Accueil Site Page 4

Chili con Kast

L’Amérique du Sud penche de plus en plus à droite. Sitôt élu dimanche soir, José Antonio Kast, nostalgique de Pinochet, a rappelé qu’il donnait aux quelque 340 000 étrangers illégaux jusqu’au 11 mars, jour de son investiture, pour quitter le pays de leur plein gré…


L’ultraconservateur Jose Antonio Kast à Santiago,11 novembre 2025 © Cristobal Basaure Araya //SIPA

Comme attendu, le candidat de droite, José Antonio Kast, 59 ans, avocat se réclamant ouvertement de l’ancien dictateur Augusto Pinochet, a très largement remporté, avec une avance de 17 points, dimanche 14 décembre, le second tour de l’élection présidentielle au Chili. Il a recueilli 58,3 % des suffrages contre 41,7 % pour sa rivale, Jeannette Jara, communiste qualifiée par la presse locale de « modérée ». Celle-ci avait été désignée candidate à l’issue d’une primaire de l’ensemble de la gauche, incluant la Démocratie chrétienne.

José Antonio Kast double son score

« C’est le pire résultat qu’a enregistré la gauche depuis le retour de la démocratie en 1990 », a souligné lundi le très conservateur El Mercurio, principal quotidien du pays. De son côté, l’autre grand quotidien, le libéral La Tercera, a estimé qu’il s’agissait d’une « très amère défaite ». Deux seules fois au cours des 35 années qui ont suivi le rétablissement de la démocratie en 1990, période durant laquelle la gauche gouvernait avec le centre au sein de l’alliance dite de la Concertation, elle a été battue : en 2010 et en 2017, par une droite classique qui avait pris ses distances avec Pinochet. Elle avait alors obtenu respectivement 48 % et 46 % des voix.

Entre les deux tours, M. Kast, qui avait recueilli 23,9 % au premier, a plus que doublé son score, tandis que Mme Jara, arrivée en tête avec un très décevant 26,85 %, n’a progressé que d’une quinzaine de points. Le succès de M. Kast était acquis dès le soir du premier tour. Les deux autres candidats de droite, Johannes Kaiser, un peu le pendant chilien de Javier Milei, et Evelyn Matthei, représentante de la droite classique et héritière politique de l’ancien président Sebastián Piñera, ont appelé sans la moindre réserve à voter pour lui. Le candidat populiste Franco Parisi, arrivé troisième, avait pour sa part laissé la liberté de choix à ses électeurs. Une bonne partie d’entre eux s’est reportée sur Kast, qui est ainsi arrivé en tête dans l’ensemble des seize régions et dans 90 % des communes.

Cette victoire écrasante de Kast, qui fait de lui le président le mieux élu depuis le rétablissement de la démocratie, interroge. Elle est en quelque sorte une réhabilitation sur la pointe des pieds de l’ancien dictateur dont le régime, tant sur le plan institutionnel qu’économique, a survécu à sa chute en 1990, à l’issue d’un référendum portant sur son maintien au pouvoir. C’est toujours sa Constitution, datant de 1980, qui est en vigueur. Réformée à la marge en 2005, elle a vu les articles instaurant une forme de tutelle de l’armée sur le pouvoir civil abrogés, mais le reste est demeuré grosso modo inchangé. Quant au système économico-social ultralibéral, inspiré par l’école de Chicago de Milton Friedman, il n’a connu que des corrections cosmétiques.

Finis les artifices !

En conséquence, pour la politologue chilienne Stephanie Alenda, l’élection de M. Kast « clôt en réalité, explique-t-elle au quotidien espagnol El País, un cycle politique qui met fin à la dichotomie entre dictature et démocratie », laquelle prévalait de manière quelque peu artificielle. Elle constitue en somme un aboutissement logique, M. Kast ne proposant pas un rétablissement de la dictature, mais la pérennisation du modèle de société pinochétiste, modèle que, convient-il de le souligner, l’alliance entre le centre et la gauche, qui a exercé un pouvoir hégémonique pendant plus de trois décennies, n’a jamais véritablement remis en cause.

Le président élu s’était présenté une première fois en 2017. Il s’affichait alors clairement comme héritier de Pinochet et faisait figure de candidat folklorique. Il n’avait recueilli que 7 % des suffrages. Il récidive en 2021 et, là, surprise : il accède au second tour. Mais il est battu, 46 % contre 54 %, par le candidat de gauche Gabriel Boric, président sortant qui n’a pas pu se représenter, la Constitution limitant à deux le nombre de mandats présidentiels non consécutifs.

Cette année-là, après des émeutes très violentes de 2019 contre la vie chère, provoquées par une hausse du ticket de métro et bus à Santiago, la capitale, la campagne avait été axée les questions sociales. Cette fois-ci, c’est M. Kast qui a donné le ton en imposant le thème de l’insécurité consécutive à un afflux massif d’immigrés essentiellement vénézuéliens. La candidate de gauche a reconnu son erreur d’avoir négligé cette préoccupation partagée par une majorité d’électeurs des classes populaires, les premiers affectés.

Dimanche soir, M. Kast a rappelé qu’il donnait aux quelque 340 000 étrangers illégaux jusqu’au 11 mars, jour de son investiture, pour quitter le pays de leur plein gré. Quant à ceux qui sont en règle et ont un travail, ils n’ont pas souci à se faire. Ils sont les bienvenus, a-t-il affirmé.

Sa victoire s’inscrit aussi dans un glissement à droite de l’Amérique latine entamé en décembre 2023 par l’élection de Javier Milei en Argentine, puis conforté, à la surprise générale, par son succès aux législatives de mi-mandat. Le 8 novembre, le démocrate-chrétien, Rodrigo Paz Pereira, le candidat qu’on n’avait pas vu venir, était élu à la tête de la Bolivie, mettant fin à deux décennies de régime ethnico-socialiste d’Evo Morales, aujourd’hui retranché dans son fiel du Chapare, région de la culture de la feuille de coca très liée au narcotrafic.

Des élections générales doivent avoir lieu au Pérou en avril prochain et en Colombie en mai. La droite est, d’après les études d’opinion, en position de l’emporter. Au Brésil, le mandat de Lula expire à l’automne 2026. Il a laissé entendre qu’il serait disposé à se succéder. À ce stade, s’il se présente, il apparaît comme favori. Mais au sein de la gauche brésilienne, certains s’interrogent : Lula est-il encore réellement de gauche ou s’est-il mué en cacique se revendiquant de gauche ?

Fièvre bovine, colère humaine

La ministre de l’Agriculture Annie Genevard est en première ligne pour faire comprendre le bien-fondé des procédures actuelles de lutte contre la dermatose nodulaire contagieuse, très critiquées par certains éleveurs. Assurant que la situation est sous contrôle, elle a rappelé que 111 foyers ont été détectés en France entre le 29 juin et le 13 décembre 2025 et a annoncé un déplacement mardi à Toulouse pour échanger avec les éleveurs et lancer une campagne de vaccination d’un million de bêtes. Pendant ce temps, et alors qu’une crainte existentielle plus sourde touche le monde agricole, la France demande à la Commission européenne le report des « échéances » prévues cette semaine concernant le Mercosur…


La révolution d’atmosphère peut éclater à tout instant. Son centre névralgique bouillonne au cœur de la France oubliée, en quête de sa souveraineté perdue. La brutalité des technocrates bruxellois et des dirigeants européistes peut à tout moment enflammer la colère paysanne. Les premières révoltes en sont l’avant-garde. L’indignation des éleveurs, partie vendredi d’une ferme de Bordes-sur-Arize (Ariège) sommée par les autorités d’abattre ses 208 vaches pour prévenir d’une contamination à la dermatose nodulaire contagieuse, risque de se répandre.

D’autant que la ratification du Mercosur (ouverture au marché de l’Amérique du Sud), prévue jeudi par l’Union européenne, importerait de la viande bovine sans contraintes sanitaires. La promesse faite à l’Ukraine d’entrer le 1ᵉʳ janvier 2027 dans l’UE ajouterait à la concurrence déloyale. La Coordination rurale (droite), qui a lancé la protestation le 11 décembre, a été rejointe par la Confédération paysanne (gauche), tandis que la FNSEA avalise les protocoles de « dépeuplement » de l’Autorité européenne de sécurité des aliments. En fait, se dessine la même inhumanité hygiéniste qui, face au Covid, avait imposé au nom de la science un confinement irréfléchi défendu par l’Organisation mondiale de la santé et l’UE.

A lire aussi: Bio: attention toxique!

Une fois de plus les alternatives, qui pourraient être proposées par des vétérinaires après des appréciations sur le terrain, sont décrétées irrecevables par de lointains sachants élevés à l’air climatisé des bureaux. Les répressions, qui ont mobilisé la gendarmerie et des engins militaires, n’ont fait que rajouter l’aigreur à la détresse d’un monde rural qui refuse de disparaître.

Cette crainte existentielle de voir s’effacer une profession, ancrée dans la civilisation, n’est pas propre au monde agricole. Le sort des éleveurs de vaches, qui lentement laissent la place, est plus généralement celui que ressentent les Français attachés à leurs racines, leur territoire, leur mode de vie. Ce que subit la fragile société rurale, jugée inutile par ses maltraitants hauts placés, est le produit d’un demi-siècle d’indifférences élitistes pour le peuple ordinaire. Ce mépris pour les « ploucs » est porté par des dirigeants sans affect, subjugués par le sans-frontiérisme, l’homme nomade, le citoyen déraciné. Leurs violences identitaires, ajoutées à l’envahissement technocratique des fabricants de normes et d’interdits, ont mis bien des Français en état de légitime défense. Nicolas Sarkozy reconnait l’incandescence de la nation quand il explique, dans Le Point cette semaine: « Les conditions d’une explosion ont rarement été à ce point réunies en France ». Le JDD rapportait, hier, que certains gendarmes auraient refusé d’intervenir, vendredi, contre une population qui leur est sociologiquement et culturellement familière. La résistance des paysans pour redonner à la France sa souveraineté alimentaire peut entrainer derrière elle ceux qui, plus généralement, sont devenus sensibles à la défense de la cause nationale. Une goutte d’eau peut être incendiaire.

Journal d'un paria: Journal d'un paria suivi de Bloc-notes 2020-21

Price: 11,99 €

1 used & new available from 11,99 €

7-Octobre, Sydney: ne différons plus les mots

0

Pour la première fois, dans un rapport publié le 11 décembre, Amnesty International a accusé le Hamas d’avoir perpétré des crimes contre l’humanité lors des attaques du 7-Octobre. Dans le même temps, hier en Australie, deux islamistes — un homme de 50 ans et son fils de 24 ans — ont ouvert le feu sur une plage où se déroulait une célébration de la fête juive de Hanouka, faisant au moins quinze morts et des dizaines de blessés.


Il aura fallu plus de deux ans à Amnesty International pour finir par dire, dans son rapport du 11 décembre dernier, ce que tout le monde avait déjà compris. Le 7 octobre n’était ni une zone grise ni un chaos mal documenté, mais une attaque programmée contre des civils, avec son immense cortège de morts, de corps profanés, de femmes violées, d’otages malmenés et exhibés. Les faits étaient là. Ce qui manquait, ce n’était pas la lumière, mais le courage de l’allumer.

Ce retard n’est pas un épiphénomène. Il est devenu le symptôme d’un monde qui hésite à nommer certains crimes quand leurs victimes dérangent l’ordre moral dans lequel on s’est installé.

Sipa

Et puis, ce dimanche, il y a eu Sydney. Une plage, des bougies, de la musique, des chants. Des gens réunis, visibles, reconnaissables, paisibles, pour fêter Hanouka face à la mer. C’est précisément ceux-là – qui n’étaient pas là par hasard – qui ont été visés comme des lapins de foire. Shootés, dézingués, butés à la kalachnikov.

Sydney n’est pas le pogrom du 7 octobre, bien sûr. Le théâtre n’est pas le même, ni l’ampleur du massacre – et un courageux dénommé Ahmed a sans doute permis d’épargner des vies. Mais la différence n’est pas de nature, seulement de degré. Dans les deux cas, la violence islamiste obéit à la même logique. On ne frappe pas des individus pour ce qu’ils font, mais un groupe pour ce qu’il est, en l’occurrence des juifs. La mort devient un message, le corps, un argument, la cible, une identité.

C’est exactement ce que le droit international a tenté de penser après 1945. Raphael Lemkin l’avait compris avant tout le monde, le crime commence bien avant les charniers, au moment où un groupe humain est déclaré indésirable. Il ne s’agit pas de quantité de morts, mais de désignation.

À lire aussi, Causeur #140 : Il était une foi en France

On se rassure souvent avec les chiffres. On se dit qu’il faut attendre, comparer, contextualiser. Illusion confortable. Le droit ne demande pas combien sont morts, mais pourquoi ils ont été visés. Le véritable scandale n’est donc pas seulement qu’Amnesty ait mis plus de deux ans à reconnaître l’évidence du crime contre l’humanité perpétré par le Hamas et les autres groupes palestiniens, mais de trouver ce délai acceptable.

Le 7 octobre relevait de cette dynamique génocidaire. Sydney en montre aujourd’hui la version réduite, presque nue, débarrassée de toute excuse géopolitique. Un même crime contre l’humanité derrière lequel, dit-on, la main assassine de l’Iran.

Le crime contre l’humanité n’est pas seulement un crime contre des hommes, selon Hannah Arendt, mais contre l’humanité elle-même, parce qu’il nie à certains le droit d’appartenir au monde commun. C’est cela, précisément, qui se joue quand des hommes, des femmes et des enfants sont attaqués en tant que juifs, que ce soit dans un kibboutz ou sur une plage australienne.

À force de différer les mots, on finit par différer les consciences. On ne nie pas les crimes, certes, mais on les ajourne, on les entoure de précautions, on les contextualise, on attend que le moment soit politiquement respirable pour les qualifier. En français, cela s’appelle de la veulerie.

Et qu’est-ce que la veulerie ? C’est une lâcheté qui a appris à bien s’habiller, qui parle doucement, qui invoque la prudence, et qui se donne des airs de sagesse pour ne pas avoir à risquer l’essentiel.

Massacre à la plage

0

« Le mal s’est déchaîné sur la plage de Bondi au-delà de tout entendement (…) Il s’agit d’une attaque ciblée contre les Juifs, un acte malveillant, antisémite et terroriste qui a frappé le cœur de notre nation » a déploré hier le Premier ministre australien Anthony Albanese, après la fusillade survenue sur une plage de Sydney et visant la communauté juive.


