Redécouvrir Christine Pawlowska, auteur d’un unique livre

La cohorte étroite des auteurs d’un seul et unique livre m’a toujours fasciné. Ce sont des écrivains trop exigeants. Ils se sont astreints au minimum, pour cultiver une discrétion sublime, qui ajoute à leur talent. Pas question pour eux d’outrager la création artistique : « L’intelligence est la faculté qui fait que l’on s’abstient », comme le disait Montherlant. Publier un livre doit rester, pour ces créateurs de haut standing, un acte exceptionnel, et n’arriver tout au plus qu’une fois dans la vie et sans appel. Ainsi d’Otto Weininger, qui n’a écrit qu’un seul livre en 1903, Sexe et caractère,et s’est suicidé juste après. On comprend dès lors qu’il y avait urgence, et que tout devait être dit en peu de pages et sans retour. C’est du définitif.
Un livre des années 70
Avec le très mince volume de Christine Pawlowska, intitulé Écarlate, qui reparaît aux éditions du Sous-Sol, nous avons affaire à ce phénomène. La jeune Pawlowska, née en 1952, le publie en 1974 au Mercure de France, sous la houlette de Simone Gallimard. Le livre connaît un succès immédiat, et de grands critiques, comme François Nourissier ou Claude Mauriac, y contribuent. Il faut se remettre à l’esprit cette sensibilité de l’époque, les années 70, avec leur propension à croire à la liberté sans limites. On pourra alors saisir dans leur spontanéité magique ces émotions de petite fille amoureuse et y voir un miroir fidèle d’une société très libérale, qui donnait la parole à tous. Bien sûr, ensuite il fallut déchanter. Mais le rêve s’est incarné un instant, comme un Esprit du temps qui aurait soufflé sur les êtres les plus fragiles.
Aimer et ne pas devenir adulte
Pawlowska raconte dans Écarlate son enfance de petite fille modèle de ces années-là. Elle le fait dans un style simple et cru, en décrivant les mouvements secrets de son âme sans fausse pudeur, avec un feu contenu qui ne peut que brûler le lecteur. Il y a d’abord cette solitude viscérale, dans laquelle elle se complaisait. « Toute petite, écrit-elle, j’ai rêvé dans ma solitude des merveilles multicolores. Je parle de ma solitude parce que c’était ce que j’aimais le plus au monde. » Sa solitude est fondatrice, comme le désir de ne plus grandir, de ne jamais devenir adulte. Elle se réfugie dans ses lectures, avec le Caligula de Camus « mort d’avoir voulu la lune », ou encore la Bible que lui a donnée une mère à la fois haïe et adorée. Mais, cela ne suffisant pas : « je me mis à voler des volumes dans la bibliothèque de mes parents et dans celle de ma sœur ». Elle souffre d’insomnie, également. Et puis elle est amoureuse d’une autre petite fille, nommée Melly. « J’avais douze ans quand je connus Melly. » Elle ajoute : « et jamais plus je n’aimerai avec la ferveur, la terrible intensité dont mon amour était alors capable ». On lit ces confessions parfois avec gêne, mais fascination. Qui, devenu adulte, ne se souvient de ces « verts paradis », dont parlait Baudelaire, que les étranges années 70 ont portés à leur paroxysme ?
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Une Zazie toute triste
Au fond, Écarlate met en scène une autre « Zazie dans le métro », au langage certes moins fleuri, mais tout aussi enchanteur que celui de la petite héroïne de Queneau. La découverte de la vie passera, pour Pawlowska, par un autre « moyen de transport souterrain », si je puis dire, celui des expériences tragiques, comme cette tentative de suicide qu’elle nous raconte dans sa banalité navrante : « Mourir. Me suicider. Mais je n’avais pas voulu me tuer. J’avais subi mon suicide comme je subissais mon écœurement. […] Je n’avais pas choisi de mourir. J’avais cédé à la lassitude, à l’étouffement des jours et des jours. » Elle décrit admirablement cette tristesse qui l’étreint, et qui lui restera toute la vie, comme le signe distinctif de son élection.
Le fonds commun des auteurs sans œuvre
En même temps que ce très beau texte de Christine Pawlowska, paraît une biographie que lui a consacrée le journaliste Pierre Boisson. C’est l’ouvrage idéal pour mieux comprendre Écarlate et le génie de l’éphémère qui l’habite. Pierre Boisson a mené une enquête assez poussée sur la vie de Pawlowska. Lui aussi insiste sur le fait qu’elle n’a écrit qu’un seul livre, comme si cette spécificité expliquait la nature même de son projet et sa réussite. Pour l’approfondir et tenter de comprendre, Pierre Boisson établit un intéressant parallèle avec le roman culte de Daniele del Giudice, Le Stade de Wimbledon (1983), consacré à la figure d’un écrivain, Roberto Bazlen, qui, lui, a renoncé à l’écriture et n’a même pas écrit de premier livre. Le Stade de Wimbledon présente l’histoire d’un jeune homme, le narrateur, parcourant au hasard les rues de Trieste, à la recherche des traces perdues de Bazlen. Or, le destin littéraire de Pawlowska repose exactement sur les mêmes prémisses. Comme si, au fondement de l’écriture, ne résidait jamais qu’une seule problématique, que révèlent justement ces écrivains qui n’ont pas ou peu écrit, telle Pawlowska.Le narrateuraboutit finalement au domicile de Ljuba, la compagne de Bazlen. Elle tient à lui offrir un pull-over (pourquoi ?), et lui confie le message suivant : « Il y a un moment dans la vie, où on doit prendre une décision fondamentale. À ce moment-là, les choses changent ou doivent changer, et l’on ne peut plus avancer par ajustements progressifs, automatiques. Voilà : beaucoup de gens, arrivés à ce point, ont fait sa connaissance. Et il les a aidés à changer ou à prendre une décision. Je crois que c’était là sa passion, et son chef-d’œuvre. Rien d’autre. » C’est presque ici une définition par défaut de la littérature, et elle s’applique, comme le sous-entend avec justesse Pierre Boisson, à Christine Pawlowska et à son unique et si frêle ouvrage.
Christine Pawlowska, Écarlate. Préface de Blandine Rinkel. Éd. du Sous-sol, 110 pages.
Chez le même éditeur : Pierre Boisson, Flamme, volcan, tempête. Un portrait de Christine Pawlowska. 221 pages.
Flamme, volcan, tempête - Un portrait de Christine Pawlowska
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Daniele del Giudice, Le Stade de Wimbledon. Éd. Du Seuil, « La Librairie du XXIe siècle », 1983, 224 pages.
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