Mercredi dernier, lors de son entretien à la télévision, le président a retiré sa montre. Il n’en fallait pas plus pour que les réseaux sociaux s’embrasent… Cet esprit « sans culotte » et ces déplorables passions tristes sont savamment entretenus par l’extrême gauche.
C’est un petit incident, qui était passé presque inaperçu pour tout le monde, lors de l’interview présidentielle du mercredi 22 mars à la télévision, au cours de laquelle Emmanuel Macron tentait d’apaiser les colères concernant la réforme des retraites. Au moment de parler des smicards, « qui n’ont jamais autant gagné de pouvoir d’achat », le président Macron aurait retiré sa montre de luxe, discrètement, sous la table. Le symbole était trop beau pour que médias d’extrême-gauche et députés de la Nupes n’embrayent pas. Sur Twitter, JLMTV-INFOS, « compte politique anti extrême droite et extrême finance », est de ceux à qui on ne la fait pas : « Oui, rien ne m’échappe face à ce menteur ! ». Très heureux d’avoir repéré ce moment de l’interview, le commissaire-priseur du net a même pu donner une estimation en direct: 80 000 euros.
🔴 Raté | Ce moment où Emmanuel Macron, le Président des riches, se rend compte qu'il porte une montre de 80000 € pendant qu'il tape sur les gens au RSA et l'enlève discrètement.
L’ « information » fut ensuite relayée par Clémence Guetté, députée LFI élue dans le Val-de-Marne, mais aussi, ce qui est plus surprenant, par Gilbert Collard.
C'est finalement l'image de cette interview #Macron13h :
Au moment de parler des "smicards" qui n'ont "jamais autant gagné de pouvoir d'achat", il retire discrètement sa jolie montre de luxe, sous la table.
En France, il est risqué de montrer des objets de luxe, ils peuvent très vite prendre une valeur politique. Nicolas Sarkozy, lors du débat d’entre-deux-tours de 2007, avait laissé sa Rolex Daytona se balader ostensiblement le long de son poignet. Nicolas Domenach, dans Marianne, lança alors le concept de « droite bling bling ». La petite phrase de Jacques Séguéla n’arrangea pas les choses…
On pourrait remonter plus loin encore avec l’affaire du collier de la reine, sombre histoire d’escroquerie autour d’un collier qui éclata en 1785, et qui éclaboussa Marie-Antoinette, bien malgré elle. Les libelles qui circulèrent à la suite de cette affaire préparèrent le terrain aux calomnies de la période révolutionnaire et du procès de 1793. On ne sait pas encore si Emmanuel et Brigitte Macron finiront dans quelques semaines à la Prison du Temple, attrapés alors que leur hélicoptère décollait à peine pour Baden-Baden. On voit en tout cas que l’extrême-gauche n’a aucun scrupule à exciter la jalousie et les passions tristes. Ce weekend, une image très marrante a circulé sur les réseaux sociaux, et participait de cet esprit. On y voyait un Macron affirmant avec suffisance : « Le changement d’heure, c’est pour permettre aux pauvres de connaitre le décalage horaire… »
Et les faits dans tout ça ? Premièrement, Emmanuel Macron retire sa montre non pas quand il évoque les smicards mais quand il évoque les blocages. Et surtout, il la retire quelques instants après s’être rendu compte qu’elle faisait du bruit en tapant sur la table. Quant à sa valeur… on apprend qu’il s’agit non pas d’une F.P. Journe mais d’une Bell&Ross, le modèle BRV 1-92, avec le cadran bleu et le bracelet noir, d’une valeur de 2 400 euros. N’est pas Julien Dray qui veut !
Trois jours après la naissance de la polémique, le tweet de Clémence Guetté, lui, n’a toujours pas été retiré. Calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose.
Elisabeth Lévy: « Nos élites ne valent pas mieux que nous, c’est tout le problème »
Retrouvez Elisabeth Lévy du lundi au jeudi dans la matinale de Sud Radio, à 8h10
Les conventions migratoires signées avec le Maroc et la Turquie, et l’extrême bienveillance à l’égard des populations musulmanes les plus radicales, alimentent le clientélisme politique de la gauche belge. Couve ainsi une bombe démographique qui pourrait faire de la Belgique le premier État musulman d’Europe.
« On n’est pas là pour évaluer les mérites du gouvernement belge en matière de lutte contre le terrorisme. » Ce rappel, formulé par le président de la Cour d’assises spéciale, au cours du procès des attentats du 13-Novembre à Paris, visait à alléger la tension alors que l’audition de l’enquêteur de la police fédérale belge tournait au procès des autorités belges. Les propos du policier avaient mis en lumière la naïveté sidérante, voire l’aveuglement de son gouvernement face à l’islamisme, y compris dans ses expressions les plus violentes.
C’est désormais bien connu, la Belgique a été la base arrière des attentats de Paris et ceux qui les ont commis sont en majorité belgo-marocains. Mais pire encore, si le commanditaire des attentats, Oussama Atar, a pu mener à bien ses projets meurtriers, c’est en partie grâce à l’incroyable mansuétude des autorités belges. Arrêté en Irak par l’armée américaine pour son appartenance à Al-Qaïda en 2005, condamné à perpétuité en 2007 et emprisonné entre autres à Abu Ghraib, l’homme a bénéficié d’une intervention directe du gouvernement belge demandant sa libération pour motif humanitaire. Renvoyé en Belgique en 2012 sous la promesse d’un contrôle des autorités, le terroriste, dont la dangerosité était pourtant avérée, a été laissé en liberté, sans la moindre surveillance. Le gouvernement belge lui a même fourni un passeport. Il a donc pu très facilement retourner à ses premières amours terroristes et rejoindre Daech en 2013. C’est ainsi que cet émir de l’État islamique a pu tranquillement planifier, en Syrie, les attentats de Paris de 2015 et ceux de Bruxelles de 2016.
Complaisance
Une telle complaisance de la part d’un gouvernement choque, mais n’est pas si étonnante. En Belgique, les islamistes disposent de relais importants dans la classe politique locale, mais aussi à l’intérieur de la Commission et du Parlement européens. Leur influence est telle que, dans le cas d’Oussama Atar, ils n’ont même pas eu à monter au créneau : la campagne de victimisation larmoyante baptisée « Sauvons Oussama » qui a abouti à sa libération a été orchestrée par des députés appartenant au parti Écolo, au PS et à la CDH (parti centriste). Sans surprise, les mêmes partis soutiennent ouvertement des candidats islamistes à des postes de pouvoir.
En mai 2021, Sarah Schlitz, secrétaire d’État belge à l’Égalité des genres et membre des verts, a nommé une femme voilée, Ihsane Haouach, au poste de commissaire du gouvernement auprès de l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes. Que la gauche prétende défendre en même temps l’émancipation des femmes et leur aliénation par le voile, on est habitués. Que cette confusion accède à la dignité gouvernementale, c’est autre chose.
Peut-être enivrée par sa réussite, Ihsane Haouach dévoile un peu vite son jeu. Dans un entretien au Soir, elle déclare que la conception de la laïcité dépend de la démographie. En langage islamiste, canal Frère musulman, cela signifie que quand les musulmans seront majoritaires, ils seront les arbitres de la laïcité. Dans une autre interview, donnée à l’European Forum of Muslim Women, la section féminine des Frères musulmans, elle revendique l’organisation des musulmans en force politique autonome. Cependant, sa carrière fait rapidement pschitt ! quand une note de la Sûreté de l’État belge révèle ses « contacts étroits avec les Frères musulmans ». Même pour la Belgique, c’est trop. Madame Haouach démissionne le 9 juillet, six semaines après sa nomination.
On aurait pu penser que ces diverses mésaventures avaient instruit les autorités belges. Erreur ! Leur dernier exploit en la matière a consisté à donner à la ville de Bruxelles le visage d’une femme voilée, également proche des milieux fréristes. Fatima Zibouh a en effet été choisie pour porter la candidature de Bruxelles au titre de capitale européenne de la culture. Or cette femme, militante Écolo et très soutenue par ce parti, a fondé en 2013 l’association Empowering Belgian Muslims (EMBEM), une structure proche du CCIF dissous en France par Gérald Darmanin et ranimé en Belgique sous le nom de Collectif contre l’islamophobie en Europe (CCIE). Une des personnalités les plus connues d’EMBEM est une députée belgo-turque, bien sûr voilée, Mahinur Özdemir, proche de la branche turque des Frères musulmans. Recep Tayyip Erdogan lui a même fait l’honneur d’assister à son mariage. Depuis, l’EMBEM a été dissoute – après avoir invité nombre de conférenciers appartenant à la mouvance frériste ou proches d’elle, comme Marwan Muhammad, François Burgat et Hajib El Hajjaji, et mis à l’honneur les conférences de Tariq Ramadan.
La ceinture musulmane de Bruxelles
Reste à comprendre les raisons d’une telle complaisance de la part des autorités belges. C’est simple : la démocratie, c’est la démographie. La population d’origine arabo-musulmane pèse très lourd en Belgique, particulièrement dans la région de Bruxelles. D’autant plus lourd que cette population est étonnamment homogène en termes d’origine. L’écrasante majorité de la population musulmane belge (80 à 90 %) est en effet issue de la convention bilatérale signée en 1964 avec le Maroc et la Turquie. Les Marocains sont aujourd’hui la minorité ethnoculturelle la plus importante du pays. Cette immigration marocaine, essentiellement venue du Rif, est fortement sous influence islamiste, ne serait-ce qu’en raison de l’hostilité historique des Rifains au régime chérifien. Cela les rend sensibles à tout ce qui pourrait déstabiliser le pouvoir marocain. Or, depuis que la Belgique a adopté une politique d’intégration facilitant grandement l’obtention de la nationalité, cette population est un enjeu électoral. Les islamistes jouent habilement le jeu du clientélisme politique. Ils capitalisent leur entrisme dans les partis et institutions belges à travers leur stratégie d’influence auprès de l’Union européenne, comme l’explique Florence Bergeaud-Blackler dans son nouveau livre, le Frérisme et ses réseaux.
En 2020, selon Statbel, l’office belge de statistique, 67,7 % de la population belge était composée de Belges d’origine belge. Il y a dix ans, la part de la population d’origine belge était de 74,3 %. La baisse est donc notable en quelques années et devrait s’accélérer. Quant à la proportion de musulmans dans la population, elle devrait au contraire s’accroître fortement. Selon le Pew Forum of Religion and Public Life, la Belgique compterait ainsi 1,149 million de musulmans en 2030, soit une augmentation de 80 % par rapport à 2010 (population évaluée à 638 000). La dynamique démographique joue en faveur de cette population. À noter également que les musulmans, très inégalement répartis sur le territoire, se concentrent essentiellement dans la région de Bruxelles. Selon une étude datant de 2016, certains quartiers seraient particulièrement investis par la population arabo-musulmane (49,3 % à Saint-Josse, 41,2 % à Molenbeek-Saint-Jean, 38,5 % à Schaerbeek…). C’est ce que l’on appelle la ceinture musulmane de Bruxelles.
Une autre étude, publiée en 2020 par la Fondation Jean-Jaurès et intitulée « En immersion chez la jeunesse belge », montre que si la jeunesse bruxelloise dans son ensemble est ouverte et tolérante, les élèves arabo-musulmans se situent à l’inverse de cette tendance. Bien qu’ils votent majoritairement à gauche, clientélisme oblige, ils sont 81 % à se déclarer pratiquants, 38 % considèrent que la religion prime sur la loi civile et leurs valeurs sont bien plus conservatrices que celles de la population belge. Leur image de la femme notamment est conditionnée par la tradition religieuse et son infériorité, revendiquée. Autre donnée, leur absence de connaissances historiques, mais en cela ils rejoignent le reste de la jeunesse belge – et même européenne. L’étude montre aussi que la vision de l’islam de ces jeunes est celle des mouvements les plus radicaux, notamment les Frères musulmans. Cette forte influence de l’islam politique expliquerait aussi le fort sentiment de victimisation ressenti par 65 % des jeunes musulmans alors que la population bruxelloise montre à leur endroit une volonté d’accueil et un fort sentiment compassionnel. Ainsi, malgré la tolérance des Belges, une partie notable de la population d’origine arabo-musulmane, en particulier la jeunesse, est sous l’influence de l’islam politique. On peut en conclure que si la Belgique est devenue la base arrière du djihadisme, c’est qu’elle est à l’avant-garde de l’islamisme. Or, la démographie ne peut qu’accentuer ce positionnement. Dans ces conditions, il devient difficile d’affirmer que le grand remplacement est un fantasme. En réalité, il est le cauchemar de la droite et de l’extrême droite et le rêve des islamistes qui espèrent bien faire de la Belgique le premier État musulman d’Europe. Ce qui explique largement la séduction qu’ils exercent sur la jeunesse.
Le Conseil constitutionnel a entre ses mains le sort de la réforme des retraites, adoptée au Parlement grâce au 49-3. Les Sages ont donc jusqu’au 21 avril pour se prononcer. Mais, alors que la rue gronde, le 21 avril, cela semble très loin…
C’était le soir de la prise de la Bastille. À la suite du renvoi de Necker, de violentes émeutes avaient ébranlé le royaume. « C’est une émeute? Non, Sire, c’est une révolution » avait répondu le duc de La Rochefoucauld-Liancourt à Louis XVI, appelant le Roi à la lucidité…
Le 49-3, vous dis-je !
Ainsi commençait la révolution française dans un climat de tension extrême. Causes multiples et ressemblances avec une France embrasée, aujourd’hui, sur fond de Covid passé et d’inflation. Un détonateur, le 49-3, et le feu est mis aux poudres. Le 49-3, vous dis-je ! La mère des réformes, décidément, ne passe pas. Le gouvernement, sauvé de justesse après une motion de censure, a salué sa victoire. Le prince, droit dans ses bottes, a tenu un discours malin et politique, en pointant du doigt les oies du Capitole et les factieux de Bolsonaro. Le sens était clair adressé aux boomers : « Des factieux de gauche veulent mettre le désordre mais je suis là ! Le Chaos, fils de l’Erèbe, ne passera pas. Suivez mon panache blanc ! » Et s’envole pour Bruxelles. On brique les ors de Versailles pour Charles III. Le lendemain, la France entière s’embrase.
Au Château, le téléphone sonne. Marianne décroche. « La rue ? Oui, Sire. Avec le peuple dedans ? Avec le peuple, dedans, Sire. Tout partout ! Même à Bordeaux ! Des factieux, des mutins, des émeutiers, des flambeurs ? Les révoltés du Bounty ? Vous y allez fort, Sire ! La légitimité ? Dame, Sire, quand on ne l’écoute pas, le peuple est dans la rue, c’est une coutume ! Avec les casseurs ? Oui, tout compris, dans le service ! Des Black bloc, mais pas que ! Le bordel ? Oui, Sire ! La chienlit ! Mélenchon le dit : « La foule, c’est le peuple qui dit non ! » Vous êtes sidéré ? Vous n’y croyiez pas ? Vous attendez l’avis du Conseil constitutionnel, le 21 avril. Et le cavalier budgétaire, vous y avez pensé ? Que je cesse de dire Sire ? Oui, Votre Majesté ! »
Au feu, les pompiers !
Le lendemain, les mêmes. Marianne décroche: « Votre intervention en Belgique ? Très mal perçue, Sire. Vue comme une fin de non-recevoir ! Votre image ? Écornée ! Nos amis allemands n’en reviennent pas. Les mutins ? Ils suscitent étonnement et admiration. Bien sûr que la semaine risque d’être chaude ! On risque d’être débordé, Sire ! Vous entendez les sirènes de pompier ?
— Je sens la fumée. Que faire, Marianne ?
— Changez de braquet ! Retirez cette loi. Vous vous rappelez le grand Charles ? La réforme, non ! La chienlit, oui ! Enfin le contraire ! Cessez de finasser avec le législatif et la Constitution ! La rue est éruptive. L’heure est grave ! Un député souhaite un « bouillonnement démocratique ! » Ne jetez pas de l’huile sur le feu ! Après le pompier pyromane, l’arroseur arrosé ? Oui, j’ai prévenu Buckingham. Eux qui avaient réservé à la France leur première visite ! Après le stade de France, ils n’ont pas de chance !
— Cause toujours, Marianne ! Je suis droit dans mes bottes. Wait and see ! Le pays doit avancer !
— Le 21 avril, c’est loin ! Décidément, vous ne mesurez pas la chance d’avoir un tel peuple, Sire !
