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Macron dans « C à vous » : Bertrand Chameroy, le bouffon du roi ?

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Lors de son passage dans le talk-show de France 5, le 20 décembre, le Président n’a pas réussi à convaincre les chroniqueurs ultra-progressistes en face de lui qu’il voulait toujours faire barrage au RN. Pourtant le lendemain, Pascal Praud déclarait: « Bertrand Chameroy est beaucoup plus drôle comme porte-parole du gouvernement qu’Olivier Véran ». Peut-on dire que l’humoriste attitré de l’émission a vraiment servi la soupe à Emmanuel Macro?


Le mercredi 20 décembre, Emmanuel Macron était l’invité de l’émission « C à vous ». Sur le plateau pendant près de deux heures, il a essentiellement évoqué la loi immigration adoptée la veille au Parlement. Pour quelles raisons le chef de l’État a-t-il choisi ce talk-show pour s’exprimer ?

Premièrement en raison de l’âge de ceux qui sont devant leurs télévisions à 19 heures. « Cette tranche horaire est regardée par des téléspectateurs assez âgés, voire très âgés » affirme David Medioni, directeur de l’Observatoire des médias de la Fondation Jean-Jaurès. Selon Médiamétrie, avec des téléspectateurs qui ont en moyenne 66 ans, « C à vous » est le deuxième programme préféré des seniors après « Questions pour un champion ». Quand on sait qu’au second tour en 2017, 74 % des plus de 60 ans ont voté pour Emmanuel Macron ; qu’au premier tour en 2022, 30 % des sexagénaires et 41 % des plus de 70 ans ont voté pour lui, il n’y a rien d’étonnant à ce que le Président choisisse une émission majoritairement regardée par des seniors qui constituent une partie non-négligeable de son électorat. D’ailleurs, selon un sondage Elabe du 13 décembre, 67 % des plus de 60 ans souhaitaient qu’un compromis soit trouvé en commission mixte paritaire, entre la majorité et LR, et que le projet de loi immigration soit adopté.

Bal tragique?

Une autre raison, qui explique le choix du Président (ou de ses conseillers en communication), est le fait que « C à vous » est une incarnation parfaite du politiquement correct qui domine l’audiovisuel public. De l’animatrice Anne-Élisabeth Lemoine aux différents chroniqueurs, Patrick Cohen, Émilie Tran Nguyen, Mohamed Bouhafsi, Pierre Lescure, Bertrand Chameroy ou Lorrain Sénéchal, ils évoluent tous dans le périmètre du « cercle de la raison » cher à Alain Minc. De l’entre-soi de centre-gauche. Et ce n’est pas l’édito de Patrick Cohen du 27 novembre consacré au meurtre de Thomas à Crépol qui pourrait nous convaincre du contraire. En effet, l’ancien animateur de la matinale de France Inter avait pris le parti des agresseurs de Thomas, les présentant comme des jeunes venus « s’amuser et draguer les filles ». Pourtant, la veille, le 26 novembre, le procureur de Valence avait pris la parole pour détailler le déroulé de la soirée et avait précisé qu’un « individu de 20 ans, interdit de détention d’armes, a remis au vigile un couteau avant de pénétrer dans la salle de bal ». Curieux pour des jeunes qui étaient simplement là pour « s’amuser ». Patrick Cohen n’a pas jugé utile d’informer les téléspectateurs de cet élément, préférant clore sa chronique par une phrase toute faite : « Les bals tragiques sont aussi vieux que les fêtes de village ».

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Mais revenons à la présence d’Emmanuel Macron dans « C à vous » le 20 décembre. Pendant cette émission, le Président a confirmé ce qu’on savait déjà, à savoir qu’il n’a aucune volonté de renverser la table en matière d’immigration. Pour le chef de l’État, le problème migratoire se résume à l’immigration illégale. S’il affirme vouloir lutter contre l’immigration irrégulière, en revanche il ne souhaite pas restreindre l’immigration légale, qui représente la majeure partie de l’immigration. Au contraire il en souhaite davantage. Plus d’immigration de travail, pour des raisons économiques, d’où les régularisations prévues par la loi. Concernant les étudiants étrangers, la caution demandée permettra-t-elle d’en diminuer le nombre ? Avec l’opposition du monde universitaire et de la ministre de l’enseignement supérieure sera-t-elle même instaurée ?

Le Président n’affiche pas non plus une volonté farouche de lutter contre le dévoiement du droit d’asile ou de diminuer l’immigration familiale. Pour cette dernière par exemple, cela impliquerait de s’opposer à la Convention européenne des droits de l’homme qui consacre, par son article 8, « le droit au respect de sa vie privée et familiale ». Remettre en cause ces textes ? « Jamais ! » a affirmé le Président dans « C à vous », expliquant que c’est ce qui le distingue de LR et du RN.

En résumé, si Emmanuel Macron consent à des mesures techniques sur l’immigration, qui n’engendreront que des changements marginaux, il refuse tout changement structurel qu’une majorité de Français appelle de leurs vœux. « Nous sommes un pays qui a toujours accueilli et qui continuera d’accueillir » a d’ailleurs déclaré le Président dans l’émission. Bien que ce texte ne changera pas grand-chose, pour le plateau de « C à vous » c’est déjà trop. Macron s’est fait gronder parce que cette loi serait trop à droite. « Vous n’avez pas irrémédiablement basculé à droite ? » a questionné Patrick Cohen, avant de demander au chef de l’État si certaines des mesures ne sont pas « déshonorantes ». « Qu’est-ce que vous dîtes à ceux de vos électeurs qui se sentent trahis quand vous leur avez dit « votre vote m’oblige » ? Eux que vous avez appelé à faire barrage au RN » a interrogé l’animatrice. Visiblement Anne-Élisabeth s’est sentie trahie par Emmanuel. Pourtant le chef de l’État a tout fait pour rassurer ce plateau centriste, précisant qu’il ne souscrivait pas à l’idée d’une « submersion migratoire », que pour un certain nombre d’éléments contenus dans la loi « je ne vais pas vous dire que je les trouve formidables », rappelant que « le RN joue sur les peurs ». Ça n’a pas suffi. Patrick Cohen a reproché au Président de reprendre à son compte, et donc de légitimer, une partie du programme de Marine Le Pen. « Donner ainsi raison au RN ou accéder à ses demandes n’est-ce pas la dernière étape avant son accession au pouvoir ? » a-t-il demandé au maître des horloges.

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De son côté, Émilie Tran Nguyen a reproché à Emmanuel Macron de parler de « processus de décivilisation ». En effet, pour la journaliste, le père de ce concept est le « théoricien d’extrême droite Renaud Camus » car ce dernier a publié un livre en 2011 intitulé Décivilisation. Voyant dans cette expression « la première ouverture aux idées de l’extrême droite », la chroniqueuse ignore que ce concept est tiré de l’œuvre du sociologue allemand d’origine juive Norbert Elias. Sur le processus de civilisation est un ouvrage majeur de la sociologie historique. Les deux tomes qui composent l’ouvrage : La Civilisation des mœurs et La Dynamique de l’Occident ont été rédigés en Angleterre dans la première partie du XXe siècle et traduits en français dans la seconde moitié. Émilie Tran Nguyen ne le savait pas, et n’a probablement pas cherché à le savoir. Pourquoi se renseigner quand on peut se contenter de répéter bêtement les clichés gauchistes de ses confrères journalistes ? Néanmoins nous lui conseillons le lecture de l’excellent ouvrage de Georges Fenech, L’ensauvagement de la France : La responsabilité des juges et des politiques. Peut-être parviendra-t-elle à dépasser sa répulsion pour le mot « décivilisation » et à, enfin, s’intéresser au réel qu’il désigne, et aux victimes qui sont derrière.

Chronique comique?

Au milieu de cette émission, l’humoriste Bertrand Chameroy a réalisé sa chronique. Ce dernier traite l’actualité avec humour en s’appuyant sur des images qu’il commente. Ces passages sont souvent les vidéos les plus visionnées de la chaîne YouTube de l’émission et participent incontestablement au succès de cette dernière. Il faut dire que le talent de Chameroy est indéniable. Avant de rejoindre « C à vous », le trentenaire a travaillé pendant six ans à Europe 1, qu’il quitta en 2021, en raison de son désaccord avec la nouvelle ligne éditoriale qui s’est installée depuis que le groupe Vivendi, dirigé par Vincent Bolloré, est devenu l’actionnaire majoritaire du groupe Lagardère qui possède Europe 1.

En juillet 2022, lors d’un entretien accordé à Salomé Saqué pour le média de gauche Blast, Bertrand Chameroy est revenu sur ce départ : « Avec la direction on avait des désaccords sur la couleur que prenait la matinale, et je pense que ne n’aurais pas été à ma place dans ce qu’est devenue Europe 1 ». D’ailleurs, dans cette interview, il a également évoqué son rôle dans « C à vous » : « Je viens là pour amuser les gens en essayant de décrypter un peu l’actualité, le système politique et médiatique » avance celui qui ne se définit pas comme journaliste, ni humoriste, « je suis un truc un peu hybride » conclut-il. Lorsque la journaliste lui demande s’il se sent engagé, il répond qu’il l’est « de plus en plus ». A-t-il déjà révélé son vote ? Non. Juste une fois il a confié à Libération n’avoir « jamais voté pour les extrêmes ». Y compris l’extrême centre ? On ne le saura jamais.

« J’ai pas envie de dire pour qui je vote parce qu’on m’accuserait de rouler pour tel ou tel parti » indique-t-il à Blast. Il est vrai que Bertrand Chameroy n’est pas un humoriste politique à proprement parler, il n’est pas aussi clivant que Guillaume Meurice ou Pierre-Emmanuel Barré. « J’aime pas être frontal, je considère qu’on peut faire passer parfois plus de messages avec des métaphores ou un sous-texte » déclare-t-il, ce qui le distingue des humoristes cités plus haut et le rapprocherait davantage d’un Philippe Caverivière dans « Quelle Époque »de Léa Salamé. Cependant, lorsque Salomé Saqué lui demande s’il se considère comme « bien-pensant », l’intéressé répond : « Si être progressiste, antiraciste et sensible aux valeurs de tolérance et d’ouverture est une insulte je la prends. Je préfère ça plutôt qu’être rabougri, renfermé sur moi avec la peur de l’autre ». Progressiste, antiraciste, tolérance, ouverture, peur de l’autre : cinq à la suite bravo !

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Bien qu’il prétend vouloir la cacher, sa subjectivité politique transparaît régulièrement dans ses chroniques quotidiennes dans « C à vous ». Par honnêteté intellectuelle, il faut reconnaître qu’il passe autant de temps à traiter en dérision des personnalités politiques de droite, que de gauche et du centre. Cependant, il ne leur tape pas dessus de la même manière. Alors que des politiques de gauche et du centre sont moqués sur la forme (un geste drôle, un vêtement atypique, un bégaiement) les politiques et journalistes de droite sont attaqués sur le fond. Par exemple, lorsque Marion Maréchal est interviewée dans le JT de TFI par Gilles Boulleau, Bertrand Chameroy présente un montage de cette interview qui est désigné comme un « résumé » du passage de la vice-présidente de Reconquête. Résultat final : pendant dix à vingt secondes on entend la candidate aux européennes prononcer uniquement les mots « défense de notre identité, submersion migratoire, propagande woke, immigration, sécurité, islamisation, clandestin, voile, abaya ».

De même avec une interview d’Éric Zemmour, réalisée par Thomas Sotto sur France 2, où le montage est présenté par Bertrand Chameroy comme « un résumé des sept minutes » dans lequel Zemmour ne prononce que les mots « islam, étrangers, musulmans, charia, immigré, djihad ». A-t- on déjà vu un montage d’une interview de Jean-Luc Mélenchon ou de François Ruffin ou ces derniers ne diraient que : capitalisme, superprofits, néolibéralisme, extrême droite, racisme, islamophobie ? Bertrand Chameroy avait également évoqué, avec ironie, le livre Les Nouveaux Inquisiteurs: L’enquête d’une infiltrée en terres wokes de Nora Bussigny, journaliste à Factuel. Se moquant de cette dernière parce qu’elle avait mis une perruque pour s’immiscer « en terres wokes », la manière dont Chameroy a prononcé le mot « woke » démontre qu’il considère que tout ça n’est qu’un fantasme de l’extrême droite.

Des exemples pareils, il en existe pléthore. En mars dernier, Ludovine de la Rochère, présidente de La Manif pour tous, annonçait le changement de nom du mouvement, qui depuis s’appelle « Le Syndicat de la Famille ». Dans une de ses chroniques, Bertrand Chameroy a qualifié Ludovine de la Rochère de « miss Rance ». Il n’a jamais proféré une injure équivalente pour une personnalité de gauche. Sans oublier qu’à l’instar de la plupart de ses collègues humoristes, il ne rate jamais une occasion de taper sur CNews.

Le 20 décembre, Bertrand Chameroy a-t-il été le « porte-parole du gouvernement » comme l’avance Pascal Praud ? En clair, a-t-il servi la soupe à Emmanuel Macron ? Non et oui à la fois. « En même temps » comme dirait l’autre. Non, car les traits d’humour qu’il a réalisés sur la loi immigration rejoignaient la subjectivité du reste du plateau, en particulier des critiques de Patrick Cohen sur un texte trop à droite. « Pour sauver Élisabeth Borne tapez 1. Pour sauver votre projet de loi immigration il fallait taper dans la main du RN » était notamment une des blagues du chroniqueur adressées au Président. « Entre « ce vote m’oblige » et le rebondissement d’hier, chapeau aux auteurs, vraiment j’ai pas vu venir le truc » a-t-il également déclaré.

Hormis ces quelques piques, Bertrand Chameroy n’a émis aucune critique sur la politique du gouvernement ou les idées d’Emmanuel Macron en général. Au cours de sa chronique, il s’est contenté, en s’appuyant sur des extraits vidéos, de railler quelques séquences cocasses comme celle où le chef de l’État se trompe de voiture aux États-Unis ou celle où il a oublié son oreillette pour la traduction face à un interlocuteur chinois. Bertrand Chameroy conclut alors sa chronique par une chose qu’il a l’habitude de faire : mettre le Président en valeur en le comparant à Jean Dujardin dans OSS 117, veste de costume sur l’épaule ou vêtu d’un smoking noir avec une flûte de champagne en main. En résumé, bien que Bertrand Chameroy soit idéologiquement proche du Président, et qu’il ait probablement voté pour ce dernier aux deux tours en 2017 et 2022, il aimerait qu’Emmanuel Macron reste ce progressiste anti-extrêmes (droite et gauche) et qu’il ne se rapproche pas trop des conceptions de droite sur le terrain sociétal. Bertrand Chameroy est-il le « porte-parole du gouvernement » ? De son aile gauche peut-être.

Les cabales moralisantes contre les artistes : une tradition française

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Pour certains, prendre la défense d’un homme célèbre reviendrait à conférer à ce dernier les privilèges des aristocrates d’autrefois. Ces gens-là ne voient apparemment pas que c’est plutôt la création d’une cabale moralisatrice (dévorée d’ailleurs par la jalousie professionnelle) dans le but de censurer un grand artiste qui rappelle les mœurs d’une époque révolue. Petite leçon d’histoire pour les ignorants.


L’historienne du cinéma, Geneviève Sellier, affirme dans le Huffington Post, journal progressiste américain importé en France, que la tribune signée par cinquante-six artistes pour prendre la défense de Gérard Depardieu « rappelle furieusement l’Ancien Régime ». Placer l’artiste au-dessus des lois, au nom de son génie, serait « une tradition bien française ». C’est bien possible. Mais si nous allions nous promener du côté de l’ancêtre du cinéma, le théâtre, pour rappeler à Madame Cellier que les cabales moralisantes contre les artistes sont elles aussi une tradition bien française datant de l’Ancien Régime ?…

En avril 1664, la Compagnie du Saint-Sacrement, une société à peine secrète mais surtout un lobby religieux intégriste dont l’objectif était de réprimer les mauvaises mœurs et de « bâtir Jérusalem au milieu de Babylone », décida de tout mettre en œuvre pour empêcher la représentation de la pièce de théâtre la plus sulfureuse du moment : le Tartuffe, de Molière. Il faut dire que les dévots avaient déjà le dramaturge dans le nez depuis son École des Femmes, qui ridiculisait l’éducation morale et religieuse des épouses par des vieux barbons répugnants (comme quoi, Molière pouvait aussi écrire des pièces féministes).

