon père, président d’une université dont l’oligarchie corse ne voulait guère, était le chef du FLNC. Loin de moi de présumer que c’est à son instigation que des membres d’un service parallèle montèrent un casse chez mes parents, se firent bêtement gauler par une brigade de policiers qui passaient, et ne furent jamais traduits en justice. Il n’y a que dans les romans foutraques que de telles mésaventures arrivent. Chacun sait qu’il n’y a pas de pieds-nickelés à la DGSE.

Colonna aurait pu être transféré depuis des années à la prison de Borgo, près de Bastia, où ses proches auraient pu plus facilement lui rendre visite. Il ne l’a pas été — et je n’irai pas jusqu’à présumer que quelqu’un, en très haut lieu, avait une idée derrière la tête. « Compte tenu de son statut de DPS, dit son avocat Maître Sylvain Cormier, il n’est pas normal que ce genre de choses aient pu arriver. » Un instant d’inattention, sans doute. Le député nationaliste de Haute-Corse, Jean-Félix Acquaviva, en rajoute une couche, trouvant « surprenant qu’un tel acte ait pu être commis dans la salle de sport d’une prison centrale surveillée et a fortiori sur un détenu particulièrement signalé. » Et de fustiger « la responsabilité écrasante de l’Etat ». Pff… Vilaines insinuations. Je salue la famille et les amis d’Yvan Colonna, et m’associe à leur chagrin et à leur trouble. Quant à savoir ce qui s’est passé dans l’esprit d’un détenu à tête assez creuse pour avoir intégré l’idéologie islamiste, ce qu’il a pu croire ou les promesses qu’on lui a faites — tout cela appartient à la fiction, ça va de soi.

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6000 éoliennes allemandes sérieusement affectées par une cyberattaque russe

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Au moment même de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, une cyberattaque a mis hors de service le réseau américain de satellite KA-SAT. Non seulement, il permettait à des centaines de milliers d’Ukrainiens d’accéder à internet, mais il permettait aussi de commander à distance près de 6000 éoliennes allemandes. 20% du parc éolien allemand est concerné par le problème, révèle la revue Transitions et Énergies.


Ces éoliennes allemandes fonctionnent aujourd’hui en mode automatique, mais il serait difficile de les arrêter si le vent atteignait 80 km/h. Elles risqueraient alors d’être endommagées ou détruites. Près d’une semaine après l’attaque, le réseau n’était toujours pas réparé faute de composants électroniques.

L’industrie énergétique est non seulement très vulnérable aux cyberattaques, mais elle est aussi une cible de choix. Pour preuve, il y a tout juste un mois une cyberattaque a pris pour cibles des terminaux pétroliers dans plusieurs grands ports européens en Allemagne, aux Pays-Bas et en Belgique. Avaient été touchées simultanément les installations des ports de Hambourg (Allemagne), Rotterdam (Pays-Bas) et Anvers (Belgique). Cela avait affecté quelques jours la distribution de pétrole dans le nord de l’Europe. Certains experts avaient émis l’hypothèse que la Russie n’était peut-être pas étrangère à cela…

Une attaque simultanée avec l’invasion de l’Ukraine

Un mois plus tard, c’est au tour d’éoliennes allemandes de montrer leur vulnérabilité aux cyberattaques… même si elles n’étaient pas vraiment visées. Le 24 février au petit matin, une heure exactement après le discours de Vladimir Poutine annonçant l’invasion de l’Ukraine, le réseau américain de satellite KA-SAT a été attaqué et mis hors service.

Cette fois, il n’y avait aucun doute sur l’origine de l’attaque. Puisque les…

>> Lire la fin de l’article sur le site de la revue Transitions & Energies <<

Football: les Russes se contenteront de la télé!

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La planète foot se mobilise contre Poutine. Mais l’immixtion de la FIFA dans les affaires du monde est une réalité assez récente.


Dans le monde du football, l’offensive russe en Ukraine commence à avoir des répercussions. Propriété depuis 2003 de l’oligarque russe Roman Abramovitch, le club londonien de Chelsea, vainqueur de la dernière Ligue des Champions, a vu son président quitter l’Angleterre dès les premières heures de l’invasion et laisser les rênes aux administrateurs de la fondation caritative de Chelsea. Proche de Vladimir Poutine, l’oligarque de confession juive et d’ascendance ukrainienne (qui a eu la bonne idée de ne pas trop se mêler de politique, contrairement à d’autres compatriotes milliardaires) aurait été sollicité par l’Ukraine pour mener les négociations avec Moscou et se trouverait actuellement en Biélorussie. En attendant, on parle d’une revente du club anglais, dont la valeur est évaluée à trois milliards d’euros.

