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Les milliards, la vieille et le gigolo

La femme la plus riche du monde, de Thierry Klifa, en salles le 29 octobre, est le film le plus astucieux du mois. Ceux qui voudront ensuite tout apprendre de l’affaire Bettencourt peuvent en outre retrouver un documentaire en trois volets sur Netflix…


Toute ressemblance avec des personnes réelles serait évidemment fortuite. On s’en paye tout de même une bonne tranche dans La femme la plus riche du monde, hors compétition à Cannes cette année, transposition transparente de la saga qui, il y a une quinzaine d’années, pour la délectation des médias, mettait aux prises les héritiers du groupe L’Oréal sur l’accusation d’abus de faiblesse portée contre le photographe François-Marie Banier, le protégé de l’aïeule Liliane Bettencourt (1922-2017).

Huppert au meilleur de sa forme

Les noms sont changés, mais pas les protagonistes : « Isabelle Farrère », passablement rajeunie sous les traits d’Isabelle Huppert dans le rôle-titre (Liliane est morte nonagénaire) ; André Marcon pour camper le mari, « Guy Farrère » ; Laurent Lafitte pour incarner Banier, devenu « Pierre-Alain Fantin », tout comme la vraie Françoise Meyers, jouée par Marina Foïs, s’appelle ici « Frédérique Spielman », épouse de « Jean-Marc Spielman » (Matthieu Demy). Pascal Bonnefoy, le majordome dévoué à sa patronne qui, par ses enregistrements clandestins, déclencha le procès que l’on sait, prend le nom de « Jérôme Bonjean », figuré à l’écran par Raphaël Personnaz, le cheveu parcouru de mèches blondes. Jusqu’au mec de Banier, Martin d’Orgeval, conserve sa particule à l’écran, sous le patronyme de « Raphaël d’Alloz » (Joseph Olivennes). Au reste, le film ne fait qu’une potiche du d’Alloz, alors qu’en vrai le d’Orgeval a fini en taule, à l’instar de son amant et protecteur. Idem, le petit-fils de la milliardaire, fade blondinet BCBG, est aperçu crawlant sous le soleil d’Arros, l’île privée de grand-mère aux Seychelles, claironnant à la fin du film qu’il part pour Dubaï.  


Bref, tout est supposément vrai dans le canevas de cette fiction qui, tout de même, pousse un peu loin le bouchon de la caricature. Malgré tout, on rit de bon cœur aux répliques ciselées à l’ancienne, dans la tradition ‘’qualité française’’ (sur un scénario du vieux compère Cédric Anger, aidé de l’émérite Jacques Fieschi pour les dialogues). Jean-Marie Banier/ Pierre-Alain Fantin est présenté, d’un bout à l’autre du film, comme une follasse adipeuse et libidinale, sire graveleux, vulgaire, méchant, manipulateur, crapule proprement odieuse. Lorgnant par exemple un phallus antique devant le trumeau du salon, il lâche cette saillie au mari de Liliane : « n’oubliez pas de le lubrifier ! ».  Ce parti pris d’appuyer sur le burlesque ne permet pas de comprendre tout à fait l’adoration que lui a voué Liliane Bettencourt/Marianne Farrère, dont notre Huppert nationale, ici au meilleur de sa forme, fait une enfant gâtée, sincère dans son égoïsme infantile comme dans le délire de ses largesses. Marianne entraînée par Pierre-Alain dans une boîte de nuit gay, prétexte à une échappée poétique par le truchement d’une chanson d’Alex Beaupain interprétée par Anne Brochet, on hésite à y croire. Reste que le film condense efficacement l’inexorable progression d’une emprise qui, dans les faits, étalée sur plus de vingt ans, a fini par soumettre à ses caprices une vieillarde devenue à peu près sénile.   

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C’est peut-être la limite d’un film qui, à défaut de creuser profondément la nature et la férocité de cette liaison dangereuse, ne se contente pas, néanmoins, d’emprunter les couleurs d’un pur divertissement : à travers les personnages de Guy, le vieil époux expiant les errements vichyssois de sa jeunesse, et de sa fille Frédérique, l’épouse de l’israélite Jean-Marc Spielmann, il interroge les fluctuations confessionnelles, et cette pollution antisémite dont l’actualité montre assez qu’elle est loin d’être endiguée.

Une affaire qui a scotché l’opinion

Dans la réalité, le très catholique homme d’affaires André Bettencourt (1919-2007), plusieurs fois ministres sous De Gaulle et Pompidou, a bel et bien dû quitter ses fonctions de vice-président de L’Oréal à la suite des révélations sur son passé maréchaliste. Mais le vrai cagoulard collaborationniste, pas évoqué dans le film, c’est Eugène Schueller (1881-1957), le père de Liliane et fondateur de l’entreprise à l’origine de la fortune du clan Bettencourt.  Enfin et surtout, focalisé sur Fantin, La femme la plus riche du monde fait volontairement l’impasse sur l’intrication de l’intrigue Banier/Bettencourt avec la politique et la finance, à partir des accusations portées contre Nicolas Sarkozy, Éric Woerth et le gestionnaire de fortune Patrice de Maistre, précisément sur la base des enregistrements du majordome ainsi que des déclarations fluctuantes de la comptable, Claire Thibout. Sont également effleurées les longues tractations judiciaires de Françoise Bettencourt-Meyers pour aboutir à la mise sous curatelle de sa mère et écarter définitivement Banier du colossal héritage.

Moins désopilant et moins fictif que La femme la plus riche du monde, mais aussi palpitant quoiqu’assez racoleur, le documentaire en trois parties L’affaire Bettencourt, scandale chez la femme la plus riche du monde pourra, en option, vous tenir scotché trois heures durant sur Netflix, – toujours disponible à la demande.    


La femme la plus riche du monde. Film de Thierry Klifa. Avec Isabelle Huppert, Marina Foïs, Laurent Lafitte, Raphaël Personnaz, André Marcon… France/ Belgique, couleur, 2025. Durée : 2h03. En salles le 29 octobre 2025

L’affaire Bettencourt, scandale chez la femme la plus riche du monde. Documentaire de Baptiste Etchegaray et Maxime Bonnet. France, couleur.  3x 52mn (1- Parce qu’il le valait bien, 2- De l’affaire aux affaires, 3- Le Bal des profiteurs).

Voici venu le temps de la curée

Alors que les Galeries Lafayette ferment à Marseille, provoquant l’émeute, le Louvre est victime du « casse du siècle ». Tout fout le camp !


Marseille. Les deux magasins des Galeries Lafayette s’apprêtent à baisser définitivement le rideau. Alors on solde, on brade. Ce sont des moins 60%, moins 80 % affichés sur quantité de marchandises en stock. Alléchant bien sûr. On pouvait s’attendre au succès. On est très au-delà du succès. Des gens par centaines, par milliers peut-être s’agglutinent devant les portes bien avant l’ouverture, se précipitent à l’intérieur à peine sont-elles entrouvertes. On se bouscule, on en serait à se piétiner. Images impressionnantes autant que consternantes. On dirait un troupeau de gnous, bref des animaux, de pauvres bêtes de la savane mourant de soif se ruant sur l’unique point d’eau à des dizaines de kilomètres à la ronde. C’est bien à cela que nous assistons. Les choses se passent comme si la vie de cette foule, avilie en populace, était en jeu. Profiter de l’aubaine ou crever ! Hallucinant ! Plus rien d’autre n’existe que le truc qu’on veut à toutes fins posséder. Tel un trophée.

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Tout doit disparaitre

Comportement quasi bestial, absolument. Des plus primitifs, en tout cas. Plus rien ne compte, il n’y a plus la moindre retenue, le plus infime respect de ce qu’on appelait voilà encore peu de temps les « civilités ». On verse dans l’émeute, le pillage, le saccage. Or c’est à des scènes comme celles-là qu’on mesure combien notre société est menacée de régression. Où est le remède ? Qui saurait le dire aujourd’hui ?

Et puis, il y a le braquage du Louvre. Si j’osais, je dirais qu’on est là aux antipodes du chaos marseillais. Qu’on imagine un instant ce braquage comme élément de scénario d’un film dont la vedette sympathique serait, par exemple, notre Jean-Paul Belmondo. On applaudirait sans retenue. Pas de violence, pas de coups de flingue, de rafales de kalach’, pas d’égorgement au couteau, pas de prise d’otages, rien de tout cela. En quatre ou sept minutes montre en main, un dimanche matin, en plein jour, au cœur de Paris, l’affaire est réglée. Bien sûr, on peut évidemment larmoyer à l’infini sur la perte de ces joyaux patrimoniaux, témoignage magnifique de notre glorieux passé, de notre grandeur de jadis. Mais cette grandeur n’est plus et il n’est pas certain que la France d’aujourd’hui mérite encore de tels joyaux, qu’elle en soit réellement digne. Cela, bien entendu, n’excuse rien, n’efface nullement l’affront qui nous est fait, le préjudice culturel d’un tel vol. Ni d’ailleurs l’humiliation qui va avec, car, une fois de plus, nous faisons beaucoup rire à l’étranger. Pensez donc ! Le plus beau musée du monde incapable de protéger ses trésors. Oui, cela fait rigoler. À nos dépens, bien évidemment.

Chef d’œuvre

Ces derniers temps, nous donnons il est vrai nombre d’occasions de se payer notre tête. Les moulinets dans le vide et les péroraisons stériles du président, l’interminable pataquès gouvernemental, les bouffonneries parlementaires à répétition, la politicaillerie pitoyable des appareils. Hors de nos frontières, on a donc amplement de quoi se tenir les côtes. La grande marrade, actuellement notre splendide réussite à l’international.

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Mais passons outre. Résolument optimiste comme je suis et tiens à le demeurer,  je me permettrai l’outrecuidance de souligner la perfection esthétique – oui esthétique – de ce braquage du Louvre. Un ballet, un véritable ballet. Chacun des quatre lascars parfaitement dans sa partition. Pas un geste inutile. Un sang-froid de grands fauves. Le spectacle de rue en majesté, pour ainsi dire. À ce niveau, un tel chef d’œuvre aurait sa place au Louvre, justement…

Bien sûr, redisons-le, le dol patrimonial est lourd, traumatisant nul ne le contestera. Mais on se gardera tout de même d’oublier que rien n’est davantage français – et donc tout aussi légitimement patrimonial – que la fascination de l’audace, de l’intrépidité et, accessoirement, du bras d’honneur à l’ordre établi considéré comme un des beaux-arts. Alors, on perd certes en pierreries de grand prix, en symboles d’importance, mais on gagne d’autant dans le registre de la jubilation iconoclaste. Autre joyau de notre culture, et non des moindres, du moins à ce qu’il me semble.

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La fracture invisible: Israël, la parole confisquée et la France réelle

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Sur la question israélo-palestinienne, une contre-société a pris le pouvoir symbolique: elle dicte la peur, façonne le discours, dénonce les « sionistes » et verrouille le débat. Dans les médias comme à l’université, la crainte d’être montré du doigt l’emporte sur la liberté de penser. Le pays légal s’incline, et le pays réel, peu à peu, baisse les yeux. Analyse.


Il y a un paradoxe, ou plutôt une imposture, qu’il faut nommer sans détours : ce que nous entendons sur Israël, dans ce qu’il reste du débat public français, ne vient pas de la France réelle, mais d’un petit monde clos — celui des faiseurs d’opinion, des producteurs de récits, des prêtres de la morale médiatique. Ce n’est pas le peuple qui parle, c’est la caste. Celle dont les mots forment la liturgie de l’époque : journalistes, universitaires, sociologues subventionnés, militants recyclés en chroniqueurs. Ces gens parlent pour la France, mais ne sont plus de la France.

Clergé sans foi ni loi

Christopher Lasch les nommait déjà les talking classes : ces classes qui, n’ayant plus rien à produire ni à défendre, se sont arrogé le privilège de dire le vrai, de définir le bien et d’excommunier le reste.

Dans cette caste, une large part de ce qui s’appelle encore « la gauche » s’est métamorphosée en clergé sans foi. La France insoumise, caricature d’une révolution morte, s’y est taillée le rôle du nouveau parti missionnaire : celui d’un Occident rongé par la mauvaise conscience. Elle a troqué la lutte des classes pour la lutte des races, le peuple pour les minorités, et le prolétariat pour les imams. N’ayant plus rien à dire aux ouvriers, elle parle aux banlieues islamisées. Elle a trouvé dans le voile et le drapeau palestinien ses nouveaux symboles, dans la haine d’Israël sa dernière mystique, dans les Frères musulmans ses nouveaux alliés.

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Ainsi s’est formée une alliance monstrueuse entre le gauchisme moral et l’islamisme politique, un front du ressentiment où se mêlent professeurs de vertu, idéologues anticolonialistes et petits marabouts du ressentiment urbain.

Autour de ce noyau gravite une nébuleuse : ministères, ONG, associations, médias publics, universités — tout un appareil de pouvoir idéologique qui dicte la morale du temps, distribue les indulgences et les anathèmes, fixe les mots permis. Ce n’est pas seulement un pouvoir de dire : c’est un pouvoir d’effacer.

Le peuple réduit au silence

La majorité silencieuse n’est pas muette : on lui a coupé la langue. Ses mots, sitôt prononcés, sont jetés au pilori : populistes, xénophobes, réactionnaires. La sanction est immédiate, sociale, médiatique, symbolique. Et cette peur suffit à faire taire la vérité.

Lorsqu’un micro se tend vers la France populaire, c’est toujours sous condition : questions biaisées, réponses cadrées, conclusions préécrites. Le réel n’a pas droit de cité.

Or cette France-là, celle qui travaille encore, celle qui ne manifeste pas pour Gaza mais subit les violences, voit ce que d’autres ne veulent pas voir : les territoires perdus, la peur diffuse, la montée d’un islam radical qui se sait victorieux. Elle sait que les menaces ne viennent pas des fantômes du fascisme mais d’un fanatisme bien réel, enraciné dans des quartiers où la République a abdiqué.

Dans les cités, le drapeau palestinien est devenu l’étendard d’une revanche globale : celle des humiliés de l’Histoire réinventée, des héritiers d’un islam politique qui prospère sur les ruines de la nation. Là s’est forgée une idéologie où le Juif tient lieu d’ennemi métaphysique, Israël de cible expiatoire, et la France de champ de bataille.

Sous l’influence des Frères musulmans, de leurs officines culturelles et de leurs satellites médiatiques, s’est construite une contre-société : séparée, victimaire, fanatisée. Et c’est elle, désormais, qui dicte la peur dans les écoles, la rue, les débats. Le pays légal s’y soumet, le pays réel s’y résigne.

La mémoire trahie et l’inversion des fidélités

Pendant l’Occupation, c’étaient les humbles, souvent, qui avaient sauvé les Juifs : paysans, curés, instituteurs. Ce peuple qu’on méprise aujourd’hui a su risquer sa vie pour la justice. Ma propre famille y a trouvé refuge : un policier, un village, des visages anonymes. La France, la vraie. Celle qui ne se proclame pas morale, mais qui agit.

