Accueil Site Page 851

Louis Calaferte le géant souterrain

Jérôme Leroy nous fait découvrir, ou redécouvrir, Louis Calaferte.


Ecrivain sauvage, irréductible, Louis Calaferte (1928-1994) est né dans une famille d’immigrés italiens et a mangé de la vache enragée plus souvent qu’à son tour.

Tempérament explosif, lyrique, inquiet, il est l’auteur d’une œuvre monumentale et polyphonique qui contient des Carnets intimes, du théâtre et des récits plus ou moins autofictionnels dont deux font partie de ces classiques souterrains qui font la saveur de la littérature française : Requiem des Innocents, son premier livre en 1952 et surtout Septentrion (1963) qui est aussitôt interdit par le ministère de l’Intérieur pour pornographie et devra attendre vingt ans pour être édité, créant un véritable effet de souffle quand il paraît en 1983. 

Le lecteur d’aujourd’hui s’apercevra ainsi que la « pornographie » de Calaferte, alors que n’importe quel gamin est à deux clics du pire sur internet, est en fait une formidable déclaration d’amour aux corps des femmes qui furent avec la recherche de Dieu, les deux principales obsessions de Calaferte. Sa poésie est une porte d’entrée idéale sur son œuvre que nous recommandons à tous nos lecteurs pour sa force subversive et sa paradoxale recherche de sérénité.


Pendant que j’allumais une autre cigarette
tu as quitté tes bas
assise au bord du lit
et maintenant tu n’oses pas
dans cette chambre où nous n’avons jamais dormi
lever les yeux sur moi

C’est soudain comme si le temps meurt ou s’arrête
un long alinéa
je m’approche du lit
et viens te prendre entre mes bras
dans cette douceur triste et qui nous engourdit
j’ai aussi peur que toi
Il y a au dehors des rumeurs vagabondes
nous ne nous en irons que pour un autre monde
A Londres c’est l’automne il est presque minuit

Louis Calaferte, Londoniennes (Le tout sur le tout)

Londoniennes

Price: 29,12 €

5 used & new available from

Requiem des innocents

Price: 8,50 €

28 used & new available from 3,91 €

Éric Zemmour: «Désidéologiser le ministère de la Culture est une urgence absolue»

Entretien avec Eric Zemmour (2/2)


Relire la première partie.

Causeur. En 2022, le budget du ministère de la Culture dépassera pour la première fois les 4 milliards d’euros. Trouvez-vous ce budget démesuré ?

Eric Zemmour. Ce n’est pas la question des dépenses publiques qui est en jeu… c’est plutôt de savoir ce que l’on fait de l’argent des Français ! C’est l’ensemble des priorités culturelles de l’État qu’il faut revoir. Comment comprendre les 300 millions d’euros consacrés au Pass culture qui financent l’achat de mangas comme vous l’avez souligné alors que, dans le même temps, l’État ne consacre que 426 millions d’euros à l’entretien et la restauration des monuments historiques et du patrimoine monumental français ? Comment comprendre que le ministère de la Culture finance une culture woke faisant fi de la culture historique française ? Que penser des déclarations sur le racisme d’Alexander Neef, directeur de l’Opéra de Paris, institution subventionnée à hauteur de 95 millions d’euros (soit 43% de ses recettes) par an ? Ce dernier voulait supprimer du répertoire de ballet de l’Opéra des œuvres majeures, comme Le Lac des cygnes ou Casse-Noisette, sous prétexte qu’elles ne favoriseraient pas la diversité… Est-ce aux Français de financer l’effacement de leur patrimoine ?

Les Français ne doivent plus subir cette dictature de la laideur

À ce sujet, grand nombre de nos institutions culturelles, sous le règne du wokisme et de la déconstruction, ont été complètement dévoyées. Je vous exposerai le cas de l’illustre maison de Molière : la Comédie-Française. La plupart des œuvres classiques y sont « revisitées » par les metteurs en scène. Éric Ruf, l’administrateur de la maison, dit ne pas vouloir d’une Comédie-Française « old school ». Il déclare en parlant de Molière : « On a toujours un sur-respect du texte (…), on est dans une génuflexion que je ne trouve pas juste. » Sur son choix de programmation pour cette année anniversaire des quatre cents ans de Poquelin, il déclare : « On souffre, nous Français, d’une bibliothèque moliéresque d’une densité et d’une lourdeur assez rares. Quand un metteur en scène étranger s’empare de cette œuvre, il n’a pas la lourdeur de la Bibliothèque nationale sur le dos. (…) C’était important pour moi de confier le premier pas de cette saison Molière à un metteur en scène étranger (…) pour qui Molière n’est pas sur un piédestal ou un héros national. » C’est à peu près l’idéologie qui règne dans tous les théâtres nationaux ainsi que dans les opéras. N’y a-t-il pas urgence à libérer nos institutions culturelles de cette idéologie déconstructrice ? Comment y parvenir ?

Ces déclarations sont aberrantes et scandaleuses. Ce que dit Éric Ruf est très grave, et personne ne pipe mot. Je sais que c’est malheureusement la politique qui règne dans la majorité de nos théâtres nationaux et de nos opéras. Les classiques sont presque systématiquement revisités, modernisés ! Ces gens croient être novateurs en modernisant et en déconstruisant, mais c’est en réalité le nouvel académisme, et quand je dis nouvel je suis gentil, car cela fait un moment que ça dure ! La Comédie-Française est une des institutions culturelles les plus emblématiques de notre pays, c’est une gloire. On ne peut pas laisser l’idéologie déconstructrice la ronger de l’intérieur. Nous devons arrêter de nommer à la tête de nos institutions des idéologues qui les détruisent. Avec moi, ce ne sera plus le cas ! Je ne serai pas le complice de leur massacre.

Avez-vous pensé à un plan pour l’enseignement des arts à l’école ? Et, si oui – cela nous ramène à la hiérarchie –, comment choisir ce qu’on enseigne ? Nous savons tous que dans les classes de musique au collège, par exemple, on étudie par exemple les chansons de Julien Clerc ou encore de Zaz. Est-ce réellement la mission de l’école d’apprendre la variété aux élèves ?

Je souhaite un enseignement artistique d’exigence et d’excellence. Nous avons tous en tête les heures laborieuses que nos enfants ont passées à apprendre la flûte à bec… À rebours de ce saupoudrage culturel, je souhaite au contraire que l’on enseigne véritablement la musique et son histoire, les grands compositeurs, afin de donner une base solide de connaissances musicales à tous. L’enseignement des arts plastiques doit également retrouver ses lettres de noblesse avec un enseignement complet en histoire de l’art, pour qu’aucun élève ne puisse finir sa scolarité sans connaître Picasso, Rodin ou Delacroix. Pour que la haute culture ne reste pas un privilège de classe, elle doit être enseignée à l’école.

Que pensez-vous du système de l’intermittence du spectacle ?

Le système de l’intermittence du spectacle demande de faire un arbitrage complexe, entre la prise en compte de l’exception culturelle française et la question du coût engendré par ce régime d’exception. Il ne faut pas oublier que les intermittents sont des acteurs essentiels de la culture, quand ils s’occupent d’art, et non de divertissement. La spécificité de leur emploi, caractérisée par l’irrégularité et la discontinuité, doit être prise en compte, et c’est pourquoi je maintiendrai le régime spécifique des intermittents du spectacle. Néanmoins, par souci d’égalité avec les autres citoyens, il faut aussi souligner que le régime général d’Assurance chômage finance en grande partie le régime des intermittents. Le maintien de celui-ci repose donc en grande partie sur la bonne santé des autres régimes généraux. C’est pourquoi, il sera nécessaire, à terme, d’entamer une réflexion sur les conditions de financement du régime des intermittents du spectacle et sur sa relative générosité.

Notre patrimoine attire des masses énormes de touristes. Cela représente une source d’argent considérable, mais empêche également la contemplation de ces lieux par les véritables amateurs. Les musées sont encombrés de touristes en bermuda et en tongs achevant leur tour éclair de Paris, la place d’Armes du château de Versailles est défigurée par les troupeaux de bus touristiques et les murs de Montmartre, recouverts de T-shirts « I love Paris », sont devenus fuchsia et jaune fluo. Comment sortir de cette situation lucrative mais destructrice ?

Ces derniers mois, les Français ont pris plaisir à se promener dans des villes comme Paris, habituellement bondées de touristes. Ils ont pu redécouvrir leurs villes et leur patrimoine, se réapproprier ses espaces et ses lieux d’histoire dans le calme nécessaire à la contemplation. Rappelons qu’en Europe, la visite de certains lieux du patrimoine historique ou naturel est soumise à une logique de quotas : moins de visites pour une expérience plus agréable et plus enrichissante. C’est une piste que nous creuserons sérieusement, sans la systématiser de manière abrupte évidemment. Mais ne boudons pas notre plaisir… nous avons la chance d’être le pays le plus visité au monde. Outre l’apport économique pour notre pays – près de 8,5 % du PIB –, cela signifie que la France, son histoire, son patrimoine fascinent encore le monde ! Et c’est tant mieux !

Le ministère de la Culture ne s’occupe-t-il pas trop de morale ? Est-il dans son rôle lorsqu’il prend pour mission le combat contre les « stéréotypes», la lutte féministe, etc., également lorsqu’il méprise des écrivains comme Renaud Camus au nom de ses idées sur l’immigration ou encore que son ministre se félicite de la suppression des aides du Centre national du livre à Gabriel Matzneff ? L’art, d’ailleurs, fait-il bon ménage avec la morale ?

L’art a souvent eu affaire avec la morale, ou tout du moins avec la politique et l’idéologie. Tout simplement, parce que l’art est souvent porteur d’un message radical qui peut choquer, cliver. Néanmoins, est-ce le rôle de l’État de s’inscrire dans cette logique ? Je ne le pense pas. C’est antinomique. Désidéologiser le ministère de la Culture est une urgence absolue ! Il doit adopter une posture neutre vis-à-vis de la promotion des artistes et des arts. S’il se mêle de morale, il ne peut plus se mêler d’art. Le ministère de la Culture doit être un temple dans lequel les idéologies politiques et moralisatrices n’entrent pas.

La laideur nous envahit : éoliennes, ronds-points, zones industrielles et commerciales à l’entrée de nos villes et villages, sans parler des nouvelles constructions architecturales. Prévoyez-vous de mettre fin à cet enlaidissement du territoire ?

Je suis ravi que vous me posiez cette question, car c’est l’une de mes priorités ! Il faut arrêter cela de toute urgence grâce à une politique patrimoniale ambitieuse. Nous avons la chance d’avoir un des patrimoines les plus riches au monde. Notre législation sur la protection des monuments historiques est unique et efficace. Mais notre patrimoine n’est pas assez protégé, et le budget qui lui est alloué est insuffisant. Ce sont le cadre de vie des Français, la beauté qui les entoure que l’on sacrifie. Vivre entouré par la beauté, ce n’est pas rien ! Mais comme vous le dites très justement, ce sont également les constructions modernes et le non-respect de la cohérence avec le patrimoine architectural existant qui nuisent à la beauté de nos territoires. On a l’impression que l’architecture contemporaine répond à la mode d’une laideur esthétiquement correcte. Je pense qu’il faut arrêter cette folie. Les Français ne doivent plus subir cette dictature de la laideur. Nous travaillerons à un meilleur encadrement dans ce sens des nouvelles constructions. Enfin, je veux interdire la construction de nouveaux centres commerciaux à l’entrée de nos villes et nos villages : ces temples de la consommation tuent le petit commerce et gâchent la poésie des paysages.

On nous fait à longueur de journée l’éloge de la diversité. Mais cette diversité existe déjà et elle est parfois menacée. La corrida, par exemple, est un grand spectacle populaire berçant une partie de la France méridionale dans le culte du taureau. La chasse à courre est également une culture bien vivante, une tradition et un savoir-faire multiséculaires et populaires là où elle est pratiquée. Les médias et les associations animalistes désinforment les Français sur ces cultures, les faisant injustement passer pour plus barbares et plus cruelles qu’elles ne le sont réellement. Comptez-vous, au nom de la tradition et de la diversité, défendre ses cultures menacées ainsi que les populations en qui elles sont enracinées ?

Je comprends la préoccupation des Français quant à la cause animale, et j’annoncerai prochainement des mesures à ce sujet. Mais pas d’amalgame ! La corrida et la chasse à courre représentent une part importante de notre tradition et de notre patrimoine culturel. Je suis contre la culture de l’effacement et pour la préservation de la diversité de nos arts et de nos traditions qui font la richesse de notre culture. Je ne compte donc prendre aucune mesure restrictive à ce sujet, contrairement à Mme Le Pen qui louvoie, et affirme dans la même phrase être « contre la chasse à courre » mais « favorable à la chasse traditionnelle », allant jusqu’à qualifier de « cruels » les chasseurs qui la pratiquent !

Quelles seraient pour vous les priorités du ministère de la Culture si vous étiez élu ?

Libérer la culture des griffes du languisme ! Avec moi, la culture ne sera plus l’otage de la gauche. Et rien que ça, c’est un énorme chantier.

La France n'a pas dit son dernier mot

Price: 12,24 €

107 used & new available from 2,27 €

Discours-modèle pour candidat à la présidentielle

Notre chroniqueur a décidé de mouiller la chemise et d’offrir aux divers postulants le texte de leur futur discours, susceptible d’emporter l’adhésion du plus grand nombre. « Et je voterai pour celui qui le prononcera, littéralement ou en substance », nous dit-il. « Et pour nul autre. »


Je ne me lancerai certainement pas dans l’énumération inutile de tous les domaines dont je compte m’occuper prioritairement — parce qu’il n’y a que des priorités. Ni de tous ceux dont le sort me préoccupe au premier chef — parce qu’il n’en est pas dont je me désintéresse. Je vois mes concurrents distiller de vagues promesses que les jeunes, les femmes, les handicapés, les retraités, saisissent au vol — et chacun de partir jalousement avec ses lambeaux de phrase. Ce n’est pas de la politique, c’est de l’alimentation de volailles.

Je vous parlerai de la France.

Notre pays est un grand cadavre à la renverse. Dépecée au gré des intérêts d’un libéralisme mondialisé et sans âme, la nation qui fut naguère l’un des phares de l’humanité est aujourd’hui réduite au rôle de camp de vacances pour les populations laborieuses et méprisantes du nord de l’Europe. Terrain de jeu pour Allemands, est-ce encore un destin ?

Ravalée très loin dans les classements internationaux, la France fait sourire nos anciens amis et rire nos nouveaux ennemis. Nous n’existons plus qu’entre la condescendance des uns et la goguenardise des autres. On montre du doigt, en se gaussant, notre système éducatif impuissant à produire autre chose que des sous-doués, notre culture réduite à éditer Virginie Despentes ou Edouard Louis, nos revendications syndicales qui confondent systématiquement le toujours plus et le beaucoup mieux. Nous avions la première école au monde, nous voici à la traîne, loin des tigres asiatiques ; nous étions un phare culturel, nous en sommes réduits à balbutier notre langue et à nous excuser d’exister ; nous avions des chercheurs remarquables, et la France de Pasteur n’a pas été fichue de trouver un vaccin à la première épidémie venue. 

Sans doute l’argent n’est-il pas allé là où il fallait…

Nous ne nous sommes pas suicidés, n’en déplaise à certains : nous nous sommes vendus. Ce qui frémit encore dans ce pays bien-aimé, c’est notre conscience d’esclaves, qui se rappelle encore un peu la liberté. 

De ce frémissement je veux faire un espoir.

A lire ensuite, Pascal Louvrier: FOG: de Charles de Gaulle à Eric Zemmour

Aujourd’hui, la France est morte. Je vous propose de la ressusciter. Ce n’est pas de réformes ni de révolution que nous avons besoin, c’est d’une renaissance. Si nous avons aujourd’hui une ambition, c’est d’entrer dans la dimension des miracles. Lève-toi, Lazare ! Lève-toi et marche !

Oh, ça ne se fera pas en un instant, ni en un jour — ni même en cinq ans. Ça ne se fera pas en regardant dans le rétroviseur. La connaissance du passé, le respect de nos ancêtres, n’ont de sens que s’ils nous fournissent les matériaux de notre propre reconquête. Inutile de pleurer sur notre grandeur passée, ni sur les blouses que portaient jadis les élèves. Il faut changer de méthode — et mon discours n’a d’autre objet.

L’essayiste Jean-Paul Brighelli. Photo: Hannah Assouline.

Nous sommes des jacobins au petit pied, des bonapartistes d’opérette qui avons élu Napoléon IV, parodie d’une caricature dénoncée jadis par Hugo ou par Marx. Mais nous sommes aussi des girondins honteux, qui avons laissé prospérer dans nos régions des caciques gonflés de leur importance, habiles à reconstituer dans leur basse-cour les fastes élyséens : tout pour l’image, et aucun fond.