Des Coupes du Monde ont été organisées chez Mussolini et Hitler

En cette année de Coupe du monde (qui aura lieu exceptionnellement en novembre-décembre, climat qatarien oblige), l’actualité internationale n’est pas sans incidences dans le petit monde du football. Lundi dernier, la FIFA a décidé d’exclure la Russie de sa prochaine compétition. Il faut dire que la sélection devait jouer un match de barrage contre la Pologne, qui avait manifesté son souhait de ne pas jouer contre son encombrant voisin. Dans un premier temps, la FIFA (et l’UEFA, organisatrice des matches de qualification) misait plutôt sur une sanction symbolique forçant la Russie, à jouer sur terrain neutre, sans hymne ni drapeau, à la manière d’une nation fantôme, un peu comme lors des derniers JO. La pression exercée par les autres fédérations européennes était devenue trop forte. Il est loin le souvenir de la dernière Coupe du monde organisée en 2018, quand la Russie accueillait des supporters de la terre entière et quand les joueurs de l’équipe de France, tout juste champions du monde, s’ambiançaient dans les vestiaires du stade Loujniki avec Vladimir Poutine. Il faut bien peu de temps au hard power pour détruire des années de construction d’un soft power finalement fragile.

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Il y aurait une histoire à faire des rapports entre les instances mondiales du football et les aléas de l’histoire politique. Plutôt épargnées par la guerre froide (alors que les Jeux olympiques faisaient l’objet de menaces permanentes de boycotts) peut-être parce que les Etats-Unis ne prêtaient à ce sport aucun intérêt à l’époque, elles ont su développé une realpolitik décomplexée, épargnée de toute moraline.

Avant-guerre déjà, la FIFA avait offert à l’Italie de Benito Mussolini une formidable vitrine en lui confiant la deuxième édition de la Coupe du monde, en 1934. Désignée pays hôte dans des conditions troubles, l’Italie remporta la compétition dans une atmosphère de propagande effrénée, où les techniques naissantes de battage médiatique autour des événements sportifs (timbres à l’effigie du mondial, affiches déployées sur tout le territoire…) se fondaient à merveille dans un environnement totalitaire. L’Italie remporta la compétition (les joueurs italiens n’avaient semble-t-il pas intérêt à se louper), au terme de matches violents. On raconte que Mussolini lui-même aurait désigné les arbitres de certaines rencontres. Quatre ans plus tard, pour la Coupe du monde en 1938, l’Allemagne nazie était bien décidée à faire savoir qu’elle avait réalisé l’Anschluss quelques semaines plus tôt aux lecteurs de L’Auto (l’ancêtre de L’Equipe) et intégrait de force plusieurs joueurs autrichiens, hormis Matthias Sindelar, l’un des meilleurs Européens de l’époque qui refusa d’intégrer la sélection germanique. Marié à une Juive italienne et traqué par la Gestapo, il décéda dans des conditions suspectes, officiellement à cause d’une intoxication au monoxyde de carbone. Malgré le renfort de ces joueurs autrichiens, la greffe n’a pas pris, et quelques années avant Stalingrad, l’Allemagne se faisait sèchement sortir par la Suisse.

Yougoslavie, Chili, Irak…

Pendant la guerre froide, la FIFA joue à fond l’équilibre entre Est et Ouest. Un joueur est-allemand passe discrètement à l’Ouest ? Il est automatiquement privé de pelouse pour un an. Dans l’esprit de la FIFA, il n’y a pas vraiment de régimes infréquentables, à part peut-être l’Afrique du Sud ségrégationniste. En novembre 1973, le Chili devait recevoir l’URSS pour un match de qualification au stade Nacional, qui depuis le coup d’Etat du général Pinochet en septembre, a plus accueilli d’opposants et de tortionnaires que de matches de football. En cherchant bien, on aurait peut-être pu retrouver sur la pelouse quelques doigts de pieds. L’Union soviétique, à la pointe du combat pour les droits de l’homme (surtout chez les autres) refuse alors d’envoyer son équipe. Devant 15 000 spectateurs, l’équipe chilienne donne le coup d’envoi dans un match sans adversaire. Elle marque un but et la « partie » s’arrête au bout de quelques secondes. La FIFA valide le ticket du Chili pour le prochain mondial.

Cinq ans plus tard, le général Videla remet la Coupe du monde à domicile au capitaine argentin Daniel Passarella, dans une édition à peu près aussi douteuse que celle de 1934.

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Au lendemain de la guerre froide, l’équilibre de la terreur laisse place à des instances improvisées gendarmes du monde. L’UEFA prive la Yougoslavie d’euro 92 quelques semaines avant le coup d’envoi (laissant sa place au Danemark qui l’emporta à la surprise générale). La FIFA en fit de même pour le mondial 94. Dans le même temps, il s’en est fallu de peu pour que l’Irak n’obtienne sa qualification pour la Coupe du monde américaine en 1994, alors que Saddam Hussein menaçait de se rendre en Amérique pour voir ses joueurs, si peu de temps après la guerre du Golfe.

Finalement, il n’y a que dans « The Big Lebowski » que l’on verra le raïs à Los Angeles.

Jean-Pierre Pernaut, poète français

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Jean-Pierre Pernaut, à Douai, mai 2019 © FRANCOIS GREUEZ/SIPA

La star de TF1, attachée à la France profonde et à l’identité de nos terroirs, une exception dans un petit monde médiatique très parisien, s’est éteinte hier mercredi, à l’âge de 71 ans.