Bondi Beach. Du sable propre. Du ciel bleu. Des corps heureux. Une mer indifférente. Et des Juifs qui allument des bougies. Pas des soldats. Pas des colons. Des Juifs. Une fête. Une lumière fragile. La haine est entrée comme un couteau dans un corps nu. Pas d’arguments. Pas de revendication. Pas de frontières. Juste frapper. Juste tuer. Là où c’est possible. Le sang sur le sable a la même couleur qu’à Jérusalem. La distance n’existe plus. La guerre a quitté le désert. Elle voyage légère. Elle s’invite dans les plages, les écoles, les rues tranquilles de l’Occident. Elle n’a qu’une cible : l’existence juive. On parle de conflit. C’est un mensonge confortable. Ce n’est pas un conflit. C’est une fixation. Une rumination. Une rage ancienne qui ne supporte pas que le Juif vive encore, debout, armé, souverain. L’Occident se raconte des histoires pour ne pas voir. Il se fabrique des victimes pures, des bourreaux abstraits. Il pleure le Palestinien idéalisé et crache sur l’Israélien fantasmé. Il confond la compassion avec l’aveuglement. Il appelle cela morale. Mais la réalité est sale. Ramallah pourrit de l’intérieur. Gaza est tenue par une organisation qui parle de mort comme d’un avenir, qui écrit noir sur blanc que l’autre doit disparaître. Pas négocié. Pas contenu. Disparu. On feint de ne pas lire. On feint de ne pas entendre. On feint de croire que les mots n’ont pas de poids. Pourtant les mots tuent avant les balles. Les murs, les armes, les contrôles: ce sont des cicatrices. Pas des caprices. Des réponses laides à une violence plus laide encore. Des réponses imparfaites à une guerre qui vise les bus, les cafés, les enfants. La paix a été proposée. Elle a été rejetée. Encore. Parce que la paix suppose l’acceptation de l’autre. Et que l’autre, ici, est inacceptable. Israël n’est pas haï pour ses frontières. Il est haï pour sa présence. Pourquoi cette obsession ? Pourquoi cette fureur sélective ? Pourquoi cette passion pour ce conflit et ce silence pour les autres massacres ? Parce qu’ici, on peut encore rêver d’effacement. Parce qu’ici, l’ennemi est ancien. Parce qu’ici, le Juif concentre tout : la mémoire, la survie, la réussite, l’insolence d’exister encore. Le mot « génocide » est jeté comme une pierre. Non pour décrire. Mais pour salir. Pour préparer. Pour inverser. Toujours la même mécanique : accuser l’autre de ce que l’on désire. Prêter à la victime l’intention du bourreau. Se blanchir dans l’indignation avant de frapper. Ce procédé a précédé toutes les exterminations. Il est connu. Il est documenté. Il recommence. On éduque à la haine. On enseigne la mort. On glorifie le martyre. On fabrique des enfants qui savent déjà qui ils devront tuer. La souffrance palestinienne est réelle. Mais elle a été confisquée. Instrumentalisée. Transformée en arme. Les réfugiés sont maintenus dans l’attente comme on garde des reliques. Non pour vivre. Mais pour rappeler une promesse de destruction. Si Israël baissait la garde, il disparaîtrait. Pas lentement. Pas symboliquement. Concrètement. Les discours, les images, les slogans ne laissent aucun doute. Ce qui est visé n’est pas une politique. Ce n’est pas une armée. C’est un peuple. Le cœur du conflit n’est pas territorial. Il est existentiel. Il pose une question simple, brutale, sans appel : le Juif a-t-il le droit d’être là ? Bondi Beach a répondu. Par le sang. Par la peur. Par la répétition du même crime, ailleurs, autrement, mais avec la même intention. Israël est là. Et Israël restera. Non parce qu’il est moral. Non parce qu’il est aimé. Mais parce qu’il sait que, dans ce monde, survivre est déjà une faute impardonnable pour ceux qui rêvent de sa disparition. Et tant que cette obsession ne sera pas nommée pour ce qu’elle est — une haine de l’existence — il n’y aura ni paix, ni compromis, ni apaisement. Seulement la survie. Et la force. Encore.

La société malade

Price: 23,90 €

6 used & new available from 23,48 €

Pékin déchaîne sa fureur contre la Première ministre japonaise

Alors que la Première ministre japonaise Sanae Takaichi continue de refuser de retirer ses propos sur Taïwan, Pékin intensifie ses critiques contre Tokyo et multiplie les déclarations agressives. Mme Takaichi avait déclaré au Parlement japonais que l’usage de la force contre Taïwan pourrait constituer une « situation menaçant l’existence » du Japon. Sur le plan militaire, la semaine dernière, deux bombardiers russes Tu-95, capables de transporter des armes nucléaires, ont traversé la mer du Japon pour rejoindre deux bombardiers stratégiques chinois H-6 en mer de Chine orientale, avant d’effectuer un vol conjoint autour du Japon.


La réaction chinoise aux récents propos de la Première ministre japonaise Sanae Takaichi marque une rupture nette entre les deux pays. Pékin a déchaîné une violence verbale et diplomatique inédite, révélant les lignes de fracture majeures de l’Asie orientale : Taïwan, la mémoire de la guerre et le réveil stratégique du Japon.

Le 7 novembre 2025, répondant aux questions de la Diète (Parlement japonais) à propos d’un conflit possible dans le détroit de Taïwan, la Première ministre japonaise Sanae Takaichi, 64 ans, a prononcé une phrase d’apparence prudente, mais au poids constitutionnel considérable : « Le déploiement de navires de guerre et le recours à la force pourrait constituer une menace pour la survie du Japon. Nous devons envisager le scénario du pire », laissant entrevoir la possibilité d’une entrée en guerre du Japon contre la Chine.

Le dragon chinois voit rouge

Dans le cadre de la Constitution pacifiste japonaise datant de 1947, imposée par les États-Unis qui occupent un Japon défait, cette notion de « mise en péril de la survie nationale » est déterminante : elle constitue l’un des rares fondements juridiques permettant un engagement militaire et défensif, conditionné à une agression chinoise contre Taïwan. Mais Pékin a choisi d’y voir tout autre chose.

A lire aussi: Miroir, mon beau miroir

La Chine a immédiatement interprété les propos de cette ultra-monarchiste, fan de Heavy Metal, comme une ingérence directe dans ce qu’elle considère comme une affaire de souveraineté intérieure. Pour le Parti communiste chinois (PCC), Taïwan n’est pas seulement un enjeu géopolitique : c’est un pilier idéologique du régime, un marqueur de légitimité historique et nationale depuis que la République populaire de Chine a été proclamée en 1949 au prix d’une longue guerre civile entre les communistes de Mao Zédong et les nationalistes du Kouomintang du général Tchang Kaï-chek.  

Dans sa fuite, ce dernier s’était replié sur l’île de Formose (autrefois occupée par le Japon entre 1895 et 1945) avec ses troupes et avait profité des troubles pour proclamer une république indépendante, appuyé par Washington. Une hérésie territoriale pour Pékin qui considère toujours Taïwan comme « une simple province séparatiste ».

Une escalade verbale d’une rare violence

La virulence des réactions chinoises a surpris jusqu’aux observateurs les plus aguerris. Le consul général de Chine à Osaka, Xue Jian, a publié — avant de le supprimer — un message glaçant sur le réseau X : « Ce cou immonde qui s’immisce sans permission doit être coupé sans hésitation. Êtes-vous prêt ? »

Les médias d’État ont suivi le mouvement. Le Quotidien de l’Armée populaire de libération a menacé le Japon d’une « riposte cinglante », avertissant que « jouer avec le feu » conduirait à une conflagration incontrôlable. Plus troublant encore, certaines attaques ont pris une tournure ouvertement misogyne. Hu Xijin, ancien rédacteur en chef du Global Times, a qualifié la Première ministre japonaise de « sorcière maléfique », révélant la dimension émotionnelle et décomplexée de la campagne anti-Takaichi.

Dans une mise en scène soigneusement calculée, le porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Lin Jian, a cité la déclaration de Potsdam de 1945 comme argument de réponse au Soleil levant, rappelant que la souveraineté japonaise serait limitée à certaines îles — sans mentionner Okinawa. Une omission lourde de sens pour Tokyo, où persiste la crainte qu’une annexion de Taïwan ne soit suivie d’une remise en cause des îles Senkaku, voire d’Okinawa elle-même. Au plus fort des tensions, les garde-côtes chinois ont même déployé des navires autour des Senkaku, tandis que Pékin lançait des exercices de tirs réels en mer Jaune afin de démontrer leur puissance, provoquant l’irritation de Tokyo qui n’a jamais caché qu’elle entendait installer une base militaire sur ces îles revendiquées de part et d’autre, agrémentés de missiles américains.

« La Chine ne permettra jamais aux forces d’extrême droite japonaises de faire reculer le cours de l’histoire, jamais à des forces extérieures de s’emparer de Taïwan, et jamais au militarisme japonais de renaître. Le militarisme japonais est l’ennemi des peuples du monde entier », a déclaré Guo Jiakun, autre porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, qui a curieusement accusé les autorités de Taïwan de « blanchir la domination coloniale et l’oppression japonaises [sur l’île] en les qualifiant de « développement » et de « contribution », tournant le dos à la nation chinoise, trahissant Taïwan pour s’attirer les faveurs du Japon ».

L’escalade ne s’est pas limitée au champ militaire ou diplomatique. La Chine a activé ses leviers économiques et sociétaux: avertissements officiels déconseillant les voyages au Japon, remboursements de billets d’avion, alerte du ministère de l’Éducation visant spécifiquement les étudiants chinois au Japon. Objectif avoué de la Chine: créer un climat d’insécurité, tout en signalant au Japon sa vulnérabilité économique. 

Pékin accuse le Japon de révisionnisme

À l’approche du 80ᵉ anniversaire de la « victoire de la guerre de résistance contre l’agression japonaise », selon les propres termes du PCC, les tensions diplomatiques se sont encore accrues entre les deux nations. Le 12 décembre, Guo Jiakun, dans une longue déclaration accusatoire, a profité des festivités qui seront organisées à cette occasion, pour dénoncer le « militarisme japonais », les visites continues au sanctuaire Yasukuni des ministres venus honorer la mémoire des héros de la Seconde Guerre mondiale enterrés dans ce lieu controversé, la réécriture des manuels scolaires japonais et « l’instrumentalisation » du dossier taiwanais par Tokyo. Cette rhétorique n’est d’ailleurs pas improvisée: elle s’inscrit dans une stratégie bien rodée de mobilisation nationaliste de la part de la Chine, où le Japon reste l’ennemi historique idéal.

A lire aussi: Donald Trump et la fin d’un Occident

Tout au long de sa carrière de députée et de ministre, la Première ministre Sanae Takaichi n’y a pas été avec le dos de la cuillère concernant les différents chapitres inhérents à l’occupation de l’Asie par le Japon, outrageant plus d’une fois la Chine. Elle n’a pas hésité à brandir l’oriflamme du révisionnisme ambiant et à se l’approprier à des fins politiques. Réfutant le terme de « femmes de réconforts » (Chinoises ou Coréennes soumises au bon plaisir des soldats japonais), elle a qualifié l’invasion japonaise de la Mandchourie en 1931 de « guerre d’autodéfense », refusant toute repentance, niant le massacre (« viol ») de Nankin, au cours duquel des centaines de milliers de civils chinois ont été tués entre 1937 et 1938 ou ne se privant pas de réécrire l’histoire à sa sauce, pointant l’invasion de l’Etat du Mandchoukouo (un des nombreux territoires indépendants créés de toute pièce par les Japonais au cours de l’occupation de la Chine, ici en faveur du dernier Empereur de Chine Pu Yi)  comme  une « avancée vers le sud » par un Etat étranger (une annexion par l’Union soviétique – ndlr).

Pékin prisonnier de sa propre propagande

Selon William Yang, analyste principal pour l’Asie du Nord-Est au Crisis Group, la marge de manœuvre de Pékin est cependant réduite: « La Chine instrumentalise depuis longtemps l’exacerbation du sentiment anti-japonais pour rallier l’opinion publique » et donner l’impression d’une Chine unie, prête à se lever comme un seul homme face aux shoguns japonais.

Stephen Nagy souligne que Mme Takaichi parle en réalité et avant tout à son électorat conservateur, désireux de rompre avec ce qu’il perçoit comme une complaisance excessive envers Pékin sous le gouvernement précédent. Elle ne regrette pas ses propos, affirme-t-il, et entend « contrer la tentative chinoise de présenter le Japon comme une puissance militariste — ce qu’il n’est pas », selon ce professeur à l’Université chrétienne internationale de Tokyo. 

Aucune excuse, aucune rétractation : Sanae Takaichi a seulement promis d’éviter à l’avenir des « scénarios trop explicites ». Insuffisant pour Pékin, qui exige un retrait pur et simple de ses propos. Ce que la principale concernée continue de refuser de faire. « La paix et la stabilité dans le détroit de Taïwan sont essentielles non seulement à la sécurité du Japon mais aussi à la stabilité de la communauté internationale. Nous avons toujours souhaité que les questions relatives à Taïwan soient résolues pacifiquement par le dialogue », a rappelé en guise d’avertissement à peine voilé, de son côté, le porte-parole du gouvernement nippon. Cette crise révèle cependant une vérité plus profonde : la Chine ne tolère plus la moindre ambiguïté stratégique autour de Taïwan. En s’en prenant avec une telle violence au Japon, Pékin cherche autant à dissuader qu’à intimider — Tokyo, mais aussi l’ensemble des démocraties asiatiques. Dans cette partie d’échecs géopolitique, la Chine montre sa force. Mais elle révèle aussi ses peurs : celle d’un Japon qui, enfin, cesse de baisser les yeux.

Sydney: l’Australie accusée d’avoir sous-estimé la menace antisémite

Après la tuerie sur la plage de Bondi, le Premier ministre travailliste australien Anthony Albanese croule sous les reproches. Il lui est reproché d’avoir été flou sur l’antisémitisme en adressant, dans un premier temps, ses « pensées à toutes les personnes touchées » ; son gouvernement aurait ignoré les avertissements de la communauté juive ; et il aurait cédé à la rue en reconnaissant la Palestine cet été. Notre contributrice craint que d’autres pays comme la France puissent également être touchés par des retours de boomerang terribles liés aux concessions faites aux excités de la cause palestinienne.


Le 14 décembre 2025, c’était le premier jour de Hannouka, la fête juive des lumières, rappelant un miracle ancien : la victoire des Maccabées qui, au IIe siècle avant notre ère, ont lutté contre l’Empire grec d’Antiochos IV, afin de conserver leur religion et de restaurer le Temple de Jérusalem vandalisé par les envahisseurs.

Obscurantisme 1, Lumières 0

À Sydney, une grande fête avait été organisée pour l’allumage de la première bougie de Hannouka sur la plage de Bondi Beach, la… Mecque des surfeurs. Cette célébration de la victoire de la capitale des Hébreux sur le colon hellène s’est transformée en une victoire de l’obscurantisme sur la paix et la joie : deux terroristes armés de mitraillettes ont tiré sur des civils australiens, dont le seul crime était d’être nés Juifs. L’un des assaillants a été tué (qui ne figure pas dans le décompte des « victimes » puisqu’il en est le bourreau) et son complice est gravement blessé. La police espère en obtenir des informations sur leur éventuelle meute de loups solitaires et ses éventuels fournisseurs, car des engins explosifs ont été trouvés dans le véhicule d’un des tueurs.