Il faut passer par-dessus la tête de ces petits coqs du village global qui s’époumonent pour exister. Passer par-dessus la tête des administrations centrales qui gèrent nos biens au mieux des intérêts des autres. Dénoncer ceux de nos partenaires européens qui se sont appuyés sur nous pour se redresser — et qui désormais nous passent par-dessus la tête pour aller quêter une improbable alliance outre-Atlantique. Comme si les États-Unis se souciaient en quelque façon de l’Europe, sinon pour légiférer dans nos entreprises au nom du dieu Dollar, et vendre leurs armements en regardant de loin les conflits qu’ils allument sur notre sol. Et pourquoi pas, dénoncer cette Europe qui n’est plus un concert des nations, mais un patchwork d’appétits concurrents. Il ne s’agit pas de nous draper dans un superbe isolationnisme. Il s’agit de mettre le feu à Bruxelles, où tant d’administratifs et de lobbyistes œuvrent au mieux des intérêts des autres. Toujours les autres, jamais pour nous.

La France est petite, comparée aux empires qui nous regardent. Mais la grandeur ne se mesure pas en kilomètres carrés. Elle se mesure à la créativité, à l’influence, au dynamisme dont une nation est capable. Elle se mesurera à notre capacité à retenir sur notre sol les jeunes gens les plus doués, qui aujourd’hui s’exilent dans des pays plus attractifs que le nôtre. Pas même par intérêt, mais par désespérance. Nous avons déçu l’espoir de nos enfants, en dilapidant l’héritage de nos parents.

Nous voyons filer nos élites, remplacées par des malheureux sous-qualifiés en quête de protection sociale. L’immigration a longtemps été une chance pour la France : qui parmi nous n’a aucun ancêtre venu jadis en France, attiré par la lumière ? Elle est désormais un fardeau, ce ne sont plus les Lumières qui nous illustrent, c’est notre incurable naïveté. La générosité fonctionne désormais à sens unique : l’étranger qui vient a des droits, et on ne lui impose aucun devoir. Du coup, il se croit libre d’apporter avec lui sa part d’ombre — et même sa part de nuit.

A lire ensuite, Alexis Brunet: Brighelli, dernier avertissement avant l’apocalypse scolaire

Fini ! Faire renaître la France, c’est rallumer l’ambition, le travail, le mérite. C’est reconstruire ici les usines que nous avons imprudemment délocalisées ailleurs — et former les hommes qui y travailleront. C’est imaginer un système éducatif qui permette à chacun d’aller au plus haut de ses capacités. Et pas seulement à quelques privilégiés, qui se sont tout juste donné la peine de naître et d’habiter les beaux arrondissements, et se croient les légitimes héritiers des oligarques qui nous gouvernent. Ou plutôt, qui font semblant de gouverner, alors qu’ils se contentent d’obéir aux consignes que leur donnent leurs maîtres étrangers. Nous en sommes là : nos chefs d’État sont depuis des années les petits commissionnaires de leurs maîtres.

Le véritable danger, ce ne sont pas quelques milliers de malheureux qui ont tout quitté pour venir chez nous, et que nous intègrerons dès que nous aurons décrété la tolérance zéro. Ce sont les tyrans camouflés derrière les logos de compagnies et de banques avides, installées ailleurs, mais qui prétendent régenter notre cher vieux pays. Nous avons été pillés ? Faisons rendre gorge à ceux qui nous exploitent, débarrassons-nous de ceux qui nous piétinent. Nous avons des dettes ? Eh bien, ma dette, Monsieur du FMI, mets-la dans ta poche, et ton mouchoir par-dessus !

Je ne viens pas vous proposer la paix, mais la guerre. La guerre aux profiteurs, la guerre aux incapables, la guerre aux idéologues qui se parent de belles vertus pour mieux contenter leurs vices. La guerre aux fainéants, aux exploiteurs de générosité, aux menteurs, aux voleurs, et aux médias complices.
Cela fait beaucoup de monde. Mais en face, il y a un peuple— et c’est bien davantage. Vous êtes là deux cents, deux mille, dix mille, et le 10 avril, vous serez des millions. Si vous le voulez, vous le pourrez. 

Car à la différence de toutes les autres puissances, la force du peuple réside dans son imagination. Et lorsque monte la colère, lorsque revient l’envie de ressaisir ses avantages et de planter des têtes au bout des piques, cette imagination donne au peuple la capacité de réaliser tout ce qu’il a imaginé. Et ce peuple, il est là, devant moi, deux cents, dix mille, et des millions bientôt.

Jean-Paul Brighelli

La fabrique du crétin: Vers l'apocalypse scolaire

Price: 18,00 €

31 used & new available from 2,42 €

PS. Bien sûr, cet exercice rhétorique est un canevas, sur lequel un nègre (pardon : une plume !) officiel saura broder (hmm… Igor Mitrofanoff saurait-il le faire ?). Mais surtout, qu’il ne fasse pas trop long. Qu’il se rappelle que Mirabeau a répliqué à l’envoyé du roi en une phrase, que les bulletins de la Grande armée ne faisaient que quelques lignes, que l’appel du 18 juin comptait à peine six petits paragraphes, et que l’art du discours consiste à signifier beaucoup en disant peu. Mais nous avons tellement tendance à confondre le quantitatif et le qualitatif…

Flaubert: une histoire culturelle du phoque

Un essai curieux et érudit, Le Phoque de Flaubert de Georges Guitton, est à mi-chemin entre l’histoire littéraire et les sciences naturelles…


En 1847, en mal d’aventure littéraire, le jeune écrivain sillonne avec son ami Maxime Du Camp la Bretagne en quête de « sauvagerie armoricaine », périple qu’ils ont relaté dans Par les champs et par les grèves.

Georges Guitton raconte le nez-à-nez entre le Rouennais et un phoque, dans la ville de Rennes.

Un contentieux tenace entre Rennes et les écrivains

Exalté quelques jours plus tôt par la visite du futur tombeau de Chateaubriand déjà préparé sur l’île du Grand Bé au large de Saint-Malo (le vicomte décéda un an plus tard), Gustave Flaubert découvre en contraste une capitale bretonne sans aucun intérêt: « Rennes. — Rien, rien que le phoque ; ses narines ont l’air de deux coupures sur son museau ; baquet vert avec des tentures peintes en dedans ; quinquet d’en haut ; orgue de Barbarie. Quand le phoque sera parti de Rennes il n’y aura plus rien à y voir ». C’est qu’il existe un contentieux tenace entre Rennes et les écrivains. Bien plus tard, Milan Kundera écrivit: « Nous sommes partis en voiture avec [mon épouse] Vera, nous avons traversé des villes françaises toutes très belles, il y avait des cathédrales magnifiques, et puis nous sommes rentrés dans la première ville moche du voyage, mais vraiment moche, c’était Rennes ». À peine mieux chez Hippolyte Taine : « Belles grandes rues monumentales au centre, pavés et trottoirs en granit ; mais rien pour le goût. La ville a été brûlée au XVIIIe siècle ; la cathédrale, à colonnes superposées en consoles, n’a rien d’intéressant au dehors, et au dedans elle est toute blanche et plate ; c’est le plus vilain édifice que j’aie vu». Cette relation entre Rennes et les écrivains avait déjà été évoquée dans un précédent ouvrage de Georges Guitton, Rennes de Céline à Kundera (Presses Universitaires de Rennes, 2016).

Georges Guitton DR

On se demande bien comment l’auteur va arriver au bout de ses 296 pages avec cette histoire de phoque que la nièce Caroline a censuré, quand il fallut rééditer Par les champs et par les grèves, « ratatouille un peu farce » de l’aveu même de Flaubert. De chapitre en chapitre, pourtant, le phoque refait surface. Le sac à dos de Flaubert ? En peau de phoque. La graisse sur les souliers ? Du phoque. Il n’est pas jusqu’au front dégarni de l’écrivain (dans une lettre, il n’est pas tendre avec sa propre « calvitie de l’homme de bureau, celle du notaire usé, tout ce qu’il y a de plus couillon en fait de sénilité précoce ») et ses bacchantes qui n’évoquent pas le pinnigrade, comme le rappelle l’illustration en couverture.

Une histoire culturelle du phoque

C’est un « livre sur le livre » loufoque, qui entremêle géographie littéraire et histoire de l’histoire naturelle. C’est aussi une sorte de quête initiatique du jeune écrivain sur les routes bretonnes, en pleine hésitation stylistique : « Gustave souffle le chaud et le froid. Il balance, il ne sait plus. Est-il Chateaubriand, ce sublime musicien de l’idéal et de la beauté triste ? Est-il Flaubert, le caustique chirurgien du banal rayant l’âme à coups de stylet vengeur ? (…) Son écriture joue sur deux tableaux : celui du romantisme irrépressible de sa jeunesse ; celui de son dépassement par un style brutal commis à étouffer les épanchements du lyrisme ».

C’est enfin une tentative d’histoire culturelle du phoque. S’il n’a pas eu le destin héraldique du lion ou de l’ours, le phoque plait pour sa tête ronde, son pelage blanc quand il est bébé et son aspect quelque peu humain. Buffon dans son Histoire naturelle a du mal à ne pas prêter des traits anthropomorphiques aux phoques : « Si un étranger vient à bout d’en enlever un individu, ils en témoignent leurs regrets en versant des larmes ; ils en versent encore lorsque quelqu’un de leur famille, qu’ils ont maltraité, se rapproche et vient demander grâce. Ainsi, dans ces animaux, il paraît que la tendresse succède à la sévérité, et que c’est toujours à regret qu’ils punissent leurs femelles et leurs petits ; le mâle semble être en même temps un bon père de famille, et un chef de troupe impérieux, jaloux de conserver son autorité ». De manière générale, c’est la sensibilité montante pour l’animal qui est racontée. Jules Michelet écrivait à la même époque : « L’animal ! sombre mystère… monde immense de rêves et de douleurs muettes ».

Le Phoque de Flaubert de Georges Guitton (Presses Universitaires de Rennes)

FOG: de Charles de Gaulle à Eric Zemmour

Dans Le Sursaut. Histoire intime de la Ve République, premier volume d’une trilogie, Franz-Olivier Giesbert nous livre donc une biographie personnelle du Général de Gaulle, tout en y glissant des éléments autobiographiques. Son livre, diablement documenté, se lit comme un roman.


De Gaulle vit sous nos yeux et la statue du Commandeur, figée dans son uniforme de militaire, visage austère d’un proviseur de province, personnage de Mauriac, disparaît pour céder la place à un homme fragile, certes inflexible quand il s’agit de la France et de ses ennemis, amateur de bonne chère, succombant au charme de sa secrétaire à Londres, Elisabeth de Miribel, en proie au doute, et pire encore, au désespoir nervalien.

L’homme qui tutoyait les présidents

D’emblée, le lecteur comprend que l’Histoire n’est pas seulement convoquée mais qu’il va être confronté au présent, au réel qui cogne de plus en plus fort. Les leçons du passé pour éclairer l’avenir en quelque sorte.

Et là, le livre de FOG prend une dimension insoupçonnée. Ce n’est pas seulement l’homme du 18 juin, qui a sauvé l’honneur de la France, condamné à mort par Vichy, honni des Américains qui avaient choisi dans un premier temps Pétain, puis Darlan et enfin Giraud, ce n’est pas non plus celui qui a accordé l’indépendance à l’Algérie, qui est devenu le premier président de la Ve République élu au suffrage universel selon sa volonté, ou encore celui qui vacilla en 1968 face aux soixante-huitards ivres de liberté individuelle, insultant les opposants traités de fascistes (un comble), ce n’est pas seulement tous ces événements fondamentaux que nous rappelle FOG, mais également il analyse, faits à l’appui, les coupables erreurs de ses successeurs. Avec l’érudition de celui qui a côtoyé, et parfois tutoyé, les présidents de la Ve république, il essaie de comprendre comment on a pu arriver « au degré zéro de la politique » d’une part, et comment les Français ont pu se donner corps et âme à Emmanuel Macron, liquidateur de la grandeur de la France, de sa culture, ou du moins ce qu’il en reste, promoteur de la déconstruction « woke », d’autre part. Giesbert : « De tous les présidents, Macron est celui qui, entre deux mea culpa sur la poitrine de la France, aura le plus préféré la position à genoux. » Du sang de pamphlétaire bout dans les veines du journaliste qui signa ses premiers articles à l’âge de 19 ans.

À lire aussi: Affligeante Laure Adler!

D’emblée donc, FOG nous apprend qu’il vit désormais à Marseille, « capitale française du cosmopolitisme, ville-monde. » Il s’y sent bien, mais quelque chose le chiffonne, et il ose l’écrire, sachant qu’il s’attirera les foudres du camp tentaculaire du Bien : « Quand je me rends à pied à la gare Saint-Charles en passant par la Canebière, j’ai le cœur serré parce que, pendant le trajet, je n’ai entendu personne ou presque parler français. Que va-t-il arriver à notre langue? » La réponse se trouve dans le remarquable ouvrage de Richard Millet : Français langue morte (Les provinciales, 2020).

Les sujets qui fâchent

FOG égrène les sujets qui fâchent et qui sont développés par Eric Zemmour, habité lui aussi par la France, une France charnelle, menacée une nouvelle fois de disparition. Sa mission quasi christique n’est pas sans rappeler la trajectoire hors du commun du Général. André Malraux, écrivain gaullien inspiré (Lire ses Antimémoires en temps de catastrophes) avait écrit que de Gaulle avait non seulement porté le cadavre de la France en faisant croire qu’elle était vivante, mais qu’il l’avait également ressuscitée.

FOG nous rappelle que jamais de Gaulle n’a voulu conserver l’Algérie française. Il a bluffé tout le monde, faisant preuve d’un machiavélisme digne de François Mitterrand. Dès 1945, il confie à son jeune garde des Sceaux, Pierre-Henri Teitgen : « Il convient de limiter l’afflux des Méditerranéens et des Orientaux qui ont, depuis un demi-siècle, profondément modifié la population française. » Les germes du Grand Remplacement sont perçus par l’homme de la France libre. Il ne croit aucunement au mélange des cultures. Il faut  transformer l’Algérie française non pour y rester mais pour la quitter. Au député UNR Alain Peyrefitte, trente-trois ans, il déclare, après avoir fustigé les partisans de l’intégration : « Essayez d’intégrer de l’huile et du vinaigre. Agitez la bouteille. Au bout d’un moment, ils se sépareront de nouveau. Les Arabes sont des Arabes, les Français sont des Français. Vous croyez que le corps français peut absorber dix millions de musulmans, qui demain seront vingt millions et après-demain quarante ? » Le Général s’échauffe et conclut : « Si nous faisons l’intégration, si tous les Arabes et Berbères d’Algérie étaient considérés comme Français, comment les empêcherait-on de s’installer en métropole, alors que le niveau de vie y est tellement plus élevé ? Mon village ne s’appellerait plus Colombey-les-Deux-Églises, mais Colombey-les-Deux-Mosquées. »

À lire aussi, Jean Sévillia: «Depuis 40 ans, la France se couche devant le pouvoir algérien»

Intégration impossible, prévisions démographiques inquiétantes, risque à terme d’un président musulman à la tête de la France, servitude volontaire d’un peuple comparé à des veaux par le Général, c’est le roman Soumission de Michel Houellebecq avant l’heure. Mais comme le note FOG, qui colle à l’actualité, la décolonisation, voulue par de Gaulle pour éviter les déferlements migratoires, est un échec, et paradoxalement les prophéties du Général sont en train de se réaliser avec les conséquences, exacerbées par l’islamisme radical galopant, que dénonce aujourd’hui le candidat Zemmour. FOG cite les chiffres de l’Insee, minorées précise-t-il (pages 220/221).

Du « jouir sans entraves » à la bulle hygiéniste

Certains en ont voulu à de Gaulle d’avoir berné sans vergogne les partisans de l’Algérie française, à commencer par l’écrivain Michel Déon. L’auteur des Poneys sauvages n’a jamais digéré la trahison de celui dont la main n’avait pas tremblé quand il avait refusé, sous pression communiste, de signer le recours en grâce de Robert Brasillach, écrivain collaborateur, fusillé le 6 février 1945. Il n’acceptait pas que l’armée française, victorieuse sur le terrain, avait fait cadeau de cette victoire à l’adversaire, ajoutant : « Cela ne s’était pas produit en France depuis la rétrocession gratuite par Louis VII à l’Angleterre de l’Aunis, du Poitou et de la Saintonge. »

À lire aussi: Immigration et démographie urbaine: les cartes à peine croyables de France Stratégie

Mais le fil rouge de cette étude iconoclaste reste la France menacée par une intégration impossible pourtant voulue par des dirigeants politiques et des journalistes soumis à l’idéologie progressiste. André Malraux met très vite en garde le Général contre « la poussée islamiste ». L’auteur de La tentation de l’Occident affirme, en 1956 : « Cette montée de l’Islam est analogiquement comparable au début du communisme du temps de Lénine. Les conséquences de ce phénomène sont encore imprévisibles. » Il poursuit : « Les données actuelles du problème portent à croire que des formes variées de dictature musulmane vont s’établir successivement à travers le monde arabe. » Comme l’écrit FOG, on peut être critique à l’égard du bilan de l’action politique du Général et ne pas supporter les spasmes lyriques de Malraux, « mais on ne peut les accuser de naïveté. »

Mai 68 voit la fin de Charles de Gaulle. Il est fatigué, le désespoir le mine. Les jeunes bourgeois veulent jouir sans entraves et prendre la place des ainés. Devenus boomers, ils révèrent Macron qui leur offre une bulle hygiéniste pour finir leur vie comme des sénateurs romains. Le Général meurt le 9 novembre 1970, « rongé par le chagrin », selon la confidence de son épouse Yvonne.

