L’actrice franco-italienne, égérie de Cinecitta et vedette européenne, s’illustra chez Visconti, Zurlini, Monicelli, Sergio Leone ou Philippe de Broca. Elle partagea l’affiche avec Omar, Alain, Jean-Paul ou Brigitte. Elle était une star discrète, pudique et follement aimée par les cinéphiles et le grand public. Elle vient de nous quitter à l’âge de 87 ans
J’hésite. Était-ce une voix ou une peau ? Les deux, assurément. D’abord, il y a cette voix chaude, sensuelle, timide et étonnamment assurée, ambivalente donc séduisante, elle rocaille, elle perle, elle se propagera à travers l’univers durant encore des décennies. Ce matin, vous l’entendez, elle résonne dans nos cœurs. Vous n’êtes pas triste, plutôt heureux. Car, vous aurez reçu cette voix en offrande, en partage, gratuitement ; un don du ciel, un peu irréel comme un songe des années 60, comme si le monde d’avant n’était pas mort. Vous l’aurez captée, un jour, dans un vieux film en noir et blanc ou dans une interview à la télévision. Faites l’expérience de la voix de Claudia à la radio, dans l’intimité du poste, le transport amoureux est garanti, elle est là, près de vous. Vous tremblez, c’est normal. Cette voix était notre trésor commun, notre bien national. Malgré les malheurs, les défaites, la vie en est remplie, vous vous souviendrez de son timbre, de son lent débit, de sa mélopée, de son érotisme, de sa suspension poétique, de ses pas chassés ; d’abord hésitante, elle se faisait poliment décidée, voire butée, incorrigible et cabotine, avec une pointe de maladresse qui est le signe des déesses. La voix de Claudia vous rappellera que la beauté du monde n’est pas un leurre, qu’elle n’est pas factice, qu’elle peut même avoir le visage d’un humain. Ces derniers temps, vous ne croyez plus en l’être humain, vous ne lui faites plus confiance, il est tellement décevant : je vous comprends. La voix de Claudia nous rattrape, nous sauve, nous donne un léger sursis, nous absout. Et si la vie méritait tout de même d’être vécue ? Elle est un acte de foi, tangible, audible, vibrant qui n’a besoin d’aucune démonstration particulière. Elle touche les hommes et les femmes, indifféremment. Elle émeut. Elle cristallise. Elle enfante. Elle nous laisse même une chance de nous améliorer. Une telle voix nous lie pour l’éternité. Nous serons à jamais ses disciples enamourés et reconnaissants pour son art divinatoire. Avec Claudia, le cinéma était lumière, lustre et entrailles d’une Italie des légendes, notre pays-sœur, des rues sales aux palais de cristal, des mamas et des divas. Sa voix, c’était le soleil de Tunis, l’Afrique, la poussière, le vent, la sécheresse qui irrite la gorge, qui perturbe sa modulation de fréquence, la nostalgie des cités enfouies, des villes détruites, le berceau de la Méditerranée. Notre mère à tous. Sa voix était onde et mirage. Mais Claudia, c’était une peau, une enveloppe soyeuse, donc une âme en colère, un velours chocolaté, un mausolée où l’on entrevoyait l’amour et la haine, la pauvreté et l’espoir. Parmi les actrices italiennes, il y en eut des plus racées, des plus girondes, des plus cérébrales, des plus capricieuses, des plus frivoles. Nous les aimions toutes ; une seule comptait pourtant. Secrètement, nos incantations lui étaient destinées. Claudia était à part. Avec elle, nous ne nous mentions plus. Nous aurions eu trop honte. Nous lui accordions notre tendresse et notre jeunesse. Nous sommes ses éternels débiteurs. Nos rêves étaient pour elle. Nous la respections comme une mère et la vénérions comme une amante inaccessible. Vous me direz : et les films alors ? La filmographie ? Accessoire. Secondaire. Les dates ? Superflues. Les grands réalisateurs, les partenaires d’élite, les montées des marches, l’Histoire dans les dictionnaires, niente, loin derrière Claudia. Loin derrière son éclat, derrière sa féérie, tantôt paysanne, tantôt altière. Au-delà de l’actrice, de son talent et de son humilité, ce sont des images qui resteront. Oui, des vignettes qui composeront une longue tapisserie des temps heureux. Nous la rembobinerons quand la douleur ou la peur nous saisiront… Ce matin, je vois une fille qui porte une valise, sa jupe écossaise vole, ses sandales traînent sur un chemin de terre. Je vois une brune en robe de soirée, une tiare sur les cheveux, elle est l’origine du monde, Alain était beau comme un hussard cette nuit-là. Je la vois aux côtés de BB, un chemisier largement ouvert sur une gorge dorée. Et je suis un homme heureux. J’ai connu Claudia.
Claudia Cardinale avec Alain Delon en Italie pendant le tournage du « Guépard » de Luchino Visconti, 1961 (C) DALMAS/SIPA Numéro de photo : 00390905_000004
L’autocritique permanente, loin d’apaiser, peut nourrir la propagande adverse. L’islamisme ne veut pas la repentance, il veut la victoire. Aussi, le progressisme sacrificiel des Occidentaux doit cesser, selon Charles Rojzman.
Le 22 septembre 2025, Emmanuel Macron, seul parmi les dirigeants européens ce jour-là, a annoncé à la tribune des Nations unies la reconnaissance officielle d’un État de Palestine. D’autres pays avaient déjà pris cette décision en amont (Norvège, Irlande, Espagne, Slovénie, Royaume-Uni, Portugal…), mais c’est la France qui, par la voix de son président, a voulu lui donner un retentissement mondial. Or ce geste fut posé sans conditions : ni désarmement du Hamas, ni garanties de sécurité pour Israël, ni libération des otages toujours détenus.
Ce choix, présenté comme un acte de paix, relève en réalité d’un calcul : apparaître comme le champion de l’équilibre au sein d’une ONU dominée par la majorité automatique des pays du Sud, tout en cherchant à répondre à la pression du bloc arabo-musulman. Mais il marque aussi une abdication : en reconnaissant la Palestine dans les conditions actuelles, la France entérine une victoire politique et symbolique du Hamas, et, à travers lui, légitime la montée en puissance d’un islamisme totalitaire.
Erreurs répétées
Israël n’est pas une périphérie dont l’Europe pourrait se détourner pour sauver son image morale. Il est le poste avancé d’un conflit qui concerne directement notre civilisation. En croyant protéger son prestige diplomatique, la France met en péril non seulement l’avenir d’Israël, mais le sien propre.
Il est des moments où les illusions d’une civilisation se révèlent pour ce qu’elles sont : un chemin vers sa propre disparition. L’attitude des élites européennes face à Israël, depuis le 7-Octobre et la riposte contre le Hamas, appartient à cette catégorie. Car il faut appeler les choses par leur nom : exiger un cessez-le-feu inconditionnel, c’est offrir une victoire politique et symbolique au Hamas ; et offrir une victoire au Hamas, c’est consacrer l’essor mondial de l’islamisme. Ce geste, présenté comme humanitaire, n’est rien d’autre qu’un suicide politique pour l’Europe.
Israël n’est pas engagé dans une guerre périphérique dont l’Europe pourrait se tenir à distance ; il est le poste avancé d’un conflit qui nous concerne tous. Le Hamas n’est pas une simple organisation palestinienne : il est la figure régionale d’un totalitarisme global, l’islamisme, qui combine trois traits déjà connus du XXe siècle. Comme le fascisme, il exalte l’identité et désigne un ennemi absolu à exterminer. Comme le communisme, il promet une rédemption universelle, ici sous la forme de l’instauration d’un ordre divin libérant les peuples de la domination occidentale. Comme les deux, il séduit en empruntant le langage du Bien : dignité des opprimés, justice des humiliés, émancipation des colonisés. Mais il ajoute à ces traits un art redoutable, inédit à cette échelle : retourner contre ses adversaires les valeurs mêmes qui fondent leur civilisation. Les droits de l’homme, l’humanisme, la compassion pour les victimes deviennent l’arme idéologique d’une force qui veut abolir la liberté et la démocratie.
C’est ici qu’il faut être clair : ne pas accepter, dans les conditions actuelles, un cessez-le-feu sans la reddition du Hamas et la libération des otages restants, c’est effectivement continuer la guerre – avec ses destructions, ses victimes, ses horreurs. Mais c’est la loi du tragique : une guerre n’est jamais « propre ». Et pourtant, si comparaison il y a, cette guerre reste plus limitée, plus contrôlée, plus soucieuse de réduire les pertes civiles que la plupart des conflits du Moyen-Orient ou de l’Afrique, où les massacres sont de masse et les vies humaines comptent pour rien. Refuser la guerre, c’est condamner Israël à disparaître ; la poursuivre, c’est préserver au moins la possibilité de sa survie – et avec elle, celle d’un monde encore attaché à la liberté.
Nous avons déjà connu ce mécanisme. Dans les années 1930, l’Europe crut pouvoir désarmer Hitler en lui concédant des territoires ; elle refusa de croire que l’ennemi ne cherchait pas le compromis, mais l’anéantissement. Dans les années 1950, nombre d’intellectuels occidentaux se sont aveuglés sur le goulag au nom de l’espérance révolutionnaire. Aujourd’hui, le même aveuglement se rejoue : une partie de nos élites s’imagine qu’en freinant Israël, en lui imposant la morale humanitaire, on sauvera la paix, alors que l’on consacre en réalité la victoire d’une idéologie totalitaire.
Pourquoi cette répétition obstinée des erreurs ? Parce que l’Europe s’est enfermée dans une religion séculière de la culpabilité. Le christianisme avait inscrit au cœur de notre culture l’idée que le salut passe par l’aveu de la faute et la rédemption par le sacrifice. La modernité a sécularisé cet héritage : il ne s’agit plus de se confesser devant Dieu, mais de s’excuser devant l’humanité. Après 1945, la mémoire de la Shoah a accentué cette tendance en faisant de la reconnaissance de la faute le pivot de la conscience démocratique. Puis vint la décolonisation, et avec elle une nouvelle liturgie : celle du repentir colonial. L’Occident s’est redéfini comme coupable par essence, oppresseur congénital, sommé de s’excuser sans fin.
Ce mécanisme, transposé dans le présent, conduit à un résultat absurde : Israël, qui fut d’abord perçu comme la réparation ultime après Auschwitz, est désormais vu comme la réincarnation du colonisateur européen. La mémoire de la culpabilité européenne s’est projetée sur l’État juif, transformé en coupable de substitution. C’est lui, désormais, qui doit expier pour les crimes de l’Europe. D’où la facilité avec laquelle une partie des élites occidentales, et même juives, bascule dans la condamnation automatique d’Israël : elles rejouent la scène de l’aveu de faute qui leur donne le sentiment d’être du côté du Bien.
Postures
Ce réflexe n’est pas limité à l’Europe. On le retrouve au sein même d’Israël, dans une partie de sa gauche intellectuelle et politique. Depuis Oslo, beaucoup croient qu’en multipliant les gestes d’autocritique et les concessions, on désarmera la haine palestinienne. La diaspora juive, en particulier dans ses élites médiatiques, a prolongé cette disposition : Delphine Horvilleur, Anne Sinclair et d’autres ont fait de l’accusation de leur propre camp le moyen de se maintenir dans une posture morale irréprochable. Mais l’ennemi ne demande pas des excuses, il ne cherche pas un compromis : il exige la disparition. L’autocritique, loin d’apaiser, nourrit la propagande adverse.
Ainsi, de Paris à Tel-Aviv, une même logique sévit : celle du progressisme sacrificiel. Ce nouvel évangile laïc fusionne l’héritage chrétien du péché, la mémoire de la Shoah, la culpabilité coloniale et le manichéisme marxiste. Il en résulte une idéologie totalitaire d’un nouveau genre, qui divise le monde en dominants coupables et dominés innocents, et qui prescrit comme seule conduite légitime l’auto-dénigrement. Israël, condensé symbolique de l’Occident, est condamné à l’expiation : il ne peut être qu’agresseur, quelle que soit la réalité de l’agression qu’il subit.
Cette religion séculière a cessé d’être un discours marginal : elle structure désormais nos institutions. À l’école, on enseigne davantage la mémoire des fautes que l’histoire des réussites ; à l’université, le paradigme décolonial s’impose comme dogme interprétatif ; dans la justice internationale, Israël est criminalisé avec une rapidité qui contraste avec l’impunité des régimes autoritaires ; dans la diplomatie européenne, la morale humanitaire se substitue à la défense des démocraties. Même les médias et la culture diffusent le récit sacrificiel : Israël comme puissance oppressive, les Palestiniens comme victimes absolues. La culpabilité est devenue norme officielle.
Les conséquences sont prévisibles. Si l’Europe persiste, elle connaîtra la désagrégation sociale, sous la pression de communautés qui ne partagent plus une identité commune. Elle connaîtra une guerre civile diffuse, faite d’émeutes, d’attentats, de zones de non-droit. Elle connaîtra l’effacement géopolitique, marginalisée par les puissances qui assument la dureté de l’histoire. Elle mourra de sa vertu, ou plutôt de sa fausse vertu : une morale qui se retourne en impuissance.
Mais un autre avenir est possible. Il suppose un retournement lucide. L’Europe doit comprendre que l’humanisme ne consiste pas à s’immoler, mais à se défendre. Elle doit retrouver une identité positive, au lieu de se définir uniquement par ses fautes. Elle doit réapprendre à nommer l’ennemi, à réhabiliter le politique contre la morale abstraite, à assumer une puissance qui protège ses valeurs. Israël, petit pays divisé mais qui tient debout face à une haine totale, peut servir de modèle : celui d’une démocratie qui résiste, non pas en dépit de ses principes, mais grâce à eux.