15 victimes (dont un Français de 27 ans), 40 blessés et une indignation modulée

Pour Mme anti-antisémitisme australienne, Jillian Segal, cette attaque « n’était pas sans précédent. (…) Les railleries depuis les marches de l’Opéra, les synagogues incendiées et maintenant les massacres lors d’une célébration forment un schéma clair. » De son côté, le président israélien, Isaac Herzog, a dit avoir « averti à maintes reprises le gouvernement australien de la nécessité d’éradiquer l’antisémitisme criminel et croissant dans leur pays ». Son ministre des Affaires étrangères, Gideon Sa’ar, a vu là les « conséquences du déchaînement antisémite dans les rues australiennes ces deux dernières années, avec les appels à la ’globalisation de l’Intifada’ qui se sont concrétisés aujourd’hui ». En août dernier, la mobilisation propalestinienne avait atteint son niveau de croisière. Selon Josh Lees, de la Socialist Alternative, acteur trotskiste majeur du palestinisme, « avec l’intensification de la politique israélienne de famine à Gaza et le massacre quotidien de civils affamés dans les points d’ »aide » gérés par les mercenaires américains de la Gaza Humanitarian Foundation, un nouveau sentiment d’horreur et d’urgence s’est fait sentir. (…) Le fait que le gouvernement ait annoncé qu’il soutiendrait désormais cette « reconnaissance » (de l’État de Palestine NDLR), alors qu’il l’avait exclue quelques semaines plus tôt, montre qu’il subit une pression importante après l’énorme marche de Sydney. »

A lire aussi, Charles Rojzman: Massacre à la plage

Il n’existe pas d’équivalent australien à LFI, en termes d’hypocrisie et de vénalité électorale, mais l’attentat qui a coûté la vie à plusieurs femmes et à au moins un enfant dimanche ne suscite pas la même horreur chez tous: le Premier ministre australien a d’abord eu des « pensées pour toutes les personnes touchées », en oubliant qui elles étaient et ce qu’elles faisaient à Bondi Beach. Son homologue britannique s’est contenté de son côté de faire savoir qu’il avait reçu « des nouvelles très troublantes d’Australie ». Emmanuel Macron a fait preuve d’une hypocrisie abyssale : il prétend qu’il « continuera[1] de lutter sans faiblesse contre la haine antisémite qui nous meurtrit tous, partout où elle frappe. » Sa lutte sans faiblesse consiste essentiellement à accuser Israël de propager la famine, puis devant des photos d’entrepôts du Hamas pleins de lait maternisé confisqué, à changer de braquet et exiger qu’Israël laisse entrer de quoi l’anéantir : « La France demande également une réduction significative des restrictions portant sur les biens dits à double usage… » Des biens à double usage ? Qu’en termes a minima ces choses-là sont dites ! Un bien à double usage est un produit ou service susceptible d’avoir une utilisation civile autant que militaire : des ULM, de la dynamite, des bulldozers…

Parole parole, parole

Reconnaître un État de Palestine est la dernière posture à la mode des démocraties molles, effrayées par leurs opinions publiques. En effet, aucun chef d’État digne de sa fonction ne peut sérieusement croire que naîtra un État pacifique à partir de deux entités terroristes qui se haïssent autant que les juifs qu’elles veulent exterminer, fût-ce au prix de leurs propres populations. Rappel : lorsque les Israéliens ont conquis ce qui est aujourd’hui revendiqué par les Palestiniens, la bande de Gaza était administrée par l’Égypte et la Judée-Samarie avait été annexée par la Jordanie. Second rappel : dans la première charte de l’OLP rédigée à Moscou en 1964, l’article 24 précisait : « Cette organisation n’exerce aucune souveraineté régionale sur la rive occidentale du royaume hachémite de Jordanie, sur la bande de Gaza ou sur la région de Himmah. » Cet article a été supprimé après la guerre des Six-jours, avec le passage sous administration israélienne des deux seules régions dont l’OLP ne voulait pas : elles sont devenues le lieu exclusif sur lequel se revendique la souveraineté palestinienne.

Le boomerang de l’apaisement palestinophilique

Les dirigeants occidentaux se fichent de la Palestine comme de l’an 48, ou comme de leurs propres électeurs pour certains d’entre eux (suivez mon regard). Mais ils ont peur d’une partie de leur population, aussi lui montrent-ils qu’ils sont du côté des gentils (ceux qui cassent tout à la moindre contradiction) contre les méchants (tous les autres, surtout ceux qui ne cassent rien quand on les attaque). C’est donc dans l’espoir de calmer les plus virulents qu’ils s’aplatissent en reconnaissant un État fantôme constitué de deux bandes rivales, dont la création a été refusée par ses propres dirigeants chaque fois qu’on la leur a proposée. Churchill estimait qu’un: « conciliateur est quelqu’un qui nourrit un crocodile dans l’espoir qu’il le mangera en dernier. »
Ignorant le vainqueur de 1948, nos dirigeants donnent raison à Einstein: « La folie, c’est de faire toujours la même chose et de s’attendre à un résultat différent. » Ils cherchent à se concilier les Palestinolâtres en semant du génocide et de la famine qu’ils savent imaginaires et ils récoltent des attentats contre des synagogues et des assassinats de juifs.
En 2002, les Français juifs étaient 600 000. Aujourd’hui, ils sont moins de 400 000. La population juive diminue, mais le nombre des attaques antisémites augmente. Le Premier ministre australien déplorera probablement le prochain attentat antisémite en France en citant la religion des victimes. Et Macron, lui, aura-t-il des « pensées pour toutes les personnes touchées » ?


[1] Quand a-t-il commencé ?

Et si on jouait à Noël?

0

Monsieur Nostalgie, adepte des parallèles audacieux, met sur le même plan en ce mois de décembre l’arrivée d’Olivier Minne sur M6 et la pièce Château en Suède de Sagan au Théâtre de Poche. Quelle mouche a piqué le « paltoquet berrichon » pour oser un tel rapprochement ?


On étouffe. On croit devenir fou. Le conte de Noël tourne à la farce cette année. Le ridicule ne tue pourtant pas. Il y a comme un dérèglement général dans nos actualités, perte des valeurs et digues brisées, aveuglement et obscénité, suintement des égos et absence de raison. Les loups sont lâchés. Nous entrons dans les époques perméables au défoulement. La fin d’un monde où l’on se regardait dans la glace avant d’écrire, avant de parler, avant d’agir, avant de combattre, avant même de vouloir exister. On doutait de soi. Nous avions encore des garde-fous et des pudeurs. La mauvaise éducation et les bas instincts sont les nouvelles règles en société. Plus nous aurons goûté à cette déchéance-là, plus difficile sera le retour à une vie pondérée, respectueuse des autres, convenable et si possible, harmonieuse. Nous assistons quotidiennement à des scènes risibles et affreuses, glaçantes et inappropriées, blessantes. Du mauvais spectacle. Du divertissement frelaté. Sauvagerie à ciel ouvert au pays de Gaston Fébus, incurie politique et débandade du service public. Télé sous camisole chimique, cinéma en PLS et littérature prisonnière. Ricanement et contentement à tous les étages. Où sont passés les farfadets, les drôles, les naïfs, les tendres, les élégants déplumés et les poètes de l’absurde, les déviants de l’écran et les échappés des arts populaires ? Ils ont disparu. Nous vivons au milieu des poseurs et des sermonneurs, brutus qui ont pour arme létale la vulgarité esthétique, la force de la loi et la dialectique folle. Ces colonnes bien formées, en rang serré, avancent des chiffres, des théories et des instructions. Elles nous engloutissent et nous fatiguent. Maintenant, laissez-nous ! Vous avez gagné. Dans ces moments d’abandon, quand tout semble fade et fat, quand nous nous apprêtons à hiberner, à ne plus voir leurs gueules satisfaites ventiler de la fausse joie et de lourdes pensées, une lumière se glisse. Nous nous accrochons à elle. Elle prend des formes diverses en ce début d’hiver. Cette lumière est spirituelle, un peu datée car elle n’a pas l’éclat des outrances actuelles, elle se propage sans tambours, ni trompettes. Cette lumière discrète se tient droite, elle ne marchande pas, elle ne pleurniche pas, elle nous réjouit par sa probité et son intemporalité rieuse. Elle ne porte pas les habits du clash et de la tourmente, elle a d’autres atouts dans sa main, de la grâce, de la mémoire et du savoir-vivre. Cette lumière est joueuse, elle n’est pas dogmatique, elle aime le ping-pong verbal, la nuance des petits matins et le rire en coin, le second degré en esquive et le sens de la fête. L’arrivée d’Olivier Minne sur M6 (Le Maillon faible, Pandore et Quel âge à votre cerveau) est une aubaine pour la chaîne privée. Le jeu est son destin depuis si longtemps. Il sera même le Monsieur Loyal de la soirée du Nouvel An. Ce garçon intelligent et cultivé, ex-speakerin filiforme exfiltré à L.A pour s’épaissir, auteur talentueux qui écrit lui-même ses livres, bon camarade de plateau et professionnel reconnu par tous, aimé des téléspectateurs est le profil-type du service public. Son mètre-étalon. France Télévisions aurait dû le conserver sous cloche pour le montrer en exemple aux visiteurs du monde entier. La manière dont il a été traité tout au long de sa carrière par les différentes directions est symptomatique du mal français. On lui a souvent préféré des bavards, des illusionnistes, d’éphémères rebelles. Des gandins. Quel manque de vista ! Ce Belge de naissance s’exprime dans une langue précise, vocabulaire riche et bienveillance en bandoulière, ni nunuche, ni pétroleur, il apporte à ses programmes une légèreté et un certain standing. Dans un pays où l’on fait la queue pour acheter des livres sur la zonzon et les conseils de beauté, on peut s’inquiéter de notre santé mentale.

A lire aussi: Irène Némirovsky en toutes lettres

Ne vous y trompez pas, Olivier Minne a un rapport direct avec Françoise Sagan. Une filiation même. Ils ne travaillent pas dans l’aigreur. Ils ont le jeu en commun. Familial et jamais gras chez Minne, féroce et bourgeois chez la petite Quoirez. Le Théâtre de Poche remet en piste Château en Suède sur une mise en scène de Emmanuel Gaury et Véronique Viel du mardi au samedi à 21 heures et le dimanche à 17 heures. Le cycle Sagan bat son plein à Montparnasse, nous avons déjà évoqué ici la performance de Caroline Loeb, tous les lundis. La Compagnie du Colimaçon se démarque par sa vitalité, sa cruauté frivole et son manège endiablé. Elle a tout compris de Sagan, sa profondeur angélique et sa jeunesse phagocytée, sa vitesse innée et l’empreinte de ses songes. Il faut du génie pour restituer cette cavalcade infernale. Son vieux complice, Bernard Frank, perspicace et rosse disait qu’« elle avait la maîtrise de son monde. Elle était foncièrement originale, à l’aise à l’intérieur de ses clichés, de ses imaginaires plutôt factices et de mauvais aloi ». La troupe s’amuse et les spectateurs s’enflamment dans ce huis-clos suédois. Ces jeunes comédiens, les pieds dans la neige, nous épatent. Ils sont singuliers et j’ai cependant vu dans leur allure, leur drôlerie, leur canevas, la trace du passé. Odile Blanchet (Eléonore) est une Christine Pascal, tantôt vamp, tantôt gorgée de sanglots, Bérénice Boccara (Agathe) est une sorte de brune Walkyrie incendiaire, une Stefania Sandrelli explosive, Gaspard Cuillé (Frédéric) a le charme d’un Daniel Gélin, étonné et sentimental, Emmanuel Gaury (Hugo) est un Philippe Noiret, paysan ogre, à moins que ce ne soit un Georges Wilson tempétueux (le rôle est joué en alternance par Arthur Cachia), Sana Puis (Ophélie) est une Geneviève Bujold égaré du cinéma de Philippe de Broca et de Pascal Thomas et Benjamin Romieux (Sébastien) est un Claude Rich phraseur et délicieux parasite. Château en Suède et Olivier Minne même combat !


32€

Félix Vallotton et l’art du vivre-ensemble

Félix Vallotton est mort il y a cent ans. Le peintre a fait carrière dans le Paris des années 1880-1900, alors capitale de la bourgeoisie, des conflits sociaux, des attentats anarchistes et de l’essor de la presse. La rétrospective que lui offre Lausanne, sa ville natale, révèle un artiste engagé, héritier des maîtres anciens et audacieux coloriste


Autoportrait à l’âge de vingt ans, Félix Vallotton, 1885. MCBA (Lausanne)

Le musée cantonal des Beaux-Arts de Lausanne, en Suisse romande, met à l’honneur Félix Vallotton (1865-1925) à l’occasion du centenaire de sa disparition. Peintre, graveur, dessinateur de presse, critique d’art et écrivain, Vallotton quitta Lausanne pour Paris dès l’âge de 16 ans et fut naturalisé français en 1900. Compagnon de route des Nabis (Vuillard, Bonnard, Denis), il créa rapidement un style original, synthétique, hyperréaliste et énigmatique, où le peintre Arnold Böcklin (1827-1901) vit le mélange de « la clarté française si haute » et des « spéculations germaniques si lointaines ».

Sa vie fut, elle aussi, une jolie synthèse : de sensibilité anarchiste, Vallotton épousa en 1899 Gabrielle Rodrigues-Henriques, sœur de célèbres marchands d’art, et alla vivre dans un hôtel particulier du 16e arrondissement ; antimilitariste, il se lamenta de n’avoir pas été envoyé au front en 1914 en raison de son âge ; misogyne selon les standards de son temps, il aima les femmes sans parvenir à être heureux et les peignit avec la ferveur d’un idéaliste sans illusions. Seul son tempérament dépressif semble avoir été tristement constant, rejoignant en cela le portrait littéraire des romans fin-de-siècle qui fourmillent de neurasthéniques à la Octave Mirbeau et de désespérés à la Léon Bloy. Son Autoportrait à l’âge de vingt ans (1885) où il émerge, pâlichon et déprimé, du gouffre de sa veste noire, préfigure celui de 1923 : avec le temps, les rides n’ont pas fait sourire ses yeux. La Grande Guerre paracheva un pessimisme où se côtoyaient son orgueil d’artiste et son cœur d’homme (Maupassant) : il pensait qu’il ne serait célèbre qu’à titre posthume, et n’était que rarement convaincu de la possibilité d’être heureux, sauf peut-être face à la nature, en Normandie ou à Cagnes-sur-Mer pendant les mois d’hiver.

La rétrospective Vallotton se tient à Lausanne mais parle surtout du Paris des années 1880-1900. Capitale de la bourgeoise industrielle, des conflits sociaux croissants, des attentats anarchistes, de l’affaire Dreyfus et de l’essor de la presse, Paris se prête au noir et blanc de la gravure sur bois, ainsi qu’à ses formes modernisées par l’artiste. Illustrateur pour La Revue blanche et Le Cri de Paris, Vallotton dénonce l’ordre établi, la domination de l’État bourgeois et la répression – les « violences policières » et les « discriminations systémiques », dirait-on aujourd’hui. Dans L’Anarchiste (1892), La Charge (1893), La Manifestation (1893), les chapeaux melon valdinguent, la foule tombe et détale au gré des coups assenés par les forces de l’ordre. Au lieu de porter secours à une fillette renversée sur la voie publique, l’un des deux gendarmes prend le temps de saluer l’automobiliste criminel : « Salue d’abord, c’est l’auto de la Préfecture ! »,titre le dessin. Les propriétaires sont des salauds à leurs fenêtres, prêts à tirer un coup de pistolet en cas d’« incivilité » : « Tu y reviendras, cochon, pisser sur mon mur ! » Si des gamins raillent – pardon, « harcèlent » – un ivrogne, c’est par habitude d’« abîmer le vaincu » d’« une morale autoritaire et traditionnelle », selon l’écrivain Paul Adam chargé de commenter la gravure de Vallotton dans les Badauderies parisiennes d’Octave Uzanne (1896). Pendant qu’un ouvrier est repêché dans la Seine, les bourgeoises s’entassent au Bon Marché et se noient au milieu des tissus et des colifichets (1893).

