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Bye crooner!

L’hommage de Monsieur Nostalgie


Bye crooner!
L'acteur et chanteur français Guy Marchand, 1998 © T.F.1-PREBOIS/T.F.1-COLLECTIONS/SIPA

Guy Marchand disparait. Quelle destinée…


L’Argentin de Belleville n’avait pas toujours de belles manières. Il était rude souvent, discourtois parfois pour un homme de la Pampa, vraie tête de lard du chobizenesse, mauvais garçon des dancings, le poing facile, le sang chaud, la rancune tenace, le verbe cassant et cette superbe désinvolture que l’on n’apprend pas au Théâtre Français mais dans les garnisons d’élite. Le régiment fut sa maison de la culture ; les fortifs, son garde-fou. Il pouvait vous décocher une droite sur un malentendu, c’était sa façon d’instaurer le dialogue, de poser les bases d’un débat équilibré. Sans filtre. Jamais apaisé. Chambreur et souverain. D’une sensibilité mal régulée. Altier et poulbot dans un même élan. Gouailleur et rêveur. Il balayait les emmerdes d’un rire nerveux, même si la pilule passait encore difficilement. Il avait connu la gloire et les phases de retranchement. La « Passionata » et les déveines commerciales. Le compagnonnage avec les stars (Ventura et Belmondo) puis les strapontins des dernières années quand la lumière commence à faiblir. À chaque fois, à chaque apparition, il vous cueillait, en souffre-douleur ou en vieillard réfractaire, dans une comédie ou une série télé ; sa voix était le réceptacle de notre jeunesse. Nous y plongions avec délice. Il y avait tout dans ce timbre effronté, le côté bateleur chargé de gaudriole et, en même temps, une nostalgie ébréchée, le lent délitement du temps qui passe, les honneurs d’un monde enseveli, les foucades de la rigolade. Guy Marchand était mordant avec les cons, charmeur avec les femmes racées, sublime dans les rôles d’abrutis sûrs d’eux, il avait installé une forme de tension dans le cinéma des années 1970/1980, un humour dirigé contre lui, un style grandiloquent, bas de plafond, méchamment victimaire, râblé et laissant, malgré tout, entrevoir une émotion cabossée, celle des perdants qui pleurent, à la nuit tombée. Comme Jean-Pierre Marielle, Guy Marchand a joué les boomers virilistes, les cadres sur-vitaminés, les gigolos en capilotade, les héros de la croissance sans les amener dans les fossés de la caricature. Seuls les professionnels de cette stature-là sont capables d’insuffler le bon dosage. Et il faut aimer les cons pour les interpréter avec génie, c’est la grande leçon de cette génération qui se fait, peu à peu, la malle. Sa disparition à 86 ans intervient après un long cortège de départs, les acteurs nés dans les années 1930 se comptent désormais sur les doigts d’une main. La filmographie de Guy Marchand n’est pas compréhensible pour les nouveaux inquisiteurs, trop prompts à liquider le passé, à fustiger nos bamboches et notre second degré, à vouloir sans cesse nous rééduquer. Nous n’acceptons désormais que l’art sous blister, dépollué d’amertume et de rage, imperméable au rire des copains et à l’esprit boucanier. Guy Marchand était le contraire d’un acteur docile. Ses réflexes d’ancien officier para l’ont admirablement conservé des génuflexions propres à ce métier. Il l’a payé au cours de sa carrière. Une liberté de ton dont nos médias sous camisole ont oublié le fracas et la puissance.

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Charme vénéneux

Cette tête brulée ne mâchait pas ses mots, évoquant ses problèmes récurrents de fric, ses amours tempétueuses ou la mort qui rôdait autour de lui. Il l’avait dans le viseur depuis déjà un certain temps. Il a dansé avec la faucheuse un ultime tango qui aura duré quelques années. Cet excellent cavalier, qui avait troqué la motocyclette pour le pur-sang, les culottes courtes pour les blousons en cuir pleine fleur, ne se faisait pas d’illusion sur l’issue fatale ; teigneux, il ne lui a pas facilité la tâche. Guy Marchand n’était pas manœuvrable. Quand il passait sa tête dans le poste, on pouvait s’attendre à du vitriol, le désenchantement âpre du titi parisien qui a vécu mille vies, vendu des milliers de disques et travaillé avec les réalisateurs de renom. Quelle destinée ! Lui qui détestait ce standard et aurait préféré que l’on se souvienne de ses nombreux albums de jazz mâtinés de rythmes latins, en musique, c’était un bohème puriste. Je me souviens avoir été traîné par mes parents au Bataclan, à l’un de ses concerts, il y a vingt-cinq ans, j’étais alors peu sensible à son attirail de crooner francilien, ce soir-là, j’avais été subjugué par le type, son charme vénéneux, sa répartie, sa morgue jubilatoire, sans modération.

J’ai follement aimé ce mec-là, en entremetteur dans l’Hôtel de la plage, dans le trench de Nestor Burma ou pour son arrivée guignolesque dans l’appartement de Catherine Alric (Tendre Poulet), je cite de mémoire, il lui demande si elle a quelque chose de « blanc, de frais et de pétillant à boire ». Qui n’a pas vu Paul Memphis en blazer blanc déboulant au volant d’une Jeep Cherokee dans les Sous-doués en vacances ne connaît rien au cinéma de divertissement !

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Journaliste et écrivain. A paraître : "Et maintenant, voici venir un long hiver...", Éditions Héliopoles, 2022

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