Aujourd’hui, la morale est le masque du renoncement. Les castes dominantes ont trahi la mémoire du courage. Elles ont remplacé la transmission par la rééducation. Dans les lycées et les universités, la cause palestinienne tient lieu de catéchisme. Les jeunes apprennent à s’indigner à bon compte, à haïr Israël comme leurs aînés haïssaient l’Amérique. On ne leur enseigne ni l’histoire ni la complexité, mais le réflexe pavlovien : l’Occident est coupable, le Sud est innocent, le Juif est redevenu suspect.

La cause palestinienne comme clé de voûte du nouveau clergé

Israël est devenu le miroir dans lequel la France des élites contemple sa propre lâcheté. La cause palestinienne lui offre une scène morale où rejouer sans cesse la comédie de la repentance. Elle lui permet d’expier sans rien comprendre, de dénoncer sans rien risquer.

Soutenir Gaza, c’est communier. Refuser, c’est apostasier. Dans les rédactions, les amphithéâtres, les associations, la cause palestinienne n’est pas un débat : c’est un rite d’appartenance.

Mais ce n’est pas seulement un simulacre de compassion : c’est un instrument de tri. Comme on jurait jadis fidélité au Parti, on jure aujourd’hui fidélité à la cause palestinienne. C’est le nouveau serment civique du monde progressiste. Ceux qui refusent sont proscrits, privés de tribune, frappés d’inexistence.

Une cause-miroir pour l’Occident coupable

Tout cela obéit à une logique plus vaste. Depuis la décolonisation, l’Europe n’a plus de foi qu’en sa propre culpabilité. Elle s’imagine expier ses crimes passés en embrassant toutes les causes des nouveaux opprimés — pourvu qu’elles ne menacent pas son confort.

Le Palestinien a remplacé le prolétaire : il est l’absolu moral, la victime définitive, le visage sanctifié de la souffrance. Face à lui, Israël tient le rôle du bourreau : un État fort, occidental, donc forcément coupable.

Le réel, encore une fois, n’a pas sa place : ni les guerres arabes, ni les dictatures islamistes, ni les génocides africains ne pèsent face au mythe du petit peuple martyrisé par le grand. La simplification morale a remplacé la vérité historique.

L’alliance du haut et du bas : la symbiose du mensonge

Ce qui est nouveau, c’est la jonction entre deux mondes : celui des élites progressistes et celui des banlieues islamisées. Le premier possède les mots, le second la force. L’un parle au nom de l’universel, l’autre au nom d’Allah ; et, étrangement, leurs haines se rejoignent.

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La gauche culturelle a trouvé dans les Frères musulmans des supplétifs commodes : un peuple prêt à haïr Israël, à exécrer la France, à nourrir le mythe de l’innocent arabe contre le coupable européen. Et réciproquement, l’islamisme a trouvé dans la gauche morale une légitimation intellectuelle, un bouclier contre toute critique.

C’est ainsi que s’organise, sous nos yeux, une double colonisation : celle des esprits par la repentance, celle des territoires par la peur.

L’érosion silencieuse de la démocratie

La démocratie n’est plus qu’un décor. Ses institutions fonctionnent, mais son âme s’est retirée. Car la démocratie, c’est le droit de nommer les choses. Et quand les mots deviennent dangereux, la liberté n’est plus qu’un souvenir.

Dans ce vide prospèrent les nouveaux totalitarismes doux : celui des plateaux télévisés, celui des injonctions morales, celui de l’intimidation communautaire. On y apprend à se taire pour ne pas perdre sa place, à mentir pour ne pas être exclu, à consentir pour ne pas disparaître.

Conclusion – De la mémoire du courage à la vigilance du réel

La mémoire du peuple de 1940 nous oblige : à ne pas nous soumettre, à ne pas laisser confisquer le droit de nommer, à ne pas nous laisser endormir par les slogans d’un humanisme qui n’a plus d’humain que le nom.

Si nous cédons encore à ce théâtre moral, si nous laissons l’alliance des imams et des intellectuels régner sur nos consciences, nous verrons disparaître ce qu’il reste de la France : non pas sa puissance, déjà perdue, mais sa dignité, sa lucidité, son âme. Alors il ne restera plus qu’une terre divisée entre ceux qui haïssent, ceux qui s’excusent, et ceux qui se taisent. Et dans ce silence tombera, comme une dernière vérité, le nom d’Israël — ce miroir brisé où se lit, encore une fois, la défaite du monde civilisé.

Manifeste pour une euthanasie du retraité aisé

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Mon oncle s’appelle Jacques. Il est récemment retraité. En tant que neveu, j’ai une grande affection pour lui. En tant que citoyen, je souhaite secrètement sa mort. Mais avec le moins de souffrances possibles, car pour être citoyen, on n’en est pas moins un être humain sensible.

Actifs et inactifs, la guerre des générations

Les retraités aisés sont des parasites qui sucent le sang des forces vives de la nation, dont je fais partie. Jacques touche plus de 100 000 euros annuels de retraite. Sur cette somme, il déduit 10% pour « frais professionnels » (alors qu’il est totalement improductif) et bénéficie d’un taux réduit de CSG. Dans les années 90, lorsque Jacques cotisait et (puisqu’il s’agit d’un système par répartition), payait pour la retraite de ses parents, cela lui coûtait 30% de ses émoluments. Aujourd’hui, je paie 45% de mon salaire brut pour la retraite de Jacques.

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Jacques a 65 ans, et il est en parfaite santé, car sa vie de cadre sup a été douce. Il aurait pu parfaitement continuer à travailler au moins cinq années de plus. Ceci dit, quand sa santé va se dégrader, il va nous coûter un bras, en profitant d’avancées médicales que son père n’a pas eu la chance de connaître. Et comme la médecine est formidable, il va nous coûter cher très très longtemps.

Taux d’épargne record

Jacques s’ennuie ferme depuis qu’il a pris sa retraite, et passe son temps à voyager en avion avec son épouse. Il contribue ainsi, lui et ses semblables, à polluer la planète et rendre infréquentables pas mal d’endroits qui pourraient se passer de ces hordes de couples chenus.

Quand il ne s’ennuie pas à l’étranger avec son épouse, Jacques s’ennuie avec ses amis sur un terrain de golf. J’ai eu l’occasion de passer l’y voir un mercredi après-midi et j’ai été abasourdi par la quantité de sexagénaires fringants, poussant gaiement devant eux un chariot hors de prix, et profitant d’une cotisation annuelle payée de fait par le contribuable. Il m’est d’ailleurs apparu que les seules personnes non retraitées pouvant se permettre de jouer au golf le mercredi après-midi sont des médecins spécialistes, dont la cotisation est aussi généreusement offerte par l’Assurance-maladie. Mais c’est un autre sujet.

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Malgré ces activités onéreuses, Jacques, qui est propriétaire de sa maison, n’arrive pas à dépenser l’entièreté de sa pension. Il épargne donc, comme ses amis. Effectivement, il s’avère que les plus de 70 ans ont un taux d’épargne record, allant jusqu’à 20% de leur revenu. Je paye donc la moitié de mon salaire brut pour permettre à Jacques d’épargner. Plus j’y pense, plus je souhaite sa mort.

Je suis conscient que j’écris ces lignes dans un media supposément droitier, qui est censé défendre les intérêts des CSP+. Mon propos est simplement le suivant : le retraité aisé est une charge pour la collectivité, et une vraie politique « de droite » (privilégiant le mérite à l’assistanat) devrait le châtier durement…

Et puis si Jacques se met en grève pour protester, il y aura moins de touristes à Venise, et moins d’attente au départ du trou n°10 !

Cédric Jubillar: justice de places…

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Après quatre semaines d’audience, la cour d’assises du Tarn a rendu son verdict vendredi 17 octobre: Cédric Jubillar a été condamné à trente ans de réclusion criminelle pour le meurtre de son épouse Delphine, disparue en décembre 2020 et dont le corps n’a jamais été retrouvé. À l’issue du jugement, ses avocats, Me Alexandre Martin et Me Emmanuelle Franck, ont exprimé leur profonde déception et annoncé que leur client interjetait appel de cette décision. Notre chroniqueur souligne dans son analyse le fossé de perception entre les acteurs de la justice — juges, jurés, avocats — et les journalistes, dont la distance et le prisme médiatique conduisent souvent à valoriser la défense plutôt que l’accusation.


Cédric Jubillar a été condamné à trente ans de réclusion criminelle pour meurtre. Ses avocats ont immédiatement interjeté appel de cet arrêt. Aussi vais-je bien me garder d’évoquer le fond de cette affaire qui a passionné l’opinion publique, mais seulement la différence de perception entre les participants au procès et les journalistes dans leur ensemble.

Cette impression, chez moi, ne date pas d’aujourd’hui. Combien de fois, lorsque j’étais avocat général à la cour d’assises de Paris, ai-je remarqué cet écart entre des personnes qui, dans la même salle d’audience, paraissaient assister au même procès. En réalité, leur regard et leur écoute n’étaient pas les mêmes.

La presse s’enthousiasme pour Me Franck

Écouter et questionner pour juger ultérieurement n’a rien à voir avec l’activité du journaliste qui écoute et s’interroge pour ensuite écrire un article. La plupart du temps, ils n’assistent pas au même procès, tant leur rapport à la scène judiciaire les place, les uns au premier plan et dans l’action, les autres dans une certaine distance.

Mon titre s’explique ainsi : justice des places. Des places où l’on se trouve dans la salle d’audience. Jurés, magistrats, avocats généraux, avocats de la défense, avocats des parties civiles d’un côté ; journalistes et chroniqueurs judiciaires de l’autre. Les premiers en plein dans le vif de la tragédie criminelle et responsables, les seconds concernés mais témoins d’une horreur dans le jugement de laquelle ils ne sont pas engagés. Pas les mêmes places, pas le même regard…

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C’est ainsi que dans les péripéties finales du procès de Cédric Jubillar, il est clair que les deux avocats généraux ont convaincu les jurés et la cour d’assises, tandis que les deux avocats de la défense, sans doute brillants, ont convaincu les journalistes.

Je n’ai pas été surpris – c’est habituel chez ces derniers – par le fait qu’au moins une plaidoirie de la défense, celle de Me Emmanuelle Franck, a suscité un enthousiasme éperdu, comme si toutes les contradictions opposées à l’accusation étaient solides et décisives. Alors que les réquisitions, même les plus talentueuses, pertinentes et de haute volée, ne suscitent jamais, de la part des chroniqueurs, la moindre adhésion admirative dépassant le cadre du strict compte rendu.

Les jurés heureusement convaincus par les avocats généraux

C’est le parti pris de principe, originel, des médias : pour l’accusé, plus que pour la défense de la société.

Le journaliste, quelle que soit sa tendance, n’est pas spontanément accordé, sur le plan judiciaire, avec l’ordre. Souvent il préfère les incertitudes troublantes aux vérités trop évidentes. Alors, quand de surcroît on a un Cédric Jubillar qui conteste obstinément, et que le corps de la victime demeure introuvable, les médias ne se sentent plus ! Pourtant, ayant lu la relation des réquisitions des deux avocats généraux, je n’avais pas eu le moindre doute sur le fait que, implacables, intelligentes et parfaitement argumentées, elles allaient convaincre les jurés. Évidemment, les trente ans requis ayant été prononcés, on a tenté, médiatiquement, une mise en cause de l’arrêt et de la présidente, alors que les conseils de l’accusé ont, eux, eu une attitude exemplaire, gardant leur énergie et leurs qualités pour l’appel à venir. Selon que vous êtes à une place de responsabilité et d’implication, ou que, parfois, vous n’écoutiez que d’une oreille, pressé d’écrire votre article…

Une justice des places, qui changent la perception.

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Cette intouchable «diversité» qui libanise la France

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Les médias conservateurs sont instamment priés de ne pas trop en faire sur le procès de Dahbia Benkired, l’Algérienne soupçonnée d’avoir torturé, violé puis massacré la petite Lola, retrouvée dans une malle en octobre 2022 dans le nord de Paris. C’est que ce fait divers sinistre pourrait mettre à mal la belle légende des bienfaits de l’idéologie diversitaire.


« Devant la diversité tu te prosterneras ». Mais le premier Commandement du régime et de sa presse ne souffre aucune opinion contraire. Ce dogme, que Nicolas Sarkozy voulut inscrire dans la Constitution en 2008, est donc une escroquerie intellectuelle. Le procès de la meurtrière de Lola, qui reprend ce lundi à Paris, illustre l’usage militant de cette pensée obligée qui empêche toute critique de l’immigration de masse. Parce que l’enfant de 12 ans avait été violée, tuée et dépecée, il y a trois ans, par une Algérienne soumise à une obligation de quitter le territoire français (OQTF), Dahbia Benkired, la presse de gauche avait immédiatement exigé « la décence du silence ». 

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Bonne et mauvaise récupération politique

Le garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti, avait accusé « l’extrême droite » de « se servir du cercueil d’une petite de 12 ans pour en faire un marchepied politique ». France 5 avait commis une émission sur « La fabrique du mensonge » pour instruire un procès en racisme et en xénophobie contre « les charognards » qui faisaient remarquer que l’enfant blond serait toujours en vie si l’OQTF contre ce démon avait été appliquée par les pouvoirs publics. Vendredi, à l’ouverture du procès, le frère de Lola, Thibault, s’est adressé au bourreau aux yeux vides en lui demandant de « dire la vérité pour nous et pour la France », justifiant le refus de sa famille de faire de ce procès un huis-clos. Lola est devenue, n’en déplaise aux censeurs, le symbole de l’injustice d’un système construit sur la préférence étrangère et l’oubli des indigènes. Si l’indignation a été permise pour George Flyod, Adama Traoré ou Nahel, elle a été interdite par les pandores du politiquement correct pour Thomas, Philippine ou Lola. Cette bêtise va cesser.

L’identité malheureuse

La diversité, dans son instrumentalisation, s’est transformée en arme létale contre la transmission de l’identité française. Le 12 octobre, place de la République, une manifestation a rassemblé, sous un flot de drapeaux français, plus d’un millier de personnes répondant à l’initiative des « Patriotes de la diversité », mouvement créé en juin par Henda Ayari, qui combat l’islamisme. Pour m’y être rendu en observateur, j’ai vu une foule paisible, ethniquement bariolée en effet, ne feignant pas son attachement à la France.

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Pour autant, la diversité dont se réclame cette organisation entache ses objectifs, en laissant place à une conception multiculturelle de la société, incompatible avec l’assimilation. Dans une République « une et indivisible », la diversité fait courir le risque de sa libanisation.

De surcroit, la sacralisation du concept empêche toute critique du phénomène de substitution de population. Or ce remplacement en cours pourrait faire basculer la nation judéo-chrétienne, avant la fin du siècle, en un territoire à majorité africaine et musulmane. Comme l’écrit Pierre Brochand, ancien patron de la DGSE, dans Le Figaro Magazine, la France ne se sauvera qu’à la condition d’avoir recours à « un radicalisme sans remords » dans la suspension des flux, des naturalisations, des aides, etc. Le cambriolage des bijoux du Louvre, hier matin, symbolise la fragilité de la nation ouverte et désarmée. Le diversitisme est anti-français.

