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Sous les poubelles, la plage


Jupiter est dans la sauce. Fini les illusions estivales sur le retour à la bonne vieille IVe République, au dialogue et au compromis. Les retraites, le 49-3, les feux de poubelles réchauffent de vilaines querelles, un 6 février d’extrême gauche… No PasaranLion peureux et en même temps Homme de fer-blanc, le Magicien d’Oz (pas grand-chose) de l’Elysée n’aime plus les profits de dingue, ne cherche pas à être réélu, choisit l’intérêt général, endosse l’impopularité. Il a demandé à Élisabeth Borne – E.T. du Palais Bourbon – d’élargir la majorité, « d’avoir des textes plus courts, plus clairs, pour aussi changer les choses pour nos compatriotes de manière plus tangible ». Tout va bien. Comme Pinochet il y a 50 ans, va-t-il, réquisitionner le Parc des Princes pour liquider les teigneux tagueurs de Tolbiac ? « Sans la police tout le monde tuerait tout le monde et il n’y aurait plus de guerre » (Jeanson).

La tacatacatac tactique du gendarme de St Tropez

À gauche comme Mr Bean, à droite comme un éléphant dans un magasin de porcelaine, Emmanuel Macron est le maître des horloges molles, façon Dali. Après le 18 Brumeux 2017 et 18 mois d’État de grâce jupitérien, Houdini, sur la défensive, se réinvente tous les six mois : plumitif de cahiers de doléances participatives, Clemenceau artificiel des respirateurs, Tigrou de la Culture covidée, Titeuf chez les Soviets, Embrassadeur de France… Naïvetés, arrogances, sous-estimation de l’adversaire et Diên Biên Phu aux législatives en juin. Le château est encerclé par les Tupamaros, les Chouans, les croquants, à cause d’une réforme annoncée depuis dix ans ! Chi si ferma è perduto…

La France irréelle (Berl), les politiques schizophrènes, l’affaiblissement progressif du sens du réel et des comptes publics, les guerres civiles et crises de nerfs ne datent pas d’hier. Elles sont notre marque de fabrique : du sempiternel Catch à quatre, en Eurovision. Victorieux de Cruella d’Hénin-Beaumont lors des grandes finales de 2017 et 2022, le Petit Prince du Palais Brongniart s’est étranglé tout seul. Dans les cordes, il est compté. Sa cour de Mormons a perdu l’éponge magique. A l’affut, Le Bourreau trotskyste masqué de la Canebière aimerait sauter sur le ring et achever Jupi.à.terre à pieds joints.

La gauche fait tourner les tables, implore son cortège de fantômes : 71, 36, 68, 81, 95. Mère Courrèges, Passionaria fashion des éboueurs et Ratatouille, Vestale en Dior de la Mairie de Paris, Anne Hidalgo est solidaire. Scotché comme un bulot à la façade mauro-high tech de l’IMA depuis 2013, Jack Lang préfère Smalto. L’Elysée a réussi une exceptionnelle union sacrée, convergence des buts, regroupant les syndicats, un tiers des Républicains, le Rassemblement national, la Nupes, sans oublier les pyromanes, «… des lazzaroni, pickpockets, joueurs de bonneteau, maquereaux, chiffonniers, rémouleurs, littérateurs, la masse indéterminée, dissolue, ballotée et flottante, que les Français appellent la ’bohème’ » (Marx). Dans l’attente du grand soir, sur la Brecht, les agrégé.es de Lettres ouvertes, Hussarde sur le toit sponsorisée par Lancôme, font pleurer sur l’imminente dignité des pauvres. Kolkhoze toujours… Ne secouons pas trop les cultureux ; ils sont pleins de drames.

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Filles-du-Calvaire, Malesherbes ou Saint-Martin, la comédie politique française c’est du Boulevard doublé, pour les petits malins, d’une course aux maroquins et fromages. Au théâtre ce soir, tous les cinq ans les mouches changent d’âne. En 2017, avant de se mettre En Marche, droit dans sa botte, en verve, Gerald Moralelastix Darmanin faisait le procès du bobopulisme. « Comme le caméléon, Emmanuel Macron change, se transforme sous nos yeux… : Emmanuel Macron n’aura pas de majorité, ou alors de circonstances, et cela durera ce que dure les amours de vacances. Loin d’être le remède d’un pays malade, il sera au contraire son poison définitif. Son élection, ce qu’au diable ne plaise, précipiterait la France dans l’instabilité institutionnelle et conduira à l’éclatement de notre vie politique ». Le disque politique est rayé depuis belle lurette : les postures, impostures et symphonies du Nouveau Monde n’adoucissent plus les mœurs.

Nous ne nous sommes jamais beaucoup aimés

En 1974, Scola et Sautet, mélancoliques, filmaient lenaufragedes idéalismes, des amitiés qui tanguent, une découpe de gigot dominical qui tourne au vinaigre. Francois, Vincent, Paul et les autres, Torreton, Depardieu, boudin noir, boudin blanc, nous déclinons les zizanies depuis des lustres : Armagnacs-Bourguignons ; Catholiques-Protestants ; Chouans-Républicains ; Communards-Versaillais… et aujourd’hui les nouvelles guérillas wokistes : Femme-Homme ; Racisés-Blancs ; Kouffar-Fidèles ; Cisgenres-LGBTQ+++ etc… Des guerres civiles, de tranchées, de religions, de sécessions, de 100 ans, de verbes souvent haineux… « Ainsi le traître, par la combinaison de la félonie et de la ruse, a accumulé devant lui les difficultés insolubles. Quoi qu’il advienne, il est perdu. Il finira dans l’impuissance et le mépris. C’est en vain que l’hôte de l’Élysée s’emploie à badigeonner le sépulcre ; le sépulcre blanchit exhalera toujours une odeur de conscience morte » (Jaurès à propos de Briand en 1910).Cioran disait qu’une civilisation entame sa décadence « lorsque les individus commencent à prendre conscience ; lorsqu’ils ne veulent plus être victimes des idéaux, des croyances, de la collectivité… Le drame de l’homme lucide devient le drame d’une nation » (De la France).

Peu importe le théâtre, les régimes, emblèmes, drapeau, hymnes : si l’on excepte de rares moments fugaces, victoires militaires ou sportives, historiquement, politiquement, culturellement, symboliquement la Fraternité, l’affectio societatis, la Fédération n’ont jamais été à la fête en France. Notre credo, c’est le chant des courtisans, la jalousie, les lettres anonymes, le bien commun en ordre et désordre serrés et en tranchant tout ce qui dépasse. « Chassez un chien du fauteuil du roi, il grimpe à la chaise du prédicateur » (La Bruyère).

Aujourd’hui l’assignat républicain est démonétisé. A l’étranger, le « modèle français » est un repoussoir. Nos images d’Épinal, Sainte-Geneviève, Jeanne d’Arc, Bayard, Richelieu, d’Artagnan, Danton, Clémenceau n’ont plus cours. Le pays, qui depuis Philippe-Auguste joue la carte de l’État-nation (et depuis 1789 l’assimilation, la laïcité, l’universalisme), est désemparé dans un monde en reféodalisation ; étourdi par les retours de manivelle, du religieux, du communautarisme, le tsunami libéral-libertaire-victimaire qui triomphe à l’Ouest. « Les pays qui n’ont plus de légendes sont condamnés à mourir de froid » (La Tour du Pin).

Jupiter, Idionysos, Éminerve, ont besoin de slogans : du passif, faisons table rase ! Plus juste, la France sera moins injuste ! Nous vaincrons, parce que nous sommes les plus faibles ! Remettons l’huma(in) au cœur de la politique ! Le changement, c’est marrant ! En Marche, au trot, au galop !

« Il arrive souvent dans un grand peuple qu’une sédition éclate et que l’ignoble plèbe entre en fureur. Déjà les torches volent et les pierres ; la folie fait arme de tout. Mais alors, si un homme paraît que ses services et sa piété rendent vénérable, les furieux s’arrêtent, se taisent, dressent l’oreille : sa parole maîtrise les esprits et adoucit les cœurs » (Virgile, L’Énéide).

Easy listening


Au risque de passer pour cuistre, rappelons que le titre du dernier Letourneur (cf. Enorme, en 2019, Les Coquillettes en 2012) est un clin d’œil blagueur, évidemment, au Viaggio in Italia du grand Rossellini, immortel chef d’œuvre millésimé 1954, avec Ingrid Bergman et George Sanders. Voyage (sans s) en Italie mettait en scène un couple de bourgeois anglais qu’un périple du côté du Vésuve mène au délitement. Beaucoup moins lyrico-tellurique, quoiqu’assez spirituel dans son genre, est ce Voyages en Italie (avec s), cinquième long métrage de l’actrice et cinéaste, co-écrit, celui-ci, avec Laetitia Goffi, et dont le mode décalé est la marque de fabrique.

Soit Sophie et Jean-Fi, un ménage bobo parisien avec enfant qui, pour échapper à la routine, cherche le point de chute où s’évader quatre jours pour pas trop cher, au soleil si possible, en laissant leur mioche à garder.  Madrid ? Rome ? Guide du Routard en poche, les voilà parti pour la Sicile, vol direct Orly-Syracuse par le low cost Transavia. Lui, gras du bide, chauve et velu de l’échine à la cheville – dans le rôle, le pape du easy-listening devenu star de cinéma, Philippe Katerine; et la Letourneur elle-même dans celui de Sophie, à qui elle prête et son prénom, et son accorte physionomie.  


L’existence est-elle vraiment aussi triviale, contingente, basique ? L’autodérision sera quoiqu’il en soit le carburant comique d’un film plus subtilement fignolé qu’il n’y paraît, exploitant le degré zéro du quotidien comme vecteur d’analyse psychosociale : jalousie éruptive du mari quand l’épouse se fait aider par un beau transalpin dans l’ascension du Stromboli; menstrues malvenues au cœur de l’escapade conjugale; soudaine entorse qui obligera le mari à porter tout du long une attelle au mollet; conciliabules improbables sur la Fiat de location, ou encore sur les désavantages d’un top-case dans le dos du passager d’un scooter; considérations sur la différence entre une paire de grolles taille 39 et une autre taille 39/5; poncifs de Monsieur, déblatérant au sujet des effets du mitage pavillonnaire sur l’écologie, et des mérites de la densification urbaine; rappel mutuel que si, si, si, le volcan « a-une-éruption-toutes-les-vingt-minutes »; célébration duelle du matelas de marque Seely pour ses qualités de confort; vannes idiotes ( « il y a un crash sur Zizijet »)… Et j’en passe.  

La platitude délibérée de ces échanges abrite naturellement un « sous-texte » gentiment caustique sur les névroses du temps long sous le même toit, les intermittences du sexe et les éventuelles vertus du changement d’air. Voilà qui ne manque pas d’esprit. Il n’en reste pas moins que Sophie Letourneur renvoie, de l’humaine condition, une image qui n’élève jamais celle-ci deux millimètres au-dessus des pâquerettes. Pour la métaphysique, on repassera.

Voyages en Italie. Film de Sophie Letourneur. Avec Sophie Letourneur et Philippe Katerine. France, 2022. Durée : 1h32. En salles le 29 mars 2023.

L’automate à la caisse


Toujours la même rengaine. Travailler deux ans de plus, sinon le système s’effondre. On connaît la chanson. On nous l’a serinée tant et tant de fois. Interdire le travail des gamins dans les mines, et le système s’écroule. Octroyer 12 jours de congés payés par an et c’est la Bérézina économique, la tiers-mondisation assurée. Réduire la journée de travail à dix ou neuf heures, faire du samedi un jour sans turbin, et le pays entier sombre dans une misère à la Zola. On a tellement entendu cette antienne, entonnée par les mêmes bouches de génération en génération, que seuls ceux qui la chantent peuvent encore faire semblant d’y croire. La chansonnette d’aujourd’hui tient en quelques mots: vous vivez plus longtemps, donc vous devez travailler plus longtemps, sinon le système des retraites capote. Ok, on vit plus longtemps qu’avant, mais pour chaque heure travaillée aujourd’hui, nous produisons aussi beaucoup plus de richesses que naguère. Combien d’heures d’usine pour sortir une auto voilà 30 ans, et combien aujourd’hui ? 

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En vérité, le libéralisme que prêchent les économistes de plateaux TV et des ministères est une hérésie, un libéralisme dévoyé, perverti d’un cynisme purement odieux. La finalité du libéralisme vrai, c’est-à-dire fondé sur une éthique, est l’homme. L’homme et sa liberté, l’homme et sa dignité notamment par la satisfaction de ses cinq besoins fondamentaux : se nourrir, se loger, se soigner, s’instruire, travailler. Tout autre chose donc que la croissance exponentielle du dividende… 

Pour ce libéralisme de la raison, ce libéralisme éclairé, ce libéralisme des Lumières, la fameuse répartition devrait se faire sur le fondement de la richesse générée et non uniquement sur le dos de celui qui la génère. Dès lors, une solution se profile, toute simple, trop simple sans doute : faire passer l’automate à la caisse. Chaque fois qu’un emploi salarié est remplacé par un automate, un logiciel, un robot, taxer – si peu que ce soit – la machine au profit des retraites. La prospérité du système serait assurée ad vitam, et accessoirement celle de ses bénéficiaires. Mieux encore, il n’est pas certain que, au bout du compte, le capital et son culte obsessionnel du dividende soient perdants. Tout au contraire : un retraité encore vaillant, pour ne pas dire jeune, financièrement mieux armé, consommerait plus longtemps puisque comme on nous le rabâche, il vit plus longtemps. (Cela soit dit en passant : c’est tout juste si nous ne devrions pas culpabiliser de ne pas avoir la bonté de crever à peine sorti du boulot, suivant en cela le douteux exemple de nos aïeux.)  En effet, l’économie de marché elle-même sortirait probablement requinquée de ce qui serait pour le coup une vraie réforme, surgie, elle, d’un authentique effort d’imagination. Une réforme de progrès, et non pas juste un aménagement d’âge. Oui, il se peut bien que finalement le capital aussi soit gagnant. Comme toujours, au fond.

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Bret Easton Ellis l’éclatant

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L’enfant terrible de la littérature américaine revient avec Les Eclats (Robert Laffont). Un retour gagnant, une autofiction polyphonique.


L’auteur du best-seller American Psycho avait pourtant affirmé qu’il avait fait le tour du roman ! L’un des écrivains majeurs de sa génération, né à Los Angeles, en 1964, s’était d’emblée fait remarquer avec son premier ouvrage, Moins que zéro, publié en 1985. Treize ans après Suite(s) impériale(s), version contemporaine de Sunset Boulevard, mais en plus parano et déjanté, Bret Easton Ellis signe Les Éclats, un roman de 600 pages à vous couper le souffle. Pour un retour au roman, c’est un retour gagnant. Le cocktail est détonnant. Tous les ingrédients y sont savamment dosés. 