Les éditions Séguier ont la très bonne idée de proposer une nouvelle traduction des Mémoires de l’acteur George Sanders. Une première version avait paru en 2004, aux Puf, sous l’impulsion de Roland Jaccard, et sous le titre Mémoires d’une fripouille…
George Sanders est né en 1906 en Russie. Ses parents, d’origine écossaise, l’envoyèrent faire ses études en Grande-Bretagne, au moment où la révolution russe éclata. Jusqu’à l’âge de 30 ans, il vécut de divers métiers, qu’il narre avec fantaisie, avant de devenir comédien par hasard. Il joue dans un premier film anglais en 1936, puis se rend à Hollywood, où il signe un contrat avec la 20th Century Fox. Comme il l’avoue lui-même, « le fait de jouer dans des films ne m’a jamais follement enthousiasmé ». Sanders a toujours abordé le métier d’acteur avec une sorte de dégoût foncier. De manière générale, sa nature nonchalante et rétive au travail le conduisait à une « indifférence » qui a nui à sa carrière. Il a la lucidité, à plusieurs reprises, de le confesser ouvertement : « Quelque peu sur le tard, écrit-il, je suis parvenu à la conclusion que ma réelle vocation dans la vie est l’oisiveté ; voilà quelque chose où j’aurais pu me montrer brillant. » Un autre trait de son caractère est de se dévaluer systématiquement.
Séguier
Certes, Sanders, qui avait au compteur plus d’une centaine de films, a joué dans un certain nombre de navets. Il était peu exigeant dans ses choix. L’intérêt de ces Mémoires apparaît néanmoins lorsqu’il en vient à des tournages marquants, en particulier Voyage en Italie de Rossellini et All About Eve de Mankiewicz. Il ne dit rien, hélas, du Portrait de Dorian Gray d’Albert Lewin, réalisé en 1945, dans lequel il incarnait un Lord Henry en dandy d’anthologie. C’est sur Voyage en Italie qu’il se montre le plus disert, parce qu’il n’en a pas du tout aimé le tournage, ni le résultat. Les détails dont il se souvient, quoique dans une veine sarcastique, ont retenu l’attention des cinéphiles, le fait notamment qu’il n’y avait pas de scénario écrit. Ce fut, raconte-t-il, une « étrange aventure » et un « état d’ahurissement » permanent, avec un Rossellini davantage obsédé par la plongée sous-marine que par son film.
L’arme de l’humour noir
Sanders est plus tendre lorsqu’il s’agit de parler des femmes de sa vie, essentiellement ici de « la riche, turbulente et fantasque émigrée juive hongroise Zsa Zsa Gabor », comme nous la présente dans une belle formule le traducteur. Elle lui inspire cependant des traits de misogynie plus ou moins drôles, que plus personne aujourd’hui n’oserait formuler publiquement, comme par exemple : « il est impossible de tomber amoureux d’une femme sans éprouver à un moment ou à un autre le désir irrépressible de l’étrangler ». En revanche, Sanders ne parle pas de sa dernière femme, Benita Hume, dont Romain Slocombe, dans sa postface, nous dit qu’elle fut son grand amour. Au fond, Sanders ne se laisse jamais aller à la sentimentalité. Il ne recherche pas la sincérité ultime, sous la carapace, mais plutôt à conforter sa réputation de « cad », de fripouille peu recommandable. Son moyen, pour parvenir à cette fin, reste un usage immodéré de l’humour, parfois de l’humour noir, et, bien sûr, de l’autodénigrement. Il frôle quelquefois le génie de l’humour juif. Groucho Marx aurait pu déclarer, dans un de ses films, la phrase suivante, qui est de Sanders au meilleur de sa forme : « je suis l’une des personnes les plus saines que je connaisse. Si je ne l’étais pas, jamais je n’aurais pris le risque de me rendre chez un psychiatre. »
La solitude du dernier acte
La mort de Sanders par suicide, en 1972 en Espagne, sur laquelle revient Romain Slocombe, ajoute une lumière assez triste de solitude sur le destin de ce grand cynique. Dans un billet laissé près de lui, l’acteur avait écrit : « Cher monde, je m’en vais parce que je m’ennuie. Je crois que j’ai vécu suffisamment longtemps. Je vous laisse avec vos soucis dans cette charmante fosse d’aisance. Bonne chance. » Ultime pirouette d’un esprit raffiné, qui a voulu en finir de manière irréfragable, avant que les dieux eux-mêmes ne l’abandonnent. Ses Mémoires sont à placer bien en évidence, dans votre bibliothèque, à côté des rares pourvoyeurs de liberté.
George Sanders, Profession fripouille. Mémoires. Préface d’Éric Neuhoff. Nouvelle traduction de l’anglais et épilogue de Romain Slocombe. Éd. Séguier.
Dans La Fabrique des discours propagandistes contemporains, la linguiste Yana Grinshpun décrypte la fabrication, les mécanismes et les effets meurtriers des propagandes d’aujourd’hui.
L’armée allemande, pendant la Seconde guerre mondiale, était précédée de groupes d’intervention (Einsatzgruppen, en V.O.), chargés de liquider les opposants et les Juifs. Ces milices ont bénéficié, dans les pays baltes et en Ukraine, de l’aide enthousiaste des milices locales.
Leurs officiers n’étaient pas des moujiks ignares, mais des intellectuels, parfois de haut niveau. Comment obtenaient-ils de leurs subordonnés qu’ils massacrent des femmes et des enfants ? Ils n’usaient pas de menace, ces intellectuels, ces professeurs, ces linguistes ces philosophes : ils avaient les « compétences rhétoriques et l’ascendant nécessaires[1] » pour les convaincre, en s’appuyant sur l’important travail de propagande qui avait été fait en amont.
Comprendre cette propagande, ses méthodes, ses substrats, ses techniques est donc fondamental pour éviter le retour de la bête immonde.
La propagande doit être analysée si l’on veut la déconstruire
Yana Grinshpun, Maître de Conférences en Sciences du Langage à l’université Paris III, s’est attaquée à cette montagne. Son livre La fabrique des discours propagandistes contemporains, paru chez L’Harmattan, devrait faire partie du cursus obligatoire pour les étudiants en journalisme : Causeur s’est déjà fait l’avocat de certains d’entre eux, minoritaires, qui ont tenté de résister à l’injonction du tout-wokisme[2]. Grinshpun détricote les dogmes en usage dans les sociétés occidentales : néo-féminisme, inclusivisme, écologisme, décolonialisme, antisionisme, masculinisme et autres antiracismes sélectifs.
Par glissements sémantiques successifs, ces idéologies ont concocté une novlangue où « la transidentité est la norme et l’hétérosexualité une pathologie », où l’on « impose la notion de race au nom de l’antiracisme, la notion de genre au nom d’une prétendue discrimination sexiste », où l’on promeut « l’islam au nom de la liberté de croyance » et où l’on dénonce « le privilège blanc et le racisme systémique, la LGBT-phobie et l’islamophobie, la transphobie et la négrophobie ». Toutes ces maladies de la société occidentale sont liées au même virus… le knockisme. Cet agent pathogène vient du docteur Knock de Jules Romains, pour qui « tout bien portant est un malade qui s’ignore »… Toute société universaliste et antiraciste est affligée de pathologies qu’elle ignore.
Yana Grinshpun a toutes les compétences pour décoder les procédés manipulateurs des militants destructionnistes. Son livre est un décryptage linguistique et psychosocial, qui fait, dans une large mesure, appel au bon sens, cette chose de moins en moins partagée.
Même dans les démocraties
La propagande est plus sophistiquée dans les démocraties que dans les dictatures, évidemment. Pourquoi ? Probablement grâce à l’endoctrinement, qui « est à l’enseignement ce que la propagande est à l’information ». Yana Grinshpun a passé son enfance en Russie soviétique, où l’endoctrinement commençait au jardin d’enfants. La radicalité des exemples qu’elle sort de la Grande Encyclopédie soviétique pourrait prêter à rire, si elle n’avait pas prouvé son efficacité sur une population aussi nombreuse, pendant aussi longtemps.
Comme tous les maux commencent par des mots, la linguiste se rend au chevet de la langue française, menacée d’un inclusivisme qui exclut les exclus : les étrangers, les dyslexiques et, last but not least, la prononciation.
Le français standard, codifié depuis le XVIIe siècle a été accusé de domination masculine, regrette l’auteur, sans qu’ait jamais été posée la question principale : « qu’est-ce que la domination pour la grammaire ? Qu’est-ce que la domination pour un système de signes ? »
Elle s’insurge que l’on puisse imaginer une « corrélation absolue entre le système linguistique et les structures sociales… Le plus petit linguiste débutant sait que ces deux systèmes sont indépendants, ce qui invalide toute forme de knockisme linguistique. »
Les stratégies propagandistes mises à jour
Le petit livre rouge des propagandistes emprunte beaucoup à Lénine : disqualification de celui qui doute, diabolisation de l’ennemi, mais aussi démagogie, mensonge, prosélytisme, occultation, dissimulation, victimisation, complotisme et censure. Pour mettre en œuvre ces stratégies, il faut des outils. La langue de bois, à la fois langue de séduction et d’emprise, existe dans chacune des langues en « isme » : « La langue de bois féministe, la langue de bois antisioniste [et] la langue de bois politique recourent aux phrases complexes avec un grand nombre de propositions subordonnées, complétives et relatives, circonstants et incises. » Ces langues sont riches en « maîtres-mots », qui provoquent des réflexes de reconnaissance. L’écriture inclusive procède aussi de cette fonction de reconnaissance des adeptes qui se reconnaissent comme tel.le.s en elle.
Yana Grinshpun. D.R.
Les « maîtres-mots » évoluent en fonction de la perception que le locuteur désire induire chez son public. Ainsi, « la destruction de l’Ukraine est appelée en Russie « opération spéciale », qu’il est interdit d’appeler « guerre ». Le terme « guerre » étant étiqueté « information mensongère », ceux qui l’utilisent sont passibles de quinze ans de prison… De la même manière, dès qu’un attentat à l’arme blanche est commis en France au nom de l’islam, les médias préfèrent utiliser le terme « déséquilibré ». » Pour l’illustrer, Grinshpun a choisi un titre insensé dans la presse française : « « Allah Akhbar » : les attaques de déséquilibrés criant que « Dieu est grand » se sont multipliées depuis six mois.[3] »
Dans la catégorie « maîtres-mots », les nominés sont « émancipation » et « bienveillance » et le César de l’hypocrisie a été attribué à « victime ». La Palme de la manipulation a été attribuée, pour l’ensemble de son œuvre, au suffixe « phobie » !
De quels moyens linguistiques la propagande est-elle le nom ?
Les procédés morphologiques peuvent transformer un vocable lambda en star : « inclure » a donné « inclusif », puis « inclusivité » et « inclusivisme ». Avec la même dérivation affixale, « invisible » connaît la gloire grâce à « invisibiliser » et « invisilibisation ». « Masculin » accède au statut d’ennemi public n°1 avec « masculiniste » et « masculinisation toxique » !
Le préfixe se révèle une arme de destruction massive du sens : « le préfixe « dé » est très productif, mais on voit apparaître aussi « mé » et le préfixe savant « dys » utilisé initialement dans le domaine médical et repris dans le domaine de l’enseignement pour déléguer les problèmes de la méthode d’enseignement au domaine neurologique. »
Mention spéciale pour le « vivre-ensemble », euphémisme diffusé par des commissions européennes pour transformer la contrainte de l’omniprésence islamique en opportunité. Pour nous faire rire jaune, Grinshpun rappelle le même vocable utilisé dans son pays natal pour « les appartements communaux à l’époque où personne n’avait le droit d’être propriétaire, à l’exception des membres haut placés du Parti. »
Elle relève aussi les emprunts faits à d’autres langues pour nommer des innovations idéologiques comme les « safe spaces », ces cocons où peuvent se réfugier les étudiants agressés par un mot traumatisant, s’ils n’ont pas été avertis à l’avance par un « trigger warning » de son utilisation dans un texte ou dans un dessin animé. Remercions donc Yana Grinshpun de son précieux travail.
La fabrique des discours propagandistes contemporains de Yana Grinshpun (L’Harmattan), 17 février 2023, 256 pages.
Eric Zemmour vient de publier Je n’ai pas dit mon dernier mot (Ed. Rubempré).
Le livre peut décevoir, parce qu’on attend trop de son auteur, mais reste qu’il supporte largement la comparaison avec tout ce qui s’écrit sur les plans politique et intellectuel. Il est par ailleurs passionnant dans la mesure où, sans surprendre véritablement, il projette sur la personnalité d’Eric Zemmour un éclairage enrichi par ses récents déboires politiques et leur analyse. Demeure toujours, dans la forme, le style clair, vif, allègre d’Eric Zemmour, s’abandonnant ici ou là, par exemple dans la très belle fin, à une oralité supérieure, à une éloquence rythmée. On ne peut pas dénier que le succès de ses ouvrages, et celui-ci emprunte le même chemin, tient d’abord au fait que son récit, les pensées, les réflexions, les portraits et les dénonciations échappent à l’ennui par le tour inimitable que l’auteur leur donne.
“Sauvez-nous”: il ne s’en est pas remis
Sur le fond, il faut d’abord passer par la relation de son parcours, avant la campagne puis lors de celle-ci, avec la fraîcheur un peu naïve et l’enthousiasme rétrospectif de quelqu’un qui ne s’est pas encore remis d’avoir pu susciter, durant plusieurs mois, tant d’adhésion, d’admiration, d’inconditionnalité apparente au point de lui avoir laissé croire, selon lui le plus sérieusement du monde, à une présence au second tour, Emmanuel Macron n’attendant que cette joute… On aurait tort de se moquer – on n’atteint jamais les cimes sans les imaginer au moins un instant à portée d’esprit et d’action – mais reste que, devant cette histoire narrée par un vaincu indiscutable, on est fondé à s’interroger : si c’était si extraordinaire, comment a-t-il été laissé pour compte sur le sable démocratique ?
Dans ces hyperboles qu’il parvient parfois difficilement à détourner de lui-même, il instille quelques charges, sur Robert Ménard et Valérie Pécresse en particulier. Concernant cette dernière, la catastrophe qu’il décrit a malheureusement été subie par ceux qui comme moi ont été fidèles jusqu’au bout à un naufrage, fond et forme mêlés. Ces mises en pièces ne font pas de ce livre un réquisitoire exclusif. Sans ce défouloir, Eric Zemmour aurait manqué à son devoir de polémiste et de candidat à la fois amer et abandonné. Il avait promis un examen de conscience, une révision scrupuleuse et sans complaisance des ombres de sa campagne. Si on a eu, et ô combien, les lumières, on n’a guère eu les autres, sinon par des explications un peu trop faciles et confortables sur l’Ukraine, Marine Le Pen et les médias. Aucune n’est infondée mais l’essentiel, à mon sens, était ailleurs : le fait qu’à un certain moment, malgré l’exaltation d’une parole, d’une sincérité, voire d’une brutalité atypiques, d’une projection décapante sur la réalité de notre pays, une forme de lassitude s’est installée, le thème du pouvoir d’achat a pris la relève.
Un candidat contre la modernité par-dessus-tête
Et surtout, le tout n’était pas seulement de décrire les plaies, de les ouvrir et de les révéler mais de les soigner. Eric Zemmour est apparu comme un éclaireur, jamais comme un guérisseur. Ce n’était déjà pas rien que ce rôle. Il l’a mis en position de dire le vrai sur beaucoup de nos maux mais cela ne suffisait pas pour battre en brèche le pragmatisme, au fond conventionnel, de Marine Le Pen, redoutablement efficace sauf dans le moment ultime où son nom et son amateurisme continuaient à la bloquer.
À ce sujet, il est intéressant de constater qu’Eric Zemmour a commencé à baisser quand d’une part l’obsession de provoquer lui a fait perdre le sens commun (par exemple sur l’épisode de Mamoudou Gassama), et que d’autre part il a pris parfois le parti de s’excuser (notamment sur les handicapés). C’était le commencement de la fin pour quelqu’un qui souhaitait bâtir ses avancées à la fois sur l’intuition d’un consensus populaire et le courage maintenu de ses affirmations. Cette priorité longtemps attachée au bon sens perçu comme la riposte la plus adaptée à l’incongruité d’une modernité cul par-dessus-tête, a permis à Eric Zemmour de s’illustrer de la manière la plus convaincante qui soit sur l’école et l’obligation d’y détruire tout ce qui l’a détournée de ses missions fondamentales.