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Sa nouvelle comédie ne ménage pas non plus les hypocrites et leur fausse vertu. Quand Tartuffe ordonne à la servante Dorine de cacher son sein qu’il ne saurait voir, il lui explique, outré, que « par de pareils objets, les âmes sont blessées, Et cela fait venir de coupables pensées ». En revanche, quand il tente de séduire la riche Elmire, l’homme de foi affirme que son sein à lui « ne renferme pas un cœur qui soit de pierre »… La caricature est bien trop crédible et passerait presque pour un documentaire : c’en est trop pour nos dévots ! Ces derniers n’aimaient déjà pas beaucoup le théâtre… ni les cabarets, ni les chansons, ni le tabac, ni les robes trop décolletées… Avec l’aide de l’archevêque de Paris, ils réussirent à faire interdire la pièce à sa sortie.

Ils revinrent à la charge avec encore plus de violence à la sortie du Dom Juan du même auteur (initialement titré Le Festin de pierre), pièce écrite dans l’urgence en 1665 pour faire vivre la troupe pendant l’interdiction du Tartuffe. Selon eux, la pièce faisait l’apologie du libertinage. Molière dut même modifier la fin de sa pièce pour pouvoir la jouer : un anti-héros aussi immoral ne pouvait décemment pas s’en sortir à la fin… On aimait déjà réécrire les œuvres pour les purifier de toutes leurs déviances. 

Finalement, cinq ans après la première du Tartuffe, le roi, soutien de Molière, fit dissoudre la Compagnie du Saint-Sacrement et la pièce put enfin être jouée. Détail amusant : la comédie provoqua de nouveau le courroux des dévots et fut interdite trente ans plus tard… à Québec, en Nouvelle-France, dans une colonie demeurée plus pieuse et plus conservatrice que sa mère patrie. Les admirateurs de Justin Trudeau, le grand prêtre de la moraline woke, apprécieront.

Comme Depardieu aujourd’hui, Molière était un géant de la comédie de son vivant. Sa liberté, son charisme, son mépris des convenances étriquées, son goût pour la provocation, la raillerie, l’irrévérence, et surtout son succès dans toutes les classes de la population ne plaisaient guère aux gardiens auto-proclamés de la bienséance.

Pour couronner le tout, des rumeurs circulaient sur sa vie privée après son mariage avec Armande Béjart, la jeune sœur de sa collaboratrice, Madeleine. Certains étaient même persuadés qu’Armande était en réalité la fille de Molière et de Madeleine et que l’écrivain avait donc épousé sa fille. Au moment de l’union, Molière avait quarante ans et Armande, dix-neuf ans… Le Woody Allen du Grand Siècle, en quelque sorte. À quel traitement aurait-il droit, aujourd’hui, dans les pages du Huffington Post ?

Si le cas de Molière est le plus célèbre, la censure morale influencée par des groupes plus ou moins religieux s’exerça férocement sur des scènes aussi bien parisiennes que provinciales jusqu’à la Révolution. La cabale d’une partie du clergé eut raison de plusieurs représentations du Mariage de Figaro, de Beaumarchais. Attaqué en justice pour impiété et scélératesse par les dévots, Voltaire dut retirer sa pièce Le Fanatisme ou Mahomet le Prophète de la scène de la Comédie-Française, après seulement trois représentations, pour prévenir son interdiction. 

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Madame Sellier devrait avoir l’honnêteté de reconnaître que s’il y a bien un aspect de notre époque qui nous rappelle particulièrement l’Ancien Régime, c’est surtout le retour en force de la censure, prôné par des groupes d’influence prétendant avoir l’intérêt commun chevillé au cœur et ayant fait de l’irréprochabilité du comportement des autres le combat de leurs vies. Mais elle préfère fustiger le goût de la grivoiserie qui serait particulièrement français et qui devrait, selon elle, disparaître avec le vieux monde qui s’éteint. Les puritains ont toujours méprisé le rire et en particulier les plaisanteries grossières du petit peuple, leur préférant la platitude sinistre des échanges convenus entre petits bourgeois éduqués.

La face sombre du mouvement MeToo continue d’imposer sa terreur vengeresse dans les rédactions et sur les plateaux de tournage. La liste d’acteurs maudits s’allonge alors que les actrices ne peuvent plus. Quand le cinéma français aura bien été purgé de ses éléments infréquentables, les films plairont, à n’en pas douter, aux dévots zélés de ce début de siècle, qui aiment autant le cinéma que leurs ancêtres appréciaient le théâtre.

Jacques Delors: l’architecte critique de son propre ouvrage

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L’ancien président de la Commission européenne vient de décéder à l’âge de 98 ans. Il est célébré par les europhiles qui voient en lui un visionnaire, tandis que les eurosceptiques le vouent aux gémonies. Pourtant, Delors lui-même n’approuvait pas tout à fait ce que l’UE est devenue.


Il était, avec Roland Dumas, avec Pierre Joxe et un ou deux autres, un des derniers dinosaures de la Mitterrandie encore vivants. Jacques Delors s’est éteint ce mercredi 27 décembre. Figure de la deuxième gauche, libérale, « raisonnable » et américaine, l’action de Jacques Delors est saluée aujourd’hui par les médias officiels. Dans les chapelles souverainistes, on se souvient au contraire de son rôle dans le façonnement de l’actuelle Union Européenne.

Une cohérence certaine

On pourrait déceler dans le parcours de Jacques Delors des revirements extraordinaires : syndicaliste à la CFTC, il participe à la scission qui va déboucher sur la naissance de CFDT ; proche conseiller de Jacques Chaban-Delmas au début des années 70, il rejoint en 1974 le Parti socialiste. De plus près, ils sont pourtant l’indice d’une cohérence certaine. Anticipant le risque d’alternance du pouvoir et de victoire de la gauche, Jacques Chaban-Delmas avait voulu intégrer une dose de réformes socialisantes. Il s’entoure alors de cet ancien attaché au cabinet du directeur général de la Banque de France. En contribuant grandement au projet de « Nouvelle Société » chère à l’ancien maire de Bordeaux, Delors va chapeauter un logiciel alliant libertarisme sociétal et technocratie modernisatrice. Malgré le cuisant échec de Chaban à la présidentielle de 1974, la « Nouvelle Société » sera en quelque sorte le fil conducteur des cinquante années qui vont suivre et inspirera de manière plus ou moins consciente tous les successeurs de Georges Pompidou.

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1981. La gauche arrive enfin au pouvoir. Les lendemains qui chantent sont pour demain. Jacques Delors, jadis situé à l’aile gauche de la droite, est désormais à l’aile droite de la gauche. Arrivé un peu trop récemment, il est regardé de travers au sein du Parti socialiste. Mitterrand, l’appelle « la grande nerveuse », mais le nomme ministre de l’économie. Jacques Delors fait partie des réalistes catastrophés par les effets des nationalisations sur les finances publiques et œuvre pour un changement de politique. En mars 1983, il obtient de l’Allemagne le permis de mener une troisième dévaluation. Une belle réussite : le Président compte le nommer premier ministre. Delors ne se voit guère à la tête d’un gouvernement où ses rivaux, Fabius et Bérégovoy, fraichement convertis au réalisme économique, siégeraient en bonne place. Finalement, c’est Fabius qui est nommé.

Une carrière internationale

En 1985, Jacques Delors prend la tête de la commission européenne. Il inaugure alors une tradition de technos français (poursuivi par Jean-Claude Trichet à la tête de la Banque centrale et par Pascal Lamy à la tête de l’OMC), bâtisseurs de la mondialisation libérale, plus orthodoxes que l’orthodoxie, toujours prêts à mettre des bâtons dans les roues des nations, plus encore quand il s’agit de la nation française. Jacques Delors invente, au sujet de l’Europe, l’oxymore « fédération d’états-nations », qui, quand on le regarde de plus près, ne va pas dire grand-chose.

Bien sûr, on se souvient du combat épique de Maastricht. Les esprits s’échauffent. Dans le tumulte de la campagne, Jacques Delors lâche, fin août 1992, à Quimper : « [Les partisans du « non »] sont des apprentis sorciers. […] Moi je leur ferai un seul conseil : Messieurs, ou vous changez d’attitude, ou vous abandonnez la politique. Il n’y a pas de place pour un tel discours, de tels comportements, dans une vraie démocratie qui respecte l’intelligence et le bon sens des citoyens ». Delors promet : « L’euro nous apportera la paix, la prospérité, la compétitivité et, rien que pour la France, il se traduira par la création d’un million d’emplois ». Chacun appréciera le résultat. Plusieurs années plus tard, Jean-Pierre Chevènement, principal héraut du non de gauche, de passage chez Laurent Ruquier pour présenter un livre, persiflait ainsi : « Je ne dis absolument pas de mal de Jacques Delors [dans mon livre], sauf à travers les propos que lui-même tient sur son action ». En fait, le gros du travail avait été fait quelques années plus tôt avec l’Acte unique, en 1986, dont Delors a été l’initiateur et le négociateur. Avec l’Acte unique, l’Europe passe du marché commun au marché unique ; il devient interdit aux États de contrôler et de limiter la circulation du capital entre pays membres de l’UE… et même vis-à-vis des pays-tiers.

A l’instar de Gérald Darmanin, bien connu désormais des supporters du FC Liverpool, Jacques Delors s’offre à la tête de l’Europe une stature internationale. Margaret Thatcher, au début des années 90, en fait sa tête de turc favorite. Le tabloïd The Sun emboite le pas et titre : « Up yours Delors », deux doigts bien visibles, l’équivalent anglais du doigt d’honneur.

A nos actes manqués

La présidentielle de 1995 approche. Et là, c’est le drame. Malgré des sondages favorables, Jacques Delors renonce, en direct, chez Anne Sinclair. Dans les cinq dernières minutes de l’émission, l’invité lit un texte à l’antenne, pour dire qu’il n’y va pas. Certains ont voulu apporter une explication psychanalytique : Delors n’a pas voulu compromettre les espérances présidentielles de sa propre fille, Martine Aubry. Et puis, la rencontre avec les électeurs et la pratique du suffrage universel, quand on a été tant d’années commissaire européen non élu… En renonçant, l’ancien ministre de l’économie a peut-être retardé de vingt-deux ans la grande recomposition qui a eu lieu en 2017. Sa candidature aurait pu rallier à elle une bonne partie du centre droit, et pousser à un rapprochement de Jean-Pierre Chevènement et de Philippe Seguin, principales figures du non de 1992. Depuis, le camp souverainiste en est réduit à espérer une alliance de Florian Philippot et de François Asselineau. Le champ des possibles s’est un peu rétréci.

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Jacques Delors a donc été l’un des pères de l’Europe telle qu’elle fonctionne aujourd’hui – ou plutôt, telle qu’elle ne fonctionne pas. En 2015, l’architecte se montrait tout de même critique à l’égard de son propre ouvrage : « Ce système n’est plus gouvernable, cela ne peut plus durer. Il faut refonder cette Union économique et monétaire. Vont-ils le faire? Il y a eu un vice de construction au départ. Il y a eu aussi des bêtises et une incapacité de l’eurozone à y mettre fin ».

Depuis 24 heures, la mort de Delors passionne les médias officiels, pas avares de louanges, mais aussi les eurosceptiques. Autre dinosaure de la mitterrandie mais adversaire de Jacques Delors, Jean-Pierre Chevènement a écrit sur son site :

« Nul ne saura jamais surestimer le rôle de Jacques Delors dans l’orientation de la politique de François Mitterrand dans les années 1980. C’est lui notamment qui a imposé, à travers le marché unique et le mécanisme de l’Acte unique, le gigantesque transfert de pouvoir à la Commission européenne. Par le truchement de celle-ci, Jacques Delors a infusé dans la politique française une dose de néolibéralisme supérieure à toutes celles qu’il eût été possible d’imposer par la voie légale normale. Il a ainsi infléchi de manière indélébile la trajectoire de la gauche française.

« Pour autant, nul ne contestera la grande rigueur de Jacques Delors ou encore la cohérence qu’il y avait entre ses propos et ses actes. Jacques Delors n’a cherché à tromper personne. Ses adversaires, comme ses partisans, s’accorderont donc au moins sur un point : saluer son intégrité. En ce sens, Jacques Delors est un des derniers représentants d’une époque où les hommes politiques disaient ce qu’ils faisaient et faisaient ce qu’ils disaient ».

La France compte 68 millions de sujets sans compter les sujets d’agacement !

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Certes, Noël est la saison de la joie et de la bienveillance, mais n’oublions pas pour autant les nombreux motifs d’agacement pour lesquels la trêve n’existe pas. Philippe Bilger en a dressé sa liste personnelle.


Pour ceux qui ne reconnaîtraient pas mon plagiat, j’avoue que je me suis inspiré pour ce titre du redoutable polémiste Henri Rochefort, qui avait écrit dans l’Almanach impérial : « La France compte trente-six millions de sujets sans compter les sujets de mécontentement ».

Je me suis autorisé cette plaisanterie, d’abord parce qu’il me semble que cette courte période d’accalmie – relative – la permet, ensuite en raison du fait que confronté à l’embarras du choix pour les thèmes, j’ai décidé de les réunir parce que d’une manière ou d’une autre, ils suscitent mon agacement.

D’abord Pascal Praud. J’aime beaucoup le Canard enchaîné qui cultive la tradition française du sarcasme souvent drôle et intelligent même s’il a ses cibles et que parfois il s’obstine à n’en pas changer. Il pointe ici, sous « La noix d’honneur », une réponse de PP, questionné dans le Figaro Magazine sur son envie de se lancer en politique : « Chacun doit rester à sa place ! À mon âge, on ne se lance pas dans une telle aventure. Je n’en ai ni le profil ni l’envie ni les capacités ». Le Canard se moque : « La France s’en remettra-t-elle » ?

On aurait pu au contraire féliciter l’animateur de CNews et d’Europe 1 pour sa clairvoyance et sa modestie non feinte mais il fallait bien sûr, comme il s’agissait de PP (qui se moque d’ailleurs des critiques à son encontre), lui imputer à charge ce qui généralement aurait plutôt mérité une louange. Agacement de ma part.

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L’Union européenne (Conseil européen et Parlement européen accordés) a mis à mal le principe d’égalité devant la justice (Le Figaro). Les personnes les plus exposées aux attaques médiatiques, politiques et contentieuses (dirigeants d’entreprise, responsables publics, etc.) seront, en substance, privées du droit d’obtenir réparation et justice pour des « imputations infamantes » lorsque celles-ci seront le fait « de particuliers ou organisations engagés dans la défense des droits fondamentaux et des divers autres droits tels que les droits environnementaux et climatiques, les droits des femmes, les droits des personnes LGBTIQ, les droits des personnes issues d’une minorité raciale ou ethnique, les droits des travailleurs ou les libertés religieuses ».

Cette protection qui instaurera des privilèges procéduraux choquants en faveur de ces particuliers ou organisations « nobles » est inspirée, selon la Commission européenne à l’initiative de ce texte, par la volonté de favoriser « le faible » contre « le puissant ». C’est le retour, sur le plan européen, de la harangue d’Oswald Baudot, qui a gangrené la justice française à partir de 1968. Agacement.