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Rasades de phrases sèches

Brouillage de piste avec partie autobiographique et partie fictionnelle. Une bonne dose de suspense. Une grosse pincée de sexe. On saupoudre de drogue, de benzodiazépine. Encore une fine pincée de dramaturgie avec scènes nocturnes psychédéliques. On ne sirote pas, on boit des rasades de phrases sèches, on en redemande, on saute parfois la fin de la page, on veut savoir la suite, c’est un style addictif, le temps n’existe plus, le brouhaha de l’actualité ne nous parvient plus. Le gris de la ville s’est transformé en un ciel multicolore où le mauve domine. 


On est à Venice Beach, dans le Los Angeles du début des années 80. Les Américaines chromées vrombissent dans les rues bordées de palmiers géants, on rôde au bord des piscines, la nuit est voltaïque, les filles en short et débardeur boivent trop et échangent leur verre avec facilité; c’est la vie revisitée par un Nietzsche amerloque et défoncé. Bret Easton Ellis est vraiment au mieux de sa forme. Le Je schizophrène ploie, mais jamais ne rompt. Du grand art. Rien à voir avec le petit roman familial féministe et névrotique que la production française nous sert jusqu’à la gerbe… 

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Dès l’incipit, Bret Easton Ellis nous embarque. Aveu : « Je me suis rendu compte, il y a bien des années, qu’un livre, un roman, est un rêve qui exige d’être écrit exactement comme vous tomberiez amoureux : il devient impossible de lui résister, vous ne pouvez rien y faire, vous finissez par céder et succomber, même si votre instinct vous somme de lui tourner le dos et de filer, car ce pourrait être, au bout du compte, un jeu dangereux – quelqu’un pourrait être blessé. » L’amour et l’écriture sont de même nature. Ça te prend, il faut y aller, tu n’as pas le choix. 

On n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans

L’histoire se déroule en 1981, Bret a 17 ans, il écrit Moins que zéro, et entre en terminale. Il y a Thom, Susan, Debbie, sa petite amie, et les autres. Ce sont des gosses de riches. De très riches. Ils roulent sans permis, expérimentent tout ce que leur corps permet d’expérimenter, ils n’ont aucune limite. Les censeurs du wokisme – dont se fout Bret, on le sait bien – deviendraient dingues au milieu de ces bacchanales juvéniles ininterrompues ! Arrive un nouvel élève, rayonnant comme Apollon, Robert Mallory. 

Bret Easton Ellis, sur une photo de l’annuaire de 1982 de la Buckley School de Sherman Oaks © D.R

Et là, le dysfonctionnement devient maléfique. Il pourrait être lié à un tueur en série qui terrorise Los Angeles, « The Trawler » (« Le Chalutier »). Le criminel est un psychopathe de première. Ce n’est qu’en 2020, alors qu’il est lassé d’écrire des scénarios pour le cinéma qui sont refusés, même s’ils sont grassement rémunérés, que Bret Easton Ellis comprend que l’histoire des Éclats – le titre s’est imposé à lui dès 1982 – ne pouvait être racontée que par l’homme de la pleine maturité. Il lui manquait cette capacité à décrire « cette qualité de torpeur ». « Comment aurais-je pu, écrit Bret Easton Ellis, expliquer ce sentiment amorphe à quelqu’un ? » Comment expliquer cette terrible solitude qui le raclait de l’intérieur, comme « The Trawler » raclait ses jeunes victimes ?

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Bret Easton Ellis dédie ce livre « Pour personne ». Naturellement puisque ce génial roman est dicté par l’amour de la littérature. Allez, barmaid, encore une vodka pamplemousse. Avec très peu de pamplemousse.

Bret Easton Ellis, Les Éclats, Robert Laffont, 616 pages

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« Un village français »: chef-d’œuvre presque jusqu’au bout…

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À peine ai-je écrit ce titre que je le regrette, comme si la moindre réserve pour cette exceptionnelle série qu’a été « Un village français » était choquante…


Alors qu’à la réflexion, la septième et dernière saison, surprenante, infiniment sombre, apparemment déconnectée des précédentes, est cependant d’une implacable logique par rapport à la psychologie des personnages principaux ; la déception qu’elle peut immédiatement susciter est vite battue en brèche et corrigée.

J’ai eu du retard, je le concède. Pourtant, souvent, j’ai entendu des amis, des parents, des connaissances, me vanter cette série française, mais je nourrissais un léger doute sur la capacité de nos scénaristes à réussir la chronique d’une sous-préfecture sous l’occupation. Les premiers épisodes ont été tournés à l’automne 2008 et le dernier des 72 épisodes a été diffusé le 30 novembre 2017.

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Quand en février-mars, je me suis enfin décidé à regarder « Un village français », je suis tombé délicieusement sous le joug d’une véritable addiction. J’étais la proie d’une nécessité intérieure qui m’interdisait de brûler les étapes et m’imposait au contraire de parvenir à bride abattue jusqu’à la fin.

Une empathie fictionnelle

Les scénaristes et dialoguistes sont exceptionnels. Frédéric Krivine, auteur principal et directeur d’écriture, ayant eu le rôle moteur. Je n’aurais jamais pu imaginer que, sur une période aussi trouble, aussi tragique, aussi contrastée dans les comportements humains et professionnels, si diverse dans la gamme allant des héros aux salauds en passant par la passivité, l’attente ou l’espérance des citoyens ordinaires, une telle intelligence puisse se déployer, avec une profondeur et une empathie fictionnelles donnant leur dû à chaque protagoniste, leur vérité et leur sincérité à chaque personnage.

Audrey Fleurot © Etienne Chognard

Résistants, collaborateurs, miliciens, maires, chefs d’entreprise, communistes, fascistes, représentants de l’État, tous sont mis sur le devant de la scène quotidienne et à la fois historique au fil des saisons, avec leurs évolutions, mêlant admirablement leur destin singulier à celui de la France occupée puis se libérant, avec l’infinité des grandeurs et des petitesses, des lâchetés, des prudences, des revirements, des trahisons et des héroïsmes, charriés dans cette sous-préfecture du Jura, le pays en réduction.

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La parfaite intégrité du récit est admirable, au point que personne n’est univoque, que des parcours personnels commençant dans le pire se terminent avec courage et émotion face à la mort, qu’elle soit odieusement imposée, subie à la suite d’une justice expéditive ou magnifiquement assumée. Ou l’inverse. Chacun, d’une certaine manière, dans cette histoire collective de fureur, de violence, d’arbitrages constants à opérer, de terrifiants choix à valider ou non, bénéficie de la formidable honnêteté des dialoguistes. Jamais ils ne s’abandonnent à la facilité, ils offrent à chacun une argumentation, une défense, des convictions, des raisons aux antipodes du « tout d’une pièce », n’hésitant pas à faire parler les pires, le nazi cynique et violent, le policier sans scrupules mais amoureux d’une juive, le collabo frénétique et arriviste, sur un mode qui n’en fait pas des caricatures.

Finesse et pudeur

Les miliciens ne sont pas flattés, mais décrits dans leur diversité. Comme les résistants. Les communistes sont à la fois honorés, avec un intègre et héroïque militant fusillé, et montrés sous un jour déplaisant quand le parti justifie tout et que la fin légitime les moyens les plus honteux. Le maire, longtemps, de cette sous-préfecture, Daniel Larcher (joué par Robin Renucci, formidable comme tous les acteurs de la série), personnage central, est superbement présenté : médecin dévoué, élu écartelé, époux patient, humain ayant tenté tout au long de faire le moins de mal possible.

© ANGELA ROSSI / TETRAMEDIA / FTV

Face à des résistantes courageuses, dont une qui est la fierté des hommes qui l’accompagnent et lui obéissent, deux autres femmes seront follement amoureuses d’un ennemi, l’une du chef de la police allemande et l’autre d’un jeune soldat doux et musicien dont le souvenir ne s’effacera jamais en elle.

Cette prodigieuse intelligence qui irrigue tous les épisodes n’est absolument pas contradictoire avec la finesse et la pudeur, qui ne sont elles-mêmes pas contradictoires avec la terreur que l’on éprouve devant la chasse aux juifs du village, avec des allusions à Drancy et à Birkenau…

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Cette série est un antidote exemplaire à tous les simplismes rétrospectifs et à tous les audacieux en chambre.

Je conçois qu’il y a quelque chose de naïf à découvrir ainsi si tardivement une série dont on a tellement parlé à l’époque. Mais peu importe. Je pourrais continuer ainsi à justifier mon enthousiasme qui est d’autant plus intense que je n’ai jamais été conduit à le dilapider en général pour les fictions françaises.

Je ne souhaite pas narrer dans le détail le fil de ces séquences ayant empli ces 72 épisodes, ne voulant pas les déflorer mais je voudrais tout de même rendre hommage à cette humanité implacable, sombre ou glorieuse, étriquée ou épique, courageuse, exaltée ou responsable, ordinaire ou engagée, qui m’a accompagné durant des semaines et que j’ai suivie pas à pas.

Daniel, Marcel, Suzanne, Jean, Hortense, Heinrich, Kurt, Antoine, Marie, Anselme, Lucienne, Jules, Raymond, Gustave, Edmond, Henri, Jeannine, Marguerite… et quelques autres… Je ne vous oublierai pas.

En replay sur Salto.

La gauche totalitaire

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À y regarder de près, ces manifestations n’ont presque rien à voir, désormais, avec la réforme des retraites: elles ne sont plus que des actions contre – émaillées d’une brutalité de «fachos». Analyse.


« Il y a des folies qui se prennent comme les maladies contagieuses », écrivait La Rochefoucauld. Qu’eût-il pensé des manifestations actuelles, où la folie générale, inoculée par une extrême-gauche qui fait penser, au mieux, à la Commune de Paris de 1789, au pire, au fascisme italien – mais l’un et l’autre ont peut-être moins d’antinomie qu’on ne l’admet communément –, semble s’être emparée de l’esprit de beaucoup de contestataires ?

À voir, depuis maintenant plusieurs jours et presque chaque soir, les images apocalyptiques des rues de Paris, où, entre deux monceaux d’ordures, des militants radicalisés agressent des policiers cependant que leurs amis casseurs s’en prennent gratuitement au mobilier urbain, on se dit qu’il est loin le temps de la Manif Pour Tous, où près d’un million de personnes défilaient pacifiquement dans la capitale pour faire entendre leurs voix à un président dur d’oreille. L’opposition qui a l’esprit démocratique, celle qui n’est pas totalitaire, celle qui réfléchit parce qu’elle a lu des livres, et qui se veut force de propositions, est devenue marginale: elle a été remplacée par cet extrémisme de comptoir que l’on retrouve d’habitude aux marges, porté par des individus violents à la pensée violente, qui, par frustration d’enfant gâté à qui l’on n’a jamais rien refusé, ne rêvent que de la dictature du parti unique. Loin de vouloir débattre et discuter – ignorants –, ils préfèrent tout détruire pour tout obtenir.

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« Lorsque notre haine est trop vive, écrivait encore La Rochefoucauld dans ses Maximes, elle nous met au-dessous de ceux que nous haïssons. » L’extrême-gauche qui inspire les manifestations en cours, et n’agit que par haine, ferait presque passer le président de la République pour un garant de l’ordre, sage et modéré – alors même que les chiffres de la délinquance et de la criminalité pour l’année 2022 sont ceux d’un pays en guerre civile.

La violence est l’échec du langage

À y regarder de près, ces manifestations n’ont presque rien à voir, désormais, avec la réforme des retraites : elles ne sont plus que des actions contre –émaillées d’une brutalité de fachos, de cette brutalité vulgaire qui, sans nuances, menace de mort tous ceux dont la pensée diffère, de cette brutalité malsaine et indigne, qui ne s’en prend plus aux idées, mais aux individus. Honte aux députés de la France Insoumise qui se livrent à toutes les outrances verbales et physiques, qui se moquent des permanences dégradées des élus Républicains, ou qui justifient les coupures d’électricité ciblées contre des locaux des représentants de la nation ! Qu’eussent-ils pensé, si ces mêmes actions avaient été menées par des groupuscules d’extrême-droite ? – exactement ce qu’il faut en penser, n’en doutons pas : que ce sont des méthodes de fascistes.

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Cette gauche qui se dit populaire, pleine d’accointances avec les mouvements antifas, et qui a quelque chose de totalitaire, a toujours existé : c’est déjà en 1789 la Commune de Paris, scellée par le sang des décapitations du 14 juillet, cet organe monstrueux où siègent les grands démocrates Marat et Robespierre, dévoué à la sans-culotterie la plus violente, et qui sera à l’origine non seulement du Tribunal révolutionnaire, mais encore de toutes les grandes journées insurrectionnelles, pour ne pas dire criminelles – le 10 août 1792, les massacres de Septembre, ou l’arrestation honteuse des députés Girondins (31 mai – 2 juin 1793). Faire taire l’opposition est moins pénible que d’avoir à l’écouter : la violence est l’échec du langage – c’est bien pourquoi l’extrême-gauche actuelle, prétendument républicaine, est aussi celle qui célèbre bien plus volontiers l’histoire des communes que celle des assemblées.

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Cette gauche-là, celle héritée de Marat, de Robespierre et de Danton, n’a pas peur du sang : et elle n’aime pas tellement l’opposition. C’est qu’elle a la « Raison » pour elle : et qui va contre la « Raison » conspire, à ses yeux paranoïaques, contre le Beau, le Vrai, le Bien – et mérite par conséquent la guillotine. Cette gauche-là, aujourd’hui, c’est celle qui s’en prend verbalement et physiquement à une police qui, loin d’être « SS » comme elle le crie sans relâche et sans recul depuis 1968, est au contraire pieds et poings liés à force d’être victime de sa propre hiérarchie dès qu’elle procède à la moindre arrestation violente – mais c’est un pléonasme ! ; c’est celle qui profite des cortèges de manifestants pour lyncher des coupables, et tout détruire, quand elle ne tague pas des injures sur les monuments publics, par un reste de haine un peu vaine, de cette haine de désœuvré qui n’a que des rancœurs, parce qu’elle n’a pas d’esprit ; c’est celle qui brise les vitrines des restaurants où les candidats républicains – ne leur en déplaisent –, qui ne pensent pas comme eux, s’arrêtent pour déjeuner pendant une campagne présidentielle ; c’est celle qui commet allègrement des violences contre les partis dits d’extrême-droite, et fait tout ce qui est en son pouvoir pour empêcher les meetings, et briser la parole – agressions de militants, chantages, menaces, intimidations, comme au rassemblement de Villepinte lors de la dernière campagne, où c’est pourtant le candidat Zemmour qui est passé, dans le cirque médiatique, pour un agitateur de violences ! En bref, cette gauche-là, c’est celle qui déploie un véritable arsenal d’idéologie totalitaire pour mener son combat politique.

