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Flaubert: une histoire culturelle du phoque

« Le Phoque de Flaubert » de Georges Guitton (Presses Universitaires de Rennes)


Flaubert: une histoire culturelle du phoque
© Presses Universitaires de Rennes

Un essai curieux et érudit, Le Phoque de Flaubert de Georges Guitton, est à mi-chemin entre l’histoire littéraire et les sciences naturelles…


En 1847, en mal d’aventure littéraire, le jeune écrivain sillonne avec son ami Maxime Du Camp la Bretagne en quête de « sauvagerie armoricaine », périple qu’ils ont relaté dans Par les champs et par les grèves.

Georges Guitton raconte le nez-à-nez entre le Rouennais et un phoque, dans la ville de Rennes.

Un contentieux tenace entre Rennes et les écrivains

Exalté quelques jours plus tôt par la visite du futur tombeau de Chateaubriand déjà préparé sur l’île du Grand Bé au large de Saint-Malo (le vicomte décéda un an plus tard), Gustave Flaubert découvre en contraste une capitale bretonne sans aucun intérêt: « Rennes. — Rien, rien que le phoque ; ses narines ont l’air de deux coupures sur son museau ; baquet vert avec des tentures peintes en dedans ; quinquet d’en haut ; orgue de Barbarie. Quand le phoque sera parti de Rennes il n’y aura plus rien à y voir ». C’est qu’il existe un contentieux tenace entre Rennes et les écrivains. Bien plus tard, Milan Kundera écrivit: « Nous sommes partis en voiture avec [mon épouse] Vera, nous avons traversé des villes françaises toutes très belles, il y avait des cathédrales magnifiques, et puis nous sommes rentrés dans la première ville moche du voyage, mais vraiment moche, c’était Rennes ». À peine mieux chez Hippolyte Taine : « Belles grandes rues monumentales au centre, pavés et trottoirs en granit ; mais rien pour le goût. La ville a été brûlée au XVIIIe siècle ; la cathédrale, à colonnes superposées en consoles, n’a rien d’intéressant au dehors, et au dedans elle est toute blanche et plate ; c’est le plus vilain édifice que j’aie vu». Cette relation entre Rennes et les écrivains avait déjà été évoquée dans un précédent ouvrage de Georges Guitton, Rennes de Céline à Kundera (Presses Universitaires de Rennes, 2016).

Georges Guitton DR

On se demande bien comment l’auteur va arriver au bout de ses 296 pages avec cette histoire de phoque que la nièce Caroline a censuré, quand il fallut rééditer Par les champs et par les grèves, « ratatouille un peu farce » de l’aveu même de Flaubert. De chapitre en chapitre, pourtant, le phoque refait surface. Le sac à dos de Flaubert ? En peau de phoque. La graisse sur les souliers ? Du phoque. Il n’est pas jusqu’au front dégarni de l’écrivain (dans une lettre, il n’est pas tendre avec sa propre « calvitie de l’homme de bureau, celle du notaire usé, tout ce qu’il y a de plus couillon en fait de sénilité précoce ») et ses bacchantes qui n’évoquent pas le pinnigrade, comme le rappelle l’illustration en couverture.

Une histoire culturelle du phoque

C’est un « livre sur le livre » loufoque, qui entremêle géographie littéraire et histoire de l’histoire naturelle. C’est aussi une sorte de quête initiatique du jeune écrivain sur les routes bretonnes, en pleine hésitation stylistique : « Gustave souffle le chaud et le froid. Il balance, il ne sait plus. Est-il Chateaubriand, ce sublime musicien de l’idéal et de la beauté triste ? Est-il Flaubert, le caustique chirurgien du banal rayant l’âme à coups de stylet vengeur ? (…) Son écriture joue sur deux tableaux : celui du romantisme irrépressible de sa jeunesse ; celui de son dépassement par un style brutal commis à étouffer les épanchements du lyrisme ».

C’est enfin une tentative d’histoire culturelle du phoque. S’il n’a pas eu le destin héraldique du lion ou de l’ours, le phoque plait pour sa tête ronde, son pelage blanc quand il est bébé et son aspect quelque peu humain. Buffon dans son Histoire naturelle a du mal à ne pas prêter des traits anthropomorphiques aux phoques : « Si un étranger vient à bout d’en enlever un individu, ils en témoignent leurs regrets en versant des larmes ; ils en versent encore lorsque quelqu’un de leur famille, qu’ils ont maltraité, se rapproche et vient demander grâce. Ainsi, dans ces animaux, il paraît que la tendresse succède à la sévérité, et que c’est toujours à regret qu’ils punissent leurs femelles et leurs petits ; le mâle semble être en même temps un bon père de famille, et un chef de troupe impérieux, jaloux de conserver son autorité ». De manière générale, c’est la sensibilité montante pour l’animal qui est racontée. Jules Michelet écrivait à la même époque : « L’animal ! sombre mystère… monde immense de rêves et de douleurs muettes ».

Le Phoque de Flaubert de Georges Guitton (Presses Universitaires de Rennes)

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