C’est pourquoi ce qui se joue à Gaza n’est pas seulement le destin d’un État lointain : c’est le miroir de notre propre destin. Si nous continuons à condamner Israël pour sauver notre bonne conscience, nous choisissons la désintégration. Si nous acceptons de voir en Israël non un coupable mais un avertissement, alors nous pouvons encore retrouver le sens de l’histoire. Car l’islamisme ne veut pas la repentance, il veut la victoire. Et Israël, en refusant le sacrifice, nous montre la voie du refus du suicide.
François Sureau entame avec Les Enfants perdus un roman-feuilleton dont le héros, détective et poète, traverse le temps et l’espace. Dans ce premier épisode, Thomas More plonge dans le chaos de la défaite de Sedan.
On n’est pas sérieux quand on a 67 ans. Académicien, avocat, conseiller des princes à ses heures, auteur de grands livres – dont le magistral Or du temps, à la fois profond et joyeux –, François Sureau est un aventurier – de la vie, de la pensée, de la littérature. Avec Les Enfants perdus, premier épisode de ce qu’on pourrait appeler un roman-feuilleton policier, il retrouve ses allégresses d’adolescent lecteur de Conan Doyle, Dumas, Christie, Simenon.
Fantasque successeur de Maigret, Holmes, Poirot, évidemment fumeur de pipe comme eux (et comme l’auteur), Thomas More a sur ces illustres personnages l’avantage de la longévité. Ainsi peut-il arpenter toutes les périodes troublées de l’Histoire et citer Apollinaire avant qu’il ait écrit un seul vers. Dans les prochains épisodes, on le retrouvera à Salonique en 1913, en France en 1940 ou en Hongrie en 1989. Cependant, s’il confectionne de saisissants portraits d’époque, Sureau écrit pour traquer l’invariant, la permanence, l’immuable logés dans les coins et recoins de l’âme humaine. Thomas More traverse le temps et l’espace, débusquant partout et toujours la vieille histoire des hommes et de l’hommerie.
Nous voilà donc au bord de la Meuse en 1870. Il fait sombre et glacial, la boue charrie des cadavres et le vent, l’odeur de la mort, du désespoir et de la défaite. Gombrowicz se désolait que la littérature contemporaine manquât de pantalons et de téléphones, de concret en somme (Muray adorait ce passage). En quelques lignes, François Sureau transporte son lecteur avec les vaincus de Sedan, dépenaillés, affamés et gelés tandis que des chevaux ensauvagés s’entre-dévorent. Le chaos s’est emparé de la presqu’île d’Iges, sur la Meuse, où 80 000 soldats de l’Empire sont retenus prisonniers par les Bavarois, les contingents les plus cruels des armées emmenées par la Prusse.
Dans ce cloaque à ciel ouvert où l’on verra passer un certain Jean Rimbaud de Charleville, surgit un personnage improbable et solaire, prisonnier comme les autres et pourtant infiniment libre. Ancien inspecteur de la sûreté impériale, connu pour son habileté à élucider les crimes les plus mystérieux, le commandant Thomas More va s’employer à rendre leur destin singulier à deux corps sans vie qui n’ont pas été déposés là par la guerre, mais par les entrelacs de la passion et du crime : une jeune carmélite pas très catholique et un capitaine de cuirassier venu de lointaines îles. Il sera question d’une femme éprise de liberté et d’un serial killer inconsolable, d’un scandale qui menace la cour du roi de Prusse Guillaume Ier, d’une fausse accusation de viol, de vengeance et de passion homosexuelle.
Si Sureau a donné à son détective-philosophe le nom de « l’humaniste anglais du xvie siècle », ainsi que le présentent les dictionnaires, ce n’est pas parce que celui-ci est mort en martyr de la foi catholique, mais parce qu’il refusait tout empiétement du pouvoir politique dans les affaires spirituelles. Loyal auxiliaire de la justice des hommes, son Thomas More conserve, comme son créateur, une forme de méfiance envers elle : juger, d’accord, puisqu’il le faut bien, mais sans jamais oublier qu’au bout du compte ce droit n’appartient qu’à Dieu. Aussi est-on pris d’un coupable soulagement quand More et Sureau laissent un criminel s’échapper.
Les Enfants perdus, François Sureau, Gallimard, 2025. 160 pages
La reconnaissance de la Palestine ne consacre qu’une fiction
Le 22 septembre 2025, à la tribune de l’Assemblée générale des Nations Unies, Emmanuel Macron déclara que la France reconnaissait l’État de Palestine. L’Élysée voulut y voir un moment de vérité, une étape historique, une rupture avec l’inertie diplomatique. Mais derrière le faste de la proclamation se dévoile une contradiction essentielle : l’État reconnu n’existe pas. Par un acte de langage, la France tenta de substituer le récit au réel, d’imposer une fiction en lieu et place d’une réalité introuvable, provoquant une fracture où se croisent droit, mémoire, sécurité et cohérence diplomatique.
Ce geste ne s’éclaire qu’à travers le 7 octobre 2023, jour où le Hamas lança l’attaque la plus meurtrière de l’histoire d’Israël : plus de mille deux cents morts, des milliers de blessés, des familles entières anéanties. Le choc fit ressurgir la mémoire de la Shoah et l’angoisse existentielle d’un peuple de nouveau confronté à la menace de son anéantissement. En se dissimulant dans des tunnels creusés sous les habitations, le Hamas transforma la population de Gaza en boucliers humains, inscrivant dans la chair des civils le prix de sa stratégie.
Interactions
Dans ce contexte, Emmanuel Macron, assis aux côtés du prince Fayçal ben Farhane ben Abdallah Al Saoud, ministre saoudien des Affaires étrangères, puis aperçu en interaction avec l’émir du Qatar, Tamim ben Hamad Al Thani, ainsi qu’avec Abou Mohammed al-Joulani, proclama l’existence d’un État palestinien, adoptant une lecture des événements proche de celle de ses interlocuteurs.
Or la reconnaissance d’un État ne peut relever d’un simple acte de volonté. Depuis la Convention de Montevideo de 1933, quatre critères sont requis : territoire défini, population permanente, gouvernement effectif et capacité de relation internationale. En 1948, Israël les remplissait : institutions représentatives, structures civiles et militaires, légitimité forgée par des décennies d’organisation collective.
En 2025, la Palestine n’en remplit aucun. Gaza reste sous la domination du Hamas, organisation terroriste dont la charte proclame la destruction d’Israël ; la Cisjordanie demeure administrée par une Autorité palestinienne corrompue, divisée et privée de légitimité. Sans gouvernement effectif ni souveraineté réelle, la reconnaissance ne consacre qu’une fiction.
Et cette fiction porte en elle des effets pervers. Même affaibli, le Hamas peut s’ériger en vainqueur: sa stratégie de terreur semble avoir conduit à une reconnaissance internationale, nourrissant sa propagande. Un État proclamé mais inexistant risque de devenir un foyer de radicalisation, une « Mecque pour les antisémites », un drapeau pour l’islamisme transnational. L’histoire du djihadisme, de l’Afghanistan des talibans à Daech, atteste que la faiblesse institutionnelle peut devenir puissance idéologique. Créer un État sans réalité, c’est donner aux extrêmes une bannière sans contrôle, plus dangereuse encore qu’un territoire réel.
Libération des otages, cessez-le-feu, démilitarisation: des vœux pieux ?
Emmanuel Macron s’est illusionné sur les effets de la guerre et sur la solidité des accords d’Abraham, sans percevoir que les Émirats eux-mêmes envisageaient d’en réviser certains volets, révélant la duplicité de régimes tels que les Émirats, l’Égypte, le Bahreïn ou le Maroc. Ces pays ont multiplié les proclamations, mais les résultats sont restés superficiels : malgré l’octroi de la nationalité à des figures culturelles arabes, les Émirats n’ont produit aucun récit commun, aucun film ou série israélo-arabe. Les comportements antisémites observés lors des matchs de l’équipe du Maroc au Mondial du Qatar rappellent la fragilité persistante du terrain. Là où il fallait donner consistance et crédibilité à ces accords, Macron a laissé s’installer l’apparence.
La décision française rompt aussi avec une tradition diplomatique constante : depuis les résolutions 242 et 338, Paris liait la reconnaissance palestinienne à une négociation avec Israël, ce qui préservait son rôle de médiateur. En agissant unilatéralement, Macron a affaibli cette fonction. Les conditions énoncées — libération des otages, cessez-le-feu, démilitarisation — restent sans mécanismes d’application. Pour Israël, elles sonnent comme une pression illégitime ; pour les Palestiniens, comme une promesse illusoire. La France perd ici en crédibilité, apparaissant à la fois partiale et impuissante.
S’y ajoute une fracture mémorielle. Le 22 septembre 2025 coïncidait avec Roch Hachana, le Nouvel An hébraïque. Choisir ce jour pour proclamer l’existence palestinienne n’est pas anodin. Même sans intention explicite, le symbole fut ressenti comme une provocation : alors que le peuple juif célébrait le renouveau, on consacrait la légitimité d’un projet niant son existence. Ce geste a rouvert une blessure dans une histoire saturée de persécutions. La mémoire de la Shoah, des pogroms et du 7-Octobre ne saurait devenir simple variable diplomatique.
Affirmer qu’un État existe alors qu’il n’existe pas, c’est ériger une fiction politique. Mais la fiction ne fonde pas la paix : elle enferme dans l’illusion, nourrit les extrêmes et déforme le réel. La paix ne naîtra pas d’un décret ; elle suppose le démantèlement du Hamas, la construction d’institutions légitimes et la reprise de négociations sous garantie internationale.
Tant que ces conditions ne seront pas réunies, toute reconnaissance demeurera illusion diplomatique, fracture mémorielle et erreur stratégique. En voulant inscrire son nom dans l’histoire, Emmanuel Macron a reconnu un État inexistant, inaugurant une fracture dont les conséquences pèseront durablement sur la diplomatie française et sur l’avenir du Proche-Orient.
Au Japon, le très original parti ultraconservateur Sanseito a trouvé la recette du succès: se hisser sur l’échiquier politique en agitant le pion préféré de tous les populistes, la peur des étrangers.
On croyait le Japon figé dans son éternel consensus, insensible aux tumultes qui traversent l’Occident. Or, avec le Sanseitō, un parti encore marginal, l’archipel semble découvrir les vertus explosives du populisme identitaire. À ceux qui l’accusent de démagogie, le Sanseitō, fondé en 2000 par Sōhei Kamiya, oppose un constat brut : sans réaction, le Japon sera avalé par le mondialisme au prix de sa culture millénaire.
Cette montée du nationalisme s’explique. Le Parti libéral-démocrate (PLD), au pouvoir depuis des décennies, est pointé du doigt par les Japonais, excédés de voir leurs élus compromis dans divers scandales. Dans un pays qui doit également faire face au vieillissement démographique, les gouvernements successifs ont été contraints d’accepter l’arrivée de davantage de migrants afin de pallier la pénurie de main-d’œuvre.
Or, pour une société façonnée par l’idée d’unité ethnique et culturelle, cette relance de l’immigration a été ressentie comme une véritable déflagration. Le Japon a été dernièrement secoué par des manifestations, inédites dans leur virulence, accusant l’immigration, d’où qu’elle vienne, de tous les maux du Soleil-Levant.
Le Sanseitō ne cache pas sa peur du complot mondial, recrachée à chaque meeting sous forme de slogans délirants, ni le révisionnisme qui anime ses dirigeants à la rhétorique antisémite étonnante. Mais réduire ce parti à une secte d’extrémistes serait une erreur. Car derrière la caricature, il incarne un malaise réel : celui d’un peuple qui refuse de se transformer en satrapie de l’imperium universaliste. En donnant une voix aux colères silencieuses, le Sanseitō a envoyé 14 élus sur les bancs de la Diète lors de la dernière élection législative. Demain, qui sait si cette fissure ne deviendra pas un tsunami (géo-)politique qui pourrait bouleverser l’harmonie séculaire d’un pays qui entend préserver la pureté de ses traditions séculaires ?
Alessandro Bertoldi, directeur exécutif de l’Institut Milton Friedman à Rome, nous dit ce qu’il a vu en Israël et en Cisjordanie.
Je suis allé à Kerem Shalom, le poste de passage au sud de la bande de Gaza qui représente la principale porte d’entrée pour l’aide humanitaire et les marchandises destinées à ce territoire, aussi bien depuis Israël que depuis l’Égypte. C’est un endroit qui vibre d’activité et de tensions: des camions vont et viennent.
Hier, me dit-on, ce fut une journée intense: environ 7 000 Palestiniens ont quitté Gaza en une seule journée, pour des soins médicaux ou des raisons humanitaires. Depuis le début de la guerre, des centaines de milliers de personnes ont reçu une assistance hospitalière ou ont été évacuées à l’étranger grâce à Israël. Ce n’est pas rien, surtout si l’on considère les difficultés logistiques et le fait que de nombreux pays arabes, comme l’Égypte, hésitent à ouvrir leurs portes aux habitants de Gaza, craignant des infiltrations terroristes. Quiconque veut entrer ou sortir doit, à juste titre, passer d’abord par les stricts contrôles de sécurité israéliens. Le vrai défi, cependant, est de trouver un équilibre : faire entrer le plus d’aide possible sans baisser la garde, afin d’éviter que ne se répètent des tragédies comme celle du 7-Octobre.
80% de l’aide finit dans les mains du Hamas
Pour cela, comme auparavant, les camions (environ 300 par jour) passent sous des scanners qui vérifient l’absence d’armes ou de marchandises à usage militaire. J’ai vu de mes propres yeux à quel point Israël s’efforce de maintenir le flux d’aide. Mais une fois à l’intérieur de Gaza, la situation se complique. Même l’ONU a dû suspendre les distributions pour des problèmes logistiques et par crainte d’attaques lors du transport, qui ne peut avoir lieu dans les zones intérieures de la bande et à Gaza-Ville qu’avec le consentement du Hamas.