Une dernière citation du moraliste, pour conclure : « le ridicule déshonore plus que le déshonneur ». À force de se ridiculiser en chantant de concert avec les factieux, la gauche française se déshonore – elle qui ne plaçait déjà pas bien haut le sens de l’honneur. Sa haine des prétendus fascistes, qui n’existent que dans l’histoire et dans son imagination, est bien basse, et tient du désir mimétique : car n’est-elle pas, de plus en plus, en concurrence avec les idéologies totalitaires ? Chacun jugera.

Centre de formatage

L’école n’est plus un temple clos dédié à l’instruction. C’est même tout l’inverse. Ouverte aux quatre vents de la propagande woke, islamique, immigrationniste et pédagogiste, elle se contente de formater les cervelles des futurs citoyens. On peut résister, mais ce n’est pas simple.


Ministère de la Rééducation nationale. C’est ainsi qu’on devrait baptiser désormais l’institution chargée des jeunes esprits. Le glissement de l’Instruction publique à l’Éducation nationale était déjà suspect : instruire ne suffirait pas, il faudrait donc éduquer – tâche normalement dévolue aux parents. On peut considérer bien sûr qu’une instruction solide fait partie de toute éducation digne de ce nom, mais l’éducation déborde ce cadre de l’instruction dans la mesure où elle suppose des choix, des orientations. Toutes les familles n’éduquent pas de la même façon et ne transmettent pas les mêmes principes et valeurs. Que les écoles se mêlent d’éducation semble contrevenir à l’objectivité que garantit globalement la stricte transmission du savoir. Cette mission première n’échappe pas, évidemment, à la définition de priorités dans les programmes – qu’est-ce qui mérite d’être enseigné ? – ni à la possible partialité de tel ou tel professeur dans son approche, mais enfin, sur le papier, instruire devrait prémunir contre la tentation éducative.

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Qu’en est-il aujourd’hui des finalités de l’école ? Il semble bien que l’instruction soit oubliée au profit de la seule éducation, entendue comme un dressage idéologique depuis les plus petites classes. Qui oserait prétendre que les savoirs sont encore transmis, au vu du massacre de la langue perpétré par la plupart des élèves, de la méconnaissance quasi totale de l’histoire de leur propre pays, de leur inaptitude dans les opérations mathématiques les plus simples et le calcul mental ? La priorité n’est plus là, même si les programmes peuvent faire illusion : en ce qui concerne les lettres, l’étude des textes demeure, mais comment pénétrer les subtilités d’une langue littéraire lorsqu’on est incapable d’identifier un subjonctif ou de distinguer entre futur et conditionnel ? L’exercice de la dissertation perdure, mais comment développer une pensée quand on ne maîtrise ni le lexique ni la syntaxe ? On continue de faire croire que les exigences sont là alors même que le niveau général les rend de facto hors de portée.

Inclusion plutôt que révision

On sacrifie l’instruction depuis des décennies, et peu de gens, hormis quelques naïfs, y compris parmi les enseignants, sont dupes de ce qu’est devenue l’école : une sphère soumise à l’idéologie, c’est-à-dire à la doxa autoproclamée progressiste des élites politiques et médiatiques, bien loin de sa vocation première de transmission du savoir. S’il y a pourtant un lieu qui doit résister à l’air du temps, c’est bien l’école : on devrait n’y entrer qu’en se déchargeant d’un présent parasitaire et cesser dès le seuil de la classe d’être un individu pour devenir un élève. C’est même précisément ce délestage qui laissera le champ libre à la formation d’une culture et d’une pensée, seule condition d’un réel accès au monde et à soi-même. Les élèves subissent un matraquage permanent et entendent plus souvent parler de parité entre hommes et femmes, de gestes éco-responsables et d’antiracisme que de l’accord du participe passé. L’idéologie n’avance même pas masquée, l’orientation « morale et civique » est clairement affichée dans des cours dédiés, qui amènent les élèves à faire des recherches et à intervenir oralement sur ces sujets de société ; ce qui est beaucoup plus insidieux, c’est que cette même idéologie – paritaire, diversitaire, antiraciste et climatique, pour faire bref – infuse un peu partout. On la retrouve dans les manuels de littérature où on insiste sur les femmes écrivains (oups, écrivaines) et le peu de place que les hommes leur ont laissé, dans la sélection des œuvres en classe de Première, où l’on impose des textes parfois médiocres, mais écrits par des femmes (Colette est légitime ici, c’est une belle plume, mais que vient faire dans le programme 2024 la poésie bas de gamme de la Québécoise Hélène Dorion ?). Les livres d’anglais ne sont pas en reste : plutôt que de proposer de grands textes du patrimoine, ils font la part belle à une vision de l’actualité sans nuance. En histoire, on pointe le passé peu glorieux d’une France principalement réduite à ses pages esclavagistes ou colonialistes, et on inculque l’idée que le pays, de toute éternité, est une terre d’immigration enrichie par la diversité. Ben voyons. Les sciences dures échappent plus facilement à l’emprise idéologique, par la nature même des contenus, mais on a déjà vu l’enseignement mathématique contesté outre-Atlantique comme étant l’expression d’une suprématie blanche…

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Certains professeurs sont parfaitement en phase avec ces orientations et cette absence de neutralité ; leur discours sur la France, le sort qu’elle réserve aux femmes, les discriminations qu’elle érige en système, ferait passer l’Afghanistan pour un pays où il fait bon vivre. Un collègue professeur d’histoire a soutenu devant une classe que le racisme anti-blanc n’existe pas, puisque dans sa logique, seul le « racisé » peut être une victime. Il faut baigner dans l’idéologie pour à ce point ne pas voir le réel.

La mort du pluralisme

Un petit tour au CDI de mon lycée (les bibliothèques sont devenues depuis la mort de la littérature des centres de documentation et d’information) me semble édifiant : on a le sentiment de pénétrer dans l’antre du wokisme, tant sont nombreux les ouvrages exposés sur des présentoirs qui, essais, romans ou bandes dessinées, prônent la théorie du genre et la fluidité sexuelle, ou encore un féminisme de combat qui prétend déconstruire un patriarcat largement fantasmé. Les classiques, il faut aller les chercher sur des rayons où ils croupissent à l’abri des regards. On voit où sont les priorités. Sur le mur consacré aux périodiques, on trouve des journaux et magazines à l’orientation univoque. Libé, L’Obs, Télérama, Le Monde figurent en bonne place. Aucune publication suspecte et nauséabonde dans cette officine de propagande. La gauche parle à la gauche, et les vaches progressistes sont bien gardées. C’est le pluralisme tel qu’il est vu par France Inter ou Rima Abdul-Malak. On ne prend pas le risque de laisser s’insinuer dans les esprits le germe d’une vision discordante. Le camp du Bien les prend en charge sans possibilité de déviance, parce qu’il croit incarner la seule vérité admissible.

La propagande est partout. En témoigne cet épisode en début d’année scolaire : lors de la remise des manuels aux élèves, il m’ a été demandé de leur distribuer une plaquette sur le consentement intitulée « Violentomètre », censée permettre aux garçons d’évaluer sur une échelle graduée, du compliment à la torgnole, la nature potentiellement problématique de leur comportement avec les filles, et aux filles de ne pas tout accepter des garçons. Sous-texte : seuls les hommes sont violents ou pervers. Cette plaquette, déjà aperçue un jour dans la rue sur un stand militant, est conjointement financée par la Ville de Paris, la région Auvergne-Rhône-Alpes, des associations subventionnées comme En avant toute(s) ou Solidarité Femmes, autrement dit par nos impôts. J’ai refusé de distribuer la chose, je ne m’appelle pas Caroline de Haas.

Élevage intensif d’une génération islamo-bobo-gaucho

Comment les élèves reçoivent-ils un tel matraquage ? Les miens, pour la plupart issus de la classe moyenne et de la périphérie urbaine, résistent un peu au formatage ; ils me paraissent moins contaminés que les enfants bobos du centre-ville, soucieux de paraître ouverts et cools jusque dans l’affichage de leurs convictions. Mes élèves ont, me semble-t-il, une certaine conscience de la manipulation dont ils sont l’objet, mais cette école les a justement privés des moyens intellectuels qui leur permettraient de verbaliser et de formaliser leurs doutes et le début d’une résistance ; ils sont pour la plupart résignés, ils subissent. Malgré tout, la propagande laisse des traces. Quelques exemples récents : alors que je rappelle que les fondements de notre civilisation sont gréco-romains et chrétiens, que nous devons nos façons d’être et de penser à ces trois cultures, un élève rajoute « aux Arabes aussi ». Je lui explique qu’il y a toujours eu des interactions entre civilisations, surtout par le commerce et la conquête, mais que l’essence de la culture européenne n’est ni arabe ni islamique (malgré l’expérience Al-Andalus sur le sol espagnol). Son intervention est le signe d’un catéchisme bien appris, révisionniste et relativiste, qui amène à considérer l’immigration musulmane en Europe comme allant de soi. Un autre jour, je demande à mes élèves quels sont les principaux combats de Victor Hugo, j’ai massivement droit à la « lutte-contre-le-racisme-et-la-xénophobie ». Bah oui, comme ils ont vaguement conscience qu’il est du côté des gentils, il a bien dû dénoncer les discriminations, et au diable les anachronismes. En classe de Première, dans un devoir sur le théâtre au XVIIème siècle, je découvre que le respect des bienséances impose de ne tenir aucun propos haineux ou incitant à la haine (sic). La soupe antiraciste actuelle a été tellement ingérée qu’elle est recrachée à tout propos.

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La nomination de Pap Ndiaye à la tête du ministère s’inscrit dans la ligne de ce que Bock-Côté appelle justement « le parti diversitaire », dont les obsessions dévoient le sens de l’institution scolaire : il est avant tout soucieux, malgré quelques molles déclarations sur les apprentissages fondamentaux, de promouvoir dans les programmes la lutte contre le racisme, poursuivant en cela le profond travail d’ignorance et de décérébrage dont l’école – ô paradoxe – est devenue le centre.

L’instruction n’est plus le cœur du réacteur. Et si l’on ajoute à l’emprise progressiste, qui remplace l’apprentissage par le formatage, les délires pédagogistes instituant l’élève en architecte de son propre « savoir », la mainmise de l’informatique, dont l’extension ludo-éducative supprime jusqu’à l’idée d’effort et de concentration, ainsi que l’idéologie islamiste qui conteste certains contenus d’enseignement, on se dit que la figure du professeur et la transmission sont décidément mal barrées.

Le sens de l’histoire

La neuvième journée d’action contre les retraites confirme que le peuple français demeure merveilleusement rebelle. Jérôme Leroy salue ici son courage.


Et soudain, dans le cortège lillois, au moment où il est arrêté par un premier mur de lacrymogènes et des feux de poubelles, cette pancarte en carton, brandie par une étudiante: « Le sens de l’histoire ».
C’est tout.
Et c’est assez. Assez pour résumer ce qui se joue en ce 23 mars pour cette neuvième manifestation.

D.R.

Pour paraphraser le regretté Frédéric Fajardie, dans un de ses meilleurs romans, Jeunes femmes rouges toujours plus belles, la jeune hégélienne est toujours plus belle, qui nous rappelle que ce qui cherche à se réaliser dans l’histoire, c’est la Raison. Et que la Raison est évidemment dans les cortèges partout en France, qui veulent une société où ce n’est pas l’homme qui est au service de l’économie mais l’économie qui est au service de l’homme, comme a pu aussi le rappeler le Pape François dans un colloque à Assise en septembre.

Il n’y a aucune raison rationnelle à travailler plus, il y aurait même une sorte de folie à le faire, écologique, sociale, humaine. Tous les arguments exténués qui ont été sortis par les pitoyables porte-cotons de la très incertaine majorité présidentielle et relayés par les nouveaux valets 2.0 que sont les journalistes spécialisés en économie des chaines infos se heurtent à cette évidence : le peuple descend toujours et encore dans la rue, c’est lui qui fait l’histoire, sous nos yeux rougis par les gaz.

Ce coup-ci, les vieux manifestants pacifiques comme votre serviteur ont senti que ce serait un peu plus tendu que précédemment et ont apporté les ampoules de sérum physiologique et les FFP2  pour pouvoir continuer à marcher sur certaines portions du parcours.

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Que vont-ils ressasser, ce soir à la télé, ces inlassables écholaliques, ces psittacistes hallucinés : que l’espérance de vie augmente et justifier ainsi de travailler plus ? Que des « équilibres budgétaires » sont nécessaires même s’ils se font dans l’unique intérêt du capital et jamais du travail, des premiers de cordée et jamais des salariés à qui on ordonne, à l’occasion, de payer pour sauver les banques qui spéculent comme au casino ? Que la réforme est de gauche comme l’a osé le très orwellien Dussopt pour qui sans doute, la liberté, c’est l’esclavage ?

Toutes ces redites ne sont plus d’aucun effet sur cette foule qui est, l’étudiante a raison, dans le sens de l’histoire. Seul le  zombie de l’Elysée, qui est mort et qui ne le sait pas, qui la prochaine fois qu’il s’adressera aux Français, choisira sans doute France Bleu Mayenne à 3 heures du matin pour aller jusqu’au bout du déphasage, y croit encore.

Tous les paris sur la résignation et sur la peur faits par ceux qui, pour reprendre la chanson des Canuts d’Aristide Bruant, sont « le linceul du vieux monde » ont manifestement échoué. Comment ne pas se sentir, à ce moment, par ce printemps frisquet, fier de ce peuple qui persiste à dire non alors qu’on aura tour à tour fait preuve avec lui de « pédagogie » – quel mot méprisant en politique – et d’intimidation, qu’on lui aura imposé un projet sans vote effectif de ses représentants en utilisant tous les recoins d’une Constitution dénaturée et qui, à rebours de toutes les prévisions, a au contraire accentué sa mobilisation.

Bien sûr, quand on montre la lune à l’imbécile, il regarde le doigt, ou plutôt, on voudrait qu’il regarde le doigt : scènes de violences, d’incendies, de guérilla urbaine. À la longue, une fraction de la jeunesse a fait le choix de la violence réelle, malgré la sagesse de l’intersyndicale, la maturité politique et médiatique des deux anciens frères ennemis Martinez et Berger, contre la violence symbolique et insultante du pouvoir qui a culminé avec le 49-3 et la dernière intervention de l’élu par défaut.

Je prends les paris que dans les jours qui viennent, les journalistes de plateau répèteront, comme les flics qu’ils sont, la même question  aux syndicalistes et aux élus de gauche : « Est-ce que vous condamnez les violences ? » Évidemment qu’ils les condamneront, car elles sont condamnables mais il leur faudra aussi, inlassablement, retourner la question aux auxiliaires de police télégéniques: « Et vous, est-ce que vous condamnez la violence du pouvoir, ce que Pasolini appelait l’anarchisme du pouvoir quand celui-ci se croit sans limite ? Est-ce que vous condamnez Macron et son monde ? » Mais peu importe qu’ils répondent ou non, mardi 28 mars, ça recommencera.  Et je sais déjà que la jeune hégélienne sera là, dans « le sens de l’histoire ».

