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Valérie Pécresse ou la frange progressiste

On ne peut pas plaire à tout le monde


Valérie Pécresse ou la frange progressiste
En débat sur C8, le 23 mars 2022, Valérie Pécresse a été mise face à certaines de ses contradictions par Marion Maréchal, soutien d'Eric Zemmour © Capture d'écran C8

La candidate de LR à la présidentielle s’est longtemps revendiquée du courant « progressiste ». Malgré son discours récent visant à ramener au bercail les conservateurs de droite, elle représente en réalité la droite très (très) modérée.


Alors que sa frange impeccablement laquée, ses bonnes manières, sa gestuelle bourgeoise et son look BCBG semblaient l’enfermer à tout jamais dans la catégorie des conservateurs, Valérie Pécresse déclarait il y a quelques semaines aux journalistes du magazine LGBT Têtu qu’elle avait toujours appartenu à la « frange progressiste » de la droite modérée.

Macron-bis ?

En réalité, ce n’est pas la première fois que l’on utilisait le terme « progressiste » pour la qualifier : en 2017, le magazine Le Point lui attribuait déjà « le flambeau de la droite progressiste » ; en 2021, une coalition hétéroclite dirigée par la maire du neuvième arrondissement Delphine Bürkli publiait une tribune dans l’Opinion se concluant par une formule inspirée : « Le progressisme, pour nous, sans aucun doute, c’est Valérie Pécresse. » Mais cette fois-ci, c’est elle-même qui revendique l’étiquette, au point de susciter l’étonnement perplexe des journalistes : « Peut-on vraiment croire Valérie Pécresse ? ».

« Il est vrai que le lectorat du « Figaro » n’est pas exactement le même que celui de « Têtu », il est donc certain que Madame Pécresse a menti, soit à l’un, soit à l’autre, sans que l’on puisse déterminer avec certitude ce qu’elle pensait vraiment… »

C’est elle qui le proclame, alors que son principal concurrent à l’élection présidentielle, l’actuel chef de l’État, n’a cessé depuis 2016 de se revendiquer du progressisme, jusqu’à en faire le fil d’Ariane de son quinquennat – tout en vouant aux gémonies les autres, ceux qui ne méritent pas ce titre de gloire et qu’il qualifie tantôt de populistes, tantôt de nationalistes ou de conservateurs. C’est ainsi qu’avant même de savoir si l’on peut « vraiment la croire », on est tenté de s’interroger sur ses raisons : pourquoi donc la candidate LR a-t-elle jugé utile de revendiquer son appartenance à ce courant, au risque de fâcher une partie de son électorat potentiel, de susciter une moue dubitative chez les autres, et de créer chez tous le sentiment déplorable qu’il n’y a aucune différence significative entre elle, et celui dont il faudrait autant que possible se démarquer, le président Macron ? À cette question, on voit deux réponses possibles : soit elle a dit la vérité parce qu’elle le pensait vraiment, soit elle a menti parce qu’elle n’avait pas le choix.

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Fais-moi une place dans ton avenir…

Première hypothèse : cette dame si bien élevée ne sait pas mentir, elle a donc dit la vérité, elle appartient bien à la « frange progressiste ». Malheureusement, c’est ce que disent aussi (presque) tous les autres candidats à la présidentielle, non seulement Emmanuel Macron, autoproclamé héraut de cette idéologie, mais aussi Anne Hidalgo, qui l’a répété sur tous les tons depuis son arrivée à la mairie de Paris, Yannick Jadot, jonglant avec les paradoxes sans s’en apercevoir, Christiane Taubira, sur un mode pseudo-hugolien, Nathalie Artaud, genre trotskiste renfrognée, etc, etc. Le Dictionnaire du progressisme [1], sorti en librairie il y a deux semaines, rappelle à ce propos qu’il y a beaucoup plus de cinquante nuances de progressisme, de la version saint-simonienne à la variante marxiste, des héritiers rad’soc’ de la république des Jules à la nouvelle gauche, à l’ultralibéralisme ou au Cercle de la Raison. Au milieu de cette foule, il y a bien une petite place pour Madame Pécresse.