Crozes-Hermitage, une initiative citoyenne

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Le 23 octobre, laissez-vous griser par l’élégance des syrahs de Crozes-Hermitage à La Felicità, insolite repaire parisien, où quarante vignerons passionnés feront rimer jeunesse, convivialité et grand vin…


Dans le marasme ambiant, certaines « initiatives citoyennes » nous mettent du baume au cœur et nous laissent entendre que, non, décidément, tout n’est pas foutu en France… Un collectif de « jeunes » a ainsi eu la bonne idée d’aller à contre-courant des préjugés et autres « enquêtes d’opinions » effectuées par des sociologues dépressifs qui n’aiment rien tant que mettre un thermomètre dans le cul des Français pour voir s’ils ont de la température. Ces « jeunes », donc, ont entrepris de démontrer que, contrairement à tous les ragots colportés sur leur compte, ils sont encore nombreux à aimer boire du bon vin, alors que tous les journaux nous assurent que l’effondrement de la consommation de vin est un « phénomène mondial » (comme le disait Depardieu dans le merveilleux film Le Sucre de Jacques Rouffio sorti en 1976). Comme tous les lecteurs de Causeur sont cultivés et attachés aux racines chrétiennes de notre civilisation, je les invite donc à réserver leur jeudi 23 octobre, de 18h à 23h, pour se rendre gratuitement dans un lieu extraordinaire et tout ce qu’il y a de plus insolite : La Felicita, un espace gigantesque situé dans une ancienne gare du 13ème arrondissement de Paris (où est exposée une ancienne Micheline). C’est là que, sur l’invitation de nos « jeunes », une quarantaine de grands vignerons de Crozes-Hermitage viendront présenter et goûter leurs vins : l’occasion, ainsi, de découvrir l’une des appellations les plus dynamiques et sympathiques qui soient, et de faire le plein de cartons en vue des fêtes de fin d’année (les prix proposés étant exceptionnellement et légèrement inférieurs à ceux du commerce habituel).

La Felicita, Paris

Une aubaine

Alors que la plupart des vins de Bourgogne sont devenus aujourd’hui financièrement inatteignables (y compris les Marsannay qu’on pouvait encore se payer l’an dernier), ceux de Crozes-Hermitage forment une aubaine, les prix moyens se situant entre 15 et 25 euros la bouteille (avec, il est vrai, quelques crus d’exception montant jusqu’à 36 ou 40 euros).

Et pour ce qui est du plaisir de boire, la syrah, ici, développe des notes de cassis d’une fraîcheur enthousiasmante, qui nous font oublier le pinot noir de Bourgogne devenu à la longue un peu monotone ! Donc, vous l’avez compris, voici une initiative citoyenne qui va permettre à une appellation encore trop méconnue de conquérir un nouveau public.

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À titre personnel, je le confesse, j’entretiens avec ce vignoble une relation affective qui remonte à l’enfance. Dans les années 1970-80, mes parents et moi vivions près de Grenoble. Nous passions nos week-ends et nos vacances dans une antique ferme en pisé située dans « les terres froides » du Dauphiné, non loin de la Drôme. Une fois l’an au moins, nous allions ainsi visiter le palais idéal du facteur Cheval à Hauterives, puis partions acheter nos vins à Crozes-Hermitage, entre l’Isère et le Rhône, car c’était le vignoble le plus proche. Nous allions ensuite acheter notre huile d’olive à Nyons et en profitions pour rendre visite aux artisans du village de Dieulefit, au milieu de paysages somptueux célébrés par Jean Giono. La Drôme, quelle merveille !

Les vins de Crozes-Hermitage, à l’époque, n’avaient pas trop la cote, le rouge était parfois aigrelet, c’est pourquoi nous privilégions le blanc pour accompagner les ravioles de Royan, les fromages de Saint-Marcellin, la truite du Vercors, la frisée aux noix de Grenoble et le gratin dauphinois… mmh !

Yann Chave, adoubé par la laiterie Bayard

Aujourd’hui, les choses ont bien changé et les progrès qualitatifs accomplis par les 170 vignerons de l’appellation (créée en 1937) forcent l’admiration. N’hésitez donc pas à visiter un jour ce vignoble de 2000 hectares (le plus important de toute la Vallée du Rhône après celui de Châteauneuf-du-Pape) dont les principaux villages sont Mercurol, Pont-de-l’Isère et Gervans. Au nord, les côteaux sont escarpés et durs d’accès, au sud, les vignes sont plantées sur un plateau composé de galets-roulés et d’argile rouge. On y produit 90% de rouge à base de syrah, un cépage qui délivre ici des tannins ronds et souples, sur le fruit et la fraîcheur. Le blanc, lui, se compose de roussanne et de marsanne : la première apportant des notes explosives de fleurs blanches, alors que la seconde cisèle le vin par l’amertume et le relief.

De nombreux jeunes vignerons se sont installés à Crozes-Hermitage au cours de ces vingt dernières années et ont décidé de faire leur propre vin plutôt que de le vendre à la cave coopérative de Tain-L’Hermitage qui est d’ailleurs très réputée. 

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Les trois domaines historiques (les premiers à avoir fait connaître ce vignoble dans le monde) sont ceux d’Alain Graillot (dirigé par son fils Maxime), de Laurent Combier (en bio depuis 1970 !) et de Laurent Fayolle.

J’ai pour ma part une prédilection pour les vins de Yann Chave (notre photo) dont le domaine a été créé en 1996. C’est le regretté caviste de Grenoble, patron de la Laiterie Bayard, François Blanc-Gonnet, qui m’avait fait découvrir ce vigneron passionné. « Être adoubé par François, raconte Yann Chave, était pour moi une consécration, car c’était un connaisseur, quelqu’un qui avait dans sa boutique quantités de trésors… C’est chez lui que j’ai bu et acheté ma première Chartreuse de Taragonne ! »

Yann produit des rouges fantastiques qu’il vous faudra absolument goûter le 23 octobre… « Je veux élaborer des vins frais, concentrés et élégants. Je les élève dans des demi-muids de 600 litres. Toute la difficulté et d’avoir en même temps la maturité des raisins et l’équilibre, c’est-à-dire pas trop de puissance alcoolique. » Mission accomplie !

Avec ce type de vignerons-orfèvres, on se rend compte qu’il vaut mieux boire un très bon Crozes-Hermitage à 25 euros qu’un Cornas ou un Saint-Joseph moyens (qui vont coûter près du double !).

Les très bons rouges ont un potentiel de garde de 10 à 20 ans, un peu poivrés, gorgés de sève et veloutés, il faut les marier avec une épaule d’agneau de la Drôme confite à l’ail et aux herbes ou, pourquoi pas, une belle fricassée de poulet de Bresse aux écrevisses du lac Léman !

Yann produit aussi des vins somptueux sur les appellations Cornas et Hermitage, et là, on entre encore dans une autre dimension… Mais commençons par les Croze !


« Génération Crozes-Hermitage » à La FELICITA
Jeudi 23 octobre de 18 à 23h.
Parvis Alain Turing 75013 Paris
Métro Chevaleret ou Bibliothèque François Mitterrand.
Entrée gratuite. Ateliers d’initiation à la dégustation.

Toutes et tous égaux dans la ruine: le cas Birmingham

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Dans la deuxième plus grande ville d’Angleterre, certes peut-être mal gérée par ailleurs, ce sont bien les décisions de justice tatillonnes et aberrantes sur la parité salariale entre hommes et femmes qui ont transformé la mégalopole en décharge à ciel ouvert. Explications.


Le 5 octobre, Le Parisien publie sur YouTube une vidéo intitulée « Faillite de Birmingham : des habitants désemparés et un commissaire aux comptes sans pitié » dans laquelle, après avoir évoqué la faillite en 2023 de la ville insolvable qui croule désormais sous les déchets, le journaliste demande au sujet du berceau de la Révolution industrielle avec plus d’un million d’habitants : « Comment une ville aussi importante que Birmingham a pu en arriver là ? » La question est, effectivement, fort intéressante ; hélas, le moins que l’on puisse dire est que la réponse qui y est apportée par la vidéo est incomplète, tant elle passe à côté de ce que la ville a de révélatrice des conséquences d’un égalitarisme poussé à l’absurde et dont elle est une victime sacrificielle.

Égalité des sexes et banqueroute

Le journaliste continue en expliquant que la ville « a été condamnée à payer près de 800 millions euros d’indemnités pour les milliers de femmes qui étaient employées à des salaires plus bas que leurs homologues masculins ». Il passe tout de suite à autre chose. On n’en saura pas plus… Il y a pourtant lieu de s’attarder un peu sur le développement judiciaire qui a provoqué la faillite de la ville en 2023 : quoi donc, ce bastion du Parti travailliste aurait fait défaut à l’égalité salariale entre les sexes ? Cette place forte de la gauche aurait payé les femmes moins que leurs collègues masculins pour le même travail, et ce à tel point que le redressement des torts était propre à provoquer la banqueroute municipale ? N’est-ce pas incroyable ?… Effectivement. Et serait bien en tort celui qui aurait tiré cette conclusion du résumé lapidaire de l’affaire donné par la vidéo. En un sens, cependant, la vérité de cette affaire est plus incroyable encore.

En 1997, la Cour de justice de l’Union européenne donne raison à une orthophoniste britannique qui s’estime victime de discrimination liée au sexe parce que, appartenant à une profession très largement féminine, elle est moins payée que ses collègues majoritairement masculins en psychologie clinique et en pharmacie ; mais là où l’article 119 du traité de Rome parlait d’égalité salariale à « travail égal », les juges dans leur décision mettent en valeur l’idée de « travail à valeur égale » – la nuance est de taille. L’année suivante, cette même cour déclare qu’une femme ayant subi une discrimination salariale peut récupérer non pas deux mais six ans de salaire, augmentant ainsi l’attrait des procédures judiciaires en ce sens, surtout au Royaume-Uni où la libéralisation judiciaire a créé un juteux marché d’avocats qui, y compris par la publicité télévisée, offrent leurs services à des clients auxquels ils ne facturent rien s’ils ne remportent pas leur procès (« no win, no fee »). Au fil des années, la source ruisselante que firent apparaître les magistrats de la CJUE devient un fleuve qui a vocation à emporter toujours davantage dans son passage.

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Quand, en 2012, la Cour suprême du Royaume-Uni autorise 170 travailleuses de Birmingham à poursuivre la ville pour discrimination devant les tribunaux civils plutôt qu’aux prud’hommes (où il y avait prescription) au motif que les femmes de ménage et les cuisinières sont moins bien payées que les éboueurs et les ouvriers routiers (notamment parce que fonctionnant moins aux primes), le fleuve devient un déluge : entre 2012 et 2023, Birmingham se retrouve à devoir payer plus d’un milliard d’euros en compensations financières au titre de l’égalité salariale, avant que la perspective du dit paiement supplémentaire de plus de 800 millions d’euros ne force la ville à déclarer faillite.

(Entre temps, en 2022, Glasgow – ville passée des travaillistes aux nationalistes écossais de gauche dans les années 2010 – a annoncé payer presque 900 millions d’euros au même titre, tandis qu’il y a trois semaines, c’est la municipalité travailliste de Sheffield dans le Yorkshire qui déclarait le paiement à venir de près de 60 millions d’euros. Le secteur privé n’est pas épargné, avec une vague de plaintes qui frappent les chaînes de supermarchés depuis que la Cour suprême a décidé en 2021 que les femmes travaillant dans les magasins Asda pouvaient contester leur salaire moindre vis-à-vis des hommes travaillant dans les hangars des plateformes logistiques, conduisant par exemple la chaîne Next à être condamnée en 2024 parce que leurs employées en magasin étaient payées moins que les manutentionnaires ; la dite chaîne de supermarchés Asda, quant à elle, risque de devoir payer 1,4 milliard d’euros en compensations financières et de voir ses dépenses augmenter de 460 millions d’euros par an pour combler la différence salariale).

Développement jurisprudentiel fou

Frappée par ces dépenses monstrueuses, la ville de Birmingham a bien dû trouver des économies à faire. Or, où mieux faire tomber le couperet que sur les éboueurs, dont les avantages en matière de rémunération avaient concentré les critiques des employées municipales ? Les éboueurs, ne souhaitant bien sûr pas se laisser faire, se sont mis en grève, et la ville est devenue une telle décharge à ciel ouvert qu’en mars, ce sont dix-sept mille tonnes de déchets qui jonchaient les rues, les livrant aux rats et forçant la municipalité à déclarer un « incident majeur » la permettant de mettre en œuvre des moyens supplémentaires pour s’attaquer au problème en concertation avec le gouvernement et les communes environnantes.

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Comme en témoigne cependant la vidéo du Parisien, la grève des éboueurs continue de faire ses effets, mais le demi-million de personnes qui l’ont visionnée à ce jour n’en seraient pas plus éclairées sur le fait que les habitants de la ville sont les victimes d’un développement jurisprudentiel dans lequel les magistrats ont décidé que les employeurs devaient désormais payer leurs salariés en fonction non pas des lois du marché, mais d’une estimation d’équivalence de travail entre le ramassage de poubelles et le nettoyage des bureaux, entre l’opération d’un chariot élévateur et le stockage des rayons, entre le goudronnage d’une route et le travail en cuisine, attribuant des « points » à chaque tâche qui, s’ils ne s’additionnent pas pour donner des « valeurs » équivalentes aux postes majoritairement masculins et à ceux à majorité féminine, sont une invitation à la sanction de la part du juge… !

Si vous comparez deux choses qui n’a rien à voir, l’Anglais moyen vous dira que vous « comparez les pommes et les oranges ». Mais le magistrat anglais, qui ne s’embarrasse pas des contraintes du bon sens, s’adonne désormais gaiement avec pour conséquence des centaines de millions d’euros d’amende tantôt pour les entités publiques, tantôt pour les entreprises. Combien de temps avant que la directive européenne sur la transparence salariale, qui s’applique à l’échelle de l’UE à partir de juin 2026, n’ait les mêmes effets ailleurs ?

Beautés oratoires

En octobre 1925, Clemenceau apportait les ultimes corrections à son Démosthène, un ouvrage consacré à l’un des plus grands orateurs de la Grèce antique mais largement autobiographique. Comme les Anciens, le Tigre estimait que la démocratie allait de pair avec l’éloquence. Cent ans plus tard, ses successeurs lui donnent raison.