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Trop c’est trop!

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Un billet d’humeur de Sophie de Menthon.


D’accord, la réforme des retraites a été mal foutue avec des erreurs de chiffrages, des porte-parole incompétents, des incongruités, des injustices comme partout… Mais oui : il faut travailler plus, parce qu’il faut bien augmenter la masse de travail que nous fournissons (pour payer, entre autres, ces retraites dont tout le monde rêve…), et augmenter la richesse du pays pour alimenter le coût gargantuesque de l’administration ! 

On commence à s’indigner à 18 ans pour certains, on a même un nouveau héros lycéen des plateaux TV de 12 ans, notre « Greta » à nous  – dont les parents ne doivent pas beaucoup aimer bosser.

Oui: tous les pays d’Europe travaillent plus longtemps que nous, oui, on va vivre de plus en plus longtemps… Anne Hidalgo, notre « héroïne » parisienne à tous, inspectrice du travail (la pénibilité, n’était-elle pas pour ceux qu’elle contrôlait ?), est partie à la retraite à 51 ans. Cela lui a permis une deuxième carrière d’élevage de surmulots (elle a aujourd’hui 63 ans).

Superprofits pour super retraites

Nous avons enfin agi sur les régimes spéciaux des futurs entrants de la RATP, de l’EDF, d’Engie, de la Banque de France, des clercs de notaires. Nous avons réformé les régimes spéciaux, mais pas pour tout de suite bien sûr, c’est pour les suivants ! Le comble, c’est que beaucoup de ceux qui manifestent, nous bloquent et nous polluent, ne sont donc pas concernés par l’avancée de l’âge de leur retraite. Pire, ceux qui manifestent aussi contre le capitalisme et les superprofits (ça va avec), et qui bénéficient de régimes spéciaux, sont les seuls à avoir une retraite financée… par la capitalisation. Et que contiennent ces fonds de capitalisation maudits ? eh bien des investissements dans les fameuses entreprises qui font des surprofits et donc qui versent des dividendes ! C’est ce qui s’appelle mordre la main qui vous nourrit.

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Alors il fallait la faire cette réforme, même si ce n’est pas le moment (c’est quand le moment ?) Il fallait l’expliquer bien mieux, mais pour cela il eut fallu aussi que les Français et leurs élus peureux ou économiquement incompétents ne soient pas réfractaires à l’économie de marché. Il fallait aussi qu’Emmanuel Macron ne soit pas si mauvais communicant ! qu’il ait l’air populaire. Comme Giscard ? (mais n’était-il pas lui aussi un peu hautain, Giscard ?). Ou comme de Gaulle ? (mais n’était-il pas lui aussi un peu méprisant, de Gaulle ?) Il aurait fallu que le président reçoive toujours les mêmes syndicalistes, toujours en désaccord, qui veulent tous le retrait de l’âge limite ? Ils auraient descendu le même perron de l’Élysée, en répétant la même rengaine: « On n’a pas été écoutés »… En tous les cas, on les entend !

Les télévisions toutes contre la réforme

C’est devenu insupportable de voir le déchaînement des médias qui avaient commencé à flinguer le discours du président trois jours avant qu’il ne parle. C’est devenu insupportable de ne voir que des opposants, ou presque, invités sur les plateaux, qui déversent haines et contre-vérités économiques. Tout y passe, les salauds de riches qui s’augmentent, la Bourse qui va bien, le CAC 40 florissant, le Nutella qui augmente, l’inflation des radis et des prix de l’énergie ! Les Insoumis tiennent leur rôle, Mélenchon prépare une énième présidentielle. On envisage le pire, ce qui réjouit tout le monde, surtout les caméras « sur place » et les micro-trottoirs. On a même sérieusement entendu parler de totalitarisme anticonstitutionnel pour le 49-3, alors que justement le 49-3 est dans la Constitution. Précisément, on a un recours déposé devant le Conseil constitutionnel: à peu près personne n’est capable de vous expliquer ce que le Conseil constitutionnel vient faire dans cette loi de financement de la Sécurité Sociale, mais Laurent Fabius, lui, doit bien le savoir… Va-t-il vouloir embêter Macron au maximum, ou juste retoquer quelques dispositions ? Ça dépend s’il veut plus tard être élevé plus haut dans l’Ordre de la légion d’honneur, peut-être…

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On arrive à en oublier les retraites. D’ailleurs, quand vous interrogez les gens normaux, dans la rue ou au bistro, sans micro, ils sont « résignés ». Autrement dit, ils s’en fichent un peu et en fait comprennent plutôt bien qu’il faille bosser plus. Alors, il faut que les médias et les opposants fassent attention, parce qu’ils vont finir par rendre Macron sympathique : trop c’est trop !

La honte

Mais on n’avait encore rien vu, la coupe est pleine, le roi Dagobert est contraint de mettre sa culotte à l’envers. Le roi Charles III reporte sa visite officielle. La honte ! Que l’absence de savoir-vivre des Français fasse craindre pour la sécurité de notre hôte et que Buckingham Palace la sente menacée, c’est insupportable.

(Br)Exit donc pour sa première visite officielle en France. Non seulement nous guillotinons nos rois, mais voilà que désormais nous écartons les autres à coup de poubelles renversées ! De surcroît, nos gauchistes révolutionnaires auraient mobilisé tous les médias autour du faste inévitable, qu’on nous aurait présenté comme payé avec la retraite des Français… Et ne nous y trompons pas, nous sommes déçus, quoiqu’on en dise, de ne pas voir le diadème de la reine consort dimanche, de ne pas voir la robe haute couture LVMH de notre Première dame, de ne pas pouvoir comparer la révérence de Brigitte avec celle de Carla Bruni, de ne pas voir la table magnifique etc.

Un dernier grand regret: le roi Charles III étant un Vert dans l’âme, pour peu, nos écolos l’auraient acclamé ! Et c’eût été un conte de fées, dans un cauchemar de poubelles menacées par les fameux « auxiliaires de gestion de déchets » (en anglais: « rat ») ! 

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Le chœur des pleureuses démocrates

L’usage du 49-3 ne scandalise pas notre chroniqueur, qui n’a jamais pensé un instant que nous vivions en démocratie. De là à accuser le gouvernement d’Elisabeth Borne et Emmanuel Macron de verser dans le fascisme, il y a une marge, dit-il. Et les manifestants devraient avoir un objectif plus consistant que la simple abolition d’une loi (déjà votée) ou le recours à un référendum (qui ne se fera pas): et si on se souciait de rétablir la République?


Frédéric Magellan, dans Causeur, a parfaitement résumé les derniers développements législatifs : « Le 49-3, écrit-il, est devenu ces dernières décennies le symbole de la « monarchie présidentielle »… » Son historique de notre Vème République est tout à fait précieux et remet les idées en place : c’est dans l’urgence de la guerre d’Algérie et d’une IVème République « à bout de souffle », minée par les excès du parlementarisme que De Gaulle s’est concocté une Constitution qui lui allait comme un gant : des habits démocratiques pour un Etat organisé autour de sa personne et de sa volonté. Plutôt que de rétablir la monarchie, Mongénéral s’est établi en monarque.

Évidemment, dès que les successeurs diminuent de taille, l’habit fait pour le Grand Charles se révèle trop ample, il flotte autour des politiciens de seconde zone que les Français ont portés au pouvoir depuis le début des années 1970. D’où les accusations, de plus en plus véhémentes, visant à qualifier de dictateurs en herbe les présidents successifs: Giscard par excès de mépris, Mitterrand par excès de cynisme, Chirac par excès de fainéantise, Sarkozy par excès de précipitation, Hollande par excès de poids et Macron par excès de narcissisme, comme dit l’excellent Jérôme Leroy.

La démocratie, ce n’est pas forcément la chienlit

Je suggère à ceux qui traitent de dictateur en herbe l’actuel chef de l’État d’aller voir à quoi ressemblent de vraies dictatures, dans le passé comme dans le présent.

Le président Macron sur TF1 et France 2, 22 mars 2023 © Jacques Witt/SIPA

Je leur suggère aussi d’étudier sérieusement ce que furent les grandes démocraties. Athènes au Vème siècle, quand n’importe quel dirigeant pouvait être banni de la cité par vote direct — et qu’Aristide, le grand rival de Thémistocle, menacé d’un tel vote en 483 av. JC, avait trouvé en lui assez de vertu pour écrire son propre nom sur l’ostrakon que lui tendait un citoyen analphabète, et qui ne le connaissait pas.

Ou Rome pendant deux ou trois cents ans. Et encore la République romaine avait-elle régulièrement recours au service d’un « dictateur » en période de crise: la démocratie s’y est éteinte avec l’élimination des Gracques, entre 133 et 121 av. JC.

À lire aussi, Pierre Cretin: Macron explique sa réforme au 13h: les oppositions en état de choc

Et c’est tout: la démocratie ne peut exister que dans des espaces géographiques très restreints, favorables à l’expression directe et au vote à main levée. Elle est le système politique de l’agora ou du forum. Quand un État prend une certaine expansion, quand on est obligé de passer par des élus qui ne représentent le plus souvent qu’eux-mêmes et votent des lois iniques sur l’âge de la retraite quand eux-mêmes ne craignent rien à ce niveau, on n’est plus en démocratie. Inutile de verser des larmes. Le mot démocratie est une écharpe dont se sont parés des hommes politiques de tous bords qui se souciaient avant tout de leur destin personnel.

Allons jusqu’au bout de l’ignominie et de l’hypocrisie. Les États-Unis ont fait un million de morts en Irak, 50 000 de plus en Afghanistan, sous prétexte de frotter des dictatures avec un peu de démocratie. On voit le résultat. Les États occidentaux prétendent donner des leçons à la Chine, qui ne s’en émeut guère et fricote tranquillement avec le Kremlin. Les Fils du Ciel, comme ils disent, savent depuis lurette que la démocratie ne s’applique pas à un territoire de presque 10 millions de km2, peuplé de 1,4 milliards d’hommes. Tout comme Poutine n’a jamais pensé la Russie (17 millions de km2 et 146 millions d’habitants) comme une démocratie. Si le fait que Xi Jinping et l’inamovible Vladimir — pour ne pas parler d’Erdogan — ont été régulièrement élus nous fait rire, c’est justement parce que la démocratie n’est qu’une enveloppe vide.

Là-bas comme ici. La France s’offre des taux d’abstention magistraux: quelle est la légitimité d’un président élu par 58% de 70% de votants ? Et nous prétendons donner des leçons aux autres ?  

La République ne se résume pas à l’étiquette qui figure sur la Constitution. La France fut une république fugacement, de 1792 à 1795, et très brièvement en 1848-1850. Fin de l’histoire des Républiques. Depuis, on a surchargé « république » avec « démocratie » — un peu comme les hommes infidèles offrent des fleurs à leur épouse au sortir des bras de leur maîtresse.

Ce ne fut pas la seule surcharge. « Participative », « régionalisée », « européaniste » (on a vu avec le retournement par le Congrès du vote populaire sur la Constitution européenne en 2005 ce que signifiait « démocratie » pour ces gens-là) sont autant de sobriquets accolés à « république » afin de vider le mot de son sens par surcharge cognitive, et de continuer à faire des affaires.

C’est un phénomène courant, on fait la même chose avec « laïcité », désormais « ouverte », comme les cuisses du même nom, afin que tous les particularismes religieux s’y engouffrent, pile et face.

Restaurer une sainte crainte

Il faut revenir à la république vraie — qui n’est pas la démocratie. La Convention, entre 1792 et 1795, avait 795 députés (sauf ceux à qui on coupa la tête au fur et à mesure qu’ils s’éloignaient des mœurs républicaines), et c’est bien suffisant. Et ces députés devaient des comptes à ceux qui les avaient élus. Sur leur vie. Aujourd’hui, ils geignent quand on caillasse leurs permanences. Ils se votent régulièrement des lois spéciales qui leur permettent d’échapper au courroux du peuple. Le président de la République se lance dans des distinctions byzantines entre le peuple et la foule: on voit qu’il ne craint pas pour sa tête.

À lire ensuite, Elisabeth Lévy: Le petit Grand Soir

C’est que nous sommes en démocratie, pas en république. C’est la République qui a coupé la tête de Louis XVI, et exécuté les prêtres réfractaires. Seule une république vraie peut restaurer chez les élus et chez les fanatiques de tout poil une sainte crainte — et s’il faut passer par une révolution pour y arriver, pourquoi pas ? Une révolution n’est point un dîner de gala, elle ne s’accomplit pas dans le raffinement, l’aisance et l’élégance, avec douceur, calme, respect, modestie et déférence (oui, c’est une citation…). Et s’il faut en passer par l’émeute pour disqualifier les représentants du peuple, n’en déplaise au président de la République qui a fustigé le procédé

Mais je ne suis pas sanguinaire. Je suggère d’enrôler les élus défaillants pour repiquer le riz en Camargue jusqu’à 64 ans.

Nous sommes allés au bout de l’illusion démocratique, celle qui permet à un gouvernement de se plier aux ordres d’alliés incertains ou de laboratoires douteux, et d’imposer à un peuple égaré des mesures autoritaires bien dignes du centrisme totalitaire qui pèse aujourd’hui sur le pays.


Addendum
J’ai lu ce mois-ci, à petites gorgées délicieuses, le recueil des articles que Patrick Besson a écrits ces dernières années, et qu’il publie sous le titre, emprunté à cette vieille crapule stalinienne d’Aragon, Est-ce ainsi que les hommes vivent. Je le conseille, comme contre-poison, à tous ceux qui croient penser bien. Imaginez que Besson note, l’air de rien, pp. 357-359, que l’Ukraine et les Ukrainiens n’ont jamais existé, que la Crimée a toujours été un territoire russe, et qu’aucun historien ou écrivain sérieux, de Tolstoï à Mallet & Isaac en passant par Tchekhov, n’a jamais évoqué ce pays autrement que comme province russe. Mais Besson, d’origine croate par sa mère et russe par son père, est un pro-serbe inexpugnable qui pense mal, mais qui écrit bien.
Patrick Besson, Est-ce ainsi que les hommes vivent ?, Albin Michel, janvier 2023, 475 p.

