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Sous les poubelles, la plage

«L’imperator si lent lève l’avis odieux / L’impair a tort s’il enlève la vie aux dieux»


Sous les poubelles, la plage
Le président Macron à la télévision, 22 mars 2023 © Jacques Witt/SIPA

Jupiter est dans la sauce. Fini les illusions estivales sur le retour à la bonne vieille IVe République, au dialogue et au compromis. Les retraites, le 49-3, les feux de poubelles réchauffent de vilaines querelles, un 6 février d’extrême gauche… No PasaranLion peureux et en même temps Homme de fer-blanc, le Magicien d’Oz (pas grand-chose) de l’Elysée n’aime plus les profits de dingue, ne cherche pas à être réélu, choisit l’intérêt général, endosse l’impopularité. Il a demandé à Élisabeth Borne – E.T. du Palais Bourbon – d’élargir la majorité, « d’avoir des textes plus courts, plus clairs, pour aussi changer les choses pour nos compatriotes de manière plus tangible ». Tout va bien. Comme Pinochet il y a 50 ans, va-t-il, réquisitionner le Parc des Princes pour liquider les teigneux tagueurs de Tolbiac ? « Sans la police tout le monde tuerait tout le monde et il n’y aurait plus de guerre » (Jeanson).

La tacatacatac tactique du gendarme de St Tropez

À gauche comme Mr Bean, à droite comme un éléphant dans un magasin de porcelaine, Emmanuel Macron est le maître des horloges molles, façon Dali. Après le 18 Brumeux 2017 et 18 mois d’État de grâce jupitérien, Houdini, sur la défensive, se réinvente tous les six mois : plumitif de cahiers de doléances participatives, Clemenceau artificiel des respirateurs, Tigrou de la Culture covidée, Titeuf chez les Soviets, Embrassadeur de France… Naïvetés, arrogances, sous-estimation de l’adversaire et Diên Biên Phu aux législatives en juin. Le château est encerclé par les Tupamaros, les Chouans, les croquants, à cause d’une réforme annoncée depuis dix ans ! Chi si ferma è perduto…

La France irréelle (Berl), les politiques schizophrènes, l’affaiblissement progressif du sens du réel et des comptes publics, les guerres civiles et crises de nerfs ne datent pas d’hier. Elles sont notre marque de fabrique : du sempiternel Catch à quatre, en Eurovision. Victorieux de Cruella d’Hénin-Beaumont lors des grandes finales de 2017 et 2022, le Petit Prince du Palais Brongniart s’est étranglé tout seul. Dans les cordes, il est compté. Sa cour de Mormons a perdu l’éponge magique. A l’affut, Le Bourreau trotskyste masqué de la Canebière aimerait sauter sur le ring et achever Jupi.à.terre à pieds joints.

La gauche fait tourner les tables, implore son cortège de fantômes : 71, 36, 68, 81, 95. Mère Courrèges, Passionaria fashion des éboueurs et Ratatouille, Vestale en Dior de la Mairie de Paris, Anne Hidalgo est solidaire. Scotché comme un bulot à la façade mauro-high tech de l’IMA depuis 2013, Jack Lang préfère Smalto. L’Elysée a réussi une exceptionnelle union sacrée, convergence des buts, regroupant les syndicats, un tiers des Républicains, le Rassemblement national, la Nupes, sans oublier les pyromanes, «… des lazzaroni, pickpockets, joueurs de bonneteau, maquereaux, chiffonniers, rémouleurs, littérateurs, la masse indéterminée, dissolue, ballotée et flottante, que les Français appellent la ’bohème’ » (Marx). Dans l’attente du grand soir, sur la Brecht, les agrégé.es de Lettres ouvertes, Hussarde sur le toit sponsorisée par Lancôme, font pleurer sur l’imminente dignité des pauvres. Kolkhoze toujours… Ne secouons pas trop les cultureux ; ils sont pleins de drames.