Le Général Reiland, commandant de l’Office central de lutte contre les crimes contre l’humanité et les crimes de haine (OCLCH) déplore, alors que les actes antisémites flambent, que « trop de victimes de crimes de haine ne se fassent pas connaître ». L’impunité commence là, d’abord : avant même que la justice soit saisie. Quand la haine n’est connue que de ceux qui l’ont subie. Dans le silence, la résignation, la douleur muette. Agacement.

Le tribunal de Bobigny prépare aussi les JO (Le Parisien). Une fois qu’on a rendu hommage au volontarisme et au travail de tous ceux qui y oeuvrent, la tableau qui est dressé fait peur. Tant de dossiers en souffrance, en retard, en enlisement. J’ai appris que des parquets se déplacent dans des commissariats pour classer systématiquement une multitude de plaintes demeurées non traitées. Je suis sûr qu’on aurait pu faire autrement, qu’on pourrait mettre le citoyen au centre et TOUT accomplir, coûte que coûte, pour répondre à ce quoi il a droit. Agacement.

300 000 euros de marchandises volées au Secours populaire et l’entrepôt d’Echirolles saccagé peu avant Noël : il abritait des colis destinés aux familles accompagnées par l’association (L’Obs). Plus que des voyous si j’ose dire. Des sadiques de la transgression. On ne les a pas encore interpellés. Agacement.

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La future réforme de la garde à vue fera baisser l’efficacité des enquêtes. Les policiers ne pourront plus poser la moindre question à un suspect sans la présence de son avocat (Fdesouche). Quand l’ensauvagement augmente, l’État de droit se couche. Agacement.

« Un voyage humaniste » à Auschwitz en janvier pour le sport français (RMC Sport). Celui-ci est-il tellement déconnecté, voire insouciant ou indifférent, pour qu’on soit obligé de l’embarquer dans une entreprise de groupe ? Tous les citoyens qui vont y participer ne pouvaient-ils pas songer à le faire avant, libres, responsables, non téléguidés ? Pas en tant que sportifs, comme des humains ? Et on voudrait faire des sportifs des héros ! Agacement.

Tous ces sujets d’agacement, j’ai conscience qu’ils résultent de mon humeur infiniment subjective mais profondément soucieuse de liberté et de justice dans tous les sens du terme.

Ceux qui liront ce billet auront les leurs.

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Conneries en chansons

Avant que l’année 2023 ne prenne fin, revisitons une des histoires qui ont marqué l’actualité: l’antisémitisme de Médine, invité aux journées d’été d’EELV. C’est un fait, les rappeurs ont souvent tendance à déraper. Même si ce n’est pas forcément bon pour le business, cela ne dérange pas leur auditoire ni certains partis politiques…


EELV aurait dû savoir que, pour un parti ou une entreprise, s’associer à un rappeur à des fins politiques ou commerciales est risqué. Certes, tout le rap n’est pas antisémite, loin de là, mais la persistance de cette forme de racisme dans le milieu hip-hop, quel que soit le pays, est inquiétante. Qu’il s’agisse de paroles de chansons ou de messages postés sur des comptes Twitter ou Instagram suivis chacun par des centaines de milliers d’internautes, certaines vedettes osent tout : insultes antisémites, théories du complot, admiration d’Hitler, négationnisme, théorie selon laquelle les Noirs sont les « vrais » juifs…

L’année dernière, une série de tweets de l’Américain Kanye West, connu désormais sous le nom de Ye, lui ont coûté des partenariats lucratifs avec Adidas, Balenciaga et Gap, ainsi que son statut de milliardaire. En 2020, un autre Américain, Nick Cannon, a été viré par le géant des médias ViacomCBS après un podcast, et l’Anglais Wiley a connu un sort similaire après une rafale de posts délirants sur les réseaux sociaux. Toujours outre-Atlantique, un tollé indigné a accueilli des rafales comparables par Ice Cube et Jay Electronica. Ce dernier a sorti un album comportant des paroles antisémites et la voix de Louis Farrakhan, le fondateur de la Nation de l’islam.

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En France, Freeze Corleone a été lâché par Universal Music à cause de ses paroles, et une autre entreprise, BMG, a dû annuler un accord de 2021 avec lui pour une raison similaire. La même firme a dû faire face à une tempête médiatique en Allemagne en 2018, quand le duo Kollegah et Farid Bang a gagné le prix du meilleur album hip-hop malgré des références insupportables à la Shoah. Des cas similaires ont été repérés en Belgique, aux Pays-Bas et en Norvège. L’histoire de l’antisémitisme dans le rap remonte à la fin des années 1980 et au groupe Public Enemy. Médine peut au moins se consoler en pensant qu’il fait partie d’une longue tradition et que leurs dérapages n’ont jamais entamé la popularité de ces artistes.

Vive le Berry libre et indépendant !

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Raynal Pellicer et Frèd Langout signent une bande-dessinée humoristique sur une province abandonnée et cependant hautement estimable aux éditions Librairix. Les Berrichons relèvent enfin la tête sans se prendre au sérieux !


Entendez-vous ce cri qui s’élève du fond des campagnes françaises ? Le cri des terres de l’intérieur poussé par une vague d’ennui, la désertification et l’amour de la vigne ; celui aussi du chanteur abandonné ou du pilier de bar désœuvré. Du Centre de la France, au pied des coteaux de Sancerre, au sommet de la Cathédrale Saint-Etienne, des rues pavées de Bourges aux étangs de la Brenne, dans les pas de Jacques Cœur ou dans la voix de Jean-Louis Boncoeur, le Berry appelle au secours dans l’indifférence générale. Il invoque son quart d’heure de célébrité en dehors des périodes du Printemps, son Festival de musique qui faisait fuir naguère les Berruyers indisposés par cette jeunesse désordonnée et chevelue. Avouez-le, vous ne connaissiez même pas son existence géographique ; je sais que vous confondez le Berry avec l’Auvergne, vous mélangez la Sologne et le Bourbonnais, le Nivernais et la Beauce, vous ignorez tout de cette diagonale du vide qui coupe Issoudun en sa Basilique. Les caméras de télévision ne se déplacent chez nous qu’en cas de visite papale ou de tuerie de masse, c’est dire que nous encombrons peu les écrans, mêmes nos faits divers ont de la boue collée à leurs bottes.

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Pourtant, à la seule évocation du mot « Cognette », j’ai connu des fines gueules défaillir, et la mort au combat du lieutenant d’infanterie Alain Fournier en septembre 1914 au sud de Verdun dans les Hauts de Meuse, loin de son école de la Chapelle d’Angillon, nous émeut encore. Ma grand-mère se souvenait de la visite du Général et de Malraux, le 14 mai 1965, dans cette Maison de la Culture construite en briques rouges ; ce jour-là, De Gaulle et Calder engagèrent une conversation autour du « Stabile », le sextant de ma jeunesse, cette sculpture que j’ai longtemps prise pour un taureau égaré dans le Boischaut mais qui faisait référence à l’œuvre de Shakespeare. Vous n’avez certainement jamais vu la gare de Vierzon, un soir d’hiver ! Il y a des tristesses qu’un honnête homme ne doit pas ignorer dans une vie de pénitence. Il faut dire que cette ligne ferroviaire est la hantise des voyageurs tant sa régularité est surréaliste. Elle n’a rien à envier à celle de Perpignan si Dalí avait seulement daigné remonter le cours de la Loire.

Quand d’autres provinces ont droit à leur signalétique propre, leur langue régionale calligraphiée, leurs traditions vantées à coups de reportages aux 13 Heures, leur singularité poétisée par les grands artistes encartés du moment, leur gastronomie copiée dans les palaces du Nouveau Monde, le Berry semble cet éternel recalé. Absent de la photo. Aussi fade qu’un plat de lentilles du Puy, celles du Berry, incomparables, sont notre or vert. Le Berrichon porte le bonnet d’âne (noir) du mauvais élève de la classe européenne. Il ne peut s’enorgueillir d’aucune richesse particulière, ni minerais de fer ou de phosphate dans son sous-sol, quelques girolles et rosés des près à la rigueur, esseulé, il ne se prévaut d’aucune qualité particulière lors des réunions de famille. Sa Miss a ainsi mystérieusement disparu du concours national.

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Le Berrichon n’est pas aussi économe que son voisin auvergnat, pas aussi sympathique que le Chti, pas aussi fier que le Basque, pas aussi têtu que le Breton, que lui reste-t-il donc ? Il aimerait lui aussi briller en société. Dans cette folle concurrence des identités bafouées, face à un État centralisateur et volontiers méprisant, les deux auteurs de BD ont eu l’idée croquignolesque de suivre les mésaventures de Guillaume Ledoux, le chanteur des Blankass dans sa quête d’un Berry libre et indépendant. Une auto-détermination emmenée par une bande de bras cassés et de doux rêveurs, où la soulographie et les crises existentialistes sont des prétextes à la déconnade. La foirade est leur univers impitoyable. Adieu Paris ! sous-titré « Make Berry Great Again » a été tiré à 3 000 exemplaires dans sa première édition. Tous les Berrichons qui se respectent ont déjà été l’acheter car c’est un futur collector. Il a sa place dans une bibliothèque entre Paris-Berry de Frédéric Berthet et Berry Story d’A.D.G. Je l’ai trouvé chez Librairix, rue Coursarlon à Bourges, après avoir fait mes emplettes de Noël chez les bouquinistes de la rue Bourbonnoux, notamment l’achat à la Bouquinerie Pass’âge de la Petite flore argotique de Robert Giraud illustrée par Gilles Sacksick, ouvrage paru chez Dominique Halévy en 1968. Pour les locaux, cette BD sera pleine de trouvailles et de « private jokes », elle est noyée sous des litres de Quincy et de Menetou-Salon, on y croise évidemment Depardieu et Denisot, des tours de sorcellerie, une poule noire réfractaire et un anarchisme rural canal historique. Une histoire qui commence à la table de C’heu l’Zib, troquet de légende validé par le Prince d’Arenberg, entre le brochet à la crème et la charlotte au chocolat, est une belle entrée en la matière. Un midi, je suis sorti de cette table à 17 h 30, les forces de l’esprit sont redoutables dans cet endroit-là. Parmi les 25 propositions pour un Berry libre et indépendant, je retiens la mesure numéro 1 : « La prolongation du canal de Berry jusqu’à la mer » et la numéro 21 : « L’interdiction de la bourrée pour des raisons sanitaires ».

Raynal Pellicer et Fred Langout, Adieu Paris !  (Librairix éditions, 2023)

La France des clochers va-t-elle tonner ?

De nombreux témoignages de participants à la fête de Crépol confirment les motivations racistes de leurs agresseurs. Avec l’assassinat de Thomas, la France rurale découvre l’ensauvagement ethnico-religieux qui prend les Blancs pour cible. Malheureusement, elle ne peut compter sur le gouvernement pour désigner les coupables.


« La vie de Thomas, elle valait la vie des autres aussi. On n’est pas rien. On n’a pas le droit de prendre la vie de quelqu’un d’autre comme ça. » Les mots d’Annick recueillis par CNews en marge des obsèques de Thomas disent à la fois la sidération et la violence du séisme qui a frappé la petite communauté de Crépol. Ce « on n’est pas rien » dit justement le contraire : Thomas a été tué parce que justement, pour ses meurtriers, il n’était « rien ».

Les témoignages des jeunes habitants de Crépol[1] qui participaient à cette soirée, recueillis dans le podcast du Dauphiné libéré, sont éclairants. Plusieurs déclarent avoir entendu le petit commando d’agresseurs annoncer qu’« ils étaient là pour tuer du Blanc ». Ils parlent tous d’une soirée qui se termine dans le plus grand chaos, du sang partout, qui coulait, qui giclait, ils parlent de leur terreur : « C’est pas juste une bagarre de bal comme on a l’habitude. Là, ça a direct sorti les couteaux », souligne un jeune homme. Une jeune fille raconte : « Ils sont arrivés à 15, 20 personnes. Ils ont encerclé la salle des fêtes, ils ont essayé de forcer l’entrée […]. Quelqu’un a dit : “Il y a des couteaux, rentrez tous. Je saigne, je saigne.” On est tous rentrés dans la salle, on s’est enfermés. Et pour nous à l’intérieur, c’était l’enfer. On a vécu cela comme un attentat. » La journaliste demande aux jeunes pourquoi, selon eux, cela s’est arrêté. La réponse est directe :« Ils avaient fini ce qu’ils avaient à faire, ils avaient fini leur boucherie. »

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Ce que la France des clochers a compris, c’est qu’un de ses enfants a été tué et nombre d’autres blessés à coups de couteau, simplement parce qu’ils étaient blancs et qu’il n’en faut pas plus aujourd’hui à certains pour passer à l’acte. Ses habitants ont découvert une vérité insupportable : ils sont des proies à cause de ce qu’ils sont. Cette prise de conscience entre en résonance avec une actualité dramatique qui voit des Juifs se faire tuer parce qu’ils sont juifs, ainsi qu’avec les attentats islamistes qui se succèdent en France depuis 2012.

Un effacement de la réalité

Venir planter du Blanc était une des motivations de la bande qui a fondu sur le petit village de Crépol. Lui ôtant au passage la seule richesse qui lui restait : sa tranquillité. Les gens qui ont participé aux obsèques de Thomas sont dignes, silencieux, recueillis, mais si leur colère est rentrée, elle n’en est pas moins profonde. « Ça nous rend fous, on veut faire entendre que c’est un attentat. C’est pas une bagarre, c’est pas un règlement de compte », déclare l’un des témoins. Dans ce climat, le traitement médiatique et politique de l’affaire ne peut qu’exacerber les rancœurs.

Alors que très vite témoignages, photos, informations sur l’identité des agresseurs filtraient sur les réseaux sociaux, la presse insistait sur le fait qu’ils étaient Français, utilisant en boucle le terme de « Romanais » (habitant de Romans-sur-Isère), comme il était question de Dijonnais quand des affrontements entre Tchétchènes et Maghrébins (français) avaient explosé à Dijon. L’objectif était d’effacer ce que tout le monde avait vu : le fait que cette violence gratuite, provenant de jeunes issus de l’immigration, était construite sur une haine raciale revendiquée. Tout s’est passé comme si la violence ethnique devait être niée. Faute d’avoir des réponses à apporter, le gouvernement noie le poisson. Il reconnaît l’ensauvagement, mais fait comme s’il était général. Or, Crépol montre, si besoin est encore, que cet ensauvagement est alimenté par une idéologie ethnico-religieuse qui fait de plus en plus des Blancs la cible d’une « diversité » sous influence. Ce déni finira par conduire à ce qu’il croit éviter : le rejet mutuel et la montée aux extrêmes.

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Que des jeunes radicalisés et hyperviolents n’existent que dans l’exacerbation de la haine et l’affrontement est une chose, que cela leur donne un pouvoir sur le gouvernement de la France en est une autre. En donnant le sentiment qu’il tremble devant les quartiers, l’exécutif confirme que le rapport de force a remplacé la justice sociale. Le symbole de cet abandon : la minute de silence organisée à l’Assemblée nationale pour un jeune délinquant tué après un refus d’obtempérer quand, pour Thomas, l’idée n’a effleuré personne. Un peuple qui ne se sent ni protégé ni reconnu par ses représentants, et qui les voit donner des gages symboliques à des voyous, sera porté à écouter les entrepreneurs identitaires. « On n’est pas rien », disait Annick. Le pouvoir leur répond en substance : si, vous n’êtes rien puisque vous ne faites pas d’émeutes et que vous ne tuez pas.