Le 13 juillet dernier, notre président de la République citait Georges Clemenceau (1841-1929) dans son discours aux armées. On cite Saint-Exupéry quand on ne veut surtout pas faire de politique, et Clemenceau quand on prétend en faire. La phrase du Père la Victoire – « il faut savoir ce que l’on veut ; quand on le sait, il faut avoir le courage de le dire ; quand on le dit, il faut avoir le courage de le faire » – fit l’effet du vivant plaqué sur du mécanique. D’un côté, des mots simples – savoir, vouloir, dire et faire – que seules les circonstances de la vie permettent de comprendre. De l’autre, une langue obscure qui ne parle ni à la raison ni au cœur, avec son fatras d’éléments de langage empilés dans le discours comme des marchandises sur un porte-conteneurs – initier un état des lieux, combler des zones de fragilité, pousser le curseur de l’entraînement des soldats, porter un effort nouveau et historique. Entre la langue du Tigre et celle du syndic de copropriété de la nation-cadre, le contraste est douloureux. Un siècle les sépare. Un monde, surtout.

Il y a exactement cent ans, en octobre 1925, Georges Clemenceau, alors âgé de 84 ans, confiait dans sa correspondance apporter d’ultimes corrections à son Démosthène, petit ouvrage sur l’un des plus grands orateurs de la Grèce antique (384-322 av. J.-C.), héros de l’hellénisme face à Philippe de Macédoine, au temps où, chez les Grecs, la démocratie allait de pair avec l’éloquence. Pour Clemenceau qui fut tour à tour maire, président du conseil municipal, sénateur, député, ministre et président du Conseil, la parole politique est l’art de se donner, un art capable de lutter contre la passivité des peuples qu’il qualifie de « paix des décadences » et de « servitude n’ayant plus l’excuse du collier ». Largement autobiographique, miroir du destin de la France, le Démosthène de Clemenceau eut un succès limité. On lui reprocha sa langue inaccessible, ce à quoi l’auteur répondit : « Si Racine avait lu Cadet-Rousselle tous les jours, il n’aurait jamais fait Iphigénie. » Quant aux Discours de Démosthène, la récente édition des Belles Lettres (2023) les introduit aujourd’hui en posant cette question : où en sommes-nous de la maîtrise d’une parole politique publique élaborée et complexe ?

Où en sommes-nous ? Nous en sommes au discours de rentrée de la ministre de l’Éducation nationale, venue déclarer benoîtement au pupitre de la nation, « j’en suis convaincue, l’avenir d’un pays s’écrit dans les cahiers d’écolier », après avoir égrené le chapelet des produits marketing du moment – assises de la santé scolaire, plan filles et maths, plan avenir, dispositif portable en pause, charte relation école-parents – avec l’impayable intonation de l’élève qui ne comprend rien à ce qu’il lit à voix haute et bute sur les mots. Nous en sommes à « la conviction inarrachable » (sic) de l’ex-Premier ministre, version 2025 de l’éthique de conviction de Max Weber. Nous en sommes aux discours creux, aux nullités oratoires, aux phrases branlantes et aux expressions honteuses des figures politiques de notre temps. De la valetaille semi-analphabète aux prétendus ténors des différents partis, des favelas parlementaires au plus haut sommet de l’État, les smicards de la langue française infligent aux citoyens une langue hideuse, à la fois pauvre et hyperbolique, une langue où la liberté est toujours immense, l’engagement inestimable, le sacrifice ultime, une langue qui traîne derrière elle une foule d’adverbes – totalement, absolument, pleinement, impérativement – dont la mission est de saturer le sens comme on force sur les épices devant un plat insipide. Qu’on se rassure, les figures de style chères à notre patrie littéraire n’ont pas toutes disparu pour autant. Reste l’anaphore du moi ce que je pense, moi ce que je sais, moi ce que je veux, hommage insistant à l’inoubliable « moi président de la République » qui couronna, sinon l’éloquence française du deuxième millénaire, du moins l’humilité socialiste aux élections présidentielles de 2012. Reste surtout ce qu’on nomme la reprise pronominale, cette grammaire (parfois) touchante dont abuse le langage enfantin : « la maîtresse, elle a dit que… » Avouons qu’à distance respectueuse du cours préparatoire, des phrases telles que « le sujet, il est trop important », « le pays, il est au bord de la rupture » ou « le combat du gouvernement, il est sans ambiguïté », sont nettement moins attendrissantes.

Caricature de Georges Clemenceau par André Gill, fin xixe siècle.

« Il faut savoir défendre la République autrement que par des gesticulations, par des vociférations et par des cris inarticulés », lançait Georges Clemenceau aux députés socialistes, en mars 1918. La gauche qu’incarna ce républicain exigeant au verbe acéré et aux phrases subtilement acides fut une gauche radicale, anticléricale, individualiste, anticollectiviste, anticolonialiste, dreyfusarde et patriote, une gauche largement maudite par la gauche (Michel Winock). Sa recommandation n’a pas pris une ride et s’adresse aujourd’hui à l’extrême gauche tribunitienne qui fulmine et hurle, le doigt accusateur pointé vers les « puissants de la terre » (qu’elle se rassure, ils n’habitent pas en France), les « perruqués poudrés » (qu’elle se rassure encore, elle les a refait décapiter aux derniers Jeux olympiques) et la classe médiatique (qu’elle se rassure enfin, pas un média qui ne lui tende le crachoir). Mû par l’éthique d’irresponsabilité, le grand patron des damnés de la terre évoque, la haine aux lèvres, un monde plus beau. Il est ce prophète chiliastique dont parle Max Weber, qui vient prêcher l’amour contre la violence tout en appelant à la violence ultime pour faire advenir une vie meilleure. Ses discours sont une seule et même phrase, interminable, hémorragique, asphyxiante, ponctuée de etcarparce que, jalonnée de mots pédants pour faire cultivé et haut du panier – nonobstant, pantois, malcontent –, et de grossièretés calibrées pour faire popu et ras les pâquerettes – qu’ils la ferment, les grandes gueules. Sa langue emprunte à la langue du Troisième Reich, étudiée par Victor Klemperer, l’hyperbole, la saturation, l’exclamation, ainsi que la doctrine raciale et démographique : au concept nazi d’« aufnorden » (rendre plus nordique), elle a substitué celui de « créolisation » de la France (rendre moins blanc, paraît-il, selon le contresens consacré).

Revenons à l’automne 1925 et à ce qu’écrit Georges Clemenceau à Marguerite Baldensperger le 2 octobre, au gré de leur correspondance assidue, entre deux remarques sur sa relecture de Démosthène. « J’ai beau vouloir détourner mes pensées de l’universelle décivilisation, j’y reviens malgré moi à toute heure. » Homme de son temps, Clemenceau pensait l’histoire des nations en termes de civilisation et de barbarie. L’expérience lui enseigna que les nations civilisées étaient doublement fragiles : qu’elles étaient faibles face à la fureur d’autres nations, mais qu’elles pouvaient elles-mêmes régresser à un stade moins glorieux des aventures collectives, comme lors des émeutes antijuives d’Alger (1898) qui montrèrent, selon lui, « sous quel mince vernis de civilisation se cache notre barbarie ». Et d’ajouter, pour les citoyens que nous sommes devenus : « cela se passe en territoire français, avec cette inscription aux murs : Liberté, Égalité, Fraternité ». Aujourd’hui, la culture a remplacé la civilisation : il n’y a pas de revers à la médaille culturelle, juste des différences qui doivent aiguiser notre curiosité et émousser notre prudence.

Le langage de nos personnalités politiques est l’expression quotidienne de notre décivilisation contemporaine. Chaque jour, un micro leur est tendu pour déclarer : « La République, c’est que… » L’actuel président de la République a lui-même entériné ce processus de désagrègement de la langue au plus haut niveau, en déclarant, en 2020, « je vous demande un engagement, c’est d’être cool ». Georges Clemenceau n’était pas cool, malgré sa belle maîtrise de la langue anglaise, et il n’hésitait pas à qualifier les anglicismes de barbarismes. Le recul de l’éloquence héritée de la Grèce antique, alliance de la sagesse et de l’art de persuader, de la beauté et de la vérité (Marc Fumaroli) est la traduction de notre recul civilisationnel. On aurait tort, toutefois, de penser ce recul en invoquant la violence des mots : au temps du discours Sur la couronne de Démosthène – long discours de trois heures –, la violence verbale contrainte par les règles de la rhétorique, la beauté de la langue et le souci de vérité, menait l’orateur à traiter son accusateur de déchet de place publique, de pique-assiette et de fils de prostituée. Georges Clemenceau déclarait pour sa part, à la mort de Félix Faure, que cela ne faisait pas un homme de moins en France. L’éloquence française a laissé place à une langue en loques, et la barbarie affleure à nouveau, mais sous un vernis que notre hypocrisie collective a décidé de nommer, non plus civilisation, mais dignité humaine.


À lire

Démosthène, Georges Clemenceau, 1926 (ouvrage non réédité, mais accessible sur le site Gallica de la BNF).

Lettres à une amie (1923-1929), Georges Clemenceau, Gallimard, 1970.

Discours, Démosthène, Pierre Chiron (dir.), Belles Lettres, 2023.

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Clemenceau, Michel Winock, Perrin, 2007.

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À voir

Clemenceau, la force d’aimer (2022), film de Lorraine Lévy d’après un scénario de Jacques Santamaria et Nathalie Saint-Cricq.

Des planches de Deauville au désert des Touaregs!

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Monsieur Nostalgie nous parle d’un film sorti en mai 1986 qui n’a pas la cote auprès des cinéphiles. Si on loue la version originelle d’ « Un homme et une femme » datant de 1966 et la dernière salve du réalisateur en 2019 avec « Les plus belles années d’une vie », « Un homme et une femme, vingt ans déjà » traine une réputation déplorable. Il est temps de le réhabiliter !


Lelouch ne sait pas couper. Il empile les histoires, les superpose jusqu’à ce que l’édifice devienne complètement instable. De cette instabilité naît une patte originale, bavarde, sentimentale, cascadeuse, brouillonne et attachante. On y adhère ou elle laisse de marbre. Ce garnement insatiable ne sait pas choisir entre une histoire d’amour, d’amitié, un film d’action, un polar ou une trame historique. Alors, magnanime et goinfre, il nous met tout dans la bobine. Il se permet tout ce qui est d’habitude interdit par les guildes qui professent l’austérité et la sécheresse, l’esquisse à la chevauchée fantastique. Lelouch ne sait pas faire dans l’allégé et le digeste ; l’épure le met mal à l’aise. Il ne croit pas aux vertus de l’effleurement des sentiments, il préfère les solidifier quitte à les décortiquer, à les analyser, à les faire tourner en bourrique par la suite. Il a peur d’ennuyer. Cette peur salutaire devrait saisir tous les réalisateurs au moment de dire : Action ! Des gens ont payé leur ticket, ce sera peut-être leur seule sortie du mois ou du trimestre, je me dois de leur offrir l’inattendu et le magique, des girafes et des funambules, des beautés fatales et des sauts de l’ange. Alors a-t-il la main trop lourde ? Parfois, il exagère comme avec cette longue scène d’ouverture divertissante, accidentogène en diable qui ravit les rouleurs de mécanique mais qui peut rebuter l’intellectuel assis. Rétrospectivement, cette scène était suicidaire.

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Aujourd’hui, elle serait proscrite. Des députés demanderaient son annulation. On y voit plusieurs voitures de front se frotter, déraper, sauter, s’aimanter, freiner, accélérer, perdre leur pare-chocs et exploser leur pare-brise sur une piste d’essais en Italie bien connue des essayeurs de la presse automobile européenne. Trintignant au volant jubile. Rémy Julienne stoïque a néanmoins l’œil farceur. Ces grands enfants jouent aux autos-tamponneuses, titre d’un charmant roman de Stéphane Hoffmann. Cette scène dure. Elle est un morceau de bravoure, elle esthétise les carrosseries. Lelouch, je le redis ici, est le plus grand cinéaste en termes de perception rendue de la vitesse. Il a été à la meilleure école, celle du service cinématographique des armées au Fort d’Ivry-sur-Seine. Il y a appris le mouvement, la chute, le vertige et cette façon si artistique de coller le frisson à l’image. Vingt ans après « Un homme et une femme », Lelouch reprend ses personnages et déambule dans ses souvenirs. Anne Gauthier (Anouk Aimée) n’est plus scripte mais productrice en mal de succès et Jean-Louis Duroc (Jean-Louis Trintignant) n’est plus pilote de rallye mais il dessine le futur tracé du Paris-Dakar. Leurs enfants ont grandi. Le fils de Jean-Louis s’est marié et a plongé dans le motonautisme. La fille d’Anne est actrice. Charles Gérard téléphone pour connaître les chiffres de la séance du soir dans les cinémas des Champs-Elysées et de banlieue. C’est du Lelouch pur jus, calorique, débordant de la cafetière, avec ses travers ; il filme le film du film dans le film, des histoires entrecroisées, des amours triangulaires, la plage de Deauville au petit matin, la toile de Jouy des chambres du Normandy et la soif dans le désert. On ne sait plus très bien si on regarde un reportage, un thriller, le dénouement ou le renouvellement d’un amour éternel. On s’y perd un peu et c’est très agréable. Un Lelouch aussi touffu vous évite quinze mauvais films d’auteurs et blockbusters fadasses. Ce long-métrage se savoure pour son parfum d’ambiance, celui des années 1980. Il en a toutes les qualités et quelques défauts mineurs. Il est clinquant et pourtant assez fidèle aux hommes de cette décennie pubarde. Il est frimeur et déboussolé. Il est surtout un témoignage extraordinaire sur les passions masculines.

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Thierry Sabine ne le verra pas, il meurt dans un accident d’hélicoptère, quatre mois plus tôt. Pour ceux qui l’ont connu, ils le retrouveront à l’identique, jouant son propre rôle, playboy des sables, chef de mission à la barbe claire, agile dans les airs et dans les dunes. Là aussi, la longue séquence tournée en Afrique est visuellement belle et dramatiquement prémonitoire. Dans les années 1980, on ose tout, par ruse, par goût du risque, par éclat. Lelouch embauche PPDA et s’offre des figurants statiques et muets qui s’appellent Gérard Oury et Michèle Morgan. Jean-Claude Brialy fait une apparition furtive dans une salle de cinéma. Jacques Weber, Robert Hossein, Richard Berry et Marie-Sophie L, entre autres, complètent le casting. On ne se refuse rien. La fiction se dissimule derrière la réalité ou n’est-ce pas le contraire ? Á la fin, éberlué, sonné par tant de virevoltes, nous avons un flash. Comment avons-nous pu oublier cet événement sportif existant depuis 1955 qu’étaient les 6 heures motonautiques de Paris ? La municipalité actuelle s’étranglerait d’imaginer ces nuées de bateaux ultra-rapides qui zigzaguaient jadis entre les ponts de la Seine…

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Les milliards, la vieille et le gigolo

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Isabelle Huppert et Laurent Lafitte © Haut et court / Manuel Moutier / 2025 Récifilms – Versus Production – RTBF – Blue Parrot – Les films du Camélia

La femme la plus riche du monde, de Thierry Klifa, en salles le 29 octobre, est le film le plus astucieux du mois. Ceux qui voudront ensuite tout apprendre de l’affaire Bettencourt peuvent en outre retrouver un documentaire en trois volets sur Netflix…


Toute ressemblance avec des personnes réelles serait évidemment fortuite. On s’en paye tout de même une bonne tranche dans La femme la plus riche du monde, hors compétition à Cannes cette année, transposition transparente de la saga qui, il y a une quinzaine d’années, pour la délectation des médias, mettait aux prises les héritiers du groupe L’Oréal sur l’accusation d’abus de faiblesse portée contre le photographe François-Marie Banier, le protégé de l’aïeule Liliane Bettencourt (1922-2017).

