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L'histoire de "Galeï Tsahal", la radio israélienne dédiée à un public militaire


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La journaliste Ilana Dayan et le commandant en chef des Forces de défense d'Isarel, Gabi Ashkenazi, participent à une collecte de fonds pour la radio Galei Tsahal, décembre 2010. © Flickr - Israel Defense Forces

L’histoire de Galei Tsahal, la radio militaire israélienne, est intimement liée à celle du pays. Après des débuts difficiles, elle a su s’imposer dans le paysage médiatique avec des programmes réalisés par des jeunes pour les jeunes. Au fil du temps, son influence croissante et sa ligne progressiste ont fait d’elle un enjeu politique.


Après la fondation de l’État d’Israël et la création de son armée, le gouvernement a demandé à la radio publique d’élaborer une émission quotidienne destinée à ses citoyens sous les drapeaux. Très vite, vu les besoins et leur importance – l’armée, en enrôlant la jeunesse, jouait un rôle essentiel dans la transformation des juifs récemment immigrés en Israéliens – une station dédiée au public militaire a été créée en 1950 : Galei Tsahal (les ondes des IDF, les Israeli Defence Forces), connue aussi par son petit nom, « Galatz ».

La radio des jeunes, la radio de Tel-Aviv

Presque deux décennies plus tard, les performances de la station étaient tellement décevantes en termes d’« audience de la cible » que l’idée de mettre fin à l’aventure radiophonique militaire commençait à circuler en haut lieu. Pour tenter de sauver la station, Yitzhak Livni, le rédacteur en chef de l’hebdomadaire de l’armée, fut appelé à la rescousse avec une nouvelle stratégie. Livnia compris le problème : l’armée israélienne est avant tout une organisation de jeunes femmes et hommes, voire d’adolescents et adolescentes âgés de 18 à 21 ans. Or, en ce milieu des années 1960, ce que la jeunesse voulait écouter – en Israël comme ailleurs en Occident – c’était la pop et le rock, les Beatles (interdits de visite en Israël en 1965…) et les Pink Floyd. La radio publique israélienne, trop rigide, officielle, pédagogique et jérusalémite n’était pas capable de suivre. Israël avait besoin d’Europe 1, de « Salut les copains » : la station militaire s’est engouffrée dans la brèche. Coïncidence heureuse pour Galatz : la station jordanienne Radio Ramallah, qui diffusait le meilleur de la musique rock et pop de l’époque et dont les émissions étaient suivies par une partie de la jeunesse israélienne, était tombée entre les mains de l’armée israélienne pendant la guerre de Six-Jours… et son matériel (prise de guerre) fut transféré à Galatz.

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Face à Voix d’Israël, la radio publique de Jérusalem, Galatz s’est alors positionnée comme la radio des jeunes (avant, pendant et après le service militaire), faite par des jeunes (des recrues sélectionnées et formées pour devenir journalistes et animateurs radio), pour des jeunes, et surtout comme la radio de Tel-Aviv. Un « Mai68 » radiophonique discret a eu lieu.

Pendant les années 1970, cet esprit a glissé des émissions de musique vers les autres contenus de la station, notamment l’actualité. Et exactement comme dans Good Morning, Vietnam, cette musique, cette culture jeune ainsi qu’un certain recrutement des animateurs ont fini par poser un problème politique. Galatz est devenue la radio de la gauche ashkénaze de Tel-Aviv. La révolution s’est arrêtée quand les jeunes – la génération baby-boom – ont gagné la bataille contre leurs aînés. Cependant, contrairement à ce qui est arrivé à Adrian Cronauer, héros de Good Morning, Vietnam (rôle superbement interprété par Robin Williams dans le film de 1987), Galatz a pu résister aux injonctions de l’état-major, notamment par un réseau très puissant dans les médias et la culture, formé par les anciens appelés de la station devenue la meilleure école de journalisme d’Israël. Ainsi, pendant quatre décennies, la nomination de chaque nouveau chef d’état-major s’est accompagnée de menaces sur l’avenir de la station militaire, encouragées par la radio publique, de plus en plus menacée par la concurrence, l’audience, l’audace et la créativité de la petite station, régulièrement sauvée par la levée de boucliers de la classe médiatique et du Tout-Tel-Aviv…

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La musique, première arme idéologique

Cependant, le succès insolent de Galatz surfait sur une hégémonie culturelle qui perdait son pouvoir politique. À partir de 1977, la bataille entre « Tel-Aviv » (libérale, socio-démocrate, LGBT, ashkénaze et athée) et Jérusalem (religieuse, séfarade, pauvre et conservatrice) a tourné en faveur de la dernière. Galatz, jeune, rebelle et dynamique dans les années 1970-1980, est devenue la tour d’ivoire d’une ancienne élite, assiégée par les nouveaux groupes sociaux-culturels montants : séfarades, religieux, colons.

Comme dans les années 1960-1970, la musique reste le premier enjeu. Dans les années 1980-1990, Galatz a donc d’abord été sommée de diffuser de la musique méditerranéenne et orientale, et les nouveaux artistes d’origine yéménite, marocaine, tunisienne, irakienne ou turque. On appelait cela « s’ouvrir au peuple et à la périphérie et sortir de Tel-Aviv ». Autre phénomène, de jeunes journalistes, issus de milieux jadis inexistants dans la station, sont arrivés à Galatz. L’exemple le plus frappant est celui d’Amit Segal : fils de Hagaï Segal, une figure emblématique des colons et ancien membre d’un groupe terroriste juif, Amit rejoint Galatz en 2000 (chose impensable en 1990) et entame, comme beaucoup d’anciens « galatzniks », une carrière médiatique brillante de journaliste et chroniqueur religieux-nationaliste. Enfin, dans les années 2010, la droite au pouvoir a placé des journalistes connus pour leurs opinions favorables au Likoud et à Netanyahou comme chroniqueurs et animateurs de la station.

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Contrairement à la radio publique, dont les employés ont quasiment un statut de fonctionnaire, ainsi que de très longues carrières et la protection des syndicats, la station militaire s’est montrée plus souple et agile au changement. S’appuyant sur la musique comme « tête de gondole » de l’audience, la station suit plus vite les mouvements de l’opinion, et reste toujours populaire auprès des jeunes et des moins jeunes. Curieusement l’orientation idéologique de Galatz– sujets de plaintes, frustrations et batailles médiatico-politiques – ne semble pas jouer un rôle important dans l’opinion publique. Progressiste, elle n’a pas empêché la montée de la droite. Plutôt droitière, elle n’a pas aidé Netanyahou à rester au pouvoir…

Octobre 2021 – Causeur #94

Article extrait du Magazine Causeur




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est historien et directeur de la publication de Causeur.

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