Rendre des comptes

Ce sentiment alimente une révolte sourde, diffuse, comparable à celle qui a suscité les gilets jaunes. Elle est peut-être à terme plus dangereuse que l’expédition des militants néonazis contre les habitants du quartier de la Monnaie, d’où sont issus les assassins de Thomas. Pourquoi ? Parce que face à ces milices-là, la République ne tremble pas. Quand il s’agit de combattre des groupuscules marginalisés qui, faute d’être adossés à des groupes sociaux ou ethniques constitués, n’exercent pas d’emprise sur la société, c’est relativement simple. Ainsi la police n’a guère de mal à les maîtriser. Intervenir dans les quartiers comme la Monnaie pour aller chercher de jeunes délinquants qui y vivent est une autre affaire. Un habitant de Crépol, interviewé dans le reportage du Média pour tous, média lié aux gilets jaunes et à l’ultradroite, évoque directement la question de la vengeance : « Pour le pardon, il faut que justice soit faite. » Le problème est qu’une grande partie de cette France-là n’y croit plus, à la justice. Pour l’instant, elle ne se tourne pas vers les néonazis qui voudraient traduire le choc des civilisations en guerre civile, mais vote de plus en plus pour le Rassemblement national. Peut-être qu’après Crépol, il ne faut plus se demander si Marine Le Pen deviendra présidente de la République, mais quand.


[1]. « Drame de Crépol : “J’ai vu mon pote Thomas se faire poignarder” », Le Dauphiné libéré, 22 novembre 2023.

La persécution islamiste des chrétiens nigérians

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À l’approche des célébrations de Noël, un groupe d’hommes armés a mené des attaques coordonnées sur plusieurs villages situés dans l’État du Plateau, au Nigeria. Plus de 200 personnes ont été impitoyablement massacrées. Ces actes se sont déroulés dans un contexte de tensions religieuses exacerbées, liées à une lutte acharnée pour le contrôle de l’eau et des terres. Au Nigéria, comme dans d’autres pays en développement, les chrétiens sont les victimes du fanatisme islamiste.


C’est une véritable tragédie qui a frappé la République fédérale du Nigeria à la veille des fêtes de Noël. Dans l’État du Plateau, une quinzaine de villages ont été simultanément attaqués par des « bandits », laissant derrière eux des monceaux de cadavres et des dizaines de maisons pillées et réduites en cendres. Plus de 200 personnes auraient été assassinées selon le bureau d’Amnesty International qui a annoncé que ce chiffre pourrait être plus élevé. Plusieurs personnes demeurent encore disparues laissant planer l’incertitude quant à leur sort : fuite ou enlèvement. Interrogés, certains habitants ont déclaré qu’il avait fallu plus de 12 heures avant que les services de sécurité ne répondent à leur appel à l’aide et rejoignent les rescapés de ce massacre qui a fait les titres des médias locaux. 

Aucun groupe n’a revendiqué la responsabilité de ces attaques, mais tous les indices pointent vers les nomades-éleveurs de l’ethnie Haoussa-Fulani (ou Peuls). Ces derniers ont déjà été accusés par le passé d’orchestrer des massacres dans les régions du nord-ouest et du centre, dans le but de s’approprier les terres et l’eau. Un conflit exacerbé par une démographie élevée, le réchauffement climatique et l’antagonisme croissant entre chrétiens et musulmans, alimenté en partie par l’activisme meurtrier du groupe islamiste Boko Haram, affilié à l’État islamique depuis 2015, dans le nord du pays. Parmi les victimes, on compte une majorité de villageois, dont de nombreux chrétiens, y compris des pasteurs protestants. Solomon Gushe, révérend de l’église baptiste de Dares, un des villages ciblés, a été froidement assassiné avec neuf membres de sa famille comme le rapporte le Christian Daily International-Morning Star News. Le quotidien évoque même un autre pasteur tué avec ses cinq enfants. 

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Face à cette atrocité, l’Association chrétienne du Nigéria (CAN), sous la direction de l’archevêque Daniel Okoh, a vivement condamné cette récente attaque contre les chrétiens de ce pays. Dans un communiqué officiel, l’association déclare : « Nous réprouvons fermement ces actes de violence. L’incendie délibéré de maisons et de lieux de culte, ainsi que la destruction de biens d’une valeur de millions de nairas, ne constituent pas seulement des crimes, mais également une attaque directe contre nos valeurs fondamentales de paix, d’unité et de respect mutuel. De tels agissements n’ont pas leur place dans notre société et ne doivent en aucun cas être tolérés ».

Au-delà de l’émotion suscitée, la politique mise en place par le président Bola Tinubu est également critiquée. Élu cette année avec la promesse de mettre fin à ce type d’exactions qui secouent régulièrement ce géant pétrolier, le dirigeant nigérian a ordonné que toutes les mesures nécessaires soient prises pour retrouver les coupables. L’armée nigériane a lancé une opération visant à localiser et à arrêter les criminels, en collaboration avec d’autres agences de sécurité, bien que les arrestations soient rares lors de telles attaques. Abdullsalam Abubakar, à la tête de l’opération spéciale d’intervention de l’armée dans le Plateau et les États voisins, a affirmé que ses forces ne se reposeraient pas tant qu’elles n’auraient pas identifié les responsables de ces massacres. Isa Sanusi, le directeur d’Amnesty Nigeria, a exprimé son agacement face au manque de « mesures concrètes » prises par le gouvernement actuel pour « protéger les vies des Nigérians ». Il rappelle que, parfois, des arrestations sont prétendument annoncées, mais aucune preuve tangible n’est fournie, déplorant l’incapacité manifeste des autorités à assurer la protection de la population nigériane, avec des assassinats devenus progressivement la norme.

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Selon un rapport récent sur les « chrétiens martyrs au Nigeria », publié par une ONG nigériane, la Société internationale pour les libertés civiles et l’État de droit (Intersociety), plus de 50 000 chrétiens ont perdu la vie au Nigeria depuis le début de l’insurrection de Boko Haram en 2009. Le rapport indique que 18 000 églises et 2 200 écoles chrétiennes ont été incendiées, que 5 millions de chrétiens ont été déplacés ou ont trouvé refuge dans des camps. Par ailleurs, les musulmans modérés ne sont pas plus épargnés. Avec 34 000 d’entre eux tués, ils ont été aussi les malheureuses victimes de ces attaques djihadistes au cours de ces deux dernières décennies. 

Depardieu : les bourreaux avant les juges

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Ceux qui sont derrière la vindicte médiatique dirigée contre Gérard Depardieu ont doublement tort: non seulement ils violent le principe de la présomption d’innocence, mais ils ont aussi échoué à apprendre les leçons du passé. Un cas récent comme celui d’Ary Abittan aurait dû les inciter à plus de prudence. Tribune du journaliste, Bernard Bernard.


Soutien sans aucun équivoque à Gérard Depardieu, dans la tourmente du grand lynchage médiatique, orchestré par une poignée de « journalistes-scribouillards » à la recherche du Grand Soir, en mal de notoriété mais surtout à la morale disons… élastique. Poursuivie hardiment par la cohorte bêlante d’un mouvement très en vogue, cette odieuse lapidation ne grandit pas vraiment leurs vertueux initiateurs à la recherche du sacro-saint scoop, d’essence orgasmique, qui fait frissonner ceux que désormais je n’appelle plus confrères. Et qui veulent gonfler leur renom autant que leur bourse…

Ainsi dévoyée, la cause qu’ils prétendent défendre ne sort guère grandie de cette odieuse chasse à l’homme. Ont-ils oublié, ces petits commis de scandales que pour l’heure – encore – c’est la Justice qui tranche et non pas eux, bourreaux-marionnettes avant les juges souverains ? Et que la présomption d’innocence reste l’apanage d’un système judiciaire façonné au fil du temps par l’esprit de la démocratie qui, même s’il n’est pas parfait, demeure l’un de ses pivots essentiels.

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Le comédien Ary Abittan, voué un temps aux gémonies, en sait quelque chose, après avoir traversé les flammes d’un enfer du même tonneau. En octobre 2021, la même meute, mais avec d’autres chiens, s’acharnaient sur ce fantaisiste en pleine ascension, plébiscité par le public. Mis en cause par une jeune femme de 23 ans qui l’accusait de viol, il était rapidement mis en examen pour ces faits. Les médias de tout poil reprenaient l’info… et sonnaient l’hallali. Contrats rompus, représentations annulées, tournées supprimées, revers d’image : ces fatwa d’un nouveau genre laissaient l’homme stupéfait, prostré, interdit… Lui qui surfait si allègrement d’habitude sur les réseaux sociaux, s’auto-condamnait au silence en mutilant son art de l’espièglerie, sous ce linceul si hardiment jeté. Les rares médias qui tentaient de calmer le jeu, en soufflant sur les braises déclinantes de la présomption d’innocence, voyaient leur écho se perdre dans le vent. Vaille que vaille, la chaîne d’infos CNews, rappelait régulièrement la presse à plus de mesure.

En juillet dernier, deux magistrats en charge de « l’affaire » estimaient que de nouveaux éléments affaiblissaient notablement la charge. Ils plaçaient l’acteur sous le statut de témoin assisté, en suivant les réquisitions du parquet. Mais là, point de tonitruante publicité de la part des Fouquier-Tinville de l’imprimerie ou des ondes.

Petit à petit l’humoriste renoue désormais avec son public mais, même si la justice le dédouane un jour, lui reviendront régulièrement des relents nauséabonds de fumée et de feu, issus de dictons populaires dévoyés.

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La comparaison entre Gérard Depardieu et Ary Abittan vaut ce qu’elle vaut et la justice tranchera, même si la tête de notre Christophe Colomb national vacille déjà sous le tranchant de cette épée manipulée.

Un dernier élément au débat peut-être ? Il n’y a pas si longtemps, combien était-elles ces jeunes filles énamourées, ces jolies femmes en pamoison devant leur idole ou une quelconque célébrité, dans l’attente d’un regard complice, synonyme d’émotions plus intimes ?… On les appelait alors « groupies ».

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© Bernard Bernard. Photo prise le 2 mai 1996 lors de la remise de la rosette par le président Chirac, avec notamment Jean Marais, Simone Valère, Gilles Jacob et Gérard Depardieu.

Exportations : pourquoi le modèle italien devrait inspirer la France

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Au moment où le champion européen des exportations, l’Allemagne, connaît des difficultés, un autre État-membre vient à la rescousse de l’UE. Ce n’est pas la France – qui a toutes les raisons d’être jalouse de ce concurrent – mais l’Italie. En 2022 le montant des exportations a atteint 624,6 milliards d’euros, soit 20% de plus qu’en 2021. Et 2023 s’annonce être l’année de tous les records. La France, trop obsédée par le modèle allemand, ferait mieux de regarder du côté de son voisin transalpin.


En 2022 les entreprises italiennes ont fait preuve de résilience et de vitalité dans le commerce international, même après les chocs de la pandémie et de l’invasion russe de l’Ukraine qui a fait flamber les prix de l’énergie et perdre une importante partie des exportations italiennes vers la Russie. En particulier, les exportations ont atteint 624,6 milliards d’euros, soit 100 milliards de plus qu’en 2021, retrouvant les niveaux d’avant le Covid. La performance italienne est nettement meilleure que celle de l’Espagne (+7,6%) et surtout de l’Allemagne (-2,0%) et de la France (-4,7%), qui en 2022 sont encore inférieures aux niveaux d’avant Covid. Toujours en 2022, la Botte gagne une position en devenant le sixième exportateur mondial.

Les marchés et les secteurs

L’Europe demeure la première destination des exportations italiennes avec un volume d’exportations égale à 418.536 milliards d’euros, suivi par les États-Unis avec 90.579 milliards et l’Asie avec 80 milliards. Quant à l’Afrique, les exportations, même si elles sont inférieures, progressent à 21.5 milliards et enfin l’Océanie avec 14.2 milliards.

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Les secteurs qui exportent le plus ont été les machines, avec une valeur égale à 92,9 milliards d’euros (+10,3%). Ensuite le secteur de la mode qui avec ses 86 milliards d’exportations (+18%) dont 28 d’excèdent commercial, est destiné à devenir dans les prochaines années le numéro un des exportations. Quant au secteur agroalimentaire, il continue sa progression avec 52,3 milliards d’euros d’exportations (+16,7%). Le secteur pharmaceutique a généré un volume qui s’élève à 47,6 milliards d’euros (+42,8%). Le bois et l’ameublement ont atteint 21 milliards (+13,3%).

Décryptage

L’Italie fait partie des six premiers pays au monde avec un excédent commercial extérieur, hors coûts et minéraux énergétiques de plus de 100 milliards d’euros.

La question récurrente qui vient à l’esprit est : comment fait l’Italie, un pays basé sur des PME souvent familiales, totalement dépendant sur le plan énergétique, dépourvu des grands groupes industriels, pour enregistrer des meilleures performances à l’export que certaines nations économiquement plus grandes ?

Il y a quatre aspects fondamentaux qui expliquent cette performance.

Tout d’abord l’industrie manufacturière représente le pilier sur lequel repose l’économie du pays avec une chiffre d’affaires d’environ 1200 milliards d’euros dont plus de 50% est exporté à l’international. La mondialisation avec sa compétition basée sur les bas coûts de production n’a pas limité la capacité industrielle du pays. L’essence du « Made in Italy »  est son industrie.

La compétitivité italienne dérive de la structure particulière de son système de production qui ne repose que de manière minimale sur de grands secteurs industriels mais plutôt sur environ 3000 niches dans lesquelles elle est leader mondial. L’Italie présente le plus haut degré de différenciation des exportations par rapport à tous les autres pays du monde. Pour cette raison le chiffre d’affaires des exportations italiennes est potentiellement plus résistant que celui d’autres pays qui se concentrent uniquement sur certains types de produits et qui sont donc plus exposés à d’éventuelles conditions économiques négatives.

La taille des entreprises ne constitue pas un frein aux exportations. Près de 80% des exportations manufacturières sont réalisées par 9000 entreprises moyennes et grandes entreprises (de 50 à 4 999 salariés). A cela s’ajoutent 27 000 petites entreprises employant entre 10 et 49 salariés, qui couvrent les 13 % restants. Il n’existe cependant que 13 entreprises employant plus de 5 000 salariés qui représentent moins de 7% des exportations. L’Italie n’est donc pas forcement pénalisée par le manque de grands groupes industriels.

Parmi d’autres facteurs déterminants, l’Italie est traditionnellement dotée de chaînes d’approvisionnement courtes, que ce soit de moyenne ou de grande dimensions. Il y a aussi l’ancrage local de nombreuses et diverses activités de production, ainsi que leur capacité à innover et à réinterpréter des produits.

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La deuxième manufacture d’Europe bénéficie d’un des plus hauts degrés d’automatisation au monde avec environ 23 000 robots installés. Grâce à l’utilisation de robots, les entreprises rendent la production plus flexible tant en termes de volumes que de qualité, acquérant ainsi une capacité de réponse beaucoup plus rapide aux changements de la demande globale. Cela améliore considérablement la compétitivité des entreprises sur un marché de plus en plus mondialisé, où la variété des produits augmente de façon exponentielle et leurs cycles de vie se raccourcissent progressivement. La spécialisation de l’Italie dans le commerce international est suivie de près par différents analystes qui étudient son modèle économique. À l’instar d’autres grandes nations, son réseaux de PME régionales a su s’adapter à une compétition internationale de plus en plus agressive en se positionnant sur des niches des marchés. Dans un pays comme la France où le sujet de la réindustrialisation est plus que jamais d’actualité, le modèle italien pourrait bien être plus proche culturellement et économiquement du modèle français et donc plus facile à mettre en œuvre que le modèle allemand, par exemple, qui est totalement différent.

Macron dans « C à vous » : Bertrand Chameroy, le bouffon du roi ?

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Bertrand Chameroy fait sa chronique face à Emmanuel Macron dans C à vous, le 20/12/2023 https://www.youtube.com/watch?v=NDNNAFTJxm0

Lors de son passage dans le talk-show de France 5, le 20 décembre, le Président n’a pas réussi à convaincre les chroniqueurs ultra-progressistes en face de lui qu’il voulait toujours faire barrage au RN. Pourtant le lendemain, Pascal Praud déclarait: « Bertrand Chameroy est beaucoup plus drôle comme porte-parole du gouvernement qu’Olivier Véran ». Peut-on dire que l’humoriste attitré de l’émission a vraiment servi la soupe à Emmanuel Macro?