Cocasse : tandis qu’on repêche aujourd’hui des migrants et que d’innommables babioles chinoises font le bonheur des dames et des hommes déconstruits au Bazar de l’Hôtel de Ville, on redécouvre, tout ébaubis, la pertinence de la « polarisation » du débat politique qu’on avait cru reléguée aux marges infréquentables du discours et de l’histoire. Devant la violence sarcastique des dessins de presse de Vallotton, on s’étonne évidemment que la IIIe République, confrontée aux attentats de la gauche utopiste et à l’immobilisme de ses élites bourgeoises, n’ait pas eu l’idée de forger le terme de « vivre-ensemble » pour anesthésier durablement les citoyens.

À partir de 1900, Félix Vallotton se consacra entièrement à la peinture, principalement au nu, aux scènes d’intérieur et au paysage. Jeune homme, il avait abondamment pratiqué la critique d’art, à une époque où le jugement esthétique, poli par le style, n’avait pas vocation à débiter son lot de fadaises consensuelles. Comme Zola dans Mes Haines (1866) ou Huysmans dans L’Art moderne (1883), Vallotton jugea l’art de ses contemporains sans se demander si, en parlant d’« amas de nullités », d’« épouvante de salons », d’« hallucination de morphiné » ou de « choses qui n’ont ni formes ni nom et paraissent émaner d’intelligences malheureuses en détresse absolue de sentiment artistique », il ne risquait pas d’essentialiser sa critique. Inversement, que Paul Signac dise de ses œuvres qu’elles étaient laides et bêtes ne le rendit pas plus dépressif qu’il ne l’était déjà.

L’Affichage moderne (dessin pour le livre Les Rassemblements), Félix Vallotton, 1896. MCBA (Lausanne)

La peinture de Félix Vallotton est une merveille. Comme tous les modernes revendiquant leur héritage (en l’occurrence Holbein et Rembrandt, puis Poussin et Ingres), Vallotton a renouvelé la beauté en lui donnant un peu des contours du passé et beaucoup des couleurs inédites de l’avenir. À la manière des artistes hollandais du xviie siècle, il a peint le silence des scènes d’intérieur et l’intimité du quotidien entrevu entre les battants d’un placard à linge ou à travers la porte d’une chambre à coucher. À la manière du Titien, il a peint le geste de la jeune femme à sa toilette dont les longs cheveux blond roux tombent de chaque côté de ses épaules nues. Ses natures mortes, vases, hortensias, pivoines, citrons, poivrons et verres d’eau, ont un air de vanités de siècles enfuis, mais frappés en pleine matière par une lumière neuve et des couleurs vives, uniformes, sans nuances de ton. Éclatantes, photographiques mais irréelles.

La femme fut pour lui une source inépuisable d’inspiration, à défaut d’avoir pu le combler. Après ses Intimités (1897-1898), série d’estampes impitoyables sur le couple bourgeois, Vallotton met la femme à nu, sensuelle et glaçante, offerte et repoussante, les joues roses mais le corps lisse et la peau froide. On est loin de son Étude de fesses (1884) et du réalisme cellulitique de ses débuts ; désormais, la femme lui file entre les doigts. Endormie dans des décors rouges et verts qui soufflent le chaud et le froid, elle devient ce glacial objet de désir étendu sur les braises de l’imaginaire. La plupart du temps, on la voit seule, souvent par terre et souvent de dos. Elle fait des réussites, s’essuie après le bain, ne s’ennuie jamais. Dans La Salamandre (1900), assise sur un drap bleu faïence qui grise sa peau d’un discret malaise, elle regarde la cheminée rougeoyante. Vallotton joue, sur elle, avec étoffes et drapés qui mettent en valeur les lignes de son corps. Il suffit qu’elle ouvre la bouche et laisse tomber le drap vert qu’elle tient entre ses dents pendant qu’elle refait son chignon, pour que tout bascule (L’Automne, 1908). Et tout bascule en effet, lorsque le couple s’en mêle. Dans son premier roman, Les Soupirs de Cyprien Morus, le peintre exposait déjà sa théorie des sentiments : « On commence par des lieux communs, puis on fait des frais, on s’applique, et c’est l’engrenage. Bientôt, on se revoit, on s’apprécie ; le monsieur finit par trouver que la dame insignifiante n’est pas si mal que ça, la dame, que le monsieur emprunté ou commun a des ressources en profondeur ou de l’esprit. Le temps marche, chacun maintenant tient à son partenaire ; on est totalement ridicule et on croit qu’on s’adore. » On croit qu’on s’adore mais on finit par se haïr. Dans La Haine (1908), l’homme boude, les bras croisés. La femme, elle, montre les dents, les sourcils froncés, les poings serrés. Leur nudité est devenue grotesque.

Le 21 août 1911 eut lieu le vol de La Joconde au musée du Louvre. Félix Vallotton parla de « désastre » et d’« humiliation ». Le poète Guillaume Apollinaire fut d’abord suspecté, en raison d’une histoire antérieure de recel de statuettes, et fit une semaine de prison avant d’être disculpé. Il mourut à quelques jours de l’armistice, en 1918, après avoir fait cette guerre que Vallotton aurait voulu faire, lui aussi. Parti la voir de près, muni des autorisations requises, le peintre écrira dans son Journal : « La guerre oppresse la pensée du monde… elle ne se copie pas comme une pomme. » Le 19 octobre dernier a eu lieu le vol des bijoux du Louvre. Un certain Doudou Cross Bitume est suspecté d’avoir participé au cambriolage. Aux dernières nouvelles, il n’est ni poète ni peintre. Aux commémorations du 11-Novembre, le président de la République a ravivé la flamme du Soldat inconnu qui avait servi, en août, à allumer la cigarette d’un touriste étranger. La rétrospective Félix Vallotton, à quatre heures de Paris, nous ramène vers un monde où la violence, réelle et symbolique, n’avait pas encore eu le cynisme de s’appeler le « vivre-ensemble ».


À voir

« Vallotton Forever. La rétrospective », musée des Beaux-Arts de Lausanne (Suisse), place de la Gare, 16. Accessible par le TGV Lyria depuis la gare de Lyon. Jusqu’au 15 février 2026.

À lire

Félix Vallotton, Romans et Théâtre, Éditions Zoé, 2025.

Romans et Théâtre

Price: 27,99 €

1 used & new available from 27,99 €

Irène Némirovsky en toutes lettres

L’historienne Dominique Missika nous conte avec maestria la vie éminemment romanesque de l’auteur de Suite fançaise.


D’Irène Némirovsky on ne retient souvent que la mort tragique en 1942 à Auschwitz, oubliant parfois l’immense écrivaine à qui l’on doit entre-autre David Golder, Le bal et Suite Française. La formidable biographie que lui consacre Dominique Missika a le mérite de la remettre sur le devant de la scène. Il aura fallu plus de trente ans à l’historienne pour raconter celle que d’aucuns considèrent comme « la Sagan des années 30 ». En juillet 1942, lorsqu’elle est arrêtée pour être emmenée au camp de Pithiviers, Irène Némirovsky laisse derrière elle son mari et ses deux petites filles, Denise et Elisabeth. Dominique Missika, touchée par leur histoire, leur avait consacré un chapitre du Chagrin des innocents, son premier livre paru en 1998. Elle a ensuite relu l’œuvre de leur mère, fouillé dans les archives, revu les fims adaptés de ses livres, s’est imprégné de son univers puis s’est mise à écrire. « Irène Némirovsky est un vrai personnage de roman – confie-t-elle en préambule – une héroïne complexe, ardente et torturée ». Née en 1903 en Ukraine, Irina quitte son pays avec sa famille pour fuir la Révolution russe et trouve refuge en France. Élevée par sa mère dans le culte de la langue française, elle ne tarde pas à adopter cette dernière. L’histoire de son roman David Golder est saisissante. Elle envoie son manuscrit par la poste aux Editions Grasset mais omet d’écrire son nom et son adresse. Bernard Grasset enquête et finit par retrouver sa trace. La jeune femme n’a que 26 ans mais il décide de la rajeunir de 2 ans. Le livre a un succès retentissant. La carrière d’Irène Némirovsky est lancée.

A lire aussi: Françoise par Caroline

Si Dominique Missika raconte avec justesse et sensibilité l’épouse et la mère comblée, elle excelle dès lors qu’il s’agit de l’écrivaine. L’on découvre sous sa plume, une jeune femme nullement déstabilisée par sa célébrité soudaine et qui n’a qu’une obsession : écrire. Elle écrira beaucoup. Peut-être trop. Souvent pour raisons pécuniaires. Puis viendra la guerre. Les époux Epstein se réfugieront avec leurs deux petites filles à Issy-L’Evêque dans le Morvan. Là malgré la peur et les restrictions, Irène composera son chef-d’œuvre Suite française. Pendant cette période, l’écrivaine qui était pourtant au firmament de sa gloire se verra peu à peu délaissée par le monde littéraire du fait de sa judéité. Cela ne l’empêchera pas de poursuivre sa route coûte que coûte. Le jour de son arrestation, son mari fera promettre à leurs filles de ne jamais se séparer de la valise contenant le manuscrit de leur mère, certain qu’elle finira par revenir. Irène Némirovsky mourra du typhus à Auschwitz à l’âge de 39 ans. Des années plus tard, l’aînée ouvrira la fameuse valise et découvrira le roman inachevé de sa mère. En 2004 Suite française se verra décerner le Prix Renaudot à titre posthume. Une consécration qui sortira de l’oubli l’écrivaine au destin tragique. Il fallait tout le talent et toute l’empathie de Dominique Missika pour retracer l’histoire follement romanesque de celle qui fut si tôt adulée, si vite oubliée, et miraculeusement ressuscitée.


Irène Némirovsky, Une vie inachevée de Dominique Missika, Editions Denoël, 288 pages

Irène Némirovsky: Une vie inachevée

Price: 21,00 €

9 used & new available from 11,34 €

Politique: les passions humaines prennent le dessus!

0

Nous vivons une époque et un climat qui conviennent aux immatures en politique comme moi. Non que je sois dépourvu de convictions ou de quelques rares admirations, mais je ne suis pas loin, m’abritant derrière le génie de Friedrich Nietzsche, de penser que « le contraire de la vérité n’est en effet pas le mensonge, mais la conviction ». Dès lors qu’on est presque autant attentif à la réflexion et à l’écoute de l’autre que soucieux de sa propre affirmation, la politique d’aujourd’hui n’est pas faite pour vous.

Nerfs à vif

D’ailleurs, cette dernière prend un tour passionnant sur le plan de la psychologie humaine où, par exemple, on baptise « compromis » des abandons en rase campagne, où l’on cherche à tout prix à sauver sa peau partisane à coups de calculs, de tactiques, de concessions de dernière heure, le tout imprégné d’un cynisme qui n’a plus la moindre honte de lui : au contraire, il s’affiche…

A lire aussi: La politique victimaire et la guerre civile à bas bruit

En même temps, quelle spectaculaire comédie humaine, où les nerfs sont à vif, où les sensibilités s’expriment, où les détestations se montrent à haine ouverte, où les affrontements ne cherchent même plus à s’ennoblir, mais se réduisent à une hostilité nue, une antipathie éclatante, une multitude de combats singuliers. Comme si l’on en avait assez de la poudre aux yeux, des simulacres, des prétextes, de l’humanisme abstrait, et que l’on désirait seulement faire surgir, du fond de soi, la pureté d’une malfaisance sans excuse, la cruauté voluptueuse débarrassée de tous ses voiles prétendument politiques.

Ce n’est pas seulement vrai dans les joutes de l’Assemblée nationale ou au Sénat.

Songeons à Brigitte Macron, dont on découvre avec stupéfaction qu’elle est humaine et qu’elle est capable, pour une bonne cause – celle d’un Ary Abittan qui a bénéficié d’un non-lieu et à qui il convient de « fiche la paix » en le laissant enfin travailler -, de s’abandonner à un verbe cru et grossier qui, en l’occurrence, ne laisse aucune place au doute : elle ne dénonce pas le féminisme, mais certaines de ses odieuses manifestations.

Jean-Luc Mélenchon, malgré la révérence, est probablement détesté par certains de ses inconditionnels apparents ; lui-même n’aime pas Olivier Faure, qui le lui rend au centuple. Ce n’est pas le socialisme qui se bat contre l’extrémisme révolutionnaire et irresponsable, mais un tempérament qui ne supporte pas l’autre, une manière d’exister qui juge lamentable celle de l’autre. Une brutalité satisfaite d’elle-même et assurée de sa propre domination, qui honnit les calculs sournois d’une personnalité équivoque.

Hostilités

Laurent Wauquiez fait tout ce qu’il peut pour s’ériger, lui et son groupe parlementaire, en ennemis irréductibles de Bruno Retailleau. C’est tellement systématique de sa part qu’il n’éprouve même plus le besoin de déguiser son hostilité en considérations politiques.

A lire aussi: 🎙️ Podcast: L’union des droites est possible, l’analyse de Philippe Bilger

La rigueur, la constance et l’intégrité de l’ancien ministre de l’Intérieur et président des Républicains sont tellement aux antipodes de son caractère qu’il s’agit d’une lutte d’homme à homme se servant de prétextes partisans et conjoncturels pour éclater au grand jour.

Il me semble d’ailleurs que le lien entre Bruno Retailleau et Sébastien Lecornu relève de la même méfiance humaine. La transparence honorable du premier n’a pas admis les sinuosités masquées du second. Les personnalités en deçà ou au-delà de la politique sont vouées à se détester.

Que les passions humaines prennent le dessus n’est sans doute pas très progressiste, mais c’est ainsi : il faut bien que les êtres respirent et soient eux-mêmes. On a beau apposer des couches multiples entre soi et le réel, à un certain moment – miraculeux ou déplorable – il n’y a plus que soi !

MeTooMuch ? (Essai)

Price: 6,99 €

1 used & new available from 6,99 €

Chili con Kast

0
Les supporters de M. Kast à Santiago, la capitale, hier © Jesús Martínez/Sipa USA/SIPA

L’Amérique du Sud penche de plus en plus à droite. Sitôt élu dimanche soir, José Antonio Kast, nostalgique de Pinochet, a rappelé qu’il donnait aux quelque 340 000 étrangers illégaux jusqu’au 11 mars, jour de son investiture, pour quitter le pays de leur plein gré…


L’ultraconservateur Jose Antonio Kast à Santiago,11 novembre 2025 © Cristobal Basaure Araya //SIPA

Comme attendu, le candidat de droite, José Antonio Kast, 59 ans, avocat se réclamant ouvertement de l’ancien dictateur Augusto Pinochet, a très largement remporté, avec une avance de 17 points, dimanche 14 décembre, le second tour de l’élection présidentielle au Chili. Il a recueilli 58,3 % des suffrages contre 41,7 % pour sa rivale, Jeannette Jara, communiste qualifiée par la presse locale de « modérée ». Celle-ci avait été désignée candidate à l’issue d’une primaire de l’ensemble de la gauche, incluant la Démocratie chrétienne.

