Dans La mauvaise joueuse Victor Jestin se glisse dans la peau d’une femme et décrypte les mécanismes de l’addiction. Un roman impossible à lâcher.

Victor Jestin. Retenez bien le nom de cet écrivain. Il ira loin. À trente ans et des poussières, le jeune homme a déjà commis deux romans. Le premier, La chaleur, s’est vu attribué en 2019 le Prix Femina des lycéens. Le second, L’homme qui danse, a confirmé d’indéniables qualités. Un sens du rythme, un univers, une voix. Le troisième, La mauvaise joueuse, séduit par son étrangeté.
Envie irrésistible
Un soir, Maud, la trentaine, un compagnon, un projet de bébé, un métier qui lui plaît, prend sa voiture pour rentrer chez elle. Dans son sac, un portable que lui a confié un collègue de travail et un jeu: Candy Crush. « Il fallait trier des lignes de bonbons pour faire des combinaisons ». Elle tente de penser à autre chose, essaye de résister, puis, malgré elle, commence à jouer jusqu’à ce qu’elle percute quelque chose. Une personne ? Un animal ? Elle l’ignore mais paniquée prend la fuite. Commence alors une longue errance pavée de tentations pour celle qui vient de rechuter dans une très vieille addiction: le jeu. Petite déjà Maud jouait. Rien d’inquiétant chez une enfant. Le contraire l’eût été. Personne n’imagine donc que les choses pourraient mal tourner. Surtout pas le père, joueur à ses heures. Les chiens ne font pas des chats. Maud pousse la porte d’un bowling, s’intègre dans un groupe. « J’enchaînais les strikes. J’avais le geste et la confiance. J’étais bien. Tout allait bien ». Jusqu’à ce qu’elle perde. Hurlement. Sidération des autres joueurs. Puis il y aura le flipper, les fléchettes, les échecs et le reste. A chaque fois le même scénario se répète. L’envie irrépressible. La volonté de ne pas céder qui vole en éclat. L’excitation à son comble. Le désir de gagner à tout prix. Puis, quelle que soit l’issue du jeu, le sentiment de souillure et de honte jusqu’à la prochaine fois. Pour la narratrice, jeune femme mal dans sa peau, jouer revient à faire taire ses démons le temps d’une partie. Sentiment de puissance temporaire qui n’est pas sans rappeler le temps béni de l’enfance. « L’enfant qui joue habite une aire qu’il quitte avec difficulté » rappelle le psychanalyste Donald Winnicott en exergue du livre. Pour Maud rien n’a changé.
Folie
Victor Jestin, avec une justesse qui permet de penser qu’il a lui-même été confronté au problème, raconte à la première personne l’enfer de l’addiction. Une addiction d’autant plus sournoise qu’elle est sous-estimée. L’on souligne volontiers les ravages des jeux d’argent ou des jeux vidéo, beaucoup moins ceux du Monopoly ou du tir à la carabine. C’est pourtant un même processus qui est à l’œuvre et que l’écrivain décrypte à la perfection. De son écriture précise, quasi-chirurgicale, il brosse le portrait d’une jeune femme à la lisière de la folie dans laquelle elle ne verse pourtant jamais. C’est la grande force de ce roman que de se tenir sur la ligne de crête. Maud est une jeune femme comme les autres ou presque. Et ce presque tient le lecteur en haleine pensant 150 pages. Haletant, troublant, Mauvaise joueuse est un roman dérangeant. Et de fait addictif !
143 pages.
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