Et, comme Malraux, nous songeons au Gange qui « emportait des reflets bleus et rouges dans la nuit. »

Franz-Olivier Giesbert, Le Sursaut. Histoire intime de la Ve République, Gallimard.

Pour en finir avec la falsification des concepts politiques!

1

Trois universitaires, Olivier Dard, Christophe Boutin et Frédéric Rouvillois, ont dirigé une entreprise intellectuelle de haute volée ayant abouti à la publication successive de trois dictionnaires: Le Dictionnaire du conservatisme en 2017, Le Dictionnaire des populismes en 2019 et, enfin, le Dictionnaire du progressisme cette année.


Conservatisme, populismes, progressisme: à leur recherche…

Pour qui se passionne pour le paysage politique et idéologique contemporain comme votre serviteur, ces dictionnaires constituent une mine inépuisable dont l’intérêt est de développer avec une totale exhaustivité les caractéristiques de ces familles de pensée, de pouvoir et d’action. On comprendra que ce billet est destiné, comme souvent dans les débats médiatiques auxquels j’ai participé, à moins affirmer qu’à apprendre, à moins décréter qu’à écouter ou à lire. J’attends donc de tous ceux qui prendront connaissance de ce post un éclairage qui répondra à mes interrogations. Parce que rien ne serait plus absurde que d’opposer à la substance riche de ces dictionnaires un point de vue péremptoire et assuré d’être dans le vrai.

A lire aussi, Frédéric Rouvillois: Valérie Pécresse ou la frange progressiste

Le progressisme : ça ira mieux demain

Il me semble bien percevoir ce que le progressisme signifie aujourd’hui, et au fond depuis que les Lumières existent et que le concept de progrès est venu, telle une espérance, irradier même au sein des temps les plus sombres. Comme ce qui viendra forcément ensuite, après. Le rapport au temps du progressisme est central. Il répudie le pessimisme puisque pour lui il y a une évolution obligatoirement positive entre ce qu’était hier, ce qu’est le présent et ce que sera l’avenir. Le fil du temps est naturellement et par vocation progressiste.

Le président Macron à Brest, le 11 février 2022 © Ludovic Marin/AP/SIPA

Cette conception idéologique vient se lover avec délice dans un mouvement général qui ne pourra qu’engendrer des effets bienfaisants. On aurait tort de se moquer d’une telle naïveté historique et politique car au moins elle donne le repos de l’âme et de l’esprit à ceux qui la partagent.

A lire aussi, Lucien Rabouille: Celui qui croyait au progrès, celui qui n’y croyait pas

Cette croyance enthousiaste dans le futur explique aussi pourquoi il est inconcevable pour les progressistes de se retourner pour sauvegarder ce qui, selon eux, a été négatif et ne méritait en effet que d’être dépassé par le flot du temps. Si je me suis qualifié de réactionnaire, c’est à cause précisément de la certitude inverse : rien n’est fatal. Qui pourrait interdire en effet à un pouvoir politique fort et exemplaire de choisir, dans le vivier d’hier, des trésors à restaurer ? Par exemple, l’autorité à l’école ? ou le retour de la morale publique ?

Le conservateur : un moderne sceptique

Le conservatisme, en raison de son nom, paraît simple à définir. Il serait la dilection politique de ceux qui, philosophiquement, socialement, ont pour ambition de maintenir, de conserver précisément. On ne touche pas à ce qui a été construit par le temps, les années et les traditions. Il y a une richesse dans la stabilité. Mieux vaut l’imperfection rassurante d’une réalité que le doute sur des réformes, des métamorphoses et un avenir qui, à les supposer bénéfiques, pâtiraient d’apporter du désordre aux fondements d’une société.

A lire aussi: Frédéric Rouvillois: l’automne du «Penser printemps»

Je ne nie pas que dans le conservatisme il y ait aussi de la frilosité, une sorte de jalousie de propriétaire qui ne voudrait pas voir son capital (dans tous les sens) entamé. Ce qui me gêne dans cette approche est qu’elle exclut le mouvement et qu’elle va maintenir jusqu’à la catastrophe une société immuable, ossifiée, tranquillement injuste, donnant trop de place à ce qui est naturel, contre les coups de boutoir parfois légitimes de la modernité.

Populisme : pour enfin comprendre un concept trop souvent galvaudé

Enfin il y aurait des populismes. Je n’ai jamais craché, comme tant d’autres confortablement installés dans leur mépris, sur les populistes de chez nous, comme sur les quelques gouvernements qui sont stigmatisés comme tels. Trop souvent, il m’apparaît que le populisme est une manière pour la gauche, pour le progressisme, de disqualifier l’importance qu’on attache au peuple, au sentiment populaire. Mais aussi, pour la droite, de se réfugier trop volontiers dans le classicisme de promesses non tenues et de programmes si peu vertébrés à l’usage, qu’ils en deviennent fades, sans véritable identité.

Quels que soient les populismes, ils relèveraient moins de familles politiques singulières que de la mise en oeuvre d’une certaine manière de gouverner.

A lire aussi : Le fond du populisme, c’est sa forme

A-t-on le droit de les analyser comme des structures de pouvoir autoritaires mais validées régulièrement par des élections démocratiques (quelles que soient leurs insuffisances), au grand dam de ceux qui refusent de considérer ces légitimations comme acceptables ? Parce qu’il y a des choix, des votes, des peuples qui ne conviennent pas, il faudrait leur en substituer d’autres ! C’est une tentation permanente pour ces démocrates si peu fiables, hémiplégiques, et chez qui la moraline s’est substituée à la liberté de certains pays d’être maîtres chez eux.

Je n’ai pas la prétention, par ce billet, d’avoir ajouté quoi que ce soit à la substance savante de ces dictionnaires mais seulement d’avoir proposé quelques variations tirées d’elle et que mes lecteurs enrichiront…

Le dictionnaire du conservatisme

Price: 44,00 €

10 used & new available from 28,84 €

Les guillemets de “Libération”

Un attentat à la voiture bélier et au couteau a tué quatre civils israéliens et blessé plusieurs autres, dont deux gravement, dans la principale ville du sud d’Israël, Beer Sheva, le 22 mars 2022. C’est l’attentat terroriste le plus mortel dans ce pays depuis 2016. Malheureusement, pour la presse française de gauche défavorable à Israël, c’était une nouvelle occasion pour euphémiser la menace islamiste permanente planant sur l’État hébreu. Dans certains médias des pays arabes, de leur côté, on ne s’embarrasse même pas de guillemets pour apporter son soutien à l’horreur. Analyse.


« Attaque terroriste à Beer Sheva : 4 morts et 2 blessés graves ; l’assaillant abattu » a titré le Times of Israel.

Notre Libé national a employé presque les mêmes mots, mais pour dire le contraire, grâce à des guillemets. Le Larousse nous rappelle opportunément que ce signe typographique est utilisé, tout comme l’expression orale « entre guillemets », pour indiquer « qu’on ne reprend pas à son compte une affirmation, qu’on souligne une intention ironique ou un euphémisme. »

Libé ne reprend-il pas à son compte le caractère terroriste d’un attentat qui a fait quatre morts ou bien souligne-t-il une intention ironique, voire un euphémisme ?

Lorsque le théâtre de Marioupol, en Ukraine, a été bombardé, Libération a publié pas moins de huit articles [1]. Les seuls guillemets qu’on y relève sont autour d’une citation du président américain : « Joe Biden a qualifié pour la première fois Vladimir Poutine de «criminel de guerre».»

Il existe des journaux d’information 

Ils sont différents de ceux qui peuvent se consacrer à de la propagande ou peuvent se sentir Libérés d’une exacte fidélité aux faits et à l’enchaînement des causes et des effets. « Les médias israéliens ont rapporté que l’agresseur présumé, Mohammad Ghaleb Abu al-Qian, 34 ans, était un enseignant de la ville de Hura, qui a purgé une peine de trois ans de prison pour appartenance au groupe terroriste État islamique et tentative de recrutement. Il a été libéré en 2019. » Ces faits sont rapportés par le Times of Israel.

A lire aussi: Pays-Bas: polémique sur les rapports entre les facs et Israël

Au temps pour « l’humiliation quotidienne », pour « la pauvreté », pour « l’ignorance »… qui sont les excuses dont nos compatriotes ne sont parfois pas avares pour expliquer la sauvagerie. Ou plutôt « n’étaient » pas avares. Depuis que le terrorisme a tué, chez nous, des consommateurs de boissons haram à Paris ou les spectateurs d’un feu d’artifice célébrant autre chose que des attentats contre des Juifs, les guillemets ont disparu du ©label rouge sang qui accompagnait le mot « terroriste ».

Le terroriste sans guillemets a été abattu 

Un chauffeur de bus qui, derrière son volant, avait assisté à la scène, est allé porter secours aux victimes. Il a tiré sur le terroriste après avoir tenté de le raisonner et il a témoigné après coup : « C’était une personne… Nous sommes des êtres humains, nous ne sommes pas des animaux. Je ne suis pas habitué à une telle situation, à tirer sur une personne. Je suis désolé pour lui, mais c’est lui qui l’a cherché » [2] a regretté celui qui est considéré comme un héros en Israël. 

Dans une bonne partie du monde musulman, c’est celui d’en face qu’on célèbre en héros. Pour soutenir ce point de vue, aucune réticence côté palestinien. Al-Jazeera, la chaîne qatarie, s’en fait le porte-parole : « Le Hamas, qui gouverne la bande de Gaza occupée [3], et le Jihad islamique palestinien ont salué l’attaque. Le porte-parole du Hamas, Abdel-Latif al-Qanou, a déclaré que les « crimes commis par l’occupation » contre le peuple palestinien ne pouvaient être combattus que par de tels « actes héroïques ». Tariq Salmi, porte-parole du Jihad islamique, a déclaré que l’attaque était « une réponse naturelle aux crimes de l’occupation dans le Naqab », ajoutant qu’Israël « se rendra compte une fois de plus que notre peuple ne se rendra pas. » » 

Dans une démocratie, on vote et on discute

En revanche, la députée de la Liste arabe unie à la Knesset, Aida Touma-Sliman, a condamné : « Je condamne l’attaque contre des civils innocents à Beer Sheva. J’envoie mes prières pour le rétablissement des blessés et mes condoléances aux familles des personnes tuées. » Le parti islamiste Raam, qui fait partie du gouvernement, est allé dans le même sens. « Raam condamne cette attaque méprisable à Beer Sheva et envoie ses condoléances aux familles des personnes assassinées. Raam appelle tous les citoyens à préserver le tissu social commun et fragile, à être responsables et à faire progresser un discours de tolérance en cette heure difficile», peut-on lire dans son communiqué de presse.

Les journagandistes libérés l’ignorent peut-être, mais les Israéliens arabes ont des représentants au parlement et même un parti au gouvernement. Ils n’ont donc aucun besoin de recourir à des attentats pour s’exprimer ou pour promouvoir leurs revendications. 

A lire ensuite: Good Morning, Israël !

Au temps, aussi, pour l’excusisme version « absence d’autre moyen de se faire entendre pour des victimes condamnées à recourir à la violence »…

Où sont les guillemets d’antan ?

Dans les mises à jour ultérieures, les guillemets de Libération ont disparu. On aimerait croire à une prise de conscience sur l’amoralité  de la première version. 

Hélas, le bon sens penche plutôt pour une prise de conscience du degré d’information des internautes, à qui on ne peut plus faire prendre les vessies de son militantisme pour la lanterne de l’information, a fortiori pour les Lumières du XXIe siècle.


[1] https://www.liberation.fr/checknews/deux-jours-apres-le-bombardement-du-theatre-de-marioupol-le-flou-demeure-sur-le-bilan-humain-20220318_PDFIACTL2ZDPDH7COU5T62N6HM/# ; https://www.liberation.fr/checknews/ukraine-que-sait-on-du-bombardement-du-theatre-de-marioupol-20220317_TI7ZJ67USRFMBA7GLOKT3J23GI/ ; https://www.liberation.fr/international/europe/la-mairie-de-marioupol-affirme-quun-theatre-abritant-des-centaines-de-civils-a-ete-touche-par-une-frappe-russe-20220316_YHARMPMI5NGKJIYAGMLNLLIEAQ/ ; https://www.liberation.fr/international/europe/le-bombardement-dun-theatre-de-marioupol-souleve-lindignation-darmanin-tente-lapaisement-en-corse-julie-doucet-adoubee-par-le-grand-prix-dangouleme-lactu-ce-jeudi-20220317_6IWEB6YAA5BHFCJPRWAVNYT6FQ/ ; https://www.liberation.fr/international/europe/a-marioupol-nous-prions-tous-les-jours-20220317_MCY2NPGGBJAF7DW6LBOXA4XAZE/ ; https://www.liberation.fr/international/europe/guerre-en-ukraine-plus-dun-millier-de-personnes-refugiees-dans-le-theatre-bombarde-de-marioupol-20220317_H4FTJGFL7NHFRJHMZNQ2QLKCJE/

[2] https://www.israelnationalnews.com/news/324436

[3] « La Bande de Gaza occupée » est un automatisme langagier en usage chez les « antisémi-sionistes ». En réalité, Israël a quitté la Bande de Gaza en juillet 2005. Cela va faire 17 ans.

Éric Zemmour: «J’arracherai la culture aux griffes de la gauche»

Entretien avec Eric Zemmour (1/2)


Causeur. Nous connaissons votre goût et votre culture de la littérature. Quels sont, dans les domaines des arts plastiques, de la musique, du cinéma ou encore du théâtre, vos œuvres et vos artistes favoris ?

Éric Zemmour. J’aime beaucoup le rock, et suis un grand fan de Mick Jagger ! Je ressens toujours une émotion particulière aux premières notes d’Angie, par exemple… Je n’y peux rien, c’est ma jeunesse ! Barbara me touche profondément. J’aime Aznavour, Brel, Brassens et toute la grande chanson française. Et puis Bach… c’est l’évidence de la beauté ! Pour le cinéma, j’admire le travail cinématographique de Kubrick. Les aventures de Barry Lindon m’ont accompagné toute ma jeunesse, avec la bouleversante musique de Haendel. J’aime le cinéma italien des années 1970. Les films de Sautet et de Melville. Le grand cinéma populaire est pour moi également important… j’ai beaucoup ri devant les films de Louis de Funès qui représentent la France prospère de Pompidou. Au théâtre, j’ai récemment été fasciné par le Tartuffe de Michel Fau, cet artiste réalise un travail sur l’esthétique et sur l’alexandrin que je trouve fabuleux… il respecte le style de l’œuvre en y apportant son univers. Dans le domaine des arts plastiques, vous le savez, j’ai moins d’affinité avec l’art contemporain tel qu’il est aujourd’hui marchandisé à la FIAC ou au Centre Pompidou. Je suis touché par l’art de la Renaissance. Et puis Rodin, Vermeer, la délicatesse épicurienne de Watteau également. J’aime l’épique des tableaux de David et de Gros.

Le mot « culture » est utilisé à toutes les sauces et peu de gens s’entendent sur sa définition. Quelle serait la vôtre ?

Pour moi, le mot culture ne se comprend pas sans son épithète « commune ». La culture, c’est ce qui fabrique un peuple, une nation, ce qui le soude dans des références communes, que chacun peut et doit se réapproprier. C’est le ciment qui nous rassemble. Évidemment, des contre-cultures se développent et parfois, deviennent populaires et majoritaires (le jazz puis le rap, pour ne citer que deux exemples). Pour autant, la culture que j’ai envie de valoriser est une culture qui élève les âmes, et nous rend fiers d’être Français.

Vous avez déclaré vouloir créer un « ministère de l’Instruction publique et de la Culture ». Quel est le but de cette fusion ? Le petit pois Culture ne risque-t-il pas d’être dévoré par le mammouth Instruction publique ?

Ce ministère répond à la volonté de mieux lier culture et instruction, qui sont souvent séparées. Et pourtant l’une ne va pas sans l’autre ! Sans culture, vous ne pouvez envisager de former des citoyens français, et sans l’école vous ne pouvez imaginer transmettre la culture française à l’ensemble des citoyens de notre pays. C’est de cette double nécessité, de cette complémentarité que vient la création d’un grand ministère de l’Instruction publique et de la Culture. Ce ministère aura pour mission de refaire des Français, de mettre en œuvre une véritable politique d’assimilation.

Quelle est pour vous la mission du ministère de la Culture qui, rappelons-le, se nommait auparavant ministère des Beaux-Arts ?

La protection, l’entretien et la transmission de notre héritage artistique et patrimonial. Assurer un égal accès à cet héritage immense à tous les citoyens français. Soutenir par tous les moyens dont il dispose une création exigeante et d’excellence des arts qui ne peuvent subsister sans son aide. Favoriser un enseignement supérieur artistique d’excellence afin de former des artistes capables d’enrichir notre patrimoine en ce domaine. Veiller à la préservation de la beauté du territoire national. Et enfin, œuvrer au rayonnement de notre patrimoine, de nos artistes et de notre langue à l’international.

Le socle de la culture, de notre culture, n’est-ce pas la langue ?

