Monsieur Nostalgie, adepte des parallèles audacieux, met sur le même plan en ce mois de décembre l’arrivée d’Olivier Minne sur M6 et la pièce Château en Suède de Sagan au Théâtre de Poche. Quelle mouche a piqué le « paltoquet berrichon » pour oser un tel rapprochement ?

On étouffe. On croit devenir fou. Le conte de Noël tourne à la farce cette année. Le ridicule ne tue pourtant pas. Il y a comme un dérèglement général dans nos actualités, perte des valeurs et digues brisées, aveuglement et obscénité, suintement des égos et absence de raison. Les loups sont lâchés. Nous entrons dans les époques perméables au défoulement. La fin d’un monde où l’on se regardait dans la glace avant d’écrire, avant de parler, avant d’agir, avant de combattre, avant même de vouloir exister. On doutait de soi. Nous avions encore des garde-fous et des pudeurs. La mauvaise éducation et les bas instincts sont les nouvelles règles en société. Plus nous aurons goûté à cette déchéance-là, plus difficile sera le retour à une vie pondérée, respectueuse des autres, convenable et si possible, harmonieuse. Nous assistons quotidiennement à des scènes risibles et affreuses, glaçantes et inappropriées, blessantes. Du mauvais spectacle. Du divertissement frelaté. Sauvagerie à ciel ouvert au pays de Gaston Fébus, incurie politique et débandade du service public. Télé sous camisole chimique, cinéma en PLS et littérature prisonnière. Ricanement et contentement à tous les étages. Où sont passés les farfadets, les drôles, les naïfs, les tendres, les élégants déplumés et les poètes de l’absurde, les déviants de l’écran et les échappés des arts populaires ? Ils ont disparu. Nous vivons au milieu des poseurs et des sermonneurs, brutus qui ont pour arme létale la vulgarité esthétique, la force de la loi et la dialectique folle. Ces colonnes bien formées, en rang serré, avancent des chiffres, des théories et des instructions. Elles nous engloutissent et nous fatiguent. Maintenant, laissez-nous ! Vous avez gagné. Dans ces moments d’abandon, quand tout semble fade et fat, quand nous nous apprêtons à hiberner, à ne plus voir leurs gueules satisfaites ventiler de la fausse joie et de lourdes pensées, une lumière se glisse. Nous nous accrochons à elle. Elle prend des formes diverses en ce début d’hiver. Cette lumière est spirituelle, un peu datée car elle n’a pas l’éclat des outrances actuelles, elle se propage sans tambours, ni trompettes. Cette lumière discrète se tient droite, elle ne marchande pas, elle ne pleurniche pas, elle nous réjouit par sa probité et son intemporalité rieuse. Elle ne porte pas les habits du clash et de la tourmente, elle a d’autres atouts dans sa main, de la grâce, de la mémoire et du savoir-vivre. Cette lumière est joueuse, elle n’est pas dogmatique, elle aime le ping-pong verbal, la nuance des petits matins et le rire en coin, le second degré en esquive et le sens de la fête. L’arrivée d’Olivier Minne sur M6 (Le Maillon faible, Pandore et Quel âge à votre cerveau) est une aubaine pour la chaîne privée. Le jeu est son destin depuis si longtemps. Il sera même le Monsieur Loyal de la soirée du Nouvel An. Ce garçon intelligent et cultivé, ex-speakerin filiforme exfiltré à L.A pour s’épaissir, auteur talentueux qui écrit lui-même ses livres, bon camarade de plateau et professionnel reconnu par tous, aimé des téléspectateurs est le profil-type du service public. Son mètre-étalon. France Télévisions aurait dû le conserver sous cloche pour le montrer en exemple aux visiteurs du monde entier. La manière dont il a été traité tout au long de sa carrière par les différentes directions est symptomatique du mal français. On lui a souvent préféré des bavards, des illusionnistes, d’éphémères rebelles. Des gandins. Quel manque de vista ! Ce Belge de naissance s’exprime dans une langue précise, vocabulaire riche et bienveillance en bandoulière, ni nunuche, ni pétroleur, il apporte à ses programmes une légèreté et un certain standing. Dans un pays où l’on fait la queue pour acheter des livres sur la zonzon et les conseils de beauté, on peut s’inquiéter de notre santé mentale.
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Ne vous y trompez pas, Olivier Minne a un rapport direct avec Françoise Sagan. Une filiation même. Ils ne travaillent pas dans l’aigreur. Ils ont le jeu en commun. Familial et jamais gras chez Minne, féroce et bourgeois chez la petite Quoirez. Le Théâtre de Poche remet en piste Château en Suède sur une mise en scène de Emmanuel Gaury et Véronique Viel du mardi au samedi à 21 heures et le dimanche à 17 heures. Le cycle Sagan bat son plein à Montparnasse, nous avons déjà évoqué ici la performance de Caroline Loeb, tous les lundis. La Compagnie du Colimaçon se démarque par sa vitalité, sa cruauté frivole et son manège endiablé. Elle a tout compris de Sagan, sa profondeur angélique et sa jeunesse phagocytée, sa vitesse innée et l’empreinte de ses songes. Il faut du génie pour restituer cette cavalcade infernale. Son vieux complice, Bernard Frank, perspicace et rosse disait qu’« elle avait la maîtrise de son monde. Elle était foncièrement originale, à l’aise à l’intérieur de ses clichés, de ses imaginaires plutôt factices et de mauvais aloi ». La troupe s’amuse et les spectateurs s’enflamment dans ce huis-clos suédois. Ces jeunes comédiens, les pieds dans la neige, nous épatent. Ils sont singuliers et j’ai cependant vu dans leur allure, leur drôlerie, leur canevas, la trace du passé. Odile Blanchet (Eléonore) est une Christine Pascal, tantôt vamp, tantôt gorgée de sanglots, Bérénice Boccara (Agathe) est une sorte de brune Walkyrie incendiaire, une Stefania Sandrelli explosive, Gaspard Cuillé (Frédéric) a le charme d’un Daniel Gélin, étonné et sentimental, Emmanuel Gaury (Hugo) est un Philippe Noiret, paysan ogre, à moins que ce ne soit un Georges Wilson tempétueux (le rôle est joué en alternance par Arthur Cachia), Sana Puis (Ophélie) est une Geneviève Bujold égaré du cinéma de Philippe de Broca et de Pascal Thomas et Benjamin Romieux (Sébastien) est un Claude Rich phraseur et délicieux parasite. Château en Suède et Olivier Minne même combat !
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