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Le président Macron a annoncé sa candidature à sa réélection dans une lettre publiée dans la presse régionale


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Le président de la République annonce sa candidature à sa réélection dans un texte publié dans le Parisien et la presse quotidienne régionale. Cette annonce intervient dans un contexte diplomatique extrêmement tendu. © Ludovic MARIN / AFP

Emmanuel Macron, au lendemain d’une intervention télévisée sur la guerre russo-ukrainienne où il est apparu en protecteur de la nation, a donc fini par présenter sa candidature à l’élection présidentielle. Notre chroniqueur analyse cette «Lettre aux Français».


Emmanuel Macron connaît ses classiques. Il sait que dans « Le Corbeau et le Renard », le rusé goupil s’abstient complètement de dire « Je » : il use systématiquement du « vous » pour faire croire au Corbeau qu’il le prend en haute considération. C’est la base de la flatterie et de la séduction.

Il faut donc attendre le cinquième paragraphe pour trouver ce Je inévitable mais longtemps suspendu. Bien joué. Mais quand il y va, il y va fort, avec une anaphore insistante :

« Voilà pourquoi je sollicite votre confiance pour un nouveau mandat de Président de la République. Je suis candidat pour inventer avec vous, face aux défis du siècle, une réponse française et européenne singulière. Je suis candidat pour défendre nos valeurs que les dérèglements du monde menacent. Je suis candidat pour continuer de préparer l’avenir de nos enfants et de nos petits-enfants. »

Et immédiatement il revient au « nous » qu’il utilisait depuis le début de sa missive : « Pour nous permettre aujourd’hui comme demain de décider pour nous-mêmes. » Un « nous » globalisant », qui inclut adroitement le « vous » (Nous, c’est Moi +Vous). 

Macron a d’ailleurs commencé sur ce registre complice : « Depuis cinq ans, nous avons traversé ensemble nombre d’épreuves. Terrorisme, pandémie, retour de la violence, guerre en Europe : rarement, la France avait été confrontée à une telle accumulation de crises. Nous avons fait face avec dignité et fraternité. »

Vous avez remarqué ? Isolez les mots importants : « Nous », « épreuves », « la France » (qui est le singulier collectif qui englobe le « nous ») et « fraternité » — le dernier mot de la devise républicaine, qui évoque en filigrane l’histoire du pays depuis 1789. Bien joué. Bien écrit.

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Mais la phrase suivante éclaircit ce « nous » : « Nous avons tenu bon sans jamais renoncer à agir. » Ce ne sont guère les Français, confinés ou bousculés depuis cinq ans, qui ont « agi », c’est le chef de l’Etat — c’est l’essence même de sa fonction. Ce « nous » rassembleur était-il au fond un « Nous » de majesté ? Nous, Emmanuel Macron, roi de France…

Approximations et mots curieusement absents

S’ensuivent un certain nombre de grosses approximations — je ne me permettrai pas de dire « mensonges » — sur les emplois créés par l’industrie (il reste donc une industrie en France ?) et les investissements réalisés  dans « nos hôpitaux et notre recherche » : et « nous » qui pensions qu’on avait fait tout ce foin à propos du Covid parce que les hôpitaux, dans lesquels on a taillé 100 000 lits ces dernières années, étaient exsangues et surchargés, le personnel hospitalier sous-payé, et la recherche française infichue de trouver un vaccin ! Mais on s’en fiche, tant qu’il y a un bouclier vaccinal américain, n’est-ce pas…

Quant à l’idée d’avoir « renforcé nos armées, recruté policiers, gendarmes, magistrats et enseignants, réduit notre dépendance aux énergies fossiles, et modernisé notre agriculture », c’est de la haute fiction. Tout comme la réduction du déficit — « avant la pandémie », précise quand même le rédacteur, parce que depuis, il a explosé, et il va bien falloir le régler dans les années à venir : le « quoi qu’il en coûte » a tiré un chèque en blanc sur l’avenir, et fait peser sur les cinq prochaines années un suspense gracieux mais déjà levé : le cochon de payant est prié de passer à la caisse. Classes moyennes, numérotez vos abattis.

Notre président, on le sait, est passé par les classes préparatoires, où l’on apprend à bâtir un raisonnement dialectique. Après le mirage du Plus, arrive forcément le Moins : « Nous n’avons pas tout réussi. » Un peu d’humilité (le mot apparaît en toutes lettres un peu plus bas) ne fera pas mal, s’est dit le rédacteur : « Il est des choix qu’avec l’expérience acquise auprès de vous je ferais sans doute différemment. » Peccavi, Pater optime, dit-on en introduction d’une confession. Les Gilets jaunes furent sans doute la conséquence d’un petit péché d’orgueil.

Mais immédiatement, un « mais » refait basculer le propos dans le bon sens, celui de l’optimisme : « Mais les transformations engagées durant ce mandat ont permis à nombre de nos compatriotes de vivre mieux, à la France de gagner en indépendance. Et les crises que nous traversons depuis deux ans montrent que c’est bien ce chemin qui doit être poursuivi. »

Il vaut mieux rester dans le vague quand on n’a pas d’argument précis, enseignent les maîtres de rhétorique. 

Autant mettre sur le dos de cette modernité si difficile à maîtriser tout ce qu’il a pu y avoir de négatif : « Nous connaissons des bouleversements d’une rapidité inouïe : menace sur nos démocraties, montée des inégalités, changement climatique, transition démographique, transformations technologiques. » Et autant prévenir : « Ne nous trompons pas : nous ne répondrons pas à ces défis en choisissant le repli ou en cultivant la nostalgie. » 

Et d’insister avec un jeu sur les mots et les sonorités particulièrement efficace : « L’enjeu est de bâtir la France de nos enfants, pas de ressasser la France de notre enfance. » Magnifique combinaison de « a » et de « f ». Et cette opposition « enfants » (le futur) et « enfance » — le passé. De la belle ouvrage !