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Si par ailleurs on suppose à tous ceux qui s’en réclament la même sincérité qu’à cette dernière, on doit en déduire qu’ils appartiennent à une seule et même famille, même si ladite famille est élargie et recomposée. Une famille dont ils portent le nom et assument l’héritage : celui d’un système construit au début du dix-neuvième siècle autour de l’idée de Progrès, c’est-à-dire, de la conviction que tout ce qui est humain est amené à se perfectionner au cours du temps de façon nécessaire, illimitée et globale. Comme le dit le philosophe Robert Redeker, pour le progressiste, l’amélioration est un destin : un destin qui ne laisse rien ni personne de côté, puisque pour lui, l’accumulation du savoir scientifique et technique est la condition et le préalable au développement de la moralité, de la justice, de la liberté ou du bonheur. Pour le progressiste, on ne peut pas dire que tout est possible, car tout est certain. Lorsque le serpent de la Genèse déclare à Eve « vous serez comme des dieux », c’est le futur simple qu’il utilise.

Voilà donc le point de départ : celui dont procède la modernité, pour le meilleur et pour le pire : et ce dont semble se réclamer la candidate LR.

… je me ferai toute neuve, toute belle, tout ça pour être à toi

À moins bien sûr, et c’est la seconde hypothèse, qu’elle n’ait pas dit toute la vérité, oubliant les conseils avisés de son papa qui lui apprenait jadis que ce n’est pas beau de mentir.

C’est en tout cas ce que pourrait faire soupçonner l’entretien que Madame Pécresse a donné il y a un mois environ au Figaro, où elle se présentait en protectrice vaillante et résolue de toutes les valeurs traditionnelles, celles-là mêmes que le progressisme conspue, condamne ou ridiculise : la famille classique, la transmission des valeurs, l’héritage sous toutes ses formes, la propriété immobilière, les racines et l’identité : la terre et les morts, serait-on tenté d’ajouter, en supposant que la petite Valérie a bien dû feuilleter, jadis, un exemplaire de la Colline inspirée dans la bibliothèque de son grand-père. Il est vrai que le lectorat du Figaro n’est pas exactement le même que celui de Têtu. En disant aux deux ce qu’ils voulaient entendre, il est donc certain que Madame Pécresse a menti, soit à l’un, soit à l’autre, sans que l’on puisse déterminer avec certitude ce qu’elle pensait vraiment, ni surtout ce qu’elle ferait, s’il venait aux Français l’idée bizarre de lui accorder leur confiance : supprimer l’impôt sur les successions, ou intensifier dans les écoles primaires la lutte contre la haine LGBTphobe (sic) ?

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Elle a menti soit à l’un, soit à l’autre, soit aux deux à la fois : et c’est au fond la solution la plus plausible, Madame Pécresse ne s’étant pas contentée d’emprunter au président Macron l’étiquette progressiste, mais aussi le masque de Janus, son merveilleux « en même temps » : l’assurance de plaire à tous sans remords ni cas de conscience, qui dans un régime électif est peut-être la condition du succès, sinon la marque de la sagesse :

« Le sage dit, selon les gens
« je suis oiseau, voyez mes ailes,
je suis souris, vivent les rats ».

Le dictionnaire du progressisme

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[1] A ce sujet, nous renvoyons nos lecteurs à l’article de Lucien Rabouille NDLR.



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est né en 1964. Il est professeur de droit public à l’université Paris Descartes, où il enseigne le droit constitutionnel et s’intéresse tout particulièrement à l’histoire des idées et des mentalités. Après avoir travaillé sur l’utopie et l’idée de progrès (L’invention du progrès, CNRS éditions, 2010), il a publié une Histoire de la politesse (2006), une Histoire du snobisme (2008) et plus récemment, Une histoire des best-sellers (élu par la rédaction du magazine Lire Meilleur livre d’histoire littéraire de l’année 2011).

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