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Éric Zemmour: «Désidéologiser le ministère de la Culture est une urgence absolue»

"Est-ce aux Français de financer l’effacement de leur patrimoine ?"


Éric Zemmour: «Désidéologiser le ministère de la Culture est une urgence absolue»
Éric Zemmour à Saulieu, 12 février 2022 © JC Tardivon/SIPA

Entretien avec Eric Zemmour (2/2)


Relire la première partie.

Causeur. En 2022, le budget du ministère de la Culture dépassera pour la première fois les 4 milliards d’euros. Trouvez-vous ce budget démesuré ?

Eric Zemmour. Ce n’est pas la question des dépenses publiques qui est en jeu… c’est plutôt de savoir ce que l’on fait de l’argent des Français ! C’est l’ensemble des priorités culturelles de l’État qu’il faut revoir. Comment comprendre les 300 millions d’euros consacrés au Pass culture qui financent l’achat de mangas comme vous l’avez souligné alors que, dans le même temps, l’État ne consacre que 426 millions d’euros à l’entretien et la restauration des monuments historiques et du patrimoine monumental français ? Comment comprendre que le ministère de la Culture finance une culture woke faisant fi de la culture historique française ? Que penser des déclarations sur le racisme d’Alexander Neef, directeur de l’Opéra de Paris, institution subventionnée à hauteur de 95 millions d’euros (soit 43% de ses recettes) par an ? Ce dernier voulait supprimer du répertoire de ballet de l’Opéra des œuvres majeures, comme Le Lac des cygnes ou Casse-Noisette, sous prétexte qu’elles ne favoriseraient pas la diversité… Est-ce aux Français de financer l’effacement de leur patrimoine ?

Les Français ne doivent plus subir cette dictature de la laideur

À ce sujet, grand nombre de nos institutions culturelles, sous le règne du wokisme et de la déconstruction, ont été complètement dévoyées. Je vous exposerai le cas de l’illustre maison de Molière : la Comédie-Française. La plupart des œuvres classiques y sont « revisitées » par les metteurs en scène. Éric Ruf, l’administrateur de la maison, dit ne pas vouloir d’une Comédie-Française « old school ». Il déclare en parlant de Molière : « On a toujours un sur-respect du texte (…), on est dans une génuflexion que je ne trouve pas juste. » Sur son choix de programmation pour cette année anniversaire des quatre cents ans de Poquelin, il déclare : « On souffre, nous Français, d’une bibliothèque moliéresque d’une densité et d’une lourdeur assez rares. Quand un metteur en scène étranger s’empare de cette œuvre, il n’a pas la lourdeur de la Bibliothèque nationale sur le dos. (…) C’était important pour moi de confier le premier pas de cette saison Molière à un metteur en scène étranger (…) pour qui Molière n’est pas sur un piédestal ou un héros national. » C’est à peu près l’idéologie qui règne dans tous les théâtres nationaux ainsi que dans les opéras. N’y a-t-il pas urgence à libérer nos institutions culturelles de cette idéologie déconstructrice ? Comment y parvenir ?

Ces déclarations sont aberrantes et scandaleuses. Ce que dit Éric Ruf est très grave, et personne ne pipe mot. Je sais que c’est malheureusement la politique qui règne dans la majorité de nos théâtres nationaux et de nos opéras. Les classiques sont presque systématiquement revisités, modernisés ! Ces gens croient être novateurs en modernisant et en déconstruisant, mais c’est en réalité le nouvel académisme, et quand je dis nouvel je suis gentil, car cela fait un moment que ça dure ! La Comédie-Française est une des institutions culturelles les plus emblématiques de notre pays, c’est une gloire. On ne peut pas laisser l’idéologie déconstructrice la ronger de l’intérieur. Nous devons arrêter de nommer à la tête de nos institutions des idéologues qui les détruisent. Avec moi, ce ne sera plus le cas ! Je ne serai pas le complice de leur massacre.

Avez-vous pensé à un plan pour l’enseignement des arts à l’école ? Et, si oui – cela nous ramène à la hiérarchie –, comment choisir ce qu’on enseigne ? Nous savons tous que dans les classes de musique au collège, par exemple, on étudie par exemple les chansons de Julien Clerc ou encore de Zaz. Est-ce réellement la mission de l’école d’apprendre la variété aux élèves ?

Je souhaite un enseignement artistique d’exigence et d’excellence. Nous avons tous en tête les heures laborieuses que nos enfants ont passées à apprendre la flûte à bec… À rebours de ce saupoudrage culturel, je souhaite au contraire que l’on enseigne véritablement la musique et son histoire, les grands compositeurs, afin de donner une base solide de connaissances musicales à tous. L’enseignement des arts plastiques doit également retrouver ses lettres de noblesse avec un enseignement complet en histoire de l’art, pour qu’aucun élève ne puisse finir sa scolarité sans connaître Picasso, Rodin ou Delacroix. Pour que la haute culture ne reste pas un privilège de classe, elle doit être enseignée à l’école.

Que pensez-vous du système de l’intermittence du spectacle ?

Le système de l’intermittence du spectacle demande de faire un arbitrage complexe, entre la prise en compte de l’exception culturelle française et la question du coût engendré par ce régime d’exception. Il ne faut pas oublier que les intermittents sont des acteurs essentiels de la culture, quand ils s’occupent d’art, et non de divertissement. La spécificité de leur emploi, caractérisée par l’irrégularité et la discontinuité, doit être prise en compte, et c’est pourquoi je maintiendrai le régime spécifique des intermittents du spectacle. Néanmoins, par souci d’égalité avec les autres citoyens, il faut aussi souligner que le régime général d’Assurance chômage finance en grande partie le régime des intermittents. Le maintien de celui-ci repose donc en grande partie sur la bonne santé des autres régimes généraux. C’est pourquoi, il sera nécessaire, à terme, d’entamer une réflexion sur les conditions de financement du régime des intermittents du spectacle et sur sa relative générosité.