Huppert au meilleur de sa forme

Les noms sont changés, mais pas les protagonistes : « Isabelle Farrère », passablement rajeunie sous les traits d’Isabelle Huppert dans le rôle-titre (Liliane est morte nonagénaire) ; André Marcon pour camper le mari, « Guy Farrère » ; Laurent Lafitte pour incarner Banier, devenu « Pierre-Alain Fantin », tout comme la vraie Françoise Meyers, jouée par Marina Foïs, s’appelle ici « Frédérique Spielman », épouse de « Jean-Marc Spielman » (Matthieu Demy). Pascal Bonnefoy, le majordome dévoué à sa patronne qui, par ses enregistrements clandestins, déclencha le procès que l’on sait, prend le nom de « Jérôme Bonjean », figuré à l’écran par Raphaël Personnaz, le cheveu parcouru de mèches blondes. Jusqu’au mec de Banier, Martin d’Orgeval, conserve sa particule à l’écran, sous le patronyme de « Raphaël d’Alloz » (Joseph Olivennes). Au reste, le film ne fait qu’une potiche du d’Alloz, alors qu’en vrai le d’Orgeval a fini en taule, à l’instar de son amant et protecteur. Idem, le petit-fils de la milliardaire, fade blondinet BCBG, est aperçu crawlant sous le soleil d’Arros, l’île privée de grand-mère aux Seychelles, claironnant à la fin du film qu’il part pour Dubaï.  


Bref, tout est supposément vrai dans le canevas de cette fiction qui, tout de même, pousse un peu loin le bouchon de la caricature. Malgré tout, on rit de bon cœur aux répliques ciselées à l’ancienne, dans la tradition ‘’qualité française’’ (sur un scénario du vieux compère Cédric Anger, aidé de l’émérite Jacques Fieschi pour les dialogues). Jean-Marie Banier/ Pierre-Alain Fantin est présenté, d’un bout à l’autre du film, comme une follasse adipeuse et libidinale, sire graveleux, vulgaire, méchant, manipulateur, crapule proprement odieuse. Lorgnant par exemple un phallus antique devant le trumeau du salon, il lâche cette saillie au mari de Liliane : « n’oubliez pas de le lubrifier ! ».  Ce parti pris d’appuyer sur le burlesque ne permet pas de comprendre tout à fait l’adoration que lui a voué Liliane Bettencourt/Marianne Farrère, dont notre Huppert nationale, ici au meilleur de sa forme, fait une enfant gâtée, sincère dans son égoïsme infantile comme dans le délire de ses largesses. Marianne entraînée par Pierre-Alain dans une boîte de nuit gay, prétexte à une échappée poétique par le truchement d’une chanson d’Alex Beaupain interprétée par Anne Brochet, on hésite à y croire. Reste que le film condense efficacement l’inexorable progression d’une emprise qui, dans les faits, étalée sur plus de vingt ans, a fini par soumettre à ses caprices une vieillarde devenue à peu près sénile.   

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C’est peut-être la limite d’un film qui, à défaut de creuser profondément la nature et la férocité de cette liaison dangereuse, ne se contente pas, néanmoins, d’emprunter les couleurs d’un pur divertissement : à travers les personnages de Guy, le vieil époux expiant les errements vichyssois de sa jeunesse, et de sa fille Frédérique, l’épouse de l’israélite Jean-Marc Spielmann, il interroge les fluctuations confessionnelles, et cette pollution antisémite dont l’actualité montre assez qu’elle est loin d’être endiguée.

Une affaire qui a scotché l’opinion

Dans la réalité, le très catholique homme d’affaires André Bettencourt (1919-2007), plusieurs fois ministres sous De Gaulle et Pompidou, a bel et bien dû quitter ses fonctions de vice-président de L’Oréal à la suite des révélations sur son passé maréchaliste. Mais le vrai cagoulard collaborationniste, pas évoqué dans le film, c’est Eugène Schueller (1881-1957), le père de Liliane et fondateur de l’entreprise à l’origine de la fortune du clan Bettencourt.  Enfin et surtout, focalisé sur Fantin, La femme la plus riche du monde fait volontairement l’impasse sur l’intrication de l’intrigue Banier/Bettencourt avec la politique et la finance, à partir des accusations portées contre Nicolas Sarkozy, Éric Woerth et le gestionnaire de fortune Patrice de Maistre, précisément sur la base des enregistrements du majordome ainsi que des déclarations fluctuantes de la comptable, Claire Thibout. Sont également effleurées les longues tractations judiciaires de Françoise Bettencourt-Meyers pour aboutir à la mise sous curatelle de sa mère et écarter définitivement Banier du colossal héritage.

Moins désopilant et moins fictif que La femme la plus riche du monde, mais aussi palpitant quoiqu’assez racoleur, le documentaire en trois parties L’affaire Bettencourt, scandale chez la femme la plus riche du monde pourra, en option, vous tenir scotché trois heures durant sur Netflix, – toujours disponible à la demande.    


La femme la plus riche du monde. Film de Thierry Klifa. Avec Isabelle Huppert, Marina Foïs, Laurent Lafitte, Raphaël Personnaz, André Marcon… France/ Belgique, couleur, 2025. Durée : 2h03. En salles le 29 octobre 2025

L’affaire Bettencourt, scandale chez la femme la plus riche du monde. Documentaire de Baptiste Etchegaray et Maxime Bonnet. France, couleur.  3x 52mn (1- Parce qu’il le valait bien, 2- De l’affaire aux affaires, 3- Le Bal des profiteurs).

Voici venu le temps de la curée

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Image d'archive. Musée du Louvre, février 2024 © Xavier Francolon/SIPA

Alors que les Galeries Lafayette ferment à Marseille, provoquant l’émeute, le Louvre est victime du « casse du siècle ». Tout fout le camp !


Marseille. Les deux magasins des Galeries Lafayette s’apprêtent à baisser définitivement le rideau. Alors on solde, on brade. Ce sont des moins 60%, moins 80 % affichés sur quantité de marchandises en stock. Alléchant bien sûr. On pouvait s’attendre au succès. On est très au-delà du succès. Des gens par centaines, par milliers peut-être s’agglutinent devant les portes bien avant l’ouverture, se précipitent à l’intérieur à peine sont-elles entrouvertes. On se bouscule, on en serait à se piétiner. Images impressionnantes autant que consternantes. On dirait un troupeau de gnous, bref des animaux, de pauvres bêtes de la savane mourant de soif se ruant sur l’unique point d’eau à des dizaines de kilomètres à la ronde. C’est bien à cela que nous assistons. Les choses se passent comme si la vie de cette foule, avilie en populace, était en jeu. Profiter de l’aubaine ou crever ! Hallucinant ! Plus rien d’autre n’existe que le truc qu’on veut à toutes fins posséder. Tel un trophée.

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Tout doit disparaitre

Comportement quasi bestial, absolument. Des plus primitifs, en tout cas. Plus rien ne compte, il n’y a plus la moindre retenue, le plus infime respect de ce qu’on appelait voilà encore peu de temps les « civilités ». On verse dans l’émeute, le pillage, le saccage. Or c’est à des scènes comme celles-là qu’on mesure combien notre société est menacée de régression. Où est le remède ? Qui saurait le dire aujourd’hui ?

Et puis, il y a le braquage du Louvre. Si j’osais, je dirais qu’on est là aux antipodes du chaos marseillais. Qu’on imagine un instant ce braquage comme élément de scénario d’un film dont la vedette sympathique serait, par exemple, notre Jean-Paul Belmondo. On applaudirait sans retenue. Pas de violence, pas de coups de flingue, de rafales de kalach’, pas d’égorgement au couteau, pas de prise d’otages, rien de tout cela. En quatre ou sept minutes montre en main, un dimanche matin, en plein jour, au cœur de Paris, l’affaire est réglée. Bien sûr, on peut évidemment larmoyer à l’infini sur la perte de ces joyaux patrimoniaux, témoignage magnifique de notre glorieux passé, de notre grandeur de jadis. Mais cette grandeur n’est plus et il n’est pas certain que la France d’aujourd’hui mérite encore de tels joyaux, qu’elle en soit réellement digne. Cela, bien entendu, n’excuse rien, n’efface nullement l’affront qui nous est fait, le préjudice culturel d’un tel vol. Ni d’ailleurs l’humiliation qui va avec, car, une fois de plus, nous faisons beaucoup rire à l’étranger. Pensez donc ! Le plus beau musée du monde incapable de protéger ses trésors. Oui, cela fait rigoler. À nos dépens, bien évidemment.

Chef d’œuvre

Ces derniers temps, nous donnons il est vrai nombre d’occasions de se payer notre tête. Les moulinets dans le vide et les péroraisons stériles du président, l’interminable pataquès gouvernemental, les bouffonneries parlementaires à répétition, la politicaillerie pitoyable des appareils. Hors de nos frontières, on a donc amplement de quoi se tenir les côtes. La grande marrade, actuellement notre splendide réussite à l’international.

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Mais passons outre. Résolument optimiste comme je suis et tiens à le demeurer,  je me permettrai l’outrecuidance de souligner la perfection esthétique – oui esthétique – de ce braquage du Louvre. Un ballet, un véritable ballet. Chacun des quatre lascars parfaitement dans sa partition. Pas un geste inutile. Un sang-froid de grands fauves. Le spectacle de rue en majesté, pour ainsi dire. À ce niveau, un tel chef d’œuvre aurait sa place au Louvre, justement…

Bien sûr, redisons-le, le dol patrimonial est lourd, traumatisant nul ne le contestera. Mais on se gardera tout de même d’oublier que rien n’est davantage français – et donc tout aussi légitimement patrimonial – que la fascination de l’audace, de l’intrépidité et, accessoirement, du bras d’honneur à l’ordre établi considéré comme un des beaux-arts. Alors, on perd certes en pierreries de grand prix, en symboles d’importance, mais on gagne d’autant dans le registre de la jubilation iconoclaste. Autre joyau de notre culture, et non des moindres, du moins à ce qu’il me semble.

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La fracture invisible: Israël, la parole confisquée et la France réelle

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Activistes de la Flotille pour Gaza, Place de la République à Paris, 8 octobre 2025 © SEVGI/SIPA

Sur la question israélo-palestinienne, une contre-société a pris le pouvoir symbolique: elle dicte la peur, façonne le discours, dénonce les « sionistes » et verrouille le débat. Dans les médias comme à l’université, la crainte d’être montré du doigt l’emporte sur la liberté de penser. Le pays légal s’incline, et le pays réel, peu à peu, baisse les yeux. Analyse.


Il y a un paradoxe, ou plutôt une imposture, qu’il faut nommer sans détours : ce que nous entendons sur Israël, dans ce qu’il reste du débat public français, ne vient pas de la France réelle, mais d’un petit monde clos — celui des faiseurs d’opinion, des producteurs de récits, des prêtres de la morale médiatique. Ce n’est pas le peuple qui parle, c’est la caste. Celle dont les mots forment la liturgie de l’époque : journalistes, universitaires, sociologues subventionnés, militants recyclés en chroniqueurs. Ces gens parlent pour la France, mais ne sont plus de la France.

Clergé sans foi ni loi

Christopher Lasch les nommait déjà les talking classes : ces classes qui, n’ayant plus rien à produire ni à défendre, se sont arrogé le privilège de dire le vrai, de définir le bien et d’excommunier le reste.

Dans cette caste, une large part de ce qui s’appelle encore « la gauche » s’est métamorphosée en clergé sans foi. La France insoumise, caricature d’une révolution morte, s’y est taillée le rôle du nouveau parti missionnaire : celui d’un Occident rongé par la mauvaise conscience. Elle a troqué la lutte des classes pour la lutte des races, le peuple pour les minorités, et le prolétariat pour les imams. N’ayant plus rien à dire aux ouvriers, elle parle aux banlieues islamisées. Elle a trouvé dans le voile et le drapeau palestinien ses nouveaux symboles, dans la haine d’Israël sa dernière mystique, dans les Frères musulmans ses nouveaux alliés.

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Ainsi s’est formée une alliance monstrueuse entre le gauchisme moral et l’islamisme politique, un front du ressentiment où se mêlent professeurs de vertu, idéologues anticolonialistes et petits marabouts du ressentiment urbain.

Autour de ce noyau gravite une nébuleuse : ministères, ONG, associations, médias publics, universités — tout un appareil de pouvoir idéologique qui dicte la morale du temps, distribue les indulgences et les anathèmes, fixe les mots permis. Ce n’est pas seulement un pouvoir de dire : c’est un pouvoir d’effacer.

Le peuple réduit au silence

La majorité silencieuse n’est pas muette : on lui a coupé la langue. Ses mots, sitôt prononcés, sont jetés au pilori : populistes, xénophobes, réactionnaires. La sanction est immédiate, sociale, médiatique, symbolique. Et cette peur suffit à faire taire la vérité.

Lorsqu’un micro se tend vers la France populaire, c’est toujours sous condition : questions biaisées, réponses cadrées, conclusions préécrites. Le réel n’a pas droit de cité.

Or cette France-là, celle qui travaille encore, celle qui ne manifeste pas pour Gaza mais subit les violences, voit ce que d’autres ne veulent pas voir : les territoires perdus, la peur diffuse, la montée d’un islam radical qui se sait victorieux. Elle sait que les menaces ne viennent pas des fantômes du fascisme mais d’un fanatisme bien réel, enraciné dans des quartiers où la République a abdiqué.

Dans les cités, le drapeau palestinien est devenu l’étendard d’une revanche globale : celle des humiliés de l’Histoire réinventée, des héritiers d’un islam politique qui prospère sur les ruines de la nation. Là s’est forgée une idéologie où le Juif tient lieu d’ennemi métaphysique, Israël de cible expiatoire, et la France de champ de bataille.

Sous l’influence des Frères musulmans, de leurs officines culturelles et de leurs satellites médiatiques, s’est construite une contre-société : séparée, victimaire, fanatisée. Et c’est elle, désormais, qui dicte la peur dans les écoles, la rue, les débats. Le pays légal s’y soumet, le pays réel s’y résigne.

La mémoire trahie et l’inversion des fidélités

Pendant l’Occupation, c’étaient les humbles, souvent, qui avaient sauvé les Juifs : paysans, curés, instituteurs. Ce peuple qu’on méprise aujourd’hui a su risquer sa vie pour la justice. Ma propre famille y a trouvé refuge : un policier, un village, des visages anonymes. La France, la vraie. Celle qui ne se proclame pas morale, mais qui agit.

