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Les Dessous chics


Aimé immédiatement
Marcel Aymé. DR

Chaque semaine, Philippe Lacoche nous donne des nouvelles de Picardie…


L’autre jour, la Sauvageonne et moi avons surpris Yvonne, notre fidèle et bien aimée jument, allongée sur le canapé du salon en train de lire La Jument verte, de Marcel Aymé. J’adore cet écrivain, styliste incomparable, esprit libre et tolérant, conspué par la critique de l’époque qui lui reprocha notamment de ne pas avoir lâché ses amis Céline et Brasillach à la Libération. Nous l’avons donc observée de loin et, finalement, laissée tranquille alors qu’elle savait pertinemment qu’elle n’était pas autorisée à se prélasser sur notre beau fauteuil en cuir beige, héritage des parents de mon adorée ébouriffée. Je savais qu’Yvonne était dotée d’un certain goût pour les bons écrivains, ce depuis qu’elle a fréquenté les cours de l’Ecole normale supérieure des équidés de la rue d’Ulm. Alors, je compris mieux pourquoi, deux semaines plus tôt, elle m’avait fait sourire et ému en racontant comment Roger Vailland, résistant et communiste, compagnon de khâgne de Brasillach, collaborationniste éhonté et écrivain de haut vol, avait conseillé à ce dernier de se planquer. La scène se passait dans une rue du Quartier latin en été 1944 ; l’épuration battait son plein. « A quoi bon ? » eût-il répondu au futur créateur de Drôle de jeu. « Il est déjà trop tard. » Je comprenais mieux également, pourquoi, trois jours plus tôt, elle avait demandé à la Sauvageonne si elle pouvait lui acheter de la Gyraldose qui eût pu, selon ses dires, contribuer à son hygiène intime. Sacrée Yvonne ! Troublant hasard, alors que je fouinais dans la boîte à livres près de La Poste de mon quartier, je tombais sur Les contes bleus du chat perché en édition Folio Junior. Un livre exquis. Je me revoyais devant le clavier de ma machine à écrire, installé dans le salon de la jolie maison de la rue Pierre-Sauvage, à Abbeville, que nous avions achetée Féline, mon ex-épouse,  et moi ; je rédigeais un article sur Marcel Aymé – à l’occasion de l’édition de Nouvelles complètes, Quarto Gallimard (2002) – pour Immédiatement, revue d’inspiration bernanosienne, fondée par Luc Richard, à laquelle j’avais le plaisir de collaborer. Nous étions une vingtaine de jeunes Turcs, insolents, fous de littérature, vilipendeurs de l’Europe des marchés ; parmi eux quelques bons amis : Jérôme Leroy, Sébastien Lapaque, Jean-Christophe Buisson… Nous nous retrouvions parfois à Paris pour voyager au bout de la nuit, la tête égayé par les bulles du savoureux champagne Drappier (le préféré du Général ; 100 % pinot noir). Nous refaisions le monde et riions beaucoup ; le monde continua à tourner – mal ! – et nous rîmes un peu moins. Oui, tout cela me revenait ; tout cela grâce à la boîte à livres, ma boîte à souvenirs. Et à Yvonne, notre – presque – jument verte allongée sur le canapé en train de lire Marcel Aymé…



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Il a publié une vingtaine de livres dont "Des Petits bals sans importance, HLM (Prix Populiste 2000) et Tendre Rock chez Mille et Une Nuits. Ses deux derniers livres sont : Au Fil de Creil (Castor astral) et Les matins translucides (Ecriture). Journaliste au Courrier Picard et critique à Service littéraire, il vit et écrit à Amiens, en Picardie. En 2018, il est récompensé du prix des Hussards pour "Le Chemin des fugues".

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