Dans son livre, il y a des pages vigoureuses sur ses thèmes de prédilection et s’il décline volontiers les affres du déclin français, il vise souvent juste, notamment quand il déplore la disparition de la culture, la perversion de l’Histoire idéologisée et d’un pouvoir tellement soucieux de battre sa coulpe pour le sombre, qu’il en oublie de célébrer le glorieux. Pourtant, malgré sa foi en lui et en sa cause chevillée au cœur et à l’esprit, derrière l’énergie de l’espoir et la certitude affichée de vaincre un jour, pourquoi perçoit-on comme une musique un peu triste, pas crépusculaire mais presque ? Comme s’il se forçait, pour Reconquête et pour ceux restant encore avec lui, à un optimisme contre vents et marées, à des prévisions roboratives en dépit de son peu de goût pour la bureaucratie partisane et la gestion d’appareil.
En réalité, je suis persuadé qu’Eric Zemmour a compris qu’il n’était pas de ceux qui arrivent au faîte en ayant construit leur carrière lentement, étape après étape, mais qu’il relevait de cette minorité qui bouscule tout tout de suite, gagne dans la foulée ou est condamnée au mieux à s’enliser, au pire à s’effacer. Pourrait-on même suggérer qu’une pointe de nostalgie existe parce qu’il n’a pas assez senti dans son être, dans son trajet, la singularité de son aventure politique et qu’il serait prêt à revenir dans ce royaume médiatique où il était indépassable grâce à des qualités et à un courage intellectuel que même ses adversaires ne lui déniaient pas ? Premier incontestable dans ce monde mais si loin dans l’autre, le politique.
Eric Zemmour écrira, bataillera, avec Reconquête fera avorter des projets et des initiatives néfastes, se persuadera qu’il est véritablement à sa place parce qu’avoir franchi le Rubicon pour rebrousser chemin ne sera jamais son fort. Mais dans le dialogue intime qu’Eric Zemmour ne cesse d’entretenir avec lui-même, malgré son sourire volontariste et sa belle résilience, je parie qu’il s’en veut d’avoir lâché la proie pour l’ombre. Certes rien de médiocre avec lui mais tout de même : la politique, en définitive, n’a jamais été que le deuil, éclatant mais bref, de sa splendeur et de sa domination médiatiques durables. Mais il faut faire bonne figure : alors, l’énergie de l’espoir…
L’écrivain Franz Bartelt nous offre un recueil de nouvelles tragiquement réjouissantes au Dilettante…
Un nouveau Bartelt fera assurément le printemps des librairies. C’est l’une des dernières valeurs sûres de l’édition française. Chacun de ses livres nous apporte ce délicieux goût pour le désenchantement sardonique et la farce triste. Il traque l’absurde et le tragicomique dans les foyers les plus communs, les plus conventionnels, les plus transparents, les plus étrangers à l’originalité. Donnez-lui un sujet aussi essoré que le couple, le désir, les notaires, le féminisme, l’humanitaire ou la jalousie dans un milieu quelconque, par exemple, une France moyenne périurbaine où le quotidien lénifiant l’emporte sur les grandes ambitions, et Franz Bartelt vous décortique les « petites gens » avec un humour féroce et appliqué. Il fait un carton dans les zones semi-rurales et l’enfer pavillonnaire.
Le Dilettante
Tolstoï tendance Groucho Marx
Dans la dizaine de nouvelles réunies au Dilettante sous le titre âcre et rogue Je ne suis pas malheureux, il s’en donne à cœur joie dans l’analyse noire des comportements humains et leur irrémédiable échec. Y-a-t-il une philosophie « barteltienne » ? Une morale scintillante qui nous éclairerait sur la vie de nos contemporains, des motifs d’espérer ou de croire en son prochain ? L’écrivain des bords de la Meuse, sorte de Tolstoï tendance Groucho Marx, pratique, sans en avoir l’air, une littérature hautement révolutionnaire, un brin nihiliste.
N’attendez pas de lui des théories brumeuses sur le « vivre ensemble » et la revanche des travailleurs en proie aux forces capitalistes. Bartelt travaille sur la psychologie de personnages bancals, ébréchés par la vie, sur le fil du dérisoire, à la frontière du pathétique ; il met alors en place un dispositif narratif implacable, presque suffocant, pour nous amuser d’abord et aussi, nous faire réfléchir. Aucun autre écrivain français ne décrit aussi bien la vacuité des temps modernes et l’incompatibilité des relations entre les hommes et les femmes.
On sort de cette lecture, abattu et riant, désolé et follement excité par son art du désastre en marche, ébloui par la dérive des sentiments. Bartelt, comme ses glorieux aînés, Emmanuel Bove ou Henri Calet, ne juge pas sa bande de bras-cassés et de malheureux pathologiques, il ne les sermonne pas, ne tente pas de les faire adhérer au système, de les rendre meilleur, de les élever, il chérit même leur côté reclus et possédé. Avec Bartelt, nous sommes tous prisonniers d’un élan amoureux, d’une foucade de jeunesse, d’une lubie invraisemblable, que rien ne peut venir contrarier. Nous sommes mus intérieurement par une machine déphasée, elle nous pousse à agir d’une façon proprement insensée. C’est le cas de Martin Vanoutte, héros patient de la première nouvelle de ce recueil qui s’est entiché de Blanche Dodinot, avec une force terrible, presque surhumaine, de Don Quichotte. Il va consacrer son existence à vivre par contumace, à l’observer d’une fenêtre et à récolter quelques miettes d’un bonheur en pointillé, baisers épistolaires et rapprochements furtifs. Est-ce une victime, un simple d’esprit ou un chevalier ?
Conteur narquois
Bartelt est un maître retors, il brouille sans cesse les cartes du réel, la fatalité des gens ordinaires nous interroge sur notre propre rapport à la normalité. Les fidèles de ce Desproges des terres abandonnées retrouveront son style de conteur narquois et désopilant, ce second degré qui nous cueille lorsqu’on ne s’y attend pas. Il écrit sérieusement, sincèrement, se fait souvent le porte-voix de minables patentés qui s’ignorent, restitue ainsi leurs plus secrètes pensées et, en une formule, il vient dégoupiller le sérieux d’une confession. Nous aimons Bartelt, nous le suivons depuis très longtemps, justement pour savourer ses aphorismes qui sont chargés d’une humeur vipérine ou tendre. Je n’ai jamais réussi à trancher la question.
Quand il écrit: « L’acte sexuel consomme un steak haché au quart d’heure » ; « Regardez, c’est l’épouse d’un chef comptable ! » ; « L’orphelin véritable doit pouvoir se vanter de n’avoir jamais connu ses parents » ou « Ils regardaient le plafond ensemble. C’était bon comme l’amour » : nous jubilons, tout simplement.
Je ne suis pas malheureux de Franz Bartelt, Le Dilettante, 256 pages.
Notre monde sommé de se mettre au pas de l’hystérie néo-racialiste et de s’enfoncer dans le nombrilisme woke laisse encore un peu de place à la civilisation de l’Universel, si chère à Léopold Sédar Senghor. Tout n’est pas perdu. Plusieurs expositions le prouvent, d’Amsterdam à Madrid en passant par Paris.
« Senghor et les arts : réinventer l’universel ». Dans un contexte culturel de balkanisation de la pensée et de la création, systématisées en un kaléidoscope d’identités douloureuses et d’altérités délabrantes, le thème de l’exposition en cours (jusqu’au 19 novembre 2023) au musée du Quai Branly-Jacques Chirac a de quoi détonner. Francophile, amoureux d’une culture occidentale qui a nourri sa propre vision du monde, notamment à travers le modèle de la Grèce antique, et d’une culture africaine chevillée au corps qu’il a pensée comme un humanisme fécond, Léopold Sédar Senghor (1906-2001) est une figure aux antipodes de l’hystérie néo-racialiste actuelle et de son revanchisme cacophonique. Agrégé de grammaire française, académicien, président du Sénégal et poète, Senghor a assumé une double paternité : celle du concept de négritude et celle de la francophonie. Il est de ceux qui ont cru à « la greffe de la raison intuitive sur la raison discursive », autrement dit à la synthèse des valeurs culturelles négro-africaines et de l’Occident, capables de converger, s’enrichissant de leurs différences, vers cette civilisation de l’Universel qu’il appelait de ses vœux, accessible par la sculpture, la peinture, la musique, la danse, le théâtre, l’artisanat. Et, par-dessus tout, par la poésie, cet art dont il pensait qu’il était l’espoir du monde, ce « pont de douceur » capable de relier l’émotion à la raison. Le thème de l’exposition renoue donc avec le beau concept d’Universel remplacé aujourd’hui par les grandeurs toutes relatives de l’origine et de l’identité, qui ne sont universelles que par la quantité des monologues qu’elles produisent et par le maigre usage collectif que l’on est prié d’en faire. Il y aurait néanmoins beaucoup à dire sur le parcours proposé par l’exposition. Quoique Senghor ait lui-même distingué « civilisation universelle » (prétention occidentale, selon lui) et « civilisation de l’Universel » (« convergence pan-humaine des vérités complémentaires de chaque nation, de chaque race, de chaque continent »), il aurait été judicieux que cette « obsession de l’Homme » qui était, de fait, la sienne et cette défiance de la « négritude ghetto » qui, de fait également, a caractérisé sa pensée et son action soient mises à l’honneur au même titre que ses écrits doloristes (« nous n’avons pas été seulement regardés de loin de derrière des frontières d’indifférence, mais de haut : des gratte-ciel de la civilisation occidentale », 1967). Mais Senghor, comme les autres, a bien droit à la « relecture de ses questionnements à l’aune des enjeux culturels contemporains », grâce à ce que la direction du musée nomme encore avec enthousiasme « la vitalité des questionnements qui animent les chercheurs, les artistes et les citoyens désireux de concourir à l’avènement d’un “nouvel ordre culturel mondial” ». Une vitalité des questionnements à saluer bien entendu si l’idée est, en présentant Senghor et sa « négritude, truelle à la main », de réhabiliter auprès d’une opinion parfois sceptique une figure tutélaire accusée à tort de néocolonialisme.
« L’orgueil d’être différent ne doit pas empêcher le bonheur d’être ensemble », écrivait Senghor. C’est bien à ce bonheur d’être ensemble que n’invite pas Faith Ringgold (née à New York, 1930), qui se définit comme une « femme noire artiste » et dont les œuvres, actuellement au musée Picasso-Paris (jusqu’au 2 juillet), poussent bien loin « l’orgueil d’être différent ». Important la question raciale nord-américaine – question très spécifique à cette région, mais récupérée avec l’empressement fébrile que l’on sait par les chantres des minorités identitaires pour qui l’histoire du monde n’est que l’histoire de l’esclavage dans le monde –, Faith Ringgold se dit fière d’avoir pu pénétrer la scène artistique, d’avoir montré « qu’il y avait des Noirs quand Picasso, Monet et Matisse faisaient de l’art » et d’avoir « décidé » de devenir artiste « sans sacrifier un iota de [sa] noirceur, de [sa] féminité ou de [son] humanité ». Fierté que l’on partagerait avec elle, dans le bonheur d’être ensemble senghorien, si son œuvre parlait ne serait-ce que d’un « iota » de cette précieuse humanité, autrement dit de l’Homme, ses passions, ses grandeurs, ses craintes, ses faiblesses, ses contradictions, bref de tout ce que nous avons en partage, mais qui intéresse apparemment moins Ringgold que la-place-de-la-femme-noire-artiste-sur-la-scène-artistique. Cette obsession de soi et du regard sur soi prend, chez cette militante de causes croisées, la forme de l’autofiction dont la série de huit « quilts paintings » The French Collection (1991-1997) est un exemple abouti. Cette série retrace l’histoire d’une Africaine-Américaine (sic) répondant au nom de Willia Marie Simone qui, se rêvant artiste peintre, promène son existence au milieu des œuvres des grands maîtres de la peinture européenne dont elle tente d’obtenir des réponses pour elle-même. Dans ce qu’il est convenu, désormais, d’appeler un « dialogue » avec les œuvres du patrimoine universel, Willia Marie Simone est représentée par Ringgold peignant Picasso nu entouré des amies féministes (vêtues, elles) de l’artiste, dans une scène qui mêle Le Déjeuner sur l’herbe d’Édouard Manet et les Nymphéas de Claude Monet : Picasso at Giverny. Amusée, comme elle le dit elle-même, d’avoir représenté ce « coureur de jupons » en tenue d’Adam, Faith Ringgold conçoit l’art non comme le dévoilement du monde ou la mise à nu de l’âme humaine, mais comme la réponse à la seule question légitime que chacune de ses œuvres pose inlassablement : « Une femme de ma couleur peut-elle parvenir à ce niveau de reconnaissance ? » On est loin, très loin, de la poésie de Léopold Sédar Senghor : « Femme nue, femme noire / Vêtue de ta couleur qui est la vie, de ta forme qui est la beauté / J’ai grandi à ton ombre » (Chants d’ombre, 1948).
Le bonheur d’être ensemble – un peu trop ensemble peut-être – sera en revanche celui des 450 000 visiteurs attendus à la rétrospective Vermeer (1632-1675) du Rijksmuseum d’Amsterdam (jusqu’au 4 juin). Cette exposition inédite, que certains n’hésitent pas à qualifier d’exposition du siècle, rassemble 28 des 37 chefs-d’œuvre du grand maître flamand. La réunion d’un si grand nombre de chefs-d’œuvre n’est pas l’occasion de nous interroger sur l’intérêt (ou non) des grandes révélations que la science, à travers la systématisation des radiographies et des coupes stratigraphiques, semble tenir à nous faire sur des tableaux dont nous n’attendons pas tant les biopsies que l’autopsie en miroir des sentiments et des sensations qu’ils font naître en nous. Mais plutôt l’occasion de regarder la lumière et d’écouter le silence d’un xviie siècle qui nous parvient encore. Pourquoi Vermeer est-il un grand maître ? Pourquoi tant de gens du monde entier vont-ils venir s’entasser dans le cadre étroit de ces demeures proprettes d’une bourgeoisie commerçante heureuse de son existence ? Sans doute parce que les scènes d’intérieur que Vermeer a peintes ont encore à voir avec notre vie intérieure, enrichie du quotidien magnifié ou épuré que les siècles passés nous font parvenir à travers la peinture. Tout, pourtant, éloigne notre époque des scènes de genre de Vermeer. Son Géographe (1669), compas à la main, rêve du monde que sillonnent les vaisseaux de la bourgeoisie commerçante flamande, et la lumière du dehors, pleine des promesses de l’entreprise humaine, baigne de sa clarté engageante la riche étoffe et la carte au-dessus de laquelle s’immobilise un instant la main de l’homme. Sa Laitière (1658-1659) verse délicatement le lait qui coule en un mince filet du pichet poli par l’usage domestique et le soin porté aux choses, au milieu des croustillances dorées des pains et des brioches. Chez Vermeer, les visages se parlent, s’écoutent, éclairés par le plaisir de voir et d’écouter. La jeune fille est heureuse, assise auprès de l’officier (1657-1658). De quoi rit-elle ? Lui a l’air sérieux, tout de sombre vêtu, le visage caché en partie par son grand chapeau noir. Mais la jeune fille rit, heureuse de cette présence dont elle a peut-être rêvé, pensive, une lettre entre les mains, debout devant une fenêtre ouverte sur l’attente. À l’époque de l’empreinte carbone, du commerce équitable, des voyages incessants et des distances dérisoires, de la désuétude du courrier postal, de l’obsolescence programmée des objets, des sentiments et de la pensée, Vermeer nous rappelle à ce qui nous unit encore et fait résonner dans le silence paisible de cette intimité quotidienne les grands bonheurs que sont les joies simples. On est près, tout près de la poésie de Senghor : « Ta lettre sur le drap, sous ma lampe odorante / Bleue comme la chemise neuve que lisse le jeune homme » (Lettres d’hivernage, 1973) ; « Tout l’hiver devant ma fenêtre, qui s’en va […] Du monde je ne vois qu’un rectangle bleu » (Poèmes perdus, 1990).
