Dans la deuxième plus grande ville d’Angleterre, certes peut-être mal gérée par ailleurs, ce sont bien les décisions de justice tatillonnes et aberrantes sur la parité salariale entre hommes et femmes qui ont transformé la mégalopole en décharge à ciel ouvert. Explications.
Le 5 octobre, Le Parisien publie sur YouTube une vidéo intitulée « Faillite de Birmingham : des habitants désemparés et un commissaire aux comptes sans pitié » dans laquelle, après avoir évoqué la faillite en 2023 de la ville insolvable qui croule désormais sous les déchets, le journaliste demande au sujet du berceau de la Révolution industrielle avec plus d’un million d’habitants : « Comment une ville aussi importante que Birmingham a pu en arriver là ? » La question est, effectivement, fort intéressante ; hélas, le moins que l’on puisse dire est que la réponse qui y est apportée par la vidéo est incomplète, tant elle passe à côté de ce que la ville a de révélatrice des conséquences d’un égalitarisme poussé à l’absurde et dont elle est une victime sacrificielle.
Égalité des sexes et banqueroute
Le journaliste continue en expliquant que la ville « a été condamnée à payer près de 800 millions euros d’indemnités pour les milliers de femmes qui étaient employées à des salaires plus bas que leurs homologues masculins ». Il passe tout de suite à autre chose. On n’en saura pas plus… Il y a pourtant lieu de s’attarder un peu sur le développement judiciaire qui a provoqué la faillite de la ville en 2023 : quoi donc, ce bastion du Parti travailliste aurait fait défaut à l’égalité salariale entre les sexes ? Cette place forte de la gauche aurait payé les femmes moins que leurs collègues masculins pour le même travail, et ce à tel point que le redressement des torts était propre à provoquer la banqueroute municipale ? N’est-ce pas incroyable ?… Effectivement. Et serait bien en tort celui qui aurait tiré cette conclusion du résumé lapidaire de l’affaire donné par la vidéo. En un sens, cependant, la vérité de cette affaire est plus incroyable encore.
En 1997, la Cour de justice de l’Union européenne donne raison à une orthophoniste britannique qui s’estime victime de discrimination liée au sexe parce que, appartenant à une profession très largement féminine, elle est moins payée que ses collègues majoritairement masculins en psychologie clinique et en pharmacie ; mais là où l’article 119 du traité de Rome parlait d’égalité salariale à « travail égal », les juges dans leur décision mettent en valeur l’idée de « travail à valeur égale » – la nuance est de taille. L’année suivante, cette même cour déclare qu’une femme ayant subi une discrimination salariale peut récupérer non pas deux mais six ans de salaire, augmentant ainsi l’attrait des procédures judiciaires en ce sens, surtout au Royaume-Uni où la libéralisation judiciaire a créé un juteux marché d’avocats qui, y compris par la publicité télévisée, offrent leurs services à des clients auxquels ils ne facturent rien s’ils ne remportent pas leur procès (« no win, no fee »). Au fil des années, la source ruisselante que firent apparaître les magistrats de la CJUE devient un fleuve qui a vocation à emporter toujours davantage dans son passage.
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Quand, en 2012, la Cour suprême du Royaume-Uni autorise 170 travailleuses de Birmingham à poursuivre la ville pour discrimination devant les tribunaux civils plutôt qu’aux prud’hommes (où il y avait prescription) au motif que les femmes de ménage et les cuisinières sont moins bien payées que les éboueurs et les ouvriers routiers (notamment parce que fonctionnant moins aux primes), le fleuve devient un déluge : entre 2012 et 2023, Birmingham se retrouve à devoir payer plus d’un milliard d’euros en compensations financières au titre de l’égalité salariale, avant que la perspective du dit paiement supplémentaire de plus de 800 millions d’euros ne force la ville à déclarer faillite.
(Entre temps, en 2022, Glasgow – ville passée des travaillistes aux nationalistes écossais de gauche dans les années 2010 – a annoncé payer presque 900 millions d’euros au même titre, tandis qu’il y a trois semaines, c’est la municipalité travailliste de Sheffield dans le Yorkshire qui déclarait le paiement à venir de près de 60 millions d’euros. Le secteur privé n’est pas épargné, avec une vague de plaintes qui frappent les chaînes de supermarchés depuis que la Cour suprême a décidé en 2021 que les femmes travaillant dans les magasins Asda pouvaient contester leur salaire moindre vis-à-vis des hommes travaillant dans les hangars des plateformes logistiques, conduisant par exemple la chaîne Next à être condamnée en 2024 parce que leurs employées en magasin étaient payées moins que les manutentionnaires ; la dite chaîne de supermarchés Asda, quant à elle, risque de devoir payer 1,4 milliard d’euros en compensations financières et de voir ses dépenses augmenter de 460 millions d’euros par an pour combler la différence salariale).
Développement jurisprudentiel fou
Frappée par ces dépenses monstrueuses, la ville de Birmingham a bien dû trouver des économies à faire. Or, où mieux faire tomber le couperet que sur les éboueurs, dont les avantages en matière de rémunération avaient concentré les critiques des employées municipales ? Les éboueurs, ne souhaitant bien sûr pas se laisser faire, se sont mis en grève, et la ville est devenue une telle décharge à ciel ouvert qu’en mars, ce sont dix-sept mille tonnes de déchets qui jonchaient les rues, les livrant aux rats et forçant la municipalité à déclarer un « incident majeur » la permettant de mettre en œuvre des moyens supplémentaires pour s’attaquer au problème en concertation avec le gouvernement et les communes environnantes.
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Comme en témoigne cependant la vidéo du Parisien, la grève des éboueurs continue de faire ses effets, mais le demi-million de personnes qui l’ont visionnée à ce jour n’en seraient pas plus éclairées sur le fait que les habitants de la ville sont les victimes d’un développement jurisprudentiel dans lequel les magistrats ont décidé que les employeurs devaient désormais payer leurs salariés en fonction non pas des lois du marché, mais d’une estimation d’équivalence de travail entre le ramassage de poubelles et le nettoyage des bureaux, entre l’opération d’un chariot élévateur et le stockage des rayons, entre le goudronnage d’une route et le travail en cuisine, attribuant des « points » à chaque tâche qui, s’ils ne s’additionnent pas pour donner des « valeurs » équivalentes aux postes majoritairement masculins et à ceux à majorité féminine, sont une invitation à la sanction de la part du juge… !
Si vous comparez deux choses qui n’a rien à voir, l’Anglais moyen vous dira que vous « comparez les pommes et les oranges ». Mais le magistrat anglais, qui ne s’embarrasse pas des contraintes du bon sens, s’adonne désormais gaiement avec pour conséquence des centaines de millions d’euros d’amende tantôt pour les entités publiques, tantôt pour les entreprises. Combien de temps avant que la directive européenne sur la transparence salariale, qui s’applique à l’échelle de l’UE à partir de juin 2026, n’ait les mêmes effets ailleurs ?
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