Le plus choquant ? Environ 80% de l’aide finit entre les mains du Hamas, qui la revend ou, pire encore, l’utilise pour faire pression sur la population et la pousser à soutenir ses actions. C’est une réalité rarement perceptible en lisant la presse occidentale, d’autant plus que les ONG elles-mêmes ne peuvent qu’accuser Israël si elles veulent continuer à opérer à Gaza.
Pourtant, dans le sud de Gaza, la réalité est visible de tous : après la frontière, des centaines de tonnes de nourriture sont entassées au soleil, que l’ONU et les ONG n’ont jamais prélevées ni distribuées. Seule la Gaza Humanitarian Foundation a réussi, avec beaucoup de difficultés et d’obstacles, à créer dans la bande de Gaza des points de distribution qui livrent directement les colis aux familles, sans intermédiaire, mais même ce système ne fonctionne qu’un jour sur deux.
Les destructions à Gaza sont visibles même à des kilomètres de distance, car ce sont précisément les bâtiments civils les plus hauts, utilisés par le Hamas pour lancer des missiles ou contrôler le territoire, qui ont été détruits lors des bombardements malheureusement nécessaires. Les victimes collatérales sont nombreuses, bien qu’au moins dix fois moins nombreuses que celles de la guerre en cours au Soudan, dont personne ne parle. Surtout, ce sont des victimes voulues par le Hamas, afin d’augmenter le bilan et, par conséquent, l’agressivité de la communauté internationale contre Israël : tandis que l’armée israélienne (IDF) invite les civils à quitter les bâtiments visés avant les bombardements, le Hamas agit en sens contraire, faisant croire qu’il s’agit d’une fausse alerte ou, dans les pires cas, en menaçant de mort ceux qui quitteraient leur logement. À Gaza, le Hamas a utilisé des écoles et des hôpitaux comme bases opérationnelles, creusé 600 km de tunnels jamais ouverts aux civils comme abris durant les bombardements — préférant utiliser ces mêmes civils comme boucliers humains —, transformé l’aide humanitaire en instrument de coercition et utilisé le nombre de victimes à des fins de propagande. Il aurait suffi d’ouvrir les tunnels pour sauver des dizaines de milliers de vies.
Coexistence pacifique inenvisageable
L’attaque du Hamas du 7-Octobre a laissé une marque profonde dans la société israélienne, surtout à cause de la brutalité avec laquelle elle a été menée. Les Israéliens, de toutes origines, sont convaincus qu’il n’est plus possible de négocier avec les terroristes. Au cours des deux dernières années, des dizaines de milliers de missiles lancés par le Hamas et ses supplétifs iraniens auraient pu détruire Israël, sans sa technologie et sa préparation militaire. C’est une situation qui rend impossible d’imaginer une coexistence pacifique et la fin de la guerre sans l’élimination du Hamas. De plus, les dirigeants du Hamas savent bien que s’ils acceptaient un accord et libéraient les otages, ils seraient éliminés ou perdraient rapidement toute influence. En effet, malgré de nombreuses tentatives d’accords — trois presque abouties —, à la dernière minute les jihadistes les ont toujours sabotées par des demandes inacceptables, comme l’ont confirmé les médiateurs qataris et américains.
Béthléem, un autre monde
De Kerem Shalom, je me suis rendu à Bethléem. Entrer dans cette ville, c’est comme plonger dans un autre monde. Il y a trente ans, lorsqu’Israël a quitté la zone, Bethléem était une ville à majorité chrétienne, avec 80% de la population appartenant à cette communauté. Aujourd’hui, les chrétiens ne représentent plus que 20%. La ville est calme, sous le contrôle de l’Autorité palestinienne, et l’on n’y respire pas l’air de protestation que l’on sent en Europe et auquel on pourrait s’attendre. Pas de manifestations contre Israël ou en faveur de Gaza, pas de paroles excessives et encore moins de banderoles. Ici, les gens semblent craindre le passé, désirer la normalité et redouter seulement le retour des groupes jihadistes. Beaucoup de Palestiniens de Bethléem ont vécu à la fois sous l’administration israélienne et sous la pression des groupes terroristes, et leur plus grande peur est que le chaos reprenne le dessus. Tant et si bien qu’ils disent ouvertement préférer la présence israélienne au retour des groupes radicaux. La ville semble rêver d’un avenir différent, peut-être comme une sorte de cité-État dotée d’une large autonomie, plutôt que d’adhérer à un véritable État palestinien national. Chaque coin de Cisjordanie a parfois des particularités très différentes : le pouvoir est fragmenté, souvent entre les mains de familles ou de groupes locaux qui, dans de nombreux cas, dialoguent avec Israël pour garantir la sécurité de tous, comme le fait presque toujours aussi l’AP et sa police. Les chrétiens luttent chaque jour pour préserver leur identité et aimeraient que la ville de la Nativité devienne une attraction pour les fidèles du monde entier.
Un chiffre m’a frappé : un demi-million de Palestiniens de Cisjordanie travaillent chaque jour en Israël. Ils savent bien que la coopération entre l’Autorité palestinienne et Israël est le seul moyen de contenir le risque de voir des mouvements jihadistes arriver au pouvoir. Parmi les deux millions d’Arabes israéliens, la majorité veut continuer à vivre en paix dans l’État hébreu, avec les mêmes droits que leurs concitoyens juifs. En effet, dans aucun des deux groupes il n’y a eu de manifestations significatives en faveur du Hamas ; en Israël comme à Ramallah, les Arabes savent bien que contre le Hamas il n’y a pas d’alternative à la guerre. Par ailleurs, dans le nord d’Israël vivent les Druzes, une communauté arabe non musulmane parfaitement intégrée. Beaucoup d’entre eux servent dans l’armée, certains même à des postes de commandement.
Après l’intervention terrestre, la fin de la guerre semble proche, et avec elle la possibilité d’une région plus stable à la suite de tous les changements intervenus ces deux dernières années, beaucoup grâce aux États-Unis et à Israël. La solution à deux États, cependant, paraît de plus en plus lointaine : ni l’Égypte ni la Jordanie ne veulent assumer la responsabilité de Gaza, de la Cisjordanie ou des réfugiés. Personne ne semble croire encore au mirage de « deux États pour deux peuples ».
Une autre idée se fait jour : la création d’émirats locaux palestiniens, confédérés ou non, dirigés par des leaders respectés, qui administreraient les territoires en paix et en coordination avec Israël, garantissant sécurité, respect et reconnaissance mutuelle. Un modèle proposé précisément par un leader palestinien, le cheikh d’Hébron. Une idée qui pourrait aussi séduire certains pays arabes, sans revenir à un modèle traditionnel d’État-nation que les Palestiniens eux-mêmes n’ont jamais voulu, afin de ne pas reconnaître Israël, et qui aujourd’hui semble n’exister que dans les têtes des dirigeants occidentaux.
Le drapeau palestinien est devenu l’objet d’innombrables récupérations, échappant aux militants sincères qui rêvent d’un peuple palestinien vivant enfin en paix aux côtés d’Israël.
Il est brandi partout, dans les manifestations politiques, culturelles et sportives ; il se dresse au fronton de bâtiments officiels et pend aux fenêtres des appartements ; il est collé sur les mâts des réverbères, les sièges des transports publics et les vitrines des commerces ; il flotte sur les embarcations de fortune de Greta Thunberg, de Rima Hassan et de… Thomas Guénolé. Par-delà le soutien aux habitants de Gaza, le drapeau palestinien revête une autre signification qui devrait en tout cas nous questionner.
Signifié et signifiant
Bien sûr, nul ne devrait jamais souiller, piétiner, brûler un drapeau national, régional ou même clanique dès qu’un homme s’émeut, s’agenouille, se prosterne devant lui. L’étendard palestinien, rappelant par sa quadrichromie panarabe les héritages abasside, fatimide, omeyyade et hachémite, ne fait évidemment pas exception à la règle. Cette précaution, indispensable en ces temps de grande sensiblerie et d’encore plus grande victimisation, ne doit pas nous empêcher de comprendre le signifié derrière le signifiant lorsqu’il est affiché dans les villes européennes.
Comme avant lui le drapeau soviétique frappé du marteau et de la faucille ou la photo iconique de Che Guevara, désormais rangés dans le placard des militants de gauche, et cohabitant dans un étrange paradoxe avec le drapeau LGBT(QIA+++), il est alors le pavillon des faux rebelles en keffieh qui pensent résister contre un prétendu génocide, mais qui feignent de ne pas comprendre que le vrai courage serait d’arborer le drapeau israélien, ou le ruban jaune, dans certains quartiers de Londres, à Molenbeek, ou dans un meeting de la gauche hassano-mélenchoniste.
Bonne conscience
Il est la bannière des islamistes qui entendent imposer la charia dans les quartiers et celui de leurs idiots utiles, issus des rangs de la gauche et de son extrême ; il est l’emblème des antisémites qui se drapent dans l’antisionisme sans être capables de le définir et, en manifestation, il forme une marée qui accompagne les slogans parmi les plus infâmes de l’époque : « From the river to the sea »… ; il est le vêtement qui habille les bourgeois tiers-mondistes d’une bonne conscience en leur permettant, pour paraphraser Rousseau, de ne pas avoir à se soucier des problèmes de leur voisin qui peine à boucler ses fins de mois ; il est l’étendard des ambitions présidentielles d’un ancien Premier ministre français atrabilaire croyant pouvoir rejouer son moment de gloire à l’ONU.
Pour toutes ces raisons, le drapeau palestinien est le signe de ralliement facile de toutes les causes qui entendent culpabiliser l’Occidental et détruire sa culture millénaire pour la remplacer par une islamisation teintée de nihilisme ; il est le signe de notre effacement au profit d’un nouveau monde dont nous, Européens de civilisation, n’aurions qu’à disparaître ; en un mot comme en cent, il est la bannière des islamo-gauchistes.
«Le temps est venu». Le 22 septembre 2025 à New York, par la voix d’Emmanuel Macron, la France a reconnu l’existence de l’État de Palestine. La France pourra «décider d’établir une ambassade auprès de l’État de Palestine, dès lors que tous les otages détenus à Gaza auront été libérés, et qu’un cessez-le-feu aura été établi», a-t-il ajouté. « J’attends aussi de nos partenaires arabes et musulmans qui ne l’ont pas encore fait, qu’ils tiennent leurs engagements de reconnaître l’État d’Israël et d’avoir avec lui des relations normales » a-t-il également précisé. Les opposants au président français ont dénoncé une démarche diplomatique symbolique ne permettant en rien une paix à Gaza, ou, pire, une prime au terrorisme palestinien. L’avis d’Elisabeth Lévy.
C’est fait : la France a reconnu la Palestine. Beaucoup de bruit pour rien. Le discours d’Emmanuel Macron devant l’Assemblée générale des Nations Unies, hier, s’inscrivait dans une initiative franco-saoudienne prévoyant aussi la reconnaissance par Ryad d’Israël. Sauf que cette reconnaissance n’a pas eu lieu, et que MBS avait semble-t-il piscine. C’est donc de l’étalage de vertu diplomatique. Reconnaître la Palestine, ça ne mange pas de pain et ça vous rend populaire dans une grande partie du monde. Emmanuel Macron songerait-il au Secrétariat général de l’ONU ?
Blessure vive
Cependant, ce n’est pas non plus le blanc-seing au Hamas que beaucoup (dont votre servante) redoutaient et dénonçaient. Les premiers mots du président français ont été pour les 48 otages encore détenus à Gaza. Il a condamné sans ambiguïté le 7-Octobre et le Hamas. «La barbarie du Hamas et de ceux qui ont collaboré à ce massacre a stupéfait Israël et le monde. Le 7-Octobre est une blessure encore vive pour l’âme israélienne comme pour la conscience universelle.»
Est-ce à dire que finalement je l’approuve ? Non, mais peut-être a-t-il moins péché par cynisme que par angélisme et légèreté. Comme tous les partisans de la solution à deux Etats, peut-être y croit-il vraiment encore. Un territoire, deux États, c’est évident sur le papier ; mais ça n’arrivera pas, en tout cas pas avant une génération. Le 7-Octobre est irréparable. Pour nombre d’Israéliens, l’assassinat et la torture de kibboutzniks épris de paix prouvent que c’est nous ou eux, et que s’ils ont un État demain les Palestiniens recommenceront. Et tous les islamo-gauchistes occidentaux qui veulent libérer la Palestine « de la mer au Jourdain » leur donnent raison. De plus, en Israël aussi, l’extrémisme religieux a prospéré sur le désastre.
Polémique autour des drapeaux palestiniens sur quelques mairies françaises
Cependant, j’ai changé d’avis sur les drapeaux. Le président de la République reconnait la Palestine à New York, et le ministre de l’Intérieur interdit les drapeaux palestiniens en France. Sans faire une thèse de droit, il y avait quelque chose d’incompréhensible. Retailleau voulait peut-être prendre position sur la question, sans s’opposer frontalement au président – mais au-delà de quelques petites sanctions judiciaires, il n’a pas vraiment le pouvoir d’interdire. Personne n’avait râlé pour les drapeaux ukrainiens ou tibétains.
Dans la rue, le drapeau palestinien est souvent l’alibi de la violence, de la haine des juifs, de la police et de la France. Mais, je veux croire qu’au fronton des mairies, il traduit un vrai désir de paix. En particulier quand il est mis à côté du drapeau israélien. Certains maires pavoiseurs ont certainement des arrière-pensées dégoûtantes, mais on ne va pas faire la police des arrière-pensées. La liberté d’expression doit profiter à ceux avec qui on n’est pas d’accord.
Beaucoup de juifs sont évidemment heurtés par la décision d’Emmanuel Macron et inquiets du climat. Mais dire qu’ils vivent dans la peur est exagéré. Hier, ils ont fêté le Nouvel an et aujourd’hui comme chaque samedi, ils prieront pour la France et pour la République dans toutes les synagogues du pays.