Aujourd’hui, la morale est le masque du renoncement. Les castes dominantes ont trahi la mémoire du courage. Elles ont remplacé la transmission par la rééducation. Dans les lycées et les universités, la cause palestinienne tient lieu de catéchisme. Les jeunes apprennent à s’indigner à bon compte, à haïr Israël comme leurs aînés haïssaient l’Amérique. On ne leur enseigne ni l’histoire ni la complexité, mais le réflexe pavlovien : l’Occident est coupable, le Sud est innocent, le Juif est redevenu suspect.

La cause palestinienne comme clé de voûte du nouveau clergé

Israël est devenu le miroir dans lequel la France des élites contemple sa propre lâcheté. La cause palestinienne lui offre une scène morale où rejouer sans cesse la comédie de la repentance. Elle lui permet d’expier sans rien comprendre, de dénoncer sans rien risquer.

Soutenir Gaza, c’est communier. Refuser, c’est apostasier. Dans les rédactions, les amphithéâtres, les associations, la cause palestinienne n’est pas un débat : c’est un rite d’appartenance.

Mais ce n’est pas seulement un simulacre de compassion : c’est un instrument de tri. Comme on jurait jadis fidélité au Parti, on jure aujourd’hui fidélité à la cause palestinienne. C’est le nouveau serment civique du monde progressiste. Ceux qui refusent sont proscrits, privés de tribune, frappés d’inexistence.

Une cause-miroir pour l’Occident coupable

Tout cela obéit à une logique plus vaste. Depuis la décolonisation, l’Europe n’a plus de foi qu’en sa propre culpabilité. Elle s’imagine expier ses crimes passés en embrassant toutes les causes des nouveaux opprimés — pourvu qu’elles ne menacent pas son confort.

Le Palestinien a remplacé le prolétaire : il est l’absolu moral, la victime définitive, le visage sanctifié de la souffrance. Face à lui, Israël tient le rôle du bourreau : un État fort, occidental, donc forcément coupable.

Le réel, encore une fois, n’a pas sa place : ni les guerres arabes, ni les dictatures islamistes, ni les génocides africains ne pèsent face au mythe du petit peuple martyrisé par le grand. La simplification morale a remplacé la vérité historique.

L’alliance du haut et du bas : la symbiose du mensonge

Ce qui est nouveau, c’est la jonction entre deux mondes : celui des élites progressistes et celui des banlieues islamisées. Le premier possède les mots, le second la force. L’un parle au nom de l’universel, l’autre au nom d’Allah ; et, étrangement, leurs haines se rejoignent.

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La gauche culturelle a trouvé dans les Frères musulmans des supplétifs commodes : un peuple prêt à haïr Israël, à exécrer la France, à nourrir le mythe de l’innocent arabe contre le coupable européen. Et réciproquement, l’islamisme a trouvé dans la gauche morale une légitimation intellectuelle, un bouclier contre toute critique.

C’est ainsi que s’organise, sous nos yeux, une double colonisation : celle des esprits par la repentance, celle des territoires par la peur.

L’érosion silencieuse de la démocratie

La démocratie n’est plus qu’un décor. Ses institutions fonctionnent, mais son âme s’est retirée. Car la démocratie, c’est le droit de nommer les choses. Et quand les mots deviennent dangereux, la liberté n’est plus qu’un souvenir.

Dans ce vide prospèrent les nouveaux totalitarismes doux : celui des plateaux télévisés, celui des injonctions morales, celui de l’intimidation communautaire. On y apprend à se taire pour ne pas perdre sa place, à mentir pour ne pas être exclu, à consentir pour ne pas disparaître.

Conclusion – De la mémoire du courage à la vigilance du réel

La mémoire du peuple de 1940 nous oblige : à ne pas nous soumettre, à ne pas laisser confisquer le droit de nommer, à ne pas nous laisser endormir par les slogans d’un humanisme qui n’a plus d’humain que le nom.

Si nous cédons encore à ce théâtre moral, si nous laissons l’alliance des imams et des intellectuels régner sur nos consciences, nous verrons disparaître ce qu’il reste de la France : non pas sa puissance, déjà perdue, mais sa dignité, sa lucidité, son âme. Alors il ne restera plus qu’une terre divisée entre ceux qui haïssent, ceux qui s’excusent, et ceux qui se taisent. Et dans ce silence tombera, comme une dernière vérité, le nom d’Israël — ce miroir brisé où se lit, encore une fois, la défaite du monde civilisé.

Manifeste pour une euthanasie du retraité aisé

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DR.

Mon oncle s’appelle Jacques. Il est récemment retraité. En tant que neveu, j’ai une grande affection pour lui. En tant que citoyen, je souhaite secrètement sa mort. Mais avec le moins de souffrances possibles, car pour être citoyen, on n’en est pas moins un être humain sensible.

Actifs et inactifs, la guerre des générations

Les retraités aisés sont des parasites qui sucent le sang des forces vives de la nation, dont je fais partie. Jacques touche plus de 100 000 euros annuels de retraite. Sur cette somme, il déduit 10% pour « frais professionnels » (alors qu’il est totalement improductif) et bénéficie d’un taux réduit de CSG. Dans les années 90, lorsque Jacques cotisait et (puisqu’il s’agit d’un système par répartition), payait pour la retraite de ses parents, cela lui coûtait 30% de ses émoluments. Aujourd’hui, je paie 45% de mon salaire brut pour la retraite de Jacques.

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Jacques a 65 ans, et il est en parfaite santé, car sa vie de cadre sup a été douce. Il aurait pu parfaitement continuer à travailler au moins cinq années de plus. Ceci dit, quand sa santé va se dégrader, il va nous coûter un bras, en profitant d’avancées médicales que son père n’a pas eu la chance de connaître. Et comme la médecine est formidable, il va nous coûter cher très très longtemps.

Taux d’épargne record

Jacques s’ennuie ferme depuis qu’il a pris sa retraite, et passe son temps à voyager en avion avec son épouse. Il contribue ainsi, lui et ses semblables, à polluer la planète et rendre infréquentables pas mal d’endroits qui pourraient se passer de ces hordes de couples chenus.

Quand il ne s’ennuie pas à l’étranger avec son épouse, Jacques s’ennuie avec ses amis sur un terrain de golf. J’ai eu l’occasion de passer l’y voir un mercredi après-midi et j’ai été abasourdi par la quantité de sexagénaires fringants, poussant gaiement devant eux un chariot hors de prix, et profitant d’une cotisation annuelle payée de fait par le contribuable. Il m’est d’ailleurs apparu que les seules personnes non retraitées pouvant se permettre de jouer au golf le mercredi après-midi sont des médecins spécialistes, dont la cotisation est aussi généreusement offerte par l’Assurance-maladie. Mais c’est un autre sujet.

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Malgré ces activités onéreuses, Jacques, qui est propriétaire de sa maison, n’arrive pas à dépenser l’entièreté de sa pension. Il épargne donc, comme ses amis. Effectivement, il s’avère que les plus de 70 ans ont un taux d’épargne record, allant jusqu’à 20% de leur revenu. Je paye donc la moitié de mon salaire brut pour permettre à Jacques d’épargner. Plus j’y pense, plus je souhaite sa mort.

Je suis conscient que j’écris ces lignes dans un media supposément droitier, qui est censé défendre les intérêts des CSP+. Mon propos est simplement le suivant : le retraité aisé est une charge pour la collectivité, et une vraie politique « de droite » (privilégiant le mérite à l’assistanat) devrait le châtier durement…

Et puis si Jacques se met en grève pour protester, il y aura moins de touristes à Venise, et moins d’attente au départ du trou n°10 !

Cédric Jubillar: justice de places…

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Me Alexandre Martin et Me Emmanuelle Franck (avocats de Cédric Jubillar), Albi, 17 octobre 2025 © JM HAEDRICH/SIPA

Après quatre semaines d’audience, la cour d’assises du Tarn a rendu son verdict vendredi 17 octobre: Cédric Jubillar a été condamné à trente ans de réclusion criminelle pour le meurtre de son épouse Delphine, disparue en décembre 2020 et dont le corps n’a jamais été retrouvé. À l’issue du jugement, ses avocats, Me Alexandre Martin et Me Emmanuelle Franck, ont exprimé leur profonde déception et annoncé que leur client interjetait appel de cette décision. Notre chroniqueur souligne dans son analyse le fossé de perception entre les acteurs de la justice — juges, jurés, avocats — et les journalistes, dont la distance et le prisme médiatique conduisent souvent à valoriser la défense plutôt que l’accusation.


Cédric Jubillar a été condamné à trente ans de réclusion criminelle pour meurtre. Ses avocats ont immédiatement interjeté appel de cet arrêt. Aussi vais-je bien me garder d’évoquer le fond de cette affaire qui a passionné l’opinion publique, mais seulement la différence de perception entre les participants au procès et les journalistes dans leur ensemble.

Cette impression, chez moi, ne date pas d’aujourd’hui. Combien de fois, lorsque j’étais avocat général à la cour d’assises de Paris, ai-je remarqué cet écart entre des personnes qui, dans la même salle d’audience, paraissaient assister au même procès. En réalité, leur regard et leur écoute n’étaient pas les mêmes.

La presse s’enthousiasme pour Me Franck

Écouter et questionner pour juger ultérieurement n’a rien à voir avec l’activité du journaliste qui écoute et s’interroge pour ensuite écrire un article. La plupart du temps, ils n’assistent pas au même procès, tant leur rapport à la scène judiciaire les place, les uns au premier plan et dans l’action, les autres dans une certaine distance.

Mon titre s’explique ainsi : justice des places. Des places où l’on se trouve dans la salle d’audience. Jurés, magistrats, avocats généraux, avocats de la défense, avocats des parties civiles d’un côté ; journalistes et chroniqueurs judiciaires de l’autre. Les premiers en plein dans le vif de la tragédie criminelle et responsables, les seconds concernés mais témoins d’une horreur dans le jugement de laquelle ils ne sont pas engagés. Pas les mêmes places, pas le même regard…

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C’est ainsi que dans les péripéties finales du procès de Cédric Jubillar, il est clair que les deux avocats généraux ont convaincu les jurés et la cour d’assises, tandis que les deux avocats de la défense, sans doute brillants, ont convaincu les journalistes.

Je n’ai pas été surpris – c’est habituel chez ces derniers – par le fait qu’au moins une plaidoirie de la défense, celle de Me Emmanuelle Franck, a suscité un enthousiasme éperdu, comme si toutes les contradictions opposées à l’accusation étaient solides et décisives. Alors que les réquisitions, même les plus talentueuses, pertinentes et de haute volée, ne suscitent jamais, de la part des chroniqueurs, la moindre adhésion admirative dépassant le cadre du strict compte rendu.

Les jurés heureusement convaincus par les avocats généraux

C’est le parti pris de principe, originel, des médias : pour l’accusé, plus que pour la défense de la société.

Le journaliste, quelle que soit sa tendance, n’est pas spontanément accordé, sur le plan judiciaire, avec l’ordre. Souvent il préfère les incertitudes troublantes aux vérités trop évidentes. Alors, quand de surcroît on a un Cédric Jubillar qui conteste obstinément, et que le corps de la victime demeure introuvable, les médias ne se sentent plus ! Pourtant, ayant lu la relation des réquisitions des deux avocats généraux, je n’avais pas eu le moindre doute sur le fait que, implacables, intelligentes et parfaitement argumentées, elles allaient convaincre les jurés. Évidemment, les trente ans requis ayant été prononcés, on a tenté, médiatiquement, une mise en cause de l’arrêt et de la présidente, alors que les conseils de l’accusé ont, eux, eu une attitude exemplaire, gardant leur énergie et leurs qualités pour l’appel à venir. Selon que vous êtes à une place de responsabilité et d’implication, ou que, parfois, vous n’écoutiez que d’une oreille, pressé d’écrire votre article…

Une justice des places, qui changent la perception.

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Cette intouchable «diversité» qui libanise la France

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Delphine, la mère de Lola, au tribunal à Paris, le 17 octobre 2025 © JEANNE ACCORSINI/SIPA

Les médias conservateurs sont instamment priés de ne pas trop en faire sur le procès de Dahbia Benkired, l’Algérienne soupçonnée d’avoir torturé, violé puis massacré la petite Lola, retrouvée dans une malle en octobre 2022 dans le nord de Paris. C’est que ce fait divers sinistre pourrait mettre à mal la belle légende des bienfaits de l’idéologie diversitaire.


« Devant la diversité tu te prosterneras ». Mais le premier Commandement du régime et de sa presse ne souffre aucune opinion contraire. Ce dogme, que Nicolas Sarkozy voulut inscrire dans la Constitution en 2008, est donc une escroquerie intellectuelle. Le procès de la meurtrière de Lola, qui reprend ce lundi à Paris, illustre l’usage militant de cette pensée obligée qui empêche toute critique de l’immigration de masse. Parce que l’enfant de 12 ans avait été violée, tuée et dépecée, il y a trois ans, par une Algérienne soumise à une obligation de quitter le territoire français (OQTF), Dahbia Benkired, la presse de gauche avait immédiatement exigé « la décence du silence ». 

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Bonne et mauvaise récupération politique

Le garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti, avait accusé « l’extrême droite » de « se servir du cercueil d’une petite de 12 ans pour en faire un marchepied politique ». France 5 avait commis une émission sur « La fabrique du mensonge » pour instruire un procès en racisme et en xénophobie contre « les charognards » qui faisaient remarquer que l’enfant blond serait toujours en vie si l’OQTF contre ce démon avait été appliquée par les pouvoirs publics. Vendredi, à l’ouverture du procès, le frère de Lola, Thibault, s’est adressé au bourreau aux yeux vides en lui demandant de « dire la vérité pour nous et pour la France », justifiant le refus de sa famille de faire de ce procès un huis-clos. Lola est devenue, n’en déplaise aux censeurs, le symbole de l’injustice d’un système construit sur la préférence étrangère et l’oubli des indigènes. Si l’indignation a été permise pour George Flyod, Adama Traoré ou Nahel, elle a été interdite par les pandores du politiquement correct pour Thomas, Philippine ou Lola. Cette bêtise va cesser.

L’identité malheureuse

La diversité, dans son instrumentalisation, s’est transformée en arme létale contre la transmission de l’identité française. Le 12 octobre, place de la République, une manifestation a rassemblé, sous un flot de drapeaux français, plus d’un millier de personnes répondant à l’initiative des « Patriotes de la diversité », mouvement créé en juin par Henda Ayari, qui combat l’islamisme. Pour m’y être rendu en observateur, j’ai vu une foule paisible, ethniquement bariolée en effet, ne feignant pas son attachement à la France.

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Pour autant, la diversité dont se réclame cette organisation entache ses objectifs, en laissant place à une conception multiculturelle de la société, incompatible avec l’assimilation. Dans une République « une et indivisible », la diversité fait courir le risque de sa libanisation.