Jean-Pierre Pernaut, si on se fie à sa date de naissance, 1950, était un baby-boomer. A lui les trente glorieuses, dans une France où chaque année qui passait allait être meilleure que la précédente. 

Le successeur d’Yves Mourousi

On a cru que cela aurait pu durer une éternité, on avait juste oublié que le capitalisme enchaine les crises, que ces trois décennies étaient en fait une parenthèse heureuse, rien de plus. Jean-Pierre Pernaut, et il avait bien raison, n’aimait pas les idées générales. Il préférait la sensation. À sa manière, il était un poète. Il a bien senti que les années 80 derrière leur côté ultra-festif avec le fric et la coke comme valeurs cardinales, ça allait sérieusement altérer notre perception, qu’on allait perdre de vue la réalité. Le dédoublement numérique du monde, presque total aujourd’hui, nous ferait  oublier l’essentiel : on vit dans un pays magnifique pour qui sait la beauté d’une sous-préfecture au matin, la façade désuète d’un cinéma à La Souterraine, et ces magasins aux enseignes dont le lettrage était déjà démodé au moment de la guerre d’Algérie.

macron pernaut france peripherique
Emmanuel Macrpn et Jean-Pierre Pernaut, 12 avril 2008. Sipa. Numéro de reportage : 00854196_000011.

Finalement, quand il a succédé au très noctambule et people Yves Mourousi, pour le 13 heures de TF1 privatisée par Bouygues, cela signifiait une forme de nostalgie, là où tant d’autres ont vu un retour à l’ordre. Il est vrai qu’au même moment, on virait Polac de “Droit de Réponse”. Il n’empêche : le JT de Pernaut s’est transformé en un manifeste. On a dit que c’était un manifeste de droite, voire poujadiste parce qu’il était essentiellement regardé par des retraités et des femmes au foyer. 

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Cette France qu’on ne voulait plus voir

C’est vrai que ça tapait dur sur les fonctionnaires, les cheminots, les profs à l’occasion. Mais l’essentiel n’était pas là. L’essentiel était que Jean-Pierre Pernaut, Picard fidèle à la Picardie où il a fait ses débuts dans le journalisme, Picard qui a vu le nom même de Picardie disparaître d’un coup de ciseau administratif lors de la naissance des grandes régions qui ne correspondent qu’à une réalité administrative et non plus à un lien charnel, a vu aussi disparaître une France des terroirs. Ou plutôt, – il a intuitivement compris cette évolution, ce qui a fait son succès d’audience et sa longévité à l’antenne – , la France des terroirs n’avait pas disparu mais on ne voulait plus voir car elle n’était plus très glamour. Les fraises de Beaulieu-sur-Dordogne, les harmonies municipales du Berry, les géants des carnavals dans toutes les petites villes du Nord, vraiment, vous trouvez ça intéressant ? À l’époque des nouvelles technologies, des trains à grande vitesse, des métropoles hyper connectées ? Oui, a répondu Jean-Pierre Pernaut, non seulement je trouve ça intéressant, mais je trouve ça vital. 

Une question d’identité, mais d’identité heureuse. Libre à une fraction de la gauche, la fraction « morale », de trouver cela réac. À ce moment-là, il faudra admettre que l’Aragon de « Je vous salue ma France aux yeux de tourterelle » ou du « Conscrit des cent villages » était réac lui aussi. Écoutez plutôt : 

« J’emmène avec moi pour bagage
Cent villages sans lien sinon
L’ancienne antienne de leurs noms
L’odorante fleur du langage (…)
Adieu Forléans Marimbault
Vollore-Ville Volmerange
Avize Avoine Vallerange
Ainval-Septoutre Mongibaud »

Cela aurait pu être récité à chaque 13h de Pernaut. Après tout, ce n’était pas de sa faute si la mondialisation avait été décrétée heureuse par une micro élite libérale-libertaire, tandis que n’importe quel corso fleuri, n’importe quelle criée aux poissons ou foire aux bestiaux à Saint-Léonard-de-Noblat  devenaient intrinsèquement moisis, voire fascistes.

Dupont-Aignan le voyait ministre

Il n’a jamais voulu pour autant apparaître comme le type de droite, il a refusé des offres de Dupont-Aignan qui voulait faire de lui un ministre de l’Aménagement du territoire. C’est qu’aimer la France n’est pas l’apanage de la droite, c’est l’apanage des Français de tous bords qui, comme Pernaut, préfèrent dire « campagne » à « ruralité » et « en province » à  « en région ».

Ce n’est pas un programme politique, c’est un programme esthétique. C’est largement aussi important et il me plait de penser que quelque part, dans un chef-lieu de canton ensoleillé, par la fenêtre ouverte sur le mail, on entend encore la voix de Jean-Pierre Pernaut qui sort d’une vieille télé à tube cathodique.

L’OTAN moribonde relégitimée

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Véhicule lance-roquettes BM-27 Uragan russe, près de la frontière avec l'Ukraine, région de Belgorod, Russie © Mikhail Voskresenskiy/SPU/SIPA/

Entretien avec Jean-Robert Raviot


En envahissant l’Ukraine, Moscou a concrétisé la menace russe qui planait sur l’Europe.

