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Christine Angot au jury des Goncourt: enfin à sa place!

Élue à l’académie Goncourt, elle succède à Patrick Rambaud


Christine Angot au jury des Goncourt: enfin à sa place!
L'écrivain Christine Angot au Théâtre de Chaillot, mars 2022, Paris © SADAKA EDMOND/SIPA

Notre chroniqueur, qui à notre grande stupéfaction ne paraît pas choqué par la nomination de Christine Angot au jury du Goncourt, profite de l’événement pour dresser un tableau quelque peu ironique de la production littéraire contemporaine.


Sur quel critère irréductible appréciez-vous — ou non — une œuvre littéraire ? Sur sa capacité à vous amuser, distraire, divertir — certes. Sur son ambition de créer une belle forme, peut-être. Mais essentiellement sur son décalage par rapport à ce que Roland Barthes appelait avec justesse « le degré zéro de l’écriture », ce plancher de l’expression, ce niveau abyssal à partir duquel tout écart fait style. Disons, pour simplifier, la langue des recettes de cuisine et des bulletins météo. Un texte parfaitement insipide — parce que le degré zéro littéraire correspond à ce péché mortel culinaire, le fade.

Vous avez reconnu là une description assez précise de 90% de la littérature contemporaine. Pensez que le Prix Nobel a été décerné à la championne hors catégorie du degré zéro, Annie Ernaux. Depuis que Serge Doubrovsky, en 1977, a inventé avec Fils ce qu’il a appelé l’autofiction, nos littérateurs s’en gavent jusqu’à l’écœurement — celui du lecteur, bien sûr.

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Christine Angot a enfourché très tôt ce mauvais cheval. Son premier roman publié, Vu du ciel, parlait de viol, mais sous une forme quelque peu allégorique. Interview, en 1995, revenait sur le sujet — si bien que Gallimard refusa cette fois de l’éditer, et que l’auteur (personne ne me fera écrire « l’autrice ») s’en alla chez Fayard. En 1999, décidant enfin d’appeler un chat par son nom, elle publie L’Inceste, et n’a eu de cesse depuis de revenir sur le sujet des viols répétés qu’elle dut subir, raconte-t-elle, de la part de son père, revenu à la maison 14 ans après sa naissance (à elle) et son départ (à lui), juste au moment où elle devenait un obscur objet du désir.

Depuis, elle a réitéré, encore et encore. L’exemple de Marguerite Duras, autre candidate à la platitude érigée en exemple, est là pour l’absoudre : L’Amant, prix Goncourt 1984, était une reprise de Barrage contre le Pacifique (1950), qui racontait déjà les amours d’une adolescente et d’un riche Asiatique — sujet repris dans L’Amant de la Chine du Nord, en 1991.

Loin de moi l’idée de me moquer de ces dames. Un viol est une affaire grave. Est-ce suffisant pour que tout témoignage à ce sujet puisse s’appeler « roman » ? Eric Naulleau et Pierre Jourde, dans Le Jourde & Naulleau (2004), recension de tous les imposteurs de la littérature contemporaine (allez-y voir, l’ouvrage couvre bon nombre de Goncourts et de Goncourables) disent de ce roman autofictif que « toutes les lignes de force de l’œuvre en gestation sont ici déjà repérables : agitation, déni du réel, livres qui tiendraient aisément sur quelques centimètres carrés promis aux bennes de recyclage ».