Jusqu’au 3 novembre, tous les lundis à 21h au Théâtre de Poche Montparnasse, Jean Anouilh revit dans un spectacle imaginé et interprété par Gaspard Cuillé et Benjamin Romieux sur une mise en scène d’Emmanuel Gaury. Les souvenirs du dramaturge, succès et fours mémorables, histoires d’armée et rencontres pittoresques, sont un hymne aux planches.
Quelle leçon ! D’humilité, de fantaisie, de drôlerie et d’adoration du théâtre, de ses personnages et du jeu pour le jeu. Les hommes qui cessent de jouer sont le poison des sociétés modernes. Ils veulent tout régenter, tout expliquer, tout alourdir pour qu’advienne une pensée magique. Ils ont tué le théâtre à trop réfléchir à leur postérité embryonnaire. Ils ont muré tous les espaces de liberté. Leurs mots sont des entonnoirs. Ils ont une mentalité de sergent-instructeur. Seul le brouhaha de leurs idées a droit de cité. Le reste doit être abattu, combattu. Ils sont si peu sûrs de leur talent qu’ils crachent avant de parler. Et puis, il y a Anouilh, le réformé temporaire, le gamin de la Porte de la Chapelle, le bon élève de Chaptal, l’adorateur de Siegfried de Giraudoux, l’apprenti dramaturge lancé dans la vie parisienne à coups de triomphes juvéniles et de salles vides. Il aura tout connu. Les salles combles et les gadins magistraux. Les travaux alimentaires d’écriture et la promiscuité des plus grands, Jouvet, Fresnay ; l’héritage de Molière et de Dullin. L’Occupation et les bureaux des producteurs de cinéma. Les actrices sans filet et les soirs de générale. La chambre mansardée, une fine tranche de pâté de campagne le soir de la Saint-Sylvestre et les tournées internationales au champagne. Aujourd’hui, Anouilh, c’est du sérieux, du « validé » par l’enseignement, l’une de nos gloires nationales bien que certaines pièces conservent leur fumet d’insoumission. Pauvre Bitos ! Dans certains milieux autorisés, on se méfie d’Anouilh, on lui cherche des poux dans le texte, on aimerait bien qu’il clarifia sa position en son temps. De quel côté, de quel bord parlait-il ? Il est mort en 1987. Il était dans le camp du spectacle vivant et des mystères de Paris, messieurs les censeurs ! Cet été, dans un dossier, nous avons eu l’ambition de définir l’esprit français. Chacun apportant sa pierre à un édifice brinquebalant, chacun y allant de ses tocades. Je me souviens avoir évoqué Guitry, Audiard, Broca, Hardellet, mes classiques et j’ai omis Anouilh. Qu’il m’en soit pardonné ici.
La Compagnie du Colimaçon, alerte, enjouée, sans boursouflure, à l’économie vitale, comble en ce moment mon oubli au Théâtre de Poche. Elle a décidé de monter Souvenirs d’un jeune homme dans un habile dédoublement, ce ping-pong verbal léger à deux têtes est divertissant (ce n’est pas un crime). Sa modestie et son humilité n’ont rien d’un spectacle janséniste. Les deux comédiens présents sur scène incarnent Anouilh à tour de rôle et nous faufilent derrière le rideau. Sans gravité, avec malice et douce ironie, les géants des tréteaux s’animent. On revisite non pas la tarte tatin mais les années 30/40 avec l’œil d’un auteur plus que prometteur. Anouilh a publié à la Table Ronde ses souvenirs sous le titre La Vicomtesse d’Eristal n’a pas reçu son balai mécanique. La Compagnie s’appuie sur cette bible savoureuse, gorgée d’anecdotes et d’intelligence. Avant Antigone, avant Eurydice, Anouilh bachelier ayant quitté les bancs de l’université de droit débuta sa carrière en qualité d’employé des Grands magasins du Louvre au bureau des réclamations puis il se lança en tant qu’éphémère concepteur-rédacteur dans une maison de publicité. Il y fit alors la connaissance de Neveux, Grimault, Prévert et Aurenche. La pièce enchaîne des saynètes sublimes et dérisoires comme ce jour de gala sur une piste de danse. Jadis, Anouilh avait décroché le Premier prix de Charleston au Casino de Stella-Plage (Pas-de-Calais). Voilà ce qui fait le sel de cette pièce, sa mécanique endiablée, l’on passe d’une garnison de Thionville au bureau de l’amer Jouvet, de l’hôtel particulier de la Princesse Bibesco qui le reçoit « étendue sur une méridienne à col de cygne recouverte de satin blanc » à l’intérieur spartiate de Pitoëff « le seul homme de génie que j’ai rencontré au théâtre ». Petite souris, nous nous glissons dans le compagnonnage avec l’ami de toujours Barsacq « un vrai travail, artisanal et fraternel », nous succombons aux fous-rires de Suzanne Flon et aux débuts de Bruno Cremer et de Michel Bouquet. Paulette Pax (1886-1942) avait bien raison de dire : « Anouilh, le théâtre est une chose inouïe ! ».
Le président Macron fait le pari fort hasardeux de reconnaitre un État pour les Palestiniens avant d’exiger de leur part de refonder leur représentation politique. Grande analyse.
Le Nouvel An hébraïque, Roch Hachana, célébré du 21 au 23 septembre, inclut le 22 : date qu’Emmanuel Macron a choisie pour annoncer, à l’ONU, la reconnaissance de l’État de Palestine. Or, après le pogrom du 7 octobre 2023, la priorité aurait dû être le démantèlement du Hamas et des autres organisations islamistes. Une telle reconnaissance, purement verbale, n’apportera rien de concret sur le terrain ; elle risque au contraire de transformer cette entité en une “Mecque” mondiale de l’antisémitisme, livrée aux islamistes, tout en affaiblissant la diplomatie française.
Ce choix inscrit une date sombre dans l’Histoire. Il s’ajoute à une véritable guerre des mots, où l’on répète un récit tronqué perçu comme une blessure dans la mémoire collective juive. Victor Klemperer le soulignait déjà : « Les mots peuvent agir comme de minuscules doses d’arsenic : on les avale sans y prendre garde, et leur effet se fait sentir avec le temps. »
Le terme même de “Palestine” illustre cette mécanique. Imposé par l’empereur Hadrien au IIᵉ siècle pour effacer la Judée après la révolte de Bar Kokhba, il reprenait le nom des Philistins, ennemis des Hébreux. Rebaptiser une terre, c’était effacer une mémoire.
Bien plus tard, ce nom fut réactivé pour désigner le territoire placé sous mandat britannique, issu des accords de Sykes-Picot et de la conférence de San Remo. Cette conférence, en avril 1920, consacra le partage des restes de l’Empire ottoman : la Syrie et le Liban furent placés sous mandat français, tandis que la Palestine et l’Irak passèrent sous mandat britannique.
La Société des Nations entérina ces décisions en instituant trois mandats distincts : l’un pour la France sur la Syrie et le Liban, l’autre pour le Royaume-Uni sur la Palestine, et un troisième pour le Royaume-Uni sur l’Irak. Toutefois, le mandat britannique sur la Palestine comportait une clause particulière : les territoires situés à l’est du Jourdain furent exclus de l’application de la Déclaration Balfour. C’est cette disposition qui donna naissance à la Transjordanie, devenue la Jordanie actuelle, conçue dès l’origine comme le foyer arabe distinct du projet national juif prévu à l’ouest du fleuve.
Après l’expulsion de Fayçal de Damas par les troupes du général Gouraud en 1920, son frère Abdallah entra en Transjordanie avec l’appui des tribus du Hedjaz pour venger cette défaite. Les Britanniques reconnurent son autorité en 1921 sur les territoires situés à l’est du Jourdain. Or, dans le même temps, la Palestine mandataire à l’ouest connut, dans les années 1920 et 1930, des violences répétées.
En 1947, la résolution 181 de l’ONU proposa un partage entre un État juif et un État arabe. Israël accepta, les pays arabes refusèrent, et la guerre éclata. Dès lors, la revendication arabe changea de nature : non plus une demande de coexistence, mais une exigence exclusive, concevant l’État palestinien comme instrument contre Israël plutôt que comme partenaire.
Après la guerre de 1947-1948, les régions historiquement connues sous le nom de Judée et de Samarie furent rebaptisées “Cisjordanie”. Restées sous contrôle de la Légion arabe jordanienne, dirigée par des officiers britanniques comme Glubb Pacha, elles furent annexées par la Jordanie en 1950 à la suite de la conférence de Jéricho, au nom de « l’unité des deux rives ».
Cet arrière-plan historique a été totalement occulté dans les déclarations du président de la République. Or, avant de prendre une telle décision, il convient de rappeler que, depuis l’été, la France connaît une recrudescence d’actes antisémites, ainsi que des prises de position hostiles de la part de responsables politiques, en particulier à gauche.
La décision de la maire écologiste de Strasbourg, Mme Jeanne Barseghian, d’annuler le jumelage avec Ramat Gan, symbole du développement technologique israélien et de sa Silicon Valley, en est un exemple. De même, le premier secrétaire du Parti socialiste, Olivier Faure, a encouragé le pavoisement du drapeau palestinien sur des mairies françaises.
Ce drapeau, dont l’origine est trop souvent oubliée, fut proclamé par le chérif Hussein de La Mecque lors de la révolte arabe de 1916. Il revendiqua ensuite le titre de calife après l’abolition du califat par Mustafa Kemal Atatürk en 1924. Ses couleurs renvoient aux grandes dynasties de l’islam : le blanc pour les Omeyyades de Damas et de Cordoue, le noir pour les Abbassides de Bagdad, le vert pour les Fatimides du Caire et le rouge pour les Hachémites, descendants du Mahomet.
La situation territoriale actuelle illustre les limites du processus d’Oslo. L’Autorité palestinienne, issue des accords de 1993-1995, n’exerce son autorité que sur les zones A et B de Cisjordanie. La zone A, environ 18 % du territoire, est sous contrôle civil et sécuritaire palestinien ; la zone B, environ 22 %, sous administration civile palestinienne mais avec un contrôle sécuritaire conjoint. La zone C, près de 60 %, reste intégralement sous contrôle israélien.
Depuis le début des années 2000, les négociations de paix sont au point mort, et la division politique a renforcé l’impasse. Depuis 2007, la bande de Gaza échappe à l’Autorité palestinienne et demeure sous le contrôle du Hamas, accentuant la fracture entre Cisjordanie et Gaza.
La difficulté n’est pas seulement territoriale mais représentative. Qui parle au nom des Palestiniens ? Depuis près d’un siècle, les structures qui ont prétendu incarner leur voix se sont effondrées : le Haut Comité arabe d’Amin al-Husseini, compromis par ses liens avec le nazisme ; le Haut Conseil arabe, qui proclama en 1948 un « gouvernement de toute la Palestine » fantomatique ; enfin l’OLP, créée en 1964 par Nasser, instrumentalisée par les régimes arabes et vite dominée par Yasser Arafat.
Arafat incarna la duplicité politique. Aux Occidentaux, il se présentait comme partenaire de paix ; aux Arabes, comme chef de guerre ; aux Soviétiques, comme allié révolutionnaire ; aux monarchies du Golfe, comme bénéficiaire d’une rente indispensable. Il abrogea certains articles hostiles mais refusa de reconnaître l’histoire juive de Jérusalem. Il signa Oslo mais entretint les manuels glorifiant le terrorisme. Il parla de réconciliation mais s’appuya sur un appareil sécuritaire fondé sur la corruption et la violence. L’Autorité palestinienne, née de ces accords, devint une bureaucratie autoritaire, dépendante de l’aide internationale et minée par le népotisme.
Mahmoud Abbas, son successeur, verrouilla encore davantage le système. Il multiplia les propos antisémites, entretint un clientélisme paralysant et conserva les réflexes autoritaires. Le désenchantement grandit, ouvrant un espace immense aux islamistes. Hamas et Jihad islamique s’imposèrent à Gaza, nourris par l’échec des institutions. Leur victoire électorale en 2006 puis leur coup de force en 2007 illustrent la faillite de la représentation dite laïque. La corruption nourrit l’islamisme, et l’islamisme prospère sur la faillite du politique.
Reconnaître un État palestinien aujourd’hui, c’est entériner une illusion dangereuse. Trois scénarios sont plausibles : un État failli, rongé par la corruption et les luttes inter-palestiniennes ; un émirat islamique dirigé par le Hamas ou le Jihad islamique, institutionnalisant l’antisémitisme et menaçant Israël ; ou encore un État sous tutelle régionale, dépendant du Qatar, de la Turquie ou de l’Arabie saoudite. Dans tous les cas, il deviendrait un foyer idéologique de l’antisémitisme, catalyseur des haines anciennes et nouvelles.
La déclaration du chef de l’État en faveur d’un “État palestinien” plutôt qu’un “État binational” ne résiste pas à l’examen. Il ne revient pas à Paris, éloigné de la réalité du terrorisme, de décider à la place de ceux qui vivent ce conflit. Les résolutions 242 et 338, fondées sur le chapitre VI de la Charte de l’ONU, appellent à des négociations : la priorité doit être d’établir une représentation palestinienne crédible pour engager de véritables pourparlers.
Un État ne naît pas d’une proclamation, mais d’institutions légitimes, capables de gouverner sans corruption, de résister à l’islam politique et de s’affranchir des manipulations régionales. La paix ne se décrète pas ; elle suppose une culture politique nouvelle. Tant que l’éducation glorifiera la violence et que l’histoire juive sera niée, aucune paix ne sera possible. Tant que le langage officiel restera prisonnier de la haine, la société palestinienne restera prisonnière de la violence.
En annonçant cette reconnaissance, la France confond le mot et la réalité et sacrifie la vérité à une illusion diplomatique. La paix exige au contraire de refonder la représentation palestinienne, de limiter l’ingérence régionale et de conditionner l’aide internationale à de vraies réformes. Sans cela, reconnaître un État palestinien ne serait pas un pas vers l’avenir, mais une marche vers l’abîme.