Du fait de cette menace réelle, l’OTAN se retrouve ainsi relégitimée, donnant corps à l’émergence d’une nouvelle guerre froide.

Entretien avec Jean-Robert Raviot, professeur à l’Université Paris Nanterre. Jean-Robert Raviot est directeur du master Études russes et post-soviétiques et coordinateur de la filière bilingue Droit français – Droit russe. Propos recueillis par Étienne de Floirac.


Conflits. Comment expliquez-vous cette soudaine attaque de l’Ukraine par la Russie le 24 février ? Un élément déclencheur aurait-il provoqué cette décision ?

Jean-Robert Raviot. Cette invasion russe de l’Ukraine m’a sidéré, comme elle a sidéré beaucoup d’observateurs. Je pensais que la pression militaire russe à la frontière ukrainienne allait se poursuivre dans une sorte de guerre des nerfs. L’objectif affiché par Vladimir Poutine était un objectif de long terme : obtenir une Ukraine neutre, puis ouvrir une grande négociation avec les États-Unis et leurs alliés de l’OTAN pour obtenir une révision complète de l’architecture de sécurité du continent européen plus favorable à la Russie que celle qui a résulté de la fin de la guerre froide. Je pensais donc que la Russie allait faire monter la pression militaire tant qu’elle n’aurait pas obtenu au moins un résultat positif pour elle : a minima l’application des accords de Minsk-II par Kiev [1], voire la fédéralisation de l’Ukraine, voire, en plus, la proclamation, par cette dernière, de sa neutralité et l’abandon de tout projet d’adhésion à l’OTAN. C’était une erreur. L’intensification de la pression signifiait que l’invasion russe de l’Ukraine était déjà passée du stade du scénario à celui de projet. Il semble plausible de considérer que ce soit le rejet par les États-Unis d’engager des négociations avec Moscou sur la base des deux projets de traité présentés par la Russie le 17 décembre 2021 [2] qui ait accéléré la mise au point de l’opération lancée le 24 février.

Peut-on parler d’invasion ou cette notion est-elle mal adaptée à la situation ?

Ne jouons pas sur les mots : il s’agit d’une invasion. De même que le rattachement de la Crimée à la Russie en 2014 a été précédé d’une annexion ! Je dirais même plus : la Russie envahit militairement l’Ukraine, mais elle envahit aussi les esprits de chaque foyer européen par la télévision. Cette invasion concrétise une menace russe qui n’était jusqu’ici, pour les Européens de l’Ouest, qu’un récit, du virtuel, quelque chose d’assez abstrait et lointain. Par cette invasion, la Russie fait renaître la peur de la guerre chez soi, des bombardements et de l’exode, voire l’angoisse de la bombe atomique. Par cette invasion, Poutine place la Russie en dehors d’un dogme fondamental qui soude l’Europe depuis 1945 : « L’Europe, c’est la paix ». Pas de guerre territoriale entre peuples européens. En d’autres termes, Poutine a fait sortir la Russie de la « civilisation européenne ».

C’est la menace soviétique qui a présidé à la création de l’OTAN en 1949, et la disparition de l’URSS et de son bloc l’avaient laissée en quelque sorte orpheline. La guerre contre l’Ukraine en 2022 consacre cette menace russe dans toute sa réalité, elle l’objective pleinement.

La Serbie de Milosevic, accusée de fomenter un génocide contre les Albanais du Kosovo, avait déjà été désignée comme étant « sortie de la civilisation » en 1999. L’OTAN avait mené sur ce motif des bombardements ciblés, une guerre dite préventive, « à but humanitaire ». Mais la Russie de Poutine n’est pas du même calibre, elle est une puissance nucléaire et, contrairement à la Serbie, elle est dans une posture offensive. Pour les Occidentaux, la contre-offensive ne peut donc qu’être oblique : sanctions économiques et financières, mise au ban de la « communauté internationale » dans tous les domaines. Elle pourrait déboucher aussi sur un soutien à une résistance armée qui se formerait dans une Ukraine bientôt occupée, totalement ou partiellement.

Vladimir Poutine, coupable, mais pas responsable ?

Pour un réaliste, la notion de culpabilité ne fait pas partie du vocabulaire de l’analyse politique et géopolitique. Poutine est-il responsable ? Évidemment. Qui envahit qui ? Là encore, ne jouons pas sur les mots. Ce qui est plus intéressant, c’est d’examiner les causes qui ont conduit Poutine à planifier, puis à décider de la mise en œuvre d’une opération d’une telle ampleur. Il faut donc se risquer à analyser les intentions à travers la trame du discours officiel, en essayant d’entrevoir l’univers mental qui a façonné cette décision. Pour moi, deux registres de discours permettent de dessiner deux chaînes de causalité, étroitement liées l’une à l’autre, qui ont conduit à cette décision.