Le mercredi 20 décembre, Emmanuel Macron était l’invité de l’émission « C à vous ». Sur le plateau pendant près de deux heures, il a essentiellement évoqué la loi immigration adoptée la veille au Parlement. Pour quelles raisons le chef de l’État a-t-il choisi ce talk-show pour s’exprimer ?

Premièrement en raison de l’âge de ceux qui sont devant leurs télévisions à 19 heures. « Cette tranche horaire est regardée par des téléspectateurs assez âgés, voire très âgés » affirme David Medioni, directeur de l’Observatoire des médias de la Fondation Jean-Jaurès. Selon Médiamétrie, avec des téléspectateurs qui ont en moyenne 66 ans, « C à vous » est le deuxième programme préféré des seniors après « Questions pour un champion ». Quand on sait qu’au second tour en 2017, 74 % des plus de 60 ans ont voté pour Emmanuel Macron ; qu’au premier tour en 2022, 30 % des sexagénaires et 41 % des plus de 70 ans ont voté pour lui, il n’y a rien d’étonnant à ce que le Président choisisse une émission majoritairement regardée par des seniors qui constituent une partie non-négligeable de son électorat. D’ailleurs, selon un sondage Elabe du 13 décembre, 67 % des plus de 60 ans souhaitaient qu’un compromis soit trouvé en commission mixte paritaire, entre la majorité et LR, et que le projet de loi immigration soit adopté.

Bal tragique?

Une autre raison, qui explique le choix du Président (ou de ses conseillers en communication), est le fait que « C à vous » est une incarnation parfaite du politiquement correct qui domine l’audiovisuel public. De l’animatrice Anne-Élisabeth Lemoine aux différents chroniqueurs, Patrick Cohen, Émilie Tran Nguyen, Mohamed Bouhafsi, Pierre Lescure, Bertrand Chameroy ou Lorrain Sénéchal, ils évoluent tous dans le périmètre du « cercle de la raison » cher à Alain Minc. De l’entre-soi de centre-gauche. Et ce n’est pas l’édito de Patrick Cohen du 27 novembre consacré au meurtre de Thomas à Crépol qui pourrait nous convaincre du contraire. En effet, l’ancien animateur de la matinale de France Inter avait pris le parti des agresseurs de Thomas, les présentant comme des jeunes venus « s’amuser et draguer les filles ». Pourtant, la veille, le 26 novembre, le procureur de Valence avait pris la parole pour détailler le déroulé de la soirée et avait précisé qu’un « individu de 20 ans, interdit de détention d’armes, a remis au vigile un couteau avant de pénétrer dans la salle de bal ». Curieux pour des jeunes qui étaient simplement là pour « s’amuser ». Patrick Cohen n’a pas jugé utile d’informer les téléspectateurs de cet élément, préférant clore sa chronique par une phrase toute faite : « Les bals tragiques sont aussi vieux que les fêtes de village ».

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Mais revenons à la présence d’Emmanuel Macron dans « C à vous » le 20 décembre. Pendant cette émission, le Président a confirmé ce qu’on savait déjà, à savoir qu’il n’a aucune volonté de renverser la table en matière d’immigration. Pour le chef de l’État, le problème migratoire se résume à l’immigration illégale. S’il affirme vouloir lutter contre l’immigration irrégulière, en revanche il ne souhaite pas restreindre l’immigration légale, qui représente la majeure partie de l’immigration. Au contraire il en souhaite davantage. Plus d’immigration de travail, pour des raisons économiques, d’où les régularisations prévues par la loi. Concernant les étudiants étrangers, la caution demandée permettra-t-elle d’en diminuer le nombre ? Avec l’opposition du monde universitaire et de la ministre de l’enseignement supérieure sera-t-elle même instaurée ?

Le Président n’affiche pas non plus une volonté farouche de lutter contre le dévoiement du droit d’asile ou de diminuer l’immigration familiale. Pour cette dernière par exemple, cela impliquerait de s’opposer à la Convention européenne des droits de l’homme qui consacre, par son article 8, « le droit au respect de sa vie privée et familiale ». Remettre en cause ces textes ? « Jamais ! » a affirmé le Président dans « C à vous », expliquant que c’est ce qui le distingue de LR et du RN.

En résumé, si Emmanuel Macron consent à des mesures techniques sur l’immigration, qui n’engendreront que des changements marginaux, il refuse tout changement structurel qu’une majorité de Français appelle de leurs vœux. « Nous sommes un pays qui a toujours accueilli et qui continuera d’accueillir » a d’ailleurs déclaré le Président dans l’émission. Bien que ce texte ne changera pas grand-chose, pour le plateau de « C à vous » c’est déjà trop. Macron s’est fait gronder parce que cette loi serait trop à droite. « Vous n’avez pas irrémédiablement basculé à droite ? » a questionné Patrick Cohen, avant de demander au chef de l’État si certaines des mesures ne sont pas « déshonorantes ». « Qu’est-ce que vous dîtes à ceux de vos électeurs qui se sentent trahis quand vous leur avez dit « votre vote m’oblige » ? Eux que vous avez appelé à faire barrage au RN » a interrogé l’animatrice. Visiblement Anne-Élisabeth s’est sentie trahie par Emmanuel. Pourtant le chef de l’État a tout fait pour rassurer ce plateau centriste, précisant qu’il ne souscrivait pas à l’idée d’une « submersion migratoire », que pour un certain nombre d’éléments contenus dans la loi « je ne vais pas vous dire que je les trouve formidables », rappelant que « le RN joue sur les peurs ». Ça n’a pas suffi. Patrick Cohen a reproché au Président de reprendre à son compte, et donc de légitimer, une partie du programme de Marine Le Pen. « Donner ainsi raison au RN ou accéder à ses demandes n’est-ce pas la dernière étape avant son accession au pouvoir ? » a-t-il demandé au maître des horloges.

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De son côté, Émilie Tran Nguyen a reproché à Emmanuel Macron de parler de « processus de décivilisation ». En effet, pour la journaliste, le père de ce concept est le « théoricien d’extrême droite Renaud Camus » car ce dernier a publié un livre en 2011 intitulé Décivilisation. Voyant dans cette expression « la première ouverture aux idées de l’extrême droite », la chroniqueuse ignore que ce concept est tiré de l’œuvre du sociologue allemand d’origine juive Norbert Elias. Sur le processus de civilisation est un ouvrage majeur de la sociologie historique. Les deux tomes qui composent l’ouvrage : La Civilisation des mœurs et La Dynamique de l’Occident ont été rédigés en Angleterre dans la première partie du XXe siècle et traduits en français dans la seconde moitié. Émilie Tran Nguyen ne le savait pas, et n’a probablement pas cherché à le savoir. Pourquoi se renseigner quand on peut se contenter de répéter bêtement les clichés gauchistes de ses confrères journalistes ? Néanmoins nous lui conseillons le lecture de l’excellent ouvrage de Georges Fenech, L’ensauvagement de la France : La responsabilité des juges et des politiques. Peut-être parviendra-t-elle à dépasser sa répulsion pour le mot « décivilisation » et à, enfin, s’intéresser au réel qu’il désigne, et aux victimes qui sont derrière.

Chronique comique?

Au milieu de cette émission, l’humoriste Bertrand Chameroy a réalisé sa chronique. Ce dernier traite l’actualité avec humour en s’appuyant sur des images qu’il commente. Ces passages sont souvent les vidéos les plus visionnées de la chaîne YouTube de l’émission et participent incontestablement au succès de cette dernière. Il faut dire que le talent de Chameroy est indéniable. Avant de rejoindre « C à vous », le trentenaire a travaillé pendant six ans à Europe 1, qu’il quitta en 2021, en raison de son désaccord avec la nouvelle ligne éditoriale qui s’est installée depuis que le groupe Vivendi, dirigé par Vincent Bolloré, est devenu l’actionnaire majoritaire du groupe Lagardère qui possède Europe 1.

En juillet 2022, lors d’un entretien accordé à Salomé Saqué pour le média de gauche Blast, Bertrand Chameroy est revenu sur ce départ : « Avec la direction on avait des désaccords sur la couleur que prenait la matinale, et je pense que ne n’aurais pas été à ma place dans ce qu’est devenue Europe 1 ». D’ailleurs, dans cette interview, il a également évoqué son rôle dans « C à vous » : « Je viens là pour amuser les gens en essayant de décrypter un peu l’actualité, le système politique et médiatique » avance celui qui ne se définit pas comme journaliste, ni humoriste, « je suis un truc un peu hybride » conclut-il. Lorsque la journaliste lui demande s’il se sent engagé, il répond qu’il l’est « de plus en plus ». A-t-il déjà révélé son vote ? Non. Juste une fois il a confié à Libération n’avoir « jamais voté pour les extrêmes ». Y compris l’extrême centre ? On ne le saura jamais.

« J’ai pas envie de dire pour qui je vote parce qu’on m’accuserait de rouler pour tel ou tel parti » indique-t-il à Blast. Il est vrai que Bertrand Chameroy n’est pas un humoriste politique à proprement parler, il n’est pas aussi clivant que Guillaume Meurice ou Pierre-Emmanuel Barré. « J’aime pas être frontal, je considère qu’on peut faire passer parfois plus de messages avec des métaphores ou un sous-texte » déclare-t-il, ce qui le distingue des humoristes cités plus haut et le rapprocherait davantage d’un Philippe Caverivière dans « Quelle Époque »de Léa Salamé. Cependant, lorsque Salomé Saqué lui demande s’il se considère comme « bien-pensant », l’intéressé répond : « Si être progressiste, antiraciste et sensible aux valeurs de tolérance et d’ouverture est une insulte je la prends. Je préfère ça plutôt qu’être rabougri, renfermé sur moi avec la peur de l’autre ». Progressiste, antiraciste, tolérance, ouverture, peur de l’autre : cinq à la suite bravo !

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Bien qu’il prétend vouloir la cacher, sa subjectivité politique transparaît régulièrement dans ses chroniques quotidiennes dans « C à vous ». Par honnêteté intellectuelle, il faut reconnaître qu’il passe autant de temps à traiter en dérision des personnalités politiques de droite, que de gauche et du centre. Cependant, il ne leur tape pas dessus de la même manière. Alors que des politiques de gauche et du centre sont moqués sur la forme (un geste drôle, un vêtement atypique, un bégaiement) les politiques et journalistes de droite sont attaqués sur le fond. Par exemple, lorsque Marion Maréchal est interviewée dans le JT de TFI par Gilles Boulleau, Bertrand Chameroy présente un montage de cette interview qui est désigné comme un « résumé » du passage de la vice-présidente de Reconquête. Résultat final : pendant dix à vingt secondes on entend la candidate aux européennes prononcer uniquement les mots « défense de notre identité, submersion migratoire, propagande woke, immigration, sécurité, islamisation, clandestin, voile, abaya ».

De même avec une interview d’Éric Zemmour, réalisée par Thomas Sotto sur France 2, où le montage est présenté par Bertrand Chameroy comme « un résumé des sept minutes » dans lequel Zemmour ne prononce que les mots « islam, étrangers, musulmans, charia, immigré, djihad ». A-t- on déjà vu un montage d’une interview de Jean-Luc Mélenchon ou de François Ruffin ou ces derniers ne diraient que : capitalisme, superprofits, néolibéralisme, extrême droite, racisme, islamophobie ? Bertrand Chameroy avait également évoqué, avec ironie, le livre Les Nouveaux Inquisiteurs: L’enquête d’une infiltrée en terres wokes de Nora Bussigny, journaliste à Factuel. Se moquant de cette dernière parce qu’elle avait mis une perruque pour s’immiscer « en terres wokes », la manière dont Chameroy a prononcé le mot « woke » démontre qu’il considère que tout ça n’est qu’un fantasme de l’extrême droite.

Des exemples pareils, il en existe pléthore. En mars dernier, Ludovine de la Rochère, présidente de La Manif pour tous, annonçait le changement de nom du mouvement, qui depuis s’appelle « Le Syndicat de la Famille ». Dans une de ses chroniques, Bertrand Chameroy a qualifié Ludovine de la Rochère de « miss Rance ». Il n’a jamais proféré une injure équivalente pour une personnalité de gauche. Sans oublier qu’à l’instar de la plupart de ses collègues humoristes, il ne rate jamais une occasion de taper sur CNews.

Le 20 décembre, Bertrand Chameroy a-t-il été le « porte-parole du gouvernement » comme l’avance Pascal Praud ? En clair, a-t-il servi la soupe à Emmanuel Macron ? Non et oui à la fois. « En même temps » comme dirait l’autre. Non, car les traits d’humour qu’il a réalisés sur la loi immigration rejoignaient la subjectivité du reste du plateau, en particulier des critiques de Patrick Cohen sur un texte trop à droite. « Pour sauver Élisabeth Borne tapez 1. Pour sauver votre projet de loi immigration il fallait taper dans la main du RN » était notamment une des blagues du chroniqueur adressées au Président. « Entre « ce vote m’oblige » et le rebondissement d’hier, chapeau aux auteurs, vraiment j’ai pas vu venir le truc » a-t-il également déclaré.

Hormis ces quelques piques, Bertrand Chameroy n’a émis aucune critique sur la politique du gouvernement ou les idées d’Emmanuel Macron en général. Au cours de sa chronique, il s’est contenté, en s’appuyant sur des extraits vidéos, de railler quelques séquences cocasses comme celle où le chef de l’État se trompe de voiture aux États-Unis ou celle où il a oublié son oreillette pour la traduction face à un interlocuteur chinois. Bertrand Chameroy conclut alors sa chronique par une chose qu’il a l’habitude de faire : mettre le Président en valeur en le comparant à Jean Dujardin dans OSS 117, veste de costume sur l’épaule ou vêtu d’un smoking noir avec une flûte de champagne en main. En résumé, bien que Bertrand Chameroy soit idéologiquement proche du Président, et qu’il ait probablement voté pour ce dernier aux deux tours en 2017 et 2022, il aimerait qu’Emmanuel Macron reste ce progressiste anti-extrêmes (droite et gauche) et qu’il ne se rapproche pas trop des conceptions de droite sur le terrain sociétal. Bertrand Chameroy est-il le « porte-parole du gouvernement » ? De son aile gauche peut-être.

Les cabales moralisantes contre les artistes : une tradition française

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Molière dans le rôle de César, dans "La Mort de Pompée", portrait attribué à Nicolas Mignard, 1658. ©Wikipedia Commons

Pour certains, prendre la défense d’un homme célèbre reviendrait à conférer à ce dernier les privilèges des aristocrates d’autrefois. Ces gens-là ne voient apparemment pas que c’est plutôt la création d’une cabale moralisatrice (dévorée d’ailleurs par la jalousie professionnelle) dans le but de censurer un grand artiste qui rappelle les mœurs d’une époque révolue. Petite leçon d’histoire pour les ignorants.


L’historienne du cinéma, Geneviève Sellier, affirme dans le Huffington Post, journal progressiste américain importé en France, que la tribune signée par cinquante-six artistes pour prendre la défense de Gérard Depardieu « rappelle furieusement l’Ancien Régime ». Placer l’artiste au-dessus des lois, au nom de son génie, serait « une tradition bien française ». C’est bien possible. Mais si nous allions nous promener du côté de l’ancêtre du cinéma, le théâtre, pour rappeler à Madame Cellier que les cabales moralisantes contre les artistes sont elles aussi une tradition bien française datant de l’Ancien Régime ?…

En avril 1664, la Compagnie du Saint-Sacrement, une société à peine secrète mais surtout un lobby religieux intégriste dont l’objectif était de réprimer les mauvaises mœurs et de « bâtir Jérusalem au milieu de Babylone », décida de tout mettre en œuvre pour empêcher la représentation de la pièce de théâtre la plus sulfureuse du moment : le Tartuffe, de Molière. Il faut dire que les dévots avaient déjà le dramaturge dans le nez depuis son École des Femmes, qui ridiculisait l’éducation morale et religieuse des épouses par des vieux barbons répugnants (comme quoi, Molière pouvait aussi écrire des pièces féministes).

