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Centre de formatage


Centre de formatage
Rentrée des classes dans une école élémentaire de Bordeaux, 1er septembre 2022 © Ugo Amez/SIPA

L’école n’est plus un temple clos dédié à l’instruction. C’est même tout l’inverse. Ouverte aux quatre vents de la propagande woke, islamique, immigrationniste et pédagogiste, elle se contente de formater les cervelles des futurs citoyens. On peut résister, mais ce n’est pas simple.


Ministère de la Rééducation nationale. C’est ainsi qu’on devrait baptiser désormais l’institution chargée des jeunes esprits. Le glissement de l’Instruction publique à l’Éducation nationale était déjà suspect : instruire ne suffirait pas, il faudrait donc éduquer – tâche normalement dévolue aux parents. On peut considérer bien sûr qu’une instruction solide fait partie de toute éducation digne de ce nom, mais l’éducation déborde ce cadre de l’instruction dans la mesure où elle suppose des choix, des orientations. Toutes les familles n’éduquent pas de la même façon et ne transmettent pas les mêmes principes et valeurs. Que les écoles se mêlent d’éducation semble contrevenir à l’objectivité que garantit globalement la stricte transmission du savoir. Cette mission première n’échappe pas, évidemment, à la définition de priorités dans les programmes – qu’est-ce qui mérite d’être enseigné ? – ni à la possible partialité de tel ou tel professeur dans son approche, mais enfin, sur le papier, instruire devrait prémunir contre la tentation éducative.

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Qu’en est-il aujourd’hui des finalités de l’école ? Il semble bien que l’instruction soit oubliée au profit de la seule éducation, entendue comme un dressage idéologique depuis les plus petites classes. Qui oserait prétendre que les savoirs sont encore transmis, au vu du massacre de la langue perpétré par la plupart des élèves, de la méconnaissance quasi totale de l’histoire de leur propre pays, de leur inaptitude dans les opérations mathématiques les plus simples et le calcul mental ? La priorité n’est plus là, même si les programmes peuvent faire illusion : en ce qui concerne les lettres, l’étude des textes demeure, mais comment pénétrer les subtilités d’une langue littéraire lorsqu’on est incapable d’identifier un subjonctif ou de distinguer entre futur et conditionnel ? L’exercice de la dissertation perdure, mais comment développer une pensée quand on ne maîtrise ni le lexique ni la syntaxe ? On continue de faire croire que les exigences sont là alors même que le niveau général les rend de facto hors de portée.

Inclusion plutôt que révision

On sacrifie l’instruction depuis des décennies, et peu de gens, hormis quelques naïfs, y compris parmi les enseignants, sont dupes de ce qu’est devenue l’école : une sphère soumise à l’idéologie, c’est-à-dire à la doxa autoproclamée progressiste des élites politiques et médiatiques, bien loin de sa vocation première de transmission du savoir. S’il y a pourtant un lieu qui doit résister à l’air du temps, c’est bien l’école : on devrait n’y entrer qu’en se déchargeant d’un présent parasitaire et cesser dès le seuil de la classe d’être un individu pour devenir un élève. C’est même précisément ce délestage qui laissera le champ libre à la formation d’une culture et d’une pensée, seule condition d’un réel accès au monde et à soi-même. Les élèves subissent un matraquage permanent et entendent plus souvent parler de parité entre hommes et femmes, de gestes éco-responsables et d’antiracisme que de l’accord du participe passé. L’idéologie n’avance même pas masquée, l’orientation « morale et civique » est clairement affichée dans des cours dédiés, qui amènent les élèves à faire des recherches et à intervenir oralement sur ces sujets de société ; ce qui est beaucoup plus insidieux, c’est que cette même idéologie – paritaire, diversitaire, antiraciste et climatique, pour faire bref – infuse un peu partout. On la retrouve dans les manuels de littérature où on insiste sur les femmes écrivains (oups, écrivaines) et le peu de place que les hommes leur ont laissé, dans la sélection des œuvres en classe de Première, où l’on impose des textes parfois médiocres, mais écrits par des femmes (Colette est légitime ici, c’est une belle plume, mais que vient faire dans le programme 2024 la poésie bas de gamme de la Québécoise Hélène Dorion ?). Les livres d’anglais ne sont pas en reste : plutôt que de proposer de grands textes du patrimoine, ils font la part belle à une vision de l’actualité sans nuance. En histoire, on pointe le passé peu glorieux d’une France principalement réduite à ses pages esclavagistes ou colonialistes, et on inculque l’idée que le pays, de toute éternité, est une terre d’immigration enrichie par la diversité. Ben voyons. Les sciences dures échappent plus facilement à l’emprise idéologique, par la nature même des contenus, mais on a déjà vu l’enseignement mathématique contesté outre-Atlantique comme étant l’expression d’une suprématie blanche…

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Certains professeurs sont parfaitement en phase avec ces orientations et cette absence de neutralité ; leur discours sur la France, le sort qu’elle réserve aux femmes, les discriminations qu’elle érige en système, ferait passer l’Afghanistan pour un pays où il fait bon vivre. Un collègue professeur d’histoire a soutenu devant une classe que le racisme anti-blanc n’existe pas, puisque dans sa logique, seul le « racisé » peut être une victime. Il faut baigner dans l’idéologie pour à ce point ne pas voir le réel.

