Entre une savoureuse adaptation de l’affaire Bettencourt, une délicate transposition animée de la vie de Marcel Pagnol et un bel exercice de style autour du À bout de souffle de Jean-Luc Godard, l’octobre cinéphile s’annonce radieux.
L’argent de la vieille (bis)
La Femme la plus riche du monde, de Thierry Klifa
Sortie le 29 octobre
Les plus prudents diront que le nouveau film de Thierry Klifa est une « comédie sociale librement adaptée de l’affaire Bettencourt », les autres, moins timorés et surtout plus enthousiastes, affirmeront haut et fort qu’on tient là un jeu de massacre haut en couleur, filmé avec efficacité, dialogué aux petits oignons acides et sublimé par un casting qui fait ressembler le tout à un feu d’artifice permanent.
Revoyons une par une ces différentes fées qui se sont penchées sur le berceau en question. Et disons en préambule que le ou les « scénaristes » qui président au réel et à la vraie vie de la famille Bettencourt ont largement aidé à la transposition sur grand écran d’une existence, et même de plusieurs, aux allures de roman épique.
On pouvait légitimement craindre de la part de Thierry Klifa, en général confit d’admiration devant les stars féminines françaises (Deneuve et Fanny Ardant en tête), une énième déclaration d’amour pataude et niaise. Cette fois, en choisissant Isabelle Huppert comme protagoniste principale, il a manifestement remisé sa béatitude au profit d’une utilisation impeccable des différents registres de cette actrice hors norme qui adore le hors-piste. Résultat : Huppert est presque de tous les plans sans que le film se transforme en catalogue de mode. Le cinéaste a au contraire compris que, affaire sulfureuse oblige, il convenait d’être à la hauteur d’un récit aux rebondissements multiples au sein de l’hôtel particulier familial. Est-il besoin de rappeler l’affaire en question ? Chacun se souvient des accusations portées par la fille contre sa mère, ou plus précisément contre le photographe François-Marie Banier et sa capacité à se faire entretenir par la milliardaire trop heureuse, elle, de ce dévergondage tardif. Tout y passa alors, y compris le passé collabo du mari, le financement occulte de Sarkozy et autres comportements ancillaires douteux. Jaillissent non pas une, mais plusieurs ténébreuses affaires qu’aurait adorées Balzac. Et le film d’embrasser avec audace et fougue l’ensemble de ces éléments.
Il faut insister sur le scénario (mais une fois encore, rendons grâce d’abord au réel) et bien plus encore sur la qualité flamboyante des dialogues écrits par Jacques Fieschi. Rappelons que ce dernier a travaillé avec Pialat, Sautet, Jacquot, Assayas, Nicole Garcia, entre autres, et qu’on lui doit la superbe adaptation d’Illusions perdues pour Xavier Giannoli. Bref, l’orfèvre idéal qu’il fallait pour transcrire, par exemple, la méchanceté brillante et foudroyante de Banier, la malice décalée de Liliane Bettencourt ou encore la frustration furieuse de sa fille qui attend son heure, le laconisme veule de son époux et l’hiératisme de son majordome qui n’en pense pas moins. Chaque réplique, ciselée et ravageuse, fait mouche dans tous les registres : depuis le langage feutré d’une haute bourgeoisie jusqu’à la vulgarité travaillée de Banier.
La distribution achève de donner à La Femme la plus riche du monde des allures de comédie intégralement réussie. On a déjà cité Isabelle Huppert qui, dans le rôle-titre, fait des merveilles. Comme chez Chabrol en son temps, elle joue à la perfection d’un second degré permanent : dupe de rien, adepte de tout et gagnante sur tous les tableaux. Face à elle, l’autre atout majeur du film, c’est un Laurent Lafitte déchaîné, incarnation plus que parfaite de Banier et que seuls ceux qui n’ont jamais croisé son modèle crieront à la caricature. Ils auront totalement tort : ce que fait Lafitte est proprement sidérant. On en redemande. Les autres acteurs sont au diapason : Marina Foïs joue impeccablement l’héritière interloquée tandis que l’immense André Marcon incarne à la perfection l’ex-collabo richissime. Mathieu Demy et Raphaël Personnaz ne sont pas en reste, c’est le moins que l’on puisse dire.
Ce vrai-faux voyage au pays des ultra-riches confrontés à l’ultra-culot d’un artiste s’avère des plus savoureux du début à la fin.
À bout de souffle (encore)

Nouvelle Vague, de Richard Linklater
Sortie le 8 octobre
Un pur représentant du cinéma d’auteur indépendant américain qui en 2025 se met en tête de rendre un hommage à la Nouvelle Vague et à son film porte-drapeau, À bout de souffle, réalisé par Jean-Luc Godard en 1959, voilà qui avait de quoi inquiéter. C’est oublier un peu vite le culte absolu que continuent de lui vouer outre-Atlantique les cinéphiles américains, toutes générations confondues. Et le résultat, présenté à Cannes en mai dernier, est absolument saisissant. Loin du musée Grévin et de toute tentation confite en dévotion, Nouvelle Vague raconte le tournage du film avec une verve communicative. Le Paris de l’époque est rendu sans que jamais on ne ressente un effet de reconstitution affectée et surtout le casting, constitué essentiellement d’inconnus, joue les équivalences sans virer au gala des sosies. Cette recréation, pour ne pas dire cette récréation, vise juste, tant elle retranscrit un moment essentiel de l’histoire du cinéma français avec une fraîcheur et une grâce incomparables.
Marcel Pagnol (toujours)

Marcel et Monsieur Pagnol, de Sylvain Chomet
Sortie le 15 octobre
Le nouveau film de l’un des champions de l’animation française est assurément aussi délicieusement bavard que ses fameuses Triplettes de Belleville étaient muettes. Quoi de plus naturel et de plus souhaitable quand on prend cette fois pour sujet Marcel Pagnol ? Le recours à une animation élégante et sobre permet de prendre la distance nécessaire pour ne pas faire sombrer cette biographie dans la confiture patrimoniale sirupeuse. La vie artistique du dramaturge, puis du cinéaste Pagnol y est racontée avec la verve et la malice chère à l’auteur de Marius. Une bonne occasion de redire combien fut essentiel et décisif l’engagement de Pagnol pour le cinéma parlant quand il fallut abandonner le muet. Quant au film proprement dit, il atteint parfaitement son but quand il donne une furieuse envie de voir et de revoir tous les films du cinéaste, ces merveilleux trésors qui grâce au travail sans relâche de Nicolas, le petit-fils de l’académicien, font régulièrement l’objet de restaurations et de ressorties en salles et en DVD.