Les expositions en cours renouent avec l’Universel. À l’heure où l’on nobélise ceux qui écrivent pour venger leur race, elles sont une belle façon de venger la grâce du discours sur l’Homme. De Madrid à Amsterdam, en passant par Lyon (Poussin) ou Paris (Monet), les grands maîtres de la peinture européenne sont à l’honneur, eux qui n’ont pas fait de leurs « misérables rhapsodies » (Théophile Gautier) égotiques ni de leurs « monotones masturbations » (Mario Vargas Llosa) le sens ultime de leur œuvre. Fernando Zóbel (1924-1984), au musée du Prado (jusqu’au 3 mai), mêle l’abstraction à la grande tradition occidentale en nommant ses œuvres « conversations » avec Rembrandt, Velázquez, Degas et tant d’autres. Peintre abstrait, il dit et peint son désir de « conserver », de « maintenir » les œuvres du passé face à « la stupidité de la destruction » (1959). Joaquín Sorolla (1863-1923), à qui l’Espagne rend hommage en cette année anniversaire, père du luminisme, peintre des corps baignés de lumière et des vêtements trempés de soleil en bord de mer, continua toute sa vie durant à vénérer dans ses œuvres les grands maîtres espagnols – Greco, Velázquez, Goya –, eux qu’il avait appris à copier dans sa jeunesse. Cette programmation a donc de quoi réjouir. Est-elle une simple coïncidence ? Ou ne sommes-nous pas en train de nous lasser, collectivement, des artistes qui ne parlent plus de nous ? Allons écouter le rire de la jeune fille de Vermeer, imaginer en silence les lettres qui se sont écrites et lues à la clarté d’un jour qui n’est plus le nôtre mais filtre la même lumière, saisir l’éclat des perles – blanc, gris, nacré, argenté –, toucher des yeux les tentures, les étoffes et les rideaux, et, surtout, nous approcher un peu plus de ces fenêtres ouvertes sur ce monde dont nous avons hérité. Relisons également quelques poèmes de Léopold Sédar Senghor et tissons, sans qu’on décide pour nous quels « dialogues » et quelles correspondances sont à établir, la trame d’une conversation avec les autres – y compris ceux qui nous ont précédés.
« Faith Ringgold. Black is beautiful « , jusqu’au 2 juillet 2023 au Musée Picasso, Paris.
« Senghor et les arts. Réinventer l’universel », jusqu’au 19 novembre 2023 au Musée Quai-Branly-Jacques Chirac, Paris.
« Zóbel, le futur du passé », jusqu’au 3 mai 2023 mai au musée du prado, Madrid.
« Vermeer » jusqu’au 4 juin 2023 au Rijksmuseum, Amsterdam.
Le Canada de Trudeau est de plus en plus la terre d’élection du wokisme. Un jeune qui y maintenait qu’il n’y avait que deux genres, vient d’être sanctionné par son lycée, pourtant catholique.
Josh Alexander est un adolescent rebelle. Jusqu’en novembre 2022, ce Canadien de 16 ans était scolarisé dans un lycée catholique de Renfrew, ville de l’Ontario. En classe, alors qu’un débat s’engage sur le sujet de la transition de genre, Josh juge bon de rappeler qu’il n’y a que deux sexes, que l’on naît homme ou femme. « Le genre ne l’emporte pas sur la biologie », avance-t-il, une déclaration marquée du coin du bon sens mais qui lui vaut d’être renvoyé de son établissement.
Pas très catholique comme motif d’expulsion. Imaginez la réaction de l’établissement s’il avait déclaré qu’il n’y a qu’un Dieu ! Il faut dire que le jeune homme est un habitué des coups d’éclat. En effet, dans ce lycée, plusieurs adolescents pensent être des adolescentes et fréquentent le vestiaire féminin. Irrité par cette situation, Josh a organisé une grève pour que ses camarades féminines puissent accéder à leur vestiaire sans avoir à le partager avec des garçons qui se prennent pour des filles. L’insolence de l’adolescent ne s’arrête pas là puisqu’il a osé expliquer que son opinion sur le sujet était fondée sur la Bible. Selon ce livre très ancien, et par conséquent caduc aux yeux de notre postmodernité, l’humanité se diviserait en deux sexes, probablement car le Créateur de ces derniers n’était pas assez progressiste pour en imaginer un troisième.
Le lycée a émis plusieurs conditions au retour du jeune homme, en particulier qu’il accepte de ne pas assister à certains cours suivis par deux étudiants transgenres qui désapprouvent ses croyances religieuses. Josh a alors invité ces derniers à « réfléchir au fait qu’ils fréquentent une école catholique » et à en tirer les conclusions en trouvant un autre lycée. Après tout, bien que leur lycée actuel n’ait de catholique que le nom, s’il est possible de changer de genre aussi facilement, changer d’établissement devrait être un jeu d’enfant.
Après la chute de l’URSS, nous avons cru à la fin de la guerre et avons créé une armée de maintien de la paix facile à déployer en opérations ponctuelles extérieures. Il faut maintenant reconstruire une armée capable de nous protéger sur notre sol, dans l’éventualité d’une guerre longue et de haute intensité.
Causeur. Au début des années 1990, la chute de l’URSS et la dissolution du pacte de Varsovie ont radicalement changé l’environnement géostratégique de la France. Certains parlaient même de la fin de l’Histoire, des conflits, voire des armées… Quelle stratégie de défense les élites politiques et militaires de l’époque ont-elles décidé de construire à ce moment-là ?
Vincent Desportes. La perception d’un bouleversement profond du monde, mal pris en compte par ailleurs, commence dès 1990, pendant la crise qui a mené à la première guerre du Golfe, à laquelle la France a participé. L’armée française est alors une armée d’appelés, mais le président Mitterrand, reprenant une vieille tradition française, a décidé de ne pas les envoyer se battre à l’extérieur du territoire national. L’armée a donc été obligée de constituer une division avec les soldats professionnels. On tire de cet événement une conclusion forte : notre armée de 300 000 hommes n’est plus adaptée à une situation où nos frontières ne sont plus menacées directement. C’est donc Mitterrand qui casse le modèle. Chirac entérine sa décision et transforme l’armée en armée professionnelle. On perd de vue le fait qu’il puisse y avoir une guerre sur le territoire national. On part d’une vision selon laquelle la guerre « à l’ancienne » n’existe plus et on concentre les efforts sur la construction de l’armée expéditionnaire, capable de conduire de petites opérations ponctuelles à l’extérieur contre le terrorisme ou pour le maintien de la paix, sachant qu’une petite armée comme la française ne sait faire qu’un métier à la fois, surtout quand les budgets de la Défense s’écroulent. On a en conséquence beaucoup de mal à défendre nos chars que tout le monde veut abandonner, car on les juge inadaptés à des opérations à l’extérieur.
Justement, vous avez réussi à conserver les chars : c’est sans doute que tout le monde n’était pas de cet avis.
Bien évidemment. Nous n’avons pas complètement basculé dans l’idée que la guerre à nos frontières ne reviendrait plus. On a conservé un noyau, moins pour l’utiliser que pour ne pas perdre des savoir-faire. C’est grâce à cela que nous possédons aujourd’hui quelque 200 chars, 75 canons, etc. Cependant, certains des métiers de l’armée ont disparu. En réalité, l’armée française est complètement détruite depuis les mandats Sarkozy et Hollande ; on n’a plus de matériel, plus de munitions.
Le cas du Danemark est anecdotique mais intéressant: la population refuse d’abandonner un jour férié pour augmenter son budget de défense. La faiblesse de nos populations, c’est qu’elles considèrent que cette guerre en Ukraine n’est pas vraiment la leur
Vous avez dirigé l’École de guerre. La formation était-elle très différente de celle que vous aviez suivie vingt-cinq ans plus tôt ?
Oui. J’ai terminé l’École de guerre en 1990 quand tout le monde se préparait à la phase chaude de la guerre froide contre l’ennemi soviétique. En 2008, quand je commande l’école, on apprend autre chose à nos officiers. Nous n’avons pas complètement abandonné l’apprentissage de l’engagement dans de grandes batailles, mais ce n’est plus le cœur de la formation. On abandonne les exercices en terrain libre au début des années 2000, au profit d’autres qui correspondent davantage aux guerres expéditionnaires : petits volumes, temps courts et espaces réduits.
Vos partenaires de l’OTAN étaient-ils dans le même état d’esprit ?
Pas exactement, car nos intérêts stratégiques sont différents. La Pologne s’équipe de chars, mais pas nous. Nos soldats ne sont pas formés de la même manière. C’est pour cela qu’aujourd’hui, l’armée française est la seule en Europe capable d’intervenir véritablement à l’extérieur de ses frontières, alors que les autres sont surtout tournées vers la défense du territoire national. Le cas de l’armée allemande est intéressant : elle n’est capable ni de mener une bataille lourde ni de se projeter. Heureusement qu’après la fin de la guerre froide, la France avait changé de modèle pour combattre le djihadisme au Sahel ! Personne ne l’aurait fait à notre place.
Est-ce la guerre en Ukraine qui a changé la donne et sonné la fin de l’« après-guerre froide » ?
Non. L’armée essaie de penser le temps long. Des militaires avaient développé depuis longtemps dans des revues stratégiques l’idée qu’il existait de nouvelles menaces.
En somme, on voit réapparaître l’idée de la guerre de haute intensité. Depuis quand ?
Trois ou quatre ans. Celui qui la porte est le général Thierry Burkhard, le chef d’état-major des armées (CEMA). En tant que chef d’état-major de l’armée de terre, il a déjà théorisé cette idée de guerre de haute intensité. Il s’agit de tout faire pour que cette guerre n’arrive pas, mais si elle arrive, il faut qu’on la gagne. Et pour que la guerre n’arrive pas, il faut faire peur, dissuader. C’est cette ambition qui a présidé à la conception d’un grand exercice de l’armée française (Orion) qui aura lieu en 2023 et 2024. Il nous permettra de nous préparer à nous battre contre un ennemi équipé d’armes lourdes.
Quel a été le déclencheur de cette révision stratégique ?
Le militaire réfléchit, analyse et imagine des scénarios possibles. Depuis que les États-Unis ont lancé la reconquête de leur espace stratégique en Europe, les tensions avec la Russie n’ont cessé de s’aggraver. Le ressort s’est tendu et la Russie a multiplié les sommations : la guerre en Géorgie, la guerre au Donbass… Forcément, la probabilité pour que se produise ce qui s’est produit en février 2022 augmentait. Ceux qui pensaient qu’on pouvait mépriser les Russes n’ont jamais imaginé une invasion de l’Ukraine. Au sein de l’armée on observe, on analyse et on tire les conséquences.
Fin janvier, Emmanuel Macron a annoncé une hausse importante des ressources allouées à la défense nationale. Au-delà de la dimension comptable, c’est un acte symbolique fort. Faut-il en conclure qu’il a pris conscience de l’existence d’une nouvelle donne géostratégique ?
Le 24 février 2022 a fait tomber tous les idéalistes de leur chaise. Tous les pays européens ont augmenté leur budget défense pour les années à venir, la France n’a pas été en reste. Mais Macron avait compris dès 2018 qu’il fallait agir. Cette prise de conscience tenait moins à une réévaluation de la menace qu’à la détérioration profonde de l’armée française. Macron savait déjà qu’il fallait réparer l’armée en urgence et la transformer pour l’adapter à un monde où la guerre redevient possible.
Avec ces 400 milliards d’euros sur sept ans, quelle armée allons-nous avoir ?
D’abord, le scénario de référence n’est plus la menace terroriste. Désormais, on se prépare à une guerre conventionnelle. Cependant, le dernier recours, le pilier central de la défense française, reste l’arme nucléaire. Si nous n’avons que 200 chars, c’est aussi parce que nous avons l’arme nucléaire. Nous n’aurons pas une armée conventionnelle aussi forte que l’armée allemande, qui ne dispose pas de l’arme nucléaire. Nous allons donc moderniser l’arme nucléaire.
Cette guerre russo-ukrainienne nous a aussi rappelé l’importance de la dimension immatérielle, du champ des perceptions. D’où la nouvelle fonction stratégique, l’influence. Celle-ci doit précéder l’action militaire. En outre, on a compris que le cyber est très important, donc il faut augmenter nos capacités de défense en la matière, mais aussi d’attaque.
Ensuite cette guerre nous rappelle l’importance vitale du renseignement. L’un des piliers de la supériorité ukrainienne est le renseignement américain. Si la France veut jouir de son autonomie stratégique, elle a besoin de renseignement, de satellites, de moyens technologiques et humains. Sinon, comme pendant la guerre du Golfe de 1990-1991, les Américains vont nous mener par le bout du nez.
On découvre également une nouvelle dimension, l’ultra-profond. L’autonomie stratégique de la France, et d’ailleurs de tous les pays, se joue sous la mer, à travers les câbles de communication et d’électricité, et les pipelines pour le gaz et le pétrole. Or, les Russes nous menacent d’un tsunami provoqué par des bombes atomiques sous-marines. Nous devons également renforcer notre marine. La France possède la deuxième zone maritime du monde, mais elle n’est plus capable de la protéger par manque de bateaux.
Enfin, il faut renforcer les capacités conventionnelles. On ne peut plus être une « armée de flux ». Il faut redevenir une armée de stock : systèmes, munitions, pièces de rechange. Cela implique une réorganisation de l’appareil industriel de défense. Les chaînes de production du char Leclerc sont arrêtées depuis 2008. La France a compris que les choses changeaient, et à défaut d’inonder la Défense d’argent, on est en train de monter en puissance, pour combler les trous dans la raquette, comme dans le domaine des drones, par exemple.
Faudrait-il revenir à la conscription ?
Cette guerre peut nous amener à poser la question, mais nous n’en sommes pas là. On a bien compris qu’on était une armée réduite, donc que nous avons besoin de réservistes pour pouvoir regonfler nos effectifs rapidement. Le président a décidé d’élargir le service national universel de manière à ce qu’il constitue un vivier de recrutement. Cependant, dans le cas où la Russie gagne cette guerre (ce qui semble improbable), et qu’un nouveau rideau de fer tombe à l’ouest de Lviv, on rétablira la conscription parce qu’on basculera sûrement dans une nouvelle guerre froide.
Et si la Russie ne gagne pas ?
Si la guerre se termine par l’implosion de la Russie – très mauvais résultat –, cela nous amènera trente ans de guerre en Europe ! N’oublions pas les démarches impériales ottomanes d’un côté, chinoises de l’autre… Nous devrons donc, quoi qu’il en soit, retrouver une capacité importante de défense nationale. La question essentielle est la suivante : la France peut-elle consentir aux efforts qui seront demandés ?
Et la réponse ?
Le cas du Danemark est anecdotique mais intéressant : la population refuse d’abandonner un jour férié pour augmenter son budget de défense. La faiblesse de nos populations, c’est qu’elles considèrent que cette guerre en Ukraine n’est pas vraiment la leur. Je pense que le gouvernement est capable de faire un effort, mais la menace et le risque doivent être mieux pris en compte par les citoyens. Quand on voit les gens descendre dans la rue pour tout et n’importe quoi, on sent bien qu’ils ne sont pas prêts à voir leur salaire diminuer de 25 % pour rebâtir une défense.
Quel est le rôle de l’OTAN dans tout cela ? Existe-t-il une alternative crédible à l’alliance avec les États-Unis ?
Je fais partie de ceux qui ont longtemps pensé qu’après la fin de la guerre froide, l’OTAN était un danger. C’est à cause de l’OTAN que les pays européens se sont désarmés. Ils pensaient que l’Oncle Sam allait les protéger. Même si les Américains aident l’Ukraine, ils n’ont pas envie d’envoyer leurs soldats y mourir. La question que posait de Gaulle en 1958 n’a pas changé : l’OTAN donne un faux sentiment de sécurité, qui vous met en réalité en danger, car cela nous détourne de l’idée que la guerre peut arriver. En revanche, je crois qu’entre 1949 et 1989, l’OTAN avait toute sa place. Mais ensuite, l’Europe a raté l’opportunité de devenir un acteur géostratégique, ce qui aurait empêché cette guerre. Nous en sommes arrivés là par faiblesse, parce qu’on se croyait protégés par les États-Unis et par l’OTAN.
Qu’aurions-nous dû faire ?
La faute a eu lieu en 1991. Il fallait prendre notre autonomie à ce moment-là. Nous n’avions plus vraiment besoin de l’OTAN, puisque la Russie était par terre. On aurait pu reconstruire quelque chose de différent. Maintenant la question ne se pose plus : l’OTAN existe, l’OTAN est utile – à condition qu’il y ait, en son sein, un pilier européen capable de porter les intérêts de l’Europe, y compris en se désolidarisant des États-Unis si la politique européenne ne correspond plus à la politique américaine. Si l’objectif de l’OTAN, c’est de nous préparer à la guerre contre la Chine, nous autres Européens n’y avons aucun intérêt !