Bien sûr ! Sans une maîtrise parfaite de notre langue – que l’école doit permettre –, il est impossible de rassembler tout un peuple. Et notre socle culturel ne s’entretient pas uniquement sur le territoire national. Nous disposons d’un large espace d’influence dans le monde : 300 millions de francophones présents sur les cinq continents. Nous devons nous appuyer sur cette force culturelle qui dépasse nos frontières et la faire vivre ! Je souhaite donc renforcer les médias français à l’international afin de toucher au plus près ces millions de personnes qui font partie de notre socle culturel par la langue.

Pourquoi vouloir privatiser une partie de l’audiovisuel public ?

Cela répond à un constat simple : son budget a explosé (près de 3,6 milliards d’euros) quand sa qualité n’a fait que se dégrader (près de 50 % des programmes sont dédiés au divertissement). Cette privatisation répond à la volonté de concentrer les dépenses du service public audiovisuel sur ses missions essentielles : la culture et le rayonnement de la France à l’étranger.

Nos écoliers travaillent fréquemment sur des textes d’on ne sait qui et d’une piètre qualité littéraire. N’est-il pas urgent de réutiliser les grandes œuvres classiques de notre littérature comme support de travail pour nos enfants, que ce soit pour l’apprentissage des poésies ou encore le travail de la dictée ?

C’est une priorité ! Je le répète, il faut initier à la culture le plus tôt possible. Cessons de croire que les enfants de notre génération sont moins brillants que leurs prédécesseurs qui apprenaient la lecture grâce aux grands classiques français. Dès le primaire, il faut habituer les élèves au contact de la plus haute littérature et non de textes spécialement écrits « pour les jeunes », formatés aux idéologies en vogue et dépouillés de toutes structures de phrase complexes. Il faut également réintroduire le goût du style et de l’esthétique dès le plus jeune âge. Les poèmes seront donc donnés à apprendre par cœur dès le CP, afin que les écoliers puissent cultiver ce goût et le mécanisme de la mémoire, laissés depuis plusieurs décennies en friche chez la plupart des élèves au nom du pédagogisme. De même, les textes de dictée seront le plus tôt possible extraits de grandes œuvres littéraires donnant l’exemple de la plus haute maîtrise de la langue et poussant également à la réflexion.

André Malraux ministre voulait « rendre accessibles les œuvres capitales de l’humanité, et d’abord de la France, au plus grand nombre possible de Français ». Il parlait donc des œuvres capitales et non de tout ce qui pouvait entrer dans la catégorie « création artistique ». Par conséquent, il faisait une hiérarchie car si certaines étaient capitales, d’autres ne l’étaient pas. Le ministère de la Culture doit-il retrouver ce sens de la hiérarchie et sortir du « tout est culture » ?

Le « tout est culture » de Jack Lang a fait énormément de mal à la culture en France de manière générale. Il a fait croire aux Français que tout ce qui relevait du divertissement, que ce soit la bande dessinée, les jeux vidéo, le rock ou le rap, était Culture et égal à Molière ou Chopin. C’est de la pure démagogie ! Cela révèle un profond mépris du peuple. Le rôle de l’État est avant tout d’offrir la possibilité à chacun de s’élever quel que soit le milieu social dont il vient, de donner à chaque citoyen français un égal accès à ce que la culture et le génie de notre pays ont créé de plus beau et parfois de plus complexe. L’État doit retrouver le courage de différencier ce qui relève de l’art, et ce qui relève du simple divertissement ou de l’expression sociale dont le ministère de la Culture ne doit plus avoir la charge.

Le Pass culture mis en place par le gouvernement donne aux jeunes un crédit de 300 euros à dépenser en « activités et biens culturels ». Cela a donné une ruée sur les mangas. Certains libraires l’ont même renommé le « pass manga ». Ils représenteraient plus de la moitié des livres vendus via cette application. Que pensez-vous de cette mesure ?

Elle n’est pas mauvaise en soi ! L’idée de proposer aux plus jeunes un accès aux œuvres de l’art me séduit… pourvu qu’il s’agisse d’œuvres majeures, afin que ce pass participe à l’accomplissement intellectuel de ses bénéficiaires. Je suis donc favorable à une restriction du Pass culture à des formes plus classiques de littérature, de musique ou encore de cinéma, auxquelles ils ne sont peut-être pas initiés par leur milieu familial ou amical.

>> Retrouvez la suite de cet entretien demain <<

Benoît Duteurtre: «Les vieux pourraient sauver le monde»

Pour imaginer la société de demain, il suffit d’exagérer – à peine – les travers de celle d’aujourd’hui. C’est ce que fait Benoît Duteurtre dans son nouveau roman dont le titre est un mot d’ordre : Dénoncez-vous les uns les autres. Propos recueillis par Jonathan Siksou.


Avec cette sotie (farce de caractère satirique, allégorie de la société du temps), Benoît Duteurtre nous amuse et nous inquiète. Le monde qu’il décrit n’est pas encore le nôtre mais nous nous en approchons dangereusement. Une jeune fille prénommée Robert – sa mère lutte contre les préjugés sexistes – aime Barack, un garçon de son âge ainsi baptisé car son père idolâtre un ex-président américain. Cet ancien responsable culturel municipal, répondant au prénom de Mao, se plie sans broncher aux contraintes qui régissent la vie de chacun : les amateurs de viande doivent abattre eux-mêmes les animaux qu’ils veulent manger, les ordures doivent être triées dans des sacs transparents sous peine de poursuites pour écocide… Et tout déviant a l’obligation de se livrer à une confession publique. Accusé – anonymement – d’agression sexuelle, Mao va voir son passé décortiqué par la redoutable brigade rétroactive. Heureusement qu’un vieux dandy, le monde d’avant, peut encore faire entendre sa voix.

Dénoncez-vous les uns les autres

Price: 18,00 €

23 used & new available from 3,84 €


Causeur. Allons-nous passer de la société du spectacle à celle de la dénonciation ?

Benoît Duteurtre : Ceux qui ont mis en lumière la société du spectacle furent aussi les seuls parmi les gens d’extrême-gauche à porter un regard critique et lucide sur le maoïsme. C’était l’époque de la révolution culturelle, des procès publics, des professeurs d’université humiliés et bastonnés par leurs élèves, de la dénonciation érigée en vertu par le pouvoir chinois… Les seuls qui l’ont vu étaient les situationnistes. Dans mon livre, il y a souvent en arrière-plan cette influence culturelle profonde du maoïsme alors même que les ex-maos sont devenus des notables de la République. La vertu maoïste a triomphé dans notre société : dénoncer toutes les turpitudes cachées de nos voisins au nom du sexisme ou autres discriminations, pousser chaque suspect à faire son autocritique publique afin qu’il soit pénalement – et sévèrement – réprimandé pour que ses victimes puissent « se reconstruire ». Ce qui constituait la société totalitaire maoïste se retrouve dans notre société post-capitaliste. 

A lire aussi : Benoît Duteurtre: bienvenue en Corée du Centre!

On retrouve aujourd’hui la même instrumentalisation de l’art, du théâtre…

Absolument. Le mot « citoyen » est devenu un mot valise qu’il faut accoler à tout : l’art doit être citoyen, la littérature doit être citoyenne etc. Chacun s’efforce de contribuer aux combats vertueux d’aujourd’hui, ce qui n’est pourtant pas la fonction de l’art – lié davantage à la beauté, au plaisir, à la spiritualité…Au nom du Bien d’aujourd’hui – l’écologie, la condition féminine, la cause animale, l’égalité entre les civilisations–ressurgissent ainsi les formes les plus lourdingues d’art engagé.

L’affaire Jean-Jacques Bourdin, avec son humiliation en direct par Valérie Pécresse sur BFM-TV nous plonge dans votre livre : la présomption d’innocence n’existe plus. 

Cette affaire illustre également la régression infantile de la société. J’ai été frappé par le chef d’accusation : Bourdin « aurait essayé d’embrasser une de ses collègues ». Et ça fait la une de tous les médias pendant quinze jours. Je ne dis pas que c’est bien de vouloir embrasser une collègue malgré elle mais où est la mesure qui permet de différencier l’information importante de l’anecdote fâcheuse ? On peut dire la même chose pour Pierre Ménès accusé d’avoir peut-être « touché le sein d’une hôtesse au cours d’un match au Stade de France ». Ce n’est pas bien de toucher le sein d’une hôtesse qui ne l’a pas demandé mais, là encore, est-ce que ça mérite la une de la presse et la destruction sociale d’un individu ? Parallèlement à la montée de la violence et de la délation, on assiste à cette crétinisation de l’opinion publique.

L’encouragement de la délation, qui est au cœur de votre récit, est-il une façon de donner aux individus une importance qu’ils n’ont pas dans la société ?

C’est une tendance warholienne : chacun a besoin de son quart d’heure de gloire ! Et celui-ci peut prendre la forme d’un livre visant à dénoncer l’homme – rarement la femme – qui vous a fait souffrir il y a longtemps et exhiber cette blessure qui vous a rongé de l’intérieur. C’est aussi une façon de se mettre en scène dans le rôle de la victime, figure sacralisée par la psychologie et qui ne peut être contredite.

A lire aussi : Vanessa Springora ou les mots qui délivrent

Notre société a-t-elle besoin de coupables ?

Elle a besoin de victimes et de coupables. Mais la possibilité pour l’accusé de se défendre est de plus en plus limitée. Mon hypothèse est que la loi finira par imposer à chaque citoyen de dénoncer les crimes auxquels il aurait pu assister un jour ou l’autre en matière d’environnement, de sexisme, de racisme etc. Chacun est encouragé à tout mettre sur la table, faute de quoi il sera considéré comme complice.

Vous imaginez également une effrayante « brigade rétroactive »…

Je force à peine le trait : aujourd’hui, de nombreux mouvements féministes demandent la suppression de la prescription des délits à caractères sexuels, aussi minimes soient-ils. Cette brigade rétroactive peut remonter dans le passé numérique de chacun pour trouver un tweet, un SMS, une blague, une expression déplacée et vous traduire en justice. Internet est un réservoir extraordinaire d’informations susceptibles de faire tomber quelqu’un, et son exploitation en tant qu’archives à délits pourrait être un marqueur de la société de demain.

Et si l’avenir du monde n’était plus entre les mains de la jeunesse – aculturée – mais des vieux ?

Ce serait une belle perspective. La jeune génération rejoue les combats de ses parents soixante-huitards mais en pire, car la plupart de ces combats ont déjà été gagnés et il lui faut trouver de nouveaux ennemis. Elle se mobilise donc sur des sujets de plus en plus dérisoires. Elle ne veut plus guère faire la révolution au sens économico-politique comme les gauchistes des années 60-70 mais une révolution domestique, dans chaque domaine de la vie privée, du sexe et de l’environnement. Tout cela repassé à la moulinette de la lutte des classes. Parce qu’ils savent encore d’où on vient réellement, les vieux pourraient sauver le monde.

Dénoncez-vous les uns les autres

Price: 18,00 €

23 used & new available from 3,84 €

Monsieur le président-candidat, descendez de votre tour d’ivoire!

Sophie de Menthon apostrophe le président de la République, candidat à sa succession. Elle se gendarme contre un programme encore nébuleux et fustige le manque de réformes favorables aux entreprises effectuées au cours du quinquennat.


Monsieur le président-candidat,

Ce n’est pas tant de vous écouter dont nous avons besoin, mais que VOUS nous écoutiez…

Certes, vous avez actuellement à faire face à des crises toutes plus graves les unes que les autres. Certes, vous les résolvez du mieux possible. Certes, nous avons globalement confiance en vous… Certes, nous pouvons penser que vous avez raison de ne pas aller à la télévision avant le deuxième tour où une dizaine d’opposants vous attendraient pour jouer aux fléchettes contre vous tout en minutant votre temps de parole !

A lire aussi : Conférence de presse de Macron: quel ennui!

Mais, Monsieur le président, même vos plus fidèles soutiens commencent à être exaspérés. Nous avons l’impression d’être des enfants qui guettent leur père à qui ils veulent poser des questions et auxquels on répond « tais-toi ! Papa travaille, cest très important, va dans ta chambre ! »

Quatre heures: c’est une performance, pas un programme

Insatisfaits des quatre heures de présentation de programme assénée devant la presse [1] et retraduite pas cette dernière, serait-il possible que vos propos soient plus clairs et pragmatiques, correspondent à ce que nous vivons ? J’en suis encore à décrypter le programme, et je ne vois pas qui, intellectuellement, arrive à tout « imprimer », comme disent les ados. Vous nous proposez un projet, en mieux parait-il, de tout ce que vous avez si bien fait ? Ah bon, avec plus d’écoute, en étant plus attentif ? Ça commence mal…  

Pour cela, vous nous promettez, comme tous les candidats, des referendums. Mais on sait que les referendums n’engagent même pas ceux qui les lancent, s’adressent à ceux qui veulent bien voter et satisferont ceux qui ont voté oui, et encore… On se souvient tous de celui sur l’Europe…

A quand la réforme de l’État profond ?

Êtes-vous au courant, Monsieur le président, que la France fonctionne si mal, voire ne fonctionne plus ? Ce n’est pas de votre faute, mais si vous y êtes résigné, c’est plus grave. Vous souvenez-vous de « l’État profond » contre lequel vous pestiez il y a quelques années ? Oublié ? Et les missions régaliennes de l’État ? Les économies structurelles, le statut de fonctionnaire, les missions de service public qu’on pourrait déléguer au privé ? Quand consulterez-vous les entreprises au lieu de leur filer des amendes à la moindre occasion ? L’État au service d’une société de confiance ? (rires) …  

A lire aussi : Macron: une réélection «quoi qu’il en coûte»

Quand desserre-t-on les contraintes de notre maillage administratif ? Où en est le déploiement de votre spoil system (système des dépouilles) pour que nos hauts fonctionnaires inamovibles ne gèlent plus tout le système ? Supprimer l’ENA ne change pas grand-chose, il faudrait peut-être plutôt contraindre ses impétrants à aller trois ans dans une PME en région ! Il reste tant d’organismes multiples et inutiles à supprimer, tant d’argent gaspillé dans des associations oiseuses… Et ces Agences régionales, et ces doublons de tout ! La réforme structurelle indispensable reste là à faire ! Ce sont par ailleurs des fondamentaux pour obtenir l’équilibre sine qua non des finances de l’État, et il semble désormais que parmi les candidats il n’y ait que Valérie Pécresse qui souhaite s’y atteler sérieusement, avec, plus modestement, Marine Le Pen. Et vous ?

Les entrepreneurs: pourquoi si peu de considération ?

Nous, les entreprises, entrepreneurs, indépendants, les 3 millions qui font la France en constituant le matelas de l’économie, les obscurs qui ne sont ni « Start up nation », n’appartiennent pas à « Choose France », ne sont pas tellement High-Tech, ni secteur d’avenir à vos yeux, vous avez grand tort de nous mépriser ou de nous laisser en avoir le sentiment.  Nous ne sommes ni reçus, ni écoutés, nous nous heurtons à une France désespérante d’inefficacité et immuable. Alors, votre programme, dans ces conditions…

A lire aussi : Non, les entrepreneurs n’ont pas décidé seuls les délocalisations!

Pardon, j’oubliais quand même ! Merci pour l’argent pendant le Covid. Nous vous en sommes reconnaissants, c’est vrai que nous avons été très aidés et il parait que nous n’en rembourserons rien ? Ce qui d’ailleurs finit par nous inquiéter beaucoup. Vous faites campagne avec un carnet de chèques et même vos supporters les plus acquis commencent à vous le reprocher. Le point d’indice des fonctionnaires: un cadeau électoral. Le statut de la Corse : pourquoi juste là, maintenant ?

Sophie de Menthon, bientôt reçue à l’Elysée ?

Et puis, enfin, il y a ce sentiment que vous savez tout mieux que nous. Nous avons pourtant des choses à dire, et nous voulons vous entendre. Pas seulement devant un parterre de Français triés sur le volet, qui posent des questions avec fiches préparées, ce qui ennuie tout le monde ! Alors, si vous n’avez légitimement pas envie de vous confronter à des adversaires qui ne voudront que vous flinguer, choisissez quatre ou cinq des Français qui ont des choses à dire dans leur secteur, qui subissent les tracasseries administratives, les blocages, à une heure de grande écoute et jouez le jeu !  Ils vous interrogeront, dans un langage simple, concret, de bon sens… Vous n’êtes même pas obligé de choisir des gilets jaunes…

Pas le temps ? Vous plaisantez. Pas le courage ? Je ne peux l’imaginer. Une mauvaise idée ? Pourquoi ? Cela n’intéresse pas les médias ? Bien sûr que si, les Français s’intéressent aussi à leur économie. Il est temps de faire vraiment campagne. Sinon vous allez le payer très cher dès que la vraie vie reprendra son cours.

La France sens dessus dessous !: Les caprices de Marianne

Price: 17,00 €

17 used & new available from 1,99 €


[1] Présentation du projet présidentiel à Aubervilliers, le 17 mars 2022

Louis Calaferte le géant souterrain

0
Louis Calaferte ( 1928-1994 ) photographié en 1985 © ANDERSEN ULF/SIPA

Jérôme Leroy nous fait découvrir, ou redécouvrir, Louis Calaferte.


Ecrivain sauvage, irréductible, Louis Calaferte (1928-1994) est né dans une famille d’immigrés italiens et a mangé de la vache enragée plus souvent qu’à son tour.