José Antonio Kast double son score

« C’est le pire résultat qu’a enregistré la gauche depuis le retour de la démocratie en 1990 », a souligné lundi le très conservateur El Mercurio, principal quotidien du pays. De son côté, l’autre grand quotidien, le libéral La Tercera, a estimé qu’il s’agissait d’une « très amère défaite ». Deux seules fois au cours des 35 années qui ont suivi le rétablissement de la démocratie en 1990, période durant laquelle la gauche gouvernait avec le centre au sein de l’alliance dite de la Concertation, elle a été battue : en 2010 et en 2017, par une droite classique qui avait pris ses distances avec Pinochet. Elle avait alors obtenu respectivement 48 % et 46 % des voix.

Entre les deux tours, M. Kast, qui avait recueilli 23,9 % au premier, a plus que doublé son score, tandis que Mme Jara, arrivée en tête avec un très décevant 26,85 %, n’a progressé que d’une quinzaine de points. Le succès de M. Kast était acquis dès le soir du premier tour. Les deux autres candidats de droite, Johannes Kaiser, un peu le pendant chilien de Javier Milei, et Evelyn Matthei, représentante de la droite classique et héritière politique de l’ancien président Sebastián Piñera, ont appelé sans la moindre réserve à voter pour lui. Le candidat populiste Franco Parisi, arrivé troisième, avait pour sa part laissé la liberté de choix à ses électeurs. Une bonne partie d’entre eux s’est reportée sur Kast, qui est ainsi arrivé en tête dans l’ensemble des seize régions et dans 90 % des communes.

Cette victoire écrasante de Kast, qui fait de lui le président le mieux élu depuis le rétablissement de la démocratie, interroge. Elle est en quelque sorte une réhabilitation sur la pointe des pieds de l’ancien dictateur dont le régime, tant sur le plan institutionnel qu’économique, a survécu à sa chute en 1990, à l’issue d’un référendum portant sur son maintien au pouvoir. C’est toujours sa Constitution, datant de 1980, qui est en vigueur. Réformée à la marge en 2005, elle a vu les articles instaurant une forme de tutelle de l’armée sur le pouvoir civil abrogés, mais le reste est demeuré grosso modo inchangé. Quant au système économico-social ultralibéral, inspiré par l’école de Chicago de Milton Friedman, il n’a connu que des corrections cosmétiques.

Finis les artifices !

En conséquence, pour la politologue chilienne Stephanie Alenda, l’élection de M. Kast « clôt en réalité, explique-t-elle au quotidien espagnol El País, un cycle politique qui met fin à la dichotomie entre dictature et démocratie », laquelle prévalait de manière quelque peu artificielle. Elle constitue en somme un aboutissement logique, M. Kast ne proposant pas un rétablissement de la dictature, mais la pérennisation du modèle de société pinochétiste, modèle que, convient-il de le souligner, l’alliance entre le centre et la gauche, qui a exercé un pouvoir hégémonique pendant plus de trois décennies, n’a jamais véritablement remis en cause.

Le président élu s’était présenté une première fois en 2017. Il s’affichait alors clairement comme héritier de Pinochet et faisait figure de candidat folklorique. Il n’avait recueilli que 7 % des suffrages. Il récidive en 2021 et, là, surprise : il accède au second tour. Mais il est battu, 46 % contre 54 %, par le candidat de gauche Gabriel Boric, président sortant qui n’a pas pu se représenter, la Constitution limitant à deux le nombre de mandats présidentiels non consécutifs.

Cette année-là, après des émeutes très violentes de 2019 contre la vie chère, provoquées par une hausse du ticket de métro et bus à Santiago, la capitale, la campagne avait été axée les questions sociales. Cette fois-ci, c’est M. Kast qui a donné le ton en imposant le thème de l’insécurité consécutive à un afflux massif d’immigrés essentiellement vénézuéliens. La candidate de gauche a reconnu son erreur d’avoir négligé cette préoccupation partagée par une majorité d’électeurs des classes populaires, les premiers affectés.

Dimanche soir, M. Kast a rappelé qu’il donnait aux quelque 340 000 étrangers illégaux jusqu’au 11 mars, jour de son investiture, pour quitter le pays de leur plein gré. Quant à ceux qui sont en règle et ont un travail, ils n’ont pas souci à se faire. Ils sont les bienvenus, a-t-il affirmé.

Sa victoire s’inscrit aussi dans un glissement à droite de l’Amérique latine entamé en décembre 2023 par l’élection de Javier Milei en Argentine, puis conforté, à la surprise générale, par son succès aux législatives de mi-mandat. Le 8 novembre, le démocrate-chrétien, Rodrigo Paz Pereira, le candidat qu’on n’avait pas vu venir, était élu à la tête de la Bolivie, mettant fin à deux décennies de régime ethnico-socialiste d’Evo Morales, aujourd’hui retranché dans son fiel du Chapare, région de la culture de la feuille de coca très liée au narcotrafic.

Des élections générales doivent avoir lieu au Pérou en avril prochain et en Colombie en mai. La droite est, d’après les études d’opinion, en position de l’emporter. Au Brésil, le mandat de Lula expire à l’automne 2026. Il a laissé entendre qu’il serait disposé à se succéder. À ce stade, s’il se présente, il apparaît comme favori. Mais au sein de la gauche brésilienne, certains s’interrogent : Lula est-il encore réellement de gauche ou s’est-il mué en cacique se revendiquant de gauche ?

Fièvre bovine, colère humaine

0
Grogne des agriculteurs sur l’autoroute A63 au sud de Bordeaux. 14 décembre 2025, à Cestas © UGO AMEZ/SIPA

La ministre de l’Agriculture Annie Genevard est en première ligne pour faire comprendre le bien-fondé des procédures actuelles de lutte contre la dermatose nodulaire contagieuse, très critiquées par certains éleveurs. Assurant que la situation est sous contrôle, elle a rappelé que 111 foyers ont été détectés en France entre le 29 juin et le 13 décembre 2025 et a annoncé un déplacement mardi à Toulouse pour échanger avec les éleveurs et lancer une campagne de vaccination d’un million de bêtes. Pendant ce temps, et alors qu’une crainte existentielle plus sourde touche le monde agricole, la France demande à la Commission européenne le report des « échéances » prévues cette semaine concernant le Mercosur…


La révolution d’atmosphère peut éclater à tout instant. Son centre névralgique bouillonne au cœur de la France oubliée, en quête de sa souveraineté perdue. La brutalité des technocrates bruxellois et des dirigeants européistes peut à tout moment enflammer la colère paysanne. Les premières révoltes en sont l’avant-garde. L’indignation des éleveurs, partie vendredi d’une ferme de Bordes-sur-Arize (Ariège) sommée par les autorités d’abattre ses 208 vaches pour prévenir d’une contamination à la dermatose nodulaire contagieuse, risque de se répandre.

D’autant que la ratification du Mercosur (ouverture au marché de l’Amérique du Sud), prévue jeudi par l’Union européenne, importerait de la viande bovine sans contraintes sanitaires. La promesse faite à l’Ukraine d’entrer le 1ᵉʳ janvier 2027 dans l’UE ajouterait à la concurrence déloyale. La Coordination rurale (droite), qui a lancé la protestation le 11 décembre, a été rejointe par la Confédération paysanne (gauche), tandis que la FNSEA avalise les protocoles de « dépeuplement » de l’Autorité européenne de sécurité des aliments. En fait, se dessine la même inhumanité hygiéniste qui, face au Covid, avait imposé au nom de la science un confinement irréfléchi défendu par l’Organisation mondiale de la santé et l’UE.

A lire aussi: Bio: attention toxique!

Une fois de plus les alternatives, qui pourraient être proposées par des vétérinaires après des appréciations sur le terrain, sont décrétées irrecevables par de lointains sachants élevés à l’air climatisé des bureaux. Les répressions, qui ont mobilisé la gendarmerie et des engins militaires, n’ont fait que rajouter l’aigreur à la détresse d’un monde rural qui refuse de disparaître.

Cette crainte existentielle de voir s’effacer une profession, ancrée dans la civilisation, n’est pas propre au monde agricole. Le sort des éleveurs de vaches, qui lentement laissent la place, est plus généralement celui que ressentent les Français attachés à leurs racines, leur territoire, leur mode de vie. Ce que subit la fragile société rurale, jugée inutile par ses maltraitants hauts placés, est le produit d’un demi-siècle d’indifférences élitistes pour le peuple ordinaire. Ce mépris pour les « ploucs » est porté par des dirigeants sans affect, subjugués par le sans-frontiérisme, l’homme nomade, le citoyen déraciné. Leurs violences identitaires, ajoutées à l’envahissement technocratique des fabricants de normes et d’interdits, ont mis bien des Français en état de légitime défense. Nicolas Sarkozy reconnait l’incandescence de la nation quand il explique, dans Le Point cette semaine: « Les conditions d’une explosion ont rarement été à ce point réunies en France ». Le JDD rapportait, hier, que certains gendarmes auraient refusé d’intervenir, vendredi, contre une population qui leur est sociologiquement et culturellement familière. La résistance des paysans pour redonner à la France sa souveraineté alimentaire peut entrainer derrière elle ceux qui, plus généralement, sont devenus sensibles à la défense de la cause nationale. Une goutte d’eau peut être incendiaire.

Journal d'un paria: Journal d'un paria suivi de Bloc-notes 2020-21

Price: 11,99 €

1 used & new available from 11,99 €

7-Octobre, Sydney: ne différons plus les mots

0
Une femme émue près de Bondi Beach à Sydney, le lendemain de l'attentat, 15 décembre 2025 © Mark Baker/AP/SIPA

Pour la première fois, dans un rapport publié le 11 décembre, Amnesty International a accusé le Hamas d’avoir perpétré des crimes contre l’humanité lors des attaques du 7-Octobre. Dans le même temps, hier en Australie, deux islamistes — un homme de 50 ans et son fils de 24 ans — ont ouvert le feu sur une plage où se déroulait une célébration de la fête juive de Hanouka, faisant au moins quinze morts et des dizaines de blessés.


Il aura fallu plus de deux ans à Amnesty International pour finir par dire, dans son rapport du 11 décembre dernier, ce que tout le monde avait déjà compris. Le 7 octobre n’était ni une zone grise ni un chaos mal documenté, mais une attaque programmée contre des civils, avec son immense cortège de morts, de corps profanés, de femmes violées, d’otages malmenés et exhibés. Les faits étaient là. Ce qui manquait, ce n’était pas la lumière, mais le courage de l’allumer.

Ce retard n’est pas un épiphénomène. Il est devenu le symptôme d’un monde qui hésite à nommer certains crimes quand leurs victimes dérangent l’ordre moral dans lequel on s’est installé.

Sipa

Et puis, ce dimanche, il y a eu Sydney. Une plage, des bougies, de la musique, des chants. Des gens réunis, visibles, reconnaissables, paisibles, pour fêter Hanouka face à la mer. C’est précisément ceux-là – qui n’étaient pas là par hasard – qui ont été visés comme des lapins de foire. Shootés, dézingués, butés à la kalachnikov.

Sydney n’est pas le pogrom du 7 octobre, bien sûr. Le théâtre n’est pas le même, ni l’ampleur du massacre – et un courageux dénommé Ahmed a sans doute permis d’épargner des vies. Mais la différence n’est pas de nature, seulement de degré. Dans les deux cas, la violence islamiste obéit à la même logique. On ne frappe pas des individus pour ce qu’ils font, mais un groupe pour ce qu’il est, en l’occurrence des juifs. La mort devient un message, le corps, un argument, la cible, une identité.

C’est exactement ce que le droit international a tenté de penser après 1945. Raphael Lemkin l’avait compris avant tout le monde, le crime commence bien avant les charniers, au moment où un groupe humain est déclaré indésirable. Il ne s’agit pas de quantité de morts, mais de désignation.

À lire aussi, Causeur #140 : Il était une foi en France

On se rassure souvent avec les chiffres. On se dit qu’il faut attendre, comparer, contextualiser. Illusion confortable. Le droit ne demande pas combien sont morts, mais pourquoi ils ont été visés. Le véritable scandale n’est donc pas seulement qu’Amnesty ait mis plus de deux ans à reconnaître l’évidence du crime contre l’humanité perpétré par le Hamas et les autres groupes palestiniens, mais de trouver ce délai acceptable.

Le 7 octobre relevait de cette dynamique génocidaire. Sydney en montre aujourd’hui la version réduite, presque nue, débarrassée de toute excuse géopolitique. Un même crime contre l’humanité derrière lequel, dit-on, la main assassine de l’Iran.

Le crime contre l’humanité n’est pas seulement un crime contre des hommes, selon Hannah Arendt, mais contre l’humanité elle-même, parce qu’il nie à certains le droit d’appartenir au monde commun. C’est cela, précisément, qui se joue quand des hommes, des femmes et des enfants sont attaqués en tant que juifs, que ce soit dans un kibboutz ou sur une plage australienne.

À force de différer les mots, on finit par différer les consciences. On ne nie pas les crimes, certes, mais on les ajourne, on les entoure de précautions, on les contextualise, on attend que le moment soit politiquement respirable pour les qualifier. En français, cela s’appelle de la veulerie.

Et qu’est-ce que la veulerie ? C’est une lâcheté qui a appris à bien s’habiller, qui parle doucement, qui invoque la prudence, et qui se donne des airs de sagesse pour ne pas avoir à risquer l’essentiel.

Massacre à la plage

0
La police établit un cordon de sécurité près de la plage de Bondi Beach où a eu lieu un attentat antisémite, Sydney, 14 décembre 2025 © Mark Baker/AP/SIPA

« Le mal s’est déchaîné sur la plage de Bondi au-delà de tout entendement (…) Il s’agit d’une attaque ciblée contre les Juifs, un acte malveillant, antisémite et terroriste qui a frappé le cœur de notre nation » a déploré hier le Premier ministre australien Anthony Albanese, après la fusillade survenue sur une plage de Sydney et visant la communauté juive.