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Sous les poubelles, la plage

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Le président Macron à la télévision, 22 mars 2023 © Jacques Witt/SIPA

Jupiter est dans la sauce. Fini les illusions estivales sur le retour à la bonne vieille IVe République, au dialogue et au compromis. Les retraites, le 49-3, les feux de poubelles réchauffent de vilaines querelles, un 6 février d’extrême gauche… No PasaranLion peureux et en même temps Homme de fer-blanc, le Magicien d’Oz (pas grand-chose) de l’Elysée n’aime plus les profits de dingue, ne cherche pas à être réélu, choisit l’intérêt général, endosse l’impopularité. Il a demandé à Élisabeth Borne – E.T. du Palais Bourbon – d’élargir la majorité, « d’avoir des textes plus courts, plus clairs, pour aussi changer les choses pour nos compatriotes de manière plus tangible ». Tout va bien. Comme Pinochet il y a 50 ans, va-t-il, réquisitionner le Parc des Princes pour liquider les teigneux tagueurs de Tolbiac ? « Sans la police tout le monde tuerait tout le monde et il n’y aurait plus de guerre » (Jeanson).

La tacatacatac tactique du gendarme de St Tropez

À gauche comme Mr Bean, à droite comme un éléphant dans un magasin de porcelaine, Emmanuel Macron est le maître des horloges molles, façon Dali. Après le 18 Brumeux 2017 et 18 mois d’État de grâce jupitérien, Houdini, sur la défensive, se réinvente tous les six mois : plumitif de cahiers de doléances participatives, Clemenceau artificiel des respirateurs, Tigrou de la Culture covidée, Titeuf chez les Soviets, Embrassadeur de France… Naïvetés, arrogances, sous-estimation de l’adversaire et Diên Biên Phu aux législatives en juin. Le château est encerclé par les Tupamaros, les Chouans, les croquants, à cause d’une réforme annoncée depuis dix ans ! Chi si ferma è perduto…

La France irréelle (Berl), les politiques schizophrènes, l’affaiblissement progressif du sens du réel et des comptes publics, les guerres civiles et crises de nerfs ne datent pas d’hier. Elles sont notre marque de fabrique : du sempiternel Catch à quatre, en Eurovision. Victorieux de Cruella d’Hénin-Beaumont lors des grandes finales de 2017 et 2022, le Petit Prince du Palais Brongniart s’est étranglé tout seul. Dans les cordes, il est compté. Sa cour de Mormons a perdu l’éponge magique. A l’affut, Le Bourreau trotskyste masqué de la Canebière aimerait sauter sur le ring et achever Jupi.à.terre à pieds joints.

La gauche fait tourner les tables, implore son cortège de fantômes : 71, 36, 68, 81, 95. Mère Courrèges, Passionaria fashion des éboueurs et Ratatouille, Vestale en Dior de la Mairie de Paris, Anne Hidalgo est solidaire. Scotché comme un bulot à la façade mauro-high tech de l’IMA depuis 2013, Jack Lang préfère Smalto. L’Elysée a réussi une exceptionnelle union sacrée, convergence des buts, regroupant les syndicats, un tiers des Républicains, le Rassemblement national, la Nupes, sans oublier les pyromanes, «… des lazzaroni, pickpockets, joueurs de bonneteau, maquereaux, chiffonniers, rémouleurs, littérateurs, la masse indéterminée, dissolue, ballotée et flottante, que les Français appellent la ’bohème’ » (Marx). Dans l’attente du grand soir, sur la Brecht, les agrégé.es de Lettres ouvertes, Hussarde sur le toit sponsorisée par Lancôme, font pleurer sur l’imminente dignité des pauvres. Kolkhoze toujours… Ne secouons pas trop les cultureux ; ils sont pleins de drames.

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Filles-du-Calvaire, Malesherbes ou Saint-Martin, la comédie politique française c’est du Boulevard doublé, pour les petits malins, d’une course aux maroquins et fromages. Au théâtre ce soir, tous les cinq ans les mouches changent d’âne. En 2017, avant de se mettre En Marche, droit dans sa botte, en verve, Gerald Moralelastix Darmanin faisait le procès du bobopulisme. « Comme le caméléon, Emmanuel Macron change, se transforme sous nos yeux… : Emmanuel Macron n’aura pas de majorité, ou alors de circonstances, et cela durera ce que dure les amours de vacances. Loin d’être le remède d’un pays malade, il sera au contraire son poison définitif. Son élection, ce qu’au diable ne plaise, précipiterait la France dans l’instabilité institutionnelle et conduira à l’éclatement de notre vie politique ». Le disque politique est rayé depuis belle lurette : les postures, impostures et symphonies du Nouveau Monde n’adoucissent plus les mœurs.

Nous ne nous sommes jamais beaucoup aimés

En 1974, Scola et Sautet, mélancoliques, filmaient lenaufragedes idéalismes, des amitiés qui tanguent, une découpe de gigot dominical qui tourne au vinaigre. Francois, Vincent, Paul et les autres, Torreton, Depardieu, boudin noir, boudin blanc, nous déclinons les zizanies depuis des lustres : Armagnacs-Bourguignons ; Catholiques-Protestants ; Chouans-Républicains ; Communards-Versaillais… et aujourd’hui les nouvelles guérillas wokistes : Femme-Homme ; Racisés-Blancs ; Kouffar-Fidèles ; Cisgenres-LGBTQ+++ etc… Des guerres civiles, de tranchées, de religions, de sécessions, de 100 ans, de verbes souvent haineux… « Ainsi le traître, par la combinaison de la félonie et de la ruse, a accumulé devant lui les difficultés insolubles. Quoi qu’il advienne, il est perdu. Il finira dans l’impuissance et le mépris. C’est en vain que l’hôte de l’Élysée s’emploie à badigeonner le sépulcre ; le sépulcre blanchit exhalera toujours une odeur de conscience morte » (Jaurès à propos de Briand en 1910).Cioran disait qu’une civilisation entame sa décadence « lorsque les individus commencent à prendre conscience ; lorsqu’ils ne veulent plus être victimes des idéaux, des croyances, de la collectivité… Le drame de l’homme lucide devient le drame d’une nation » (De la France).

Peu importe le théâtre, les régimes, emblèmes, drapeau, hymnes : si l’on excepte de rares moments fugaces, victoires militaires ou sportives, historiquement, politiquement, culturellement, symboliquement la Fraternité, l’affectio societatis, la Fédération n’ont jamais été à la fête en France. Notre credo, c’est le chant des courtisans, la jalousie, les lettres anonymes, le bien commun en ordre et désordre serrés et en tranchant tout ce qui dépasse. « Chassez un chien du fauteuil du roi, il grimpe à la chaise du prédicateur » (La Bruyère).

Aujourd’hui l’assignat républicain est démonétisé. A l’étranger, le « modèle français » est un repoussoir. Nos images d’Épinal, Sainte-Geneviève, Jeanne d’Arc, Bayard, Richelieu, d’Artagnan, Danton, Clémenceau n’ont plus cours. Le pays, qui depuis Philippe-Auguste joue la carte de l’État-nation (et depuis 1789 l’assimilation, la laïcité, l’universalisme), est désemparé dans un monde en reféodalisation ; étourdi par les retours de manivelle, du religieux, du communautarisme, le tsunami libéral-libertaire-victimaire qui triomphe à l’Ouest. « Les pays qui n’ont plus de légendes sont condamnés à mourir de froid » (La Tour du Pin).

Jupiter, Idionysos, Éminerve, ont besoin de slogans : du passif, faisons table rase ! Plus juste, la France sera moins injuste ! Nous vaincrons, parce que nous sommes les plus faibles ! Remettons l’huma(in) au cœur de la politique ! Le changement, c’est marrant ! En Marche, au trot, au galop !

« Il arrive souvent dans un grand peuple qu’une sédition éclate et que l’ignoble plèbe entre en fureur. Déjà les torches volent et les pierres ; la folie fait arme de tout. Mais alors, si un homme paraît que ses services et sa piété rendent vénérable, les furieux s’arrêtent, se taisent, dressent l’oreille : sa parole maîtrise les esprits et adoucit les cœurs » (Virgile, L’Énéide).

Easy listening

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Philippe Katerine et Sophie Letourneur © Météore Films

Au risque de passer pour cuistre, rappelons que le titre du dernier Letourneur (cf. Enorme, en 2019, Les Coquillettes en 2012) est un clin d’œil blagueur, évidemment, au Viaggio in Italia du grand Rossellini, immortel chef d’œuvre millésimé 1954, avec Ingrid Bergman et George Sanders. Voyage (sans s) en Italie mettait en scène un couple de bourgeois anglais qu’un périple du côté du Vésuve mène au délitement. Beaucoup moins lyrico-tellurique, quoiqu’assez spirituel dans son genre, est ce Voyages en Italie (avec s), cinquième long métrage de l’actrice et cinéaste, co-écrit, celui-ci, avec Laetitia Goffi, et dont le mode décalé est la marque de fabrique.

Soit Sophie et Jean-Fi, un ménage bobo parisien avec enfant qui, pour échapper à la routine, cherche le point de chute où s’évader quatre jours pour pas trop cher, au soleil si possible, en laissant leur mioche à garder.  Madrid ? Rome ? Guide du Routard en poche, les voilà parti pour la Sicile, vol direct Orly-Syracuse par le low cost Transavia. Lui, gras du bide, chauve et velu de l’échine à la cheville – dans le rôle, le pape du easy-listening devenu star de cinéma, Philippe Katerine; et la Letourneur elle-même dans celui de Sophie, à qui elle prête et son prénom, et son accorte physionomie.  


L’existence est-elle vraiment aussi triviale, contingente, basique ? L’autodérision sera quoiqu’il en soit le carburant comique d’un film plus subtilement fignolé qu’il n’y paraît, exploitant le degré zéro du quotidien comme vecteur d’analyse psychosociale : jalousie éruptive du mari quand l’épouse se fait aider par un beau transalpin dans l’ascension du Stromboli; menstrues malvenues au cœur de l’escapade conjugale; soudaine entorse qui obligera le mari à porter tout du long une attelle au mollet; conciliabules improbables sur la Fiat de location, ou encore sur les désavantages d’un top-case dans le dos du passager d’un scooter; considérations sur la différence entre une paire de grolles taille 39 et une autre taille 39/5; poncifs de Monsieur, déblatérant au sujet des effets du mitage pavillonnaire sur l’écologie, et des mérites de la densification urbaine; rappel mutuel que si, si, si, le volcan « a-une-éruption-toutes-les-vingt-minutes »; célébration duelle du matelas de marque Seely pour ses qualités de confort; vannes idiotes ( « il y a un crash sur Zizijet »)… Et j’en passe.  

La platitude délibérée de ces échanges abrite naturellement un « sous-texte » gentiment caustique sur les névroses du temps long sous le même toit, les intermittences du sexe et les éventuelles vertus du changement d’air. Voilà qui ne manque pas d’esprit. Il n’en reste pas moins que Sophie Letourneur renvoie, de l’humaine condition, une image qui n’élève jamais celle-ci deux millimètres au-dessus des pâquerettes. Pour la métaphysique, on repassera.

Voyages en Italie. Film de Sophie Letourneur. Avec Sophie Letourneur et Philippe Katerine. France, 2022. Durée : 1h32. En salles le 29 mars 2023.

L’automate à la caisse

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© Unsplash

Toujours la même rengaine. Travailler deux ans de plus, sinon le système s’effondre. On connaît la chanson. On nous l’a serinée tant et tant de fois. Interdire le travail des gamins dans les mines, et le système s’écroule. Octroyer 12 jours de congés payés par an et c’est la Bérézina économique, la tiers-mondisation assurée. Réduire la journée de travail à dix ou neuf heures, faire du samedi un jour sans turbin, et le pays entier sombre dans une misère à la Zola. On a tellement entendu cette antienne, entonnée par les mêmes bouches de génération en génération, que seuls ceux qui la chantent peuvent encore faire semblant d’y croire. La chansonnette d’aujourd’hui tient en quelques mots: vous vivez plus longtemps, donc vous devez travailler plus longtemps, sinon le système des retraites capote. Ok, on vit plus longtemps qu’avant, mais pour chaque heure travaillée aujourd’hui, nous produisons aussi beaucoup plus de richesses que naguère. Combien d’heures d’usine pour sortir une auto voilà 30 ans, et combien aujourd’hui ? 

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En vérité, le libéralisme que prêchent les économistes de plateaux TV et des ministères est une hérésie, un libéralisme dévoyé, perverti d’un cynisme purement odieux. La finalité du libéralisme vrai, c’est-à-dire fondé sur une éthique, est l’homme. L’homme et sa liberté, l’homme et sa dignité notamment par la satisfaction de ses cinq besoins fondamentaux : se nourrir, se loger, se soigner, s’instruire, travailler. Tout autre chose donc que la croissance exponentielle du dividende… 

Pour ce libéralisme de la raison, ce libéralisme éclairé, ce libéralisme des Lumières, la fameuse répartition devrait se faire sur le fondement de la richesse générée et non uniquement sur le dos de celui qui la génère. Dès lors, une solution se profile, toute simple, trop simple sans doute : faire passer l’automate à la caisse. Chaque fois qu’un emploi salarié est remplacé par un automate, un logiciel, un robot, taxer – si peu que ce soit – la machine au profit des retraites. La prospérité du système serait assurée ad vitam, et accessoirement celle de ses bénéficiaires. Mieux encore, il n’est pas certain que, au bout du compte, le capital et son culte obsessionnel du dividende soient perdants. Tout au contraire : un retraité encore vaillant, pour ne pas dire jeune, financièrement mieux armé, consommerait plus longtemps puisque comme on nous le rabâche, il vit plus longtemps. (Cela soit dit en passant : c’est tout juste si nous ne devrions pas culpabiliser de ne pas avoir la bonté de crever à peine sorti du boulot, suivant en cela le douteux exemple de nos aïeux.)  En effet, l’économie de marché elle-même sortirait probablement requinquée de ce qui serait pour le coup une vraie réforme, surgie, elle, d’un authentique effort d’imagination. Une réforme de progrès, et non pas juste un aménagement d’âge. Oui, il se peut bien que finalement le capital aussi soit gagnant. Comme toujours, au fond.

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Bret Easton Ellis l’éclatant

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Bret Easton Ellis © Casey Nelson

L’enfant terrible de la littérature américaine revient avec Les Eclats (Robert Laffont). Un retour gagnant, une autofiction polyphonique.


L’auteur du best-seller American Psycho avait pourtant affirmé qu’il avait fait le tour du roman ! L’un des écrivains majeurs de sa génération, né à Los Angeles, en 1964, s’était d’emblée fait remarquer avec son premier ouvrage, Moins que zéro, publié en 1985. Treize ans après Suite(s) impériale(s), version contemporaine de Sunset Boulevard, mais en plus parano et déjanté, Bret Easton Ellis signe Les Éclats, un roman de 600 pages à vous couper le souffle. Pour un retour au roman, c’est un retour gagnant. Le cocktail est détonnant. Tous les ingrédients y sont savamment dosés. 