De surcroit, la sacralisation du concept empêche toute critique du phénomène de substitution de population. Or ce remplacement en cours pourrait faire basculer la nation judéo-chrétienne, avant la fin du siècle, en un territoire à majorité africaine et musulmane. Comme l’écrit Pierre Brochand, ancien patron de la DGSE, dans Le Figaro Magazine, la France ne se sauvera qu’à la condition d’avoir recours à « un radicalisme sans remords » dans la suspension des flux, des naturalisations, des aides, etc. Le cambriolage des bijoux du Louvre, hier matin, symbolise la fragilité de la nation ouverte et désarmée. Le diversitisme est anti-français.

Crozes-Hermitage, une initiative citoyenne

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Le 23 octobre, laissez-vous griser par l’élégance des syrahs de Crozes-Hermitage à La Felicità, insolite repaire parisien, où quarante vignerons passionnés feront rimer jeunesse, convivialité et grand vin…


Dans le marasme ambiant, certaines « initiatives citoyennes » nous mettent du baume au cœur et nous laissent entendre que, non, décidément, tout n’est pas foutu en France… Un collectif de « jeunes » a ainsi eu la bonne idée d’aller à contre-courant des préjugés et autres « enquêtes d’opinions » effectuées par des sociologues dépressifs qui n’aiment rien tant que mettre un thermomètre dans le cul des Français pour voir s’ils ont de la température. Ces « jeunes », donc, ont entrepris de démontrer que, contrairement à tous les ragots colportés sur leur compte, ils sont encore nombreux à aimer boire du bon vin, alors que tous les journaux nous assurent que l’effondrement de la consommation de vin est un « phénomène mondial » (comme le disait Depardieu dans le merveilleux film Le Sucre de Jacques Rouffio sorti en 1976). Comme tous les lecteurs de Causeur sont cultivés et attachés aux racines chrétiennes de notre civilisation, je les invite donc à réserver leur jeudi 23 octobre, de 18h à 23h, pour se rendre gratuitement dans un lieu extraordinaire et tout ce qu’il y a de plus insolite : La Felicita, un espace gigantesque situé dans une ancienne gare du 13ème arrondissement de Paris (où est exposée une ancienne Micheline). C’est là que, sur l’invitation de nos « jeunes », une quarantaine de grands vignerons de Crozes-Hermitage viendront présenter et goûter leurs vins : l’occasion, ainsi, de découvrir l’une des appellations les plus dynamiques et sympathiques qui soient, et de faire le plein de cartons en vue des fêtes de fin d’année (les prix proposés étant exceptionnellement et légèrement inférieurs à ceux du commerce habituel).

La Felicita, Paris

Une aubaine

Alors que la plupart des vins de Bourgogne sont devenus aujourd’hui financièrement inatteignables (y compris les Marsannay qu’on pouvait encore se payer l’an dernier), ceux de Crozes-Hermitage forment une aubaine, les prix moyens se situant entre 15 et 25 euros la bouteille (avec, il est vrai, quelques crus d’exception montant jusqu’à 36 ou 40 euros).

Et pour ce qui est du plaisir de boire, la syrah, ici, développe des notes de cassis d’une fraîcheur enthousiasmante, qui nous font oublier le pinot noir de Bourgogne devenu à la longue un peu monotone ! Donc, vous l’avez compris, voici une initiative citoyenne qui va permettre à une appellation encore trop méconnue de conquérir un nouveau public.

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À titre personnel, je le confesse, j’entretiens avec ce vignoble une relation affective qui remonte à l’enfance. Dans les années 1970-80, mes parents et moi vivions près de Grenoble. Nous passions nos week-ends et nos vacances dans une antique ferme en pisé située dans « les terres froides » du Dauphiné, non loin de la Drôme. Une fois l’an au moins, nous allions ainsi visiter le palais idéal du facteur Cheval à Hauterives, puis partions acheter nos vins à Crozes-Hermitage, entre l’Isère et le Rhône, car c’était le vignoble le plus proche. Nous allions ensuite acheter notre huile d’olive à Nyons et en profitions pour rendre visite aux artisans du village de Dieulefit, au milieu de paysages somptueux célébrés par Jean Giono. La Drôme, quelle merveille !

Les vins de Crozes-Hermitage, à l’époque, n’avaient pas trop la cote, le rouge était parfois aigrelet, c’est pourquoi nous privilégions le blanc pour accompagner les ravioles de Royan, les fromages de Saint-Marcellin, la truite du Vercors, la frisée aux noix de Grenoble et le gratin dauphinois… mmh !

Yann Chave, adoubé par la laiterie Bayard

Aujourd’hui, les choses ont bien changé et les progrès qualitatifs accomplis par les 170 vignerons de l’appellation (créée en 1937) forcent l’admiration. N’hésitez donc pas à visiter un jour ce vignoble de 2000 hectares (le plus important de toute la Vallée du Rhône après celui de Châteauneuf-du-Pape) dont les principaux villages sont Mercurol, Pont-de-l’Isère et Gervans. Au nord, les côteaux sont escarpés et durs d’accès, au sud, les vignes sont plantées sur un plateau composé de galets-roulés et d’argile rouge. On y produit 90% de rouge à base de syrah, un cépage qui délivre ici des tannins ronds et souples, sur le fruit et la fraîcheur. Le blanc, lui, se compose de roussanne et de marsanne : la première apportant des notes explosives de fleurs blanches, alors que la seconde cisèle le vin par l’amertume et le relief.

De nombreux jeunes vignerons se sont installés à Crozes-Hermitage au cours de ces vingt dernières années et ont décidé de faire leur propre vin plutôt que de le vendre à la cave coopérative de Tain-L’Hermitage qui est d’ailleurs très réputée. 

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Les trois domaines historiques (les premiers à avoir fait connaître ce vignoble dans le monde) sont ceux d’Alain Graillot (dirigé par son fils Maxime), de Laurent Combier (en bio depuis 1970 !) et de Laurent Fayolle.

J’ai pour ma part une prédilection pour les vins de Yann Chave (notre photo) dont le domaine a été créé en 1996. C’est le regretté caviste de Grenoble, patron de la Laiterie Bayard, François Blanc-Gonnet, qui m’avait fait découvrir ce vigneron passionné. « Être adoubé par François, raconte Yann Chave, était pour moi une consécration, car c’était un connaisseur, quelqu’un qui avait dans sa boutique quantités de trésors… C’est chez lui que j’ai bu et acheté ma première Chartreuse de Taragonne ! »

Yann produit des rouges fantastiques qu’il vous faudra absolument goûter le 23 octobre… « Je veux élaborer des vins frais, concentrés et élégants. Je les élève dans des demi-muids de 600 litres. Toute la difficulté et d’avoir en même temps la maturité des raisins et l’équilibre, c’est-à-dire pas trop de puissance alcoolique. » Mission accomplie !

Avec ce type de vignerons-orfèvres, on se rend compte qu’il vaut mieux boire un très bon Crozes-Hermitage à 25 euros qu’un Cornas ou un Saint-Joseph moyens (qui vont coûter près du double !).

Les très bons rouges ont un potentiel de garde de 10 à 20 ans, un peu poivrés, gorgés de sève et veloutés, il faut les marier avec une épaule d’agneau de la Drôme confite à l’ail et aux herbes ou, pourquoi pas, une belle fricassée de poulet de Bresse aux écrevisses du lac Léman !

Yann produit aussi des vins somptueux sur les appellations Cornas et Hermitage, et là, on entre encore dans une autre dimension… Mais commençons par les Croze !


« Génération Crozes-Hermitage » à La FELICITA
Jeudi 23 octobre de 18 à 23h.
Parvis Alain Turing 75013 Paris
Métro Chevaleret ou Bibliothèque François Mitterrand.
Entrée gratuite. Ateliers d’initiation à la dégustation.

Toutes et tous égaux dans la ruine: le cas Birmingham

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Birmingham, 14 avril 2025 © James Veysey/Shutterstock/SIPA

Dans la deuxième plus grande ville d’Angleterre, certes peut-être mal gérée par ailleurs, ce sont bien les décisions de justice tatillonnes et aberrantes sur la parité salariale entre hommes et femmes qui ont transformé la mégalopole en décharge à ciel ouvert. Explications.


Le 5 octobre, Le Parisien publie sur YouTube une vidéo intitulée « Faillite de Birmingham : des habitants désemparés et un commissaire aux comptes sans pitié » dans laquelle, après avoir évoqué la faillite en 2023 de la ville insolvable qui croule désormais sous les déchets, le journaliste demande au sujet du berceau de la Révolution industrielle avec plus d’un million d’habitants : « Comment une ville aussi importante que Birmingham a pu en arriver là ? » La question est, effectivement, fort intéressante ; hélas, le moins que l’on puisse dire est que la réponse qui y est apportée par la vidéo est incomplète, tant elle passe à côté de ce que la ville a de révélatrice des conséquences d’un égalitarisme poussé à l’absurde et dont elle est une victime sacrificielle.

Égalité des sexes et banqueroute

Le journaliste continue en expliquant que la ville « a été condamnée à payer près de 800 millions euros d’indemnités pour les milliers de femmes qui étaient employées à des salaires plus bas que leurs homologues masculins ». Il passe tout de suite à autre chose. On n’en saura pas plus… Il y a pourtant lieu de s’attarder un peu sur le développement judiciaire qui a provoqué la faillite de la ville en 2023 : quoi donc, ce bastion du Parti travailliste aurait fait défaut à l’égalité salariale entre les sexes ? Cette place forte de la gauche aurait payé les femmes moins que leurs collègues masculins pour le même travail, et ce à tel point que le redressement des torts était propre à provoquer la banqueroute municipale ? N’est-ce pas incroyable ?… Effectivement. Et serait bien en tort celui qui aurait tiré cette conclusion du résumé lapidaire de l’affaire donné par la vidéo. En un sens, cependant, la vérité de cette affaire est plus incroyable encore.

En 1997, la Cour de justice de l’Union européenne donne raison à une orthophoniste britannique qui s’estime victime de discrimination liée au sexe parce que, appartenant à une profession très largement féminine, elle est moins payée que ses collègues majoritairement masculins en psychologie clinique et en pharmacie ; mais là où l’article 119 du traité de Rome parlait d’égalité salariale à « travail égal », les juges dans leur décision mettent en valeur l’idée de « travail à valeur égale » – la nuance est de taille. L’année suivante, cette même cour déclare qu’une femme ayant subi une discrimination salariale peut récupérer non pas deux mais six ans de salaire, augmentant ainsi l’attrait des procédures judiciaires en ce sens, surtout au Royaume-Uni où la libéralisation judiciaire a créé un juteux marché d’avocats qui, y compris par la publicité télévisée, offrent leurs services à des clients auxquels ils ne facturent rien s’ils ne remportent pas leur procès (« no win, no fee »). Au fil des années, la source ruisselante que firent apparaître les magistrats de la CJUE devient un fleuve qui a vocation à emporter toujours davantage dans son passage.

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Quand, en 2012, la Cour suprême du Royaume-Uni autorise 170 travailleuses de Birmingham à poursuivre la ville pour discrimination devant les tribunaux civils plutôt qu’aux prud’hommes (où il y avait prescription) au motif que les femmes de ménage et les cuisinières sont moins bien payées que les éboueurs et les ouvriers routiers (notamment parce que fonctionnant moins aux primes), le fleuve devient un déluge : entre 2012 et 2023, Birmingham se retrouve à devoir payer plus d’un milliard d’euros en compensations financières au titre de l’égalité salariale, avant que la perspective du dit paiement supplémentaire de plus de 800 millions d’euros ne force la ville à déclarer faillite.

(Entre temps, en 2022, Glasgow – ville passée des travaillistes aux nationalistes écossais de gauche dans les années 2010 – a annoncé payer presque 900 millions d’euros au même titre, tandis qu’il y a trois semaines, c’est la municipalité travailliste de Sheffield dans le Yorkshire qui déclarait le paiement à venir de près de 60 millions d’euros. Le secteur privé n’est pas épargné, avec une vague de plaintes qui frappent les chaînes de supermarchés depuis que la Cour suprême a décidé en 2021 que les femmes travaillant dans les magasins Asda pouvaient contester leur salaire moindre vis-à-vis des hommes travaillant dans les hangars des plateformes logistiques, conduisant par exemple la chaîne Next à être condamnée en 2024 parce que leurs employées en magasin étaient payées moins que les manutentionnaires ; la dite chaîne de supermarchés Asda, quant à elle, risque de devoir payer 1,4 milliard d’euros en compensations financières et de voir ses dépenses augmenter de 460 millions d’euros par an pour combler la différence salariale).

Développement jurisprudentiel fou

Frappée par ces dépenses monstrueuses, la ville de Birmingham a bien dû trouver des économies à faire. Or, où mieux faire tomber le couperet que sur les éboueurs, dont les avantages en matière de rémunération avaient concentré les critiques des employées municipales ? Les éboueurs, ne souhaitant bien sûr pas se laisser faire, se sont mis en grève, et la ville est devenue une telle décharge à ciel ouvert qu’en mars, ce sont dix-sept mille tonnes de déchets qui jonchaient les rues, les livrant aux rats et forçant la municipalité à déclarer un « incident majeur » la permettant de mettre en œuvre des moyens supplémentaires pour s’attaquer au problème en concertation avec le gouvernement et les communes environnantes.

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Comme en témoigne cependant la vidéo du Parisien, la grève des éboueurs continue de faire ses effets, mais le demi-million de personnes qui l’ont visionnée à ce jour n’en seraient pas plus éclairées sur le fait que les habitants de la ville sont les victimes d’un développement jurisprudentiel dans lequel les magistrats ont décidé que les employeurs devaient désormais payer leurs salariés en fonction non pas des lois du marché, mais d’une estimation d’équivalence de travail entre le ramassage de poubelles et le nettoyage des bureaux, entre l’opération d’un chariot élévateur et le stockage des rayons, entre le goudronnage d’une route et le travail en cuisine, attribuant des « points » à chaque tâche qui, s’ils ne s’additionnent pas pour donner des « valeurs » équivalentes aux postes majoritairement masculins et à ceux à majorité féminine, sont une invitation à la sanction de la part du juge… !

Si vous comparez deux choses qui n’a rien à voir, l’Anglais moyen vous dira que vous « comparez les pommes et les oranges ». Mais le magistrat anglais, qui ne s’embarrasse pas des contraintes du bon sens, s’adonne désormais gaiement avec pour conséquence des centaines de millions d’euros d’amende tantôt pour les entités publiques, tantôt pour les entreprises. Combien de temps avant que la directive européenne sur la transparence salariale, qui s’applique à l’échelle de l’UE à partir de juin 2026, n’ait les mêmes effets ailleurs ?

Beautés oratoires

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Georges Clemenceau dans son bureau de la rue Franklin à Paris, vers 1924 © MARY EVANS/SIPA

En octobre 1925, Clemenceau apportait les ultimes corrections à son Démosthène, un ouvrage consacré à l’un des plus grands orateurs de la Grèce antique mais largement autobiographique. Comme les Anciens, le Tigre estimait que la démocratie allait de pair avec l’éloquence. Cent ans plus tard, ses successeurs lui donnent raison.


