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La Miss et le dictateur

Sheynnis Palacios, symbole malgré elle de la liberté au Nicaragua


La Miss et le dictateur
Sheynnis Palacios, Miss Univers, San Salvador, 18 novembre 2023 © Moises Castillo/AP/SIPA

Dans le Nicaragua de Daniel Ortega, manifester et brandir le drapeau national en public est interdit et passible de prison depuis 2018. 


Couronnée Miss Univers 2023, Sheynnis Palacios, originaire du Nicaragua, est devenue malgré elle un emblème de résistance face au régime autoritaire du président Daniel Ortega. Ce dernier entend pourtant doucher tout enthousiasme en faveur de cette étudiante de 23 ans dont il fait peu de cas.

Le 18 novembre 2023, Sheynnis Palacios a remporté le titre de Miss Univers. À l’annonce de sa victoire, ses compatriotes ont bravé l’interdiction de manifester, imposée par le gouvernement depuis cinq ans. Les rues principales de Managua, la capitale de cette république sud-américaine, ont été rapidement envahies par des centaines de personnes dansant et klaxonnant, arborant le drapeau national devenu emblématique de l’opposition au régime autoritaire de Daniel Ortega (en fonction entre 1979 et 1990, puis revenu à la tête de l’État en 2007). Ce même régime qui, par le simple port de ce symbole, peut vous conduire rapidement à une incarcération sans espoir de libération immédiate.

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La maire de la capitale, Reyna Rueda, et le vice-maire, Enrique Armas, ont présenté leurs félicitations à la famille de Palacios en lui offrant des bouquets aux couleurs rouge et noir, du parti sandiniste. Le lendemain de cette visite, le gouvernement a émis une déclaration officielle, bien que non signée par Daniel Ortega ou son épouse, la vice-présidente Rosario Murillo, dans laquelle il affirmait « se joindre à la juste joie de Sheynnis, de sa famille et de notre peuple (…) ». Un communiqué qui semblait pourtant vouloir dissimuler l’embarras dans lequel le gouvernement s’est trouvé avec la victoire inattendue de Sheynnis Palacios. Quelques jours auparavant, lors d’une émission diffusée à l’échelle nationale, la future Miss Univers avait été vivement moquée par des journalistes qui ne pariaient pas un cordoba d’or sur son succès. Les commentateurs n’avaient pas hésité à la surnommer « Miss buñuelos », en référence à un dessert frit au manioc agrémenté de fromage blanc et de miel, que la lauréate vendait dans la rue pour financer ses études.

Le président du Nicaragua Daniel Ortega et la vice-présidente Rosario Murillo, Managua, janvier 2022 © CHINE NOUVELLE/SIPA

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L’euphorie nationale a de toute façon été de courte durée, et l’enthousiasme rapidement éteint par les autorités. Trois jours après la victoire, la vice-présidente Murillo a dénoncé ceux qu’elle soupçonne de « glorifier la plus belle femme de la planète » à des fins politiques, pointant du doigt ses opposants (qu’elle avait qualifiés de « terroristes » lors des émeutes violemment réprimées en 2018), les accusant de fomenter un coup d’État. En réponse à ces manifestations, le gouvernement a simultanément interdit à deux artistes de créer une fresque murale en hommage à la nouvelle Miss Univers. La directrice du concours Miss Nicaragua, Karen Celebertti, s’est elle-même vue refuser l’entrée dans le pays, soupçonnée par la police d’avoir « intentionnellement truqué les concours pour permettre aux reines de beauté opposées au gouvernement de remporter les compétitions ». Son mari, Martín Argüello, et leur fils, Bernardo, ont été immédiatement emprisonnés, pour complot et trahison. Pour les opposants, cette décision ressemble plus à une tentative du couple présidentiel de reprendre le contrôle du concours, avec l’intention présumée de le remettre à leur belle-fille, Xiomara Blandino, ancienne Miss Nicaragua de 2007 et critique sévère de la gestion des Miss par Karen Celebertti.

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Loin de cette « drama » ubuesque, Sheynnis Palacios s’est installée à New York pour un séjour d’un an comme son contrat le lui impose. Elle n’envisage pas de retour au Nicaragua, d’autant que celui-ci semble dès plus incertains en raison des menaces qui pèsent sur sa couronne. D’autant que la jeune fille de 23 ans est effectivement connue pour son opposition publique au pouvoir actuel. Depuis qu’elle a décroché la couronne de Miss Univers au Salvador le 18 novembre, des photos de la bomba latina brandissant un drapeau nicaraguayen dans des manifestations antigouvernementales ont en effet refait surface…



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Journaliste , conférencier et historien.

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