L’actrice franco-italienne, égérie de Cinecitta et vedette européenne, s’illustra chez Visconti, Zurlini, Monicelli, Sergio Leone ou Philippe de Broca. Elle partagea l’affiche avec Omar, Alain, Jean-Paul ou Brigitte. Elle était une star discrète, pudique et follement aimée par les cinéphiles et le grand public. Elle vient de nous quitter à l’âge de 87 ans
J’hésite. Était-ce une voix ou une peau ? Les deux, assurément. D’abord, il y a cette voix chaude, sensuelle, timide et étonnamment assurée, ambivalente donc séduisante, elle rocaille, elle perle, elle se propagera à travers l’univers durant encore des décennies. Ce matin, vous l’entendez, elle résonne dans nos cœurs. Vous n’êtes pas triste, plutôt heureux. Car, vous aurez reçu cette voix en offrande, en partage, gratuitement ; un don du ciel, un peu irréel comme un songe des années 60, comme si le monde d’avant n’était pas mort. Vous l’aurez captée, un jour, dans un vieux film en noir et blanc ou dans une interview à la télévision. Faites l’expérience de la voix de Claudia à la radio, dans l’intimité du poste, le transport amoureux est garanti, elle est là, près de vous. Vous tremblez, c’est normal. Cette voix était notre trésor commun, notre bien national. Malgré les malheurs, les défaites, la vie en est remplie, vous vous souviendrez de son timbre, de son lent débit, de sa mélopée, de son érotisme, de sa suspension poétique, de ses pas chassés ; d’abord hésitante, elle se faisait poliment décidée, voire butée, incorrigible et cabotine, avec une pointe de maladresse qui est le signe des déesses. La voix de Claudia vous rappellera que la beauté du monde n’est pas un leurre, qu’elle n’est pas factice, qu’elle peut même avoir le visage d’un humain. Ces derniers temps, vous ne croyez plus en l’être humain, vous ne lui faites plus confiance, il est tellement décevant : je vous comprends. La voix de Claudia nous rattrape, nous sauve, nous donne un léger sursis, nous absout. Et si la vie méritait tout de même d’être vécue ? Elle est un acte de foi, tangible, audible, vibrant qui n’a besoin d’aucune démonstration particulière. Elle touche les hommes et les femmes, indifféremment. Elle émeut. Elle cristallise. Elle enfante. Elle nous laisse même une chance de nous améliorer. Une telle voix nous lie pour l’éternité. Nous serons à jamais ses disciples enamourés et reconnaissants pour son art divinatoire. Avec Claudia, le cinéma était lumière, lustre et entrailles d’une Italie des légendes, notre pays-sœur, des rues sales aux palais de cristal, des mamas et des divas. Sa voix, c’était le soleil de Tunis, l’Afrique, la poussière, le vent, la sécheresse qui irrite la gorge, qui perturbe sa modulation de fréquence, la nostalgie des cités enfouies, des villes détruites, le berceau de la Méditerranée. Notre mère à tous. Sa voix était onde et mirage. Mais Claudia, c’était une peau, une enveloppe soyeuse, donc une âme en colère, un velours chocolaté, un mausolée où l’on entrevoyait l’amour et la haine, la pauvreté et l’espoir. Parmi les actrices italiennes, il y en eut des plus racées, des plus girondes, des plus cérébrales, des plus capricieuses, des plus frivoles. Nous les aimions toutes ; une seule comptait pourtant. Secrètement, nos incantations lui étaient destinées. Claudia était à part. Avec elle, nous ne nous mentions plus. Nous aurions eu trop honte. Nous lui accordions notre tendresse et notre jeunesse. Nous sommes ses éternels débiteurs. Nos rêves étaient pour elle. Nous la respections comme une mère et la vénérions comme une amante inaccessible. Vous me direz : et les films alors ? La filmographie ? Accessoire. Secondaire. Les dates ? Superflues. Les grands réalisateurs, les partenaires d’élite, les montées des marches, l’Histoire dans les dictionnaires, niente, loin derrière Claudia. Loin derrière son éclat, derrière sa féérie, tantôt paysanne, tantôt altière. Au-delà de l’actrice, de son talent et de son humilité, ce sont des images qui resteront. Oui, des vignettes qui composeront une longue tapisserie des temps heureux. Nous la rembobinerons quand la douleur ou la peur nous saisiront… Ce matin, je vois une fille qui porte une valise, sa jupe écossaise vole, ses sandales traînent sur un chemin de terre. Je vois une brune en robe de soirée, une tiare sur les cheveux, elle est l’origine du monde, Alain était beau comme un hussard cette nuit-là. Je la vois aux côtés de BB, un chemisier largement ouvert sur une gorge dorée. Et je suis un homme heureux. J’ai connu Claudia.
Claudia Cardinale avec Alain Delon en Italie pendant le tournage du « Guépard » de Luchino Visconti, 1961 (C) DALMAS/SIPA Numéro de photo : 00390905_000004
L’autocritique permanente, loin d’apaiser, peut nourrir la propagande adverse. L’islamisme ne veut pas la repentance, il veut la victoire. Aussi, le progressisme sacrificiel des Occidentaux doit cesser, selon Charles Rojzman.
Le 22 septembre 2025, Emmanuel Macron, seul parmi les dirigeants européens ce jour-là, a annoncé à la tribune des Nations unies la reconnaissance officielle d’un État de Palestine. D’autres pays avaient déjà pris cette décision en amont (Norvège, Irlande, Espagne, Slovénie, Royaume-Uni, Portugal…), mais c’est la France qui, par la voix de son président, a voulu lui donner un retentissement mondial. Or ce geste fut posé sans conditions : ni désarmement du Hamas, ni garanties de sécurité pour Israël, ni libération des otages toujours détenus.
Ce choix, présenté comme un acte de paix, relève en réalité d’un calcul : apparaître comme le champion de l’équilibre au sein d’une ONU dominée par la majorité automatique des pays du Sud, tout en cherchant à répondre à la pression du bloc arabo-musulman. Mais il marque aussi une abdication : en reconnaissant la Palestine dans les conditions actuelles, la France entérine une victoire politique et symbolique du Hamas, et, à travers lui, légitime la montée en puissance d’un islamisme totalitaire.
Erreurs répétées
Israël n’est pas une périphérie dont l’Europe pourrait se détourner pour sauver son image morale. Il est le poste avancé d’un conflit qui concerne directement notre civilisation. En croyant protéger son prestige diplomatique, la France met en péril non seulement l’avenir d’Israël, mais le sien propre.
Il est des moments où les illusions d’une civilisation se révèlent pour ce qu’elles sont : un chemin vers sa propre disparition. L’attitude des élites européennes face à Israël, depuis le 7-Octobre et la riposte contre le Hamas, appartient à cette catégorie. Car il faut appeler les choses par leur nom : exiger un cessez-le-feu inconditionnel, c’est offrir une victoire politique et symbolique au Hamas ; et offrir une victoire au Hamas, c’est consacrer l’essor mondial de l’islamisme. Ce geste, présenté comme humanitaire, n’est rien d’autre qu’un suicide politique pour l’Europe.
Israël n’est pas engagé dans une guerre périphérique dont l’Europe pourrait se tenir à distance ; il est le poste avancé d’un conflit qui nous concerne tous. Le Hamas n’est pas une simple organisation palestinienne : il est la figure régionale d’un totalitarisme global, l’islamisme, qui combine trois traits déjà connus du XXe siècle. Comme le fascisme, il exalte l’identité et désigne un ennemi absolu à exterminer. Comme le communisme, il promet une rédemption universelle, ici sous la forme de l’instauration d’un ordre divin libérant les peuples de la domination occidentale. Comme les deux, il séduit en empruntant le langage du Bien : dignité des opprimés, justice des humiliés, émancipation des colonisés. Mais il ajoute à ces traits un art redoutable, inédit à cette échelle : retourner contre ses adversaires les valeurs mêmes qui fondent leur civilisation. Les droits de l’homme, l’humanisme, la compassion pour les victimes deviennent l’arme idéologique d’une force qui veut abolir la liberté et la démocratie.
C’est ici qu’il faut être clair : ne pas accepter, dans les conditions actuelles, un cessez-le-feu sans la reddition du Hamas et la libération des otages restants, c’est effectivement continuer la guerre – avec ses destructions, ses victimes, ses horreurs. Mais c’est la loi du tragique : une guerre n’est jamais « propre ». Et pourtant, si comparaison il y a, cette guerre reste plus limitée, plus contrôlée, plus soucieuse de réduire les pertes civiles que la plupart des conflits du Moyen-Orient ou de l’Afrique, où les massacres sont de masse et les vies humaines comptent pour rien. Refuser la guerre, c’est condamner Israël à disparaître ; la poursuivre, c’est préserver au moins la possibilité de sa survie – et avec elle, celle d’un monde encore attaché à la liberté.
Nous avons déjà connu ce mécanisme. Dans les années 1930, l’Europe crut pouvoir désarmer Hitler en lui concédant des territoires ; elle refusa de croire que l’ennemi ne cherchait pas le compromis, mais l’anéantissement. Dans les années 1950, nombre d’intellectuels occidentaux se sont aveuglés sur le goulag au nom de l’espérance révolutionnaire. Aujourd’hui, le même aveuglement se rejoue : une partie de nos élites s’imagine qu’en freinant Israël, en lui imposant la morale humanitaire, on sauvera la paix, alors que l’on consacre en réalité la victoire d’une idéologie totalitaire.
Pourquoi cette répétition obstinée des erreurs ? Parce que l’Europe s’est enfermée dans une religion séculière de la culpabilité. Le christianisme avait inscrit au cœur de notre culture l’idée que le salut passe par l’aveu de la faute et la rédemption par le sacrifice. La modernité a sécularisé cet héritage : il ne s’agit plus de se confesser devant Dieu, mais de s’excuser devant l’humanité. Après 1945, la mémoire de la Shoah a accentué cette tendance en faisant de la reconnaissance de la faute le pivot de la conscience démocratique. Puis vint la décolonisation, et avec elle une nouvelle liturgie : celle du repentir colonial. L’Occident s’est redéfini comme coupable par essence, oppresseur congénital, sommé de s’excuser sans fin.
Ce mécanisme, transposé dans le présent, conduit à un résultat absurde : Israël, qui fut d’abord perçu comme la réparation ultime après Auschwitz, est désormais vu comme la réincarnation du colonisateur européen. La mémoire de la culpabilité européenne s’est projetée sur l’État juif, transformé en coupable de substitution. C’est lui, désormais, qui doit expier pour les crimes de l’Europe. D’où la facilité avec laquelle une partie des élites occidentales, et même juives, bascule dans la condamnation automatique d’Israël : elles rejouent la scène de l’aveu de faute qui leur donne le sentiment d’être du côté du Bien.
Postures
Ce réflexe n’est pas limité à l’Europe. On le retrouve au sein même d’Israël, dans une partie de sa gauche intellectuelle et politique. Depuis Oslo, beaucoup croient qu’en multipliant les gestes d’autocritique et les concessions, on désarmera la haine palestinienne. La diaspora juive, en particulier dans ses élites médiatiques, a prolongé cette disposition : Delphine Horvilleur, Anne Sinclair et d’autres ont fait de l’accusation de leur propre camp le moyen de se maintenir dans une posture morale irréprochable. Mais l’ennemi ne demande pas des excuses, il ne cherche pas un compromis : il exige la disparition. L’autocritique, loin d’apaiser, nourrit la propagande adverse.
Ainsi, de Paris à Tel-Aviv, une même logique sévit : celle du progressisme sacrificiel. Ce nouvel évangile laïc fusionne l’héritage chrétien du péché, la mémoire de la Shoah, la culpabilité coloniale et le manichéisme marxiste. Il en résulte une idéologie totalitaire d’un nouveau genre, qui divise le monde en dominants coupables et dominés innocents, et qui prescrit comme seule conduite légitime l’auto-dénigrement. Israël, condensé symbolique de l’Occident, est condamné à l’expiation : il ne peut être qu’agresseur, quelle que soit la réalité de l’agression qu’il subit.
Cette religion séculière a cessé d’être un discours marginal : elle structure désormais nos institutions. À l’école, on enseigne davantage la mémoire des fautes que l’histoire des réussites ; à l’université, le paradigme décolonial s’impose comme dogme interprétatif ; dans la justice internationale, Israël est criminalisé avec une rapidité qui contraste avec l’impunité des régimes autoritaires ; dans la diplomatie européenne, la morale humanitaire se substitue à la défense des démocraties. Même les médias et la culture diffusent le récit sacrificiel : Israël comme puissance oppressive, les Palestiniens comme victimes absolues. La culpabilité est devenue norme officielle.
Les conséquences sont prévisibles. Si l’Europe persiste, elle connaîtra la désagrégation sociale, sous la pression de communautés qui ne partagent plus une identité commune. Elle connaîtra une guerre civile diffuse, faite d’émeutes, d’attentats, de zones de non-droit. Elle connaîtra l’effacement géopolitique, marginalisée par les puissances qui assument la dureté de l’histoire. Elle mourra de sa vertu, ou plutôt de sa fausse vertu : une morale qui se retourne en impuissance.
Mais un autre avenir est possible. Il suppose un retournement lucide. L’Europe doit comprendre que l’humanisme ne consiste pas à s’immoler, mais à se défendre. Elle doit retrouver une identité positive, au lieu de se définir uniquement par ses fautes. Elle doit réapprendre à nommer l’ennemi, à réhabiliter le politique contre la morale abstraite, à assumer une puissance qui protège ses valeurs. Israël, petit pays divisé mais qui tient debout face à une haine totale, peut servir de modèle : celui d’une démocratie qui résiste, non pas en dépit de ses principes, mais grâce à eux.