Tempérament explosif, lyrique, inquiet, il est l’auteur d’une œuvre monumentale et polyphonique qui contient des Carnets intimes, du théâtre et des récits plus ou moins autofictionnels dont deux font partie de ces classiques souterrains qui font la saveur de la littérature française : Requiem des Innocents, son premier livre en 1952 et surtout Septentrion (1963) qui est aussitôt interdit par le ministère de l’Intérieur pour pornographie et devra attendre vingt ans pour être édité, créant un véritable effet de souffle quand il paraît en 1983. 

Le lecteur d’aujourd’hui s’apercevra ainsi que la « pornographie » de Calaferte, alors que n’importe quel gamin est à deux clics du pire sur internet, est en fait une formidable déclaration d’amour aux corps des femmes qui furent avec la recherche de Dieu, les deux principales obsessions de Calaferte. Sa poésie est une porte d’entrée idéale sur son œuvre que nous recommandons à tous nos lecteurs pour sa force subversive et sa paradoxale recherche de sérénité.


Pendant que j’allumais une autre cigarette
tu as quitté tes bas
assise au bord du lit
et maintenant tu n’oses pas
dans cette chambre où nous n’avons jamais dormi
lever les yeux sur moi

C’est soudain comme si le temps meurt ou s’arrête
un long alinéa
je m’approche du lit
et viens te prendre entre mes bras
dans cette douceur triste et qui nous engourdit
j’ai aussi peur que toi
Il y a au dehors des rumeurs vagabondes
nous ne nous en irons que pour un autre monde
A Londres c’est l’automne il est presque minuit

Louis Calaferte, Londoniennes (Le tout sur le tout)

Londoniennes

Price: 29,12 €

5 used & new available from

Requiem des innocents

Price: 8,50 €

28 used & new available from 3,91 €

Éric Zemmour: «Désidéologiser le ministère de la Culture est une urgence absolue»

0
Éric Zemmour à Saulieu, 12 février 2022 © JC Tardivon/SIPA

Entretien avec Eric Zemmour (2/2)


Relire la première partie.

Causeur. En 2022, le budget du ministère de la Culture dépassera pour la première fois les 4 milliards d’euros. Trouvez-vous ce budget démesuré ?

Eric Zemmour. Ce n’est pas la question des dépenses publiques qui est en jeu… c’est plutôt de savoir ce que l’on fait de l’argent des Français ! C’est l’ensemble des priorités culturelles de l’État qu’il faut revoir. Comment comprendre les 300 millions d’euros consacrés au Pass culture qui financent l’achat de mangas comme vous l’avez souligné alors que, dans le même temps, l’État ne consacre que 426 millions d’euros à l’entretien et la restauration des monuments historiques et du patrimoine monumental français ? Comment comprendre que le ministère de la Culture finance une culture woke faisant fi de la culture historique française ? Que penser des déclarations sur le racisme d’Alexander Neef, directeur de l’Opéra de Paris, institution subventionnée à hauteur de 95 millions d’euros (soit 43% de ses recettes) par an ? Ce dernier voulait supprimer du répertoire de ballet de l’Opéra des œuvres majeures, comme Le Lac des cygnes ou Casse-Noisette, sous prétexte qu’elles ne favoriseraient pas la diversité… Est-ce aux Français de financer l’effacement de leur patrimoine ?

Les Français ne doivent plus subir cette dictature de la laideur

À ce sujet, grand nombre de nos institutions culturelles, sous le règne du wokisme et de la déconstruction, ont été complètement dévoyées. Je vous exposerai le cas de l’illustre maison de Molière : la Comédie-Française. La plupart des œuvres classiques y sont « revisitées » par les metteurs en scène. Éric Ruf, l’administrateur de la maison, dit ne pas vouloir d’une Comédie-Française « old school ». Il déclare en parlant de Molière : « On a toujours un sur-respect du texte (…), on est dans une génuflexion que je ne trouve pas juste. » Sur son choix de programmation pour cette année anniversaire des quatre cents ans de Poquelin, il déclare : « On souffre, nous Français, d’une bibliothèque moliéresque d’une densité et d’une lourdeur assez rares. Quand un metteur en scène étranger s’empare de cette œuvre, il n’a pas la lourdeur de la Bibliothèque nationale sur le dos. (…) C’était important pour moi de confier le premier pas de cette saison Molière à un metteur en scène étranger (…) pour qui Molière n’est pas sur un piédestal ou un héros national. » C’est à peu près l’idéologie qui règne dans tous les théâtres nationaux ainsi que dans les opéras. N’y a-t-il pas urgence à libérer nos institutions culturelles de cette idéologie déconstructrice ? Comment y parvenir ?

Ces déclarations sont aberrantes et scandaleuses. Ce que dit Éric Ruf est très grave, et personne ne pipe mot. Je sais que c’est malheureusement la politique qui règne dans la majorité de nos théâtres nationaux et de nos opéras. Les classiques sont presque systématiquement revisités, modernisés ! Ces gens croient être novateurs en modernisant et en déconstruisant, mais c’est en réalité le nouvel académisme, et quand je dis nouvel je suis gentil, car cela fait un moment que ça dure ! La Comédie-Française est une des institutions culturelles les plus emblématiques de notre pays, c’est une gloire. On ne peut pas laisser l’idéologie déconstructrice la ronger de l’intérieur. Nous devons arrêter de nommer à la tête de nos institutions des idéologues qui les détruisent. Avec moi, ce ne sera plus le cas ! Je ne serai pas le complice de leur massacre.

Avez-vous pensé à un plan pour l’enseignement des arts à l’école ? Et, si oui – cela nous ramène à la hiérarchie –, comment choisir ce qu’on enseigne ? Nous savons tous que dans les classes de musique au collège, par exemple, on étudie par exemple les chansons de Julien Clerc ou encore de Zaz. Est-ce réellement la mission de l’école d’apprendre la variété aux élèves ?

Je souhaite un enseignement artistique d’exigence et d’excellence. Nous avons tous en tête les heures laborieuses que nos enfants ont passées à apprendre la flûte à bec… À rebours de ce saupoudrage culturel, je souhaite au contraire que l’on enseigne véritablement la musique et son histoire, les grands compositeurs, afin de donner une base solide de connaissances musicales à tous. L’enseignement des arts plastiques doit également retrouver ses lettres de noblesse avec un enseignement complet en histoire de l’art, pour qu’aucun élève ne puisse finir sa scolarité sans connaître Picasso, Rodin ou Delacroix. Pour que la haute culture ne reste pas un privilège de classe, elle doit être enseignée à l’école.

Que pensez-vous du système de l’intermittence du spectacle ?

Le système de l’intermittence du spectacle demande de faire un arbitrage complexe, entre la prise en compte de l’exception culturelle française et la question du coût engendré par ce régime d’exception. Il ne faut pas oublier que les intermittents sont des acteurs essentiels de la culture, quand ils s’occupent d’art, et non de divertissement. La spécificité de leur emploi, caractérisée par l’irrégularité et la discontinuité, doit être prise en compte, et c’est pourquoi je maintiendrai le régime spécifique des intermittents du spectacle. Néanmoins, par souci d’égalité avec les autres citoyens, il faut aussi souligner que le régime général d’Assurance chômage finance en grande partie le régime des intermittents. Le maintien de celui-ci repose donc en grande partie sur la bonne santé des autres régimes généraux. C’est pourquoi, il sera nécessaire, à terme, d’entamer une réflexion sur les conditions de financement du régime des intermittents du spectacle et sur sa relative générosité.

Notre patrimoine attire des masses énormes de touristes. Cela représente une source d’argent considérable, mais empêche également la contemplation de ces lieux par les véritables amateurs. Les musées sont encombrés de touristes en bermuda et en tongs achevant leur tour éclair de Paris, la place d’Armes du château de Versailles est défigurée par les troupeaux de bus touristiques et les murs de Montmartre, recouverts de T-shirts « I love Paris », sont devenus fuchsia et jaune fluo. Comment sortir de cette situation lucrative mais destructrice ?

Ces derniers mois, les Français ont pris plaisir à se promener dans des villes comme Paris, habituellement bondées de touristes. Ils ont pu redécouvrir leurs villes et leur patrimoine, se réapproprier ses espaces et ses lieux d’histoire dans le calme nécessaire à la contemplation. Rappelons qu’en Europe, la visite de certains lieux du patrimoine historique ou naturel est soumise à une logique de quotas : moins de visites pour une expérience plus agréable et plus enrichissante. C’est une piste que nous creuserons sérieusement, sans la systématiser de manière abrupte évidemment. Mais ne boudons pas notre plaisir… nous avons la chance d’être le pays le plus visité au monde. Outre l’apport économique pour notre pays – près de 8,5 % du PIB –, cela signifie que la France, son histoire, son patrimoine fascinent encore le monde ! Et c’est tant mieux !

Le ministère de la Culture ne s’occupe-t-il pas trop de morale ? Est-il dans son rôle lorsqu’il prend pour mission le combat contre les « stéréotypes», la lutte féministe, etc., également lorsqu’il méprise des écrivains comme Renaud Camus au nom de ses idées sur l’immigration ou encore que son ministre se félicite de la suppression des aides du Centre national du livre à Gabriel Matzneff ? L’art, d’ailleurs, fait-il bon ménage avec la morale ?

L’art a souvent eu affaire avec la morale, ou tout du moins avec la politique et l’idéologie. Tout simplement, parce que l’art est souvent porteur d’un message radical qui peut choquer, cliver. Néanmoins, est-ce le rôle de l’État de s’inscrire dans cette logique ? Je ne le pense pas. C’est antinomique. Désidéologiser le ministère de la Culture est une urgence absolue ! Il doit adopter une posture neutre vis-à-vis de la promotion des artistes et des arts. S’il se mêle de morale, il ne peut plus se mêler d’art. Le ministère de la Culture doit être un temple dans lequel les idéologies politiques et moralisatrices n’entrent pas.

La laideur nous envahit : éoliennes, ronds-points, zones industrielles et commerciales à l’entrée de nos villes et villages, sans parler des nouvelles constructions architecturales. Prévoyez-vous de mettre fin à cet enlaidissement du territoire ?

Je suis ravi que vous me posiez cette question, car c’est l’une de mes priorités ! Il faut arrêter cela de toute urgence grâce à une politique patrimoniale ambitieuse. Nous avons la chance d’avoir un des patrimoines les plus riches au monde. Notre législation sur la protection des monuments historiques est unique et efficace. Mais notre patrimoine n’est pas assez protégé, et le budget qui lui est alloué est insuffisant. Ce sont le cadre de vie des Français, la beauté qui les entoure que l’on sacrifie. Vivre entouré par la beauté, ce n’est pas rien ! Mais comme vous le dites très justement, ce sont également les constructions modernes et le non-respect de la cohérence avec le patrimoine architectural existant qui nuisent à la beauté de nos territoires. On a l’impression que l’architecture contemporaine répond à la mode d’une laideur esthétiquement correcte. Je pense qu’il faut arrêter cette folie. Les Français ne doivent plus subir cette dictature de la laideur. Nous travaillerons à un meilleur encadrement dans ce sens des nouvelles constructions. Enfin, je veux interdire la construction de nouveaux centres commerciaux à l’entrée de nos villes et nos villages : ces temples de la consommation tuent le petit commerce et gâchent la poésie des paysages.

On nous fait à longueur de journée l’éloge de la diversité. Mais cette diversité existe déjà et elle est parfois menacée. La corrida, par exemple, est un grand spectacle populaire berçant une partie de la France méridionale dans le culte du taureau. La chasse à courre est également une culture bien vivante, une tradition et un savoir-faire multiséculaires et populaires là où elle est pratiquée. Les médias et les associations animalistes désinforment les Français sur ces cultures, les faisant injustement passer pour plus barbares et plus cruelles qu’elles ne le sont réellement. Comptez-vous, au nom de la tradition et de la diversité, défendre ses cultures menacées ainsi que les populations en qui elles sont enracinées ?

Je comprends la préoccupation des Français quant à la cause animale, et j’annoncerai prochainement des mesures à ce sujet. Mais pas d’amalgame ! La corrida et la chasse à courre représentent une part importante de notre tradition et de notre patrimoine culturel. Je suis contre la culture de l’effacement et pour la préservation de la diversité de nos arts et de nos traditions qui font la richesse de notre culture. Je ne compte donc prendre aucune mesure restrictive à ce sujet, contrairement à Mme Le Pen qui louvoie, et affirme dans la même phrase être « contre la chasse à courre » mais « favorable à la chasse traditionnelle », allant jusqu’à qualifier de « cruels » les chasseurs qui la pratiquent !

Quelles seraient pour vous les priorités du ministère de la Culture si vous étiez élu ?

Libérer la culture des griffes du languisme ! Avec moi, la culture ne sera plus l’otage de la gauche. Et rien que ça, c’est un énorme chantier.

La France n'a pas dit son dernier mot

Price: 12,24 €

107 used & new available from 2,27 €

Discours-modèle pour candidat à la présidentielle

0
Valérie Pécresse (LR) et Eric Zemmour (Reconquête) invités du journal télévisé de TF1, 10 mars 2022, Boulogne-Billancourt © Laurent VU/SIPA

Notre chroniqueur a décidé de mouiller la chemise et d’offrir aux divers postulants le texte de leur futur discours, susceptible d’emporter l’adhésion du plus grand nombre. « Et je voterai pour celui qui le prononcera, littéralement ou en substance », nous dit-il. « Et pour nul autre. »


Je ne me lancerai certainement pas dans l’énumération inutile de tous les domaines dont je compte m’occuper prioritairement — parce qu’il n’y a que des priorités. Ni de tous ceux dont le sort me préoccupe au premier chef — parce qu’il n’en est pas dont je me désintéresse. Je vois mes concurrents distiller de vagues promesses que les jeunes, les femmes, les handicapés, les retraités, saisissent au vol — et chacun de partir jalousement avec ses lambeaux de phrase. Ce n’est pas de la politique, c’est de l’alimentation de volailles.

Je vous parlerai de la France.

Notre pays est un grand cadavre à la renverse. Dépecée au gré des intérêts d’un libéralisme mondialisé et sans âme, la nation qui fut naguère l’un des phares de l’humanité est aujourd’hui réduite au rôle de camp de vacances pour les populations laborieuses et méprisantes du nord de l’Europe. Terrain de jeu pour Allemands, est-ce encore un destin ?

Ravalée très loin dans les classements internationaux, la France fait sourire nos anciens amis et rire nos nouveaux ennemis. Nous n’existons plus qu’entre la condescendance des uns et la goguenardise des autres. On montre du doigt, en se gaussant, notre système éducatif impuissant à produire autre chose que des sous-doués, notre culture réduite à éditer Virginie Despentes ou Edouard Louis, nos revendications syndicales qui confondent systématiquement le toujours plus et le beaucoup mieux. Nous avions la première école au monde, nous voici à la traîne, loin des tigres asiatiques ; nous étions un phare culturel, nous en sommes réduits à balbutier notre langue et à nous excuser d’exister ; nous avions des chercheurs remarquables, et la France de Pasteur n’a pas été fichue de trouver un vaccin à la première épidémie venue. 

Sans doute l’argent n’est-il pas allé là où il fallait…

Nous ne nous sommes pas suicidés, n’en déplaise à certains : nous nous sommes vendus. Ce qui frémit encore dans ce pays bien-aimé, c’est notre conscience d’esclaves, qui se rappelle encore un peu la liberté. 

De ce frémissement je veux faire un espoir.

A lire ensuite, Pascal Louvrier: FOG: de Charles de Gaulle à Eric Zemmour

Aujourd’hui, la France est morte. Je vous propose de la ressusciter. Ce n’est pas de réformes ni de révolution que nous avons besoin, c’est d’une renaissance. Si nous avons aujourd’hui une ambition, c’est d’entrer dans la dimension des miracles. Lève-toi, Lazare ! Lève-toi et marche !

Oh, ça ne se fera pas en un instant, ni en un jour — ni même en cinq ans. Ça ne se fera pas en regardant dans le rétroviseur. La connaissance du passé, le respect de nos ancêtres, n’ont de sens que s’ils nous fournissent les matériaux de notre propre reconquête. Inutile de pleurer sur notre grandeur passée, ni sur les blouses que portaient jadis les élèves. Il faut changer de méthode — et mon discours n’a d’autre objet.

L’essayiste Jean-Paul Brighelli. Photo: Hannah Assouline.

Nous sommes des jacobins au petit pied, des bonapartistes d’opérette qui avons élu Napoléon IV, parodie d’une caricature dénoncée jadis par Hugo ou par Marx. Mais nous sommes aussi des girondins honteux, qui avons laissé prospérer dans nos régions des caciques gonflés de leur importance, habiles à reconstituer dans leur basse-cour les fastes élyséens : tout pour l’image, et aucun fond.

Il faut passer par-dessus la tête de ces petits coqs du village global qui s’époumonent pour exister. Passer par-dessus la tête des administrations centrales qui gèrent nos biens au mieux des intérêts des autres. Dénoncer ceux de nos partenaires européens qui se sont appuyés sur nous pour se redresser — et qui désormais nous passent par-dessus la tête pour aller quêter une improbable alliance outre-Atlantique. Comme si les États-Unis se souciaient en quelque façon de l’Europe, sinon pour légiférer dans nos entreprises au nom du dieu Dollar, et vendre leurs armements en regardant de loin les conflits qu’ils allument sur notre sol. Et pourquoi pas, dénoncer cette Europe qui n’est plus un concert des nations, mais un patchwork d’appétits concurrents. Il ne s’agit pas de nous draper dans un superbe isolationnisme. Il s’agit de mettre le feu à Bruxelles, où tant d’administratifs et de lobbyistes œuvrent au mieux des intérêts des autres. Toujours les autres, jamais pour nous.

