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Le pape François et le retour du jésuitisme


Le pape François et le retour du jésuitisme
Le pape François élève Victor Manuel Fernandez au rang de cardinal, Saint Pierre, Rome, le 30/9/2023 maria grazia picciarella/Shutter/SIPA

Fiducia supplicans, la déclaration signée par le cardinal Victor Manuel Fernandez qui autorise la bénédiction de couples de même sexe constitue un chef-d’oeuvre de casuistique. Tribune de Marie-Hélène Verdier.


Le pape François a, de nouveau, manifesté sa créativité pastorale, en instaurant, à partir de l’Écriture, et sans toucher au dogme, une bénédiction non liturgique pour les couples dits « irréguliers ». Il faut lire in extenso la déclaration Fiducia supplicans, signée du Cardinal Fernandez, préfet du dicastère pour la Doctrine de la foi, digne des Provinciales de Pascal. Sous couvert de miséricorde et de la capacité de tous de bénir et de se sentir béni, on puise, dans les bénédictions de l’Écriture Sainte, la distinction entre une bénédiction sacerdotale au caractère « descendant » et une bénédiction au caractère « ascendant ». Les exemples ne manquent pas, depuis Melchisédech, Abraham, Isaac, Jacob, Moïse, Aaron, Zacharie, Siméon, et tous les chefs de communauté bénissant leurs enfants, jusqu’à Jésus où se conjugue le caractère descendant et ascendant. De ces considérations « de benedictionibus », la théologie n’est pas absente puisqu’y sont convoqués les « grâces actuelles » et le « kérygme ». La conclusion est que les bénédictions sont « en constante évolution » et qu’il faut distinguer une bénédiction sacerdotale descendante, encadrée, de l’Église, d’une bénédiction « spontanée » ou populaire, sous l’impulsion de l’Esprit, se « transformant en inclusion, en spontanéité et en pacification ».

Une bénédiction prêtant à confusion?

Mais comme on ne bénit que quelque chose de conforme à la volonté de Dieu, la lettre met en garde  contre un élitisme narcissique et autoritaire qui élèverait « à la catégorie d’une norme cette bénédiction ascendante sous peine de casuistique insupportable ». Quelle perle ! Le lecteur, familier des Provinciales de Pascal  retrouvera, avec délectation, dans cette déclaration pastorale, l’esprit jésuite à l’ancienne, plaisant et subtil, des « opinions probables », qui va de pair avec la direction d’intention.

Envisager sous l’angle humoristique, voire impertinent, cette bénédiction New-look qui n’a aucun caractère dogmatique, c’est être libre vis-à-vis de la loi qui reconnaît les couples homosexuels, et fidèle au dogme catholique qui ne reconnaît comme  bénédiction – c’est-à-dire une œuvre bénie par Dieu – que  le mariage entre un homme et une femme ouvert à la génération d’enfants. L’être humain étant un être libre de ses actes, ce n’est pas parce qu’il se reconnaît indigent ou « fragile » devant Dieu qu’un couple homosexuel ou des divorcés remariés demandent une bénédiction, mais parce que, revendiquant, quoi que dise la lettre, la légitimité de leur statut, ils désirent qu’une bénédiction – descendante ou ascendante – bénisse leur situation conjugale. Or, on ne peut détourner la médiation sacerdotale de sa fin. Preuve en est la contorsion de ce texte pour promouvoir cette bénédiction des couples « irréguliers » tout en restant ferme sur la doctrine pérenne de l’Église qui n’autorise « aucun type de rite liturgique ou de bénédiction prêtant à confusion ».

Tartufferies progressistes

Alors, subtile, cette bénédiction, comme on le dit ? Jésuite en diable, plutôt ! En quoi une bénédiction non liturgique donnée, hors Église, par un prêtre, à un couple, et non des personnes – lors d’une visite d’un sanctuaire, une rencontre avec un prêtre, une prière en groupe – aurait-elle une valeur religieuse quelconque ? Et pourquoi une lettre pastorale signée du pape sur ce sujet ? Chaque baptisé ne peut-il pas bénir qui il veut, en toute occasion, sous l’effet d’une « grâce actuelle » ? Quelle valeur ajoutée aurait une bénédiction donnée par un prêtre hors Église, hors mariage, hors rite – la déclaration insiste là-dessus – sinon celle « d’éviter toute sorte de confusion et de scandale » ? Comment ne pas penser à Tartuffe : « Le scandale du monde est ce qui fait l’offense / Et ce n’est pas pécher que pécher en silence ».

Les médias progressistes, ignorants de la doctrine catholique dont ils se passent fort bien dans leur vie quotidienne, ont salué un aggiornamento de l’Église. En revanche, cette lettre a jeté le trouble et la confusion chez les fidèles et religieux du monde entier. Si le timing de cettelettre a été mal inspiré – la semaine précédant Noël – du moins un lecteur des Provinciales l’a-t-elle lue avec délectation. Décidément nos classiques sont toujours à la mode !

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Marie-Hélène Verdier est agrégée de Lettres classiques et a enseigné au lycée Louis-le-Grand, à Paris. Poète, écrivain et chroniqueuse, elle est l'auteur de l'essai "La guerre au français" publié au Cerf.

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