Après quatre semaines d’audience, la cour d’assises du Tarn a rendu son verdict vendredi 17 octobre: Cédric Jubillar a été condamné à trente ans de réclusion criminelle pour le meurtre de son épouse Delphine, disparue en décembre 2020 et dont le corps n’a jamais été retrouvé. À l’issue du jugement, ses avocats, Me Alexandre Martin et Me Emmanuelle Franck, ont exprimé leur profonde déception et annoncé que leur client interjetait appel de cette décision. Notre chroniqueur souligne dans son analyse le fossé de perception entre les acteurs de la justice — juges, jurés, avocats — et les journalistes, dont la distance et le prisme médiatique conduisent souvent à valoriser la défense plutôt que l’accusation.
Cédric Jubillar a été condamné à trente ans de réclusion criminelle pour meurtre. Ses avocats ont immédiatement interjeté appel de cet arrêt. Aussi vais-je bien me garder d’évoquer le fond de cette affaire qui a passionné l’opinion publique, mais seulement la différence de perception entre les participants au procès et les journalistes dans leur ensemble.
Cette impression, chez moi, ne date pas d’aujourd’hui. Combien de fois, lorsque j’étais avocat général à la cour d’assises de Paris, ai-je remarqué cet écart entre des personnes qui, dans la même salle d’audience, paraissaient assister au même procès. En réalité, leur regard et leur écoute n’étaient pas les mêmes.
La presse s’enthousiasme pour Me Franck
Écouter et questionner pour juger ultérieurement n’a rien à voir avec l’activité du journaliste qui écoute et s’interroge pour ensuite écrire un article. La plupart du temps, ils n’assistent pas au même procès, tant leur rapport à la scène judiciaire les place, les uns au premier plan et dans l’action, les autres dans une certaine distance.
Mon titre s’explique ainsi : justice des places. Des places où l’on se trouve dans la salle d’audience. Jurés, magistrats, avocats généraux, avocats de la défense, avocats des parties civiles d’un côté ; journalistes et chroniqueurs judiciaires de l’autre. Les premiers en plein dans le vif de la tragédie criminelle et responsables, les seconds concernés mais témoins d’une horreur dans le jugement de laquelle ils ne sont pas engagés. Pas les mêmes places, pas le même regard…
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C’est ainsi que dans les péripéties finales du procès de Cédric Jubillar, il est clair que les deux avocats généraux ont convaincu les jurés et la cour d’assises, tandis que les deux avocats de la défense, sans doute brillants, ont convaincu les journalistes.
Je n’ai pas été surpris – c’est habituel chez ces derniers – par le fait qu’au moins une plaidoirie de la défense, celle de Me Emmanuelle Franck, a suscité un enthousiasme éperdu, comme si toutes les contradictions opposées à l’accusation étaient solides et décisives. Alors que les réquisitions, même les plus talentueuses, pertinentes et de haute volée, ne suscitent jamais, de la part des chroniqueurs, la moindre adhésion admirative dépassant le cadre du strict compte rendu.
Les jurés heureusement convaincus par les avocats généraux
C’est le parti pris de principe, originel, des médias : pour l’accusé, plus que pour la défense de la société.
Le journaliste, quelle que soit sa tendance, n’est pas spontanément accordé, sur le plan judiciaire, avec l’ordre. Souvent il préfère les incertitudes troublantes aux vérités trop évidentes. Alors, quand de surcroît on a un Cédric Jubillar qui conteste obstinément, et que le corps de la victime demeure introuvable, les médias ne se sentent plus ! Pourtant, ayant lu la relation des réquisitions des deux avocats généraux, je n’avais pas eu le moindre doute sur le fait que, implacables, intelligentes et parfaitement argumentées, elles allaient convaincre les jurés. Évidemment, les trente ans requis ayant été prononcés, on a tenté, médiatiquement, une mise en cause de l’arrêt et de la présidente, alors que les conseils de l’accusé ont, eux, eu une attitude exemplaire, gardant leur énergie et leurs qualités pour l’appel à venir. Selon que vous êtes à une place de responsabilité et d’implication, ou que, parfois, vous n’écoutiez que d’une oreille, pressé d’écrire votre article…
Une justice des places, qui changent la perception.
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