Mercredi dernier, lors de son entretien à la télévision, le président a retiré sa montre. Il n’en fallait pas plus pour que les réseaux sociaux s’embrasent… Cet esprit « sans culotte » et ces déplorables passions tristes sont savamment entretenus par l’extrême gauche.
C’est un petit incident, qui était passé presque inaperçu pour tout le monde, lors de l’interview présidentielle du mercredi 22 mars à la télévision, au cours de laquelle Emmanuel Macron tentait d’apaiser les colères concernant la réforme des retraites. Au moment de parler des smicards, « qui n’ont jamais autant gagné de pouvoir d’achat », le président Macron aurait retiré sa montre de luxe, discrètement, sous la table. Le symbole était trop beau pour que médias d’extrême-gauche et députés de la Nupes n’embrayent pas. Sur Twitter, JLMTV-INFOS, « compte politique anti extrême droite et extrême finance », est de ceux à qui on ne la fait pas : « Oui, rien ne m’échappe face à ce menteur ! ». Très heureux d’avoir repéré ce moment de l’interview, le commissaire-priseur du net a même pu donner une estimation en direct: 80 000 euros.
🔴 Raté | Ce moment où Emmanuel Macron, le Président des riches, se rend compte qu'il porte une montre de 80000 € pendant qu'il tape sur les gens au RSA et l'enlève discrètement.
L’ « information » fut ensuite relayée par Clémence Guetté, députée LFI élue dans le Val-de-Marne, mais aussi, ce qui est plus surprenant, par Gilbert Collard.
C'est finalement l'image de cette interview #Macron13h :
Au moment de parler des "smicards" qui n'ont "jamais autant gagné de pouvoir d'achat", il retire discrètement sa jolie montre de luxe, sous la table.
En France, il est risqué de montrer des objets de luxe, ils peuvent très vite prendre une valeur politique. Nicolas Sarkozy, lors du débat d’entre-deux-tours de 2007, avait laissé sa Rolex Daytona se balader ostensiblement le long de son poignet. Nicolas Domenach, dans Marianne, lança alors le concept de « droite bling bling ». La petite phrase de Jacques Séguéla n’arrangea pas les choses…
On pourrait remonter plus loin encore avec l’affaire du collier de la reine, sombre histoire d’escroquerie autour d’un collier qui éclata en 1785, et qui éclaboussa Marie-Antoinette, bien malgré elle. Les libelles qui circulèrent à la suite de cette affaire préparèrent le terrain aux calomnies de la période révolutionnaire et du procès de 1793. On ne sait pas encore si Emmanuel et Brigitte Macron finiront dans quelques semaines à la Prison du Temple, attrapés alors que leur hélicoptère décollait à peine pour Baden-Baden. On voit en tout cas que l’extrême-gauche n’a aucun scrupule à exciter la jalousie et les passions tristes. Ce weekend, une image très marrante a circulé sur les réseaux sociaux, et participait de cet esprit. On y voyait un Macron affirmant avec suffisance : « Le changement d’heure, c’est pour permettre aux pauvres de connaitre le décalage horaire… »
Et les faits dans tout ça ? Premièrement, Emmanuel Macron retire sa montre non pas quand il évoque les smicards mais quand il évoque les blocages. Et surtout, il la retire quelques instants après s’être rendu compte qu’elle faisait du bruit en tapant sur la table. Quant à sa valeur… on apprend qu’il s’agit non pas d’une F.P. Journe mais d’une Bell&Ross, le modèle BRV 1-92, avec le cadran bleu et le bracelet noir, d’une valeur de 2 400 euros. N’est pas Julien Dray qui veut !
Trois jours après la naissance de la polémique, le tweet de Clémence Guetté, lui, n’a toujours pas été retiré. Calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose.
Elisabeth Lévy: « Nos élites ne valent pas mieux que nous, c’est tout le problème »
Retrouvez Elisabeth Lévy du lundi au jeudi dans la matinale de Sud Radio, à 8h10
Les conventions migratoires signées avec le Maroc et la Turquie, et l’extrême bienveillance à l’égard des populations musulmanes les plus radicales, alimentent le clientélisme politique de la gauche belge. Couve ainsi une bombe démographique qui pourrait faire de la Belgique le premier État musulman d’Europe.
« On n’est pas là pour évaluer les mérites du gouvernement belge en matière de lutte contre le terrorisme. » Ce rappel, formulé par le président de la Cour d’assises spéciale, au cours du procès des attentats du 13-Novembre à Paris, visait à alléger la tension alors que l’audition de l’enquêteur de la police fédérale belge tournait au procès des autorités belges. Les propos du policier avaient mis en lumière la naïveté sidérante, voire l’aveuglement de son gouvernement face à l’islamisme, y compris dans ses expressions les plus violentes.
C’est désormais bien connu, la Belgique a été la base arrière des attentats de Paris et ceux qui les ont commis sont en majorité belgo-marocains. Mais pire encore, si le commanditaire des attentats, Oussama Atar, a pu mener à bien ses projets meurtriers, c’est en partie grâce à l’incroyable mansuétude des autorités belges. Arrêté en Irak par l’armée américaine pour son appartenance à Al-Qaïda en 2005, condamné à perpétuité en 2007 et emprisonné entre autres à Abu Ghraib, l’homme a bénéficié d’une intervention directe du gouvernement belge demandant sa libération pour motif humanitaire. Renvoyé en Belgique en 2012 sous la promesse d’un contrôle des autorités, le terroriste, dont la dangerosité était pourtant avérée, a été laissé en liberté, sans la moindre surveillance. Le gouvernement belge lui a même fourni un passeport. Il a donc pu très facilement retourner à ses premières amours terroristes et rejoindre Daech en 2013. C’est ainsi que cet émir de l’État islamique a pu tranquillement planifier, en Syrie, les attentats de Paris de 2015 et ceux de Bruxelles de 2016.
Complaisance
Une telle complaisance de la part d’un gouvernement choque, mais n’est pas si étonnante. En Belgique, les islamistes disposent de relais importants dans la classe politique locale, mais aussi à l’intérieur de la Commission et du Parlement européens. Leur influence est telle que, dans le cas d’Oussama Atar, ils n’ont même pas eu à monter au créneau : la campagne de victimisation larmoyante baptisée « Sauvons Oussama » qui a abouti à sa libération a été orchestrée par des députés appartenant au parti Écolo, au PS et à la CDH (parti centriste). Sans surprise, les mêmes partis soutiennent ouvertement des candidats islamistes à des postes de pouvoir.
En mai 2021, Sarah Schlitz, secrétaire d’État belge à l’Égalité des genres et membre des verts, a nommé une femme voilée, Ihsane Haouach, au poste de commissaire du gouvernement auprès de l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes. Que la gauche prétende défendre en même temps l’émancipation des femmes et leur aliénation par le voile, on est habitués. Que cette confusion accède à la dignité gouvernementale, c’est autre chose.
Peut-être enivrée par sa réussite, Ihsane Haouach dévoile un peu vite son jeu. Dans un entretien au Soir, elle déclare que la conception de la laïcité dépend de la démographie. En langage islamiste, canal Frère musulman, cela signifie que quand les musulmans seront majoritaires, ils seront les arbitres de la laïcité. Dans une autre interview, donnée à l’European Forum of Muslim Women, la section féminine des Frères musulmans, elle revendique l’organisation des musulmans en force politique autonome. Cependant, sa carrière fait rapidement pschitt ! quand une note de la Sûreté de l’État belge révèle ses « contacts étroits avec les Frères musulmans ». Même pour la Belgique, c’est trop. Madame Haouach démissionne le 9 juillet, six semaines après sa nomination.
On aurait pu penser que ces diverses mésaventures avaient instruit les autorités belges. Erreur ! Leur dernier exploit en la matière a consisté à donner à la ville de Bruxelles le visage d’une femme voilée, également proche des milieux fréristes. Fatima Zibouh a en effet été choisie pour porter la candidature de Bruxelles au titre de capitale européenne de la culture. Or cette femme, militante Écolo et très soutenue par ce parti, a fondé en 2013 l’association Empowering Belgian Muslims (EMBEM), une structure proche du CCIF dissous en France par Gérald Darmanin et ranimé en Belgique sous le nom de Collectif contre l’islamophobie en Europe (CCIE). Une des personnalités les plus connues d’EMBEM est une députée belgo-turque, bien sûr voilée, Mahinur Özdemir, proche de la branche turque des Frères musulmans. Recep Tayyip Erdogan lui a même fait l’honneur d’assister à son mariage. Depuis, l’EMBEM a été dissoute – après avoir invité nombre de conférenciers appartenant à la mouvance frériste ou proches d’elle, comme Marwan Muhammad, François Burgat et Hajib El Hajjaji, et mis à l’honneur les conférences de Tariq Ramadan.
La ceinture musulmane de Bruxelles
Reste à comprendre les raisons d’une telle complaisance de la part des autorités belges. C’est simple : la démocratie, c’est la démographie. La population d’origine arabo-musulmane pèse très lourd en Belgique, particulièrement dans la région de Bruxelles. D’autant plus lourd que cette population est étonnamment homogène en termes d’origine. L’écrasante majorité de la population musulmane belge (80 à 90 %) est en effet issue de la convention bilatérale signée en 1964 avec le Maroc et la Turquie. Les Marocains sont aujourd’hui la minorité ethnoculturelle la plus importante du pays. Cette immigration marocaine, essentiellement venue du Rif, est fortement sous influence islamiste, ne serait-ce qu’en raison de l’hostilité historique des Rifains au régime chérifien. Cela les rend sensibles à tout ce qui pourrait déstabiliser le pouvoir marocain. Or, depuis que la Belgique a adopté une politique d’intégration facilitant grandement l’obtention de la nationalité, cette population est un enjeu électoral. Les islamistes jouent habilement le jeu du clientélisme politique. Ils capitalisent leur entrisme dans les partis et institutions belges à travers leur stratégie d’influence auprès de l’Union européenne, comme l’explique Florence Bergeaud-Blackler dans son nouveau livre, le Frérisme et ses réseaux.
En 2020, selon Statbel, l’office belge de statistique, 67,7 % de la population belge était composée de Belges d’origine belge. Il y a dix ans, la part de la population d’origine belge était de 74,3 %. La baisse est donc notable en quelques années et devrait s’accélérer. Quant à la proportion de musulmans dans la population, elle devrait au contraire s’accroître fortement. Selon le Pew Forum of Religion and Public Life, la Belgique compterait ainsi 1,149 million de musulmans en 2030, soit une augmentation de 80 % par rapport à 2010 (population évaluée à 638 000). La dynamique démographique joue en faveur de cette population. À noter également que les musulmans, très inégalement répartis sur le territoire, se concentrent essentiellement dans la région de Bruxelles. Selon une étude datant de 2016, certains quartiers seraient particulièrement investis par la population arabo-musulmane (49,3 % à Saint-Josse, 41,2 % à Molenbeek-Saint-Jean, 38,5 % à Schaerbeek…). C’est ce que l’on appelle la ceinture musulmane de Bruxelles.
Une autre étude, publiée en 2020 par la Fondation Jean-Jaurès et intitulée « En immersion chez la jeunesse belge », montre que si la jeunesse bruxelloise dans son ensemble est ouverte et tolérante, les élèves arabo-musulmans se situent à l’inverse de cette tendance. Bien qu’ils votent majoritairement à gauche, clientélisme oblige, ils sont 81 % à se déclarer pratiquants, 38 % considèrent que la religion prime sur la loi civile et leurs valeurs sont bien plus conservatrices que celles de la population belge. Leur image de la femme notamment est conditionnée par la tradition religieuse et son infériorité, revendiquée. Autre donnée, leur absence de connaissances historiques, mais en cela ils rejoignent le reste de la jeunesse belge – et même européenne. L’étude montre aussi que la vision de l’islam de ces jeunes est celle des mouvements les plus radicaux, notamment les Frères musulmans. Cette forte influence de l’islam politique expliquerait aussi le fort sentiment de victimisation ressenti par 65 % des jeunes musulmans alors que la population bruxelloise montre à leur endroit une volonté d’accueil et un fort sentiment compassionnel. Ainsi, malgré la tolérance des Belges, une partie notable de la population d’origine arabo-musulmane, en particulier la jeunesse, est sous l’influence de l’islam politique. On peut en conclure que si la Belgique est devenue la base arrière du djihadisme, c’est qu’elle est à l’avant-garde de l’islamisme. Or, la démographie ne peut qu’accentuer ce positionnement. Dans ces conditions, il devient difficile d’affirmer que le grand remplacement est un fantasme. En réalité, il est le cauchemar de la droite et de l’extrême droite et le rêve des islamistes qui espèrent bien faire de la Belgique le premier État musulman d’Europe. Ce qui explique largement la séduction qu’ils exercent sur la jeunesse.
Le Conseil constitutionnel a entre ses mains le sort de la réforme des retraites, adoptée au Parlement grâce au 49-3. Les Sages ont donc jusqu’au 21 avril pour se prononcer. Mais, alors que la rue gronde, le 21 avril, cela semble très loin…
C’était le soir de la prise de la Bastille. À la suite du renvoi de Necker, de violentes émeutes avaient ébranlé le royaume. « C’est une émeute? Non, Sire, c’est une révolution » avait répondu le duc de La Rochefoucauld-Liancourt à Louis XVI, appelant le Roi à la lucidité…
Le 49-3, vous dis-je !
Ainsi commençait la révolution française dans un climat de tension extrême. Causes multiples et ressemblances avec une France embrasée, aujourd’hui, sur fond de Covid passé et d’inflation. Un détonateur, le 49-3, et le feu est mis aux poudres. Le 49-3, vous dis-je ! La mère des réformes, décidément, ne passe pas. Le gouvernement, sauvé de justesse après une motion de censure, a salué sa victoire. Le prince, droit dans ses bottes, a tenu un discours malin et politique, en pointant du doigt les oies du Capitole et les factieux de Bolsonaro. Le sens était clair adressé aux boomers : « Des factieux de gauche veulent mettre le désordre mais je suis là ! Le Chaos, fils de l’Erèbe, ne passera pas. Suivez mon panache blanc ! » Et s’envole pour Bruxelles. On brique les ors de Versailles pour Charles III. Le lendemain, la France entière s’embrase.
Au Château, le téléphone sonne. Marianne décroche. « La rue ? Oui, Sire. Avec le peuple dedans ? Avec le peuple, dedans, Sire. Tout partout ! Même à Bordeaux ! Des factieux, des mutins, des émeutiers, des flambeurs ? Les révoltés du Bounty ? Vous y allez fort, Sire ! La légitimité ? Dame, Sire, quand on ne l’écoute pas, le peuple est dans la rue, c’est une coutume ! Avec les casseurs ? Oui, tout compris, dans le service ! Des Black bloc, mais pas que ! Le bordel ? Oui, Sire ! La chienlit ! Mélenchon le dit : « La foule, c’est le peuple qui dit non ! » Vous êtes sidéré ? Vous n’y croyiez pas ? Vous attendez l’avis du Conseil constitutionnel, le 21 avril. Et le cavalier budgétaire, vous y avez pensé ? Que je cesse de dire Sire ? Oui, Votre Majesté ! »
Au feu, les pompiers !
Le lendemain, les mêmes. Marianne décroche: « Votre intervention en Belgique ? Très mal perçue, Sire. Vue comme une fin de non-recevoir ! Votre image ? Écornée ! Nos amis allemands n’en reviennent pas. Les mutins ? Ils suscitent étonnement et admiration. Bien sûr que la semaine risque d’être chaude ! On risque d’être débordé, Sire ! Vous entendez les sirènes de pompier ?
— Je sens la fumée. Que faire, Marianne ?
— Changez de braquet ! Retirez cette loi. Vous vous rappelez le grand Charles ? La réforme, non ! La chienlit, oui ! Enfin le contraire ! Cessez de finasser avec le législatif et la Constitution ! La rue est éruptive. L’heure est grave ! Un député souhaite un « bouillonnement démocratique ! » Ne jetez pas de l’huile sur le feu ! Après le pompier pyromane, l’arroseur arrosé ? Oui, j’ai prévenu Buckingham. Eux qui avaient réservé à la France leur première visite ! Après le stade de France, ils n’ont pas de chance !
— Cause toujours, Marianne ! Je suis droit dans mes bottes. Wait and see ! Le pays doit avancer !
— Le 21 avril, c’est loin ! Décidément, vous ne mesurez pas la chance d’avoir un tel peuple, Sire !