Ils n’avaient pas tort. Les écrits suivants d’Angot sont des resucées (si je puis dire) de L’Inceste. Avec des incursions dans les frasques de sa vie privée — voir Le marché des amants où elle raconte sa résistance au dur désir de sodomie de Doc Gynéco, dont elle partagea brièvement la vie. Beau sujet, ma foi…

Je dois à la vérité qu’il m’est arrivé de trouver à Christine Angot, chroniqueuse dans divers médias, de vraies qualités et même du punch. Il faut l’avoir vu expliquer non sans impatience à Sandrine Rousseau, qui draguait sur les terres du non-consentement sexuel avec Parler : Violences sexuelles : pour en finir avec la loi du silence (on mesure là encore le degré zéro d’un tel titre) en visant explicitement Julien Bayou, détesté puisqu’il visait la présidence d’EELV qu’elle convoitait, à quel point son désir de créer des instances au sein des partis destinées à écouter la parole des femmes était inconvenante, et à côté de la plaque. Christine Angot est parfois une polémiste efficace, et je salue son opposition à la GPA, qui fit hurler dans le camp des progressistes aveugles et des lecteurs de Libé.

Bien sûr, ses romans rasent si bien les mottes (si je puis ainsi m’exprimer) qu’ils dépassent l’insipide pour entrer de plain-pied dans l’illisible. Que ce caractère absolument plat ait été un critère pour lui valoir sa très récente nomination au jury du Prix Goncourt ne doit pas nous étonner. Christine Angot s’y sentira comme chez elle, elle aura pour voisin de table chez Drouant Eric-Emmanuel Schmitt ou Camille Laurens, entre autres gloires de cet establishment littéraire qui séjourne dans le degré zéro, mais creuse encore.

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Petit rappel littéraro-historique. Edmond de Goncourt, qui fonda le prix, n’a survécu, littérairement, que par son Journal, monument de jalousie, médisance, de fiel et d’antisémitisme. Cet aristocrate « artiste » ne supporta jamais d’être éclipsé par Flaubert, Zola, Maupassant et j’en passe. Il rassembla donc dès 1902 un quarteron d’auteurs du second rayon, dont difficilement Huysmans.

Les autres élus sont des littérateurs pour concierges. Les présidents successifs du Prix, à part Colette (de 1949 à 1954), ont été soigneusement choisis parmi les seconds couteaux de la littérature française de leurs époques respectives. Et à quelques exceptions près (Proust en 1919, Malraux en 1933, Beauvoir en 1954, Michel Tournier en 1970), ils sont soigneusement passés à côté de ce qui s’écrivait de plus intéressant, et n’ont accordé leurs faveurs qu’à des œuvres vouées à une obscurité certaine. Comme disait à peu près le Cyrano de Rostand: « John-Antoine Nau, Léon Frappié, Alphonse de Châteaubriand, Jean Cau, tous ces noms dont pas un ne mourra, que c’est beau ! »

Les Goncourt, ce sont quand même ces gens qui en 1932 préférèrent Guy Mazeline (qui ça ?) à Louis-Ferdinand Céline, en couronnant Les Loups plutôt que le Voyage au bout de la nuit.

Alors, Christine Angot parmi eux… C’est entendu, elle ne sait pas du tout écrire. Mais je crois qu’elle sait lire. Elle est capable même de trouver du génie à de vrais intellectuels. Il faut la voir (à partir de la 18ème minute) petite fille éberluée, face à Finkielkraut qui pourtant ne l’avait jamais épargnée — et qui sur ce coup n’en est pas revenu. Qui sait si elle ne saurait pas reconnaître un vrai écrivain, s’il se trouve que notre modernité déliquescente est capable d’en produire un ? Je me dispenserai donc de me moquer de sa cooptation chez Goncourt. J’éviterai d’écrire sur ce qu’elle écrit, parce que mettre du style, aussi pauvre que soit le mien, sur un écheveau de platitudes est une performance dont je me dispense, avec l’âge. Mais je saluerai éventuellement son vote, si par extraordinaire le Goncourt parvenait à couronner un vrai livre — ce dont je doute parfois. Amis littérateurs, faites-lui votre cour: Angot est désormais un zéro qui multiplie puis qu’elle est jurée au Goncourt.

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Normalien et agrégé de lettres, Jean-Paul Brighelli a parcouru l'essentiel du paysage éducatif français, du collège à l'université. Il anime le blog "Bonnet d'âne" hébergé par Causeur.

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