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Sa nouvelle comédie ne ménage pas non plus les hypocrites et leur fausse vertu. Quand Tartuffe ordonne à la servante Dorine de cacher son sein qu’il ne saurait voir, il lui explique, outré, que « par de pareils objets, les âmes sont blessées, Et cela fait venir de coupables pensées ». En revanche, quand il tente de séduire la riche Elmire, l’homme de foi affirme que son sein à lui « ne renferme pas un cœur qui soit de pierre »… La caricature est bien trop crédible et passerait presque pour un documentaire : c’en est trop pour nos dévots ! Ces derniers n’aimaient déjà pas beaucoup le théâtre… ni les cabarets, ni les chansons, ni le tabac, ni les robes trop décolletées… Avec l’aide de l’archevêque de Paris, ils réussirent à faire interdire la pièce à sa sortie.

Ils revinrent à la charge avec encore plus de violence à la sortie du Dom Juan du même auteur (initialement titré Le Festin de pierre), pièce écrite dans l’urgence en 1665 pour faire vivre la troupe pendant l’interdiction du Tartuffe. Selon eux, la pièce faisait l’apologie du libertinage. Molière dut même modifier la fin de sa pièce pour pouvoir la jouer : un anti-héros aussi immoral ne pouvait décemment pas s’en sortir à la fin… On aimait déjà réécrire les œuvres pour les purifier de toutes leurs déviances. 

Finalement, cinq ans après la première du Tartuffe, le roi, soutien de Molière, fit dissoudre la Compagnie du Saint-Sacrement et la pièce put enfin être jouée. Détail amusant : la comédie provoqua de nouveau le courroux des dévots et fut interdite trente ans plus tard… à Québec, en Nouvelle-France, dans une colonie demeurée plus pieuse et plus conservatrice que sa mère patrie. Les admirateurs de Justin Trudeau, le grand prêtre de la moraline woke, apprécieront.

Comme Depardieu aujourd’hui, Molière était un géant de la comédie de son vivant. Sa liberté, son charisme, son mépris des convenances étriquées, son goût pour la provocation, la raillerie, l’irrévérence, et surtout son succès dans toutes les classes de la population ne plaisaient guère aux gardiens auto-proclamés de la bienséance.

Pour couronner le tout, des rumeurs circulaient sur sa vie privée après son mariage avec Armande Béjart, la jeune sœur de sa collaboratrice, Madeleine. Certains étaient même persuadés qu’Armande était en réalité la fille de Molière et de Madeleine et que l’écrivain avait donc épousé sa fille. Au moment de l’union, Molière avait quarante ans et Armande, dix-neuf ans… Le Woody Allen du Grand Siècle, en quelque sorte. À quel traitement aurait-il droit, aujourd’hui, dans les pages du Huffington Post ?

Si le cas de Molière est le plus célèbre, la censure morale influencée par des groupes plus ou moins religieux s’exerça férocement sur des scènes aussi bien parisiennes que provinciales jusqu’à la Révolution. La cabale d’une partie du clergé eut raison de plusieurs représentations du Mariage de Figaro, de Beaumarchais. Attaqué en justice pour impiété et scélératesse par les dévots, Voltaire dut retirer sa pièce Le Fanatisme ou Mahomet le Prophète de la scène de la Comédie-Française, après seulement trois représentations, pour prévenir son interdiction. 

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Madame Sellier devrait avoir l’honnêteté de reconnaître que s’il y a bien un aspect de notre époque qui nous rappelle particulièrement l’Ancien Régime, c’est surtout le retour en force de la censure, prôné par des groupes d’influence prétendant avoir l’intérêt commun chevillé au cœur et ayant fait de l’irréprochabilité du comportement des autres le combat de leurs vies. Mais elle préfère fustiger le goût de la grivoiserie qui serait particulièrement français et qui devrait, selon elle, disparaître avec le vieux monde qui s’éteint. Les puritains ont toujours méprisé le rire et en particulier les plaisanteries grossières du petit peuple, leur préférant la platitude sinistre des échanges convenus entre petits bourgeois éduqués.

La face sombre du mouvement MeToo continue d’imposer sa terreur vengeresse dans les rédactions et sur les plateaux de tournage. La liste d’acteurs maudits s’allonge alors que les actrices ne peuvent plus. Quand le cinéma français aura bien été purgé de ses éléments infréquentables, les films plairont, à n’en pas douter, aux dévots zélés de ce début de siècle, qui aiment autant le cinéma que leurs ancêtres appréciaient le théâtre.

Jacques Delors: l’architecte critique de son propre ouvrage

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delors chirac sarkozy

L’ancien président de la Commission européenne vient de décéder à l’âge de 98 ans. Il est célébré par les europhiles qui voient en lui un visionnaire, tandis que les eurosceptiques le vouent aux gémonies. Pourtant, Delors lui-même n’approuvait pas tout à fait ce que l’UE est devenue.


Il était, avec Roland Dumas, avec Pierre Joxe et un ou deux autres, un des derniers dinosaures de la Mitterrandie encore vivants. Jacques Delors s’est éteint ce mercredi 27 décembre. Figure de la deuxième gauche, libérale, « raisonnable » et américaine, l’action de Jacques Delors est saluée aujourd’hui par les médias officiels. Dans les chapelles souverainistes, on se souvient au contraire de son rôle dans le façonnement de l’actuelle Union Européenne.

Une cohérence certaine

On pourrait déceler dans le parcours de Jacques Delors des revirements extraordinaires : syndicaliste à la CFTC, il participe à la scission qui va déboucher sur la naissance de CFDT ; proche conseiller de Jacques Chaban-Delmas au début des années 70, il rejoint en 1974 le Parti socialiste. De plus près, ils sont pourtant l’indice d’une cohérence certaine. Anticipant le risque d’alternance du pouvoir et de victoire de la gauche, Jacques Chaban-Delmas avait voulu intégrer une dose de réformes socialisantes. Il s’entoure alors de cet ancien attaché au cabinet du directeur général de la Banque de France. En contribuant grandement au projet de « Nouvelle Société » chère à l’ancien maire de Bordeaux, Delors va chapeauter un logiciel alliant libertarisme sociétal et technocratie modernisatrice. Malgré le cuisant échec de Chaban à la présidentielle de 1974, la « Nouvelle Société » sera en quelque sorte le fil conducteur des cinquante années qui vont suivre et inspirera de manière plus ou moins consciente tous les successeurs de Georges Pompidou.

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1981. La gauche arrive enfin au pouvoir. Les lendemains qui chantent sont pour demain. Jacques Delors, jadis situé à l’aile gauche de la droite, est désormais à l’aile droite de la gauche. Arrivé un peu trop récemment, il est regardé de travers au sein du Parti socialiste. Mitterrand, l’appelle « la grande nerveuse », mais le nomme ministre de l’économie. Jacques Delors fait partie des réalistes catastrophés par les effets des nationalisations sur les finances publiques et œuvre pour un changement de politique. En mars 1983, il obtient de l’Allemagne le permis de mener une troisième dévaluation. Une belle réussite : le Président compte le nommer premier ministre. Delors ne se voit guère à la tête d’un gouvernement où ses rivaux, Fabius et Bérégovoy, fraichement convertis au réalisme économique, siégeraient en bonne place. Finalement, c’est Fabius qui est nommé.

Une carrière internationale

En 1985, Jacques Delors prend la tête de la commission européenne. Il inaugure alors une tradition de technos français (poursuivi par Jean-Claude Trichet à la tête de la Banque centrale et par Pascal Lamy à la tête de l’OMC), bâtisseurs de la mondialisation libérale, plus orthodoxes que l’orthodoxie, toujours prêts à mettre des bâtons dans les roues des nations, plus encore quand il s’agit de la nation française. Jacques Delors invente, au sujet de l’Europe, l’oxymore « fédération d’états-nations », qui, quand on le regarde de plus près, ne va pas dire grand-chose.

Bien sûr, on se souvient du combat épique de Maastricht. Les esprits s’échauffent. Dans le tumulte de la campagne, Jacques Delors lâche, fin août 1992, à Quimper : « [Les partisans du « non »] sont des apprentis sorciers. […] Moi je leur ferai un seul conseil : Messieurs, ou vous changez d’attitude, ou vous abandonnez la politique. Il n’y a pas de place pour un tel discours, de tels comportements, dans une vraie démocratie qui respecte l’intelligence et le bon sens des citoyens ». Delors promet : « L’euro nous apportera la paix, la prospérité, la compétitivité et, rien que pour la France, il se traduira par la création d’un million d’emplois ». Chacun appréciera le résultat. Plusieurs années plus tard, Jean-Pierre Chevènement, principal héraut du non de gauche, de passage chez Laurent Ruquier pour présenter un livre, persiflait ainsi : « Je ne dis absolument pas de mal de Jacques Delors [dans mon livre], sauf à travers les propos que lui-même tient sur son action ». En fait, le gros du travail avait été fait quelques années plus tôt avec l’Acte unique, en 1986, dont Delors a été l’initiateur et le négociateur. Avec l’Acte unique, l’Europe passe du marché commun au marché unique ; il devient interdit aux États de contrôler et de limiter la circulation du capital entre pays membres de l’UE… et même vis-à-vis des pays-tiers.

A l’instar de Gérald Darmanin, bien connu désormais des supporters du FC Liverpool, Jacques Delors s’offre à la tête de l’Europe une stature internationale. Margaret Thatcher, au début des années 90, en fait sa tête de turc favorite. Le tabloïd The Sun emboite le pas et titre : « Up yours Delors », deux doigts bien visibles, l’équivalent anglais du doigt d’honneur.

A nos actes manqués

La présidentielle de 1995 approche. Et là, c’est le drame. Malgré des sondages favorables, Jacques Delors renonce, en direct, chez Anne Sinclair. Dans les cinq dernières minutes de l’émission, l’invité lit un texte à l’antenne, pour dire qu’il n’y va pas. Certains ont voulu apporter une explication psychanalytique : Delors n’a pas voulu compromettre les espérances présidentielles de sa propre fille, Martine Aubry. Et puis, la rencontre avec les électeurs et la pratique du suffrage universel, quand on a été tant d’années commissaire européen non élu… En renonçant, l’ancien ministre de l’économie a peut-être retardé de vingt-deux ans la grande recomposition qui a eu lieu en 2017. Sa candidature aurait pu rallier à elle une bonne partie du centre droit, et pousser à un rapprochement de Jean-Pierre Chevènement et de Philippe Seguin, principales figures du non de 1992. Depuis, le camp souverainiste en est réduit à espérer une alliance de Florian Philippot et de François Asselineau. Le champ des possibles s’est un peu rétréci.

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Jacques Delors a donc été l’un des pères de l’Europe telle qu’elle fonctionne aujourd’hui – ou plutôt, telle qu’elle ne fonctionne pas. En 2015, l’architecte se montrait tout de même critique à l’égard de son propre ouvrage : « Ce système n’est plus gouvernable, cela ne peut plus durer. Il faut refonder cette Union économique et monétaire. Vont-ils le faire? Il y a eu un vice de construction au départ. Il y a eu aussi des bêtises et une incapacité de l’eurozone à y mettre fin ».

Depuis 24 heures, la mort de Delors passionne les médias officiels, pas avares de louanges, mais aussi les eurosceptiques. Autre dinosaure de la mitterrandie mais adversaire de Jacques Delors, Jean-Pierre Chevènement a écrit sur son site :

« Nul ne saura jamais surestimer le rôle de Jacques Delors dans l’orientation de la politique de François Mitterrand dans les années 1980. C’est lui notamment qui a imposé, à travers le marché unique et le mécanisme de l’Acte unique, le gigantesque transfert de pouvoir à la Commission européenne. Par le truchement de celle-ci, Jacques Delors a infusé dans la politique française une dose de néolibéralisme supérieure à toutes celles qu’il eût été possible d’imposer par la voie légale normale. Il a ainsi infléchi de manière indélébile la trajectoire de la gauche française.

« Pour autant, nul ne contestera la grande rigueur de Jacques Delors ou encore la cohérence qu’il y avait entre ses propos et ses actes. Jacques Delors n’a cherché à tromper personne. Ses adversaires, comme ses partisans, s’accorderont donc au moins sur un point : saluer son intégrité. En ce sens, Jacques Delors est un des derniers représentants d’une époque où les hommes politiques disaient ce qu’ils faisaient et faisaient ce qu’ils disaient ».

La France compte 68 millions de sujets sans compter les sujets d’agacement !

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Philippe Bilger © BALTEL/SIPA

Certes, Noël est la saison de la joie et de la bienveillance, mais n’oublions pas pour autant les nombreux motifs d’agacement pour lesquels la trêve n’existe pas. Philippe Bilger en a dressé sa liste personnelle.


Pour ceux qui ne reconnaîtraient pas mon plagiat, j’avoue que je me suis inspiré pour ce titre du redoutable polémiste Henri Rochefort, qui avait écrit dans l’Almanach impérial : « La France compte trente-six millions de sujets sans compter les sujets de mécontentement ».

Je me suis autorisé cette plaisanterie, d’abord parce qu’il me semble que cette courte période d’accalmie – relative – la permet, ensuite en raison du fait que confronté à l’embarras du choix pour les thèmes, j’ai décidé de les réunir parce que d’une manière ou d’une autre, ils suscitent mon agacement.

D’abord Pascal Praud. J’aime beaucoup le Canard enchaîné qui cultive la tradition française du sarcasme souvent drôle et intelligent même s’il a ses cibles et que parfois il s’obstine à n’en pas changer. Il pointe ici, sous « La noix d’honneur », une réponse de PP, questionné dans le Figaro Magazine sur son envie de se lancer en politique : « Chacun doit rester à sa place ! À mon âge, on ne se lance pas dans une telle aventure. Je n’en ai ni le profil ni l’envie ni les capacités ». Le Canard se moque : « La France s’en remettra-t-elle » ?

On aurait pu au contraire féliciter l’animateur de CNews et d’Europe 1 pour sa clairvoyance et sa modestie non feinte mais il fallait bien sûr, comme il s’agissait de PP (qui se moque d’ailleurs des critiques à son encontre), lui imputer à charge ce qui généralement aurait plutôt mérité une louange. Agacement de ma part.

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L’Union européenne (Conseil européen et Parlement européen accordés) a mis à mal le principe d’égalité devant la justice (Le Figaro). Les personnes les plus exposées aux attaques médiatiques, politiques et contentieuses (dirigeants d’entreprise, responsables publics, etc.) seront, en substance, privées du droit d’obtenir réparation et justice pour des « imputations infamantes » lorsque celles-ci seront le fait « de particuliers ou organisations engagés dans la défense des droits fondamentaux et des divers autres droits tels que les droits environnementaux et climatiques, les droits des femmes, les droits des personnes LGBTIQ, les droits des personnes issues d’une minorité raciale ou ethnique, les droits des travailleurs ou les libertés religieuses ».

Cette protection qui instaurera des privilèges procéduraux choquants en faveur de ces particuliers ou organisations « nobles » est inspirée, selon la Commission européenne à l’initiative de ce texte, par la volonté de favoriser « le faible » contre « le puissant ». C’est le retour, sur le plan européen, de la harangue d’Oswald Baudot, qui a gangrené la justice française à partir de 1968. Agacement.

Le Général Reiland, commandant de l’Office central de lutte contre les crimes contre l’humanité et les crimes de haine (OCLCH) déplore, alors que les actes antisémites flambent, que « trop de victimes de crimes de haine ne se fassent pas connaître ». L’impunité commence là, d’abord : avant même que la justice soit saisie. Quand la haine n’est connue que de ceux qui l’ont subie. Dans le silence, la résignation, la douleur muette. Agacement.