C’est pourquoi ce qui se joue à Gaza n’est pas seulement le destin d’un État lointain : c’est le miroir de notre propre destin. Si nous continuons à condamner Israël pour sauver notre bonne conscience, nous choisissons la désintégration. Si nous acceptons de voir en Israël non un coupable mais un avertissement, alors nous pouvons encore retrouver le sens de l’histoire. Car l’islamisme ne veut pas la repentance, il veut la victoire. Et Israël, en refusant le sacrifice, nous montre la voie du refus du suicide.
François Sureau entame avec Les Enfants perdus un roman-feuilleton dont le héros, détective et poète, traverse le temps et l’espace. Dans ce premier épisode, Thomas More plonge dans le chaos de la défaite de Sedan.
On n’est pas sérieux quand on a 67 ans. Académicien, avocat, conseiller des princes à ses heures, auteur de grands livres – dont le magistral Or du temps, à la fois profond et joyeux –, François Sureau est un aventurier – de la vie, de la pensée, de la littérature. Avec Les Enfants perdus, premier épisode de ce qu’on pourrait appeler un roman-feuilleton policier, il retrouve ses allégresses d’adolescent lecteur de Conan Doyle, Dumas, Christie, Simenon.
Fantasque successeur de Maigret, Holmes, Poirot, évidemment fumeur de pipe comme eux (et comme l’auteur), Thomas More a sur ces illustres personnages l’avantage de la longévité. Ainsi peut-il arpenter toutes les périodes troublées de l’Histoire et citer Apollinaire avant qu’il ait écrit un seul vers. Dans les prochains épisodes, on le retrouvera à Salonique en 1913, en France en 1940 ou en Hongrie en 1989. Cependant, s’il confectionne de saisissants portraits d’époque, Sureau écrit pour traquer l’invariant, la permanence, l’immuable logés dans les coins et recoins de l’âme humaine. Thomas More traverse le temps et l’espace, débusquant partout et toujours la vieille histoire des hommes et de l’hommerie.
Nous voilà donc au bord de la Meuse en 1870. Il fait sombre et glacial, la boue charrie des cadavres et le vent, l’odeur de la mort, du désespoir et de la défaite. Gombrowicz se désolait que la littérature contemporaine manquât de pantalons et de téléphones, de concret en somme (Muray adorait ce passage). En quelques lignes, François Sureau transporte son lecteur avec les vaincus de Sedan, dépenaillés, affamés et gelés tandis que des chevaux ensauvagés s’entre-dévorent. Le chaos s’est emparé de la presqu’île d’Iges, sur la Meuse, où 80 000 soldats de l’Empire sont retenus prisonniers par les Bavarois, les contingents les plus cruels des armées emmenées par la Prusse.
Dans ce cloaque à ciel ouvert où l’on verra passer un certain Jean Rimbaud de Charleville, surgit un personnage improbable et solaire, prisonnier comme les autres et pourtant infiniment libre. Ancien inspecteur de la sûreté impériale, connu pour son habileté à élucider les crimes les plus mystérieux, le commandant Thomas More va s’employer à rendre leur destin singulier à deux corps sans vie qui n’ont pas été déposés là par la guerre, mais par les entrelacs de la passion et du crime : une jeune carmélite pas très catholique et un capitaine de cuirassier venu de lointaines îles. Il sera question d’une femme éprise de liberté et d’un serial killer inconsolable, d’un scandale qui menace la cour du roi de Prusse Guillaume Ier, d’une fausse accusation de viol, de vengeance et de passion homosexuelle.
Si Sureau a donné à son détective-philosophe le nom de « l’humaniste anglais du xvie siècle », ainsi que le présentent les dictionnaires, ce n’est pas parce que celui-ci est mort en martyr de la foi catholique, mais parce qu’il refusait tout empiétement du pouvoir politique dans les affaires spirituelles. Loyal auxiliaire de la justice des hommes, son Thomas More conserve, comme son créateur, une forme de méfiance envers elle : juger, d’accord, puisqu’il le faut bien, mais sans jamais oublier qu’au bout du compte ce droit n’appartient qu’à Dieu. Aussi est-on pris d’un coupable soulagement quand More et Sureau laissent un criminel s’échapper.
Les Enfants perdus, François Sureau, Gallimard, 2025. 160 pages
La reconnaissance de la Palestine ne consacre qu’une fiction
Le 22 septembre 2025, à la tribune de l’Assemblée générale des Nations Unies, Emmanuel Macron déclara que la France reconnaissait l’État de Palestine. L’Élysée voulut y voir un moment de vérité, une étape historique, une rupture avec l’inertie diplomatique. Mais derrière le faste de la proclamation se dévoile une contradiction essentielle : l’État reconnu n’existe pas. Par un acte de langage, la France tenta de substituer le récit au réel, d’imposer une fiction en lieu et place d’une réalité introuvable, provoquant une fracture où se croisent droit, mémoire, sécurité et cohérence diplomatique.
Ce geste ne s’éclaire qu’à travers le 7 octobre 2023, jour où le Hamas lança l’attaque la plus meurtrière de l’histoire d’Israël : plus de mille deux cents morts, des milliers de blessés, des familles entières anéanties. Le choc fit ressurgir la mémoire de la Shoah et l’angoisse existentielle d’un peuple de nouveau confronté à la menace de son anéantissement. En se dissimulant dans des tunnels creusés sous les habitations, le Hamas transforma la population de Gaza en boucliers humains, inscrivant dans la chair des civils le prix de sa stratégie.
Interactions
Dans ce contexte, Emmanuel Macron, assis aux côtés du prince Fayçal ben Farhane ben Abdallah Al Saoud, ministre saoudien des Affaires étrangères, puis aperçu en interaction avec l’émir du Qatar, Tamim ben Hamad Al Thani, ainsi qu’avec Abou Mohammed al-Joulani, proclama l’existence d’un État palestinien, adoptant une lecture des événements proche de celle de ses interlocuteurs.
Or la reconnaissance d’un État ne peut relever d’un simple acte de volonté. Depuis la Convention de Montevideo de 1933, quatre critères sont requis : territoire défini, population permanente, gouvernement effectif et capacité de relation internationale. En 1948, Israël les remplissait : institutions représentatives, structures civiles et militaires, légitimité forgée par des décennies d’organisation collective.
En 2025, la Palestine n’en remplit aucun. Gaza reste sous la domination du Hamas, organisation terroriste dont la charte proclame la destruction d’Israël ; la Cisjordanie demeure administrée par une Autorité palestinienne corrompue, divisée et privée de légitimité. Sans gouvernement effectif ni souveraineté réelle, la reconnaissance ne consacre qu’une fiction.
Et cette fiction porte en elle des effets pervers. Même affaibli, le Hamas peut s’ériger en vainqueur: sa stratégie de terreur semble avoir conduit à une reconnaissance internationale, nourrissant sa propagande. Un État proclamé mais inexistant risque de devenir un foyer de radicalisation, une « Mecque pour les antisémites », un drapeau pour l’islamisme transnational. L’histoire du djihadisme, de l’Afghanistan des talibans à Daech, atteste que la faiblesse institutionnelle peut devenir puissance idéologique. Créer un État sans réalité, c’est donner aux extrêmes une bannière sans contrôle, plus dangereuse encore qu’un territoire réel.
Libération des otages, cessez-le-feu, démilitarisation: des vœux pieux ?
Emmanuel Macron s’est illusionné sur les effets de la guerre et sur la solidité des accords d’Abraham, sans percevoir que les Émirats eux-mêmes envisageaient d’en réviser certains volets, révélant la duplicité de régimes tels que les Émirats, l’Égypte, le Bahreïn ou le Maroc. Ces pays ont multiplié les proclamations, mais les résultats sont restés superficiels : malgré l’octroi de la nationalité à des figures culturelles arabes, les Émirats n’ont produit aucun récit commun, aucun film ou série israélo-arabe. Les comportements antisémites observés lors des matchs de l’équipe du Maroc au Mondial du Qatar rappellent la fragilité persistante du terrain. Là où il fallait donner consistance et crédibilité à ces accords, Macron a laissé s’installer l’apparence.
La décision française rompt aussi avec une tradition diplomatique constante : depuis les résolutions 242 et 338, Paris liait la reconnaissance palestinienne à une négociation avec Israël, ce qui préservait son rôle de médiateur. En agissant unilatéralement, Macron a affaibli cette fonction. Les conditions énoncées — libération des otages, cessez-le-feu, démilitarisation — restent sans mécanismes d’application. Pour Israël, elles sonnent comme une pression illégitime ; pour les Palestiniens, comme une promesse illusoire. La France perd ici en crédibilité, apparaissant à la fois partiale et impuissante.
S’y ajoute une fracture mémorielle. Le 22 septembre 2025 coïncidait avec Roch Hachana, le Nouvel An hébraïque. Choisir ce jour pour proclamer l’existence palestinienne n’est pas anodin. Même sans intention explicite, le symbole fut ressenti comme une provocation : alors que le peuple juif célébrait le renouveau, on consacrait la légitimité d’un projet niant son existence. Ce geste a rouvert une blessure dans une histoire saturée de persécutions. La mémoire de la Shoah, des pogroms et du 7-Octobre ne saurait devenir simple variable diplomatique.
Affirmer qu’un État existe alors qu’il n’existe pas, c’est ériger une fiction politique. Mais la fiction ne fonde pas la paix : elle enferme dans l’illusion, nourrit les extrêmes et déforme le réel. La paix ne naîtra pas d’un décret ; elle suppose le démantèlement du Hamas, la construction d’institutions légitimes et la reprise de négociations sous garantie internationale.
Tant que ces conditions ne seront pas réunies, toute reconnaissance demeurera illusion diplomatique, fracture mémorielle et erreur stratégique. En voulant inscrire son nom dans l’histoire, Emmanuel Macron a reconnu un État inexistant, inaugurant une fracture dont les conséquences pèseront durablement sur la diplomatie française et sur l’avenir du Proche-Orient.
Au Japon, le très original parti ultraconservateur Sanseito a trouvé la recette du succès: se hisser sur l’échiquier politique en agitant le pion préféré de tous les populistes, la peur des étrangers.
On croyait le Japon figé dans son éternel consensus, insensible aux tumultes qui traversent l’Occident. Or, avec le Sanseitō, un parti encore marginal, l’archipel semble découvrir les vertus explosives du populisme identitaire. À ceux qui l’accusent de démagogie, le Sanseitō, fondé en 2000 par Sōhei Kamiya, oppose un constat brut : sans réaction, le Japon sera avalé par le mondialisme au prix de sa culture millénaire.
Cette montée du nationalisme s’explique. Le Parti libéral-démocrate (PLD), au pouvoir depuis des décennies, est pointé du doigt par les Japonais, excédés de voir leurs élus compromis dans divers scandales. Dans un pays qui doit également faire face au vieillissement démographique, les gouvernements successifs ont été contraints d’accepter l’arrivée de davantage de migrants afin de pallier la pénurie de main-d’œuvre.
Or, pour une société façonnée par l’idée d’unité ethnique et culturelle, cette relance de l’immigration a été ressentie comme une véritable déflagration. Le Japon a été dernièrement secoué par des manifestations, inédites dans leur virulence, accusant l’immigration, d’où qu’elle vienne, de tous les maux du Soleil-Levant.
Le Sanseitō ne cache pas sa peur du complot mondial, recrachée à chaque meeting sous forme de slogans délirants, ni le révisionnisme qui anime ses dirigeants à la rhétorique antisémite étonnante. Mais réduire ce parti à une secte d’extrémistes serait une erreur. Car derrière la caricature, il incarne un malaise réel : celui d’un peuple qui refuse de se transformer en satrapie de l’imperium universaliste. En donnant une voix aux colères silencieuses, le Sanseitō a envoyé 14 élus sur les bancs de la Diète lors de la dernière élection législative. Demain, qui sait si cette fissure ne deviendra pas un tsunami (géo-)politique qui pourrait bouleverser l’harmonie séculaire d’un pays qui entend préserver la pureté de ses traditions séculaires ?
Alessandro Bertoldi, directeur exécutif de l’Institut Milton Friedman à Rome, nous dit ce qu’il a vu en Israël et en Cisjordanie.
Je suis allé à Kerem Shalom, le poste de passage au sud de la bande de Gaza qui représente la principale porte d’entrée pour l’aide humanitaire et les marchandises destinées à ce territoire, aussi bien depuis Israël que depuis l’Égypte. C’est un endroit qui vibre d’activité et de tensions: des camions vont et viennent.
Hier, me dit-on, ce fut une journée intense: environ 7 000 Palestiniens ont quitté Gaza en une seule journée, pour des soins médicaux ou des raisons humanitaires. Depuis le début de la guerre, des centaines de milliers de personnes ont reçu une assistance hospitalière ou ont été évacuées à l’étranger grâce à Israël. Ce n’est pas rien, surtout si l’on considère les difficultés logistiques et le fait que de nombreux pays arabes, comme l’Égypte, hésitent à ouvrir leurs portes aux habitants de Gaza, craignant des infiltrations terroristes. Quiconque veut entrer ou sortir doit, à juste titre, passer d’abord par les stricts contrôles de sécurité israéliens. Le vrai défi, cependant, est de trouver un équilibre : faire entrer le plus d’aide possible sans baisser la garde, afin d’éviter que ne se répètent des tragédies comme celle du 7-Octobre.
80% de l’aide finit dans les mains du Hamas
Pour cela, comme auparavant, les camions (environ 300 par jour) passent sous des scanners qui vérifient l’absence d’armes ou de marchandises à usage militaire. J’ai vu de mes propres yeux à quel point Israël s’efforce de maintenir le flux d’aide. Mais une fois à l’intérieur de Gaza, la situation se complique. Même l’ONU a dû suspendre les distributions pour des problèmes logistiques et par crainte d’attaques lors du transport, qui ne peut avoir lieu dans les zones intérieures de la bande et à Gaza-Ville qu’avec le consentement du Hamas.