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Rasades de phrases sèches

Brouillage de piste avec partie autobiographique et partie fictionnelle. Une bonne dose de suspense. Une grosse pincée de sexe. On saupoudre de drogue, de benzodiazépine. Encore une fine pincée de dramaturgie avec scènes nocturnes psychédéliques. On ne sirote pas, on boit des rasades de phrases sèches, on en redemande, on saute parfois la fin de la page, on veut savoir la suite, c’est un style addictif, le temps n’existe plus, le brouhaha de l’actualité ne nous parvient plus. Le gris de la ville s’est transformé en un ciel multicolore où le mauve domine. 


On est à Venice Beach, dans le Los Angeles du début des années 80. Les Américaines chromées vrombissent dans les rues bordées de palmiers géants, on rôde au bord des piscines, la nuit est voltaïque, les filles en short et débardeur boivent trop et échangent leur verre avec facilité; c’est la vie revisitée par un Nietzsche amerloque et défoncé. Bret Easton Ellis est vraiment au mieux de sa forme. Le Je schizophrène ploie, mais jamais ne rompt. Du grand art. Rien à voir avec le petit roman familial féministe et névrotique que la production française nous sert jusqu’à la gerbe… 

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Dès l’incipit, Bret Easton Ellis nous embarque. Aveu : « Je me suis rendu compte, il y a bien des années, qu’un livre, un roman, est un rêve qui exige d’être écrit exactement comme vous tomberiez amoureux : il devient impossible de lui résister, vous ne pouvez rien y faire, vous finissez par céder et succomber, même si votre instinct vous somme de lui tourner le dos et de filer, car ce pourrait être, au bout du compte, un jeu dangereux – quelqu’un pourrait être blessé. » L’amour et l’écriture sont de même nature. Ça te prend, il faut y aller, tu n’as pas le choix. 

On n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans

L’histoire se déroule en 1981, Bret a 17 ans, il écrit Moins que zéro, et entre en terminale. Il y a Thom, Susan, Debbie, sa petite amie, et les autres. Ce sont des gosses de riches. De très riches. Ils roulent sans permis, expérimentent tout ce que leur corps permet d’expérimenter, ils n’ont aucune limite. Les censeurs du wokisme – dont se fout Bret, on le sait bien – deviendraient dingues au milieu de ces bacchanales juvéniles ininterrompues ! Arrive un nouvel élève, rayonnant comme Apollon, Robert Mallory. 

Bret Easton Ellis, sur une photo de l’annuaire de 1982 de la Buckley School de Sherman Oaks © D.R

Et là, le dysfonctionnement devient maléfique. Il pourrait être lié à un tueur en série qui terrorise Los Angeles, « The Trawler » (« Le Chalutier »). Le criminel est un psychopathe de première. Ce n’est qu’en 2020, alors qu’il est lassé d’écrire des scénarios pour le cinéma qui sont refusés, même s’ils sont grassement rémunérés, que Bret Easton Ellis comprend que l’histoire des Éclats – le titre s’est imposé à lui dès 1982 – ne pouvait être racontée que par l’homme de la pleine maturité. Il lui manquait cette capacité à décrire « cette qualité de torpeur ». « Comment aurais-je pu, écrit Bret Easton Ellis, expliquer ce sentiment amorphe à quelqu’un ? » Comment expliquer cette terrible solitude qui le raclait de l’intérieur, comme « The Trawler » raclait ses jeunes victimes ?

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Bret Easton Ellis dédie ce livre « Pour personne ». Naturellement puisque ce génial roman est dicté par l’amour de la littérature. Allez, barmaid, encore une vodka pamplemousse. Avec très peu de pamplemousse.

Bret Easton Ellis, Les Éclats, Robert Laffont, 616 pages

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« Un village français »: chef-d’œuvre presque jusqu’au bout…

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Audrey Fleurot et Robin Renucci © ROSSI/FTV

À peine ai-je écrit ce titre que je le regrette, comme si la moindre réserve pour cette exceptionnelle série qu’a été « Un village français » était choquante…


Alors qu’à la réflexion, la septième et dernière saison, surprenante, infiniment sombre, apparemment déconnectée des précédentes, est cependant d’une implacable logique par rapport à la psychologie des personnages principaux ; la déception qu’elle peut immédiatement susciter est vite battue en brèche et corrigée.

J’ai eu du retard, je le concède. Pourtant, souvent, j’ai entendu des amis, des parents, des connaissances, me vanter cette série française, mais je nourrissais un léger doute sur la capacité de nos scénaristes à réussir la chronique d’une sous-préfecture sous l’occupation. Les premiers épisodes ont été tournés à l’automne 2008 et le dernier des 72 épisodes a été diffusé le 30 novembre 2017.

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Quand en février-mars, je me suis enfin décidé à regarder « Un village français », je suis tombé délicieusement sous le joug d’une véritable addiction. J’étais la proie d’une nécessité intérieure qui m’interdisait de brûler les étapes et m’imposait au contraire de parvenir à bride abattue jusqu’à la fin.

Une empathie fictionnelle

Les scénaristes et dialoguistes sont exceptionnels. Frédéric Krivine, auteur principal et directeur d’écriture, ayant eu le rôle moteur. Je n’aurais jamais pu imaginer que, sur une période aussi trouble, aussi tragique, aussi contrastée dans les comportements humains et professionnels, si diverse dans la gamme allant des héros aux salauds en passant par la passivité, l’attente ou l’espérance des citoyens ordinaires, une telle intelligence puisse se déployer, avec une profondeur et une empathie fictionnelles donnant leur dû à chaque protagoniste, leur vérité et leur sincérité à chaque personnage.

Audrey Fleurot © Etienne Chognard

Résistants, collaborateurs, miliciens, maires, chefs d’entreprise, communistes, fascistes, représentants de l’État, tous sont mis sur le devant de la scène quotidienne et à la fois historique au fil des saisons, avec leurs évolutions, mêlant admirablement leur destin singulier à celui de la France occupée puis se libérant, avec l’infinité des grandeurs et des petitesses, des lâchetés, des prudences, des revirements, des trahisons et des héroïsmes, charriés dans cette sous-préfecture du Jura, le pays en réduction.

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La parfaite intégrité du récit est admirable, au point que personne n’est univoque, que des parcours personnels commençant dans le pire se terminent avec courage et émotion face à la mort, qu’elle soit odieusement imposée, subie à la suite d’une justice expéditive ou magnifiquement assumée. Ou l’inverse. Chacun, d’une certaine manière, dans cette histoire collective de fureur, de violence, d’arbitrages constants à opérer, de terrifiants choix à valider ou non, bénéficie de la formidable honnêteté des dialoguistes. Jamais ils ne s’abandonnent à la facilité, ils offrent à chacun une argumentation, une défense, des convictions, des raisons aux antipodes du « tout d’une pièce », n’hésitant pas à faire parler les pires, le nazi cynique et violent, le policier sans scrupules mais amoureux d’une juive, le collabo frénétique et arriviste, sur un mode qui n’en fait pas des caricatures.

Finesse et pudeur

Les miliciens ne sont pas flattés, mais décrits dans leur diversité. Comme les résistants. Les communistes sont à la fois honorés, avec un intègre et héroïque militant fusillé, et montrés sous un jour déplaisant quand le parti justifie tout et que la fin légitime les moyens les plus honteux. Le maire, longtemps, de cette sous-préfecture, Daniel Larcher (joué par Robin Renucci, formidable comme tous les acteurs de la série), personnage central, est superbement présenté : médecin dévoué, élu écartelé, époux patient, humain ayant tenté tout au long de faire le moins de mal possible.

© ANGELA ROSSI / TETRAMEDIA / FTV

Face à des résistantes courageuses, dont une qui est la fierté des hommes qui l’accompagnent et lui obéissent, deux autres femmes seront follement amoureuses d’un ennemi, l’une du chef de la police allemande et l’autre d’un jeune soldat doux et musicien dont le souvenir ne s’effacera jamais en elle.

Cette prodigieuse intelligence qui irrigue tous les épisodes n’est absolument pas contradictoire avec la finesse et la pudeur, qui ne sont elles-mêmes pas contradictoires avec la terreur que l’on éprouve devant la chasse aux juifs du village, avec des allusions à Drancy et à Birkenau…

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Cette série est un antidote exemplaire à tous les simplismes rétrospectifs et à tous les audacieux en chambre.

Je conçois qu’il y a quelque chose de naïf à découvrir ainsi si tardivement une série dont on a tellement parlé à l’époque. Mais peu importe. Je pourrais continuer ainsi à justifier mon enthousiasme qui est d’autant plus intense que je n’ai jamais été conduit à le dilapider en général pour les fictions françaises.

Je ne souhaite pas narrer dans le détail le fil de ces séquences ayant empli ces 72 épisodes, ne voulant pas les déflorer mais je voudrais tout de même rendre hommage à cette humanité implacable, sombre ou glorieuse, étriquée ou épique, courageuse, exaltée ou responsable, ordinaire ou engagée, qui m’a accompagné durant des semaines et que j’ai suivie pas à pas.

Daniel, Marcel, Suzanne, Jean, Hortense, Heinrich, Kurt, Antoine, Marie, Anselme, Lucienne, Jules, Raymond, Gustave, Edmond, Henri, Jeannine, Marguerite… et quelques autres… Je ne vous oublierai pas.

En replay sur Salto.

La gauche totalitaire

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Des pompiers contrôlant les restes d'une poubelle en feu à Paris, le 24 mars 2023 © Thomas Padilla/AP/SIPA

À y regarder de près, ces manifestations n’ont presque rien à voir, désormais, avec la réforme des retraites: elles ne sont plus que des actions contre – émaillées d’une brutalité de «fachos». Analyse.


« Il y a des folies qui se prennent comme les maladies contagieuses », écrivait La Rochefoucauld. Qu’eût-il pensé des manifestations actuelles, où la folie générale, inoculée par une extrême-gauche qui fait penser, au mieux, à la Commune de Paris de 1789, au pire, au fascisme italien – mais l’un et l’autre ont peut-être moins d’antinomie qu’on ne l’admet communément –, semble s’être emparée de l’esprit de beaucoup de contestataires ?

À voir, depuis maintenant plusieurs jours et presque chaque soir, les images apocalyptiques des rues de Paris, où, entre deux monceaux d’ordures, des militants radicalisés agressent des policiers cependant que leurs amis casseurs s’en prennent gratuitement au mobilier urbain, on se dit qu’il est loin le temps de la Manif Pour Tous, où près d’un million de personnes défilaient pacifiquement dans la capitale pour faire entendre leurs voix à un président dur d’oreille. L’opposition qui a l’esprit démocratique, celle qui n’est pas totalitaire, celle qui réfléchit parce qu’elle a lu des livres, et qui se veut force de propositions, est devenue marginale: elle a été remplacée par cet extrémisme de comptoir que l’on retrouve d’habitude aux marges, porté par des individus violents à la pensée violente, qui, par frustration d’enfant gâté à qui l’on n’a jamais rien refusé, ne rêvent que de la dictature du parti unique. Loin de vouloir débattre et discuter – ignorants –, ils préfèrent tout détruire pour tout obtenir.

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« Lorsque notre haine est trop vive, écrivait encore La Rochefoucauld dans ses Maximes, elle nous met au-dessous de ceux que nous haïssons. » L’extrême-gauche qui inspire les manifestations en cours, et n’agit que par haine, ferait presque passer le président de la République pour un garant de l’ordre, sage et modéré – alors même que les chiffres de la délinquance et de la criminalité pour l’année 2022 sont ceux d’un pays en guerre civile.

La violence est l’échec du langage

À y regarder de près, ces manifestations n’ont presque rien à voir, désormais, avec la réforme des retraites : elles ne sont plus que des actions contre –émaillées d’une brutalité de fachos, de cette brutalité vulgaire qui, sans nuances, menace de mort tous ceux dont la pensée diffère, de cette brutalité malsaine et indigne, qui ne s’en prend plus aux idées, mais aux individus. Honte aux députés de la France Insoumise qui se livrent à toutes les outrances verbales et physiques, qui se moquent des permanences dégradées des élus Républicains, ou qui justifient les coupures d’électricité ciblées contre des locaux des représentants de la nation ! Qu’eussent-ils pensé, si ces mêmes actions avaient été menées par des groupuscules d’extrême-droite ? – exactement ce qu’il faut en penser, n’en doutons pas : que ce sont des méthodes de fascistes.

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Cette gauche qui se dit populaire, pleine d’accointances avec les mouvements antifas, et qui a quelque chose de totalitaire, a toujours existé : c’est déjà en 1789 la Commune de Paris, scellée par le sang des décapitations du 14 juillet, cet organe monstrueux où siègent les grands démocrates Marat et Robespierre, dévoué à la sans-culotterie la plus violente, et qui sera à l’origine non seulement du Tribunal révolutionnaire, mais encore de toutes les grandes journées insurrectionnelles, pour ne pas dire criminelles – le 10 août 1792, les massacres de Septembre, ou l’arrestation honteuse des députés Girondins (31 mai – 2 juin 1793). Faire taire l’opposition est moins pénible que d’avoir à l’écouter : la violence est l’échec du langage – c’est bien pourquoi l’extrême-gauche actuelle, prétendument républicaine, est aussi celle qui célèbre bien plus volontiers l’histoire des communes que celle des assemblées.

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Cette gauche-là, celle héritée de Marat, de Robespierre et de Danton, n’a pas peur du sang : et elle n’aime pas tellement l’opposition. C’est qu’elle a la « Raison » pour elle : et qui va contre la « Raison » conspire, à ses yeux paranoïaques, contre le Beau, le Vrai, le Bien – et mérite par conséquent la guillotine. Cette gauche-là, aujourd’hui, c’est celle qui s’en prend verbalement et physiquement à une police qui, loin d’être « SS » comme elle le crie sans relâche et sans recul depuis 1968, est au contraire pieds et poings liés à force d’être victime de sa propre hiérarchie dès qu’elle procède à la moindre arrestation violente – mais c’est un pléonasme ! ; c’est celle qui profite des cortèges de manifestants pour lyncher des coupables, et tout détruire, quand elle ne tague pas des injures sur les monuments publics, par un reste de haine un peu vaine, de cette haine de désœuvré qui n’a que des rancœurs, parce qu’elle n’a pas d’esprit ; c’est celle qui brise les vitrines des restaurants où les candidats républicains – ne leur en déplaisent –, qui ne pensent pas comme eux, s’arrêtent pour déjeuner pendant une campagne présidentielle ; c’est celle qui commet allègrement des violences contre les partis dits d’extrême-droite, et fait tout ce qui est en son pouvoir pour empêcher les meetings, et briser la parole – agressions de militants, chantages, menaces, intimidations, comme au rassemblement de Villepinte lors de la dernière campagne, où c’est pourtant le candidat Zemmour qui est passé, dans le cirque médiatique, pour un agitateur de violences ! En bref, cette gauche-là, c’est celle qui déploie un véritable arsenal d’idéologie totalitaire pour mener son combat politique.