Bondi Beach. Du sable propre. Du ciel bleu. Des corps heureux. Une mer indifférente. Et des Juifs qui allument des bougies. Pas des soldats. Pas des colons. Des Juifs. Une fête. Une lumière fragile. La haine est entrée comme un couteau dans un corps nu. Pas d’arguments. Pas de revendication. Pas de frontières. Juste frapper. Juste tuer. Là où c’est possible. Le sang sur le sable a la même couleur qu’à Jérusalem. La distance n’existe plus. La guerre a quitté le désert. Elle voyage légère. Elle s’invite dans les plages, les écoles, les rues tranquilles de l’Occident. Elle n’a qu’une cible : l’existence juive. On parle de conflit. C’est un mensonge confortable. Ce n’est pas un conflit. C’est une fixation. Une rumination. Une rage ancienne qui ne supporte pas que le Juif vive encore, debout, armé, souverain. L’Occident se raconte des histoires pour ne pas voir. Il se fabrique des victimes pures, des bourreaux abstraits. Il pleure le Palestinien idéalisé et crache sur l’Israélien fantasmé. Il confond la compassion avec l’aveuglement. Il appelle cela morale. Mais la réalité est sale. Ramallah pourrit de l’intérieur. Gaza est tenue par une organisation qui parle de mort comme d’un avenir, qui écrit noir sur blanc que l’autre doit disparaître. Pas négocié. Pas contenu. Disparu. On feint de ne pas lire. On feint de ne pas entendre. On feint de croire que les mots n’ont pas de poids. Pourtant les mots tuent avant les balles. Les murs, les armes, les contrôles: ce sont des cicatrices. Pas des caprices. Des réponses laides à une violence plus laide encore. Des réponses imparfaites à une guerre qui vise les bus, les cafés, les enfants. La paix a été proposée. Elle a été rejetée. Encore. Parce que la paix suppose l’acceptation de l’autre. Et que l’autre, ici, est inacceptable. Israël n’est pas haï pour ses frontières. Il est haï pour sa présence. Pourquoi cette obsession ? Pourquoi cette fureur sélective ? Pourquoi cette passion pour ce conflit et ce silence pour les autres massacres ? Parce qu’ici, on peut encore rêver d’effacement. Parce qu’ici, l’ennemi est ancien. Parce qu’ici, le Juif concentre tout : la mémoire, la survie, la réussite, l’insolence d’exister encore. Le mot « génocide » est jeté comme une pierre. Non pour décrire. Mais pour salir. Pour préparer. Pour inverser. Toujours la même mécanique : accuser l’autre de ce que l’on désire. Prêter à la victime l’intention du bourreau. Se blanchir dans l’indignation avant de frapper. Ce procédé a précédé toutes les exterminations. Il est connu. Il est documenté. Il recommence. On éduque à la haine. On enseigne la mort. On glorifie le martyre. On fabrique des enfants qui savent déjà qui ils devront tuer. La souffrance palestinienne est réelle. Mais elle a été confisquée. Instrumentalisée. Transformée en arme. Les réfugiés sont maintenus dans l’attente comme on garde des reliques. Non pour vivre. Mais pour rappeler une promesse de destruction. Si Israël baissait la garde, il disparaîtrait. Pas lentement. Pas symboliquement. Concrètement. Les discours, les images, les slogans ne laissent aucun doute. Ce qui est visé n’est pas une politique. Ce n’est pas une armée. C’est un peuple. Le cœur du conflit n’est pas territorial. Il est existentiel. Il pose une question simple, brutale, sans appel : le Juif a-t-il le droit d’être là ? Bondi Beach a répondu. Par le sang. Par la peur. Par la répétition du même crime, ailleurs, autrement, mais avec la même intention. Israël est là. Et Israël restera. Non parce qu’il est moral. Non parce qu’il est aimé. Mais parce qu’il sait que, dans ce monde, survivre est déjà une faute impardonnable pour ceux qui rêvent de sa disparition. Et tant que cette obsession ne sera pas nommée pour ce qu’elle est — une haine de l’existence — il n’y aura ni paix, ni compromis, ni apaisement. Seulement la survie. Et la force. Encore.

La société malade

Price: 23,90 €

6 used & new available from 23,48 €

Pékin déchaîne sa fureur contre la Première ministre japonaise

0
Le porte-parole du Ministère des Affaires étrangères de la Chine Guo Jiakun, Pékin, juillet 2025 © Johannes Neudecker/DPA/SIPA

Alors que la Première ministre japonaise Sanae Takaichi continue de refuser de retirer ses propos sur Taïwan, Pékin intensifie ses critiques contre Tokyo et multiplie les déclarations agressives. Mme Takaichi avait déclaré au Parlement japonais que l’usage de la force contre Taïwan pourrait constituer une « situation menaçant l’existence » du Japon. Sur le plan militaire, la semaine dernière, deux bombardiers russes Tu-95, capables de transporter des armes nucléaires, ont traversé la mer du Japon pour rejoindre deux bombardiers stratégiques chinois H-6 en mer de Chine orientale, avant d’effectuer un vol conjoint autour du Japon.


La réaction chinoise aux récents propos de la Première ministre japonaise Sanae Takaichi marque une rupture nette entre les deux pays. Pékin a déchaîné une violence verbale et diplomatique inédite, révélant les lignes de fracture majeures de l’Asie orientale : Taïwan, la mémoire de la guerre et le réveil stratégique du Japon.

Le 7 novembre 2025, répondant aux questions de la Diète (Parlement japonais) à propos d’un conflit possible dans le détroit de Taïwan, la Première ministre japonaise Sanae Takaichi, 64 ans, a prononcé une phrase d’apparence prudente, mais au poids constitutionnel considérable : « Le déploiement de navires de guerre et le recours à la force pourrait constituer une menace pour la survie du Japon. Nous devons envisager le scénario du pire », laissant entrevoir la possibilité d’une entrée en guerre du Japon contre la Chine.

Le dragon chinois voit rouge

Dans le cadre de la Constitution pacifiste japonaise datant de 1947, imposée par les États-Unis qui occupent un Japon défait, cette notion de « mise en péril de la survie nationale » est déterminante : elle constitue l’un des rares fondements juridiques permettant un engagement militaire et défensif, conditionné à une agression chinoise contre Taïwan. Mais Pékin a choisi d’y voir tout autre chose.

A lire aussi: Miroir, mon beau miroir

La Chine a immédiatement interprété les propos de cette ultra-monarchiste, fan de Heavy Metal, comme une ingérence directe dans ce qu’elle considère comme une affaire de souveraineté intérieure. Pour le Parti communiste chinois (PCC), Taïwan n’est pas seulement un enjeu géopolitique : c’est un pilier idéologique du régime, un marqueur de légitimité historique et nationale depuis que la République populaire de Chine a été proclamée en 1949 au prix d’une longue guerre civile entre les communistes de Mao Zédong et les nationalistes du Kouomintang du général Tchang Kaï-chek.  

Dans sa fuite, ce dernier s’était replié sur l’île de Formose (autrefois occupée par le Japon entre 1895 et 1945) avec ses troupes et avait profité des troubles pour proclamer une république indépendante, appuyé par Washington. Une hérésie territoriale pour Pékin qui considère toujours Taïwan comme « une simple province séparatiste ».

Une escalade verbale d’une rare violence

La virulence des réactions chinoises a surpris jusqu’aux observateurs les plus aguerris. Le consul général de Chine à Osaka, Xue Jian, a publié — avant de le supprimer — un message glaçant sur le réseau X : « Ce cou immonde qui s’immisce sans permission doit être coupé sans hésitation. Êtes-vous prêt ? »

Les médias d’État ont suivi le mouvement. Le Quotidien de l’Armée populaire de libération a menacé le Japon d’une « riposte cinglante », avertissant que « jouer avec le feu » conduirait à une conflagration incontrôlable. Plus troublant encore, certaines attaques ont pris une tournure ouvertement misogyne. Hu Xijin, ancien rédacteur en chef du Global Times, a qualifié la Première ministre japonaise de « sorcière maléfique », révélant la dimension émotionnelle et décomplexée de la campagne anti-Takaichi.

Dans une mise en scène soigneusement calculée, le porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Lin Jian, a cité la déclaration de Potsdam de 1945 comme argument de réponse au Soleil levant, rappelant que la souveraineté japonaise serait limitée à certaines îles — sans mentionner Okinawa. Une omission lourde de sens pour Tokyo, où persiste la crainte qu’une annexion de Taïwan ne soit suivie d’une remise en cause des îles Senkaku, voire d’Okinawa elle-même. Au plus fort des tensions, les garde-côtes chinois ont même déployé des navires autour des Senkaku, tandis que Pékin lançait des exercices de tirs réels en mer Jaune afin de démontrer leur puissance, provoquant l’irritation de Tokyo qui n’a jamais caché qu’elle entendait installer une base militaire sur ces îles revendiquées de part et d’autre, agrémentés de missiles américains.

« La Chine ne permettra jamais aux forces d’extrême droite japonaises de faire reculer le cours de l’histoire, jamais à des forces extérieures de s’emparer de Taïwan, et jamais au militarisme japonais de renaître. Le militarisme japonais est l’ennemi des peuples du monde entier », a déclaré Guo Jiakun, autre porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, qui a curieusement accusé les autorités de Taïwan de « blanchir la domination coloniale et l’oppression japonaises [sur l’île] en les qualifiant de « développement » et de « contribution », tournant le dos à la nation chinoise, trahissant Taïwan pour s’attirer les faveurs du Japon ».

L’escalade ne s’est pas limitée au champ militaire ou diplomatique. La Chine a activé ses leviers économiques et sociétaux: avertissements officiels déconseillant les voyages au Japon, remboursements de billets d’avion, alerte du ministère de l’Éducation visant spécifiquement les étudiants chinois au Japon. Objectif avoué de la Chine: créer un climat d’insécurité, tout en signalant au Japon sa vulnérabilité économique. 

Pékin accuse le Japon de révisionnisme

À l’approche du 80ᵉ anniversaire de la « victoire de la guerre de résistance contre l’agression japonaise », selon les propres termes du PCC, les tensions diplomatiques se sont encore accrues entre les deux nations. Le 12 décembre, Guo Jiakun, dans une longue déclaration accusatoire, a profité des festivités qui seront organisées à cette occasion, pour dénoncer le « militarisme japonais », les visites continues au sanctuaire Yasukuni des ministres venus honorer la mémoire des héros de la Seconde Guerre mondiale enterrés dans ce lieu controversé, la réécriture des manuels scolaires japonais et « l’instrumentalisation » du dossier taiwanais par Tokyo. Cette rhétorique n’est d’ailleurs pas improvisée: elle s’inscrit dans une stratégie bien rodée de mobilisation nationaliste de la part de la Chine, où le Japon reste l’ennemi historique idéal.

A lire aussi: Donald Trump et la fin d’un Occident

Tout au long de sa carrière de députée et de ministre, la Première ministre Sanae Takaichi n’y a pas été avec le dos de la cuillère concernant les différents chapitres inhérents à l’occupation de l’Asie par le Japon, outrageant plus d’une fois la Chine. Elle n’a pas hésité à brandir l’oriflamme du révisionnisme ambiant et à se l’approprier à des fins politiques. Réfutant le terme de « femmes de réconforts » (Chinoises ou Coréennes soumises au bon plaisir des soldats japonais), elle a qualifié l’invasion japonaise de la Mandchourie en 1931 de « guerre d’autodéfense », refusant toute repentance, niant le massacre (« viol ») de Nankin, au cours duquel des centaines de milliers de civils chinois ont été tués entre 1937 et 1938 ou ne se privant pas de réécrire l’histoire à sa sauce, pointant l’invasion de l’Etat du Mandchoukouo (un des nombreux territoires indépendants créés de toute pièce par les Japonais au cours de l’occupation de la Chine, ici en faveur du dernier Empereur de Chine Pu Yi)  comme  une « avancée vers le sud » par un Etat étranger (une annexion par l’Union soviétique – ndlr).

Pékin prisonnier de sa propre propagande

Selon William Yang, analyste principal pour l’Asie du Nord-Est au Crisis Group, la marge de manœuvre de Pékin est cependant réduite: « La Chine instrumentalise depuis longtemps l’exacerbation du sentiment anti-japonais pour rallier l’opinion publique » et donner l’impression d’une Chine unie, prête à se lever comme un seul homme face aux shoguns japonais.

Stephen Nagy souligne que Mme Takaichi parle en réalité et avant tout à son électorat conservateur, désireux de rompre avec ce qu’il perçoit comme une complaisance excessive envers Pékin sous le gouvernement précédent. Elle ne regrette pas ses propos, affirme-t-il, et entend « contrer la tentative chinoise de présenter le Japon comme une puissance militariste — ce qu’il n’est pas », selon ce professeur à l’Université chrétienne internationale de Tokyo. 

Aucune excuse, aucune rétractation : Sanae Takaichi a seulement promis d’éviter à l’avenir des « scénarios trop explicites ». Insuffisant pour Pékin, qui exige un retrait pur et simple de ses propos. Ce que la principale concernée continue de refuser de faire. « La paix et la stabilité dans le détroit de Taïwan sont essentielles non seulement à la sécurité du Japon mais aussi à la stabilité de la communauté internationale. Nous avons toujours souhaité que les questions relatives à Taïwan soient résolues pacifiquement par le dialogue », a rappelé en guise d’avertissement à peine voilé, de son côté, le porte-parole du gouvernement nippon. Cette crise révèle cependant une vérité plus profonde : la Chine ne tolère plus la moindre ambiguïté stratégique autour de Taïwan. En s’en prenant avec une telle violence au Japon, Pékin cherche autant à dissuader qu’à intimider — Tokyo, mais aussi l’ensemble des démocraties asiatiques. Dans cette partie d’échecs géopolitique, la Chine montre sa force. Mais elle révèle aussi ses peurs : celle d’un Japon qui, enfin, cesse de baisser les yeux.

Sydney: l’Australie accusée d’avoir sous-estimé la menace antisémite

0
Le Premier ministre Anthony Albanese entouré de policiers à Sydney, 14 décembre 2025 © DEAN LEWINS/AP/SIPA

Après la tuerie sur la plage de Bondi, le Premier ministre travailliste australien Anthony Albanese croule sous les reproches. Il lui est reproché d’avoir été flou sur l’antisémitisme en adressant, dans un premier temps, ses « pensées à toutes les personnes touchées » ; son gouvernement aurait ignoré les avertissements de la communauté juive ; et il aurait cédé à la rue en reconnaissant la Palestine cet été. Notre contributrice craint que d’autres pays comme la France puissent également être touchés par des retours de boomerang terribles liés aux concessions faites aux excités de la cause palestinienne.


Le 14 décembre 2025, c’était le premier jour de Hannouka, la fête juive des lumières, rappelant un miracle ancien : la victoire des Maccabées qui, au IIe siècle avant notre ère, ont lutté contre l’Empire grec d’Antiochos IV, afin de conserver leur religion et de restaurer le Temple de Jérusalem vandalisé par les envahisseurs.

Obscurantisme 1, Lumières 0

À Sydney, une grande fête avait été organisée pour l’allumage de la première bougie de Hannouka sur la plage de Bondi Beach, la… Mecque des surfeurs. Cette célébration de la victoire de la capitale des Hébreux sur le colon hellène s’est transformée en une victoire de l’obscurantisme sur la paix et la joie : deux terroristes armés de mitraillettes ont tiré sur des civils australiens, dont le seul crime était d’être nés Juifs. L’un des assaillants a été tué (qui ne figure pas dans le décompte des « victimes » puisqu’il en est le bourreau) et son complice est gravement blessé. La police espère en obtenir des informations sur leur éventuelle meute de loups solitaires et ses éventuels fournisseurs, car des engins explosifs ont été trouvés dans le véhicule d’un des tueurs.