La première chaîne de causalité est de nature politique et géopolitique : c’est le registre politique et géopolitique de la nouvelle guerre froide [3]. La nouvelle guerre froide n’est pas une continuation, mais plutôt une résurgence de la guerre froide proprement dite (1947-1990), qui intervient dans les années 2000, en réaction de l’après-guerre froide des années 1990. La nouvelle guerre froide procède d’une nouvelle volonté russe de réviser l’ordre européen. La Russie estime que ce dernier s’est construit sans elle et contre elle à un moment – les années 1990 – où elle se trouvait en position de faiblesse. Figure-clef de la guerre froide, excellent connaisseur de l’URSS, inventeur du concept de containment qui a servi de fondement à la doctrine Truman d’endiguement de l’expansionnisme soviétique, le grand diplomate américain George Kennan (1904-2005) avertissait en 1997 que la décision d’admettre au sein de l’OTAN les anciens satellites de l’URSS en Europe de l’Est était une « erreur fatidique » [4]. On mesure aujourd’hui toute la justesse prémonitoire de cette phrase…

Kiev, 26 février 2022 © MARCUS YAM/LOS ANGELES TIMES/Shu/SIPA Numéro de reportage : Shutterstock40939164_000021

Dans le nouveau contexte international des années 2000, marqué par la sortie des États-Unis de leur statut d’hyperpuissance, celui de l’après-guerre froide, et le redéploiement de leur engagement vers les terrains moyen-oriental et asiatique, ainsi que par la montée en puissance rapide de la Chine, la Russie cherche à regagner en puissance en développant une « rivalité asymétrique » avec les États-Unis qui, à certains égards, emprunte au répertoire de la guerre froide [5]. La nouvelle guerre froide est caractérisée par un contexte international beaucoup plus complexe, plus fragile et plus fluctuant que l’ancien monde bipolaire. Si la nouvelle guerre froide a fini par se réchauffer plus vite que l’ancienne, c’est que la position asymétrique de la Russie face à l’Occident a amplifié la perception, par ses dirigeants, d’une montée de la menace occidentale. La rivalité asymétrique se déployant simultanément sur de multiples théâtres d’opération – militaro-stratégique, économique, financier, informationnel, idéologique – elle a déstabilisé le pouvoir russe, contraint de s’adapter en permanence, et a considérablement amplifié la perception d’une menace multiforme en provenance de l’Occident.

Sur cette première chaîne de causalité géopolitique s’en greffe une deuxième, d’ordre civilisationnel et culturel. C’est le registre du monde russe, en vertu duquel la Russie est un État porteur d’une civilisation – le monde russe [6], rousskii mir – menacée dans son existence même par une russophobie occidentale latente et diffuse – une sorte de stase qui conduirait les dirigeants occidentaux à toujours viser, plus ou moins consciemment, la destruction de la Russie pour s’emparer de ses ressources naturelles, contrôler les corridors logistiques du continent eurasiatique, voire, aujourd’hui, pour mieux contenir la Chine. Cette stase civilisationnelle russophobe de l’Occident serait le vrai motif des entreprises d’invasion de la Russie par l’Occident en 1812, en 1941…

Selon cette vision très culturaliste, que l’on retrouve par exemple dans la pensée d’Alexandre Soljenitsyne, l’Ukraine n’est pas une…

>> Lire la fin de l’entretien sur le site de la revue « Conflits » <<

[1] Les accords de Minsk-II, signés le 12 février 2015, sont signés selon le « Format Normandie » (Russie-Ukraine-Allemagne-France, avec des représentants des républiques autoproclamées du Donbass et de Lougansk). La Russie et l’Ukraine s’accusent mutuellement de ne jamais avoir eu l’intention d’en respecter les termes. Le 31 janvier 2022, le secrétaire du Conseil de sécurité nationale et de défense de l’Ukraine déclarait que « le respect des accords de Minsk, signés sous la menace des Russes sous le regard des Allemands et des Français, signifie la destruction du pays ».

[2] Proposition russe d’engager des négociations immédiates autour d’un « traité entre les États-Unis et la Fédération de Russie sur les garanties de sécurité » d’une part et d’un « accord sur les mesures pour assurer la sécurité de la Fédération de Russie et les États membres de l’OTAN » d’autre part. Les demandes russes : renoncement à tout élargissement de l’OTAN (à l’Ukraine et à d’autres États), pas d’armement supplémentaire dans les États ayant adhéré à l’OTAN après 1997 (tous les États d’Europe de l’Est), interdiction de l’implantation de nouvelles installations militaires américaines sur le territoire des États issus de l’URSS (Pays baltes).

[3] Jean-Robert Raviot (dir.), Russie : vers une nouvelle guerre froide ?, La Documentation française, 2016.

[4] George F. Kennan, « A Fateful Error », New York Times, 5 février 1997.

[5] Andrei P. Tsygankov, Russia and America. The Asymmetric Rivalry, Polity Press, 2019.