La France est petite, comparée aux empires qui nous regardent. Mais la grandeur ne se mesure pas en kilomètres carrés. Elle se mesure à la créativité, à l’influence, au dynamisme dont une nation est capable. Elle se mesurera à notre capacité à retenir sur notre sol les jeunes gens les plus doués, qui aujourd’hui s’exilent dans des pays plus attractifs que le nôtre. Pas même par intérêt, mais par désespérance. Nous avons déçu l’espoir de nos enfants, en dilapidant l’héritage de nos parents.

Nous voyons filer nos élites, remplacées par des malheureux sous-qualifiés en quête de protection sociale. L’immigration a longtemps été une chance pour la France : qui parmi nous n’a aucun ancêtre venu jadis en France, attiré par la lumière ? Elle est désormais un fardeau, ce ne sont plus les Lumières qui nous illustrent, c’est notre incurable naïveté. La générosité fonctionne désormais à sens unique : l’étranger qui vient a des droits, et on ne lui impose aucun devoir. Du coup, il se croit libre d’apporter avec lui sa part d’ombre — et même sa part de nuit.

A lire ensuite, Alexis Brunet: Brighelli, dernier avertissement avant l’apocalypse scolaire

Fini ! Faire renaître la France, c’est rallumer l’ambition, le travail, le mérite. C’est reconstruire ici les usines que nous avons imprudemment délocalisées ailleurs — et former les hommes qui y travailleront. C’est imaginer un système éducatif qui permette à chacun d’aller au plus haut de ses capacités. Et pas seulement à quelques privilégiés, qui se sont tout juste donné la peine de naître et d’habiter les beaux arrondissements, et se croient les légitimes héritiers des oligarques qui nous gouvernent. Ou plutôt, qui font semblant de gouverner, alors qu’ils se contentent d’obéir aux consignes que leur donnent leurs maîtres étrangers. Nous en sommes là : nos chefs d’État sont depuis des années les petits commissionnaires de leurs maîtres.

Le véritable danger, ce ne sont pas quelques milliers de malheureux qui ont tout quitté pour venir chez nous, et que nous intègrerons dès que nous aurons décrété la tolérance zéro. Ce sont les tyrans camouflés derrière les logos de compagnies et de banques avides, installées ailleurs, mais qui prétendent régenter notre cher vieux pays. Nous avons été pillés ? Faisons rendre gorge à ceux qui nous exploitent, débarrassons-nous de ceux qui nous piétinent. Nous avons des dettes ? Eh bien, ma dette, Monsieur du FMI, mets-la dans ta poche, et ton mouchoir par-dessus !

Je ne viens pas vous proposer la paix, mais la guerre. La guerre aux profiteurs, la guerre aux incapables, la guerre aux idéologues qui se parent de belles vertus pour mieux contenter leurs vices. La guerre aux fainéants, aux exploiteurs de générosité, aux menteurs, aux voleurs, et aux médias complices.
Cela fait beaucoup de monde. Mais en face, il y a un peuple— et c’est bien davantage. Vous êtes là deux cents, deux mille, dix mille, et le 10 avril, vous serez des millions. Si vous le voulez, vous le pourrez. 

Car à la différence de toutes les autres puissances, la force du peuple réside dans son imagination. Et lorsque monte la colère, lorsque revient l’envie de ressaisir ses avantages et de planter des têtes au bout des piques, cette imagination donne au peuple la capacité de réaliser tout ce qu’il a imaginé. Et ce peuple, il est là, devant moi, deux cents, dix mille, et des millions bientôt.

Jean-Paul Brighelli

La fabrique du crétin: Vers l'apocalypse scolaire

Price: 18,00 €

31 used & new available from 2,42 €

PS. Bien sûr, cet exercice rhétorique est un canevas, sur lequel un nègre (pardon : une plume !) officiel saura broder (hmm… Igor Mitrofanoff saurait-il le faire ?). Mais surtout, qu’il ne fasse pas trop long. Qu’il se rappelle que Mirabeau a répliqué à l’envoyé du roi en une phrase, que les bulletins de la Grande armée ne faisaient que quelques lignes, que l’appel du 18 juin comptait à peine six petits paragraphes, et que l’art du discours consiste à signifier beaucoup en disant peu. Mais nous avons tellement tendance à confondre le quantitatif et le qualitatif…

Flaubert: une histoire culturelle du phoque

0
© Presses Universitaires de Rennes

Un essai curieux et érudit, Le Phoque de Flaubert de Georges Guitton, est à mi-chemin entre l’histoire littéraire et les sciences naturelles…


En 1847, en mal d’aventure littéraire, le jeune écrivain sillonne avec son ami Maxime Du Camp la Bretagne en quête de « sauvagerie armoricaine », périple qu’ils ont relaté dans Par les champs et par les grèves.

Georges Guitton raconte le nez-à-nez entre le Rouennais et un phoque, dans la ville de Rennes.

Un contentieux tenace entre Rennes et les écrivains

Exalté quelques jours plus tôt par la visite du futur tombeau de Chateaubriand déjà préparé sur l’île du Grand Bé au large de Saint-Malo (le vicomte décéda un an plus tard), Gustave Flaubert découvre en contraste une capitale bretonne sans aucun intérêt: « Rennes. — Rien, rien que le phoque ; ses narines ont l’air de deux coupures sur son museau ; baquet vert avec des tentures peintes en dedans ; quinquet d’en haut ; orgue de Barbarie. Quand le phoque sera parti de Rennes il n’y aura plus rien à y voir ». C’est qu’il existe un contentieux tenace entre Rennes et les écrivains. Bien plus tard, Milan Kundera écrivit: « Nous sommes partis en voiture avec [mon épouse] Vera, nous avons traversé des villes françaises toutes très belles, il y avait des cathédrales magnifiques, et puis nous sommes rentrés dans la première ville moche du voyage, mais vraiment moche, c’était Rennes ». À peine mieux chez Hippolyte Taine : « Belles grandes rues monumentales au centre, pavés et trottoirs en granit ; mais rien pour le goût. La ville a été brûlée au XVIIIe siècle ; la cathédrale, à colonnes superposées en consoles, n’a rien d’intéressant au dehors, et au dedans elle est toute blanche et plate ; c’est le plus vilain édifice que j’aie vu». Cette relation entre Rennes et les écrivains avait déjà été évoquée dans un précédent ouvrage de Georges Guitton, Rennes de Céline à Kundera (Presses Universitaires de Rennes, 2016).

Georges Guitton DR

On se demande bien comment l’auteur va arriver au bout de ses 296 pages avec cette histoire de phoque que la nièce Caroline a censuré, quand il fallut rééditer Par les champs et par les grèves, « ratatouille un peu farce » de l’aveu même de Flaubert. De chapitre en chapitre, pourtant, le phoque refait surface. Le sac à dos de Flaubert ? En peau de phoque. La graisse sur les souliers ? Du phoque. Il n’est pas jusqu’au front dégarni de l’écrivain (dans une lettre, il n’est pas tendre avec sa propre « calvitie de l’homme de bureau, celle du notaire usé, tout ce qu’il y a de plus couillon en fait de sénilité précoce ») et ses bacchantes qui n’évoquent pas le pinnigrade, comme le rappelle l’illustration en couverture.

Une histoire culturelle du phoque

C’est un « livre sur le livre » loufoque, qui entremêle géographie littéraire et histoire de l’histoire naturelle. C’est aussi une sorte de quête initiatique du jeune écrivain sur les routes bretonnes, en pleine hésitation stylistique : « Gustave souffle le chaud et le froid. Il balance, il ne sait plus. Est-il Chateaubriand, ce sublime musicien de l’idéal et de la beauté triste ? Est-il Flaubert, le caustique chirurgien du banal rayant l’âme à coups de stylet vengeur ? (…) Son écriture joue sur deux tableaux : celui du romantisme irrépressible de sa jeunesse ; celui de son dépassement par un style brutal commis à étouffer les épanchements du lyrisme ».

C’est enfin une tentative d’histoire culturelle du phoque. S’il n’a pas eu le destin héraldique du lion ou de l’ours, le phoque plait pour sa tête ronde, son pelage blanc quand il est bébé et son aspect quelque peu humain. Buffon dans son Histoire naturelle a du mal à ne pas prêter des traits anthropomorphiques aux phoques : « Si un étranger vient à bout d’en enlever un individu, ils en témoignent leurs regrets en versant des larmes ; ils en versent encore lorsque quelqu’un de leur famille, qu’ils ont maltraité, se rapproche et vient demander grâce. Ainsi, dans ces animaux, il paraît que la tendresse succède à la sévérité, et que c’est toujours à regret qu’ils punissent leurs femelles et leurs petits ; le mâle semble être en même temps un bon père de famille, et un chef de troupe impérieux, jaloux de conserver son autorité ». De manière générale, c’est la sensibilité montante pour l’animal qui est racontée. Jules Michelet écrivait à la même époque : « L’animal ! sombre mystère… monde immense de rêves et de douleurs muettes ».

Le Phoque de Flaubert de Georges Guitton (Presses Universitaires de Rennes)

FOG: de Charles de Gaulle à Eric Zemmour

0
Le journaliste franco-américain Franz-Olivier Giesbert © BALTEL/SIPA

Dans Le Sursaut. Histoire intime de la Ve République, premier volume d’une trilogie, Franz-Olivier Giesbert nous livre donc une biographie personnelle du Général de Gaulle, tout en y glissant des éléments autobiographiques. Son livre, diablement documenté, se lit comme un roman.


De Gaulle vit sous nos yeux et la statue du Commandeur, figée dans son uniforme de militaire, visage austère d’un proviseur de province, personnage de Mauriac, disparaît pour céder la place à un homme fragile, certes inflexible quand il s’agit de la France et de ses ennemis, amateur de bonne chère, succombant au charme de sa secrétaire à Londres, Elisabeth de Miribel, en proie au doute, et pire encore, au désespoir nervalien.

L’homme qui tutoyait les présidents

D’emblée, le lecteur comprend que l’Histoire n’est pas seulement convoquée mais qu’il va être confronté au présent, au réel qui cogne de plus en plus fort. Les leçons du passé pour éclairer l’avenir en quelque sorte.

Et là, le livre de FOG prend une dimension insoupçonnée. Ce n’est pas seulement l’homme du 18 juin, qui a sauvé l’honneur de la France, condamné à mort par Vichy, honni des Américains qui avaient choisi dans un premier temps Pétain, puis Darlan et enfin Giraud, ce n’est pas non plus celui qui a accordé l’indépendance à l’Algérie, qui est devenu le premier président de la Ve République élu au suffrage universel selon sa volonté, ou encore celui qui vacilla en 1968 face aux soixante-huitards ivres de liberté individuelle, insultant les opposants traités de fascistes (un comble), ce n’est pas seulement tous ces événements fondamentaux que nous rappelle FOG, mais également il analyse, faits à l’appui, les coupables erreurs de ses successeurs. Avec l’érudition de celui qui a côtoyé, et parfois tutoyé, les présidents de la Ve république, il essaie de comprendre comment on a pu arriver « au degré zéro de la politique » d’une part, et comment les Français ont pu se donner corps et âme à Emmanuel Macron, liquidateur de la grandeur de la France, de sa culture, ou du moins ce qu’il en reste, promoteur de la déconstruction « woke », d’autre part. Giesbert : « De tous les présidents, Macron est celui qui, entre deux mea culpa sur la poitrine de la France, aura le plus préféré la position à genoux. » Du sang de pamphlétaire bout dans les veines du journaliste qui signa ses premiers articles à l’âge de 19 ans.

À lire aussi: Affligeante Laure Adler!

D’emblée donc, FOG nous apprend qu’il vit désormais à Marseille, « capitale française du cosmopolitisme, ville-monde. » Il s’y sent bien, mais quelque chose le chiffonne, et il ose l’écrire, sachant qu’il s’attirera les foudres du camp tentaculaire du Bien : « Quand je me rends à pied à la gare Saint-Charles en passant par la Canebière, j’ai le cœur serré parce que, pendant le trajet, je n’ai entendu personne ou presque parler français. Que va-t-il arriver à notre langue? » La réponse se trouve dans le remarquable ouvrage de Richard Millet : Français langue morte (Les provinciales, 2020).

Les sujets qui fâchent

FOG égrène les sujets qui fâchent et qui sont développés par Eric Zemmour, habité lui aussi par la France, une France charnelle, menacée une nouvelle fois de disparition. Sa mission quasi christique n’est pas sans rappeler la trajectoire hors du commun du Général. André Malraux, écrivain gaullien inspiré (Lire ses Antimémoires en temps de catastrophes) avait écrit que de Gaulle avait non seulement porté le cadavre de la France en faisant croire qu’elle était vivante, mais qu’il l’avait également ressuscitée.

FOG nous rappelle que jamais de Gaulle n’a voulu conserver l’Algérie française. Il a bluffé tout le monde, faisant preuve d’un machiavélisme digne de François Mitterrand. Dès 1945, il confie à son jeune garde des Sceaux, Pierre-Henri Teitgen : « Il convient de limiter l’afflux des Méditerranéens et des Orientaux qui ont, depuis un demi-siècle, profondément modifié la population française. » Les germes du Grand Remplacement sont perçus par l’homme de la France libre. Il ne croit aucunement au mélange des cultures. Il faut  transformer l’Algérie française non pour y rester mais pour la quitter. Au député UNR Alain Peyrefitte, trente-trois ans, il déclare, après avoir fustigé les partisans de l’intégration : « Essayez d’intégrer de l’huile et du vinaigre. Agitez la bouteille. Au bout d’un moment, ils se sépareront de nouveau. Les Arabes sont des Arabes, les Français sont des Français. Vous croyez que le corps français peut absorber dix millions de musulmans, qui demain seront vingt millions et après-demain quarante ? » Le Général s’échauffe et conclut : « Si nous faisons l’intégration, si tous les Arabes et Berbères d’Algérie étaient considérés comme Français, comment les empêcherait-on de s’installer en métropole, alors que le niveau de vie y est tellement plus élevé ? Mon village ne s’appellerait plus Colombey-les-Deux-Églises, mais Colombey-les-Deux-Mosquées. »

À lire aussi, Jean Sévillia: «Depuis 40 ans, la France se couche devant le pouvoir algérien»

Intégration impossible, prévisions démographiques inquiétantes, risque à terme d’un président musulman à la tête de la France, servitude volontaire d’un peuple comparé à des veaux par le Général, c’est le roman Soumission de Michel Houellebecq avant l’heure. Mais comme le note FOG, qui colle à l’actualité, la décolonisation, voulue par de Gaulle pour éviter les déferlements migratoires, est un échec, et paradoxalement les prophéties du Général sont en train de se réaliser avec les conséquences, exacerbées par l’islamisme radical galopant, que dénonce aujourd’hui le candidat Zemmour. FOG cite les chiffres de l’Insee, minorées précise-t-il (pages 220/221).

Du « jouir sans entraves » à la bulle hygiéniste

Certains en ont voulu à de Gaulle d’avoir berné sans vergogne les partisans de l’Algérie française, à commencer par l’écrivain Michel Déon. L’auteur des Poneys sauvages n’a jamais digéré la trahison de celui dont la main n’avait pas tremblé quand il avait refusé, sous pression communiste, de signer le recours en grâce de Robert Brasillach, écrivain collaborateur, fusillé le 6 février 1945. Il n’acceptait pas que l’armée française, victorieuse sur le terrain, avait fait cadeau de cette victoire à l’adversaire, ajoutant : « Cela ne s’était pas produit en France depuis la rétrocession gratuite par Louis VII à l’Angleterre de l’Aunis, du Poitou et de la Saintonge. »

À lire aussi: Immigration et démographie urbaine: les cartes à peine croyables de France Stratégie

Mais le fil rouge de cette étude iconoclaste reste la France menacée par une intégration impossible pourtant voulue par des dirigeants politiques et des journalistes soumis à l’idéologie progressiste. André Malraux met très vite en garde le Général contre « la poussée islamiste ». L’auteur de La tentation de l’Occident affirme, en 1956 : « Cette montée de l’Islam est analogiquement comparable au début du communisme du temps de Lénine. Les conséquences de ce phénomène sont encore imprévisibles. » Il poursuit : « Les données actuelles du problème portent à croire que des formes variées de dictature musulmane vont s’établir successivement à travers le monde arabe. » Comme l’écrit FOG, on peut être critique à l’égard du bilan de l’action politique du Général et ne pas supporter les spasmes lyriques de Malraux, « mais on ne peut les accuser de naïveté. »

Mai 68 voit la fin de Charles de Gaulle. Il est fatigué, le désespoir le mine. Les jeunes bourgeois veulent jouir sans entraves et prendre la place des ainés. Devenus boomers, ils révèrent Macron qui leur offre une bulle hygiéniste pour finir leur vie comme des sénateurs romains. Le Général meurt le 9 novembre 1970, « rongé par le chagrin », selon la confidence de son épouse Yvonne.