Notre patrimoine attire des masses énormes de touristes. Cela représente une source d’argent considérable, mais empêche également la contemplation de ces lieux par les véritables amateurs. Les musées sont encombrés de touristes en bermuda et en tongs achevant leur tour éclair de Paris, la place d’Armes du château de Versailles est défigurée par les troupeaux de bus touristiques et les murs de Montmartre, recouverts de T-shirts « I love Paris », sont devenus fuchsia et jaune fluo. Comment sortir de cette situation lucrative mais destructrice ?

Ces derniers mois, les Français ont pris plaisir à se promener dans des villes comme Paris, habituellement bondées de touristes. Ils ont pu redécouvrir leurs villes et leur patrimoine, se réapproprier ses espaces et ses lieux d’histoire dans le calme nécessaire à la contemplation. Rappelons qu’en Europe, la visite de certains lieux du patrimoine historique ou naturel est soumise à une logique de quotas : moins de visites pour une expérience plus agréable et plus enrichissante. C’est une piste que nous creuserons sérieusement, sans la systématiser de manière abrupte évidemment. Mais ne boudons pas notre plaisir… nous avons la chance d’être le pays le plus visité au monde. Outre l’apport économique pour notre pays – près de 8,5 % du PIB –, cela signifie que la France, son histoire, son patrimoine fascinent encore le monde ! Et c’est tant mieux !

Le ministère de la Culture ne s’occupe-t-il pas trop de morale ? Est-il dans son rôle lorsqu’il prend pour mission le combat contre les « stéréotypes», la lutte féministe, etc., également lorsqu’il méprise des écrivains comme Renaud Camus au nom de ses idées sur l’immigration ou encore que son ministre se félicite de la suppression des aides du Centre national du livre à Gabriel Matzneff ? L’art, d’ailleurs, fait-il bon ménage avec la morale ?

L’art a souvent eu affaire avec la morale, ou tout du moins avec la politique et l’idéologie. Tout simplement, parce que l’art est souvent porteur d’un message radical qui peut choquer, cliver. Néanmoins, est-ce le rôle de l’État de s’inscrire dans cette logique ? Je ne le pense pas. C’est antinomique. Désidéologiser le ministère de la Culture est une urgence absolue ! Il doit adopter une posture neutre vis-à-vis de la promotion des artistes et des arts. S’il se mêle de morale, il ne peut plus se mêler d’art. Le ministère de la Culture doit être un temple dans lequel les idéologies politiques et moralisatrices n’entrent pas.

La laideur nous envahit : éoliennes, ronds-points, zones industrielles et commerciales à l’entrée de nos villes et villages, sans parler des nouvelles constructions architecturales. Prévoyez-vous de mettre fin à cet enlaidissement du territoire ?

Je suis ravi que vous me posiez cette question, car c’est l’une de mes priorités ! Il faut arrêter cela de toute urgence grâce à une politique patrimoniale ambitieuse. Nous avons la chance d’avoir un des patrimoines les plus riches au monde. Notre législation sur la protection des monuments historiques est unique et efficace. Mais notre patrimoine n’est pas assez protégé, et le budget qui lui est alloué est insuffisant. Ce sont le cadre de vie des Français, la beauté qui les entoure que l’on sacrifie. Vivre entouré par la beauté, ce n’est pas rien ! Mais comme vous le dites très justement, ce sont également les constructions modernes et le non-respect de la cohérence avec le patrimoine architectural existant qui nuisent à la beauté de nos territoires. On a l’impression que l’architecture contemporaine répond à la mode d’une laideur esthétiquement correcte. Je pense qu’il faut arrêter cette folie. Les Français ne doivent plus subir cette dictature de la laideur. Nous travaillerons à un meilleur encadrement dans ce sens des nouvelles constructions. Enfin, je veux interdire la construction de nouveaux centres commerciaux à l’entrée de nos villes et nos villages : ces temples de la consommation tuent le petit commerce et gâchent la poésie des paysages.

On nous fait à longueur de journée l’éloge de la diversité. Mais cette diversité existe déjà et elle est parfois menacée. La corrida, par exemple, est un grand spectacle populaire berçant une partie de la France méridionale dans le culte du taureau. La chasse à courre est également une culture bien vivante, une tradition et un savoir-faire multiséculaires et populaires là où elle est pratiquée. Les médias et les associations animalistes désinforment les Français sur ces cultures, les faisant injustement passer pour plus barbares et plus cruelles qu’elles ne le sont réellement. Comptez-vous, au nom de la tradition et de la diversité, défendre ses cultures menacées ainsi que les populations en qui elles sont enracinées ?

Je comprends la préoccupation des Français quant à la cause animale, et j’annoncerai prochainement des mesures à ce sujet. Mais pas d’amalgame ! La corrida et la chasse à courre représentent une part importante de notre tradition et de notre patrimoine culturel. Je suis contre la culture de l’effacement et pour la préservation de la diversité de nos arts et de nos traditions qui font la richesse de notre culture. Je ne compte donc prendre aucune mesure restrictive à ce sujet, contrairement à Mme Le Pen qui louvoie, et affirme dans la même phrase être « contre la chasse à courre » mais « favorable à la chasse traditionnelle », allant jusqu’à qualifier de « cruels » les chasseurs qui la pratiquent !

Quelles seraient pour vous les priorités du ministère de la Culture si vous étiez élu ?

Libérer la culture des griffes du languisme ! Avec moi, la culture ne sera plus l’otage de la gauche. Et rien que ça, c’est un énorme chantier.

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