[6] Marlène Laruelle, The ‘Russian World’. Russia’s Soft Power and Geopolitical Imagination, 2015: https://www.ponarseurasia.org/the-russian-world-russia-s-soft-power-and-geopolitical-imagination/

Lettre à Cécile

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Image d'archive © MATHIEU PATTIER/SIPA

On est trop sérieux quand on a dix-sept ans. L’édito politique de Jérôme Leroy


Ma pauvre Cécile, j’ai 57 ans, quarante ans de plus que toi, et je n’entends plus trop des choses que j’aime quand je vois l’état présent du monde.  Je présume que pour toi, c’est pareil à cette différence notable que je me souviens, au moins, qu’il y a eu un monde avant. Avant quoi, va savoir. Je ne sais pas si c’était mieux avant mais je suis bien certain que c’est pire maintenant. Peut-être le monde d’avant le virus ou d’avant ces rapports sur le climat qui sont comme la Lettre volée d’Edgar Poe : lisibles par tous mais lus par personne. Ou avant la guerre, parce que pour couronner le tout, on t’offre une bonne guerre à l’ancienne en Europe, avec des offensives terrestres, des bombardements, des exodes massifs et même, ne reculons devant aucun sacrifice, des menaces nucléaires.

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Parce que toi, à 17 ans, tu n’auras tout de même pas eu de chance, ces cinq dernières années. Tu étais au collège quand Macron est arrivé et t’a expliqué ou a expliqué à tes parents que « tu n’étais rien » et qu’il suffisait « de traverser la rue pour trouver un boulot. » Pour peu que tu vives dans une zone périphérique, comme on dit, tu les as peut-être accompagnés sur les ronds points, au milieu des gilets jaunes. Tu as peut-être vu revenir  après les samedis des manifs un père ou une cousine éborgnés par les LBD et tu as appris assez vite qu’il n’y avait même pas besoin de l’extrême-droite pour mater policièrement une insurrection populaire : même le centrisme macronien peut être autoritaire.

Scénario de science-fiction

Au lycée, qui aurait dû être la période de tes plus belles années, un virus t’a enfermé de confinements en couvre-feux et a masqué durablement ton minois. Tu as alors entendu à peu près n’importe quoi asséné avec certitude, tu as vu un scientifique de renom gonflé comme une outre de sa propre suffisance, ivre de sa surexposition médiatique se faire une réputation sur la panique devant ce scénario de science-fiction devenu notre présent. Tu as sans doute compris, depuis, que les médecins ont dû se battre sur deux fronts, celui de la maladie mais aussi celui des aberrations antivax le plus souvent masquées derrière un discours sur la liberté tenu par des poutiniens exaltés, ce qui ne manque pas d’ironie. Cela a évité de s’interroger sur ce virus né de la déforestation, c’est-à-dire de la dévastation marchande de la nature et sur les ravages qu’il a pu faire,  aggravés par des systèmes de santé soumis depuis longtemps à une logique libérale. Tu remarqueras d’ailleurs, Cécile, que ce sont les mêmes qui « ne croient pas » au réchauffement comme ils ne croient pas au virus. Il y en a qui cochent toutes les cases, décidément…Tu as peut-être lu Descartes en cours de philo et tu sais désormais que ce pays qu’on disait cartésien, avec un orgueil légitime, est devenu la nation du charlatanisme triomphant et auto-satisfait, légitimé par des réseaux sociaux qui font leur beurre sur la folie ambiante.

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Écervelée manipulée ?

Tu aurais pu croire qu’un monde nouveau allait émerger, en écoutant le président, au début de la crise : au nom du « quoiqu’il en coûte », il annonçait des jours heureux pour après et tu vois le résultat. Rien n’a changé, alors que tu angoisses à cause de Parcours Sup, un truc pour t’orienter que n’auraient même pas osé imaginé Orwell et Kafka, la main dans la main. Si tu te plains des insuffisances manifestes de Blanquer ou de son arrogance d’amateur, il te répondra qu’un danger autrement plus grand te menace que celui de fêter tes trente ans dans une planète écologiquement invivable : c’est l’islamo-gauchisme ou le woke – fais ton choix – mais ne t’avise pas de manifester dans la rue ton angoisse climatique, tu seras vite classée comme une écervelée manipulée, au mieux, mais plus surement comme une racaille antifa, au pire.

Les jours heureux, les vrais

Ma pauvre Cécile, tu ne pourras même pas voter ce coup-ci, et peut-être n’en aurais-tu pas eu envie. Je vais le faire pour toi. En me souvenant de Paul Nizan, un écrivain communiste qui a dit : « J’avais vingt ans. Je ne laisserai personne dire que c’est le plus bel âge de la vie. » Et je vais le faire pour un candidat qui sait de quoi il parle, lui, quand il parle des jours heureux.

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Macron/Ukraine: le drapeau au risque de l’effacement démocratique?

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Emmanuel Macron en visioconférence avec Vladimir Poutine le 26 juin 2020 © Michel Euler/AP/ SIPA

L’élection présidentielle française apparaît de plus en plus comme une victime collatérale de la guerre russo-ukrainienne, analyse Philippe Bilger. Emmanuel Macron, qui bénéficie de l’effet drapeau, prendra la parole ce soir à 20h.


