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Dégoût et des douleurs


Dégoût et des douleurs
Elie Yaffa dit "Booba", Dour, Belgique, juillet 2022 © CHANG MARTIN/SIPA

Pour la doxa bienpensante, Médine et tous ses copains rappeurs sont des gentils petits diables dominés…


Dans Libération, une syntaxe et une logique approximatives, à l’insu de son plein gré, Olivier Lamm enfonce Juliette Armanet, embourbée au Connemara. La postérité dévisse… « Le manichéisme a beau avoir mauvaise réputation, à l’heure des réseaux sociaux, c’est même un essentiel de la formation du goût que de trancher entre ce qui nous botte et en quoi on se reconnaît, et ce qui nous insupporte et contre quoi on s’est construit » (Libération, 20 août). En France, tout finit par des chansons… et de la politique. À droite : Heidi, heido, La joie scoute, Michel Sardou. À gauche : L’Internationale, Fais comme l’oiseau, les Grammy Awards de la diversité et Victoires de l’indignation.

En chantant

Les insoumis n’aiment pas que l’on suive une autre route qu’eux. D’un côté les rebelles éclairés, le progrès ; de l’autre l’obscurantisme et les poulagas. Au Wokistan, en chantant, avec Jdanov, le combat continue contre la réaction. Pour tisser le linceul du vieux monde, le temps des cerises, le Big Bazar, la chanson c’est pratique et entrainant ; plus court qu’un discours de Fidel Castro, plus digeste qu’un essai de Thomas Piketty, moins déprimant qu’une interview d’Annie Ernaux. C’est quand qu’on va où ? Vivons pour des idées, d’accord, avec des rentes… « Depuis tant de grands soirs, que tant de têtes tombent, au paradis sur terre on y serait déjà. De grâce, morbleu, laissez vivre les autres, la vie est à peu près leur seul luxe ici-bas » (Brassens).

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Sardou en garde à vue, sur qui les portes du pénitencier woke vont-elles se refermer ? Trenet, nostalgique de la douce France, cher pays de son enfance, son village au clocher, aux maisons sages ? Aznavour qui fait des bêtises à Trousse chemise, pleure les lilas morts et la bohème qui ne veut plus rien dire du tout ? Brel qui insiste, s’accroche comme un boulet, lorsqu’elle veut le quitter ? Johnny qui dans le feu de l’action, lourd comme un cheval mort, écrase sa partenaire ? Gainsbourg aussi.

Barbara, Dalida, Marie Laforêt, Nicole Croisille, Véronique Sanson, les grandes amoureuses, les femmes, sont tourmentées par les bad boys, les pervers narcissiques, les nuits d’automne, la charge mentale, le « male gaze » : Toute une vie sans te voir, Pour ne pas vivre seul, Pour en arriver là…L’amant le plus beau de Saint-Jean ne tient pas ses serments. Personne ne murmure « je t’aime » à l’oreille de Françoise Hardy, ne téléphone à Nicole Croisille…  Le plus triste, si l’on en croit Brassens, c’est que 95 fois sur cent, la femme s’emmerde en baisant…

Quand on n’a que la haine

Pas de panique : roudoudou et berlingot, le monde change de peau, les rythmes et la chanson évoluent. Les mots ne sont jamais les mêmes, pour exprimer ce qu’est le blues.


Une pléiade de sauvageons rimailleurs blasonne le corps féminin, avec entrain. Leurs luttes constellées portent le Soleil noir de la mélancolie. Lomepal, Moha La Squale, le rap, renouvellent la langue française, l’épitre, le haïku, les enjambements… toutes des Calliope ! « Pétard en billets violets, te déshabille pas, je vais te violer » (Jul). « Ferme un peu ta gueule, vas me faire un steak frite » (Booba). Une variante amusante d’Orelsan : « Ferme ta gueule, ou tu vas t’faire Marie–Trintigner ». Nick Conrad veut prendre les Blancs (PLB). Admirateur du Mollah Omar, Freeze Corleone est obsédé par le IIIe Reich et l’antisémitisme : « Rien à foutre de la Shoah ». Médine a un problème avec la république laïque : « Crucifions les laïcards comme à Golgotha » (Don’t Laïk). Dans un tweet, (« ResKHANpée », 10 août), il s’en prend à l’essayiste Rachel Khan, petite-fille de déportés, l’assaisonne d’un stalinien et convenu, « social-traitre ». Pas de quoi affoler Les Verts et LFI qui convient le ménestrel aux rimes « embarrassées » à leurs universités d’été. Les bobos s’encanaillent, vendent leur âme pour 30 voix en Seine-Saint-Denis. Le bal des nazes. « Les terreurs, moi j’en suis revenue ; elles ont surtout la terreur du boulot » (Arletty, Hôtel du nord).

Ténébreux, inconsolés, peinards dans les paradis fiscaux, Hilton, à Dubaï, en Ferrari, une troupe de barbes sales, rebelles de carnaval, analphabètes autodidactes, s’agitent, investissent le buzzness et la rente mémorielle. Ils sont protégés par la culture de l’excuse, choyés par les médias, islamo-gauchistes, boutefeux post-soixante-huitards, friands de guerres de races, de genres, d’études post-coloniales et autres Tartufferies yankee. Assoiffés de reconnaissance, d’argent et de pouvoir, les indigènes indigents, tirailleurs à blanc, Phèdre en carton-pâte (filles de Minus et de pas s’y fier) rallument des guerres civiles, minent l’universel et notre affectio societatis. « Défiez-vous des gens qui disent qu’il faut renouveler la langue ; c’est qu’ils cherchent à produire avec des mots, des effets qu’ils ne savent pas produire avec des idées » (François Andrieux).

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Pour la doxa bienpensante, les rappeurs sont des gentils petits diables dominés, opprimés à qui l’on donne le Bourdieu, Sandrine et Jean-Jacques Rousseau, sans confession. Les comiques voyageurs du multiculturalisme, poupées de cirque et de leçons intersectionnelles qui stigmatisent les mâles non « déconstruits », qui dénoncent les ravages du patriarcat à Passy et Tipperary, sont curieusement taisants sur le communautarisme délétère, la condition féminine, le proxénétisme, l’homophobie dans les territoires perdus de la République ; naïvetés, aveuglements et silences assourdissants face à la culture de haine, de violence, la misogynie, les appels aux viols, aux meurtres parfois, des rappeurs oligophrènes.

« La pire des décadences n’est point celle qui naît d’un excès de raffinement dans une élite, mais de vulgarité et méchanceté générales » (Roger Martin du Gard).



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