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La fracture invisible: Israël, la parole confisquée et la France réelle

Une analyse de Charles Rojzman


La fracture invisible: Israël, la parole confisquée et la France réelle
Activistes de la Flotille pour Gaza, Place de la République à Paris, 8 octobre 2025 © SEVGI/SIPA

Sur la question israélo-palestinienne, une contre-société a pris le pouvoir symbolique: elle dicte la peur, façonne le discours, dénonce les « sionistes » et verrouille le débat. Dans les médias comme à l’université, la crainte d’être montré du doigt l’emporte sur la liberté de penser. Le pays légal s’incline, et le pays réel, peu à peu, baisse les yeux. Analyse.


Il y a un paradoxe, ou plutôt une imposture, qu’il faut nommer sans détours : ce que nous entendons sur Israël, dans ce qu’il reste du débat public français, ne vient pas de la France réelle, mais d’un petit monde clos — celui des faiseurs d’opinion, des producteurs de récits, des prêtres de la morale médiatique. Ce n’est pas le peuple qui parle, c’est la caste. Celle dont les mots forment la liturgie de l’époque : journalistes, universitaires, sociologues subventionnés, militants recyclés en chroniqueurs. Ces gens parlent pour la France, mais ne sont plus de la France.

Clergé sans foi ni loi

Christopher Lasch les nommait déjà les talking classes : ces classes qui, n’ayant plus rien à produire ni à défendre, se sont arrogé le privilège de dire le vrai, de définir le bien et d’excommunier le reste.

Dans cette caste, une large part de ce qui s’appelle encore « la gauche » s’est métamorphosée en clergé sans foi. La France insoumise, caricature d’une révolution morte, s’y est taillée le rôle du nouveau parti missionnaire : celui d’un Occident rongé par la mauvaise conscience. Elle a troqué la lutte des classes pour la lutte des races, le peuple pour les minorités, et le prolétariat pour les imams. N’ayant plus rien à dire aux ouvriers, elle parle aux banlieues islamisées. Elle a trouvé dans le voile et le drapeau palestinien ses nouveaux symboles, dans la haine d’Israël sa dernière mystique, dans les Frères musulmans ses nouveaux alliés.

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Ainsi s’est formée une alliance monstrueuse entre le gauchisme moral et l’islamisme politique, un front du ressentiment où se mêlent professeurs de vertu, idéologues anticolonialistes et petits marabouts du ressentiment urbain.

Autour de ce noyau gravite une nébuleuse : ministères, ONG, associations, médias publics, universités — tout un appareil de pouvoir idéologique qui dicte la morale du temps, distribue les indulgences et les anathèmes, fixe les mots permis. Ce n’est pas seulement un pouvoir de dire : c’est un pouvoir d’effacer.

Le peuple réduit au silence

La majorité silencieuse n’est pas muette : on lui a coupé la langue. Ses mots, sitôt prononcés, sont jetés au pilori : populistes, xénophobes, réactionnaires. La sanction est immédiate, sociale, médiatique, symbolique. Et cette peur suffit à faire taire la vérité.

Lorsqu’un micro se tend vers la France populaire, c’est toujours sous condition : questions biaisées, réponses cadrées, conclusions préécrites. Le réel n’a pas droit de cité.

Or cette France-là, celle qui travaille encore, celle qui ne manifeste pas pour Gaza mais subit les violences, voit ce que d’autres ne veulent pas voir : les territoires perdus, la peur diffuse, la montée d’un islam radical qui se sait victorieux. Elle sait que les menaces ne viennent pas des fantômes du fascisme mais d’un fanatisme bien réel, enraciné dans des quartiers où la République a abdiqué.

Dans les cités, le drapeau palestinien est devenu l’étendard d’une revanche globale : celle des humiliés de l’Histoire réinventée, des héritiers d’un islam politique qui prospère sur les ruines de la nation. Là s’est forgée une idéologie où le Juif tient lieu d’ennemi métaphysique, Israël de cible expiatoire, et la France de champ de bataille.

Sous l’influence des Frères musulmans, de leurs officines culturelles et de leurs satellites médiatiques, s’est construite une contre-société : séparée, victimaire, fanatisée. Et c’est elle, désormais, qui dicte la peur dans les écoles, la rue, les débats. Le pays légal s’y soumet, le pays réel s’y résigne.

La mémoire trahie et l’inversion des fidélités

Pendant l’Occupation, c’étaient les humbles, souvent, qui avaient sauvé les Juifs : paysans, curés, instituteurs. Ce peuple qu’on méprise aujourd’hui a su risquer sa vie pour la justice. Ma propre famille y a trouvé refuge : un policier, un village, des visages anonymes. La France, la vraie. Celle qui ne se proclame pas morale, mais qui agit.