La guerre menée par Poutine contre l’Ukraine, son peuple courageux et son intrépide président, a d’une certaine manière décanté aussi les choses, les rapports de force sur le plan national. Emmanuel Macron, bénéficiant de l’effet drapeau comme l’a indiqué Frédéric Dabi, a augmenté son socle pour le premier tour. Marine Le Pen se maintient derrière lui mais à bonne distance. Eric Zemmour recule sensiblement: il paie le prix de ses positions pro-russes et favorables à Poutine malgré son infléchissement récent. Jean-Luc Mélenchon pâtit un peu, mais à un degré moindre, de sa volonté de faire de la France un pays non aligné s’il gagnait l’élection présidentielle – optimisme qui n’est plus partagé que par LFI.

La candidate LR en mauvaise posture pour le second tour

Valérie Pécresse malheureusement, sauf miracle pour la droite républicaine, semble devoir priver ses soutiens (dont je suis et je persiste) d’une qualification pour le second tour pour un certain nombre de raisons, dont la principale tient à la médiocre articulation entre la personnalité de la candidate, ses forces, ses faiblesses et son équipe de campagne qui n’a pas été enthousiasmante pour la communication et le professionnalisme. Tout peut arriver encore, certes, mais il est plus que probable que le second tour opposera à nouveau le président sortant et Marine Le Pen.

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Il n’est pas indécent de s’interroger sur les effets de cette campagne présidentielle réduite à presque rien, plaçant les opposants à Emmanuel Macron (qui va se déclarer candidat de manière imminente) dans un étau entre unité nationale obligatoire et nécessité d’incriminer un bilan qui pourrait laisser largement place à la critique, à la dénonciation et à l’aspiration à un changement présidentiel.

Raffarin apporte son soutien à Macron!

On se moque trop, à cause de son physique apparemment patelin, du président du Sénat Gérard Larcher, aux antipodes, malgré les apparences de rondeurs, d’un Jean-Pierre Raffarin qui vient de révéler qu’il a deux amours : la Chine et maintenant Emmanuel Macron !

Gérard Larcher, dont la lucidité sous ce quinquennat n’a jamais été prise en défaut, a récemment souligné une difficulté. S’il était hors de question de ne pas soutenir l’action présidentielle dans cette période tragique où Emmanuel Macron ne démérite pas, on pouvait craindre une conséquence, qui serait l’effacement démocratique. En effet, comme l’élection présidentielle ne sera pas reportée – ce serait ajouter à la crise -, il est légitime de s’interroger sur la compatibilité entre ces terrifiantes séquences internationales où le président bénéficie de son statut et de son rôle forcément tutélaire et la campagne qui ne saurait se réduire à une sorte de validation, sous l’emprise de ces événements guerriers, d’un bilan quasiment impossible à discuter.

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Une réélection jouée d’avance ?

Il convient de sauver la mise de la démocratie par tous moyens. Il faudra inventer une voie originale conciliant la décence internationale avec la joute nationale. Sinon je crains le pire.

Si Emmanuel Macron est réélu, je me demande comment notre pays vivra cette frustration d’avoir été confronté à des échanges républicains forcément pauvres et biaisés. Je ne voudrais pas qu’il y ait alors le risque, encore plus que pour les gilets jaunes hier, de voir contester la légitimité d’une réélection acquise dans une sorte de consensus contraint ou au fil de débats réduits, contraignant à passer trop vite sur un bilan. Occultant le passé à cause d’un présent très préoccupant et d’un avenir angoissant. Ce mandat aura connu trop de crises, de drames, de tragédies, de violences pour qu’on puisse accepter de gaîté de cœur que le suivant lui ressemble, fût-ce pour d’autres motifs.

Orelsan, la sagesse du rap

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Orelsan aux 34e Victoires de la musique, 8 février 2019 © Thomas SAMSON/AFP

Le succès d’Aurélien Cotentin, jeune homme issu de la France périphérique devenu Orelsan, rappeur national, ne lui a pas valu que des amis. Loin des clichés de racaille du milieu, il s’est imposé par sa vision du monde sensible et sincère, et par sa façon quasi balzacienne de dépeindre notre société.


En novembre dernier est sorti le quatrième album d’Orelsan, « Civilisation ». Le jour même de sa mise en place dans les bacs, il a été numéro un des ventes et premier sur les plates-formes de streaming. Rançon de la gloire, les critiques n’ont pas tardé non plus : on a entendu dire que le rappeur était devenu démago, moins percutant, voire « vendu au système ». Et avoir été qualifié de « sociologue » par le président Macron n’a pas arrangé son cas. « Orelsan c’est mort, il est récupéré ! », a ainsi tranché Renaud – qui, c’est bien connu, ne l’a jamais été.

Pour ma part, à la faveur d’une série documentaire retraçant son parcours, Montre jamais ça à personne, diffusée sur Amazon, j’ai été cueillie, séduite et emballée par cet artiste sensible et bourru, profondément sincère.

Sous le feu des projecteurs pour de mauvaises raisons

Orelsan a été propulsé sur le devant de la scène médiatique de manière fulgurante et brutale en 2009, quand sa chanson Sale pute, qui figure sur son premier album, « Perdu d’avance », a fait aboyer les chiennes de garde. La meute s’est empressée de dénoncer cette histoire d’un jeune homme qui dit vouloir « avorter à l’opinel » sa petite amie infidèle… La polémique a duré plusieurs semaines et mobilisé jusqu’à Ségolène Royal qui a courageusement réussi à faire annuler le concert du chanteur prévu aux Francofolies de La Rochelle. Je n’ose pas imaginer le sort que lui réserveraient aujourd’hui les thuriféraires de #MeToo.