Le 13 juillet dernier, notre président de la République citait Georges Clemenceau (1841-1929) dans son discours aux armées. On cite Saint-Exupéry quand on ne veut surtout pas faire de politique, et Clemenceau quand on prétend en faire. La phrase du Père la Victoire – « il faut savoir ce que l’on veut ; quand on le sait, il faut avoir le courage de le dire ; quand on le dit, il faut avoir le courage de le faire » – fit l’effet du vivant plaqué sur du mécanique. D’un côté, des mots simples – savoir, vouloir, dire et faire – que seules les circonstances de la vie permettent de comprendre. De l’autre, une langue obscure qui ne parle ni à la raison ni au cœur, avec son fatras d’éléments de langage empilés dans le discours comme des marchandises sur un porte-conteneurs – initier un état des lieux, combler des zones de fragilité, pousser le curseur de l’entraînement des soldats, porter un effort nouveau et historique. Entre la langue du Tigre et celle du syndic de copropriété de la nation-cadre, le contraste est douloureux. Un siècle les sépare. Un monde, surtout.

Il y a exactement cent ans, en octobre 1925, Georges Clemenceau, alors âgé de 84 ans, confiait dans sa correspondance apporter d’ultimes corrections à son Démosthène, petit ouvrage sur l’un des plus grands orateurs de la Grèce antique (384-322 av. J.-C.), héros de l’hellénisme face à Philippe de Macédoine, au temps où, chez les Grecs, la démocratie allait de pair avec l’éloquence. Pour Clemenceau qui fut tour à tour maire, président du conseil municipal, sénateur, député, ministre et président du Conseil, la parole politique est l’art de se donner, un art capable de lutter contre la passivité des peuples qu’il qualifie de « paix des décadences » et de « servitude n’ayant plus l’excuse du collier ». Largement autobiographique, miroir du destin de la France, le Démosthène de Clemenceau eut un succès limité. On lui reprocha sa langue inaccessible, ce à quoi l’auteur répondit : « Si Racine avait lu Cadet-Rousselle tous les jours, il n’aurait jamais fait Iphigénie. » Quant aux Discours de Démosthène, la récente édition des Belles Lettres (2023) les introduit aujourd’hui en posant cette question : où en sommes-nous de la maîtrise d’une parole politique publique élaborée et complexe ?

Où en sommes-nous ? Nous en sommes au discours de rentrée de la ministre de l’Éducation nationale, venue déclarer benoîtement au pupitre de la nation, « j’en suis convaincue, l’avenir d’un pays s’écrit dans les cahiers d’écolier », après avoir égrené le chapelet des produits marketing du moment – assises de la santé scolaire, plan filles et maths, plan avenir, dispositif portable en pause, charte relation école-parents – avec l’impayable intonation de l’élève qui ne comprend rien à ce qu’il lit à voix haute et bute sur les mots. Nous en sommes à « la conviction inarrachable » (sic) de l’ex-Premier ministre, version 2025 de l’éthique de conviction de Max Weber. Nous en sommes aux discours creux, aux nullités oratoires, aux phrases branlantes et aux expressions honteuses des figures politiques de notre temps. De la valetaille semi-analphabète aux prétendus ténors des différents partis, des favelas parlementaires au plus haut sommet de l’État, les smicards de la langue française infligent aux citoyens une langue hideuse, à la fois pauvre et hyperbolique, une langue où la liberté est toujours immense, l’engagement inestimable, le sacrifice ultime, une langue qui traîne derrière elle une foule d’adverbes – totalement, absolument, pleinement, impérativement – dont la mission est de saturer le sens comme on force sur les épices devant un plat insipide. Qu’on se rassure, les figures de style chères à notre patrie littéraire n’ont pas toutes disparu pour autant. Reste l’anaphore du moi ce que je pense, moi ce que je sais, moi ce que je veux, hommage insistant à l’inoubliable « moi président de la République » qui couronna, sinon l’éloquence française du deuxième millénaire, du moins l’humilité socialiste aux élections présidentielles de 2012. Reste surtout ce qu’on nomme la reprise pronominale, cette grammaire (parfois) touchante dont abuse le langage enfantin : « la maîtresse, elle a dit que… » Avouons qu’à distance respectueuse du cours préparatoire, des phrases telles que « le sujet, il est trop important », « le pays, il est au bord de la rupture » ou « le combat du gouvernement, il est sans ambiguïté », sont nettement moins attendrissantes.

Caricature de Georges Clemenceau par André Gill, fin xixe siècle.

« Il faut savoir défendre la République autrement que par des gesticulations, par des vociférations et par des cris inarticulés », lançait Georges Clemenceau aux députés socialistes, en mars 1918. La gauche qu’incarna ce républicain exigeant au verbe acéré et aux phrases subtilement acides fut une gauche radicale, anticléricale, individualiste, anticollectiviste, anticolonialiste, dreyfusarde et patriote, une gauche largement maudite par la gauche (Michel Winock). Sa recommandation n’a pas pris une ride et s’adresse aujourd’hui à l’extrême gauche tribunitienne qui fulmine et hurle, le doigt accusateur pointé vers les « puissants de la terre » (qu’elle se rassure, ils n’habitent pas en France), les « perruqués poudrés » (qu’elle se rassure encore, elle les a refait décapiter aux derniers Jeux olympiques) et la classe médiatique (qu’elle se rassure enfin, pas un média qui ne lui tende le crachoir). Mû par l’éthique d’irresponsabilité, le grand patron des damnés de la terre évoque, la haine aux lèvres, un monde plus beau. Il est ce prophète chiliastique dont parle Max Weber, qui vient prêcher l’amour contre la violence tout en appelant à la violence ultime pour faire advenir une vie meilleure. Ses discours sont une seule et même phrase, interminable, hémorragique, asphyxiante, ponctuée de etcarparce que, jalonnée de mots pédants pour faire cultivé et haut du panier – nonobstant, pantois, malcontent –, et de grossièretés calibrées pour faire popu et ras les pâquerettes – qu’ils la ferment, les grandes gueules. Sa langue emprunte à la langue du Troisième Reich, étudiée par Victor Klemperer, l’hyperbole, la saturation, l’exclamation, ainsi que la doctrine raciale et démographique : au concept nazi d’« aufnorden » (rendre plus nordique), elle a substitué celui de « créolisation » de la France (rendre moins blanc, paraît-il, selon le contresens consacré).

Revenons à l’automne 1925 et à ce qu’écrit Georges Clemenceau à Marguerite Baldensperger le 2 octobre, au gré de leur correspondance assidue, entre deux remarques sur sa relecture de Démosthène. « J’ai beau vouloir détourner mes pensées de l’universelle décivilisation, j’y reviens malgré moi à toute heure. » Homme de son temps, Clemenceau pensait l’histoire des nations en termes de civilisation et de barbarie. L’expérience lui enseigna que les nations civilisées étaient doublement fragiles : qu’elles étaient faibles face à la fureur d’autres nations, mais qu’elles pouvaient elles-mêmes régresser à un stade moins glorieux des aventures collectives, comme lors des émeutes antijuives d’Alger (1898) qui montrèrent, selon lui, « sous quel mince vernis de civilisation se cache notre barbarie ». Et d’ajouter, pour les citoyens que nous sommes devenus : « cela se passe en territoire français, avec cette inscription aux murs : Liberté, Égalité, Fraternité ». Aujourd’hui, la culture a remplacé la civilisation : il n’y a pas de revers à la médaille culturelle, juste des différences qui doivent aiguiser notre curiosité et émousser notre prudence.

Le langage de nos personnalités politiques est l’expression quotidienne de notre décivilisation contemporaine. Chaque jour, un micro leur est tendu pour déclarer : « La République, c’est que… » L’actuel président de la République a lui-même entériné ce processus de désagrègement de la langue au plus haut niveau, en déclarant, en 2020, « je vous demande un engagement, c’est d’être cool ». Georges Clemenceau n’était pas cool, malgré sa belle maîtrise de la langue anglaise, et il n’hésitait pas à qualifier les anglicismes de barbarismes. Le recul de l’éloquence héritée de la Grèce antique, alliance de la sagesse et de l’art de persuader, de la beauté et de la vérité (Marc Fumaroli) est la traduction de notre recul civilisationnel. On aurait tort, toutefois, de penser ce recul en invoquant la violence des mots : au temps du discours Sur la couronne de Démosthène – long discours de trois heures –, la violence verbale contrainte par les règles de la rhétorique, la beauté de la langue et le souci de vérité, menait l’orateur à traiter son accusateur de déchet de place publique, de pique-assiette et de fils de prostituée. Georges Clemenceau déclarait pour sa part, à la mort de Félix Faure, que cela ne faisait pas un homme de moins en France. L’éloquence française a laissé place à une langue en loques, et la barbarie affleure à nouveau, mais sous un vernis que notre hypocrisie collective a décidé de nommer, non plus civilisation, mais dignité humaine.


À lire

Démosthène, Georges Clemenceau, 1926 (ouvrage non réédité, mais accessible sur le site Gallica de la BNF).

Lettres à une amie (1923-1929), Georges Clemenceau, Gallimard, 1970.

Discours, Démosthène, Pierre Chiron (dir.), Belles Lettres, 2023.

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Clemenceau, Michel Winock, Perrin, 2007.

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À voir

Clemenceau, la force d’aimer (2022), film de Lorraine Lévy d’après un scénario de Jacques Santamaria et Nathalie Saint-Cricq.

Des planches de Deauville au désert des Touaregs!

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"Un homme et une femme : Vingt ans déjà" de Claude Lelouch, 1986. DR.

Monsieur Nostalgie nous parle d’un film sorti en mai 1986 qui n’a pas la cote auprès des cinéphiles. Si on loue la version originelle d’ « Un homme et une femme » datant de 1966 et la dernière salve du réalisateur en 2019 avec « Les plus belles années d’une vie », « Un homme et une femme, vingt ans déjà » traine une réputation déplorable. Il est temps de le réhabiliter !


Lelouch ne sait pas couper. Il empile les histoires, les superpose jusqu’à ce que l’édifice devienne complètement instable. De cette instabilité naît une patte originale, bavarde, sentimentale, cascadeuse, brouillonne et attachante. On y adhère ou elle laisse de marbre. Ce garnement insatiable ne sait pas choisir entre une histoire d’amour, d’amitié, un film d’action, un polar ou une trame historique. Alors, magnanime et goinfre, il nous met tout dans la bobine. Il se permet tout ce qui est d’habitude interdit par les guildes qui professent l’austérité et la sécheresse, l’esquisse à la chevauchée fantastique. Lelouch ne sait pas faire dans l’allégé et le digeste ; l’épure le met mal à l’aise. Il ne croit pas aux vertus de l’effleurement des sentiments, il préfère les solidifier quitte à les décortiquer, à les analyser, à les faire tourner en bourrique par la suite. Il a peur d’ennuyer. Cette peur salutaire devrait saisir tous les réalisateurs au moment de dire : Action ! Des gens ont payé leur ticket, ce sera peut-être leur seule sortie du mois ou du trimestre, je me dois de leur offrir l’inattendu et le magique, des girafes et des funambules, des beautés fatales et des sauts de l’ange. Alors a-t-il la main trop lourde ? Parfois, il exagère comme avec cette longue scène d’ouverture divertissante, accidentogène en diable qui ravit les rouleurs de mécanique mais qui peut rebuter l’intellectuel assis. Rétrospectivement, cette scène était suicidaire.

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Aujourd’hui, elle serait proscrite. Des députés demanderaient son annulation. On y voit plusieurs voitures de front se frotter, déraper, sauter, s’aimanter, freiner, accélérer, perdre leur pare-chocs et exploser leur pare-brise sur une piste d’essais en Italie bien connue des essayeurs de la presse automobile européenne. Trintignant au volant jubile. Rémy Julienne stoïque a néanmoins l’œil farceur. Ces grands enfants jouent aux autos-tamponneuses, titre d’un charmant roman de Stéphane Hoffmann. Cette scène dure. Elle est un morceau de bravoure, elle esthétise les carrosseries. Lelouch, je le redis ici, est le plus grand cinéaste en termes de perception rendue de la vitesse. Il a été à la meilleure école, celle du service cinématographique des armées au Fort d’Ivry-sur-Seine. Il y a appris le mouvement, la chute, le vertige et cette façon si artistique de coller le frisson à l’image. Vingt ans après « Un homme et une femme », Lelouch reprend ses personnages et déambule dans ses souvenirs. Anne Gauthier (Anouk Aimée) n’est plus scripte mais productrice en mal de succès et Jean-Louis Duroc (Jean-Louis Trintignant) n’est plus pilote de rallye mais il dessine le futur tracé du Paris-Dakar. Leurs enfants ont grandi. Le fils de Jean-Louis s’est marié et a plongé dans le motonautisme. La fille d’Anne est actrice. Charles Gérard téléphone pour connaître les chiffres de la séance du soir dans les cinémas des Champs-Elysées et de banlieue. C’est du Lelouch pur jus, calorique, débordant de la cafetière, avec ses travers ; il filme le film du film dans le film, des histoires entrecroisées, des amours triangulaires, la plage de Deauville au petit matin, la toile de Jouy des chambres du Normandy et la soif dans le désert. On ne sait plus très bien si on regarde un reportage, un thriller, le dénouement ou le renouvellement d’un amour éternel. On s’y perd un peu et c’est très agréable. Un Lelouch aussi touffu vous évite quinze mauvais films d’auteurs et blockbusters fadasses. Ce long-métrage se savoure pour son parfum d’ambiance, celui des années 1980. Il en a toutes les qualités et quelques défauts mineurs. Il est clinquant et pourtant assez fidèle aux hommes de cette décennie pubarde. Il est frimeur et déboussolé. Il est surtout un témoignage extraordinaire sur les passions masculines.

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Thierry Sabine ne le verra pas, il meurt dans un accident d’hélicoptère, quatre mois plus tôt. Pour ceux qui l’ont connu, ils le retrouveront à l’identique, jouant son propre rôle, playboy des sables, chef de mission à la barbe claire, agile dans les airs et dans les dunes. Là aussi, la longue séquence tournée en Afrique est visuellement belle et dramatiquement prémonitoire. Dans les années 1980, on ose tout, par ruse, par goût du risque, par éclat. Lelouch embauche PPDA et s’offre des figurants statiques et muets qui s’appellent Gérard Oury et Michèle Morgan. Jean-Claude Brialy fait une apparition furtive dans une salle de cinéma. Jacques Weber, Robert Hossein, Richard Berry et Marie-Sophie L, entre autres, complètent le casting. On ne se refuse rien. La fiction se dissimule derrière la réalité ou n’est-ce pas le contraire ? Á la fin, éberlué, sonné par tant de virevoltes, nous avons un flash. Comment avons-nous pu oublier cet événement sportif existant depuis 1955 qu’étaient les 6 heures motonautiques de Paris ? La municipalité actuelle s’étranglerait d’imaginer ces nuées de bateaux ultra-rapides qui zigzaguaient jadis entre les ponts de la Seine…

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