Une dernière citation du moraliste, pour conclure : « le ridicule déshonore plus que le déshonneur ». À force de se ridiculiser en chantant de concert avec les factieux, la gauche française se déshonore – elle qui ne plaçait déjà pas bien haut le sens de l’honneur. Sa haine des prétendus fascistes, qui n’existent que dans l’histoire et dans son imagination, est bien basse, et tient du désir mimétique : car n’est-elle pas, de plus en plus, en concurrence avec les idéologies totalitaires ? Chacun jugera.

Centre de formatage

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Rentrée des classes dans une école élémentaire de Bordeaux, 1er septembre 2022 © Ugo Amez/SIPA

L’école n’est plus un temple clos dédié à l’instruction. C’est même tout l’inverse. Ouverte aux quatre vents de la propagande woke, islamique, immigrationniste et pédagogiste, elle se contente de formater les cervelles des futurs citoyens. On peut résister, mais ce n’est pas simple.


Ministère de la Rééducation nationale. C’est ainsi qu’on devrait baptiser désormais l’institution chargée des jeunes esprits. Le glissement de l’Instruction publique à l’Éducation nationale était déjà suspect : instruire ne suffirait pas, il faudrait donc éduquer – tâche normalement dévolue aux parents. On peut considérer bien sûr qu’une instruction solide fait partie de toute éducation digne de ce nom, mais l’éducation déborde ce cadre de l’instruction dans la mesure où elle suppose des choix, des orientations. Toutes les familles n’éduquent pas de la même façon et ne transmettent pas les mêmes principes et valeurs. Que les écoles se mêlent d’éducation semble contrevenir à l’objectivité que garantit globalement la stricte transmission du savoir. Cette mission première n’échappe pas, évidemment, à la définition de priorités dans les programmes – qu’est-ce qui mérite d’être enseigné ? – ni à la possible partialité de tel ou tel professeur dans son approche, mais enfin, sur le papier, instruire devrait prémunir contre la tentation éducative.

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Qu’en est-il aujourd’hui des finalités de l’école ? Il semble bien que l’instruction soit oubliée au profit de la seule éducation, entendue comme un dressage idéologique depuis les plus petites classes. Qui oserait prétendre que les savoirs sont encore transmis, au vu du massacre de la langue perpétré par la plupart des élèves, de la méconnaissance quasi totale de l’histoire de leur propre pays, de leur inaptitude dans les opérations mathématiques les plus simples et le calcul mental ? La priorité n’est plus là, même si les programmes peuvent faire illusion : en ce qui concerne les lettres, l’étude des textes demeure, mais comment pénétrer les subtilités d’une langue littéraire lorsqu’on est incapable d’identifier un subjonctif ou de distinguer entre futur et conditionnel ? L’exercice de la dissertation perdure, mais comment développer une pensée quand on ne maîtrise ni le lexique ni la syntaxe ? On continue de faire croire que les exigences sont là alors même que le niveau général les rend de facto hors de portée.

Inclusion plutôt que révision

On sacrifie l’instruction depuis des décennies, et peu de gens, hormis quelques naïfs, y compris parmi les enseignants, sont dupes de ce qu’est devenue l’école : une sphère soumise à l’idéologie, c’est-à-dire à la doxa autoproclamée progressiste des élites politiques et médiatiques, bien loin de sa vocation première de transmission du savoir. S’il y a pourtant un lieu qui doit résister à l’air du temps, c’est bien l’école : on devrait n’y entrer qu’en se déchargeant d’un présent parasitaire et cesser dès le seuil de la classe d’être un individu pour devenir un élève. C’est même précisément ce délestage qui laissera le champ libre à la formation d’une culture et d’une pensée, seule condition d’un réel accès au monde et à soi-même. Les élèves subissent un matraquage permanent et entendent plus souvent parler de parité entre hommes et femmes, de gestes éco-responsables et d’antiracisme que de l’accord du participe passé. L’idéologie n’avance même pas masquée, l’orientation « morale et civique » est clairement affichée dans des cours dédiés, qui amènent les élèves à faire des recherches et à intervenir oralement sur ces sujets de société ; ce qui est beaucoup plus insidieux, c’est que cette même idéologie – paritaire, diversitaire, antiraciste et climatique, pour faire bref – infuse un peu partout. On la retrouve dans les manuels de littérature où on insiste sur les femmes écrivains (oups, écrivaines) et le peu de place que les hommes leur ont laissé, dans la sélection des œuvres en classe de Première, où l’on impose des textes parfois médiocres, mais écrits par des femmes (Colette est légitime ici, c’est une belle plume, mais que vient faire dans le programme 2024 la poésie bas de gamme de la Québécoise Hélène Dorion ?). Les livres d’anglais ne sont pas en reste : plutôt que de proposer de grands textes du patrimoine, ils font la part belle à une vision de l’actualité sans nuance. En histoire, on pointe le passé peu glorieux d’une France principalement réduite à ses pages esclavagistes ou colonialistes, et on inculque l’idée que le pays, de toute éternité, est une terre d’immigration enrichie par la diversité. Ben voyons. Les sciences dures échappent plus facilement à l’emprise idéologique, par la nature même des contenus, mais on a déjà vu l’enseignement mathématique contesté outre-Atlantique comme étant l’expression d’une suprématie blanche…

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Certains professeurs sont parfaitement en phase avec ces orientations et cette absence de neutralité ; leur discours sur la France, le sort qu’elle réserve aux femmes, les discriminations qu’elle érige en système, ferait passer l’Afghanistan pour un pays où il fait bon vivre. Un collègue professeur d’histoire a soutenu devant une classe que le racisme anti-blanc n’existe pas, puisque dans sa logique, seul le « racisé » peut être une victime. Il faut baigner dans l’idéologie pour à ce point ne pas voir le réel.

La mort du pluralisme

Un petit tour au CDI de mon lycée (les bibliothèques sont devenues depuis la mort de la littérature des centres de documentation et d’information) me semble édifiant : on a le sentiment de pénétrer dans l’antre du wokisme, tant sont nombreux les ouvrages exposés sur des présentoirs qui, essais, romans ou bandes dessinées, prônent la théorie du genre et la fluidité sexuelle, ou encore un féminisme de combat qui prétend déconstruire un patriarcat largement fantasmé. Les classiques, il faut aller les chercher sur des rayons où ils croupissent à l’abri des regards. On voit où sont les priorités. Sur le mur consacré aux périodiques, on trouve des journaux et magazines à l’orientation univoque. Libé, L’Obs, Télérama, Le Monde figurent en bonne place. Aucune publication suspecte et nauséabonde dans cette officine de propagande. La gauche parle à la gauche, et les vaches progressistes sont bien gardées. C’est le pluralisme tel qu’il est vu par France Inter ou Rima Abdul-Malak. On ne prend pas le risque de laisser s’insinuer dans les esprits le germe d’une vision discordante. Le camp du Bien les prend en charge sans possibilité de déviance, parce qu’il croit incarner la seule vérité admissible.

La propagande est partout. En témoigne cet épisode en début d’année scolaire : lors de la remise des manuels aux élèves, il m’ a été demandé de leur distribuer une plaquette sur le consentement intitulée « Violentomètre », censée permettre aux garçons d’évaluer sur une échelle graduée, du compliment à la torgnole, la nature potentiellement problématique de leur comportement avec les filles, et aux filles de ne pas tout accepter des garçons. Sous-texte : seuls les hommes sont violents ou pervers. Cette plaquette, déjà aperçue un jour dans la rue sur un stand militant, est conjointement financée par la Ville de Paris, la région Auvergne-Rhône-Alpes, des associations subventionnées comme En avant toute(s) ou Solidarité Femmes, autrement dit par nos impôts. J’ai refusé de distribuer la chose, je ne m’appelle pas Caroline de Haas.

Élevage intensif d’une génération islamo-bobo-gaucho

Comment les élèves reçoivent-ils un tel matraquage ? Les miens, pour la plupart issus de la classe moyenne et de la périphérie urbaine, résistent un peu au formatage ; ils me paraissent moins contaminés que les enfants bobos du centre-ville, soucieux de paraître ouverts et cools jusque dans l’affichage de leurs convictions. Mes élèves ont, me semble-t-il, une certaine conscience de la manipulation dont ils sont l’objet, mais cette école les a justement privés des moyens intellectuels qui leur permettraient de verbaliser et de formaliser leurs doutes et le début d’une résistance ; ils sont pour la plupart résignés, ils subissent. Malgré tout, la propagande laisse des traces. Quelques exemples récents : alors que je rappelle que les fondements de notre civilisation sont gréco-romains et chrétiens, que nous devons nos façons d’être et de penser à ces trois cultures, un élève rajoute « aux Arabes aussi ». Je lui explique qu’il y a toujours eu des interactions entre civilisations, surtout par le commerce et la conquête, mais que l’essence de la culture européenne n’est ni arabe ni islamique (malgré l’expérience Al-Andalus sur le sol espagnol). Son intervention est le signe d’un catéchisme bien appris, révisionniste et relativiste, qui amène à considérer l’immigration musulmane en Europe comme allant de soi. Un autre jour, je demande à mes élèves quels sont les principaux combats de Victor Hugo, j’ai massivement droit à la « lutte-contre-le-racisme-et-la-xénophobie ». Bah oui, comme ils ont vaguement conscience qu’il est du côté des gentils, il a bien dû dénoncer les discriminations, et au diable les anachronismes. En classe de Première, dans un devoir sur le théâtre au XVIIème siècle, je découvre que le respect des bienséances impose de ne tenir aucun propos haineux ou incitant à la haine (sic). La soupe antiraciste actuelle a été tellement ingérée qu’elle est recrachée à tout propos.

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La nomination de Pap Ndiaye à la tête du ministère s’inscrit dans la ligne de ce que Bock-Côté appelle justement « le parti diversitaire », dont les obsessions dévoient le sens de l’institution scolaire : il est avant tout soucieux, malgré quelques molles déclarations sur les apprentissages fondamentaux, de promouvoir dans les programmes la lutte contre le racisme, poursuivant en cela le profond travail d’ignorance et de décérébrage dont l’école – ô paradoxe – est devenue le centre.

L’instruction n’est plus le cœur du réacteur. Et si l’on ajoute à l’emprise progressiste, qui remplace l’apprentissage par le formatage, les délires pédagogistes instituant l’élève en architecte de son propre « savoir », la mainmise de l’informatique, dont l’extension ludo-éducative supprime jusqu’à l’idée d’effort et de concentration, ainsi que l’idéologie islamiste qui conteste certains contenus d’enseignement, on se dit que la figure du professeur et la transmission sont décidément mal barrées.

Le sens de l’histoire

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Le Mans, 21 mars 2023 © GILE Michel/SIPA

La neuvième journée d’action contre les retraites confirme que le peuple français demeure merveilleusement rebelle. Jérôme Leroy salue ici son courage.


Et soudain, dans le cortège lillois, au moment où il est arrêté par un premier mur de lacrymogènes et des feux de poubelles, cette pancarte en carton, brandie par une étudiante: « Le sens de l’histoire ».
C’est tout.
Et c’est assez. Assez pour résumer ce qui se joue en ce 23 mars pour cette neuvième manifestation.

D.R.

Pour paraphraser le regretté Frédéric Fajardie, dans un de ses meilleurs romans, Jeunes femmes rouges toujours plus belles, la jeune hégélienne est toujours plus belle, qui nous rappelle que ce qui cherche à se réaliser dans l’histoire, c’est la Raison. Et que la Raison est évidemment dans les cortèges partout en France, qui veulent une société où ce n’est pas l’homme qui est au service de l’économie mais l’économie qui est au service de l’homme, comme a pu aussi le rappeler le Pape François dans un colloque à Assise en septembre.

Il n’y a aucune raison rationnelle à travailler plus, il y aurait même une sorte de folie à le faire, écologique, sociale, humaine. Tous les arguments exténués qui ont été sortis par les pitoyables porte-cotons de la très incertaine majorité présidentielle et relayés par les nouveaux valets 2.0 que sont les journalistes spécialisés en économie des chaines infos se heurtent à cette évidence : le peuple descend toujours et encore dans la rue, c’est lui qui fait l’histoire, sous nos yeux rougis par les gaz.

Ce coup-ci, les vieux manifestants pacifiques comme votre serviteur ont senti que ce serait un peu plus tendu que précédemment et ont apporté les ampoules de sérum physiologique et les FFP2  pour pouvoir continuer à marcher sur certaines portions du parcours.

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Que vont-ils ressasser, ce soir à la télé, ces inlassables écholaliques, ces psittacistes hallucinés : que l’espérance de vie augmente et justifier ainsi de travailler plus ? Que des « équilibres budgétaires » sont nécessaires même s’ils se font dans l’unique intérêt du capital et jamais du travail, des premiers de cordée et jamais des salariés à qui on ordonne, à l’occasion, de payer pour sauver les banques qui spéculent comme au casino ? Que la réforme est de gauche comme l’a osé le très orwellien Dussopt pour qui sans doute, la liberté, c’est l’esclavage ?

Toutes ces redites ne sont plus d’aucun effet sur cette foule qui est, l’étudiante a raison, dans le sens de l’histoire. Seul le  zombie de l’Elysée, qui est mort et qui ne le sait pas, qui la prochaine fois qu’il s’adressera aux Français, choisira sans doute France Bleu Mayenne à 3 heures du matin pour aller jusqu’au bout du déphasage, y croit encore.

Tous les paris sur la résignation et sur la peur faits par ceux qui, pour reprendre la chanson des Canuts d’Aristide Bruant, sont « le linceul du vieux monde » ont manifestement échoué. Comment ne pas se sentir, à ce moment, par ce printemps frisquet, fier de ce peuple qui persiste à dire non alors qu’on aura tour à tour fait preuve avec lui de « pédagogie » – quel mot méprisant en politique – et d’intimidation, qu’on lui aura imposé un projet sans vote effectif de ses représentants en utilisant tous les recoins d’une Constitution dénaturée et qui, à rebours de toutes les prévisions, a au contraire accentué sa mobilisation.

Bien sûr, quand on montre la lune à l’imbécile, il regarde le doigt, ou plutôt, on voudrait qu’il regarde le doigt : scènes de violences, d’incendies, de guérilla urbaine. À la longue, une fraction de la jeunesse a fait le choix de la violence réelle, malgré la sagesse de l’intersyndicale, la maturité politique et médiatique des deux anciens frères ennemis Martinez et Berger, contre la violence symbolique et insultante du pouvoir qui a culminé avec le 49-3 et la dernière intervention de l’élu par défaut.