Le tribunal de Bobigny prépare aussi les JO (Le Parisien). Une fois qu’on a rendu hommage au volontarisme et au travail de tous ceux qui y oeuvrent, la tableau qui est dressé fait peur. Tant de dossiers en souffrance, en retard, en enlisement. J’ai appris que des parquets se déplacent dans des commissariats pour classer systématiquement une multitude de plaintes demeurées non traitées. Je suis sûr qu’on aurait pu faire autrement, qu’on pourrait mettre le citoyen au centre et TOUT accomplir, coûte que coûte, pour répondre à ce quoi il a droit. Agacement.

300 000 euros de marchandises volées au Secours populaire et l’entrepôt d’Echirolles saccagé peu avant Noël : il abritait des colis destinés aux familles accompagnées par l’association (L’Obs). Plus que des voyous si j’ose dire. Des sadiques de la transgression. On ne les a pas encore interpellés. Agacement.

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La future réforme de la garde à vue fera baisser l’efficacité des enquêtes. Les policiers ne pourront plus poser la moindre question à un suspect sans la présence de son avocat (Fdesouche). Quand l’ensauvagement augmente, l’État de droit se couche. Agacement.

« Un voyage humaniste » à Auschwitz en janvier pour le sport français (RMC Sport). Celui-ci est-il tellement déconnecté, voire insouciant ou indifférent, pour qu’on soit obligé de l’embarquer dans une entreprise de groupe ? Tous les citoyens qui vont y participer ne pouvaient-ils pas songer à le faire avant, libres, responsables, non téléguidés ? Pas en tant que sportifs, comme des humains ? Et on voudrait faire des sportifs des héros ! Agacement.

Tous ces sujets d’agacement, j’ai conscience qu’ils résultent de mon humeur infiniment subjective mais profondément soucieuse de liberté et de justice dans tous les sens du terme.

Ceux qui liront ce billet auront les leurs.

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Conneries en chansons

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D.R

Avant que l’année 2023 ne prenne fin, revisitons une des histoires qui ont marqué l’actualité: l’antisémitisme de Médine, invité aux journées d’été d’EELV. C’est un fait, les rappeurs ont souvent tendance à déraper. Même si ce n’est pas forcément bon pour le business, cela ne dérange pas leur auditoire ni certains partis politiques…


EELV aurait dû savoir que, pour un parti ou une entreprise, s’associer à un rappeur à des fins politiques ou commerciales est risqué. Certes, tout le rap n’est pas antisémite, loin de là, mais la persistance de cette forme de racisme dans le milieu hip-hop, quel que soit le pays, est inquiétante. Qu’il s’agisse de paroles de chansons ou de messages postés sur des comptes Twitter ou Instagram suivis chacun par des centaines de milliers d’internautes, certaines vedettes osent tout : insultes antisémites, théories du complot, admiration d’Hitler, négationnisme, théorie selon laquelle les Noirs sont les « vrais » juifs…

L’année dernière, une série de tweets de l’Américain Kanye West, connu désormais sous le nom de Ye, lui ont coûté des partenariats lucratifs avec Adidas, Balenciaga et Gap, ainsi que son statut de milliardaire. En 2020, un autre Américain, Nick Cannon, a été viré par le géant des médias ViacomCBS après un podcast, et l’Anglais Wiley a connu un sort similaire après une rafale de posts délirants sur les réseaux sociaux. Toujours outre-Atlantique, un tollé indigné a accueilli des rafales comparables par Ice Cube et Jay Electronica. Ce dernier a sorti un album comportant des paroles antisémites et la voix de Louis Farrakhan, le fondateur de la Nation de l’islam.

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En France, Freeze Corleone a été lâché par Universal Music à cause de ses paroles, et une autre entreprise, BMG, a dû annuler un accord de 2021 avec lui pour une raison similaire. La même firme a dû faire face à une tempête médiatique en Allemagne en 2018, quand le duo Kollegah et Farid Bang a gagné le prix du meilleur album hip-hop malgré des références insupportables à la Shoah. Des cas similaires ont été repérés en Belgique, aux Pays-Bas et en Norvège. L’histoire de l’antisémitisme dans le rap remonte à la fin des années 1980 et au groupe Public Enemy. Médine peut au moins se consoler en pensant qu’il fait partie d’une longue tradition et que leurs dérapages n’ont jamais entamé la popularité de ces artistes.

Vive le Berry libre et indépendant !

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Carte du Berry datant de 1623. D'après une gravure de Gerhard Mercator. imageBROKER.com/SIPA

Raynal Pellicer et Frèd Langout signent une bande-dessinée humoristique sur une province abandonnée et cependant hautement estimable aux éditions Librairix. Les Berrichons relèvent enfin la tête sans se prendre au sérieux !


Entendez-vous ce cri qui s’élève du fond des campagnes françaises ? Le cri des terres de l’intérieur poussé par une vague d’ennui, la désertification et l’amour de la vigne ; celui aussi du chanteur abandonné ou du pilier de bar désœuvré. Du Centre de la France, au pied des coteaux de Sancerre, au sommet de la Cathédrale Saint-Etienne, des rues pavées de Bourges aux étangs de la Brenne, dans les pas de Jacques Cœur ou dans la voix de Jean-Louis Boncoeur, le Berry appelle au secours dans l’indifférence générale. Il invoque son quart d’heure de célébrité en dehors des périodes du Printemps, son Festival de musique qui faisait fuir naguère les Berruyers indisposés par cette jeunesse désordonnée et chevelue. Avouez-le, vous ne connaissiez même pas son existence géographique ; je sais que vous confondez le Berry avec l’Auvergne, vous mélangez la Sologne et le Bourbonnais, le Nivernais et la Beauce, vous ignorez tout de cette diagonale du vide qui coupe Issoudun en sa Basilique. Les caméras de télévision ne se déplacent chez nous qu’en cas de visite papale ou de tuerie de masse, c’est dire que nous encombrons peu les écrans, mêmes nos faits divers ont de la boue collée à leurs bottes.

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Pourtant, à la seule évocation du mot « Cognette », j’ai connu des fines gueules défaillir, et la mort au combat du lieutenant d’infanterie Alain Fournier en septembre 1914 au sud de Verdun dans les Hauts de Meuse, loin de son école de la Chapelle d’Angillon, nous émeut encore. Ma grand-mère se souvenait de la visite du Général et de Malraux, le 14 mai 1965, dans cette Maison de la Culture construite en briques rouges ; ce jour-là, De Gaulle et Calder engagèrent une conversation autour du « Stabile », le sextant de ma jeunesse, cette sculpture que j’ai longtemps prise pour un taureau égaré dans le Boischaut mais qui faisait référence à l’œuvre de Shakespeare. Vous n’avez certainement jamais vu la gare de Vierzon, un soir d’hiver ! Il y a des tristesses qu’un honnête homme ne doit pas ignorer dans une vie de pénitence. Il faut dire que cette ligne ferroviaire est la hantise des voyageurs tant sa régularité est surréaliste. Elle n’a rien à envier à celle de Perpignan si Dalí avait seulement daigné remonter le cours de la Loire.

Quand d’autres provinces ont droit à leur signalétique propre, leur langue régionale calligraphiée, leurs traditions vantées à coups de reportages aux 13 Heures, leur singularité poétisée par les grands artistes encartés du moment, leur gastronomie copiée dans les palaces du Nouveau Monde, le Berry semble cet éternel recalé. Absent de la photo. Aussi fade qu’un plat de lentilles du Puy, celles du Berry, incomparables, sont notre or vert. Le Berrichon porte le bonnet d’âne (noir) du mauvais élève de la classe européenne. Il ne peut s’enorgueillir d’aucune richesse particulière, ni minerais de fer ou de phosphate dans son sous-sol, quelques girolles et rosés des près à la rigueur, esseulé, il ne se prévaut d’aucune qualité particulière lors des réunions de famille. Sa Miss a ainsi mystérieusement disparu du concours national.

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Le Berrichon n’est pas aussi économe que son voisin auvergnat, pas aussi sympathique que le Chti, pas aussi fier que le Basque, pas aussi têtu que le Breton, que lui reste-t-il donc ? Il aimerait lui aussi briller en société. Dans cette folle concurrence des identités bafouées, face à un État centralisateur et volontiers méprisant, les deux auteurs de BD ont eu l’idée croquignolesque de suivre les mésaventures de Guillaume Ledoux, le chanteur des Blankass dans sa quête d’un Berry libre et indépendant. Une auto-détermination emmenée par une bande de bras cassés et de doux rêveurs, où la soulographie et les crises existentialistes sont des prétextes à la déconnade. La foirade est leur univers impitoyable. Adieu Paris ! sous-titré « Make Berry Great Again » a été tiré à 3 000 exemplaires dans sa première édition. Tous les Berrichons qui se respectent ont déjà été l’acheter car c’est un futur collector. Il a sa place dans une bibliothèque entre Paris-Berry de Frédéric Berthet et Berry Story d’A.D.G. Je l’ai trouvé chez Librairix, rue Coursarlon à Bourges, après avoir fait mes emplettes de Noël chez les bouquinistes de la rue Bourbonnoux, notamment l’achat à la Bouquinerie Pass’âge de la Petite flore argotique de Robert Giraud illustrée par Gilles Sacksick, ouvrage paru chez Dominique Halévy en 1968. Pour les locaux, cette BD sera pleine de trouvailles et de « private jokes », elle est noyée sous des litres de Quincy et de Menetou-Salon, on y croise évidemment Depardieu et Denisot, des tours de sorcellerie, une poule noire réfractaire et un anarchisme rural canal historique. Une histoire qui commence à la table de C’heu l’Zib, troquet de légende validé par le Prince d’Arenberg, entre le brochet à la crème et la charlotte au chocolat, est une belle entrée en la matière. Un midi, je suis sorti de cette table à 17 h 30, les forces de l’esprit sont redoutables dans cet endroit-là. Parmi les 25 propositions pour un Berry libre et indépendant, je retiens la mesure numéro 1 : « La prolongation du canal de Berry jusqu’à la mer » et la numéro 21 : « L’interdiction de la bourrée pour des raisons sanitaires ».

Raynal Pellicer et Fred Langout, Adieu Paris !  (Librairix éditions, 2023)

La France des clochers va-t-elle tonner ?

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Marche blanche en hommage à Thomas à Romans-sur-Isère, 22 novembre 2023. ©MOURAD ALLILI/SIPA

De nombreux témoignages de participants à la fête de Crépol confirment les motivations racistes de leurs agresseurs. Avec l’assassinat de Thomas, la France rurale découvre l’ensauvagement ethnico-religieux qui prend les Blancs pour cible. Malheureusement, elle ne peut compter sur le gouvernement pour désigner les coupables.


« La vie de Thomas, elle valait la vie des autres aussi. On n’est pas rien. On n’a pas le droit de prendre la vie de quelqu’un d’autre comme ça. » Les mots d’Annick recueillis par CNews en marge des obsèques de Thomas disent à la fois la sidération et la violence du séisme qui a frappé la petite communauté de Crépol. Ce « on n’est pas rien » dit justement le contraire : Thomas a été tué parce que justement, pour ses meurtriers, il n’était « rien ».

Les témoignages des jeunes habitants de Crépol[1] qui participaient à cette soirée, recueillis dans le podcast du Dauphiné libéré, sont éclairants. Plusieurs déclarent avoir entendu le petit commando d’agresseurs annoncer qu’« ils étaient là pour tuer du Blanc ». Ils parlent tous d’une soirée qui se termine dans le plus grand chaos, du sang partout, qui coulait, qui giclait, ils parlent de leur terreur : « C’est pas juste une bagarre de bal comme on a l’habitude. Là, ça a direct sorti les couteaux », souligne un jeune homme. Une jeune fille raconte : « Ils sont arrivés à 15, 20 personnes. Ils ont encerclé la salle des fêtes, ils ont essayé de forcer l’entrée […]. Quelqu’un a dit : “Il y a des couteaux, rentrez tous. Je saigne, je saigne.” On est tous rentrés dans la salle, on s’est enfermés. Et pour nous à l’intérieur, c’était l’enfer. On a vécu cela comme un attentat. » La journaliste demande aux jeunes pourquoi, selon eux, cela s’est arrêté. La réponse est directe :« Ils avaient fini ce qu’ils avaient à faire, ils avaient fini leur boucherie. »

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Ce que la France des clochers a compris, c’est qu’un de ses enfants a été tué et nombre d’autres blessés à coups de couteau, simplement parce qu’ils étaient blancs et qu’il n’en faut pas plus aujourd’hui à certains pour passer à l’acte. Ses habitants ont découvert une vérité insupportable : ils sont des proies à cause de ce qu’ils sont. Cette prise de conscience entre en résonance avec une actualité dramatique qui voit des Juifs se faire tuer parce qu’ils sont juifs, ainsi qu’avec les attentats islamistes qui se succèdent en France depuis 2012.

Un effacement de la réalité

Venir planter du Blanc était une des motivations de la bande qui a fondu sur le petit village de Crépol. Lui ôtant au passage la seule richesse qui lui restait : sa tranquillité. Les gens qui ont participé aux obsèques de Thomas sont dignes, silencieux, recueillis, mais si leur colère est rentrée, elle n’en est pas moins profonde. « Ça nous rend fous, on veut faire entendre que c’est un attentat. C’est pas une bagarre, c’est pas un règlement de compte », déclare l’un des témoins. Dans ce climat, le traitement médiatique et politique de l’affaire ne peut qu’exacerber les rancœurs.

Alors que très vite témoignages, photos, informations sur l’identité des agresseurs filtraient sur les réseaux sociaux, la presse insistait sur le fait qu’ils étaient Français, utilisant en boucle le terme de « Romanais » (habitant de Romans-sur-Isère), comme il était question de Dijonnais quand des affrontements entre Tchétchènes et Maghrébins (français) avaient explosé à Dijon. L’objectif était d’effacer ce que tout le monde avait vu : le fait que cette violence gratuite, provenant de jeunes issus de l’immigration, était construite sur une haine raciale revendiquée. Tout s’est passé comme si la violence ethnique devait être niée. Faute d’avoir des réponses à apporter, le gouvernement noie le poisson. Il reconnaît l’ensauvagement, mais fait comme s’il était général. Or, Crépol montre, si besoin est encore, que cet ensauvagement est alimenté par une idéologie ethnico-religieuse qui fait de plus en plus des Blancs la cible d’une « diversité » sous influence. Ce déni finira par conduire à ce qu’il croit éviter : le rejet mutuel et la montée aux extrêmes.

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Que des jeunes radicalisés et hyperviolents n’existent que dans l’exacerbation de la haine et l’affrontement est une chose, que cela leur donne un pouvoir sur le gouvernement de la France en est une autre. En donnant le sentiment qu’il tremble devant les quartiers, l’exécutif confirme que le rapport de force a remplacé la justice sociale. Le symbole de cet abandon : la minute de silence organisée à l’Assemblée nationale pour un jeune délinquant tué après un refus d’obtempérer quand, pour Thomas, l’idée n’a effleuré personne. Un peuple qui ne se sent ni protégé ni reconnu par ses représentants, et qui les voit donner des gages symboliques à des voyous, sera porté à écouter les entrepreneurs identitaires. « On n’est pas rien », disait Annick. Le pouvoir leur répond en substance : si, vous n’êtes rien puisque vous ne faites pas d’émeutes et que vous ne tuez pas.