Les éditions Séguier ont la très bonne idée de proposer une nouvelle traduction des Mémoires de l’acteur George Sanders. Une première version avait paru en 2004, aux Puf, sous l’impulsion de Roland Jaccard, et sous le titre Mémoires d’une fripouille…
George Sanders est né en 1906 en Russie. Ses parents, d’origine écossaise, l’envoyèrent faire ses études en Grande-Bretagne, au moment où la révolution russe éclata. Jusqu’à l’âge de 30 ans, il vécut de divers métiers, qu’il narre avec fantaisie, avant de devenir comédien par hasard. Il joue dans un premier film anglais en 1936, puis se rend à Hollywood, où il signe un contrat avec la 20th Century Fox. Comme il l’avoue lui-même, « le fait de jouer dans des films ne m’a jamais follement enthousiasmé ». Sanders a toujours abordé le métier d’acteur avec une sorte de dégoût foncier. De manière générale, sa nature nonchalante et rétive au travail le conduisait à une « indifférence » qui a nui à sa carrière. Il a la lucidité, à plusieurs reprises, de le confesser ouvertement : « Quelque peu sur le tard, écrit-il, je suis parvenu à la conclusion que ma réelle vocation dans la vie est l’oisiveté ; voilà quelque chose où j’aurais pu me montrer brillant. » Un autre trait de son caractère est de se dévaluer systématiquement.
Séguier
Certes, Sanders, qui avait au compteur plus d’une centaine de films, a joué dans un certain nombre de navets. Il était peu exigeant dans ses choix. L’intérêt de ces Mémoires apparaît néanmoins lorsqu’il en vient à des tournages marquants, en particulier Voyage en Italie de Rossellini et All About Eve de Mankiewicz. Il ne dit rien, hélas, du Portrait de Dorian Gray d’Albert Lewin, réalisé en 1945, dans lequel il incarnait un Lord Henry en dandy d’anthologie. C’est sur Voyage en Italie qu’il se montre le plus disert, parce qu’il n’en a pas du tout aimé le tournage, ni le résultat. Les détails dont il se souvient, quoique dans une veine sarcastique, ont retenu l’attention des cinéphiles, le fait notamment qu’il n’y avait pas de scénario écrit. Ce fut, raconte-t-il, une « étrange aventure » et un « état d’ahurissement » permanent, avec un Rossellini davantage obsédé par la plongée sous-marine que par son film.
L’arme de l’humour noir
Sanders est plus tendre lorsqu’il s’agit de parler des femmes de sa vie, essentiellement ici de « la riche, turbulente et fantasque émigrée juive hongroise Zsa Zsa Gabor », comme nous la présente dans une belle formule le traducteur. Elle lui inspire cependant des traits de misogynie plus ou moins drôles, que plus personne aujourd’hui n’oserait formuler publiquement, comme par exemple : « il est impossible de tomber amoureux d’une femme sans éprouver à un moment ou à un autre le désir irrépressible de l’étrangler ». En revanche, Sanders ne parle pas de sa dernière femme, Benita Hume, dont Romain Slocombe, dans sa postface, nous dit qu’elle fut son grand amour. Au fond, Sanders ne se laisse jamais aller à la sentimentalité. Il ne recherche pas la sincérité ultime, sous la carapace, mais plutôt à conforter sa réputation de « cad », de fripouille peu recommandable. Son moyen, pour parvenir à cette fin, reste un usage immodéré de l’humour, parfois de l’humour noir, et, bien sûr, de l’autodénigrement. Il frôle quelquefois le génie de l’humour juif. Groucho Marx aurait pu déclarer, dans un de ses films, la phrase suivante, qui est de Sanders au meilleur de sa forme : « je suis l’une des personnes les plus saines que je connaisse. Si je ne l’étais pas, jamais je n’aurais pris le risque de me rendre chez un psychiatre. »
La solitude du dernier acte
La mort de Sanders par suicide, en 1972 en Espagne, sur laquelle revient Romain Slocombe, ajoute une lumière assez triste de solitude sur le destin de ce grand cynique. Dans un billet laissé près de lui, l’acteur avait écrit : « Cher monde, je m’en vais parce que je m’ennuie. Je crois que j’ai vécu suffisamment longtemps. Je vous laisse avec vos soucis dans cette charmante fosse d’aisance. Bonne chance. » Ultime pirouette d’un esprit raffiné, qui a voulu en finir de manière irréfragable, avant que les dieux eux-mêmes ne l’abandonnent. Ses Mémoires sont à placer bien en évidence, dans votre bibliothèque, à côté des rares pourvoyeurs de liberté.
George Sanders, Profession fripouille. Mémoires. Préface d’Éric Neuhoff. Nouvelle traduction de l’anglais et épilogue de Romain Slocombe. Éd. Séguier.
Dans La Fabrique des discours propagandistes contemporains, la linguiste Yana Grinshpun décrypte la fabrication, les mécanismes et les effets meurtriers des propagandes d’aujourd’hui.
L’armée allemande, pendant la Seconde guerre mondiale, était précédée de groupes d’intervention (Einsatzgruppen, en V.O.), chargés de liquider les opposants et les Juifs. Ces milices ont bénéficié, dans les pays baltes et en Ukraine, de l’aide enthousiaste des milices locales.
Leurs officiers n’étaient pas des moujiks ignares, mais des intellectuels, parfois de haut niveau. Comment obtenaient-ils de leurs subordonnés qu’ils massacrent des femmes et des enfants ? Ils n’usaient pas de menace, ces intellectuels, ces professeurs, ces linguistes ces philosophes : ils avaient les « compétences rhétoriques et l’ascendant nécessaires[1] » pour les convaincre, en s’appuyant sur l’important travail de propagande qui avait été fait en amont.
Comprendre cette propagande, ses méthodes, ses substrats, ses techniques est donc fondamental pour éviter le retour de la bête immonde.
La propagande doit être analysée si l’on veut la déconstruire
Yana Grinshpun, Maître de Conférences en Sciences du Langage à l’université Paris III, s’est attaquée à cette montagne. Son livre La fabrique des discours propagandistes contemporains, paru chez L’Harmattan, devrait faire partie du cursus obligatoire pour les étudiants en journalisme : Causeur s’est déjà fait l’avocat de certains d’entre eux, minoritaires, qui ont tenté de résister à l’injonction du tout-wokisme[2]. Grinshpun détricote les dogmes en usage dans les sociétés occidentales : néo-féminisme, inclusivisme, écologisme, décolonialisme, antisionisme, masculinisme et autres antiracismes sélectifs.
Par glissements sémantiques successifs, ces idéologies ont concocté une novlangue où « la transidentité est la norme et l’hétérosexualité une pathologie », où l’on « impose la notion de race au nom de l’antiracisme, la notion de genre au nom d’une prétendue discrimination sexiste », où l’on promeut « l’islam au nom de la liberté de croyance » et où l’on dénonce « le privilège blanc et le racisme systémique, la LGBT-phobie et l’islamophobie, la transphobie et la négrophobie ». Toutes ces maladies de la société occidentale sont liées au même virus… le knockisme. Cet agent pathogène vient du docteur Knock de Jules Romains, pour qui « tout bien portant est un malade qui s’ignore »… Toute société universaliste et antiraciste est affligée de pathologies qu’elle ignore.
Yana Grinshpun a toutes les compétences pour décoder les procédés manipulateurs des militants destructionnistes. Son livre est un décryptage linguistique et psychosocial, qui fait, dans une large mesure, appel au bon sens, cette chose de moins en moins partagée.
Même dans les démocraties
La propagande est plus sophistiquée dans les démocraties que dans les dictatures, évidemment. Pourquoi ? Probablement grâce à l’endoctrinement, qui « est à l’enseignement ce que la propagande est à l’information ». Yana Grinshpun a passé son enfance en Russie soviétique, où l’endoctrinement commençait au jardin d’enfants. La radicalité des exemples qu’elle sort de la Grande Encyclopédie soviétique pourrait prêter à rire, si elle n’avait pas prouvé son efficacité sur une population aussi nombreuse, pendant aussi longtemps.
Comme tous les maux commencent par des mots, la linguiste se rend au chevet de la langue française, menacée d’un inclusivisme qui exclut les exclus : les étrangers, les dyslexiques et, last but not least, la prononciation.
Le français standard, codifié depuis le XVIIe siècle a été accusé de domination masculine, regrette l’auteur, sans qu’ait jamais été posée la question principale : « qu’est-ce que la domination pour la grammaire ? Qu’est-ce que la domination pour un système de signes ? »
Elle s’insurge que l’on puisse imaginer une « corrélation absolue entre le système linguistique et les structures sociales… Le plus petit linguiste débutant sait que ces deux systèmes sont indépendants, ce qui invalide toute forme de knockisme linguistique. »
Les stratégies propagandistes mises à jour
Le petit livre rouge des propagandistes emprunte beaucoup à Lénine : disqualification de celui qui doute, diabolisation de l’ennemi, mais aussi démagogie, mensonge, prosélytisme, occultation, dissimulation, victimisation, complotisme et censure. Pour mettre en œuvre ces stratégies, il faut des outils. La langue de bois, à la fois langue de séduction et d’emprise, existe dans chacune des langues en « isme » : « La langue de bois féministe, la langue de bois antisioniste [et] la langue de bois politique recourent aux phrases complexes avec un grand nombre de propositions subordonnées, complétives et relatives, circonstants et incises. » Ces langues sont riches en « maîtres-mots », qui provoquent des réflexes de reconnaissance. L’écriture inclusive procède aussi de cette fonction de reconnaissance des adeptes qui se reconnaissent comme tel.le.s en elle.
Yana Grinshpun. D.R.
Les « maîtres-mots » évoluent en fonction de la perception que le locuteur désire induire chez son public. Ainsi, « la destruction de l’Ukraine est appelée en Russie « opération spéciale », qu’il est interdit d’appeler « guerre ». Le terme « guerre » étant étiqueté « information mensongère », ceux qui l’utilisent sont passibles de quinze ans de prison… De la même manière, dès qu’un attentat à l’arme blanche est commis en France au nom de l’islam, les médias préfèrent utiliser le terme « déséquilibré ». » Pour l’illustrer, Grinshpun a choisi un titre insensé dans la presse française : « « Allah Akhbar » : les attaques de déséquilibrés criant que « Dieu est grand » se sont multipliées depuis six mois.[3] »
Dans la catégorie « maîtres-mots », les nominés sont « émancipation » et « bienveillance » et le César de l’hypocrisie a été attribué à « victime ». La Palme de la manipulation a été attribuée, pour l’ensemble de son œuvre, au suffixe « phobie » !
De quels moyens linguistiques la propagande est-elle le nom ?
Les procédés morphologiques peuvent transformer un vocable lambda en star : « inclure » a donné « inclusif », puis « inclusivité » et « inclusivisme ». Avec la même dérivation affixale, « invisible » connaît la gloire grâce à « invisibiliser » et « invisilibisation ». « Masculin » accède au statut d’ennemi public n°1 avec « masculiniste » et « masculinisation toxique » !
Le préfixe se révèle une arme de destruction massive du sens : « le préfixe « dé » est très productif, mais on voit apparaître aussi « mé » et le préfixe savant « dys » utilisé initialement dans le domaine médical et repris dans le domaine de l’enseignement pour déléguer les problèmes de la méthode d’enseignement au domaine neurologique. »
Mention spéciale pour le « vivre-ensemble », euphémisme diffusé par des commissions européennes pour transformer la contrainte de l’omniprésence islamique en opportunité. Pour nous faire rire jaune, Grinshpun rappelle le même vocable utilisé dans son pays natal pour « les appartements communaux à l’époque où personne n’avait le droit d’être propriétaire, à l’exception des membres haut placés du Parti. »
Elle relève aussi les emprunts faits à d’autres langues pour nommer des innovations idéologiques comme les « safe spaces », ces cocons où peuvent se réfugier les étudiants agressés par un mot traumatisant, s’ils n’ont pas été avertis à l’avance par un « trigger warning » de son utilisation dans un texte ou dans un dessin animé. Remercions donc Yana Grinshpun de son précieux travail.
La fabrique des discours propagandistes contemporains de Yana Grinshpun (L’Harmattan), 17 février 2023, 256 pages.
Eric Zemmour vient de publier Je n’ai pas dit mon dernier mot (Ed. Rubempré).
Le livre peut décevoir, parce qu’on attend trop de son auteur, mais reste qu’il supporte largement la comparaison avec tout ce qui s’écrit sur les plans politique et intellectuel. Il est par ailleurs passionnant dans la mesure où, sans surprendre véritablement, il projette sur la personnalité d’Eric Zemmour un éclairage enrichi par ses récents déboires politiques et leur analyse. Demeure toujours, dans la forme, le style clair, vif, allègre d’Eric Zemmour, s’abandonnant ici ou là, par exemple dans la très belle fin, à une oralité supérieure, à une éloquence rythmée. On ne peut pas dénier que le succès de ses ouvrages, et celui-ci emprunte le même chemin, tient d’abord au fait que son récit, les pensées, les réflexions, les portraits et les dénonciations échappent à l’ennui par le tour inimitable que l’auteur leur donne.
“Sauvez-nous”: il ne s’en est pas remis
Sur le fond, il faut d’abord passer par la relation de son parcours, avant la campagne puis lors de celle-ci, avec la fraîcheur un peu naïve et l’enthousiasme rétrospectif de quelqu’un qui ne s’est pas encore remis d’avoir pu susciter, durant plusieurs mois, tant d’adhésion, d’admiration, d’inconditionnalité apparente au point de lui avoir laissé croire, selon lui le plus sérieusement du monde, à une présence au second tour, Emmanuel Macron n’attendant que cette joute… On aurait tort de se moquer – on n’atteint jamais les cimes sans les imaginer au moins un instant à portée d’esprit et d’action – mais reste que, devant cette histoire narrée par un vaincu indiscutable, on est fondé à s’interroger : si c’était si extraordinaire, comment a-t-il été laissé pour compte sur le sable démocratique ?
Dans ces hyperboles qu’il parvient parfois difficilement à détourner de lui-même, il instille quelques charges, sur Robert Ménard et Valérie Pécresse en particulier. Concernant cette dernière, la catastrophe qu’il décrit a malheureusement été subie par ceux qui comme moi ont été fidèles jusqu’au bout à un naufrage, fond et forme mêlés. Ces mises en pièces ne font pas de ce livre un réquisitoire exclusif. Sans ce défouloir, Eric Zemmour aurait manqué à son devoir de polémiste et de candidat à la fois amer et abandonné. Il avait promis un examen de conscience, une révision scrupuleuse et sans complaisance des ombres de sa campagne. Si on a eu, et ô combien, les lumières, on n’a guère eu les autres, sinon par des explications un peu trop faciles et confortables sur l’Ukraine, Marine Le Pen et les médias. Aucune n’est infondée mais l’essentiel, à mon sens, était ailleurs : le fait qu’à un certain moment, malgré l’exaltation d’une parole, d’une sincérité, voire d’une brutalité atypiques, d’une projection décapante sur la réalité de notre pays, une forme de lassitude s’est installée, le thème du pouvoir d’achat a pris la relève.
Un candidat contre la modernité par-dessus-tête
Et surtout, le tout n’était pas seulement de décrire les plaies, de les ouvrir et de les révéler mais de les soigner. Eric Zemmour est apparu comme un éclaireur, jamais comme un guérisseur. Ce n’était déjà pas rien que ce rôle. Il l’a mis en position de dire le vrai sur beaucoup de nos maux mais cela ne suffisait pas pour battre en brèche le pragmatisme, au fond conventionnel, de Marine Le Pen, redoutablement efficace sauf dans le moment ultime où son nom et son amateurisme continuaient à la bloquer.
À ce sujet, il est intéressant de constater qu’Eric Zemmour a commencé à baisser quand d’une part l’obsession de provoquer lui a fait perdre le sens commun (par exemple sur l’épisode de Mamoudou Gassama), et que d’autre part il a pris parfois le parti de s’excuser (notamment sur les handicapés). C’était le commencement de la fin pour quelqu’un qui souhaitait bâtir ses avancées à la fois sur l’intuition d’un consensus populaire et le courage maintenu de ses affirmations. Cette priorité longtemps attachée au bon sens perçu comme la riposte la plus adaptée à l’incongruité d’une modernité cul par-dessus-tête, a permis à Eric Zemmour de s’illustrer de la manière la plus convaincante qui soit sur l’école et l’obligation d’y détruire tout ce qui l’a détournée de ses missions fondamentales.