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Filles-du-Calvaire, Malesherbes ou Saint-Martin, la comédie politique française c’est du Boulevard doublé, pour les petits malins, d’une course aux maroquins et fromages. Au théâtre ce soir, tous les cinq ans les mouches changent d’âne. En 2017, avant de se mettre En Marche, droit dans sa botte, en verve, Gerald Moralelastix Darmanin faisait le procès du bobopulisme. « Comme le caméléon, Emmanuel Macron change, se transforme sous nos yeux… : Emmanuel Macron n’aura pas de majorité, ou alors de circonstances, et cela durera ce que dure les amours de vacances. Loin d’être le remède d’un pays malade, il sera au contraire son poison définitif. Son élection, ce qu’au diable ne plaise, précipiterait la France dans l’instabilité institutionnelle et conduira à l’éclatement de notre vie politique ». Le disque politique est rayé depuis belle lurette : les postures, impostures et symphonies du Nouveau Monde n’adoucissent plus les mœurs.

Nous ne nous sommes jamais beaucoup aimés

En 1974, Scola et Sautet, mélancoliques, filmaient lenaufragedes idéalismes, des amitiés qui tanguent, une découpe de gigot dominical qui tourne au vinaigre. Francois, Vincent, Paul et les autres, Torreton, Depardieu, boudin noir, boudin blanc, nous déclinons les zizanies depuis des lustres : Armagnacs-Bourguignons ; Catholiques-Protestants ; Chouans-Républicains ; Communards-Versaillais… et aujourd’hui les nouvelles guérillas wokistes : Femme-Homme ; Racisés-Blancs ; Kouffar-Fidèles ; Cisgenres-LGBTQ+++ etc… Des guerres civiles, de tranchées, de religions, de sécessions, de 100 ans, de verbes souvent haineux… « Ainsi le traître, par la combinaison de la félonie et de la ruse, a accumulé devant lui les difficultés insolubles. Quoi qu’il advienne, il est perdu. Il finira dans l’impuissance et le mépris. C’est en vain que l’hôte de l’Élysée s’emploie à badigeonner le sépulcre ; le sépulcre blanchit exhalera toujours une odeur de conscience morte » (Jaurès à propos de Briand en 1910).Cioran disait qu’une civilisation entame sa décadence « lorsque les individus commencent à prendre conscience ; lorsqu’ils ne veulent plus être victimes des idéaux, des croyances, de la collectivité… Le drame de l’homme lucide devient le drame d’une nation » (De la France).

Peu importe le théâtre, les régimes, emblèmes, drapeau, hymnes : si l’on excepte de rares moments fugaces, victoires militaires ou sportives, historiquement, politiquement, culturellement, symboliquement la Fraternité, l’affectio societatis, la Fédération n’ont jamais été à la fête en France. Notre credo, c’est le chant des courtisans, la jalousie, les lettres anonymes, le bien commun en ordre et désordre serrés et en tranchant tout ce qui dépasse. « Chassez un chien du fauteuil du roi, il grimpe à la chaise du prédicateur » (La Bruyère).

Aujourd’hui l’assignat républicain est démonétisé. A l’étranger, le « modèle français » est un repoussoir. Nos images d’Épinal, Sainte-Geneviève, Jeanne d’Arc, Bayard, Richelieu, d’Artagnan, Danton, Clémenceau n’ont plus cours. Le pays, qui depuis Philippe-Auguste joue la carte de l’État-nation (et depuis 1789 l’assimilation, la laïcité, l’universalisme), est désemparé dans un monde en reféodalisation ; étourdi par les retours de manivelle, du religieux, du communautarisme, le tsunami libéral-libertaire-victimaire qui triomphe à l’Ouest. « Les pays qui n’ont plus de légendes sont condamnés à mourir de froid » (La Tour du Pin).

Jupiter, Idionysos, Éminerve, ont besoin de slogans : du passif, faisons table rase ! Plus juste, la France sera moins injuste ! Nous vaincrons, parce que nous sommes les plus faibles ! Remettons l’huma(in) au cœur de la politique ! Le changement, c’est marrant ! En Marche, au trot, au galop !

« Il arrive souvent dans un grand peuple qu’une sédition éclate et que l’ignoble plèbe entre en fureur. Déjà les torches volent et les pierres ; la folie fait arme de tout. Mais alors, si un homme paraît que ses services et sa piété rendent vénérable, les furieux s’arrêtent, se taisent, dressent l’oreille : sa parole maîtrise les esprits et adoucit les cœurs » (Virgile, L’Énéide).



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