Rendre des comptes

Ce sentiment alimente une révolte sourde, diffuse, comparable à celle qui a suscité les gilets jaunes. Elle est peut-être à terme plus dangereuse que l’expédition des militants néonazis contre les habitants du quartier de la Monnaie, d’où sont issus les assassins de Thomas. Pourquoi ? Parce que face à ces milices-là, la République ne tremble pas. Quand il s’agit de combattre des groupuscules marginalisés qui, faute d’être adossés à des groupes sociaux ou ethniques constitués, n’exercent pas d’emprise sur la société, c’est relativement simple. Ainsi la police n’a guère de mal à les maîtriser. Intervenir dans les quartiers comme la Monnaie pour aller chercher de jeunes délinquants qui y vivent est une autre affaire. Un habitant de Crépol, interviewé dans le reportage du Média pour tous, média lié aux gilets jaunes et à l’ultradroite, évoque directement la question de la vengeance : « Pour le pardon, il faut que justice soit faite. » Le problème est qu’une grande partie de cette France-là n’y croit plus, à la justice. Pour l’instant, elle ne se tourne pas vers les néonazis qui voudraient traduire le choc des civilisations en guerre civile, mais vote de plus en plus pour le Rassemblement national. Peut-être qu’après Crépol, il ne faut plus se demander si Marine Le Pen deviendra présidente de la République, mais quand.


[1]. « Drame de Crépol : “J’ai vu mon pote Thomas se faire poignarder” », Le Dauphiné libéré, 22 novembre 2023.

La persécution islamiste des chrétiens nigérians

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Des victimes d'une attaque par des hommes armés prient pour la paix dans un camp de personnes déplacées à Bokkos, au Nigéria, le 27/12/2023 Sunday Alamba/AP/SIPA

À l’approche des célébrations de Noël, un groupe d’hommes armés a mené des attaques coordonnées sur plusieurs villages situés dans l’État du Plateau, au Nigeria. Plus de 200 personnes ont été impitoyablement massacrées. Ces actes se sont déroulés dans un contexte de tensions religieuses exacerbées, liées à une lutte acharnée pour le contrôle de l’eau et des terres. Au Nigéria, comme dans d’autres pays en développement, les chrétiens sont les victimes du fanatisme islamiste.


C’est une véritable tragédie qui a frappé la République fédérale du Nigeria à la veille des fêtes de Noël. Dans l’État du Plateau, une quinzaine de villages ont été simultanément attaqués par des « bandits », laissant derrière eux des monceaux de cadavres et des dizaines de maisons pillées et réduites en cendres. Plus de 200 personnes auraient été assassinées selon le bureau d’Amnesty International qui a annoncé que ce chiffre pourrait être plus élevé. Plusieurs personnes demeurent encore disparues laissant planer l’incertitude quant à leur sort : fuite ou enlèvement. Interrogés, certains habitants ont déclaré qu’il avait fallu plus de 12 heures avant que les services de sécurité ne répondent à leur appel à l’aide et rejoignent les rescapés de ce massacre qui a fait les titres des médias locaux. 

Aucun groupe n’a revendiqué la responsabilité de ces attaques, mais tous les indices pointent vers les nomades-éleveurs de l’ethnie Haoussa-Fulani (ou Peuls). Ces derniers ont déjà été accusés par le passé d’orchestrer des massacres dans les régions du nord-ouest et du centre, dans le but de s’approprier les terres et l’eau. Un conflit exacerbé par une démographie élevée, le réchauffement climatique et l’antagonisme croissant entre chrétiens et musulmans, alimenté en partie par l’activisme meurtrier du groupe islamiste Boko Haram, affilié à l’État islamique depuis 2015, dans le nord du pays. Parmi les victimes, on compte une majorité de villageois, dont de nombreux chrétiens, y compris des pasteurs protestants. Solomon Gushe, révérend de l’église baptiste de Dares, un des villages ciblés, a été froidement assassiné avec neuf membres de sa famille comme le rapporte le Christian Daily International-Morning Star News. Le quotidien évoque même un autre pasteur tué avec ses cinq enfants. 

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Face à cette atrocité, l’Association chrétienne du Nigéria (CAN), sous la direction de l’archevêque Daniel Okoh, a vivement condamné cette récente attaque contre les chrétiens de ce pays. Dans un communiqué officiel, l’association déclare : « Nous réprouvons fermement ces actes de violence. L’incendie délibéré de maisons et de lieux de culte, ainsi que la destruction de biens d’une valeur de millions de nairas, ne constituent pas seulement des crimes, mais également une attaque directe contre nos valeurs fondamentales de paix, d’unité et de respect mutuel. De tels agissements n’ont pas leur place dans notre société et ne doivent en aucun cas être tolérés ».

Au-delà de l’émotion suscitée, la politique mise en place par le président Bola Tinubu est également critiquée. Élu cette année avec la promesse de mettre fin à ce type d’exactions qui secouent régulièrement ce géant pétrolier, le dirigeant nigérian a ordonné que toutes les mesures nécessaires soient prises pour retrouver les coupables. L’armée nigériane a lancé une opération visant à localiser et à arrêter les criminels, en collaboration avec d’autres agences de sécurité, bien que les arrestations soient rares lors de telles attaques. Abdullsalam Abubakar, à la tête de l’opération spéciale d’intervention de l’armée dans le Plateau et les États voisins, a affirmé que ses forces ne se reposeraient pas tant qu’elles n’auraient pas identifié les responsables de ces massacres. Isa Sanusi, le directeur d’Amnesty Nigeria, a exprimé son agacement face au manque de « mesures concrètes » prises par le gouvernement actuel pour « protéger les vies des Nigérians ». Il rappelle que, parfois, des arrestations sont prétendument annoncées, mais aucune preuve tangible n’est fournie, déplorant l’incapacité manifeste des autorités à assurer la protection de la population nigériane, avec des assassinats devenus progressivement la norme.

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Selon un rapport récent sur les « chrétiens martyrs au Nigeria », publié par une ONG nigériane, la Société internationale pour les libertés civiles et l’État de droit (Intersociety), plus de 50 000 chrétiens ont perdu la vie au Nigeria depuis le début de l’insurrection de Boko Haram en 2009. Le rapport indique que 18 000 églises et 2 200 écoles chrétiennes ont été incendiées, que 5 millions de chrétiens ont été déplacés ou ont trouvé refuge dans des camps. Par ailleurs, les musulmans modérés ne sont pas plus épargnés. Avec 34 000 d’entre eux tués, ils ont été aussi les malheureuses victimes de ces attaques djihadistes au cours de ces deux dernières décennies. 

Depardieu : les bourreaux avant les juges

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Gérard Depardieu lors de l'ouverture du 2021 Baltic Debuts International Film Festival, Svetlogorsk, Kaliningrad, Russie, le 24/7/2023 Vitaly Nevar/TASS/Sipa USA/SIPA

Ceux qui sont derrière la vindicte médiatique dirigée contre Gérard Depardieu ont doublement tort: non seulement ils violent le principe de la présomption d’innocence, mais ils ont aussi échoué à apprendre les leçons du passé. Un cas récent comme celui d’Ary Abittan aurait dû les inciter à plus de prudence. Tribune du journaliste, Bernard Bernard.


Soutien sans aucun équivoque à Gérard Depardieu, dans la tourmente du grand lynchage médiatique, orchestré par une poignée de « journalistes-scribouillards » à la recherche du Grand Soir, en mal de notoriété mais surtout à la morale disons… élastique. Poursuivie hardiment par la cohorte bêlante d’un mouvement très en vogue, cette odieuse lapidation ne grandit pas vraiment leurs vertueux initiateurs à la recherche du sacro-saint scoop, d’essence orgasmique, qui fait frissonner ceux que désormais je n’appelle plus confrères. Et qui veulent gonfler leur renom autant que leur bourse…

Ainsi dévoyée, la cause qu’ils prétendent défendre ne sort guère grandie de cette odieuse chasse à l’homme. Ont-ils oublié, ces petits commis de scandales que pour l’heure – encore – c’est la Justice qui tranche et non pas eux, bourreaux-marionnettes avant les juges souverains ? Et que la présomption d’innocence reste l’apanage d’un système judiciaire façonné au fil du temps par l’esprit de la démocratie qui, même s’il n’est pas parfait, demeure l’un de ses pivots essentiels.

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Le comédien Ary Abittan, voué un temps aux gémonies, en sait quelque chose, après avoir traversé les flammes d’un enfer du même tonneau. En octobre 2021, la même meute, mais avec d’autres chiens, s’acharnaient sur ce fantaisiste en pleine ascension, plébiscité par le public. Mis en cause par une jeune femme de 23 ans qui l’accusait de viol, il était rapidement mis en examen pour ces faits. Les médias de tout poil reprenaient l’info… et sonnaient l’hallali. Contrats rompus, représentations annulées, tournées supprimées, revers d’image : ces fatwa d’un nouveau genre laissaient l’homme stupéfait, prostré, interdit… Lui qui surfait si allègrement d’habitude sur les réseaux sociaux, s’auto-condamnait au silence en mutilant son art de l’espièglerie, sous ce linceul si hardiment jeté. Les rares médias qui tentaient de calmer le jeu, en soufflant sur les braises déclinantes de la présomption d’innocence, voyaient leur écho se perdre dans le vent. Vaille que vaille, la chaîne d’infos CNews, rappelait régulièrement la presse à plus de mesure.

En juillet dernier, deux magistrats en charge de « l’affaire » estimaient que de nouveaux éléments affaiblissaient notablement la charge. Ils plaçaient l’acteur sous le statut de témoin assisté, en suivant les réquisitions du parquet. Mais là, point de tonitruante publicité de la part des Fouquier-Tinville de l’imprimerie ou des ondes.

Petit à petit l’humoriste renoue désormais avec son public mais, même si la justice le dédouane un jour, lui reviendront régulièrement des relents nauséabonds de fumée et de feu, issus de dictons populaires dévoyés.

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La comparaison entre Gérard Depardieu et Ary Abittan vaut ce qu’elle vaut et la justice tranchera, même si la tête de notre Christophe Colomb national vacille déjà sous le tranchant de cette épée manipulée.

Un dernier élément au débat peut-être ? Il n’y a pas si longtemps, combien était-elles ces jeunes filles énamourées, ces jolies femmes en pamoison devant leur idole ou une quelconque célébrité, dans l’attente d’un regard complice, synonyme d’émotions plus intimes ?… On les appelait alors « groupies ».

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© Bernard Bernard. Photo prise le 2 mai 1996 lors de la remise de la rosette par le président Chirac, avec notamment Jean Marais, Simone Valère, Gilles Jacob et Gérard Depardieu.

Exportations : pourquoi le modèle italien devrait inspirer la France

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La première Lamborghini fontionnant au diésel, au 2023 SEMA Show, Las Vegas, le 31/10/2023 UPI/Newscom/SIPA

Au moment où le champion européen des exportations, l’Allemagne, connaît des difficultés, un autre État-membre vient à la rescousse de l’UE. Ce n’est pas la France – qui a toutes les raisons d’être jalouse de ce concurrent – mais l’Italie. En 2022 le montant des exportations a atteint 624,6 milliards d’euros, soit 20% de plus qu’en 2021. Et 2023 s’annonce être l’année de tous les records. La France, trop obsédée par le modèle allemand, ferait mieux de regarder du côté de son voisin transalpin.


En 2022 les entreprises italiennes ont fait preuve de résilience et de vitalité dans le commerce international, même après les chocs de la pandémie et de l’invasion russe de l’Ukraine qui a fait flamber les prix de l’énergie et perdre une importante partie des exportations italiennes vers la Russie. En particulier, les exportations ont atteint 624,6 milliards d’euros, soit 100 milliards de plus qu’en 2021, retrouvant les niveaux d’avant le Covid. La performance italienne est nettement meilleure que celle de l’Espagne (+7,6%) et surtout de l’Allemagne (-2,0%) et de la France (-4,7%), qui en 2022 sont encore inférieures aux niveaux d’avant Covid. Toujours en 2022, la Botte gagne une position en devenant le sixième exportateur mondial.

Les marchés et les secteurs

L’Europe demeure la première destination des exportations italiennes avec un volume d’exportations égale à 418.536 milliards d’euros, suivi par les États-Unis avec 90.579 milliards et l’Asie avec 80 milliards. Quant à l’Afrique, les exportations, même si elles sont inférieures, progressent à 21.5 milliards et enfin l’Océanie avec 14.2 milliards.

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Les secteurs qui exportent le plus ont été les machines, avec une valeur égale à 92,9 milliards d’euros (+10,3%). Ensuite le secteur de la mode qui avec ses 86 milliards d’exportations (+18%) dont 28 d’excèdent commercial, est destiné à devenir dans les prochaines années le numéro un des exportations. Quant au secteur agroalimentaire, il continue sa progression avec 52,3 milliards d’euros d’exportations (+16,7%). Le secteur pharmaceutique a généré un volume qui s’élève à 47,6 milliards d’euros (+42,8%). Le bois et l’ameublement ont atteint 21 milliards (+13,3%).

Décryptage

L’Italie fait partie des six premiers pays au monde avec un excédent commercial extérieur, hors coûts et minéraux énergétiques de plus de 100 milliards d’euros.

La question récurrente qui vient à l’esprit est : comment fait l’Italie, un pays basé sur des PME souvent familiales, totalement dépendant sur le plan énergétique, dépourvu des grands groupes industriels, pour enregistrer des meilleures performances à l’export que certaines nations économiquement plus grandes ?

Il y a quatre aspects fondamentaux qui expliquent cette performance.

Tout d’abord l’industrie manufacturière représente le pilier sur lequel repose l’économie du pays avec une chiffre d’affaires d’environ 1200 milliards d’euros dont plus de 50% est exporté à l’international. La mondialisation avec sa compétition basée sur les bas coûts de production n’a pas limité la capacité industrielle du pays. L’essence du « Made in Italy »  est son industrie.

La compétitivité italienne dérive de la structure particulière de son système de production qui ne repose que de manière minimale sur de grands secteurs industriels mais plutôt sur environ 3000 niches dans lesquelles elle est leader mondial. L’Italie présente le plus haut degré de différenciation des exportations par rapport à tous les autres pays du monde. Pour cette raison le chiffre d’affaires des exportations italiennes est potentiellement plus résistant que celui d’autres pays qui se concentrent uniquement sur certains types de produits et qui sont donc plus exposés à d’éventuelles conditions économiques négatives.

La taille des entreprises ne constitue pas un frein aux exportations. Près de 80% des exportations manufacturières sont réalisées par 9000 entreprises moyennes et grandes entreprises (de 50 à 4 999 salariés). A cela s’ajoutent 27 000 petites entreprises employant entre 10 et 49 salariés, qui couvrent les 13 % restants. Il n’existe cependant que 13 entreprises employant plus de 5 000 salariés qui représentent moins de 7% des exportations. L’Italie n’est donc pas forcement pénalisée par le manque de grands groupes industriels.

Parmi d’autres facteurs déterminants, l’Italie est traditionnellement dotée de chaînes d’approvisionnement courtes, que ce soit de moyenne ou de grande dimensions. Il y a aussi l’ancrage local de nombreuses et diverses activités de production, ainsi que leur capacité à innover et à réinterpréter des produits.

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La deuxième manufacture d’Europe bénéficie d’un des plus hauts degrés d’automatisation au monde avec environ 23 000 robots installés. Grâce à l’utilisation de robots, les entreprises rendent la production plus flexible tant en termes de volumes que de qualité, acquérant ainsi une capacité de réponse beaucoup plus rapide aux changements de la demande globale. Cela améliore considérablement la compétitivité des entreprises sur un marché de plus en plus mondialisé, où la variété des produits augmente de façon exponentielle et leurs cycles de vie se raccourcissent progressivement. La spécialisation de l’Italie dans le commerce international est suivie de près par différents analystes qui étudient son modèle économique. À l’instar d’autres grandes nations, son réseaux de PME régionales a su s’adapter à une compétition internationale de plus en plus agressive en se positionnant sur des niches des marchés. Dans un pays comme la France où le sujet de la réindustrialisation est plus que jamais d’actualité, le modèle italien pourrait bien être plus proche culturellement et économiquement du modèle français et donc plus facile à mettre en œuvre que le modèle allemand, par exemple, qui est totalement différent.