Dans son livre, il y a des pages vigoureuses sur ses thèmes de prédilection et s’il décline volontiers les affres du déclin français, il vise souvent juste, notamment quand il déplore la disparition de la culture, la perversion de l’Histoire idéologisée et d’un pouvoir tellement soucieux de battre sa coulpe pour le sombre, qu’il en oublie de célébrer le glorieux. Pourtant, malgré sa foi en lui et en sa cause chevillée au cœur et à l’esprit, derrière l’énergie de l’espoir et la certitude affichée de vaincre un jour, pourquoi perçoit-on comme une musique un peu triste, pas crépusculaire mais presque ? Comme s’il se forçait, pour Reconquête et pour ceux restant encore avec lui, à un optimisme contre vents et marées, à des prévisions roboratives en dépit de son peu de goût pour la bureaucratie partisane et la gestion d’appareil.
En réalité, je suis persuadé qu’Eric Zemmour a compris qu’il n’était pas de ceux qui arrivent au faîte en ayant construit leur carrière lentement, étape après étape, mais qu’il relevait de cette minorité qui bouscule tout tout de suite, gagne dans la foulée ou est condamnée au mieux à s’enliser, au pire à s’effacer. Pourrait-on même suggérer qu’une pointe de nostalgie existe parce qu’il n’a pas assez senti dans son être, dans son trajet, la singularité de son aventure politique et qu’il serait prêt à revenir dans ce royaume médiatique où il était indépassable grâce à des qualités et à un courage intellectuel que même ses adversaires ne lui déniaient pas ? Premier incontestable dans ce monde mais si loin dans l’autre, le politique.
Eric Zemmour écrira, bataillera, avec Reconquête fera avorter des projets et des initiatives néfastes, se persuadera qu’il est véritablement à sa place parce qu’avoir franchi le Rubicon pour rebrousser chemin ne sera jamais son fort. Mais dans le dialogue intime qu’Eric Zemmour ne cesse d’entretenir avec lui-même, malgré son sourire volontariste et sa belle résilience, je parie qu’il s’en veut d’avoir lâché la proie pour l’ombre. Certes rien de médiocre avec lui mais tout de même : la politique, en définitive, n’a jamais été que le deuil, éclatant mais bref, de sa splendeur et de sa domination médiatiques durables. Mais il faut faire bonne figure : alors, l’énergie de l’espoir…
L’écrivain Franz Bartelt nous offre un recueil de nouvelles tragiquement réjouissantes au Dilettante…
Un nouveau Bartelt fera assurément le printemps des librairies. C’est l’une des dernières valeurs sûres de l’édition française. Chacun de ses livres nous apporte ce délicieux goût pour le désenchantement sardonique et la farce triste. Il traque l’absurde et le tragicomique dans les foyers les plus communs, les plus conventionnels, les plus transparents, les plus étrangers à l’originalité. Donnez-lui un sujet aussi essoré que le couple, le désir, les notaires, le féminisme, l’humanitaire ou la jalousie dans un milieu quelconque, par exemple, une France moyenne périurbaine où le quotidien lénifiant l’emporte sur les grandes ambitions, et Franz Bartelt vous décortique les « petites gens » avec un humour féroce et appliqué. Il fait un carton dans les zones semi-rurales et l’enfer pavillonnaire.
Le Dilettante
Tolstoï tendance Groucho Marx
Dans la dizaine de nouvelles réunies au Dilettante sous le titre âcre et rogue Je ne suis pas malheureux, il s’en donne à cœur joie dans l’analyse noire des comportements humains et leur irrémédiable échec. Y-a-t-il une philosophie « barteltienne » ? Une morale scintillante qui nous éclairerait sur la vie de nos contemporains, des motifs d’espérer ou de croire en son prochain ? L’écrivain des bords de la Meuse, sorte de Tolstoï tendance Groucho Marx, pratique, sans en avoir l’air, une littérature hautement révolutionnaire, un brin nihiliste.
N’attendez pas de lui des théories brumeuses sur le « vivre ensemble » et la revanche des travailleurs en proie aux forces capitalistes. Bartelt travaille sur la psychologie de personnages bancals, ébréchés par la vie, sur le fil du dérisoire, à la frontière du pathétique ; il met alors en place un dispositif narratif implacable, presque suffocant, pour nous amuser d’abord et aussi, nous faire réfléchir. Aucun autre écrivain français ne décrit aussi bien la vacuité des temps modernes et l’incompatibilité des relations entre les hommes et les femmes.
On sort de cette lecture, abattu et riant, désolé et follement excité par son art du désastre en marche, ébloui par la dérive des sentiments. Bartelt, comme ses glorieux aînés, Emmanuel Bove ou Henri Calet, ne juge pas sa bande de bras-cassés et de malheureux pathologiques, il ne les sermonne pas, ne tente pas de les faire adhérer au système, de les rendre meilleur, de les élever, il chérit même leur côté reclus et possédé. Avec Bartelt, nous sommes tous prisonniers d’un élan amoureux, d’une foucade de jeunesse, d’une lubie invraisemblable, que rien ne peut venir contrarier. Nous sommes mus intérieurement par une machine déphasée, elle nous pousse à agir d’une façon proprement insensée. C’est le cas de Martin Vanoutte, héros patient de la première nouvelle de ce recueil qui s’est entiché de Blanche Dodinot, avec une force terrible, presque surhumaine, de Don Quichotte. Il va consacrer son existence à vivre par contumace, à l’observer d’une fenêtre et à récolter quelques miettes d’un bonheur en pointillé, baisers épistolaires et rapprochements furtifs. Est-ce une victime, un simple d’esprit ou un chevalier ?
Conteur narquois
Bartelt est un maître retors, il brouille sans cesse les cartes du réel, la fatalité des gens ordinaires nous interroge sur notre propre rapport à la normalité. Les fidèles de ce Desproges des terres abandonnées retrouveront son style de conteur narquois et désopilant, ce second degré qui nous cueille lorsqu’on ne s’y attend pas. Il écrit sérieusement, sincèrement, se fait souvent le porte-voix de minables patentés qui s’ignorent, restitue ainsi leurs plus secrètes pensées et, en une formule, il vient dégoupiller le sérieux d’une confession. Nous aimons Bartelt, nous le suivons depuis très longtemps, justement pour savourer ses aphorismes qui sont chargés d’une humeur vipérine ou tendre. Je n’ai jamais réussi à trancher la question.
Quand il écrit: « L’acte sexuel consomme un steak haché au quart d’heure » ; « Regardez, c’est l’épouse d’un chef comptable ! » ; « L’orphelin véritable doit pouvoir se vanter de n’avoir jamais connu ses parents » ou « Ils regardaient le plafond ensemble. C’était bon comme l’amour » : nous jubilons, tout simplement.
Je ne suis pas malheureux de Franz Bartelt, Le Dilettante, 256 pages.
Notre monde sommé de se mettre au pas de l’hystérie néo-racialiste et de s’enfoncer dans le nombrilisme woke laisse encore un peu de place à la civilisation de l’Universel, si chère à Léopold Sédar Senghor. Tout n’est pas perdu. Plusieurs expositions le prouvent, d’Amsterdam à Madrid en passant par Paris.
« Senghor et les arts : réinventer l’universel ». Dans un contexte culturel de balkanisation de la pensée et de la création, systématisées en un kaléidoscope d’identités douloureuses et d’altérités délabrantes, le thème de l’exposition en cours (jusqu’au 19 novembre 2023) au musée du Quai Branly-Jacques Chirac a de quoi détonner. Francophile, amoureux d’une culture occidentale qui a nourri sa propre vision du monde, notamment à travers le modèle de la Grèce antique, et d’une culture africaine chevillée au corps qu’il a pensée comme un humanisme fécond, Léopold Sédar Senghor (1906-2001) est une figure aux antipodes de l’hystérie néo-racialiste actuelle et de son revanchisme cacophonique. Agrégé de grammaire française, académicien, président du Sénégal et poète, Senghor a assumé une double paternité : celle du concept de négritude et celle de la francophonie. Il est de ceux qui ont cru à « la greffe de la raison intuitive sur la raison discursive », autrement dit à la synthèse des valeurs culturelles négro-africaines et de l’Occident, capables de converger, s’enrichissant de leurs différences, vers cette civilisation de l’Universel qu’il appelait de ses vœux, accessible par la sculpture, la peinture, la musique, la danse, le théâtre, l’artisanat. Et, par-dessus tout, par la poésie, cet art dont il pensait qu’il était l’espoir du monde, ce « pont de douceur » capable de relier l’émotion à la raison. Le thème de l’exposition renoue donc avec le beau concept d’Universel remplacé aujourd’hui par les grandeurs toutes relatives de l’origine et de l’identité, qui ne sont universelles que par la quantité des monologues qu’elles produisent et par le maigre usage collectif que l’on est prié d’en faire. Il y aurait néanmoins beaucoup à dire sur le parcours proposé par l’exposition. Quoique Senghor ait lui-même distingué « civilisation universelle » (prétention occidentale, selon lui) et « civilisation de l’Universel » (« convergence pan-humaine des vérités complémentaires de chaque nation, de chaque race, de chaque continent »), il aurait été judicieux que cette « obsession de l’Homme » qui était, de fait, la sienne et cette défiance de la « négritude ghetto » qui, de fait également, a caractérisé sa pensée et son action soient mises à l’honneur au même titre que ses écrits doloristes (« nous n’avons pas été seulement regardés de loin de derrière des frontières d’indifférence, mais de haut : des gratte-ciel de la civilisation occidentale », 1967). Mais Senghor, comme les autres, a bien droit à la « relecture de ses questionnements à l’aune des enjeux culturels contemporains », grâce à ce que la direction du musée nomme encore avec enthousiasme « la vitalité des questionnements qui animent les chercheurs, les artistes et les citoyens désireux de concourir à l’avènement d’un “nouvel ordre culturel mondial” ». Une vitalité des questionnements à saluer bien entendu si l’idée est, en présentant Senghor et sa « négritude, truelle à la main », de réhabiliter auprès d’une opinion parfois sceptique une figure tutélaire accusée à tort de néocolonialisme.
« L’orgueil d’être différent ne doit pas empêcher le bonheur d’être ensemble », écrivait Senghor. C’est bien à ce bonheur d’être ensemble que n’invite pas Faith Ringgold (née à New York, 1930), qui se définit comme une « femme noire artiste » et dont les œuvres, actuellement au musée Picasso-Paris (jusqu’au 2 juillet), poussent bien loin « l’orgueil d’être différent ». Important la question raciale nord-américaine – question très spécifique à cette région, mais récupérée avec l’empressement fébrile que l’on sait par les chantres des minorités identitaires pour qui l’histoire du monde n’est que l’histoire de l’esclavage dans le monde –, Faith Ringgold se dit fière d’avoir pu pénétrer la scène artistique, d’avoir montré « qu’il y avait des Noirs quand Picasso, Monet et Matisse faisaient de l’art » et d’avoir « décidé » de devenir artiste « sans sacrifier un iota de [sa] noirceur, de [sa] féminité ou de [son] humanité ». Fierté que l’on partagerait avec elle, dans le bonheur d’être ensemble senghorien, si son œuvre parlait ne serait-ce que d’un « iota » de cette précieuse humanité, autrement dit de l’Homme, ses passions, ses grandeurs, ses craintes, ses faiblesses, ses contradictions, bref de tout ce que nous avons en partage, mais qui intéresse apparemment moins Ringgold que la-place-de-la-femme-noire-artiste-sur-la-scène-artistique. Cette obsession de soi et du regard sur soi prend, chez cette militante de causes croisées, la forme de l’autofiction dont la série de huit « quilts paintings » The French Collection (1991-1997) est un exemple abouti. Cette série retrace l’histoire d’une Africaine-Américaine (sic) répondant au nom de Willia Marie Simone qui, se rêvant artiste peintre, promène son existence au milieu des œuvres des grands maîtres de la peinture européenne dont elle tente d’obtenir des réponses pour elle-même. Dans ce qu’il est convenu, désormais, d’appeler un « dialogue » avec les œuvres du patrimoine universel, Willia Marie Simone est représentée par Ringgold peignant Picasso nu entouré des amies féministes (vêtues, elles) de l’artiste, dans une scène qui mêle Le Déjeuner sur l’herbe d’Édouard Manet et les Nymphéas de Claude Monet : Picasso at Giverny. Amusée, comme elle le dit elle-même, d’avoir représenté ce « coureur de jupons » en tenue d’Adam, Faith Ringgold conçoit l’art non comme le dévoilement du monde ou la mise à nu de l’âme humaine, mais comme la réponse à la seule question légitime que chacune de ses œuvres pose inlassablement : « Une femme de ma couleur peut-elle parvenir à ce niveau de reconnaissance ? » On est loin, très loin, de la poésie de Léopold Sédar Senghor : « Femme nue, femme noire / Vêtue de ta couleur qui est la vie, de ta forme qui est la beauté / J’ai grandi à ton ombre » (Chants d’ombre, 1948).
Le bonheur d’être ensemble – un peu trop ensemble peut-être – sera en revanche celui des 450 000 visiteurs attendus à la rétrospective Vermeer (1632-1675) du Rijksmuseum d’Amsterdam (jusqu’au 4 juin). Cette exposition inédite, que certains n’hésitent pas à qualifier d’exposition du siècle, rassemble 28 des 37 chefs-d’œuvre du grand maître flamand. La réunion d’un si grand nombre de chefs-d’œuvre n’est pas l’occasion de nous interroger sur l’intérêt (ou non) des grandes révélations que la science, à travers la systématisation des radiographies et des coupes stratigraphiques, semble tenir à nous faire sur des tableaux dont nous n’attendons pas tant les biopsies que l’autopsie en miroir des sentiments et des sensations qu’ils font naître en nous. Mais plutôt l’occasion de regarder la lumière et d’écouter le silence d’un xviie siècle qui nous parvient encore. Pourquoi Vermeer est-il un grand maître ? Pourquoi tant de gens du monde entier vont-ils venir s’entasser dans le cadre étroit de ces demeures proprettes d’une bourgeoisie commerçante heureuse de son existence ? Sans doute parce que les scènes d’intérieur que Vermeer a peintes ont encore à voir avec notre vie intérieure, enrichie du quotidien magnifié ou épuré que les siècles passés nous font parvenir à travers la peinture. Tout, pourtant, éloigne notre époque des scènes de genre de Vermeer. Son Géographe (1669), compas à la main, rêve du monde que sillonnent les vaisseaux de la bourgeoisie commerçante flamande, et la lumière du dehors, pleine des promesses de l’entreprise humaine, baigne de sa clarté engageante la riche étoffe et la carte au-dessus de laquelle s’immobilise un instant la main de l’homme. Sa Laitière (1658-1659) verse délicatement le lait qui coule en un mince filet du pichet poli par l’usage domestique et le soin porté aux choses, au milieu des croustillances dorées des pains et des brioches. Chez Vermeer, les visages se parlent, s’écoutent, éclairés par le plaisir de voir et d’écouter. La jeune fille est heureuse, assise auprès de l’officier (1657-1658). De quoi rit-elle ? Lui a l’air sérieux, tout de sombre vêtu, le visage caché en partie par son grand chapeau noir. Mais la jeune fille rit, heureuse de cette présence dont elle a peut-être rêvé, pensive, une lettre entre les mains, debout devant une fenêtre ouverte sur l’attente. À l’époque de l’empreinte carbone, du commerce équitable, des voyages incessants et des distances dérisoires, de la désuétude du courrier postal, de l’obsolescence programmée des objets, des sentiments et de la pensée, Vermeer nous rappelle à ce qui nous unit encore et fait résonner dans le silence paisible de cette intimité quotidienne les grands bonheurs que sont les joies simples. On est près, tout près de la poésie de Senghor : « Ta lettre sur le drap, sous ma lampe odorante / Bleue comme la chemise neuve que lisse le jeune homme » (Lettres d’hivernage, 1973) ; « Tout l’hiver devant ma fenêtre, qui s’en va […] Du monde je ne vois qu’un rectangle bleu » (Poèmes perdus, 1990).