Le plus choquant ? Environ 80% de l’aide finit entre les mains du Hamas, qui la revend ou, pire encore, l’utilise pour faire pression sur la population et la pousser à soutenir ses actions. C’est une réalité rarement perceptible en lisant la presse occidentale, d’autant plus que les ONG elles-mêmes ne peuvent qu’accuser Israël si elles veulent continuer à opérer à Gaza.
Pourtant, dans le sud de Gaza, la réalité est visible de tous : après la frontière, des centaines de tonnes de nourriture sont entassées au soleil, que l’ONU et les ONG n’ont jamais prélevées ni distribuées. Seule la Gaza Humanitarian Foundation a réussi, avec beaucoup de difficultés et d’obstacles, à créer dans la bande de Gaza des points de distribution qui livrent directement les colis aux familles, sans intermédiaire, mais même ce système ne fonctionne qu’un jour sur deux.
Les destructions à Gaza sont visibles même à des kilomètres de distance, car ce sont précisément les bâtiments civils les plus hauts, utilisés par le Hamas pour lancer des missiles ou contrôler le territoire, qui ont été détruits lors des bombardements malheureusement nécessaires. Les victimes collatérales sont nombreuses, bien qu’au moins dix fois moins nombreuses que celles de la guerre en cours au Soudan, dont personne ne parle. Surtout, ce sont des victimes voulues par le Hamas, afin d’augmenter le bilan et, par conséquent, l’agressivité de la communauté internationale contre Israël : tandis que l’armée israélienne (IDF) invite les civils à quitter les bâtiments visés avant les bombardements, le Hamas agit en sens contraire, faisant croire qu’il s’agit d’une fausse alerte ou, dans les pires cas, en menaçant de mort ceux qui quitteraient leur logement. À Gaza, le Hamas a utilisé des écoles et des hôpitaux comme bases opérationnelles, creusé 600 km de tunnels jamais ouverts aux civils comme abris durant les bombardements — préférant utiliser ces mêmes civils comme boucliers humains —, transformé l’aide humanitaire en instrument de coercition et utilisé le nombre de victimes à des fins de propagande. Il aurait suffi d’ouvrir les tunnels pour sauver des dizaines de milliers de vies.
Coexistence pacifique inenvisageable
L’attaque du Hamas du 7-Octobre a laissé une marque profonde dans la société israélienne, surtout à cause de la brutalité avec laquelle elle a été menée. Les Israéliens, de toutes origines, sont convaincus qu’il n’est plus possible de négocier avec les terroristes. Au cours des deux dernières années, des dizaines de milliers de missiles lancés par le Hamas et ses supplétifs iraniens auraient pu détruire Israël, sans sa technologie et sa préparation militaire. C’est une situation qui rend impossible d’imaginer une coexistence pacifique et la fin de la guerre sans l’élimination du Hamas. De plus, les dirigeants du Hamas savent bien que s’ils acceptaient un accord et libéraient les otages, ils seraient éliminés ou perdraient rapidement toute influence. En effet, malgré de nombreuses tentatives d’accords — trois presque abouties —, à la dernière minute les jihadistes les ont toujours sabotées par des demandes inacceptables, comme l’ont confirmé les médiateurs qataris et américains.
Béthléem, un autre monde
De Kerem Shalom, je me suis rendu à Bethléem. Entrer dans cette ville, c’est comme plonger dans un autre monde. Il y a trente ans, lorsqu’Israël a quitté la zone, Bethléem était une ville à majorité chrétienne, avec 80% de la population appartenant à cette communauté. Aujourd’hui, les chrétiens ne représentent plus que 20%. La ville est calme, sous le contrôle de l’Autorité palestinienne, et l’on n’y respire pas l’air de protestation que l’on sent en Europe et auquel on pourrait s’attendre. Pas de manifestations contre Israël ou en faveur de Gaza, pas de paroles excessives et encore moins de banderoles. Ici, les gens semblent craindre le passé, désirer la normalité et redouter seulement le retour des groupes jihadistes. Beaucoup de Palestiniens de Bethléem ont vécu à la fois sous l’administration israélienne et sous la pression des groupes terroristes, et leur plus grande peur est que le chaos reprenne le dessus. Tant et si bien qu’ils disent ouvertement préférer la présence israélienne au retour des groupes radicaux. La ville semble rêver d’un avenir différent, peut-être comme une sorte de cité-État dotée d’une large autonomie, plutôt que d’adhérer à un véritable État palestinien national. Chaque coin de Cisjordanie a parfois des particularités très différentes : le pouvoir est fragmenté, souvent entre les mains de familles ou de groupes locaux qui, dans de nombreux cas, dialoguent avec Israël pour garantir la sécurité de tous, comme le fait presque toujours aussi l’AP et sa police. Les chrétiens luttent chaque jour pour préserver leur identité et aimeraient que la ville de la Nativité devienne une attraction pour les fidèles du monde entier.
Un chiffre m’a frappé : un demi-million de Palestiniens de Cisjordanie travaillent chaque jour en Israël. Ils savent bien que la coopération entre l’Autorité palestinienne et Israël est le seul moyen de contenir le risque de voir des mouvements jihadistes arriver au pouvoir. Parmi les deux millions d’Arabes israéliens, la majorité veut continuer à vivre en paix dans l’État hébreu, avec les mêmes droits que leurs concitoyens juifs. En effet, dans aucun des deux groupes il n’y a eu de manifestations significatives en faveur du Hamas ; en Israël comme à Ramallah, les Arabes savent bien que contre le Hamas il n’y a pas d’alternative à la guerre. Par ailleurs, dans le nord d’Israël vivent les Druzes, une communauté arabe non musulmane parfaitement intégrée. Beaucoup d’entre eux servent dans l’armée, certains même à des postes de commandement.
Après l’intervention terrestre, la fin de la guerre semble proche, et avec elle la possibilité d’une région plus stable à la suite de tous les changements intervenus ces deux dernières années, beaucoup grâce aux États-Unis et à Israël. La solution à deux États, cependant, paraît de plus en plus lointaine : ni l’Égypte ni la Jordanie ne veulent assumer la responsabilité de Gaza, de la Cisjordanie ou des réfugiés. Personne ne semble croire encore au mirage de « deux États pour deux peuples ».
Une autre idée se fait jour : la création d’émirats locaux palestiniens, confédérés ou non, dirigés par des leaders respectés, qui administreraient les territoires en paix et en coordination avec Israël, garantissant sécurité, respect et reconnaissance mutuelle. Un modèle proposé précisément par un leader palestinien, le cheikh d’Hébron. Une idée qui pourrait aussi séduire certains pays arabes, sans revenir à un modèle traditionnel d’État-nation que les Palestiniens eux-mêmes n’ont jamais voulu, afin de ne pas reconnaître Israël, et qui aujourd’hui semble n’exister que dans les têtes des dirigeants occidentaux.
Le drapeau palestinien est devenu l’objet d’innombrables récupérations, échappant aux militants sincères qui rêvent d’un peuple palestinien vivant enfin en paix aux côtés d’Israël.
Il est brandi partout, dans les manifestations politiques, culturelles et sportives ; il se dresse au fronton de bâtiments officiels et pend aux fenêtres des appartements ; il est collé sur les mâts des réverbères, les sièges des transports publics et les vitrines des commerces ; il flotte sur les embarcations de fortune de Greta Thunberg, de Rima Hassan et de… Thomas Guénolé. Par-delà le soutien aux habitants de Gaza, le drapeau palestinien revête une autre signification qui devrait en tout cas nous questionner.
Signifié et signifiant
Bien sûr, nul ne devrait jamais souiller, piétiner, brûler un drapeau national, régional ou même clanique dès qu’un homme s’émeut, s’agenouille, se prosterne devant lui. L’étendard palestinien, rappelant par sa quadrichromie panarabe les héritages abasside, fatimide, omeyyade et hachémite, ne fait évidemment pas exception à la règle. Cette précaution, indispensable en ces temps de grande sensiblerie et d’encore plus grande victimisation, ne doit pas nous empêcher de comprendre le signifié derrière le signifiant lorsqu’il est affiché dans les villes européennes.
Comme avant lui le drapeau soviétique frappé du marteau et de la faucille ou la photo iconique de Che Guevara, désormais rangés dans le placard des militants de gauche, et cohabitant dans un étrange paradoxe avec le drapeau LGBT(QIA+++), il est alors le pavillon des faux rebelles en keffieh qui pensent résister contre un prétendu génocide, mais qui feignent de ne pas comprendre que le vrai courage serait d’arborer le drapeau israélien, ou le ruban jaune, dans certains quartiers de Londres, à Molenbeek, ou dans un meeting de la gauche hassano-mélenchoniste.
Bonne conscience
Il est la bannière des islamistes qui entendent imposer la charia dans les quartiers et celui de leurs idiots utiles, issus des rangs de la gauche et de son extrême ; il est l’emblème des antisémites qui se drapent dans l’antisionisme sans être capables de le définir et, en manifestation, il forme une marée qui accompagne les slogans parmi les plus infâmes de l’époque : « From the river to the sea »… ; il est le vêtement qui habille les bourgeois tiers-mondistes d’une bonne conscience en leur permettant, pour paraphraser Rousseau, de ne pas avoir à se soucier des problèmes de leur voisin qui peine à boucler ses fins de mois ; il est l’étendard des ambitions présidentielles d’un ancien Premier ministre français atrabilaire croyant pouvoir rejouer son moment de gloire à l’ONU.
Pour toutes ces raisons, le drapeau palestinien est le signe de ralliement facile de toutes les causes qui entendent culpabiliser l’Occidental et détruire sa culture millénaire pour la remplacer par une islamisation teintée de nihilisme ; il est le signe de notre effacement au profit d’un nouveau monde dont nous, Européens de civilisation, n’aurions qu’à disparaître ; en un mot comme en cent, il est la bannière des islamo-gauchistes.
«Le temps est venu». Le 22 septembre 2025 à New York, par la voix d’Emmanuel Macron, la France a reconnu l’existence de l’État de Palestine. La France pourra «décider d’établir une ambassade auprès de l’État de Palestine, dès lors que tous les otages détenus à Gaza auront été libérés, et qu’un cessez-le-feu aura été établi», a-t-il ajouté. « J’attends aussi de nos partenaires arabes et musulmans qui ne l’ont pas encore fait, qu’ils tiennent leurs engagements de reconnaître l’État d’Israël et d’avoir avec lui des relations normales » a-t-il également précisé. Les opposants au président français ont dénoncé une démarche diplomatique symbolique ne permettant en rien une paix à Gaza, ou, pire, une prime au terrorisme palestinien. L’avis d’Elisabeth Lévy.
C’est fait : la France a reconnu la Palestine. Beaucoup de bruit pour rien. Le discours d’Emmanuel Macron devant l’Assemblée générale des Nations Unies, hier, s’inscrivait dans une initiative franco-saoudienne prévoyant aussi la reconnaissance par Ryad d’Israël. Sauf que cette reconnaissance n’a pas eu lieu, et que MBS avait semble-t-il piscine. C’est donc de l’étalage de vertu diplomatique. Reconnaître la Palestine, ça ne mange pas de pain et ça vous rend populaire dans une grande partie du monde. Emmanuel Macron songerait-il au Secrétariat général de l’ONU ?
Blessure vive
Cependant, ce n’est pas non plus le blanc-seing au Hamas que beaucoup (dont votre servante) redoutaient et dénonçaient. Les premiers mots du président français ont été pour les 48 otages encore détenus à Gaza. Il a condamné sans ambiguïté le 7-Octobre et le Hamas. «La barbarie du Hamas et de ceux qui ont collaboré à ce massacre a stupéfait Israël et le monde. Le 7-Octobre est une blessure encore vive pour l’âme israélienne comme pour la conscience universelle.»
Est-ce à dire que finalement je l’approuve ? Non, mais peut-être a-t-il moins péché par cynisme que par angélisme et légèreté. Comme tous les partisans de la solution à deux Etats, peut-être y croit-il vraiment encore. Un territoire, deux États, c’est évident sur le papier ; mais ça n’arrivera pas, en tout cas pas avant une génération. Le 7-Octobre est irréparable. Pour nombre d’Israéliens, l’assassinat et la torture de kibboutzniks épris de paix prouvent que c’est nous ou eux, et que s’ils ont un État demain les Palestiniens recommenceront. Et tous les islamo-gauchistes occidentaux qui veulent libérer la Palestine « de la mer au Jourdain » leur donnent raison. De plus, en Israël aussi, l’extrémisme religieux a prospéré sur le désastre.
Polémique autour des drapeaux palestiniens sur quelques mairies françaises
Cependant, j’ai changé d’avis sur les drapeaux. Le président de la République reconnait la Palestine à New York, et le ministre de l’Intérieur interdit les drapeaux palestiniens en France. Sans faire une thèse de droit, il y avait quelque chose d’incompréhensible. Retailleau voulait peut-être prendre position sur la question, sans s’opposer frontalement au président – mais au-delà de quelques petites sanctions judiciaires, il n’a pas vraiment le pouvoir d’interdire. Personne n’avait râlé pour les drapeaux ukrainiens ou tibétains.
Dans la rue, le drapeau palestinien est souvent l’alibi de la violence, de la haine des juifs, de la police et de la France. Mais, je veux croire qu’au fronton des mairies, il traduit un vrai désir de paix. En particulier quand il est mis à côté du drapeau israélien. Certains maires pavoiseurs ont certainement des arrière-pensées dégoûtantes, mais on ne va pas faire la police des arrière-pensées. La liberté d’expression doit profiter à ceux avec qui on n’est pas d’accord.
Beaucoup de juifs sont évidemment heurtés par la décision d’Emmanuel Macron et inquiets du climat. Mais dire qu’ils vivent dans la peur est exagéré. Hier, ils ont fêté le Nouvel an et aujourd’hui comme chaque samedi, ils prieront pour la France et pour la République dans toutes les synagogues du pays.