Aujourd’hui, la morale est le masque du renoncement. Les castes dominantes ont trahi la mémoire du courage. Elles ont remplacé la transmission par la rééducation. Dans les lycées et les universités, la cause palestinienne tient lieu de catéchisme. Les jeunes apprennent à s’indigner à bon compte, à haïr Israël comme leurs aînés haïssaient l’Amérique. On ne leur enseigne ni l’histoire ni la complexité, mais le réflexe pavlovien : l’Occident est coupable, le Sud est innocent, le Juif est redevenu suspect.

La cause palestinienne comme clé de voûte du nouveau clergé

Israël est devenu le miroir dans lequel la France des élites contemple sa propre lâcheté. La cause palestinienne lui offre une scène morale où rejouer sans cesse la comédie de la repentance. Elle lui permet d’expier sans rien comprendre, de dénoncer sans rien risquer.

Soutenir Gaza, c’est communier. Refuser, c’est apostasier. Dans les rédactions, les amphithéâtres, les associations, la cause palestinienne n’est pas un débat : c’est un rite d’appartenance.

Mais ce n’est pas seulement un simulacre de compassion : c’est un instrument de tri. Comme on jurait jadis fidélité au Parti, on jure aujourd’hui fidélité à la cause palestinienne. C’est le nouveau serment civique du monde progressiste. Ceux qui refusent sont proscrits, privés de tribune, frappés d’inexistence.

Une cause-miroir pour l’Occident coupable

Tout cela obéit à une logique plus vaste. Depuis la décolonisation, l’Europe n’a plus de foi qu’en sa propre culpabilité. Elle s’imagine expier ses crimes passés en embrassant toutes les causes des nouveaux opprimés — pourvu qu’elles ne menacent pas son confort.

Le Palestinien a remplacé le prolétaire : il est l’absolu moral, la victime définitive, le visage sanctifié de la souffrance. Face à lui, Israël tient le rôle du bourreau : un État fort, occidental, donc forcément coupable.

Le réel, encore une fois, n’a pas sa place : ni les guerres arabes, ni les dictatures islamistes, ni les génocides africains ne pèsent face au mythe du petit peuple martyrisé par le grand. La simplification morale a remplacé la vérité historique.

L’alliance du haut et du bas : la symbiose du mensonge

Ce qui est nouveau, c’est la jonction entre deux mondes : celui des élites progressistes et celui des banlieues islamisées. Le premier possède les mots, le second la force. L’un parle au nom de l’universel, l’autre au nom d’Allah ; et, étrangement, leurs haines se rejoignent.

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La gauche culturelle a trouvé dans les Frères musulmans des supplétifs commodes : un peuple prêt à haïr Israël, à exécrer la France, à nourrir le mythe de l’innocent arabe contre le coupable européen. Et réciproquement, l’islamisme a trouvé dans la gauche morale une légitimation intellectuelle, un bouclier contre toute critique.

C’est ainsi que s’organise, sous nos yeux, une double colonisation : celle des esprits par la repentance, celle des territoires par la peur.

L’érosion silencieuse de la démocratie

La démocratie n’est plus qu’un décor. Ses institutions fonctionnent, mais son âme s’est retirée. Car la démocratie, c’est le droit de nommer les choses. Et quand les mots deviennent dangereux, la liberté n’est plus qu’un souvenir.

Dans ce vide prospèrent les nouveaux totalitarismes doux : celui des plateaux télévisés, celui des injonctions morales, celui de l’intimidation communautaire. On y apprend à se taire pour ne pas perdre sa place, à mentir pour ne pas être exclu, à consentir pour ne pas disparaître.

Conclusion – De la mémoire du courage à la vigilance du réel

La mémoire du peuple de 1940 nous oblige : à ne pas nous soumettre, à ne pas laisser confisquer le droit de nommer, à ne pas nous laisser endormir par les slogans d’un humanisme qui n’a plus d’humain que le nom.

Si nous cédons encore à ce théâtre moral, si nous laissons l’alliance des imams et des intellectuels régner sur nos consciences, nous verrons disparaître ce qu’il reste de la France : non pas sa puissance, déjà perdue, mais sa dignité, sa lucidité, son âme. Alors il ne restera plus qu’une terre divisée entre ceux qui haïssent, ceux qui s’excusent, et ceux qui se taisent. Et dans ce silence tombera, comme une dernière vérité, le nom d’Israël — ce miroir brisé où se lit, encore une fois, la défaite du monde civilisé.



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Essayiste et fondateur d'une approche et d'une école de psychologie politique clinique, " la Thérapie sociale", exercée en France et dans de nombreux pays en prévention ou en réconciliation de violences individuelles et collectives.

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