Et, comme Malraux, nous songeons au Gange qui « emportait des reflets bleus et rouges dans la nuit. »

Franz-Olivier Giesbert, Le Sursaut. Histoire intime de la Ve République, Gallimard.

Pour en finir avec la falsification des concepts politiques!

1
Frédéric Rouvillois, professeur de droit public et écrivain © Hannah Assouline

Trois universitaires, Olivier Dard, Christophe Boutin et Frédéric Rouvillois, ont dirigé une entreprise intellectuelle de haute volée ayant abouti à la publication successive de trois dictionnaires: Le Dictionnaire du conservatisme en 2017, Le Dictionnaire des populismes en 2019 et, enfin, le Dictionnaire du progressisme cette année.


Conservatisme, populismes, progressisme: à leur recherche…

Pour qui se passionne pour le paysage politique et idéologique contemporain comme votre serviteur, ces dictionnaires constituent une mine inépuisable dont l’intérêt est de développer avec une totale exhaustivité les caractéristiques de ces familles de pensée, de pouvoir et d’action. On comprendra que ce billet est destiné, comme souvent dans les débats médiatiques auxquels j’ai participé, à moins affirmer qu’à apprendre, à moins décréter qu’à écouter ou à lire. J’attends donc de tous ceux qui prendront connaissance de ce post un éclairage qui répondra à mes interrogations. Parce que rien ne serait plus absurde que d’opposer à la substance riche de ces dictionnaires un point de vue péremptoire et assuré d’être dans le vrai.

A lire aussi, Frédéric Rouvillois: Valérie Pécresse ou la frange progressiste

Le progressisme : ça ira mieux demain

Il me semble bien percevoir ce que le progressisme signifie aujourd’hui, et au fond depuis que les Lumières existent et que le concept de progrès est venu, telle une espérance, irradier même au sein des temps les plus sombres. Comme ce qui viendra forcément ensuite, après. Le rapport au temps du progressisme est central. Il répudie le pessimisme puisque pour lui il y a une évolution obligatoirement positive entre ce qu’était hier, ce qu’est le présent et ce que sera l’avenir. Le fil du temps est naturellement et par vocation progressiste.

Le président Macron à Brest, le 11 février 2022 © Ludovic Marin/AP/SIPA

Cette conception idéologique vient se lover avec délice dans un mouvement général qui ne pourra qu’engendrer des effets bienfaisants. On aurait tort de se moquer d’une telle naïveté historique et politique car au moins elle donne le repos de l’âme et de l’esprit à ceux qui la partagent.

A lire aussi, Lucien Rabouille: Celui qui croyait au progrès, celui qui n’y croyait pas

Cette croyance enthousiaste dans le futur explique aussi pourquoi il est inconcevable pour les progressistes de se retourner pour sauvegarder ce qui, selon eux, a été négatif et ne méritait en effet que d’être dépassé par le flot du temps. Si je me suis qualifié de réactionnaire, c’est à cause précisément de la certitude inverse : rien n’est fatal. Qui pourrait interdire en effet à un pouvoir politique fort et exemplaire de choisir, dans le vivier d’hier, des trésors à restaurer ? Par exemple, l’autorité à l’école ? ou le retour de la morale publique ?

Le conservateur : un moderne sceptique

Le conservatisme, en raison de son nom, paraît simple à définir. Il serait la dilection politique de ceux qui, philosophiquement, socialement, ont pour ambition de maintenir, de conserver précisément. On ne touche pas à ce qui a été construit par le temps, les années et les traditions. Il y a une richesse dans la stabilité. Mieux vaut l’imperfection rassurante d’une réalité que le doute sur des réformes, des métamorphoses et un avenir qui, à les supposer bénéfiques, pâtiraient d’apporter du désordre aux fondements d’une société.

A lire aussi: Frédéric Rouvillois: l’automne du «Penser printemps»

Je ne nie pas que dans le conservatisme il y ait aussi de la frilosité, une sorte de jalousie de propriétaire qui ne voudrait pas voir son capital (dans tous les sens) entamé. Ce qui me gêne dans cette approche est qu’elle exclut le mouvement et qu’elle va maintenir jusqu’à la catastrophe une société immuable, ossifiée, tranquillement injuste, donnant trop de place à ce qui est naturel, contre les coups de boutoir parfois légitimes de la modernité.

Populisme : pour enfin comprendre un concept trop souvent galvaudé

Enfin il y aurait des populismes. Je n’ai jamais craché, comme tant d’autres confortablement installés dans leur mépris, sur les populistes de chez nous, comme sur les quelques gouvernements qui sont stigmatisés comme tels. Trop souvent, il m’apparaît que le populisme est une manière pour la gauche, pour le progressisme, de disqualifier l’importance qu’on attache au peuple, au sentiment populaire. Mais aussi, pour la droite, de se réfugier trop volontiers dans le classicisme de promesses non tenues et de programmes si peu vertébrés à l’usage, qu’ils en deviennent fades, sans véritable identité.

Quels que soient les populismes, ils relèveraient moins de familles politiques singulières que de la mise en oeuvre d’une certaine manière de gouverner.

A lire aussi : Le fond du populisme, c’est sa forme

A-t-on le droit de les analyser comme des structures de pouvoir autoritaires mais validées régulièrement par des élections démocratiques (quelles que soient leurs insuffisances), au grand dam de ceux qui refusent de considérer ces légitimations comme acceptables ? Parce qu’il y a des choix, des votes, des peuples qui ne conviennent pas, il faudrait leur en substituer d’autres ! C’est une tentation permanente pour ces démocrates si peu fiables, hémiplégiques, et chez qui la moraline s’est substituée à la liberté de certains pays d’être maîtres chez eux.

Je n’ai pas la prétention, par ce billet, d’avoir ajouté quoi que ce soit à la substance savante de ces dictionnaires mais seulement d’avoir proposé quelques variations tirées d’elle et que mes lecteurs enrichiront…

Le dictionnaire du conservatisme

Price: 44,00 €

10 used & new available from 28,84 €

Les guillemets de “Libération”

1
Des Israéliens sur le lieu du drame à Beer-Sheva dans le sud d'Israël, 22 mars 2022. À proximité d'un centre commercial, un terroriste arabe sympathisant de l'État islamique a tué 4 personnes et fait 2 blessés graves lors d'une attaque à la voiture bélier et au couteau. © Tsafrir Abayov/AP/SIPA

Un attentat à la voiture bélier et au couteau a tué quatre civils israéliens et blessé plusieurs autres, dont deux gravement, dans la principale ville du sud d’Israël, Beer Sheva, le 22 mars 2022. C’est l’attentat terroriste le plus mortel dans ce pays depuis 2016. Malheureusement, pour la presse française de gauche défavorable à Israël, c’était une nouvelle occasion pour euphémiser la menace islamiste permanente planant sur l’État hébreu. Dans certains médias des pays arabes, de leur côté, on ne s’embarrasse même pas de guillemets pour apporter son soutien à l’horreur. Analyse.


« Attaque terroriste à Beer Sheva : 4 morts et 2 blessés graves ; l’assaillant abattu » a titré le Times of Israel.

Notre Libé national a employé presque les mêmes mots, mais pour dire le contraire, grâce à des guillemets. Le Larousse nous rappelle opportunément que ce signe typographique est utilisé, tout comme l’expression orale « entre guillemets », pour indiquer « qu’on ne reprend pas à son compte une affirmation, qu’on souligne une intention ironique ou un euphémisme. »

Libé ne reprend-il pas à son compte le caractère terroriste d’un attentat qui a fait quatre morts ou bien souligne-t-il une intention ironique, voire un euphémisme ?

Lorsque le théâtre de Marioupol, en Ukraine, a été bombardé, Libération a publié pas moins de huit articles [1]. Les seuls guillemets qu’on y relève sont autour d’une citation du président américain : « Joe Biden a qualifié pour la première fois Vladimir Poutine de «criminel de guerre».»

Il existe des journaux d’information 

Ils sont différents de ceux qui peuvent se consacrer à de la propagande ou peuvent se sentir Libérés d’une exacte fidélité aux faits et à l’enchaînement des causes et des effets. « Les médias israéliens ont rapporté que l’agresseur présumé, Mohammad Ghaleb Abu al-Qian, 34 ans, était un enseignant de la ville de Hura, qui a purgé une peine de trois ans de prison pour appartenance au groupe terroriste État islamique et tentative de recrutement. Il a été libéré en 2019. » Ces faits sont rapportés par le Times of Israel.

A lire aussi: Pays-Bas: polémique sur les rapports entre les facs et Israël

Au temps pour « l’humiliation quotidienne », pour « la pauvreté », pour « l’ignorance »… qui sont les excuses dont nos compatriotes ne sont parfois pas avares pour expliquer la sauvagerie. Ou plutôt « n’étaient » pas avares. Depuis que le terrorisme a tué, chez nous, des consommateurs de boissons haram à Paris ou les spectateurs d’un feu d’artifice célébrant autre chose que des attentats contre des Juifs, les guillemets ont disparu du ©label rouge sang qui accompagnait le mot « terroriste ».

Le terroriste sans guillemets a été abattu 

Un chauffeur de bus qui, derrière son volant, avait assisté à la scène, est allé porter secours aux victimes. Il a tiré sur le terroriste après avoir tenté de le raisonner et il a témoigné après coup : « C’était une personne… Nous sommes des êtres humains, nous ne sommes pas des animaux. Je ne suis pas habitué à une telle situation, à tirer sur une personne. Je suis désolé pour lui, mais c’est lui qui l’a cherché » [2] a regretté celui qui est considéré comme un héros en Israël. 

Dans une bonne partie du monde musulman, c’est celui d’en face qu’on célèbre en héros. Pour soutenir ce point de vue, aucune réticence côté palestinien. Al-Jazeera, la chaîne qatarie, s’en fait le porte-parole : « Le Hamas, qui gouverne la bande de Gaza occupée [3], et le Jihad islamique palestinien ont salué l’attaque. Le porte-parole du Hamas, Abdel-Latif al-Qanou, a déclaré que les « crimes commis par l’occupation » contre le peuple palestinien ne pouvaient être combattus que par de tels « actes héroïques ». Tariq Salmi, porte-parole du Jihad islamique, a déclaré que l’attaque était « une réponse naturelle aux crimes de l’occupation dans le Naqab », ajoutant qu’Israël « se rendra compte une fois de plus que notre peuple ne se rendra pas. » » 

Dans une démocratie, on vote et on discute

En revanche, la députée de la Liste arabe unie à la Knesset, Aida Touma-Sliman, a condamné : « Je condamne l’attaque contre des civils innocents à Beer Sheva. J’envoie mes prières pour le rétablissement des blessés et mes condoléances aux familles des personnes tuées. » Le parti islamiste Raam, qui fait partie du gouvernement, est allé dans le même sens. « Raam condamne cette attaque méprisable à Beer Sheva et envoie ses condoléances aux familles des personnes assassinées. Raam appelle tous les citoyens à préserver le tissu social commun et fragile, à être responsables et à faire progresser un discours de tolérance en cette heure difficile», peut-on lire dans son communiqué de presse.

Les journagandistes libérés l’ignorent peut-être, mais les Israéliens arabes ont des représentants au parlement et même un parti au gouvernement. Ils n’ont donc aucun besoin de recourir à des attentats pour s’exprimer ou pour promouvoir leurs revendications. 

A lire ensuite: Good Morning, Israël !

Au temps, aussi, pour l’excusisme version « absence d’autre moyen de se faire entendre pour des victimes condamnées à recourir à la violence »…

Où sont les guillemets d’antan ?

Dans les mises à jour ultérieures, les guillemets de Libération ont disparu. On aimerait croire à une prise de conscience sur l’amoralité  de la première version. 

Hélas, le bon sens penche plutôt pour une prise de conscience du degré d’information des internautes, à qui on ne peut plus faire prendre les vessies de son militantisme pour la lanterne de l’information, a fortiori pour les Lumières du XXIe siècle.


[1] https://www.liberation.fr/checknews/deux-jours-apres-le-bombardement-du-theatre-de-marioupol-le-flou-demeure-sur-le-bilan-humain-20220318_PDFIACTL2ZDPDH7COU5T62N6HM/# ; https://www.liberation.fr/checknews/ukraine-que-sait-on-du-bombardement-du-theatre-de-marioupol-20220317_TI7ZJ67USRFMBA7GLOKT3J23GI/ ; https://www.liberation.fr/international/europe/la-mairie-de-marioupol-affirme-quun-theatre-abritant-des-centaines-de-civils-a-ete-touche-par-une-frappe-russe-20220316_YHARMPMI5NGKJIYAGMLNLLIEAQ/ ; https://www.liberation.fr/international/europe/le-bombardement-dun-theatre-de-marioupol-souleve-lindignation-darmanin-tente-lapaisement-en-corse-julie-doucet-adoubee-par-le-grand-prix-dangouleme-lactu-ce-jeudi-20220317_6IWEB6YAA5BHFCJPRWAVNYT6FQ/ ; https://www.liberation.fr/international/europe/a-marioupol-nous-prions-tous-les-jours-20220317_MCY2NPGGBJAF7DW6LBOXA4XAZE/ ; https://www.liberation.fr/international/europe/guerre-en-ukraine-plus-dun-millier-de-personnes-refugiees-dans-le-theatre-bombarde-de-marioupol-20220317_H4FTJGFL7NHFRJHMZNQ2QLKCJE/

[2] https://www.israelnationalnews.com/news/324436

[3] « La Bande de Gaza occupée » est un automatisme langagier en usage chez les « antisémi-sionistes ». En réalité, Israël a quitté la Bande de Gaza en juillet 2005. Cela va faire 17 ans.

Éric Zemmour: «J’arracherai la culture aux griffes de la gauche»

1

Entretien avec Eric Zemmour (1/2)


Causeur. Nous connaissons votre goût et votre culture de la littérature. Quels sont, dans les domaines des arts plastiques, de la musique, du cinéma ou encore du théâtre, vos œuvres et vos artistes favoris ?

Éric Zemmour. J’aime beaucoup le rock, et suis un grand fan de Mick Jagger ! Je ressens toujours une émotion particulière aux premières notes d’Angie, par exemple… Je n’y peux rien, c’est ma jeunesse ! Barbara me touche profondément. J’aime Aznavour, Brel, Brassens et toute la grande chanson française. Et puis Bach… c’est l’évidence de la beauté ! Pour le cinéma, j’admire le travail cinématographique de Kubrick. Les aventures de Barry Lindon m’ont accompagné toute ma jeunesse, avec la bouleversante musique de Haendel. J’aime le cinéma italien des années 1970. Les films de Sautet et de Melville. Le grand cinéma populaire est pour moi également important… j’ai beaucoup ri devant les films de Louis de Funès qui représentent la France prospère de Pompidou. Au théâtre, j’ai récemment été fasciné par le Tartuffe de Michel Fau, cet artiste réalise un travail sur l’esthétique et sur l’alexandrin que je trouve fabuleux… il respecte le style de l’œuvre en y apportant son univers. Dans le domaine des arts plastiques, vous le savez, j’ai moins d’affinité avec l’art contemporain tel qu’il est aujourd’hui marchandisé à la FIAC ou au Centre Pompidou. Je suis touché par l’art de la Renaissance. Et puis Rodin, Vermeer, la délicatesse épicurienne de Watteau également. J’aime l’épique des tableaux de David et de Gros.

Le mot « culture » est utilisé à toutes les sauces et peu de gens s’entendent sur sa définition. Quelle serait la vôtre ?

Pour moi, le mot culture ne se comprend pas sans son épithète « commune ». La culture, c’est ce qui fabrique un peuple, une nation, ce qui le soude dans des références communes, que chacun peut et doit se réapproprier. C’est le ciment qui nous rassemble. Évidemment, des contre-cultures se développent et parfois, deviennent populaires et majoritaires (le jazz puis le rap, pour ne citer que deux exemples). Pour autant, la culture que j’ai envie de valoriser est une culture qui élève les âmes, et nous rend fiers d’être Français.

Vous avez déclaré vouloir créer un « ministère de l’Instruction publique et de la Culture ». Quel est le but de cette fusion ? Le petit pois Culture ne risque-t-il pas d’être dévoré par le mammouth Instruction publique ?

Ce ministère répond à la volonté de mieux lier culture et instruction, qui sont souvent séparées. Et pourtant l’une ne va pas sans l’autre ! Sans culture, vous ne pouvez envisager de former des citoyens français, et sans l’école vous ne pouvez imaginer transmettre la culture française à l’ensemble des citoyens de notre pays. C’est de cette double nécessité, de cette complémentarité que vient la création d’un grand ministère de l’Instruction publique et de la Culture. Ce ministère aura pour mission de refaire des Français, de mettre en œuvre une véritable politique d’assimilation.

Quelle est pour vous la mission du ministère de la Culture qui, rappelons-le, se nommait auparavant ministère des Beaux-Arts ?

La protection, l’entretien et la transmission de notre héritage artistique et patrimonial. Assurer un égal accès à cet héritage immense à tous les citoyens français. Soutenir par tous les moyens dont il dispose une création exigeante et d’excellence des arts qui ne peuvent subsister sans son aide. Favoriser un enseignement supérieur artistique d’excellence afin de former des artistes capables d’enrichir notre patrimoine en ce domaine. Veiller à la préservation de la beauté du territoire national. Et enfin, œuvrer au rayonnement de notre patrimoine, de nos artistes et de notre langue à l’international.