15 victimes (dont un Français de 27 ans), 40 blessés et une indignation modulée

Pour Mme anti-antisémitisme australienne, Jillian Segal, cette attaque « n’était pas sans précédent. (…) Les railleries depuis les marches de l’Opéra, les synagogues incendiées et maintenant les massacres lors d’une célébration forment un schéma clair. » De son côté, le président israélien, Isaac Herzog, a dit avoir « averti à maintes reprises le gouvernement australien de la nécessité d’éradiquer l’antisémitisme criminel et croissant dans leur pays ». Son ministre des Affaires étrangères, Gideon Sa’ar, a vu là les « conséquences du déchaînement antisémite dans les rues australiennes ces deux dernières années, avec les appels à la ’globalisation de l’Intifada’ qui se sont concrétisés aujourd’hui ». En août dernier, la mobilisation propalestinienne avait atteint son niveau de croisière. Selon Josh Lees, de la Socialist Alternative, acteur trotskiste majeur du palestinisme, « avec l’intensification de la politique israélienne de famine à Gaza et le massacre quotidien de civils affamés dans les points d’ »aide » gérés par les mercenaires américains de la Gaza Humanitarian Foundation, un nouveau sentiment d’horreur et d’urgence s’est fait sentir. (…) Le fait que le gouvernement ait annoncé qu’il soutiendrait désormais cette « reconnaissance » (de l’État de Palestine NDLR), alors qu’il l’avait exclue quelques semaines plus tôt, montre qu’il subit une pression importante après l’énorme marche de Sydney. »

A lire aussi, Charles Rojzman: Massacre à la plage

Il n’existe pas d’équivalent australien à LFI, en termes d’hypocrisie et de vénalité électorale, mais l’attentat qui a coûté la vie à plusieurs femmes et à au moins un enfant dimanche ne suscite pas la même horreur chez tous: le Premier ministre australien a d’abord eu des « pensées pour toutes les personnes touchées », en oubliant qui elles étaient et ce qu’elles faisaient à Bondi Beach. Son homologue britannique s’est contenté de son côté de faire savoir qu’il avait reçu « des nouvelles très troublantes d’Australie ». Emmanuel Macron a fait preuve d’une hypocrisie abyssale : il prétend qu’il « continuera[1] de lutter sans faiblesse contre la haine antisémite qui nous meurtrit tous, partout où elle frappe. » Sa lutte sans faiblesse consiste essentiellement à accuser Israël de propager la famine, puis devant des photos d’entrepôts du Hamas pleins de lait maternisé confisqué, à changer de braquet et exiger qu’Israël laisse entrer de quoi l’anéantir : « La France demande également une réduction significative des restrictions portant sur les biens dits à double usage… » Des biens à double usage ? Qu’en termes a minima ces choses-là sont dites ! Un bien à double usage est un produit ou service susceptible d’avoir une utilisation civile autant que militaire : des ULM, de la dynamite, des bulldozers…

Parole parole, parole

Reconnaître un État de Palestine est la dernière posture à la mode des démocraties molles, effrayées par leurs opinions publiques. En effet, aucun chef d’État digne de sa fonction ne peut sérieusement croire que naîtra un État pacifique à partir de deux entités terroristes qui se haïssent autant que les juifs qu’elles veulent exterminer, fût-ce au prix de leurs propres populations. Rappel : lorsque les Israéliens ont conquis ce qui est aujourd’hui revendiqué par les Palestiniens, la bande de Gaza était administrée par l’Égypte et la Judée-Samarie avait été annexée par la Jordanie. Second rappel : dans la première charte de l’OLP rédigée à Moscou en 1964, l’article 24 précisait : « Cette organisation n’exerce aucune souveraineté régionale sur la rive occidentale du royaume hachémite de Jordanie, sur la bande de Gaza ou sur la région de Himmah. » Cet article a été supprimé après la guerre des Six-jours, avec le passage sous administration israélienne des deux seules régions dont l’OLP ne voulait pas : elles sont devenues le lieu exclusif sur lequel se revendique la souveraineté palestinienne.

Le boomerang de l’apaisement palestinophilique

Les dirigeants occidentaux se fichent de la Palestine comme de l’an 48, ou comme de leurs propres électeurs pour certains d’entre eux (suivez mon regard). Mais ils ont peur d’une partie de leur population, aussi lui montrent-ils qu’ils sont du côté des gentils (ceux qui cassent tout à la moindre contradiction) contre les méchants (tous les autres, surtout ceux qui ne cassent rien quand on les attaque). C’est donc dans l’espoir de calmer les plus virulents qu’ils s’aplatissent en reconnaissant un État fantôme constitué de deux bandes rivales, dont la création a été refusée par ses propres dirigeants chaque fois qu’on la leur a proposée. Churchill estimait qu’un: « conciliateur est quelqu’un qui nourrit un crocodile dans l’espoir qu’il le mangera en dernier. »
Ignorant le vainqueur de 1948, nos dirigeants donnent raison à Einstein: « La folie, c’est de faire toujours la même chose et de s’attendre à un résultat différent. » Ils cherchent à se concilier les Palestinolâtres en semant du génocide et de la famine qu’ils savent imaginaires et ils récoltent des attentats contre des synagogues et des assassinats de juifs.
En 2002, les Français juifs étaient 600 000. Aujourd’hui, ils sont moins de 400 000. La population juive diminue, mais le nombre des attaques antisémites augmente. Le Premier ministre australien déplorera probablement le prochain attentat antisémite en France en citant la religion des victimes. Et Macron, lui, aura-t-il des « pensées pour toutes les personnes touchées » ?


[1] Quand a-t-il commencé ?

Et si on jouait à Noël?

0
© Studio Vanssay

Monsieur Nostalgie, adepte des parallèles audacieux, met sur le même plan en ce mois de décembre l’arrivée d’Olivier Minne sur M6 et la pièce Château en Suède de Sagan au Théâtre de Poche. Quelle mouche a piqué le « paltoquet berrichon » pour oser un tel rapprochement ?


On étouffe. On croit devenir fou. Le conte de Noël tourne à la farce cette année. Le ridicule ne tue pourtant pas. Il y a comme un dérèglement général dans nos actualités, perte des valeurs et digues brisées, aveuglement et obscénité, suintement des égos et absence de raison. Les loups sont lâchés. Nous entrons dans les époques perméables au défoulement. La fin d’un monde où l’on se regardait dans la glace avant d’écrire, avant de parler, avant d’agir, avant de combattre, avant même de vouloir exister. On doutait de soi. Nous avions encore des garde-fous et des pudeurs. La mauvaise éducation et les bas instincts sont les nouvelles règles en société. Plus nous aurons goûté à cette déchéance-là, plus difficile sera le retour à une vie pondérée, respectueuse des autres, convenable et si possible, harmonieuse. Nous assistons quotidiennement à des scènes risibles et affreuses, glaçantes et inappropriées, blessantes. Du mauvais spectacle. Du divertissement frelaté. Sauvagerie à ciel ouvert au pays de Gaston Fébus, incurie politique et débandade du service public. Télé sous camisole chimique, cinéma en PLS et littérature prisonnière. Ricanement et contentement à tous les étages. Où sont passés les farfadets, les drôles, les naïfs, les tendres, les élégants déplumés et les poètes de l’absurde, les déviants de l’écran et les échappés des arts populaires ? Ils ont disparu. Nous vivons au milieu des poseurs et des sermonneurs, brutus qui ont pour arme létale la vulgarité esthétique, la force de la loi et la dialectique folle. Ces colonnes bien formées, en rang serré, avancent des chiffres, des théories et des instructions. Elles nous engloutissent et nous fatiguent. Maintenant, laissez-nous ! Vous avez gagné. Dans ces moments d’abandon, quand tout semble fade et fat, quand nous nous apprêtons à hiberner, à ne plus voir leurs gueules satisfaites ventiler de la fausse joie et de lourdes pensées, une lumière se glisse. Nous nous accrochons à elle. Elle prend des formes diverses en ce début d’hiver. Cette lumière est spirituelle, un peu datée car elle n’a pas l’éclat des outrances actuelles, elle se propage sans tambours, ni trompettes. Cette lumière discrète se tient droite, elle ne marchande pas, elle ne pleurniche pas, elle nous réjouit par sa probité et son intemporalité rieuse. Elle ne porte pas les habits du clash et de la tourmente, elle a d’autres atouts dans sa main, de la grâce, de la mémoire et du savoir-vivre. Cette lumière est joueuse, elle n’est pas dogmatique, elle aime le ping-pong verbal, la nuance des petits matins et le rire en coin, le second degré en esquive et le sens de la fête. L’arrivée d’Olivier Minne sur M6 (Le Maillon faible, Pandore et Quel âge à votre cerveau) est une aubaine pour la chaîne privée. Le jeu est son destin depuis si longtemps. Il sera même le Monsieur Loyal de la soirée du Nouvel An. Ce garçon intelligent et cultivé, ex-speakerin filiforme exfiltré à L.A pour s’épaissir, auteur talentueux qui écrit lui-même ses livres, bon camarade de plateau et professionnel reconnu par tous, aimé des téléspectateurs est le profil-type du service public. Son mètre-étalon. France Télévisions aurait dû le conserver sous cloche pour le montrer en exemple aux visiteurs du monde entier. La manière dont il a été traité tout au long de sa carrière par les différentes directions est symptomatique du mal français. On lui a souvent préféré des bavards, des illusionnistes, d’éphémères rebelles. Des gandins. Quel manque de vista ! Ce Belge de naissance s’exprime dans une langue précise, vocabulaire riche et bienveillance en bandoulière, ni nunuche, ni pétroleur, il apporte à ses programmes une légèreté et un certain standing. Dans un pays où l’on fait la queue pour acheter des livres sur la zonzon et les conseils de beauté, on peut s’inquiéter de notre santé mentale.

A lire aussi: Irène Némirovsky en toutes lettres

Ne vous y trompez pas, Olivier Minne a un rapport direct avec Françoise Sagan. Une filiation même. Ils ne travaillent pas dans l’aigreur. Ils ont le jeu en commun. Familial et jamais gras chez Minne, féroce et bourgeois chez la petite Quoirez. Le Théâtre de Poche remet en piste Château en Suède sur une mise en scène de Emmanuel Gaury et Véronique Viel du mardi au samedi à 21 heures et le dimanche à 17 heures. Le cycle Sagan bat son plein à Montparnasse, nous avons déjà évoqué ici la performance de Caroline Loeb, tous les lundis. La Compagnie du Colimaçon se démarque par sa vitalité, sa cruauté frivole et son manège endiablé. Elle a tout compris de Sagan, sa profondeur angélique et sa jeunesse phagocytée, sa vitesse innée et l’empreinte de ses songes. Il faut du génie pour restituer cette cavalcade infernale. Son vieux complice, Bernard Frank, perspicace et rosse disait qu’« elle avait la maîtrise de son monde. Elle était foncièrement originale, à l’aise à l’intérieur de ses clichés, de ses imaginaires plutôt factices et de mauvais aloi ». La troupe s’amuse et les spectateurs s’enflamment dans ce huis-clos suédois. Ces jeunes comédiens, les pieds dans la neige, nous épatent. Ils sont singuliers et j’ai cependant vu dans leur allure, leur drôlerie, leur canevas, la trace du passé. Odile Blanchet (Eléonore) est une Christine Pascal, tantôt vamp, tantôt gorgée de sanglots, Bérénice Boccara (Agathe) est une sorte de brune Walkyrie incendiaire, une Stefania Sandrelli explosive, Gaspard Cuillé (Frédéric) a le charme d’un Daniel Gélin, étonné et sentimental, Emmanuel Gaury (Hugo) est un Philippe Noiret, paysan ogre, à moins que ce ne soit un Georges Wilson tempétueux (le rôle est joué en alternance par Arthur Cachia), Sana Puis (Ophélie) est une Geneviève Bujold égaré du cinéma de Philippe de Broca et de Pascal Thomas et Benjamin Romieux (Sébastien) est un Claude Rich phraseur et délicieux parasite. Château en Suède et Olivier Minne même combat !


32€

Félix Vallotton et l’art du vivre-ensemble

0
La Chambre rouge, Félix Vallotton, 1898 © MCBA (Lausanne)

Félix Vallotton est mort il y a cent ans. Le peintre a fait carrière dans le Paris des années 1880-1900, alors capitale de la bourgeoisie, des conflits sociaux, des attentats anarchistes et de l’essor de la presse. La rétrospective que lui offre Lausanne, sa ville natale, révèle un artiste engagé, héritier des maîtres anciens et audacieux coloriste


Autoportrait à l’âge de vingt ans, Félix Vallotton, 1885. MCBA (Lausanne)

Le musée cantonal des Beaux-Arts de Lausanne, en Suisse romande, met à l’honneur Félix Vallotton (1865-1925) à l’occasion du centenaire de sa disparition. Peintre, graveur, dessinateur de presse, critique d’art et écrivain, Vallotton quitta Lausanne pour Paris dès l’âge de 16 ans et fut naturalisé français en 1900. Compagnon de route des Nabis (Vuillard, Bonnard, Denis), il créa rapidement un style original, synthétique, hyperréaliste et énigmatique, où le peintre Arnold Böcklin (1827-1901) vit le mélange de « la clarté française si haute » et des « spéculations germaniques si lointaines ».

Sa vie fut, elle aussi, une jolie synthèse : de sensibilité anarchiste, Vallotton épousa en 1899 Gabrielle Rodrigues-Henriques, sœur de célèbres marchands d’art, et alla vivre dans un hôtel particulier du 16e arrondissement ; antimilitariste, il se lamenta de n’avoir pas été envoyé au front en 1914 en raison de son âge ; misogyne selon les standards de son temps, il aima les femmes sans parvenir à être heureux et les peignit avec la ferveur d’un idéaliste sans illusions. Seul son tempérament dépressif semble avoir été tristement constant, rejoignant en cela le portrait littéraire des romans fin-de-siècle qui fourmillent de neurasthéniques à la Octave Mirbeau et de désespérés à la Léon Bloy. Son Autoportrait à l’âge de vingt ans (1885) où il émerge, pâlichon et déprimé, du gouffre de sa veste noire, préfigure celui de 1923 : avec le temps, les rides n’ont pas fait sourire ses yeux. La Grande Guerre paracheva un pessimisme où se côtoyaient son orgueil d’artiste et son cœur d’homme (Maupassant) : il pensait qu’il ne serait célèbre qu’à titre posthume, et n’était que rarement convaincu de la possibilité d’être heureux, sauf peut-être face à la nature, en Normandie ou à Cagnes-sur-Mer pendant les mois d’hiver.