La mort du pluralisme

Un petit tour au CDI de mon lycée (les bibliothèques sont devenues depuis la mort de la littérature des centres de documentation et d’information) me semble édifiant : on a le sentiment de pénétrer dans l’antre du wokisme, tant sont nombreux les ouvrages exposés sur des présentoirs qui, essais, romans ou bandes dessinées, prônent la théorie du genre et la fluidité sexuelle, ou encore un féminisme de combat qui prétend déconstruire un patriarcat largement fantasmé. Les classiques, il faut aller les chercher sur des rayons où ils croupissent à l’abri des regards. On voit où sont les priorités. Sur le mur consacré aux périodiques, on trouve des journaux et magazines à l’orientation univoque. Libé, L’Obs, Télérama, Le Monde figurent en bonne place. Aucune publication suspecte et nauséabonde dans cette officine de propagande. La gauche parle à la gauche, et les vaches progressistes sont bien gardées. C’est le pluralisme tel qu’il est vu par France Inter ou Rima Abdul-Malak. On ne prend pas le risque de laisser s’insinuer dans les esprits le germe d’une vision discordante. Le camp du Bien les prend en charge sans possibilité de déviance, parce qu’il croit incarner la seule vérité admissible.

La propagande est partout. En témoigne cet épisode en début d’année scolaire : lors de la remise des manuels aux élèves, il m’ a été demandé de leur distribuer une plaquette sur le consentement intitulée « Violentomètre », censée permettre aux garçons d’évaluer sur une échelle graduée, du compliment à la torgnole, la nature potentiellement problématique de leur comportement avec les filles, et aux filles de ne pas tout accepter des garçons. Sous-texte : seuls les hommes sont violents ou pervers. Cette plaquette, déjà aperçue un jour dans la rue sur un stand militant, est conjointement financée par la Ville de Paris, la région Auvergne-Rhône-Alpes, des associations subventionnées comme En avant toute(s) ou Solidarité Femmes, autrement dit par nos impôts. J’ai refusé de distribuer la chose, je ne m’appelle pas Caroline de Haas.

Élevage intensif d’une génération islamo-bobo-gaucho

Comment les élèves reçoivent-ils un tel matraquage ? Les miens, pour la plupart issus de la classe moyenne et de la périphérie urbaine, résistent un peu au formatage ; ils me paraissent moins contaminés que les enfants bobos du centre-ville, soucieux de paraître ouverts et cools jusque dans l’affichage de leurs convictions. Mes élèves ont, me semble-t-il, une certaine conscience de la manipulation dont ils sont l’objet, mais cette école les a justement privés des moyens intellectuels qui leur permettraient de verbaliser et de formaliser leurs doutes et le début d’une résistance ; ils sont pour la plupart résignés, ils subissent. Malgré tout, la propagande laisse des traces. Quelques exemples récents : alors que je rappelle que les fondements de notre civilisation sont gréco-romains et chrétiens, que nous devons nos façons d’être et de penser à ces trois cultures, un élève rajoute « aux Arabes aussi ». Je lui explique qu’il y a toujours eu des interactions entre civilisations, surtout par le commerce et la conquête, mais que l’essence de la culture européenne n’est ni arabe ni islamique (malgré l’expérience Al-Andalus sur le sol espagnol). Son intervention est le signe d’un catéchisme bien appris, révisionniste et relativiste, qui amène à considérer l’immigration musulmane en Europe comme allant de soi. Un autre jour, je demande à mes élèves quels sont les principaux combats de Victor Hugo, j’ai massivement droit à la « lutte-contre-le-racisme-et-la-xénophobie ». Bah oui, comme ils ont vaguement conscience qu’il est du côté des gentils, il a bien dû dénoncer les discriminations, et au diable les anachronismes. En classe de Première, dans un devoir sur le théâtre au XVIIème siècle, je découvre que le respect des bienséances impose de ne tenir aucun propos haineux ou incitant à la haine (sic). La soupe antiraciste actuelle a été tellement ingérée qu’elle est recrachée à tout propos.

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La nomination de Pap Ndiaye à la tête du ministère s’inscrit dans la ligne de ce que Bock-Côté appelle justement « le parti diversitaire », dont les obsessions dévoient le sens de l’institution scolaire : il est avant tout soucieux, malgré quelques molles déclarations sur les apprentissages fondamentaux, de promouvoir dans les programmes la lutte contre le racisme, poursuivant en cela le profond travail d’ignorance et de décérébrage dont l’école – ô paradoxe – est devenue le centre.

L’instruction n’est plus le cœur du réacteur. Et si l’on ajoute à l’emprise progressiste, qui remplace l’apprentissage par le formatage, les délires pédagogistes instituant l’élève en architecte de son propre « savoir », la mainmise de l’informatique, dont l’extension ludo-éducative supprime jusqu’à l’idée d’effort et de concentration, ainsi que l’idéologie islamiste qui conteste certains contenus d’enseignement, on se dit que la figure du professeur et la transmission sont décidément mal barrées.

Mars 2023 – Causeur #110

Article extrait du Magazine Causeur




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Professeur agrégé de Lettres

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