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À cette époque, le rappeur, dans sa naïveté encore mal dégrossie, n’a pas compris ce qui lui arrivait : « Mais quand il y a l’buzz les merdes rappliquent : les hyènes, les fils de polémistes, je viens juste de sortir mon premier disque, j’fais de la politique, j’suis seul et triste », chante-t-il dans « Shonen », le premier morceau de son dernier album. Mais Orelsan est sorti grandi de cette épreuve et, avec une énergie qui pourrait être celle du désespoir, est parvenu au sommet.

Orelsan, loin des clichés attribués au rap

Il a inventé le rap de la complexité des sentiments, très loin des clichés « gangsta » et testostéronés de Booba et consorts. Il s’est aussi toujours tenu éloigné de la culture du clash, préférant distiller dans ses chansons des « punchlines » assassines : « Si t’as la fureur de vaincre moi j’ai la rage de perdre, j’prendrai même plus la peine de répondre à vos clashs de merde, j’prêterai ni mon buzz ni mon temps, j’verserai ni ma sueur ni mon sang, tu parles de moi pour rien dans tes titres, tu ferais même pas de buzz avec un album antisémite », scande-t-il dans Raelsan, la chanson phare de son deuxième album « Le Chant des sirènes ». Raelsan, c’est son double maléfique, son Gainsbarre à lui, celui qui succombe aux chants des sirènes du succès et à la luxure, qui est au « Cap d’Agde dans la chatte du diable », et qui devient méchamment cynique. Mais heureusement, Orelsan veille pour lui rappeler qu’il ne doit pas perdre de vue Aurélien Cotentin, le petit gars de Caen qu’il a été, lorsqu’il végétait comme veilleur de nuit dans un hôtel. Des nuits passées à composer des sons sur son ordinateur en fumant des joints. Cet Aurélien-là a des liens de parenté avec Holden Caulfield, le héros de L’Attrape-cœurs de Salinger. Il partage avec lui la pureté des sentiments : « Sans concessions les sentiments sont plus purs, voilà pourquoi j’écris des chansons de rupture. » Une forme de lucidité et, surtout, le refus de toute compromission : « Je resterai pas bloqué dans une parodie de succès, dans une version d’Entourage à petit budget, je ferai ce qui me plaît jusqu’à ma dernière quête, jusqu’à revenir dans l’hôtellerie plier des serviettes. »

A lire aussi : Orelsan, rappeur de la France périphérique

Rappeur-chroniqueur de la société contemporaine

La quête. Voilà, à mon sens, le mot-clé pour comprendre l’œuvre d’Orelsan, et particulièrement son dernier album. Ce grand amateur de mangas est en quête, comme dans Dragon Ball, des sept boules de cristal qui représentent la sagesse ultime. Nous l’avons vu évoluer, du garçon un peu paumé des débuts – qui a dû affronter sans filet les jeux du cirque médiatique – jusqu’à l’homme de presque 40 ans, apaisé et jeune marié. Depuis « Perdu d’avance », le rappeur nous livre à la fois son autobiographie et (je n’ai pas peur de l’affirmer) une sorte de Comédie humaine version rap. Il croque des portraits d’une sidérante justesse : du DJ de province dans sa bagnole « tunée » à l’instagrameuse, en passant par la « mi-blogueuse mi-journaliste » ou l’aide-soignante épuisée. En cela, Macron a vu juste : dans cent ans, lorsque les historiens – s’il en reste– voudront étudier la France des années 2020, ils pourront écouter les chansons d’Orelsan.

La force de son caractère et la puissance de ses textes s’expliquent peut-être par sa capacité de détachement, une certaine sagesse, qui lui permet d’observer ses contemporains sans se laisser aveugler par la moindre idéologie. Il peut ainsi viser juste et parfois faire mal, comme dans son chef-d’œuvre Suicide social. Mais Orelsan est bien trop intelligent et lucide pour devenir un chanteur engagé – cette spécialité française – et qu’importe si ses fans les plus droitards se sentent visés par le texte de L’Odeur de l’essence : « Leur faire miroiter la grandeur d’une France passée qu’ils ont fantasmée. » Ils en viendraient à le taxer de gauchiste, ou pire, de macroniste. Notre rappeur ne va pas perdre du temps à leur répondre, il a une œuvre à accomplir. Dans son morceau Manifeste, où le narrateur se retrouve au milieu d’une manifestation qui tourne mal, il prouve ses talents de grand conteur. Pendant les sept minutes haletantes que dure la chanson, nous voyons défiler sous nos yeux toute la détresse et la violence de notre société post-moderne. Orelsan sait aussi la tragédie de l’existence et nous la livre, par petites bribes : « J’ai 7 ans la vie est facile, quand je sais pas je demande à ma mère, un jour elle me dit je sais pas tout, j’ai perdu foi en l’univers. ».

Civilisation

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