C’est sans les nommer une pierre dans le jardin des candidats qui prétendent que « c’était mieux avant » et qu’il faut ré-instituer la blouse grise à l’école. Macron aurait-il senti que son principal rival sera Zemmour, qui est d’abord apparu aux Marcheurs comme un bon moyen d’empêcher Marine Le Pen de parvenir en bon état au second tour, mais qui commence à être une menace — et, en même temps, une espérance ultime : un second tour Macron / Zemmour rassemblera derrière le président-candidat tous les électeurs de gauche molle qui l’ont porté au pouvoir en 2017, et qui se sont bien juré de ne plus s’y faire prendre — comme le Corbeau de la fable.

Arrive enfin la déclaration de candidature proprement dite, préparée par cette longue introduction sur la dialectique du passé (eux) et l’avenir (moi) : « Je suis candidat pour continuer de préparer l’avenir de nos enfants et de nos petits-enfants. » 

Vous avez vu, ce renfort des « petits-enfants », alors qu’on ne nous parlait jusqu’ici que des rejetons immédiats ? Appel du pied aux retraités, dont la pension ne sera certainement pas rognée, qu’allez-vous imaginer…

S’étant posé comme candidat de l’avenir, Macron développe le thème, en évoquant le « futur ». Demain on rase gratis, et on sortira « de la dépendance au gaz, au pétrole et au charbon. »
Ce qui compte aussi dans un discours, ce sont les mots absents. « Énergie nucléaire », par exemple — dont le président a chanté les possibilités il y a peu. Mais là, ça ferait désordre, juste après le mot « écologie ». Ratissons large, prudemment.

Comme un culot d’enfer fait partie de la panoplie du candidat, le Grand Communiquant n’hésite pas à affirmer qu’il va « améliorer ce modèle social auquel nous tenons tant et qui a fait ses preuves. » À se demander qui a lancé cette réforme des retraites oubliée pour l’instant, mais toute prête à ressortir de sa boîte.

Un pays qui se sent mourir

Macron a bien senti, à l’inverse d’autres candidats, que c’est surtout sur le plan culturel que ça va se jouer, dans un pays qui se sent mourir. « Nous ferons en sorte que tous les enfants de France aient les mêmes chances, que la méritocratie républicaine redevienne une promesse pour chacun. Pour cela, la priorité sera donnée à l’école et à nos enseignants, qui seront plus libres, plus respectés et mieux rémunérés. »

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Comment disait Pasqua déjà ? Les promesses n’engagent que ceux qui y croient. D’où le couplet sur le « grand âge », qui porte l’écho du tout récent scandale des EHPAD, et l’adjonction d’un petit quelque chose pour les handicapés. Sans oublier la France périphérique, ces « déserts médicaux » où l’on galère pour trouver un médecin. Et la défense de notre « art de vivre millénaire, enraciné dans chaque région, chaque canton, chaque ville et chaque village que ce soit en métropole ou dans nos outre-mer. Une histoire, une langue, une culture que lorsque l’on est Français, on se doit de connaître, d’aimer, de partager. » Ça y est, chacun a eu son lot. C’est que derrière la présidentielle, il y a des législatives à gagner — et ce sera une autre paire de manches. Une cohabitation (fort possible) n’est pas son idéal de gouvernement. 

Remarquez que ces beaux projets d’avenir ne sont pas chiffrés, le rédacteur est trop habile pour faire catalogue. Valérie Pécresse, qui a cru bon dans son discours du Zénith de se lancer dans une longue litanie de projets, aurait dû chercher un rédacteur qui connaisse les règles essentielles de la communication. Pas Igor Mitrofanoff, cheval de retour du fillonisme — et si propre sur lui…

Valérie Pécresse à Paris, 13 février 2022 © Jacques Witt/SIPA Numéro de reportage : 01060914_000004

Retour du Je, présenté comme le témoin de la résilience française : « Tout au long de mon mandat, j’ai vu partout un esprit de résistance à toute épreuve, une volonté d’engagement remarquable, une inlassable envie de bâtir. » Un petit coup de projecteur sur les Français de l’étranger, et reprise du singulier collectif face au Je présidentiel : « En chaque lieu, j’ai perçu le désir de prendre part à cette belle et grande aventure collective qui s’appelle la France. »

C’est le coup de clairon avant l’épilogue. À ce « France » correspond, dans les dernières lignes, cet « ensemble ». Et la combinaison finale des pronoms : « Avec vous. Pour vous. Pour nous tous. »

Le « Je » s’efface dans ce pluriel commode. Franchement, c’est bien cousu — même si on aperçoit un peu trop les coutures. L’essentiel était de se démarquer des candidats (suivez mon regard) qui usent et abusent d’un Je omniprésent. Le président de la République, dont chacun sait qu’il n’a aucun Ego, chante pour finir la République et la France — afin de donner à sa lettre très écrite un petit côté oral. Je ne sais qui a été la plume de Macron sur ce coup, mais il mérite les félicitations du jury de Sciences-Po.

Quant aux applaudissements des Français, c’est peut-être autre chose.




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Normalien et agrégé de lettres, Jean-Paul Brighelli a parcouru l'essentiel du paysage éducatif français, du collège à l'université. Il anime le blog "Bonnet d'âne" hébergé par Causeur.

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