Je prends les paris que dans les jours qui viennent, les journalistes de plateau répèteront, comme les flics qu’ils sont, la même question  aux syndicalistes et aux élus de gauche : « Est-ce que vous condamnez les violences ? » Évidemment qu’ils les condamneront, car elles sont condamnables mais il leur faudra aussi, inlassablement, retourner la question aux auxiliaires de police télégéniques: « Et vous, est-ce que vous condamnez la violence du pouvoir, ce que Pasolini appelait l’anarchisme du pouvoir quand celui-ci se croit sans limite ? Est-ce que vous condamnez Macron et son monde ? » Mais peu importe qu’ils répondent ou non, mardi 28 mars, ça recommencera.  Et je sais déjà que la jeune hégélienne sera là, dans « le sens de l’histoire ».

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Trop c’est trop!

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© Tim Rooke/Shutterstock/SIPA

Un billet d’humeur de Sophie de Menthon.


D’accord, la réforme des retraites a été mal foutue avec des erreurs de chiffrages, des porte-parole incompétents, des incongruités, des injustices comme partout… Mais oui : il faut travailler plus, parce qu’il faut bien augmenter la masse de travail que nous fournissons (pour payer, entre autres, ces retraites dont tout le monde rêve…), et augmenter la richesse du pays pour alimenter le coût gargantuesque de l’administration ! 

On commence à s’indigner à 18 ans pour certains, on a même un nouveau héros lycéen des plateaux TV de 12 ans, notre « Greta » à nous  – dont les parents ne doivent pas beaucoup aimer bosser.

Oui: tous les pays d’Europe travaillent plus longtemps que nous, oui, on va vivre de plus en plus longtemps… Anne Hidalgo, notre « héroïne » parisienne à tous, inspectrice du travail (la pénibilité, n’était-elle pas pour ceux qu’elle contrôlait ?), est partie à la retraite à 51 ans. Cela lui a permis une deuxième carrière d’élevage de surmulots (elle a aujourd’hui 63 ans).

Superprofits pour super retraites

Nous avons enfin agi sur les régimes spéciaux des futurs entrants de la RATP, de l’EDF, d’Engie, de la Banque de France, des clercs de notaires. Nous avons réformé les régimes spéciaux, mais pas pour tout de suite bien sûr, c’est pour les suivants ! Le comble, c’est que beaucoup de ceux qui manifestent, nous bloquent et nous polluent, ne sont donc pas concernés par l’avancée de l’âge de leur retraite. Pire, ceux qui manifestent aussi contre le capitalisme et les superprofits (ça va avec), et qui bénéficient de régimes spéciaux, sont les seuls à avoir une retraite financée… par la capitalisation. Et que contiennent ces fonds de capitalisation maudits ? eh bien des investissements dans les fameuses entreprises qui font des surprofits et donc qui versent des dividendes ! C’est ce qui s’appelle mordre la main qui vous nourrit.

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Alors il fallait la faire cette réforme, même si ce n’est pas le moment (c’est quand le moment ?) Il fallait l’expliquer bien mieux, mais pour cela il eut fallu aussi que les Français et leurs élus peureux ou économiquement incompétents ne soient pas réfractaires à l’économie de marché. Il fallait aussi qu’Emmanuel Macron ne soit pas si mauvais communicant ! qu’il ait l’air populaire. Comme Giscard ? (mais n’était-il pas lui aussi un peu hautain, Giscard ?). Ou comme de Gaulle ? (mais n’était-il pas lui aussi un peu méprisant, de Gaulle ?) Il aurait fallu que le président reçoive toujours les mêmes syndicalistes, toujours en désaccord, qui veulent tous le retrait de l’âge limite ? Ils auraient descendu le même perron de l’Élysée, en répétant la même rengaine: « On n’a pas été écoutés »… En tous les cas, on les entend !

Les télévisions toutes contre la réforme

C’est devenu insupportable de voir le déchaînement des médias qui avaient commencé à flinguer le discours du président trois jours avant qu’il ne parle. C’est devenu insupportable de ne voir que des opposants, ou presque, invités sur les plateaux, qui déversent haines et contre-vérités économiques. Tout y passe, les salauds de riches qui s’augmentent, la Bourse qui va bien, le CAC 40 florissant, le Nutella qui augmente, l’inflation des radis et des prix de l’énergie ! Les Insoumis tiennent leur rôle, Mélenchon prépare une énième présidentielle. On envisage le pire, ce qui réjouit tout le monde, surtout les caméras « sur place » et les micro-trottoirs. On a même sérieusement entendu parler de totalitarisme anticonstitutionnel pour le 49-3, alors que justement le 49-3 est dans la Constitution. Précisément, on a un recours déposé devant le Conseil constitutionnel: à peu près personne n’est capable de vous expliquer ce que le Conseil constitutionnel vient faire dans cette loi de financement de la Sécurité Sociale, mais Laurent Fabius, lui, doit bien le savoir… Va-t-il vouloir embêter Macron au maximum, ou juste retoquer quelques dispositions ? Ça dépend s’il veut plus tard être élevé plus haut dans l’Ordre de la légion d’honneur, peut-être…

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On arrive à en oublier les retraites. D’ailleurs, quand vous interrogez les gens normaux, dans la rue ou au bistro, sans micro, ils sont « résignés ». Autrement dit, ils s’en fichent un peu et en fait comprennent plutôt bien qu’il faille bosser plus. Alors, il faut que les médias et les opposants fassent attention, parce qu’ils vont finir par rendre Macron sympathique : trop c’est trop !

La honte

Mais on n’avait encore rien vu, la coupe est pleine, le roi Dagobert est contraint de mettre sa culotte à l’envers. Le roi Charles III reporte sa visite officielle. La honte ! Que l’absence de savoir-vivre des Français fasse craindre pour la sécurité de notre hôte et que Buckingham Palace la sente menacée, c’est insupportable.

(Br)Exit donc pour sa première visite officielle en France. Non seulement nous guillotinons nos rois, mais voilà que désormais nous écartons les autres à coup de poubelles renversées ! De surcroît, nos gauchistes révolutionnaires auraient mobilisé tous les médias autour du faste inévitable, qu’on nous aurait présenté comme payé avec la retraite des Français… Et ne nous y trompons pas, nous sommes déçus, quoiqu’on en dise, de ne pas voir le diadème de la reine consort dimanche, de ne pas voir la robe haute couture LVMH de notre Première dame, de ne pas pouvoir comparer la révérence de Brigitte avec celle de Carla Bruni, de ne pas voir la table magnifique etc.

Un dernier grand regret: le roi Charles III étant un Vert dans l’âme, pour peu, nos écolos l’auraient acclamé ! Et c’eût été un conte de fées, dans un cauchemar de poubelles menacées par les fameux « auxiliaires de gestion de déchets » (en anglais: « rat ») ! 

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Le chœur des pleureuses démocrates

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Docks de Marseille, 22 mars 2023 © Daniel Cole/AP/SIPA

L’usage du 49-3 ne scandalise pas notre chroniqueur, qui n’a jamais pensé un instant que nous vivions en démocratie. De là à accuser le gouvernement d’Elisabeth Borne et Emmanuel Macron de verser dans le fascisme, il y a une marge, dit-il. Et les manifestants devraient avoir un objectif plus consistant que la simple abolition d’une loi (déjà votée) ou le recours à un référendum (qui ne se fera pas): et si on se souciait de rétablir la République?


Frédéric Magellan, dans Causeur, a parfaitement résumé les derniers développements législatifs : « Le 49-3, écrit-il, est devenu ces dernières décennies le symbole de la « monarchie présidentielle »… » Son historique de notre Vème République est tout à fait précieux et remet les idées en place : c’est dans l’urgence de la guerre d’Algérie et d’une IVème République « à bout de souffle », minée par les excès du parlementarisme que De Gaulle s’est concocté une Constitution qui lui allait comme un gant : des habits démocratiques pour un Etat organisé autour de sa personne et de sa volonté. Plutôt que de rétablir la monarchie, Mongénéral s’est établi en monarque.

Évidemment, dès que les successeurs diminuent de taille, l’habit fait pour le Grand Charles se révèle trop ample, il flotte autour des politiciens de seconde zone que les Français ont portés au pouvoir depuis le début des années 1970. D’où les accusations, de plus en plus véhémentes, visant à qualifier de dictateurs en herbe les présidents successifs: Giscard par excès de mépris, Mitterrand par excès de cynisme, Chirac par excès de fainéantise, Sarkozy par excès de précipitation, Hollande par excès de poids et Macron par excès de narcissisme, comme dit l’excellent Jérôme Leroy.

La démocratie, ce n’est pas forcément la chienlit

Je suggère à ceux qui traitent de dictateur en herbe l’actuel chef de l’État d’aller voir à quoi ressemblent de vraies dictatures, dans le passé comme dans le présent.

Le président Macron sur TF1 et France 2, 22 mars 2023 © Jacques Witt/SIPA

Je leur suggère aussi d’étudier sérieusement ce que furent les grandes démocraties. Athènes au Vème siècle, quand n’importe quel dirigeant pouvait être banni de la cité par vote direct — et qu’Aristide, le grand rival de Thémistocle, menacé d’un tel vote en 483 av. JC, avait trouvé en lui assez de vertu pour écrire son propre nom sur l’ostrakon que lui tendait un citoyen analphabète, et qui ne le connaissait pas.

Ou Rome pendant deux ou trois cents ans. Et encore la République romaine avait-elle régulièrement recours au service d’un « dictateur » en période de crise: la démocratie s’y est éteinte avec l’élimination des Gracques, entre 133 et 121 av. JC.

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Et c’est tout: la démocratie ne peut exister que dans des espaces géographiques très restreints, favorables à l’expression directe et au vote à main levée. Elle est le système politique de l’agora ou du forum. Quand un État prend une certaine expansion, quand on est obligé de passer par des élus qui ne représentent le plus souvent qu’eux-mêmes et votent des lois iniques sur l’âge de la retraite quand eux-mêmes ne craignent rien à ce niveau, on n’est plus en démocratie. Inutile de verser des larmes. Le mot démocratie est une écharpe dont se sont parés des hommes politiques de tous bords qui se souciaient avant tout de leur destin personnel.

Allons jusqu’au bout de l’ignominie et de l’hypocrisie. Les États-Unis ont fait un million de morts en Irak, 50 000 de plus en Afghanistan, sous prétexte de frotter des dictatures avec un peu de démocratie. On voit le résultat. Les États occidentaux prétendent donner des leçons à la Chine, qui ne s’en émeut guère et fricote tranquillement avec le Kremlin. Les Fils du Ciel, comme ils disent, savent depuis lurette que la démocratie ne s’applique pas à un territoire de presque 10 millions de km2, peuplé de 1,4 milliards d’hommes. Tout comme Poutine n’a jamais pensé la Russie (17 millions de km2 et 146 millions d’habitants) comme une démocratie. Si le fait que Xi Jinping et l’inamovible Vladimir — pour ne pas parler d’Erdogan — ont été régulièrement élus nous fait rire, c’est justement parce que la démocratie n’est qu’une enveloppe vide.

Là-bas comme ici. La France s’offre des taux d’abstention magistraux: quelle est la légitimité d’un président élu par 58% de 70% de votants ? Et nous prétendons donner des leçons aux autres ?  

La République ne se résume pas à l’étiquette qui figure sur la Constitution. La France fut une république fugacement, de 1792 à 1795, et très brièvement en 1848-1850. Fin de l’histoire des Républiques. Depuis, on a surchargé « république » avec « démocratie » — un peu comme les hommes infidèles offrent des fleurs à leur épouse au sortir des bras de leur maîtresse.

Ce ne fut pas la seule surcharge. « Participative », « régionalisée », « européaniste » (on a vu avec le retournement par le Congrès du vote populaire sur la Constitution européenne en 2005 ce que signifiait « démocratie » pour ces gens-là) sont autant de sobriquets accolés à « république » afin de vider le mot de son sens par surcharge cognitive, et de continuer à faire des affaires.

C’est un phénomène courant, on fait la même chose avec « laïcité », désormais « ouverte », comme les cuisses du même nom, afin que tous les particularismes religieux s’y engouffrent, pile et face.

Restaurer une sainte crainte

Il faut revenir à la république vraie — qui n’est pas la démocratie. La Convention, entre 1792 et 1795, avait 795 députés (sauf ceux à qui on coupa la tête au fur et à mesure qu’ils s’éloignaient des mœurs républicaines), et c’est bien suffisant. Et ces députés devaient des comptes à ceux qui les avaient élus. Sur leur vie. Aujourd’hui, ils geignent quand on caillasse leurs permanences. Ils se votent régulièrement des lois spéciales qui leur permettent d’échapper au courroux du peuple. Le président de la République se lance dans des distinctions byzantines entre le peuple et la foule: on voit qu’il ne craint pas pour sa tête.

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C’est que nous sommes en démocratie, pas en république. C’est la République qui a coupé la tête de Louis XVI, et exécuté les prêtres réfractaires. Seule une république vraie peut restaurer chez les élus et chez les fanatiques de tout poil une sainte crainte — et s’il faut passer par une révolution pour y arriver, pourquoi pas ? Une révolution n’est point un dîner de gala, elle ne s’accomplit pas dans le raffinement, l’aisance et l’élégance, avec douceur, calme, respect, modestie et déférence (oui, c’est une citation…). Et s’il faut en passer par l’émeute pour disqualifier les représentants du peuple, n’en déplaise au président de la République qui a fustigé le procédé

Mais je ne suis pas sanguinaire. Je suggère d’enrôler les élus défaillants pour repiquer le riz en Camargue jusqu’à 64 ans.

Nous sommes allés au bout de l’illusion démocratique, celle qui permet à un gouvernement de se plier aux ordres d’alliés incertains ou de laboratoires douteux, et d’imposer à un peuple égaré des mesures autoritaires bien dignes du centrisme totalitaire qui pèse aujourd’hui sur le pays.


Addendum
J’ai lu ce mois-ci, à petites gorgées délicieuses, le recueil des articles que Patrick Besson a écrits ces dernières années, et qu’il publie sous le titre, emprunté à cette vieille crapule stalinienne d’Aragon, Est-ce ainsi que les hommes vivent. Je le conseille, comme contre-poison, à tous ceux qui croient penser bien. Imaginez que Besson note, l’air de rien, pp. 357-359, que l’Ukraine et les Ukrainiens n’ont jamais existé, que la Crimée a toujours été un territoire russe, et qu’aucun historien ou écrivain sérieux, de Tolstoï à Mallet & Isaac en passant par Tchekhov, n’a jamais évoqué ce pays autrement que comme province russe. Mais Besson, d’origine croate par sa mère et russe par son père, est un pro-serbe inexpugnable qui pense mal, mais qui écrit bien.
Patrick Besson, Est-ce ainsi que les hommes vivent ?, Albin Michel, janvier 2023, 475 p.

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