La rétrospective Vallotton se tient à Lausanne mais parle surtout du Paris des années 1880-1900. Capitale de la bourgeoise industrielle, des conflits sociaux croissants, des attentats anarchistes, de l’affaire Dreyfus et de l’essor de la presse, Paris se prête au noir et blanc de la gravure sur bois, ainsi qu’à ses formes modernisées par l’artiste. Illustrateur pour La Revue blanche et Le Cri de Paris, Vallotton dénonce l’ordre établi, la domination de l’État bourgeois et la répression – les « violences policières » et les « discriminations systémiques », dirait-on aujourd’hui. Dans L’Anarchiste (1892), La Charge (1893), La Manifestation (1893), les chapeaux melon valdinguent, la foule tombe et détale au gré des coups assenés par les forces de l’ordre. Au lieu de porter secours à une fillette renversée sur la voie publique, l’un des deux gendarmes prend le temps de saluer l’automobiliste criminel : « Salue d’abord, c’est l’auto de la Préfecture ! »,titre le dessin. Les propriétaires sont des salauds à leurs fenêtres, prêts à tirer un coup de pistolet en cas d’« incivilité » : « Tu y reviendras, cochon, pisser sur mon mur ! » Si des gamins raillent – pardon, « harcèlent » – un ivrogne, c’est par habitude d’« abîmer le vaincu » d’« une morale autoritaire et traditionnelle », selon l’écrivain Paul Adam chargé de commenter la gravure de Vallotton dans les Badauderies parisiennes d’Octave Uzanne (1896). Pendant qu’un ouvrier est repêché dans la Seine, les bourgeoises s’entassent au Bon Marché et se noient au milieu des tissus et des colifichets (1893).

Cocasse : tandis qu’on repêche aujourd’hui des migrants et que d’innommables babioles chinoises font le bonheur des dames et des hommes déconstruits au Bazar de l’Hôtel de Ville, on redécouvre, tout ébaubis, la pertinence de la « polarisation » du débat politique qu’on avait cru reléguée aux marges infréquentables du discours et de l’histoire. Devant la violence sarcastique des dessins de presse de Vallotton, on s’étonne évidemment que la IIIe République, confrontée aux attentats de la gauche utopiste et à l’immobilisme de ses élites bourgeoises, n’ait pas eu l’idée de forger le terme de « vivre-ensemble » pour anesthésier durablement les citoyens.

À partir de 1900, Félix Vallotton se consacra entièrement à la peinture, principalement au nu, aux scènes d’intérieur et au paysage. Jeune homme, il avait abondamment pratiqué la critique d’art, à une époque où le jugement esthétique, poli par le style, n’avait pas vocation à débiter son lot de fadaises consensuelles. Comme Zola dans Mes Haines (1866) ou Huysmans dans L’Art moderne (1883), Vallotton jugea l’art de ses contemporains sans se demander si, en parlant d’« amas de nullités », d’« épouvante de salons », d’« hallucination de morphiné » ou de « choses qui n’ont ni formes ni nom et paraissent émaner d’intelligences malheureuses en détresse absolue de sentiment artistique », il ne risquait pas d’essentialiser sa critique. Inversement, que Paul Signac dise de ses œuvres qu’elles étaient laides et bêtes ne le rendit pas plus dépressif qu’il ne l’était déjà.

L’Affichage moderne (dessin pour le livre Les Rassemblements), Félix Vallotton, 1896. MCBA (Lausanne)

La peinture de Félix Vallotton est une merveille. Comme tous les modernes revendiquant leur héritage (en l’occurrence Holbein et Rembrandt, puis Poussin et Ingres), Vallotton a renouvelé la beauté en lui donnant un peu des contours du passé et beaucoup des couleurs inédites de l’avenir. À la manière des artistes hollandais du xviie siècle, il a peint le silence des scènes d’intérieur et l’intimité du quotidien entrevu entre les battants d’un placard à linge ou à travers la porte d’une chambre à coucher. À la manière du Titien, il a peint le geste de la jeune femme à sa toilette dont les longs cheveux blond roux tombent de chaque côté de ses épaules nues. Ses natures mortes, vases, hortensias, pivoines, citrons, poivrons et verres d’eau, ont un air de vanités de siècles enfuis, mais frappés en pleine matière par une lumière neuve et des couleurs vives, uniformes, sans nuances de ton. Éclatantes, photographiques mais irréelles.

La femme fut pour lui une source inépuisable d’inspiration, à défaut d’avoir pu le combler. Après ses Intimités (1897-1898), série d’estampes impitoyables sur le couple bourgeois, Vallotton met la femme à nu, sensuelle et glaçante, offerte et repoussante, les joues roses mais le corps lisse et la peau froide. On est loin de son Étude de fesses (1884) et du réalisme cellulitique de ses débuts ; désormais, la femme lui file entre les doigts. Endormie dans des décors rouges et verts qui soufflent le chaud et le froid, elle devient ce glacial objet de désir étendu sur les braises de l’imaginaire. La plupart du temps, on la voit seule, souvent par terre et souvent de dos. Elle fait des réussites, s’essuie après le bain, ne s’ennuie jamais. Dans La Salamandre (1900), assise sur un drap bleu faïence qui grise sa peau d’un discret malaise, elle regarde la cheminée rougeoyante. Vallotton joue, sur elle, avec étoffes et drapés qui mettent en valeur les lignes de son corps. Il suffit qu’elle ouvre la bouche et laisse tomber le drap vert qu’elle tient entre ses dents pendant qu’elle refait son chignon, pour que tout bascule (L’Automne, 1908). Et tout bascule en effet, lorsque le couple s’en mêle. Dans son premier roman, Les Soupirs de Cyprien Morus, le peintre exposait déjà sa théorie des sentiments : « On commence par des lieux communs, puis on fait des frais, on s’applique, et c’est l’engrenage. Bientôt, on se revoit, on s’apprécie ; le monsieur finit par trouver que la dame insignifiante n’est pas si mal que ça, la dame, que le monsieur emprunté ou commun a des ressources en profondeur ou de l’esprit. Le temps marche, chacun maintenant tient à son partenaire ; on est totalement ridicule et on croit qu’on s’adore. » On croit qu’on s’adore mais on finit par se haïr. Dans La Haine (1908), l’homme boude, les bras croisés. La femme, elle, montre les dents, les sourcils froncés, les poings serrés. Leur nudité est devenue grotesque.

Le 21 août 1911 eut lieu le vol de La Joconde au musée du Louvre. Félix Vallotton parla de « désastre » et d’« humiliation ». Le poète Guillaume Apollinaire fut d’abord suspecté, en raison d’une histoire antérieure de recel de statuettes, et fit une semaine de prison avant d’être disculpé. Il mourut à quelques jours de l’armistice, en 1918, après avoir fait cette guerre que Vallotton aurait voulu faire, lui aussi. Parti la voir de près, muni des autorisations requises, le peintre écrira dans son Journal : « La guerre oppresse la pensée du monde… elle ne se copie pas comme une pomme. » Le 19 octobre dernier a eu lieu le vol des bijoux du Louvre. Un certain Doudou Cross Bitume est suspecté d’avoir participé au cambriolage. Aux dernières nouvelles, il n’est ni poète ni peintre. Aux commémorations du 11-Novembre, le président de la République a ravivé la flamme du Soldat inconnu qui avait servi, en août, à allumer la cigarette d’un touriste étranger. La rétrospective Félix Vallotton, à quatre heures de Paris, nous ramène vers un monde où la violence, réelle et symbolique, n’avait pas encore eu le cynisme de s’appeler le « vivre-ensemble ».


À voir

« Vallotton Forever. La rétrospective », musée des Beaux-Arts de Lausanne (Suisse), place de la Gare, 16. Accessible par le TGV Lyria depuis la gare de Lyon. Jusqu’au 15 février 2026.

À lire

Félix Vallotton, Romans et Théâtre, Éditions Zoé, 2025.

Romans et Théâtre

Price: 27,99 €

1 used & new available from 27,99 €

Irène Némirovsky en toutes lettres

0
Dominique Missika © Francesca Mantovani / Gallimard

L’historienne Dominique Missika nous conte avec maestria la vie éminemment romanesque de l’auteur de Suite fançaise.


D’Irène Némirovsky on ne retient souvent que la mort tragique en 1942 à Auschwitz, oubliant parfois l’immense écrivaine à qui l’on doit entre-autre David Golder, Le bal et Suite Française. La formidable biographie que lui consacre Dominique Missika a le mérite de la remettre sur le devant de la scène. Il aura fallu plus de trente ans à l’historienne pour raconter celle que d’aucuns considèrent comme « la Sagan des années 30 ». En juillet 1942, lorsqu’elle est arrêtée pour être emmenée au camp de Pithiviers, Irène Némirovsky laisse derrière elle son mari et ses deux petites filles, Denise et Elisabeth. Dominique Missika, touchée par leur histoire, leur avait consacré un chapitre du Chagrin des innocents, son premier livre paru en 1998. Elle a ensuite relu l’œuvre de leur mère, fouillé dans les archives, revu les fims adaptés de ses livres, s’est imprégné de son univers puis s’est mise à écrire. « Irène Némirovsky est un vrai personnage de roman – confie-t-elle en préambule – une héroïne complexe, ardente et torturée ». Née en 1903 en Ukraine, Irina quitte son pays avec sa famille pour fuir la Révolution russe et trouve refuge en France. Élevée par sa mère dans le culte de la langue française, elle ne tarde pas à adopter cette dernière. L’histoire de son roman David Golder est saisissante. Elle envoie son manuscrit par la poste aux Editions Grasset mais omet d’écrire son nom et son adresse. Bernard Grasset enquête et finit par retrouver sa trace. La jeune femme n’a que 26 ans mais il décide de la rajeunir de 2 ans. Le livre a un succès retentissant. La carrière d’Irène Némirovsky est lancée.

A lire aussi: Françoise par Caroline

Si Dominique Missika raconte avec justesse et sensibilité l’épouse et la mère comblée, elle excelle dès lors qu’il s’agit de l’écrivaine. L’on découvre sous sa plume, une jeune femme nullement déstabilisée par sa célébrité soudaine et qui n’a qu’une obsession : écrire. Elle écrira beaucoup. Peut-être trop. Souvent pour raisons pécuniaires. Puis viendra la guerre. Les époux Epstein se réfugieront avec leurs deux petites filles à Issy-L’Evêque dans le Morvan. Là malgré la peur et les restrictions, Irène composera son chef-d’œuvre Suite française. Pendant cette période, l’écrivaine qui était pourtant au firmament de sa gloire se verra peu à peu délaissée par le monde littéraire du fait de sa judéité. Cela ne l’empêchera pas de poursuivre sa route coûte que coûte. Le jour de son arrestation, son mari fera promettre à leurs filles de ne jamais se séparer de la valise contenant le manuscrit de leur mère, certain qu’elle finira par revenir. Irène Némirovsky mourra du typhus à Auschwitz à l’âge de 39 ans. Des années plus tard, l’aînée ouvrira la fameuse valise et découvrira le roman inachevé de sa mère. En 2004 Suite française se verra décerner le Prix Renaudot à titre posthume. Une consécration qui sortira de l’oubli l’écrivaine au destin tragique. Il fallait tout le talent et toute l’empathie de Dominique Missika pour retracer l’histoire follement romanesque de celle qui fut si tôt adulée, si vite oubliée, et miraculeusement ressuscitée.


Irène Némirovsky, Une vie inachevée de Dominique Missika, Editions Denoël, 288 pages

Irène Némirovsky: Une vie inachevée

Price: 21,00 €

9 used & new available from 11,34 €

Politique: les passions humaines prennent le dessus!

0
Le Premier ministre Sébastien Lecornu, Paris, 10 décembre © Alfonso Jimenez/Shutterstock/SIPA

Nous vivons une époque et un climat qui conviennent aux immatures en politique comme moi. Non que je sois dépourvu de convictions ou de quelques rares admirations, mais je ne suis pas loin, m’abritant derrière le génie de Friedrich Nietzsche, de penser que « le contraire de la vérité n’est en effet pas le mensonge, mais la conviction ». Dès lors qu’on est presque autant attentif à la réflexion et à l’écoute de l’autre que soucieux de sa propre affirmation, la politique d’aujourd’hui n’est pas faite pour vous.

Nerfs à vif

D’ailleurs, cette dernière prend un tour passionnant sur le plan de la psychologie humaine où, par exemple, on baptise « compromis » des abandons en rase campagne, où l’on cherche à tout prix à sauver sa peau partisane à coups de calculs, de tactiques, de concessions de dernière heure, le tout imprégné d’un cynisme qui n’a plus la moindre honte de lui : au contraire, il s’affiche…

A lire aussi: La politique victimaire et la guerre civile à bas bruit

En même temps, quelle spectaculaire comédie humaine, où les nerfs sont à vif, où les sensibilités s’expriment, où les détestations se montrent à haine ouverte, où les affrontements ne cherchent même plus à s’ennoblir, mais se réduisent à une hostilité nue, une antipathie éclatante, une multitude de combats singuliers. Comme si l’on en avait assez de la poudre aux yeux, des simulacres, des prétextes, de l’humanisme abstrait, et que l’on désirait seulement faire surgir, du fond de soi, la pureté d’une malfaisance sans excuse, la cruauté voluptueuse débarrassée de tous ses voiles prétendument politiques.

Ce n’est pas seulement vrai dans les joutes de l’Assemblée nationale ou au Sénat.

Songeons à Brigitte Macron, dont on découvre avec stupéfaction qu’elle est humaine et qu’elle est capable, pour une bonne cause – celle d’un Ary Abittan qui a bénéficié d’un non-lieu et à qui il convient de « fiche la paix » en le laissant enfin travailler -, de s’abandonner à un verbe cru et grossier qui, en l’occurrence, ne laisse aucune place au doute : elle ne dénonce pas le féminisme, mais certaines de ses odieuses manifestations.

Jean-Luc Mélenchon, malgré la révérence, est probablement détesté par certains de ses inconditionnels apparents ; lui-même n’aime pas Olivier Faure, qui le lui rend au centuple. Ce n’est pas le socialisme qui se bat contre l’extrémisme révolutionnaire et irresponsable, mais un tempérament qui ne supporte pas l’autre, une manière d’exister qui juge lamentable celle de l’autre. Une brutalité satisfaite d’elle-même et assurée de sa propre domination, qui honnit les calculs sournois d’une personnalité équivoque.

Hostilités

Laurent Wauquiez fait tout ce qu’il peut pour s’ériger, lui et son groupe parlementaire, en ennemis irréductibles de Bruno Retailleau. C’est tellement systématique de sa part qu’il n’éprouve même plus le besoin de déguiser son hostilité en considérations politiques.

A lire aussi: 🎙️ Podcast: L’union des droites est possible, l’analyse de Philippe Bilger

La rigueur, la constance et l’intégrité de l’ancien ministre de l’Intérieur et président des Républicains sont tellement aux antipodes de son caractère qu’il s’agit d’une lutte d’homme à homme se servant de prétextes partisans et conjoncturels pour éclater au grand jour.

Il me semble d’ailleurs que le lien entre Bruno Retailleau et Sébastien Lecornu relève de la même méfiance humaine. La transparence honorable du premier n’a pas admis les sinuosités masquées du second. Les personnalités en deçà ou au-delà de la politique sont vouées à se détester.

Que les passions humaines prennent le dessus n’est sans doute pas très progressiste, mais c’est ainsi : il faut bien que les êtres respirent et soient eux-mêmes. On a beau apposer des couches multiples entre soi et le réel, à un certain moment – miraculeux ou déplorable – il n’y a plus que soi !

MeTooMuch ? (Essai)

Price: 6,99 €

1 used & new available from 6,99 €