Jusqu’au 3 novembre, tous les lundis à 21h au Théâtre de Poche Montparnasse, Jean Anouilh revit dans un spectacle imaginé et interprété par Gaspard Cuillé et Benjamin Romieux sur une mise en scène d’Emmanuel Gaury. Les souvenirs du dramaturge, succès et fours mémorables, histoires d’armée et rencontres pittoresques, sont un hymne aux planches.
Quelle leçon ! D’humilité, de fantaisie, de drôlerie et d’adoration du théâtre, de ses personnages et du jeu pour le jeu. Les hommes qui cessent de jouer sont le poison des sociétés modernes. Ils veulent tout régenter, tout expliquer, tout alourdir pour qu’advienne une pensée magique. Ils ont tué le théâtre à trop réfléchir à leur postérité embryonnaire. Ils ont muré tous les espaces de liberté. Leurs mots sont des entonnoirs. Ils ont une mentalité de sergent-instructeur. Seul le brouhaha de leurs idées a droit de cité. Le reste doit être abattu, combattu. Ils sont si peu sûrs de leur talent qu’ils crachent avant de parler. Et puis, il y a Anouilh, le réformé temporaire, le gamin de la Porte de la Chapelle, le bon élève de Chaptal, l’adorateur de Siegfried de Giraudoux, l’apprenti dramaturge lancé dans la vie parisienne à coups de triomphes juvéniles et de salles vides. Il aura tout connu. Les salles combles et les gadins magistraux. Les travaux alimentaires d’écriture et la promiscuité des plus grands, Jouvet, Fresnay ; l’héritage de Molière et de Dullin. L’Occupation et les bureaux des producteurs de cinéma. Les actrices sans filet et les soirs de générale. La chambre mansardée, une fine tranche de pâté de campagne le soir de la Saint-Sylvestre et les tournées internationales au champagne. Aujourd’hui, Anouilh, c’est du sérieux, du « validé » par l’enseignement, l’une de nos gloires nationales bien que certaines pièces conservent leur fumet d’insoumission. Pauvre Bitos ! Dans certains milieux autorisés, on se méfie d’Anouilh, on lui cherche des poux dans le texte, on aimerait bien qu’il clarifia sa position en son temps. De quel côté, de quel bord parlait-il ? Il est mort en 1987. Il était dans le camp du spectacle vivant et des mystères de Paris, messieurs les censeurs ! Cet été, dans un dossier, nous avons eu l’ambition de définir l’esprit français. Chacun apportant sa pierre à un édifice brinquebalant, chacun y allant de ses tocades. Je me souviens avoir évoqué Guitry, Audiard, Broca, Hardellet, mes classiques et j’ai omis Anouilh. Qu’il m’en soit pardonné ici.
La Compagnie du Colimaçon, alerte, enjouée, sans boursouflure, à l’économie vitale, comble en ce moment mon oubli au Théâtre de Poche. Elle a décidé de monter Souvenirs d’un jeune homme dans un habile dédoublement, ce ping-pong verbal léger à deux têtes est divertissant (ce n’est pas un crime). Sa modestie et son humilité n’ont rien d’un spectacle janséniste. Les deux comédiens présents sur scène incarnent Anouilh à tour de rôle et nous faufilent derrière le rideau. Sans gravité, avec malice et douce ironie, les géants des tréteaux s’animent. On revisite non pas la tarte tatin mais les années 30/40 avec l’œil d’un auteur plus que prometteur. Anouilh a publié à la Table Ronde ses souvenirs sous le titre La Vicomtesse d’Eristal n’a pas reçu son balai mécanique. La Compagnie s’appuie sur cette bible savoureuse, gorgée d’anecdotes et d’intelligence. Avant Antigone, avant Eurydice, Anouilh bachelier ayant quitté les bancs de l’université de droit débuta sa carrière en qualité d’employé des Grands magasins du Louvre au bureau des réclamations puis il se lança en tant qu’éphémère concepteur-rédacteur dans une maison de publicité. Il y fit alors la connaissance de Neveux, Grimault, Prévert et Aurenche. La pièce enchaîne des saynètes sublimes et dérisoires comme ce jour de gala sur une piste de danse. Jadis, Anouilh avait décroché le Premier prix de Charleston au Casino de Stella-Plage (Pas-de-Calais). Voilà ce qui fait le sel de cette pièce, sa mécanique endiablée, l’on passe d’une garnison de Thionville au bureau de l’amer Jouvet, de l’hôtel particulier de la Princesse Bibesco qui le reçoit « étendue sur une méridienne à col de cygne recouverte de satin blanc » à l’intérieur spartiate de Pitoëff « le seul homme de génie que j’ai rencontré au théâtre ». Petite souris, nous nous glissons dans le compagnonnage avec l’ami de toujours Barsacq « un vrai travail, artisanal et fraternel », nous succombons aux fous-rires de Suzanne Flon et aux débuts de Bruno Cremer et de Michel Bouquet. Paulette Pax (1886-1942) avait bien raison de dire : « Anouilh, le théâtre est une chose inouïe ! ».
Le président Macron fait le pari fort hasardeux de reconnaitre un État pour les Palestiniens avant d’exiger de leur part de refonder leur représentation politique. Grande analyse.
Le Nouvel An hébraïque, Roch Hachana, célébré du 21 au 23 septembre, inclut le 22 : date qu’Emmanuel Macron a choisie pour annoncer, à l’ONU, la reconnaissance de l’État de Palestine. Or, après le pogrom du 7 octobre 2023, la priorité aurait dû être le démantèlement du Hamas et des autres organisations islamistes. Une telle reconnaissance, purement verbale, n’apportera rien de concret sur le terrain ; elle risque au contraire de transformer cette entité en une “Mecque” mondiale de l’antisémitisme, livrée aux islamistes, tout en affaiblissant la diplomatie française.
Ce choix inscrit une date sombre dans l’Histoire. Il s’ajoute à une véritable guerre des mots, où l’on répète un récit tronqué perçu comme une blessure dans la mémoire collective juive. Victor Klemperer le soulignait déjà : « Les mots peuvent agir comme de minuscules doses d’arsenic : on les avale sans y prendre garde, et leur effet se fait sentir avec le temps. »
Le terme même de “Palestine” illustre cette mécanique. Imposé par l’empereur Hadrien au IIᵉ siècle pour effacer la Judée après la révolte de Bar Kokhba, il reprenait le nom des Philistins, ennemis des Hébreux. Rebaptiser une terre, c’était effacer une mémoire.
Bien plus tard, ce nom fut réactivé pour désigner le territoire placé sous mandat britannique, issu des accords de Sykes-Picot et de la conférence de San Remo. Cette conférence, en avril 1920, consacra le partage des restes de l’Empire ottoman : la Syrie et le Liban furent placés sous mandat français, tandis que la Palestine et l’Irak passèrent sous mandat britannique.
La Société des Nations entérina ces décisions en instituant trois mandats distincts : l’un pour la France sur la Syrie et le Liban, l’autre pour le Royaume-Uni sur la Palestine, et un troisième pour le Royaume-Uni sur l’Irak. Toutefois, le mandat britannique sur la Palestine comportait une clause particulière : les territoires situés à l’est du Jourdain furent exclus de l’application de la Déclaration Balfour. C’est cette disposition qui donna naissance à la Transjordanie, devenue la Jordanie actuelle, conçue dès l’origine comme le foyer arabe distinct du projet national juif prévu à l’ouest du fleuve.
Après l’expulsion de Fayçal de Damas par les troupes du général Gouraud en 1920, son frère Abdallah entra en Transjordanie avec l’appui des tribus du Hedjaz pour venger cette défaite. Les Britanniques reconnurent son autorité en 1921 sur les territoires situés à l’est du Jourdain. Or, dans le même temps, la Palestine mandataire à l’ouest connut, dans les années 1920 et 1930, des violences répétées.
En 1947, la résolution 181 de l’ONU proposa un partage entre un État juif et un État arabe. Israël accepta, les pays arabes refusèrent, et la guerre éclata. Dès lors, la revendication arabe changea de nature : non plus une demande de coexistence, mais une exigence exclusive, concevant l’État palestinien comme instrument contre Israël plutôt que comme partenaire.
Après la guerre de 1947-1948, les régions historiquement connues sous le nom de Judée et de Samarie furent rebaptisées “Cisjordanie”. Restées sous contrôle de la Légion arabe jordanienne, dirigée par des officiers britanniques comme Glubb Pacha, elles furent annexées par la Jordanie en 1950 à la suite de la conférence de Jéricho, au nom de « l’unité des deux rives ».
Cet arrière-plan historique a été totalement occulté dans les déclarations du président de la République. Or, avant de prendre une telle décision, il convient de rappeler que, depuis l’été, la France connaît une recrudescence d’actes antisémites, ainsi que des prises de position hostiles de la part de responsables politiques, en particulier à gauche.
La décision de la maire écologiste de Strasbourg, Mme Jeanne Barseghian, d’annuler le jumelage avec Ramat Gan, symbole du développement technologique israélien et de sa Silicon Valley, en est un exemple. De même, le premier secrétaire du Parti socialiste, Olivier Faure, a encouragé le pavoisement du drapeau palestinien sur des mairies françaises.
Ce drapeau, dont l’origine est trop souvent oubliée, fut proclamé par le chérif Hussein de La Mecque lors de la révolte arabe de 1916. Il revendiqua ensuite le titre de calife après l’abolition du califat par Mustafa Kemal Atatürk en 1924. Ses couleurs renvoient aux grandes dynasties de l’islam : le blanc pour les Omeyyades de Damas et de Cordoue, le noir pour les Abbassides de Bagdad, le vert pour les Fatimides du Caire et le rouge pour les Hachémites, descendants du Mahomet.
La situation territoriale actuelle illustre les limites du processus d’Oslo. L’Autorité palestinienne, issue des accords de 1993-1995, n’exerce son autorité que sur les zones A et B de Cisjordanie. La zone A, environ 18 % du territoire, est sous contrôle civil et sécuritaire palestinien ; la zone B, environ 22 %, sous administration civile palestinienne mais avec un contrôle sécuritaire conjoint. La zone C, près de 60 %, reste intégralement sous contrôle israélien.
Depuis le début des années 2000, les négociations de paix sont au point mort, et la division politique a renforcé l’impasse. Depuis 2007, la bande de Gaza échappe à l’Autorité palestinienne et demeure sous le contrôle du Hamas, accentuant la fracture entre Cisjordanie et Gaza.
La difficulté n’est pas seulement territoriale mais représentative. Qui parle au nom des Palestiniens ? Depuis près d’un siècle, les structures qui ont prétendu incarner leur voix se sont effondrées : le Haut Comité arabe d’Amin al-Husseini, compromis par ses liens avec le nazisme ; le Haut Conseil arabe, qui proclama en 1948 un « gouvernement de toute la Palestine » fantomatique ; enfin l’OLP, créée en 1964 par Nasser, instrumentalisée par les régimes arabes et vite dominée par Yasser Arafat.
Arafat incarna la duplicité politique. Aux Occidentaux, il se présentait comme partenaire de paix ; aux Arabes, comme chef de guerre ; aux Soviétiques, comme allié révolutionnaire ; aux monarchies du Golfe, comme bénéficiaire d’une rente indispensable. Il abrogea certains articles hostiles mais refusa de reconnaître l’histoire juive de Jérusalem. Il signa Oslo mais entretint les manuels glorifiant le terrorisme. Il parla de réconciliation mais s’appuya sur un appareil sécuritaire fondé sur la corruption et la violence. L’Autorité palestinienne, née de ces accords, devint une bureaucratie autoritaire, dépendante de l’aide internationale et minée par le népotisme.
Mahmoud Abbas, son successeur, verrouilla encore davantage le système. Il multiplia les propos antisémites, entretint un clientélisme paralysant et conserva les réflexes autoritaires. Le désenchantement grandit, ouvrant un espace immense aux islamistes. Hamas et Jihad islamique s’imposèrent à Gaza, nourris par l’échec des institutions. Leur victoire électorale en 2006 puis leur coup de force en 2007 illustrent la faillite de la représentation dite laïque. La corruption nourrit l’islamisme, et l’islamisme prospère sur la faillite du politique.
Reconnaître un État palestinien aujourd’hui, c’est entériner une illusion dangereuse. Trois scénarios sont plausibles : un État failli, rongé par la corruption et les luttes inter-palestiniennes ; un émirat islamique dirigé par le Hamas ou le Jihad islamique, institutionnalisant l’antisémitisme et menaçant Israël ; ou encore un État sous tutelle régionale, dépendant du Qatar, de la Turquie ou de l’Arabie saoudite. Dans tous les cas, il deviendrait un foyer idéologique de l’antisémitisme, catalyseur des haines anciennes et nouvelles.
La déclaration du chef de l’État en faveur d’un “État palestinien” plutôt qu’un “État binational” ne résiste pas à l’examen. Il ne revient pas à Paris, éloigné de la réalité du terrorisme, de décider à la place de ceux qui vivent ce conflit. Les résolutions 242 et 338, fondées sur le chapitre VI de la Charte de l’ONU, appellent à des négociations : la priorité doit être d’établir une représentation palestinienne crédible pour engager de véritables pourparlers.
Un État ne naît pas d’une proclamation, mais d’institutions légitimes, capables de gouverner sans corruption, de résister à l’islam politique et de s’affranchir des manipulations régionales. La paix ne se décrète pas ; elle suppose une culture politique nouvelle. Tant que l’éducation glorifiera la violence et que l’histoire juive sera niée, aucune paix ne sera possible. Tant que le langage officiel restera prisonnier de la haine, la société palestinienne restera prisonnière de la violence.
En annonçant cette reconnaissance, la France confond le mot et la réalité et sacrifie la vérité à une illusion diplomatique. La paix exige au contraire de refonder la représentation palestinienne, de limiter l’ingérence régionale et de conditionner l’aide internationale à de vraies réformes. Sans cela, reconnaître un État palestinien ne serait pas un pas vers l’avenir, mais une marche vers l’abîme.