Le socle de la culture, de notre culture, n’est-ce pas la langue ?

Bien sûr ! Sans une maîtrise parfaite de notre langue – que l’école doit permettre –, il est impossible de rassembler tout un peuple. Et notre socle culturel ne s’entretient pas uniquement sur le territoire national. Nous disposons d’un large espace d’influence dans le monde : 300 millions de francophones présents sur les cinq continents. Nous devons nous appuyer sur cette force culturelle qui dépasse nos frontières et la faire vivre ! Je souhaite donc renforcer les médias français à l’international afin de toucher au plus près ces millions de personnes qui font partie de notre socle culturel par la langue.

Pourquoi vouloir privatiser une partie de l’audiovisuel public ?

Cela répond à un constat simple : son budget a explosé (près de 3,6 milliards d’euros) quand sa qualité n’a fait que se dégrader (près de 50 % des programmes sont dédiés au divertissement). Cette privatisation répond à la volonté de concentrer les dépenses du service public audiovisuel sur ses missions essentielles : la culture et le rayonnement de la France à l’étranger.

Nos écoliers travaillent fréquemment sur des textes d’on ne sait qui et d’une piètre qualité littéraire. N’est-il pas urgent de réutiliser les grandes œuvres classiques de notre littérature comme support de travail pour nos enfants, que ce soit pour l’apprentissage des poésies ou encore le travail de la dictée ?

C’est une priorité ! Je le répète, il faut initier à la culture le plus tôt possible. Cessons de croire que les enfants de notre génération sont moins brillants que leurs prédécesseurs qui apprenaient la lecture grâce aux grands classiques français. Dès le primaire, il faut habituer les élèves au contact de la plus haute littérature et non de textes spécialement écrits « pour les jeunes », formatés aux idéologies en vogue et dépouillés de toutes structures de phrase complexes. Il faut également réintroduire le goût du style et de l’esthétique dès le plus jeune âge. Les poèmes seront donc donnés à apprendre par cœur dès le CP, afin que les écoliers puissent cultiver ce goût et le mécanisme de la mémoire, laissés depuis plusieurs décennies en friche chez la plupart des élèves au nom du pédagogisme. De même, les textes de dictée seront le plus tôt possible extraits de grandes œuvres littéraires donnant l’exemple de la plus haute maîtrise de la langue et poussant également à la réflexion.

André Malraux ministre voulait « rendre accessibles les œuvres capitales de l’humanité, et d’abord de la France, au plus grand nombre possible de Français ». Il parlait donc des œuvres capitales et non de tout ce qui pouvait entrer dans la catégorie « création artistique ». Par conséquent, il faisait une hiérarchie car si certaines étaient capitales, d’autres ne l’étaient pas. Le ministère de la Culture doit-il retrouver ce sens de la hiérarchie et sortir du « tout est culture » ?

Le « tout est culture » de Jack Lang a fait énormément de mal à la culture en France de manière générale. Il a fait croire aux Français que tout ce qui relevait du divertissement, que ce soit la bande dessinée, les jeux vidéo, le rock ou le rap, était Culture et égal à Molière ou Chopin. C’est de la pure démagogie ! Cela révèle un profond mépris du peuple. Le rôle de l’État est avant tout d’offrir la possibilité à chacun de s’élever quel que soit le milieu social dont il vient, de donner à chaque citoyen français un égal accès à ce que la culture et le génie de notre pays ont créé de plus beau et parfois de plus complexe. L’État doit retrouver le courage de différencier ce qui relève de l’art, et ce qui relève du simple divertissement ou de l’expression sociale dont le ministère de la Culture ne doit plus avoir la charge.

Le Pass culture mis en place par le gouvernement donne aux jeunes un crédit de 300 euros à dépenser en « activités et biens culturels ». Cela a donné une ruée sur les mangas. Certains libraires l’ont même renommé le « pass manga ». Ils représenteraient plus de la moitié des livres vendus via cette application. Que pensez-vous de cette mesure ?

Elle n’est pas mauvaise en soi ! L’idée de proposer aux plus jeunes un accès aux œuvres de l’art me séduit… pourvu qu’il s’agisse d’œuvres majeures, afin que ce pass participe à l’accomplissement intellectuel de ses bénéficiaires. Je suis donc favorable à une restriction du Pass culture à des formes plus classiques de littérature, de musique ou encore de cinéma, auxquelles ils ne sont peut-être pas initiés par leur milieu familial ou amical.

>> Retrouvez la suite de cet entretien demain <<

Benoît Duteurtre: «Les vieux pourraient sauver le monde»

0
Benoît Duteurtre © Hannah Assouline

Pour imaginer la société de demain, il suffit d’exagérer – à peine – les travers de celle d’aujourd’hui. C’est ce que fait Benoît Duteurtre dans son nouveau roman dont le titre est un mot d’ordre : Dénoncez-vous les uns les autres. Propos recueillis par Jonathan Siksou.


Avec cette sotie (farce de caractère satirique, allégorie de la société du temps), Benoît Duteurtre nous amuse et nous inquiète. Le monde qu’il décrit n’est pas encore le nôtre mais nous nous en approchons dangereusement. Une jeune fille prénommée Robert – sa mère lutte contre les préjugés sexistes – aime Barack, un garçon de son âge ainsi baptisé car son père idolâtre un ex-président américain. Cet ancien responsable culturel municipal, répondant au prénom de Mao, se plie sans broncher aux contraintes qui régissent la vie de chacun : les amateurs de viande doivent abattre eux-mêmes les animaux qu’ils veulent manger, les ordures doivent être triées dans des sacs transparents sous peine de poursuites pour écocide… Et tout déviant a l’obligation de se livrer à une confession publique. Accusé – anonymement – d’agression sexuelle, Mao va voir son passé décortiqué par la redoutable brigade rétroactive. Heureusement qu’un vieux dandy, le monde d’avant, peut encore faire entendre sa voix.

Dénoncez-vous les uns les autres

Price: 18,00 €

23 used & new available from 3,84 €


Causeur. Allons-nous passer de la société du spectacle à celle de la dénonciation ?

Benoît Duteurtre : Ceux qui ont mis en lumière la société du spectacle furent aussi les seuls parmi les gens d’extrême-gauche à porter un regard critique et lucide sur le maoïsme. C’était l’époque de la révolution culturelle, des procès publics, des professeurs d’université humiliés et bastonnés par leurs élèves, de la dénonciation érigée en vertu par le pouvoir chinois… Les seuls qui l’ont vu étaient les situationnistes. Dans mon livre, il y a souvent en arrière-plan cette influence culturelle profonde du maoïsme alors même que les ex-maos sont devenus des notables de la République. La vertu maoïste a triomphé dans notre société : dénoncer toutes les turpitudes cachées de nos voisins au nom du sexisme ou autres discriminations, pousser chaque suspect à faire son autocritique publique afin qu’il soit pénalement – et sévèrement – réprimandé pour que ses victimes puissent « se reconstruire ». Ce qui constituait la société totalitaire maoïste se retrouve dans notre société post-capitaliste. 

A lire aussi : Benoît Duteurtre: bienvenue en Corée du Centre!

On retrouve aujourd’hui la même instrumentalisation de l’art, du théâtre…

Absolument. Le mot « citoyen » est devenu un mot valise qu’il faut accoler à tout : l’art doit être citoyen, la littérature doit être citoyenne etc. Chacun s’efforce de contribuer aux combats vertueux d’aujourd’hui, ce qui n’est pourtant pas la fonction de l’art – lié davantage à la beauté, au plaisir, à la spiritualité…Au nom du Bien d’aujourd’hui – l’écologie, la condition féminine, la cause animale, l’égalité entre les civilisations–ressurgissent ainsi les formes les plus lourdingues d’art engagé.

L’affaire Jean-Jacques Bourdin, avec son humiliation en direct par Valérie Pécresse sur BFM-TV nous plonge dans votre livre : la présomption d’innocence n’existe plus. 

Cette affaire illustre également la régression infantile de la société. J’ai été frappé par le chef d’accusation : Bourdin « aurait essayé d’embrasser une de ses collègues ». Et ça fait la une de tous les médias pendant quinze jours. Je ne dis pas que c’est bien de vouloir embrasser une collègue malgré elle mais où est la mesure qui permet de différencier l’information importante de l’anecdote fâcheuse ? On peut dire la même chose pour Pierre Ménès accusé d’avoir peut-être « touché le sein d’une hôtesse au cours d’un match au Stade de France ». Ce n’est pas bien de toucher le sein d’une hôtesse qui ne l’a pas demandé mais, là encore, est-ce que ça mérite la une de la presse et la destruction sociale d’un individu ? Parallèlement à la montée de la violence et de la délation, on assiste à cette crétinisation de l’opinion publique.

L’encouragement de la délation, qui est au cœur de votre récit, est-il une façon de donner aux individus une importance qu’ils n’ont pas dans la société ?

C’est une tendance warholienne : chacun a besoin de son quart d’heure de gloire ! Et celui-ci peut prendre la forme d’un livre visant à dénoncer l’homme – rarement la femme – qui vous a fait souffrir il y a longtemps et exhiber cette blessure qui vous a rongé de l’intérieur. C’est aussi une façon de se mettre en scène dans le rôle de la victime, figure sacralisée par la psychologie et qui ne peut être contredite.

A lire aussi : Vanessa Springora ou les mots qui délivrent

Notre société a-t-elle besoin de coupables ?

Elle a besoin de victimes et de coupables. Mais la possibilité pour l’accusé de se défendre est de plus en plus limitée. Mon hypothèse est que la loi finira par imposer à chaque citoyen de dénoncer les crimes auxquels il aurait pu assister un jour ou l’autre en matière d’environnement, de sexisme, de racisme etc. Chacun est encouragé à tout mettre sur la table, faute de quoi il sera considéré comme complice.

Vous imaginez également une effrayante « brigade rétroactive »…

Je force à peine le trait : aujourd’hui, de nombreux mouvements féministes demandent la suppression de la prescription des délits à caractères sexuels, aussi minimes soient-ils. Cette brigade rétroactive peut remonter dans le passé numérique de chacun pour trouver un tweet, un SMS, une blague, une expression déplacée et vous traduire en justice. Internet est un réservoir extraordinaire d’informations susceptibles de faire tomber quelqu’un, et son exploitation en tant qu’archives à délits pourrait être un marqueur de la société de demain.

Et si l’avenir du monde n’était plus entre les mains de la jeunesse – aculturée – mais des vieux ?

Ce serait une belle perspective. La jeune génération rejoue les combats de ses parents soixante-huitards mais en pire, car la plupart de ces combats ont déjà été gagnés et il lui faut trouver de nouveaux ennemis. Elle se mobilise donc sur des sujets de plus en plus dérisoires. Elle ne veut plus guère faire la révolution au sens économico-politique comme les gauchistes des années 60-70 mais une révolution domestique, dans chaque domaine de la vie privée, du sexe et de l’environnement. Tout cela repassé à la moulinette de la lutte des classes. Parce qu’ils savent encore d’où on vient réellement, les vieux pourraient sauver le monde.

Dénoncez-vous les uns les autres

Price: 18,00 €

23 used & new available from 3,84 €

Monsieur le président-candidat, descendez de votre tour d’ivoire!

0
Sophie de Menthon © Eric Fougère

Sophie de Menthon apostrophe le président de la République, candidat à sa succession. Elle se gendarme contre un programme encore nébuleux et fustige le manque de réformes favorables aux entreprises effectuées au cours du quinquennat.


Monsieur le président-candidat,

Ce n’est pas tant de vous écouter dont nous avons besoin, mais que VOUS nous écoutiez…

Certes, vous avez actuellement à faire face à des crises toutes plus graves les unes que les autres. Certes, vous les résolvez du mieux possible. Certes, nous avons globalement confiance en vous… Certes, nous pouvons penser que vous avez raison de ne pas aller à la télévision avant le deuxième tour où une dizaine d’opposants vous attendraient pour jouer aux fléchettes contre vous tout en minutant votre temps de parole !

A lire aussi : Conférence de presse de Macron: quel ennui!

Mais, Monsieur le président, même vos plus fidèles soutiens commencent à être exaspérés. Nous avons l’impression d’être des enfants qui guettent leur père à qui ils veulent poser des questions et auxquels on répond « tais-toi ! Papa travaille, cest très important, va dans ta chambre ! »

Quatre heures: c’est une performance, pas un programme

Insatisfaits des quatre heures de présentation de programme assénée devant la presse [1] et retraduite pas cette dernière, serait-il possible que vos propos soient plus clairs et pragmatiques, correspondent à ce que nous vivons ? J’en suis encore à décrypter le programme, et je ne vois pas qui, intellectuellement, arrive à tout « imprimer », comme disent les ados. Vous nous proposez un projet, en mieux parait-il, de tout ce que vous avez si bien fait ? Ah bon, avec plus d’écoute, en étant plus attentif ? Ça commence mal…  

Pour cela, vous nous promettez, comme tous les candidats, des referendums. Mais on sait que les referendums n’engagent même pas ceux qui les lancent, s’adressent à ceux qui veulent bien voter et satisferont ceux qui ont voté oui, et encore… On se souvient tous de celui sur l’Europe…

A quand la réforme de l’État profond ?

Êtes-vous au courant, Monsieur le président, que la France fonctionne si mal, voire ne fonctionne plus ? Ce n’est pas de votre faute, mais si vous y êtes résigné, c’est plus grave. Vous souvenez-vous de « l’État profond » contre lequel vous pestiez il y a quelques années ? Oublié ? Et les missions régaliennes de l’État ? Les économies structurelles, le statut de fonctionnaire, les missions de service public qu’on pourrait déléguer au privé ? Quand consulterez-vous les entreprises au lieu de leur filer des amendes à la moindre occasion ? L’État au service d’une société de confiance ? (rires) …  

A lire aussi : Macron: une réélection «quoi qu’il en coûte»

Quand desserre-t-on les contraintes de notre maillage administratif ? Où en est le déploiement de votre spoil system (système des dépouilles) pour que nos hauts fonctionnaires inamovibles ne gèlent plus tout le système ? Supprimer l’ENA ne change pas grand-chose, il faudrait peut-être plutôt contraindre ses impétrants à aller trois ans dans une PME en région ! Il reste tant d’organismes multiples et inutiles à supprimer, tant d’argent gaspillé dans des associations oiseuses… Et ces Agences régionales, et ces doublons de tout ! La réforme structurelle indispensable reste là à faire ! Ce sont par ailleurs des fondamentaux pour obtenir l’équilibre sine qua non des finances de l’État, et il semble désormais que parmi les candidats il n’y ait que Valérie Pécresse qui souhaite s’y atteler sérieusement, avec, plus modestement, Marine Le Pen. Et vous ?

Les entrepreneurs: pourquoi si peu de considération ?

Nous, les entreprises, entrepreneurs, indépendants, les 3 millions qui font la France en constituant le matelas de l’économie, les obscurs qui ne sont ni « Start up nation », n’appartiennent pas à « Choose France », ne sont pas tellement High-Tech, ni secteur d’avenir à vos yeux, vous avez grand tort de nous mépriser ou de nous laisser en avoir le sentiment.  Nous ne sommes ni reçus, ni écoutés, nous nous heurtons à une France désespérante d’inefficacité et immuable. Alors, votre programme, dans ces conditions…

A lire aussi : Non, les entrepreneurs n’ont pas décidé seuls les délocalisations!

Pardon, j’oubliais quand même ! Merci pour l’argent pendant le Covid. Nous vous en sommes reconnaissants, c’est vrai que nous avons été très aidés et il parait que nous n’en rembourserons rien ? Ce qui d’ailleurs finit par nous inquiéter beaucoup. Vous faites campagne avec un carnet de chèques et même vos supporters les plus acquis commencent à vous le reprocher. Le point d’indice des fonctionnaires: un cadeau électoral. Le statut de la Corse : pourquoi juste là, maintenant ?

Sophie de Menthon, bientôt reçue à l’Elysée ?

Et puis, enfin, il y a ce sentiment que vous savez tout mieux que nous. Nous avons pourtant des choses à dire, et nous voulons vous entendre. Pas seulement devant un parterre de Français triés sur le volet, qui posent des questions avec fiches préparées, ce qui ennuie tout le monde ! Alors, si vous n’avez légitimement pas envie de vous confronter à des adversaires qui ne voudront que vous flinguer, choisissez quatre ou cinq des Français qui ont des choses à dire dans leur secteur, qui subissent les tracasseries administratives, les blocages, à une heure de grande écoute et jouez le jeu !  Ils vous interrogeront, dans un langage simple, concret, de bon sens… Vous n’êtes même pas obligé de choisir des gilets jaunes…

Pas le temps ? Vous plaisantez. Pas le courage ? Je ne peux l’imaginer. Une mauvaise idée ? Pourquoi ? Cela n’intéresse pas les médias ? Bien sûr que si, les Français s’intéressent aussi à leur économie. Il est temps de faire vraiment campagne. Sinon vous allez le payer très cher dès que la vraie vie reprendra son cours.

La France sens dessus dessous !: Les caprices de Marianne

Price: 17,00 €

17 used & new available from 1,99 €


[1] Présentation du projet présidentiel à Aubervilliers, le 17 mars 2022