Les expositions en cours renouent avec l’Universel. À l’heure où l’on nobélise ceux qui écrivent pour venger leur race, elles sont une belle façon de venger la grâce du discours sur l’Homme. De Madrid à Amsterdam, en passant par Lyon (Poussin) ou Paris (Monet), les grands maîtres de la peinture européenne sont à l’honneur, eux qui n’ont pas fait de leurs « misérables rhapsodies » (Théophile Gautier) égotiques ni de leurs « monotones masturbations » (Mario Vargas Llosa) le sens ultime de leur œuvre. Fernando Zóbel (1924-1984), au musée du Prado (jusqu’au 3 mai), mêle l’abstraction à la grande tradition occidentale en nommant ses œuvres « conversations » avec Rembrandt, Velázquez, Degas et tant d’autres. Peintre abstrait, il dit et peint son désir de « conserver », de « maintenir » les œuvres du passé face à « la stupidité de la destruction » (1959). Joaquín Sorolla (1863-1923), à qui l’Espagne rend hommage en cette année anniversaire, père du luminisme, peintre des corps baignés de lumière et des vêtements trempés de soleil en bord de mer, continua toute sa vie durant à vénérer dans ses œuvres les grands maîtres espagnols – Greco, Velázquez, Goya –, eux qu’il avait appris à copier dans sa jeunesse. Cette programmation a donc de quoi réjouir. Est-elle une simple coïncidence ? Ou ne sommes-nous pas en train de nous lasser, collectivement, des artistes qui ne parlent plus de nous ? Allons écouter le rire de la jeune fille de Vermeer, imaginer en silence les lettres qui se sont écrites et lues à la clarté d’un jour qui n’est plus le nôtre mais filtre la même lumière, saisir l’éclat des perles – blanc, gris, nacré, argenté –, toucher des yeux les tentures, les étoffes et les rideaux, et, surtout, nous approcher un peu plus de ces fenêtres ouvertes sur ce monde dont nous avons hérité. Relisons également quelques poèmes de Léopold Sédar Senghor et tissons, sans qu’on décide pour nous quels « dialogues » et quelles correspondances sont à établir, la trame d’une conversation avec les autres – y compris ceux qui nous ont précédés.
« Faith Ringgold. Black is beautiful « , jusqu’au 2 juillet 2023 au Musée Picasso, Paris.
« Senghor et les arts. Réinventer l’universel », jusqu’au 19 novembre 2023 au Musée Quai-Branly-Jacques Chirac, Paris.
« Zóbel, le futur du passé », jusqu’au 3 mai 2023 mai au musée du prado, Madrid.
« Vermeer » jusqu’au 4 juin 2023 au Rijksmuseum, Amsterdam.
Le Canada de Trudeau est de plus en plus la terre d’élection du wokisme. Un jeune qui y maintenait qu’il n’y avait que deux genres, vient d’être sanctionné par son lycée, pourtant catholique.
Josh Alexander est un adolescent rebelle. Jusqu’en novembre 2022, ce Canadien de 16 ans était scolarisé dans un lycée catholique de Renfrew, ville de l’Ontario. En classe, alors qu’un débat s’engage sur le sujet de la transition de genre, Josh juge bon de rappeler qu’il n’y a que deux sexes, que l’on naît homme ou femme. « Le genre ne l’emporte pas sur la biologie », avance-t-il, une déclaration marquée du coin du bon sens mais qui lui vaut d’être renvoyé de son établissement.
Pas très catholique comme motif d’expulsion. Imaginez la réaction de l’établissement s’il avait déclaré qu’il n’y a qu’un Dieu ! Il faut dire que le jeune homme est un habitué des coups d’éclat. En effet, dans ce lycée, plusieurs adolescents pensent être des adolescentes et fréquentent le vestiaire féminin. Irrité par cette situation, Josh a organisé une grève pour que ses camarades féminines puissent accéder à leur vestiaire sans avoir à le partager avec des garçons qui se prennent pour des filles. L’insolence de l’adolescent ne s’arrête pas là puisqu’il a osé expliquer que son opinion sur le sujet était fondée sur la Bible. Selon ce livre très ancien, et par conséquent caduc aux yeux de notre postmodernité, l’humanité se diviserait en deux sexes, probablement car le Créateur de ces derniers n’était pas assez progressiste pour en imaginer un troisième.
Le lycée a émis plusieurs conditions au retour du jeune homme, en particulier qu’il accepte de ne pas assister à certains cours suivis par deux étudiants transgenres qui désapprouvent ses croyances religieuses. Josh a alors invité ces derniers à « réfléchir au fait qu’ils fréquentent une école catholique » et à en tirer les conclusions en trouvant un autre lycée. Après tout, bien que leur lycée actuel n’ait de catholique que le nom, s’il est possible de changer de genre aussi facilement, changer d’établissement devrait être un jeu d’enfant.
Après la chute de l’URSS, nous avons cru à la fin de la guerre et avons créé une armée de maintien de la paix facile à déployer en opérations ponctuelles extérieures. Il faut maintenant reconstruire une armée capable de nous protéger sur notre sol, dans l’éventualité d’une guerre longue et de haute intensité.
Causeur. Au début des années 1990, la chute de l’URSS et la dissolution du pacte de Varsovie ont radicalement changé l’environnement géostratégique de la France. Certains parlaient même de la fin de l’Histoire, des conflits, voire des armées… Quelle stratégie de défense les élites politiques et militaires de l’époque ont-elles décidé de construire à ce moment-là ?
Vincent Desportes. La perception d’un bouleversement profond du monde, mal pris en compte par ailleurs, commence dès 1990, pendant la crise qui a mené à la première guerre du Golfe, à laquelle la France a participé. L’armée française est alors une armée d’appelés, mais le président Mitterrand, reprenant une vieille tradition française, a décidé de ne pas les envoyer se battre à l’extérieur du territoire national. L’armée a donc été obligée de constituer une division avec les soldats professionnels. On tire de cet événement une conclusion forte : notre armée de 300 000 hommes n’est plus adaptée à une situation où nos frontières ne sont plus menacées directement. C’est donc Mitterrand qui casse le modèle. Chirac entérine sa décision et transforme l’armée en armée professionnelle. On perd de vue le fait qu’il puisse y avoir une guerre sur le territoire national. On part d’une vision selon laquelle la guerre « à l’ancienne » n’existe plus et on concentre les efforts sur la construction de l’armée expéditionnaire, capable de conduire de petites opérations ponctuelles à l’extérieur contre le terrorisme ou pour le maintien de la paix, sachant qu’une petite armée comme la française ne sait faire qu’un métier à la fois, surtout quand les budgets de la Défense s’écroulent. On a en conséquence beaucoup de mal à défendre nos chars que tout le monde veut abandonner, car on les juge inadaptés à des opérations à l’extérieur.
Justement, vous avez réussi à conserver les chars : c’est sans doute que tout le monde n’était pas de cet avis.
Bien évidemment. Nous n’avons pas complètement basculé dans l’idée que la guerre à nos frontières ne reviendrait plus. On a conservé un noyau, moins pour l’utiliser que pour ne pas perdre des savoir-faire. C’est grâce à cela que nous possédons aujourd’hui quelque 200 chars, 75 canons, etc. Cependant, certains des métiers de l’armée ont disparu. En réalité, l’armée française est complètement détruite depuis les mandats Sarkozy et Hollande ; on n’a plus de matériel, plus de munitions.
Le cas du Danemark est anecdotique mais intéressant: la population refuse d’abandonner un jour férié pour augmenter son budget de défense. La faiblesse de nos populations, c’est qu’elles considèrent que cette guerre en Ukraine n’est pas vraiment la leur
Vous avez dirigé l’École de guerre. La formation était-elle très différente de celle que vous aviez suivie vingt-cinq ans plus tôt ?
Oui. J’ai terminé l’École de guerre en 1990 quand tout le monde se préparait à la phase chaude de la guerre froide contre l’ennemi soviétique. En 2008, quand je commande l’école, on apprend autre chose à nos officiers. Nous n’avons pas complètement abandonné l’apprentissage de l’engagement dans de grandes batailles, mais ce n’est plus le cœur de la formation. On abandonne les exercices en terrain libre au début des années 2000, au profit d’autres qui correspondent davantage aux guerres expéditionnaires : petits volumes, temps courts et espaces réduits.
Vos partenaires de l’OTAN étaient-ils dans le même état d’esprit ?
Pas exactement, car nos intérêts stratégiques sont différents. La Pologne s’équipe de chars, mais pas nous. Nos soldats ne sont pas formés de la même manière. C’est pour cela qu’aujourd’hui, l’armée française est la seule en Europe capable d’intervenir véritablement à l’extérieur de ses frontières, alors que les autres sont surtout tournées vers la défense du territoire national. Le cas de l’armée allemande est intéressant : elle n’est capable ni de mener une bataille lourde ni de se projeter. Heureusement qu’après la fin de la guerre froide, la France avait changé de modèle pour combattre le djihadisme au Sahel ! Personne ne l’aurait fait à notre place.
Est-ce la guerre en Ukraine qui a changé la donne et sonné la fin de l’« après-guerre froide » ?
Non. L’armée essaie de penser le temps long. Des militaires avaient développé depuis longtemps dans des revues stratégiques l’idée qu’il existait de nouvelles menaces.
En somme, on voit réapparaître l’idée de la guerre de haute intensité. Depuis quand ?
Trois ou quatre ans. Celui qui la porte est le général Thierry Burkhard, le chef d’état-major des armées (CEMA). En tant que chef d’état-major de l’armée de terre, il a déjà théorisé cette idée de guerre de haute intensité. Il s’agit de tout faire pour que cette guerre n’arrive pas, mais si elle arrive, il faut qu’on la gagne. Et pour que la guerre n’arrive pas, il faut faire peur, dissuader. C’est cette ambition qui a présidé à la conception d’un grand exercice de l’armée française (Orion) qui aura lieu en 2023 et 2024. Il nous permettra de nous préparer à nous battre contre un ennemi équipé d’armes lourdes.
Quel a été le déclencheur de cette révision stratégique ?
Le militaire réfléchit, analyse et imagine des scénarios possibles. Depuis que les États-Unis ont lancé la reconquête de leur espace stratégique en Europe, les tensions avec la Russie n’ont cessé de s’aggraver. Le ressort s’est tendu et la Russie a multiplié les sommations : la guerre en Géorgie, la guerre au Donbass… Forcément, la probabilité pour que se produise ce qui s’est produit en février 2022 augmentait. Ceux qui pensaient qu’on pouvait mépriser les Russes n’ont jamais imaginé une invasion de l’Ukraine. Au sein de l’armée on observe, on analyse et on tire les conséquences.
Fin janvier, Emmanuel Macron a annoncé une hausse importante des ressources allouées à la défense nationale. Au-delà de la dimension comptable, c’est un acte symbolique fort. Faut-il en conclure qu’il a pris conscience de l’existence d’une nouvelle donne géostratégique ?
Le 24 février 2022 a fait tomber tous les idéalistes de leur chaise. Tous les pays européens ont augmenté leur budget défense pour les années à venir, la France n’a pas été en reste. Mais Macron avait compris dès 2018 qu’il fallait agir. Cette prise de conscience tenait moins à une réévaluation de la menace qu’à la détérioration profonde de l’armée française. Macron savait déjà qu’il fallait réparer l’armée en urgence et la transformer pour l’adapter à un monde où la guerre redevient possible.
Avec ces 400 milliards d’euros sur sept ans, quelle armée allons-nous avoir ?
D’abord, le scénario de référence n’est plus la menace terroriste. Désormais, on se prépare à une guerre conventionnelle. Cependant, le dernier recours, le pilier central de la défense française, reste l’arme nucléaire. Si nous n’avons que 200 chars, c’est aussi parce que nous avons l’arme nucléaire. Nous n’aurons pas une armée conventionnelle aussi forte que l’armée allemande, qui ne dispose pas de l’arme nucléaire. Nous allons donc moderniser l’arme nucléaire.
Cette guerre russo-ukrainienne nous a aussi rappelé l’importance de la dimension immatérielle, du champ des perceptions. D’où la nouvelle fonction stratégique, l’influence. Celle-ci doit précéder l’action militaire. En outre, on a compris que le cyber est très important, donc il faut augmenter nos capacités de défense en la matière, mais aussi d’attaque.
Ensuite cette guerre nous rappelle l’importance vitale du renseignement. L’un des piliers de la supériorité ukrainienne est le renseignement américain. Si la France veut jouir de son autonomie stratégique, elle a besoin de renseignement, de satellites, de moyens technologiques et humains. Sinon, comme pendant la guerre du Golfe de 1990-1991, les Américains vont nous mener par le bout du nez.
On découvre également une nouvelle dimension, l’ultra-profond. L’autonomie stratégique de la France, et d’ailleurs de tous les pays, se joue sous la mer, à travers les câbles de communication et d’électricité, et les pipelines pour le gaz et le pétrole. Or, les Russes nous menacent d’un tsunami provoqué par des bombes atomiques sous-marines. Nous devons également renforcer notre marine. La France possède la deuxième zone maritime du monde, mais elle n’est plus capable de la protéger par manque de bateaux.
Enfin, il faut renforcer les capacités conventionnelles. On ne peut plus être une « armée de flux ». Il faut redevenir une armée de stock : systèmes, munitions, pièces de rechange. Cela implique une réorganisation de l’appareil industriel de défense. Les chaînes de production du char Leclerc sont arrêtées depuis 2008. La France a compris que les choses changeaient, et à défaut d’inonder la Défense d’argent, on est en train de monter en puissance, pour combler les trous dans la raquette, comme dans le domaine des drones, par exemple.
Faudrait-il revenir à la conscription ?
Cette guerre peut nous amener à poser la question, mais nous n’en sommes pas là. On a bien compris qu’on était une armée réduite, donc que nous avons besoin de réservistes pour pouvoir regonfler nos effectifs rapidement. Le président a décidé d’élargir le service national universel de manière à ce qu’il constitue un vivier de recrutement. Cependant, dans le cas où la Russie gagne cette guerre (ce qui semble improbable), et qu’un nouveau rideau de fer tombe à l’ouest de Lviv, on rétablira la conscription parce qu’on basculera sûrement dans une nouvelle guerre froide.
Et si la Russie ne gagne pas ?
Si la guerre se termine par l’implosion de la Russie – très mauvais résultat –, cela nous amènera trente ans de guerre en Europe ! N’oublions pas les démarches impériales ottomanes d’un côté, chinoises de l’autre… Nous devrons donc, quoi qu’il en soit, retrouver une capacité importante de défense nationale. La question essentielle est la suivante : la France peut-elle consentir aux efforts qui seront demandés ?
Et la réponse ?
Le cas du Danemark est anecdotique mais intéressant : la population refuse d’abandonner un jour férié pour augmenter son budget de défense. La faiblesse de nos populations, c’est qu’elles considèrent que cette guerre en Ukraine n’est pas vraiment la leur. Je pense que le gouvernement est capable de faire un effort, mais la menace et le risque doivent être mieux pris en compte par les citoyens. Quand on voit les gens descendre dans la rue pour tout et n’importe quoi, on sent bien qu’ils ne sont pas prêts à voir leur salaire diminuer de 25 % pour rebâtir une défense.
Quel est le rôle de l’OTAN dans tout cela ? Existe-t-il une alternative crédible à l’alliance avec les États-Unis ?
Je fais partie de ceux qui ont longtemps pensé qu’après la fin de la guerre froide, l’OTAN était un danger. C’est à cause de l’OTAN que les pays européens se sont désarmés. Ils pensaient que l’Oncle Sam allait les protéger. Même si les Américains aident l’Ukraine, ils n’ont pas envie d’envoyer leurs soldats y mourir. La question que posait de Gaulle en 1958 n’a pas changé : l’OTAN donne un faux sentiment de sécurité, qui vous met en réalité en danger, car cela nous détourne de l’idée que la guerre peut arriver. En revanche, je crois qu’entre 1949 et 1989, l’OTAN avait toute sa place. Mais ensuite, l’Europe a raté l’opportunité de devenir un acteur géostratégique, ce qui aurait empêché cette guerre. Nous en sommes arrivés là par faiblesse, parce qu’on se croyait protégés par les États-Unis et par l’OTAN.
Qu’aurions-nous dû faire ?
La faute a eu lieu en 1991. Il fallait prendre notre autonomie à ce moment-là. Nous n’avions plus vraiment besoin de l’OTAN, puisque la Russie était par terre. On aurait pu reconstruire quelque chose de différent. Maintenant la question ne se pose plus : l’OTAN existe, l’OTAN est utile – à condition qu’il y ait, en son sein, un pilier européen capable de porter les intérêts de l’Europe, y compris en se désolidarisant des États-Unis si la politique européenne ne correspond plus à la politique américaine. Si l’objectif de l’OTAN, c’est de nous préparer à la guerre contre la Chine, nous autres Européens n’y avons aucun intérêt !